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MYTHES
« Mythique » redirige ici. Pour les articles homophones, voir Meetic et Mythic.
Pour l’article ayant un titre homophone, voir Mite.
Pour un article plus général, voir Mythologie.Un mythe est une construction imaginaire qui se veut explicative des phénomènes cosmiques, psychologiques et sociaux, à l'image de dieux et déesses qui proposent une explication pour certains aspects fondamentaux du monde et de la société qui a forgé ou qui véhicule ces mythes. Le mythe est porté à l'origine par une tradition orale. La construction imaginaire que constitue le mythe est fondatrice d'une pratique sociale en fonction des valeurs fondamentales d'une communauté à la recherche de sa cohésion1 :
* la création du monde (cosmogonie), de l'espèce humaine (anthropogonie) et des divinités (théogonie) ;
* les phénomènes naturels astronomiques, météorologiques, géologiques (astromythologie, géomythologie) ;
* le statut de l'être humain, et notamment ses rapports avec le divin, avec la nature, avec les autres individus (d'un autre sexe, d'un autre groupe) ;
* la genèse d'une société humaine et ses relations avec les autres sociétés.
L'étude des mythes est la mythologie. La mythification est l'action ou le processus par lequel l'historiographie, la production artistique ou les représentations populaires considèrent, interprètent ou transforment un personnage ou un épisode historique en un mythe.
Le terme mythe est souvent employé pour désigner une croyance manifestement erronée au premier abord, mais qui peut se rapporter à des éléments concrets exprimés de façon symbolique2 et partagée par un nombre significatif de personnes. Il met souvent en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine3.
Le mythe (qui se veut explicatif en se fondant sur des constructions imaginaires) se distingue de la légende (qui suppose quelques faits historiques identifiables), du conte (qui se veut inventif sans expliquer), et du roman (qui « explique » avec peu de fondements). Ces quatre types de récits fictifs sont parfois confondus4.
Définitions
Mythologie nordique : dans son char tiré par ses deux boucs, Thor affronte les géants, M. E. Winge, 1872. La part de l'iconographie dans les mythes contribue à leur succès et leur pérennité. D'après le Dictionnaire de l’Académie française5, le sens premier du mot mythe, apparu au xixe siècle, est un récit fabuleux, pouvant contenir une morale plus ou moins implicite. Il dérive d’une racine indo-européenne meudh qui évoque le souvenir et la pensée et fait référence à la remémoration6.
Un mythe implique souvent plusieurs personnages merveilleux, tels que des dieux, des animaux chimériques ou savants, des hommes bêtes, des anges ou des démons, et l'existence d'autres mondes.
Il serait exagéré de prendre un mythe au pied de la lettre, et de croire que les peuples les tiennent pour une description parfaitement exacte (y compris les aspects surnaturels) du déroulement des événements. Il serait sans doute tout aussi tendancieux de les analyser comme de simples récits poétiques, dépourvus de base réelle, des formes archaïques de réflexions philosophiques et proto-scientifiques, réalisées par une analogie poétique plus que sur la logique, et exprimées sous une forme symbolique, voire une sorte de roman.
Ces histoires ne sont pas arbitraires ; les différentes sociétés, même très différentes et sans contacts culturels, présentent des mythes qui utilisent les mêmes archétypes et ceux-ci traitent toujours de questions qui se posent dans les sociétés qui les véhiculent. Ils ont un lien direct avec la structure religieuse et sociale du peuple, et avec leur cosmogonie.
Selon Mircea Eliade : « Il serait difficile de trouver une définition du mythe qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non-spécialistes. D'ailleurs, est-il même possible de trouver une seule définition susceptible de couvrir tous les types et toutes les fonctions des mythes, dans toutes les sociétés archaïques et traditionnelles ? Le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut être abordée et interprétée dans les perspectives multiples et complémentaires »7. Les philosophes de l'époque post-mythique, tels que Protagoras, Empédocle et Platon utilisent le mythe comme une mise en scène allégorique afin de faire percevoir leurs propos d’une manière concrète. Par exemple, Platon crée des mythes originaux, ou réadapte des mythes antérieurs (par exemple le mythe d'Er le Pamphylien). À sa suite, d'autres philosophes ou certains auteurs de discours argumentatifs ont, eux aussi, eu recours au mythe, dans un même emploi.
L'anthropologue français Claude Lévi-Strauss, offre cet avis : « Un mythe se rapporte toujours à des événements passés avant la création du monde […] ou […] pendant les premiers âges […] en tout cas […] il y a longtemps […]. Mais la valeur intrinsèque attribuée au mythe provient de ce que les événements, censés se dérouler à un moment du temps, forment aussi une structure permanente. Celle-ci se rapporte simultanément au passé, au présent et au futur »8.Le spécialiste de la mythologie gréco-latine, Pierre Grimal, concède cette définition généraliste où il prend parti finalement d'accepter le mythe pour lui-même : « C'est à la Grèce que l'on doit le nom et la notion même de mythologie. L'esprit hellène opposait, comme deux modes antithétiques de la pensée, le logos et le mythos, le « raisonnement » et le « mythe ». Le premier, c'est tout ce dont on peut rendre compte rationnellement, tout ce qui atteint à une vérité objective, et qui est identique pour tous les esprits. Le second, c'est tout ce qui s'adresse à l'imagination, tout ce qui n'est pas susceptible de vérification, mais porte sa vérité en soi-même, dans sa vraisemblance, ou, ce qui revient au même, la force de persuasion que lui confère sa beauté9.un mythe et une parole performative ».
Aspects des mythes
Le mythe est une parole performative et agentive10 pour celui qui appartient à la culture qui l'a créé. Cette parole raconte une histoire sacrée qui relate non seulement l'origine du monde, des animaux, des plantes et de l'homme, mais aussi tous les événements primordiaux à la suite desquels l'homme est devenu ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire un être mortel, sexué, organisé en société, obligé de travailler pour vivre, et vivant selon certaines règles.
Le mythe se déroule dans un temps primordial et lointain, un temps hors de l'histoire, un Âge d'Or, un temps du rêve. Le mythe cosmogonique est « vrai » parce que le monde existe. Le mythe d'identité est « vrai » parce que la communauté dont il est l'image existe. Le mythe d'origine est « vrai » parce que la communauté le répète pour continuer de vivre. En ce sens, le mythe contient quasiment toujours des éléments de liturgie.
Réciter le mythe produit une re-création du monde par la force du rite. L'exigence du sacrifice est l'un des plus puissants. Le mythe n'est pas récité n'importe quand mais à l'occasion de cérémonies : naissances, initiations, mariages, funérailles, et tout un calendrier de fêtes et célébrations, c'est-à-dire à l'occasion d'un commencement, d'une transformation ou terminaison dont il rend compte (ou rend conte, c'est selon). Les mythes sont des références essentielles des incantations, notamment dans le chamanisme11.
Typologie et éléments des mythes[modifier | modifier le code]
Les mythes se retrouvent dans de nombreuses civilisations (mythes de la création du monde ou du déluge par exemple). James George Frazer en a dressé un inventaire planétaire dans son ouvrage Le Rameau d'or (1890)12.
* Types de mythes[modifier | modifier le code] • La cosmogonie raconte la création du monde. Voyez par exemple le mythe de la création du monde en Égypte antique ou la légende des soleils en Amérique centrale.
* La théogonie raconte la naissance des dieux. Le poème d'Hésiode intitulé Théogonie consiste en une théogonie : il raconte la naissance des dieux grecs antiques (la Théogonie inclut aussi une cosmogonie, puisque certains des tout premiers dieux, comme Gaia et Ouranos, forment le monde physique) et leurs générations successives.
* L'anthropogonie raconte la création de l'homme ; le mythe grec de Prométhée.
* Le mythe de régénération raconte une recréation du monde, le plus souvent après un mythe de cataclysme : le monde s'effondrerait s'il n'était périodiquement recréé ; dans la même catégorie peut se ranger le mythe de création d'une institution susceptible de témoigner de la régénération, le mythe de création d'une plante dont l'utilité se manifeste lors de la régénération ou de sa célébration, le mythe de création d'un animal qui joue un rôle dans la célébration, soit comme victime du sacrifice, soit comme support de la théophanie;
* Le mythe de séparation du Divin et du monde et le mythe de séparation du Divin et de l'homme s'accompagnent fréquemment d'un mythe de l'invention de la mort. Voyez à Âge d'or.
* Le mythe de fondation raconte la fondation d'une communauté ou d'une ville, par exemple l'histoire des jumeaux Romulus et Rémus relatant la fondation de Rome.
• Le mythe eschatologique, racontant la fin de l'univers, par exemple le Ragnarök de la mythologie nordique. Voyez à Fin du monde et Eschatologie.
Quelques mythes célèbres
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* Cosmogonie et anthropogonie : ◦ Dans la Bible : ▪ le chapitre 1 du Livre de la Genèse constitue le premier récit de la Création, et correspond à une cosmogonie à partir d'un substrat existant de chaos et d'eaux primordiales ;
* les chapitres 2 et 3 du Livre de la Genèse constituent le second récit de la Création qui se situe dans le jardin d'Éden, et correspondent à une anthropogonie ; ils contiennent des références mythologiques à l'arbre de vie, symbole d'immortalité, et à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, symbole du savoir illimité, caractéristiques de Dieu13 ; ◦ La Théogonie d'Hésiode qui décrit la création du monde, l'histoire des dieux, la création des hommes.
* Njeddo Dewal, mère de la calamité : conte initiatique peul ; • L’Odyssée (« l'histoire d'Ulysse », d'après le nom grec d'Ulysse, « Odysseus »)
* L’Iliade (du grec « Ilion », autre nom de Troie) • Mythes de régénération et de cataclysme ◦ Le Déluge (Bible, Genèse), où Dieu ne sauve qu'un petit groupe de survivants et un couple d'animaux de chaque espèce.
* Le mythe de Proserpine ou Perséphone, qui rend compte de l'alternance des saisons froides, stériles, chaudes et fécondes.
* La cosmogonie aztèque commence par la destruction des quatre soleils primordiaux;
* Le mythe de la destruction de l'Atlantide • Mythe de l'homme ◦ Le mythe prométhéen qui dit que Prométhée apporta le feu aux hommes.
* Le mythe de Don Juan, repris plusieurs fois, parle d'un homme pour qui le seul plaisir réside dans la conquête et la séduction des femmes. • Mythe de création d'une institution ◦ Le mythe d'Hiram, architecte du Temple de Salomon, dont se réclament les sociétés maçonniques et les Compagnons du Tour de France.
* Le roman « néo scientifique » d'Alfred Jarry, Gestes et Opinions du Docteur Faustroll, pataphysicien, dont se réclame le Collège de ’Pataphysique. • Mythe de séparation des hommes et des dieux, du monde et de Dieu ◦ Dans la Bible, la Chute à la fin du chapitre 3 du Livre de la Genèse ;
* En Inde, les sacrifices aux dieux les font monter au ciel et ils abandonnent les hommes. • Mythe de l'enfant berger futur grand artiste, Un enfant garde des bêtes dans la campagne, pour se distraire de cette tâche monotone, il dessine avec un charbon de bois sur un rocher, passe alors un haut personnage qui décèle le talent du futur artiste, voir Giotto, Jean-Pierre Franque, Simon Mathurin Lantara, autre mythe la mouche peinte par l'apprenti sur un tableau du maître en son absence, à son retour celui-ci cherche à faire partir l'intruse Quentin Metsys et encore Lantara.
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• Mythe des gens de caverne repris dans le Coran, et racontant l'histoire à la fois fascinante et douloureuse de certains précurseurs croyants du christianisme, qui furent persécutés et s'enfuirent vers une caverne pour s'y abriter. À force de prier Dieu pour les protéger, le miracle divin fait qu'ils s'endormirent trois siècles et quelques années pour assister à l'avènement sinon la propagation de la nouvelle religion sur toutes les sphères de la société. Philosophie
Le mythe chez Aristote
Aristote écrit : « Aussi, l'amateur de mythes [philomuthos] est philosophe [philosophos] en quelque sorte, car le mythe est composé de merveilles »14. Le commentateur Toula Vassilacou-Fassea soutient qu'Aristote pense que le mythe est digne d'être respecté, mais qu'il ne fait pas avancer la science. Plus ancien que la philosophie, il lui sert surtout d'illustration une fois qu'elle est constituée15.
Postérité du mythe
De nos jours, les principaux représentants des religions monothéistes, comme ceux des néo-païens, n'éprouvent aucune difficulté à considérer que certains aspects de leurs textes sacrés relèvent du mythe. Cette considération n'enlève rien au fait qu'ils contiennent aussi un grand nombre de vérités religieuses, divinement inspirées mais révélées au moyen des catégories de pensées et de langage d'une culture et d'une époque données. Parler de mythe ou de mythologie, en ce qui concerne les monothéismes, n'implique aucun jugement de valeur sur la foi qu'ils proposent, mais offre un outil technique de réflexion herméneutique. Ainsi, les historiens utilisent les mythes comme des textes témoignant des croyances d'une société, et non comme une source d'information sur les événements politiques. Ce sont donc essentiellement les historiens des mentalités qui les utilisent comme sources historiques. Parmi eux, on peut citer, pour les mythes grecs, Jean-Pierre Vernant, pour la mythologie romaine, Georges Dumézil ou, du point de vue anthropologique, René Girard.
Après la désagrégation des repères culturels ou religieux, le relativisme des sciences, la crise de l'idée de progrès, l'humanité confrontée aux faillites écologiques, économiques et sociales, et l'échec patent des utopies révolutionnaires, le désenchantement du monde caractérisé par le recul des croyances religieuses et magiques au profit des explications scientifiques, aurait pu annoncer la fin des mythes. Mais « l'homme moderne qui se sent et se prétend areligieux dispose encore de toute une mythologie camouflée et de nombreux ritualismes dégradés »16 qui correspondent à une réactualisation des mythes jouant toujours le même rôle (fonction cognitive, sociologique et psychologique, fonction d'intégration, d'explication et de légitimation). Ces derniers prospèrent même dans de nouvelles formes que sont les mythes urbains et les mythes modernes, bien que leur portée ne soit pas à mettre sur le même plan que les mythes fondamentaux des sociétés passées.
Les réécritures
L'approche comparatiste montre que chaque ère culturelle produit les archétypes qui seront utilisés en tout ou en partie puis embellis et complétés dans les mythes de chacune de ces civilisations. Quelques-uns d'entre eux survivent à la civilisation qui leur a donné naissance par le recyclage littéraire ou théologique. Ainsi en est-il par exemple du mythe d'Orphée. On peut clairement voir que dans la littérature contemporaine on trouve de nombreux exemples de réécritures d'un mythe. Ainsi, comme Albert Camus et Le mythe de Sisyphe, en 1942, ou encore Jean Anouilh et son Antigone, en 1946. Le mythe de nos jours, prospère grâce à la portée littéraire qu'il prend sous la plume des auteurs. C'est une forme de prospérité du mythe qui le fait basculer du côté de la culture. Une véritable appropriation du mythe17 a lieu, à travers le prisme des préoccupations contemporaines. Ils servent d'intermédiaire pour exprimer des problèmes universels, mais auxquels les sociétés humaines donnent des réponses très variées : l'identité, la résistance, la volonté, le pouvoir…
Théorie girardienne
Un des théoriciens les plus importants du mythe est l'anthropologue contemporain René Girard, dans sa théorie mimétique qui propose pour la première fois une théorie générale du religieux, donne une explication rationnelle de la genèse du mythe. Le mythe raconte, d'une façon déformée, un évènement réel à l'origine de l'ordre social qui régit la communauté, cet évènement étant l'expulsion ou le meurtre d'une victime au cours d'une crise de violence généralisée. Ce meurtre a ramené la paix d'une façon qui semble mystérieuse aux yeux des individus et la victime apparaît tout à la fois comme responsable de la crise terrifiante - c'est dans cette conviction qu'on l'a éliminée - et comme ayant apporté la paix miraculeuse qui a suivi son meurtre : ses pouvoirs apparaissent comme transcendants, elle est ainsi divinisée. Dans le récit de l'évènement, elle sera un dieu doté des traits négatifs de culpabilité que possédait la victime aux yeux du groupe qui l'a lynchée, et des traits positifs de l'être transcendant qui a sauvé le groupe. On peut arriver ainsi à comprendre le sens des caractères surnaturels des dieux dans le mythe. L'analyse que Girard fait de très nombreux mythes dans son œuvre permet de comprendre le caractère surprenant des figures du mythe : le dieu mauvais apparaît comme une victime injustement accusée, le dieu bon comme un chef sans scrupule, etc., la jeune fille transformée en vache ou en nymphe est probablement une victime de sacrifice humain, le dieu qui féconde par une pluie d'or est un riche suborneur, le cheval de Troie une traîtresse ambassade de paix qu'un peuple las de la guerre accepte imprudemment, au besoin en tuant les oiseaux de mauvais augure comme Laocoon et ses fils qui le défendent, etc.
Les mythes urbains ou mythes modernes
Dans le contexte moderne, on peut observer certains récits qui ont toutes les caractéristiques de mythes mais sont soit très récents de construction, soit encore en cours d'assemblage. On parle alors de mythes urbains ou, plus couramment, de légendes urbaines. Mais on peut aussi parler de mythes modernes en référence à la réflexion qu'a menée le philosophe et sociologue Georges Sorel qui a analysé leur émergence dans et par l'avènement de faits extraordinaires, comme des épopées guerrières comme celles de la Révolution française ou les grèves ouvrières de la fin du xixe siècle18. Il s'agit alors de mythes sociaux que les masses emploient pour se mobiliser. Au cours du xxe siècle, le mythe a été utilisé comme instrument de propagande par le fascisme, en particulier pour exalter la Nation. On peut estimer qu'aujourd'hui la publicité fonctionne en créant des mythes vendeurs. Le mythe moderne est donc tantôt une manifestation sociale spontanée tantôt une manipulation d'ordre politique ou commercial. Il semble alors que dans les sociétés modernes actuelles, le mythe soit un organe de propagande comme les autres, voilà pourquoi il faut nuancer leur portée.
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Sumer
Cet article fait partie du dossier consacré à la Mésopotamie.
Nom d'origine inconnue, désignant la partie méridionale de la Mésopotamie antique, souvent opposée à la partie centrale, ou pays d'Akkad.
Née entre 3500 et 3000 avant J.-C., la civilisation sumérienne est le fruit de la lente évolution de populations non sémites installées sur les terres de basse Mésopotamie depuis la fin du VIe millénaire. Établies sur les rives du Tigre et de l'Euphrate, celles-ci se groupent en petits villages tels Éridou (Abou-Shahrein), Our (Tell Muqqayar), Ourouk (Warka), tell El-Obeïd ou tell el-Oueili.
Les Akkadiens nommaient Shumeru le pays qui s'étendait depuis Babylone jusqu'aux rives du golfe Arabo-Persique. Aujourd'hui, le mot « Sumer », adopté par les linguistes puis par les archéologues, désigne la brillante civilisation qui caractérise une période décisive de l'histoire mésopotamienne, et qui rayonne au IIIe millénaire avant J.-C. sur la région la plus méridionale de l'Iraq ainsi que sur le cours inférieur de la Diyala, affluent du Tigre. Leur culture, dite d'Obeïd, du nom du site où elle fut découverte, est de type néolithique.
1. LA CULTURE D'OBEÏD
Les Obeïdiens pratiquent l'hydroagriculture, cultivent l'orge et le blé, connaissent le palmier dattier, élèvent des bovidés, des porcins, des capridés et pratiquent la pêche. Ils produisent une céramique domestique consistant en vases et en ustensiles modelés et peints de motifs géométriques ou figuratifs. Dans l'argile, ils sculptent également de petites figurines anthropomorphes mesurant de 15 à 20 cm de hauteur et dont les têtes coiffées de bitume présentent un aspect reptilien très prononcé. Ne disposant pas de ressources métalliques, ils utilisent des faucilles en terre cuite mêlée de quartz ainsi que des houes en pierre. Leurs contacts avec le monde extérieur se limitent à une modeste importation d'obsidienne et de bitume.
La basse Mésopotamie étant autant dépourvue de bois de charpente que de pierre de bonne qualité, ses habitants tirent parti des matériaux locaux : terre, roseaux et probablement bois de palmier. Dans le domaine de l'architecture, on leur attribue l'invention dès cette époque de l'arc, du dôme, de la colonne et même de la voûte en berceau. À Éridou et à tell el-Oueili, l'archéologie a révélé une architecture uniforme, des tombes et des mobiliers funéraires peu différenciés.
La culture néolithique d'Obeïd perdure pendant près d'un millénaire puis se métamorphose.
2. L'ÉPOQUE D'OUROUK
Les fouilles d'Éridou et de tell el-Oueili permettent de saisir ses premiers signes d'évolution de la civilisation aux environs de la fin du Ve millénaire. Auparavant uniforme, l'architecture commence à se différencier. De grandes bâtisses à plan tripartite, qui pourraient être des temples, sont érigées. De même, d'importantes terrasses en brique sont réalisées, ouvrages probablement destinés à un usage collectif. Même si ces changements demeurent limités, ils traduisent vraisemblablement la naissance d'une hiérarchisation sociale au sein de ces premières communautés villageoises de la basse Mésopotamie.
2.1. LES PREMIÈRES ÉVOLUTIONS
Au début du IVe millénaire, l'ampleur du changement est telle que les archéologues n'hésitent pas à y voir le point de départ d'une nouvelle étape culturelle. Celle-ci, baptisée époque d'Ourouk (3750-3150), prolonge et accentue la tendance précédente à l'urbanisation et confirme le passage graduel de la communauté domestique à une organisation sociale plus complexe. Les villages, auparavant de dimensions réduites, prennent peu à peu l'allure d'importantes agglomérations. Par ailleurs, sur tous les sites du Sud mésopotamien, la céramique peinte de l'époque d'Obeïd cède la place à une production monochrome d'écuelles réalisées à la main à partir de moules qui en permettent la fabrication en série.
En architecture, l'évolution amorcée à l'époque précédente semble s'accentuer. Sur le site d'Ourouk, on a découvert les ruines de grands bâtiments dépassant parfois 70 m de long et qui semblent dériver des structures tripartites de la culture d'Obeïd. Leurs façades agrémentées de saillants et de rentrants portent des décors mosaïqués. De nouvelles techniques architecturales font leur apparition : on emploie ainsi le parpaing, sorte de brique à base de gypse. On utilise des mortiers et l'on confectionne des mosaïques murales à partir de cônes d'argile ou de pierre. La conception de l'espace bâti obéit désormais à des règles précises de planification. Le périmètre urbain est souvent inscrit dans des remparts en brique crue, l'habitat est plus dense et mieux ordonné. En correspondance avec cet aménagement de l'espace, la société elle-même commence à se hiérarchiser.
2.2. ORGANISATION SOCIALE ET GESTION DES RESSOURCES
Dans l'iconographie sumérienne apparaît un personnage barbu et coiffé d'un diadème, figurant tantôt un guerrier terrassant ses ennemis, tantôt un ministre du culte. Les archéologues y voient le chef unique de la cité, une sorte de « roi-prêtre ». C'est alors que se développent de véritables méthodes de gestion. Ainsi, en prélude à l'écriture, des calculi, jetons en terre cuite, sont utilisés à des fins comptables. La métallurgie, autre témoin de la vitalité de la basse Mésopotamie, connaît également de notables améliorations. Les artisans s'essaient aux premiers alliages volontaires et, outre le cuivre importé de la péninsule d'Oman, ils utilisent le plomb, l'argent et l'or. De la même façon, l'innovation gagne l'agriculture. Vers l'Ourouk récent (3500-3100), on adopte un araire-semoir, dont l'utilisation vise vraisemblablement à augmenter les surfaces emblavées.
3. L'ÉPOQUE DE DJEMDET-NASR
Les changements se poursuivent à l'époque suivante (3150-2900), dite d'Ourouk III, ou de Djemdet-Nasr, du nom d'un site à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Babylone. Les sites, jusque-là dispersés, ont tendance à se regrouper le long des cours d'eau, et de nombreux villages disparaissent au profit d'agglomérations plus grandes et mieux structurées. Cette urbanisation s'accompagne d'une plus grande stratification de la société sumérienne. Du point de vue de la culture matérielle, l'époque de Djemdet-Nasr est celle de la mise au point d'un nouveau type de céramique, à décor trichrome fait de motifs géométriques. L'usage de l'écriture commence à se généraliser, et les cylindres-sceaux servant à signer les documents remplacent les simples cachets. La hiérarchisation sociale, commencée à l'époque d'Ourouk, semble se cristalliser et des « classes » se dessinent, telles celles des prêtres, des scribes, des artisans et des soldats. C'est dans ce contexte de bouillonnement culturel et de changements économiques et sociaux que commence à s'épanouir la civilisation sumérienne.
4. LA PÉRIODE DES DYNASTIES ARCHAÏQUES
À l'aube du IIIe millénaire, la basse Mésopotamie se divise en autant de territoires qu'il y a de cités importantes. Celles-ci rayonnent chacune sur une périphérie composée de petites bourgades et constituent de multiples unités indépendantes, sortes de capitales qui fonctionnent à l'image des cités-États. On y trouve un pouvoir central, à détenteur unique, autour duquel gravitent des vicaires, des officiers et des administrateurs. Leurs chefs portent les titres de roi (lougal), de prince (ensi), ou encore, comme à Ourouk, celui de seigneur (en). Le système politique sumérien des cités-États prévaut de 2900 à 2340. Cette période longue de plus de six siècles est appelée par les archéologues la période protodynastique, ou encore la période des Dynasties archaïques.
Cependant, le schéma politique d'une royauté bien établie n'est peut-être pas constant pendant toute la période sumérienne. La plus ancienne des inscriptions royales – celle d'Enmebaragesi, roi de Kish – date de 2700. Au-delà, ni l'archéologie ni l'épigraphie ne permettent d'éclairer la période de formation de la royauté. L'interrogation porte encore sur la façon dont le pouvoir, vraisemblablement de nature théocratique à l'époque d'Ourouk, a fini par échoir à des souverains. Tout porte à croire que, au début du IIIe millénaire, sans que l'on sache trop comment, le chef religieux (grand prêtre ou prêtre-roi) partage le pouvoir avec un chef séculier. Celui-ci, souverain, veille toutefois à s'assurer une légitimité religieuse et agit en tant que mandataire du dieu principal de la cité. Dépossédé du pouvoir politique, le temple n'en garde pas moins une grande importance économique.
4.1. LE TEMPLE, RÉSERVOIR DES RESSOURCES
À Girsou, les archives du temple de la déesse Bawa (vers 2500-2400) nous apprennent que les sanctuaires avaient gardé la haute main sur l'économie de la cité. Sur les 4 500 ha de terres cultivables qu'ils gèrent, le quart sert aux besoins propres du culte. Les trois quarts restants sont subdivisés en champs : les uns sont destinés à l'entretien du personnel, tandis que les autres sont affermés et parfois attribués en usufruit à quelques catégories de dignitaires, fonctionnaires et employés. Le temple garde une partie de ces revenus pour les années de disette et en échange une autre contre des matières premières importées. Il en redistribue, enfin, une troisième partie sous forme de rations à la population, mais aussi au souverain et à sa famille, aux artisans, aux militaires, aux fonctionnaires et à divers autres agents de l'État.
L'ADMINISTRATION
Afin de mener à bien une telle tâche, le temple dispose d'une véritable administration avec comptables et « bureaucrates ». Les archives de Girsou nous renseignent ainsi sur la précision et la complexité des règles de gestion adoptées par l'administration religieuse. Sous l'autorité d'un prêtre administrateur (shanga), des scribes, des contremaîtres (ugula), des intendants (nu-banda), des vérificateurs (agrig) et des inspecteurs (mashkim) veillent à la bonne marche des exploitations.
LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE
Ce système hybride où cohabitent un pouvoir politique dévolu à des séculiers et un pouvoir économique contrôlé par le temple a-t-il prévalu dans toutes les cités sumériennes ? Des contrats en provenance de Shourouppak (aujourd'hui Fara) donnent une tout autre image de la répartition foncière dans la cité : il semble que les particuliers pouvaient y acquérir des champs et les exploiter eux-mêmes sans intervention aucune du temple. Cela veut-il dire que, contrairement au Sud, le centre et le nord du pays de Sumer connaissaient la propriété privée ? Nul ne le sait, mais ce qui peut être tenu pour certain et dont l'archéologie et l'épigraphie témoignent de façon évidente, c'est que temple et palais ont cohabité tout au long de la période sumérienne.
Cependant, nous savons encore très peu de chose de la nature et de la réalité des rapports entre le politique et le monde du divin. Il est probable qu'à un moment ou à un autre, dans telle ou telle cité-État, il y eut compétition entre ces deux formes de pouvoir. À Lagash, par exemple, les inscriptions d'Ourouinimgina expliquent qu'au temps du roi Lougalanda, le temple vit ses biens spoliés par le souverain.
4.2. L'ARMÉE
Comme toutes les histoires politiques, celle de Sumer fut une succession de conflits armés qui opposaient les principautés les unes aux autres ou, plus rarement, les unissaient face à un ennemi commun. Les Sumériens excellèrent dans l'art de la guerre. Ils furent les premiers à disposer de troupes organisées et à élaborer de véritables techniques militaires. En général, leurs conflits avec les voisins obéissaient à des motifs économiques : besoins de matières premières, incidents liés au tracé des frontières, problèmes de partage de l'eau… La gloire, les ambitions personnelles des rois, voire la religion, provoquèrent aussi des rivalités.
LA PREMIÈRE GUERRE
Il semble que la première guerre soit celle que livra, vers 2680 avant J.-C., Enmebaragesi de Kish à ses voisins élamites. Peu après, vers 2600 avant J.-C., un autre Kishien, l'ensi Uhub, fait inscrire sur un vase dédié au dieu Zababa qu'il est le vainqueur de Hamazi, ville située au nord de la Diyala. Vers 2550 avant J.-C., Kish se distingue encore. Cette fois-ci, son souverain, Mesilim, étend son autorité sur les villes de Lagash et d'Adab. L'hégémonie kishienne doit cependant céder à celle d'Our ; ce port fluvial, situé sur l'Euphrate, connaît son premier apogée sous le règne de Mesanepada. Celui-ci fait main basse sur Nippour, prend Kish et se rend maître de la plus grande partie de la basse Mésopotamie. Son influence semble s'étendre jusqu'à Mari, sur le haut Tigre, dans la future Assyrie.
LOUGAL-ZAGESI ET L'UNIFICATION DE SUMER
Au xxve siècle avant J.-C., c’est au tour de Lagash de connaître la gloire. Son roi, Eannatoum, aurait vaincu les Élamites et pris Mari, Our, Ourouk et Kish. Un de ses exploits sur lequel nous sommes bien informés se rapporte à un conflit frontalier avec la cité d'Oumma. Triomphant, Eannatoum commémore sa victoire par la stèle des Vautours, aujourd'hui déposée au Louvre. Oumma se venge plus tard, sous le règne de Lougal-zagesi. Celui-ci conquiert Lagash, Ourouk, Our, Kish et parvient, pour la première fois dans l'histoire mésopotamienne, à unifier tout le pays de Sumer.
4.3. UNE ÉCONOMIE AGROPASTORALE
Dans un pays principalement constitué d'eau, de limon et d'argile, l'économie sumérienne, comme aux temps de la culture d'Obeïd, s'est entièrement constituée autour de l'hydroagriculture et de l'élevage. Irrigués par des canaux dérivés des fleuves Tigre et Euphrate, les sols alluvionnaires de la basse Mésopotamie se prêtent fort bien à la céréaliculture. Outre l'engrain (espèce de blé), présent dès le Ve millénaire, les Sumériens cultivent le blé amidonnier, le blé dur et surtout l'orge. À côté des céréales, les textes mentionnent les cultures de pois, les fèves, le concombre, l'ail, l'oignon, le poireau, les dattes et font état d'élevages bovin et ovin. Ce complexe agropastoral assure aux Sumériens des surplus exportables ou du moins échangeables contre des produits étrangers.
4.4. LE RAYONNEMENT COMMERCIAL
De nombreuses tablettes font état d'importations sumériennes de bois, d'or, de cuivre, d'argent, d'étain, de lapis-lazuli et d'autres pierres précieuses. De récentes découvertes archéologiques sont venues confirmer cette ouverture sur l'extérieur du monde sumérien. La découverte de céramique protodynastique dans les cairns d'Abqayq (dans l'actuelle Arabie saoudite), à Tarout et à Hili (aujourd'hui dans les Émirats arabes unis) atteste les relations entretenues entre Sumer et les pays du Golfe.
De nombreux vases en chlorite, en stéatite, en albâtre, découverts dans les sites mésopotamiens, semblent provenir d'Iran, des côtes d'Arabie et peut-être même d'Égypte. La lazurite, hautement prisée lors de l'époque protodynastique, était selon toute vraisemblance importée du Badakhchan, sur le territoire du Tadjikistan actuel. Les données de l'archéologie viennent étayer également l'hypothèse de contacts et d'échanges avec les cités de la vallée de l'Indus. Sceaux et perles harappéens ont été trouvés en basse Mésopotamie. De même, on aurait découvert des bijoux de facture sumérienne à Mohenjo-Daro.
4.5. LES INNOVATIONS ET LES CARACTÉRISTIQUES DE LA CIVILISATION SUMÉRIENNE
UN ARTISANAT INVENTIF
Tous les matériaux importés trouvent emploi dans la fabrication de biens de prestige destinés à une élite urbaine de plus en plus prépondérante. Pour répondre à des besoins nés de la différenciation de la société, les artisans mettent au point de nouvelles techniques. Dans le domaine de la métallurgie, leur capacité d'innovation fut telle qu'ils surclassèrent tous leurs contemporains. Cette suprématie se traduit à la fois par la maîtrise des procédés d'alliage et par celles des techniques de fabrication. La première, confirmée par les recherches archéométriques, repose sur la multiplication des alliages volontaires : binaires (cuivre-arsenic et cuivre-plomb), ternaires (cuivre-arsenic-étain) et même quaternaires (cuivre-arsenic-étain-plomb). Du point de vue des techniques, la variété des procédés (martelage, moulage, fonte à la cire perdue) permit la fabrication d'une large gamme de produits : des armes, des outils, des statuettes, des figurines, des vases, etc.
L'ORFÈVRERIE
Les Sumériens furent aussi d'excellents orfèvres. Ils maîtrisaient les techniques d'incision, de gravure, de cloisonné et de repoussé. On leur doit l'invention de deux techniques remarquables : le filigrane et la granulation. Auparavant inconnue, la fabrication de fils et de grains d'or permit aux orfèvres sumériens de confectionner des bijoux d'une beauté remarquable. Parmi les pièces exhumées, pour la plupart dans les tombes royales d'Our, certaines sont de véritables chefs-d'œuvre. Ainsi en est-il d'un poignard en or emmanché d'une poignée en lapis-lazuli sertie de clous d'or, de son fourreau à décor en granulation et en filigrane, d'un casque dit « de Meskalandug » et de bien d'autres objets aujourd'hui déposés dans les musées de Bagdad, de Philadelphie et de Londres. Les artisans sumériens exprimèrent également leur créativité sur des matériaux moins nobles. Ainsi, parmi les œuvres d'arts mineurs, on trouve des plaques de coquilles gravées de dessins dont les traits étaient remplis d'une pâte noire ou rouge. Encastrées dans des tables de jeu ou dans les tables d'harmonie des lyres, elles faisaient office de mosaïque. Ces productions artisanales répondaient aux besoins ordinaires de la société sumérienne.
L'ARCHITECTURE, LA GLYPTIQUE ET LA CÉRAMIQUE
En matière d'architecture, l'innovation consiste dans l'utilisation d'une brique planoconvexe (une face plate, l'autre bombée) séchée au soleil et appareillée en arête de poisson. De même, l'habitude fut prise de dresser les sanctuaires sur des plates-formes. Les temples à plan tripartite furent progressivement remplacés par des bâtiments à cour centrale entourée de nombreuses pièces. Aussi, à Khafadje, à El-Obeïd et à Lagash furent construits des sanctuaires inscrits dans des enceintes ovoïdes. Des changements affectèrent aussi la glyptique.
De nouveaux thèmes devinrent alors prépondérants dans l'iconographie des cylindres-sceaux : des banquets rituels et des scènes de combat où figuraient des monstres, parfois des êtres hybrides (aigle léontocéphale, taureau androcéphale, homme-taureau). La période protodynastique voit aussi l'évolution de l'art céramique. C'est ainsi qu'à la poterie écarlate – poterie peinte de motifs rouges sur fond beige – de l'époque de Djemdet-Nasr succède une céramique tournée non peinte (jarres à anses verticales, plats sur pied) mais cependant ornée de torsades et d'incisions. Les statues, anguleuses et fort stylisées au début de la période protodynastique, s'humanisent ensuite et deviennent plus réalistes. Les Sumériens se distinguent également dans l'art du bas-relief. Cependant, les bas-reliefs sumériens les plus répandus semblent avoir été de petites plaques calcaires carrées, percées d'un trou central et servant vraisemblablement de bases aux offrandes que les fidèles déposaient dans les temples. Ces pièces, conformément à leur destination, représentent des scènes de piété et mentionnent les dédicaces des adorateurs.
5. L'ÉPOQUE NÉOSUMÉRIENNE
Après le règne de Lougal-zagesi, qui dure vingt-cinq années, la basse Mésopotamie tout entière tombe entre les mains du Sémite Sargon d'Akkad (2340 avant J.-C.). Dès lors, les cités-États sumériennes font place à un nouveau système politique caractérisé par l'émergence de véritables États unifiés et appuyés sur des administrations centralisées. Ce changement marque, pour sûr, la prééminence de l'élément sémite akkadien. Toutefois, il faut se garder d'y voir le signe d'une subite modification de la composition ethnique de la région. Les Sémites y étaient largement représentés vers 2500 , et les tablettes d'Abou-Salabikh, signées dès cette époque par des scribes portant des noms sémitiques, semblent bien le confirmer.
Vers la fin du IIIe millénaire, après le long règne de Naram-Sin (2254-2218 avant J.-C.), petit-fils de Sargon, les Sumériens d'Our bâtissent un royaume néosumérien (2110-2004), qui disparaît sous les coups des envahisseurs amorrites et élamites. Cette période, qui prolonge la culture sumérienne, sort du cadre d'une définition stricte de la civilisation protodynastique. Politiquement, socialement, elle consacre une rupture avec l'ancien monde sumérien. La ville d'Our est détruite en 2004 avant J.-C.
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Zone sinueuse où s'établit le contact entre la mer ou un lac et la terre. (Le terme a un sens plus large que rivage et côte, qui désignent respectivement les domaines du littoral soumis directement ou indirectement à l'action de la mer.)
1. FORMATION DES LITTORAUX
Le tracé actuel des littoraux date d'environ six à sept millénaires, à la suite de la remontée du niveau marin provoquée par la fonte des glaciers quaternaires.
Dans leur grande majorité, les côtes sont dites de submersion, puisqu'elles résultent du recouvrement par la mer de terres autrefois émergées. Localement, des mouvements relativement rapides, et vers le haut, de l'écorce terrestre ont pu compenser la submersion et faire émerger les fonds marins ; ce sont des côtes d'émersion. Mais c'est surtout la nature du continent qui conditionne celle du littoral, car la lenteur de son évolution le rend pratiquement invariant face à la grande instabilité de l'océan et de l'atmosphère. Ainsi, on observera des côtes hautes ou basses, selon la topographie acquise à la fin des glaciations : une plaine submergée donnera une côte basse, un relief aux pentes fortes une côte rocheuse élevée.
2. TYPOLOGIE DES LITTORAUX
Selon la nature géologique du continent et l'action que l'océan exerce sur lui, les littoraux peuvent être classés en deux grandes familles : les côtes rocheuses (qui sont le plus fréquemment des côtes dites d'ablation) et les côtes meubles (qui sont le plus souvent des côtes dites d'accumulation).
2.1. LES CÔTES ROCHEUSES
LES FALAISES
Ce sont les formes les plus communes sur les côtes rocheuses. Une falaise est, au sens strict, une portion de littoral abrupt, dominant les eaux d'au moins quelques mètres. Elle est précédée d'un replat, de largeur variable, recouvert par une faible profondeur d'eau, la plate-forme d'abrasion, qui résulte de l'érosion de la falaise par les eaux, et du recul de celle-ci. Au contact du pied de la falaise et de la plate-forme se présente souvent une cavité dont la profondeur et la hauteur peuvent atteindre quelques mètres. Cette cavité est creusée par le sable et les galets roulés par le ressac. Son agrandissement provoque souvent l'éboulement des roches situées au-dessus, et donc le recul de la falaise.
Sur les côtes de submersion, lorsque la mer baigne d'anciens flancs de collines ou de montagnes partiellement recouverts par les eaux, les falaises ne sont pas précédées d'une plate-forme; on parle alors de fausses falaises. Ces dernières peuvent devenir de « vraies » falaises après l'attaque de leur base par la mer et le dégagement d'une plate-forme. Quand une falaise n'est plus attaquée par la mer, et si elle est peu à peu séparée du rivage par des sédiments ou à la suite d'une baisse locale du niveau de la mer, elle cesse d'être une forme littorale vivante pour devenir un simple versant continental, ou falaise morte (certaines peuvent être situées à plusieurs kilomètres du rivage). Selon la nature de la roche qui constitue les falaises, leur vitesse d'évolution et leur aspect seront très variables : sous les climats tempérés, une falaise constituée de roche cristalline (granite, par exemple) est pratiquement stable, alors qu'une falaise calcaire peut reculer très vite ; cette évolution peut être inversée sous les climats tropicaux.
La hauteur des falaises varie, de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres : le cap Ortegal, en Galice (Espagne), présente des à-pics de 400 m, et des dénivellations de près de 1 000 m ont été relevées dans le nord du littoral chilien.
Le principal agent d'érosion est l'action des eaux marines, qui exploitent des faiblesses de la roche telles que les diaclases ou les fractures ; à ce phénomène s'ajoute l'usure mécanique de la roche par les galets et les grains de sable en suspension dans l'eau. Les falaises calcaires subissent également une érosion chimique. L'érosion physico-chimique, l'attaque par le gel, l'action des animaux et des végétaux participent à la dégradation des falaises. La plupart des falaises connaissent une évolution cyclique : des débris provenant de la partie émergée s'amassent au pied de la falaise, la protégeant un temps, puis sont déblayés lors des tempêtes. L'attaque du pied de la falaise peut alors reprendre, jusqu'à provoquer un nouvel éboulement. Ainsi, peu à peu, la falaise recule, dégageant une plate-forme d'abrasion de plus en plus large. Ce recul se mesure généralement en mètres par siècle, et peut aller jusqu'à plus de 100 m
LES RÉCIFS CORALLIENS
Le cas le plus remarquable de littoral rocheux conditionné par le climat est celui des rivages coralliens, circonscrits aux régions tropicales et subtropicales, le corail ne pouvant construire de grands édifices que dans des eaux dont la température est comprise entre 25 et 30 °C. Les formes littorales coralliennes sont très variées, mais on peut retenir deux grands types :
– les récifs annulaires – dont les atolls sont les formes les plus répandues – consistent en une barrière corallienne externe, en forte pente vers le large et dont le sommet, émergé, est baigné par les embruns, qui se referme sur un platier construit par le corail et sur un lagon profond de quelques dizaines de mètres ; le platier et le lagon sont fréquemment séparés par des plages de sable ;
– les récifs-barrières tels la Grande Barrière au nord-est de l'Australie (longue de 1 500 km) ou les récifs cernant l'archipel des Fidji ou la Nouvelle-Calédonie.
LES AUTRES TYPES DE CÔTES ROCHEUSES
Si les falaises sont présentes sur les trois quarts des côtes rocheuses, bien des littoraux de même nature passent insensiblement du continent au fond marin sans rupture de pente très nette. Souvent, une plate-forme rocheuse en pente douce, nommée platier, précède le rivage. Certains domaines climatiques sont à l'origine de formes spécifiques de côtes rocheuses. Ainsi, les régions des hautes latitudes, récemment libérées des glaciers ou des calottes glaciaires qui les recouvraient au quaternaire, sont entaillées de fjords et bordés de strandflats (larges plates-formes horizontales). Sous les latitudes tempérées, la remontée des eaux a également submergé les vallées fluviales, formant des rias. Dans les littoraux formés de calcaire résistant, des calanques entaillent les falaises escarpées.
2.2. LES CÔTES MEUBLES
Les littoraux meubles sont constitués par l'accumulation de matériel non consolidé (galets, sables, vases). On distingue trois types essentiels de côtes meubles : les plages, les lagunes, les estuaires (ou les deltas) ; ils sont souvent associés, un grand estuaire comprenant, par exemple,
toujours des plages.
LES PLAGES
Les plages sont des accumulations en bord de mer de sable ou de galets (on parle alors de grèves), produites par l'effet des houles et des courants. Une plage comprend une partie basse constamment immergée, appelée « avant-plage », sur laquelle la houle se brise en ressac. Plus haut, dans la partie de l'estran découverte à marée basse, se situe le bas de plage, parsemé de rides, les ripple-marks. La partie émergée de la plage, au-dessus du trait de côte, s'appelle « cordon littoral ». Si la plage ne s'adosse pas à un soutien rocheux ou à une dune, elle est bordée sur sa face interne par une pente douce, le revers, descendant vers un marais ou une lagune. Lorsque le cordon littoral, rattaché au continent par une seule de ses extrémités, s'avance dans la mer parallèlement au rivage, on parle de « flèche littorale ». Certaines flèches perpendiculaires au rivage rattachent souvent une île au continent : ces tombolos sont séparés, quand ils sont doubles, voire triples, par un ou plusieurs petits marais salés.
De nombreuses plages, surtout quand elles ne sont pas situées en avant d'une falaise, sont surmontées de dunes, dont la hauteur peut atteindre plus de 100 m (la dune du Pilat, près d'Arcachon, atteint 103 m). Les dunes de grande taille peuvent comprendre plusieurs massifs parallèles. Immédiatement en arrière de la limite des plus hautes mers, une crête de quelques décimètres de hauteur constitue l'avant-dune, séparée de la première ligne de dune, ou dune bordière, par une petite dépression allongée. Derrière celle-ci s'édifient des dunes plus complexes, plus hautes, en forme de croissant.
LES LAGUNES
Lorsqu'un cordon littoral (ou plusieurs cordons s'appuyant sur des îles) parvient à fermer l'ouverture sur la mer d'une baie ou d'un estuaire, il se forme une lagune, vaste étendue d'eau calme, peu profonde, généralement faite de plans d'eau allongés parallèlement au rivage. Le cordon littoral s'appelle alors un lido, du nom de celui qui limite la lagune de Venise. Les passages ouverts au sein du lido permettent l'accès à la mer. Les lagunes s'étendent parfois sur des dizaines de kilomètres (Languedoc, Frise), voire des centaines (comme dans le golfe du Mexique, le golfe de Guinée ou encore en Sibérie). Elles peuvent être plus ou moins ouvertes sur le large.
LES MARAIS MARITIMES
Lagunes, estuaires et deltas comprennent généralement, sur d'importantes parties de leur étendue, des zones basses, plates et marécageuses appelées marais maritimes. Ceux-ci se forment grâce au dépôt des sédiments fins et à l'action des courants de marée dans les domaines de faible profondeur protégés de la houle. Ils sont le plus souvent localisés sur les bords des estuaires, en arrière des flèches littorales – couvrant alors de vastes étendues comme dans la mer des Waddens en Frise néerlandaise, ou sur la côte de Géorgie aux États-Unis –, dans les fonds de baies échancrées (anse de l'Aiguillon en Vendée) ou dans des baies ouvertes mais dont la largeur permet un amortissement des houles (baie du Mont-Saint-Michel, golfe de Gabès).
Trois zones distinctes, correspondant à des durées d'immersion différentes sur l'année, y apparaissent :
– La partie inférieure, appelée slikke, est inondée à chaque marée haute, mais découverte à marée basse. Constituée de vases et de sables fins, en pente très faible (moins de 0,3 %), elle est sillonnée de chenaux souvent instables ;
– La haute slikke n'est recouverte que par les marées les plus importantes, et présente une pente plus forte (1 à 2 %) ; lieu de la sédimentation maximale, comportant peu de chenaux, elle est partiellement recouverte par une végétation pionnière amphibie. La haute slikke est parfois absente lorsque les conditions locales permettent à de petites vagues de l'attaquer, par exemple le long d'un chenal ; elle est alors remplacée par une microfalaise (quelques dizaines de centimètres) ;
– Enfin, couvrant entre le tiers et la moitié du marais, le schorre n'est recouvert que par les marées les plus fortes (dont le nombre varie de deux ou trois à quelques dizaines par an). Pratiquement horizontal, il est couvert d'une dense végétation qui constitue un piège très efficace pour les sédiments apportés par les marées, lesquelles contribuent à son exhaussement progressif. Le schorre est sillonné de chenaux étroits, d'une profondeur parfois supérieure à 1 m, certains formés par la marée montante ou descendante, d'autres nés du ruissellement des eaux de pluie. Entre les chenaux, des zones planes, dépourvues de végétation, sont parsemées de mares et de dépressions peu profondes dans lesquelles cristallise le sel laissé par l'eau de mer. La partie interne du schorre, le pré-salé, n'est recouverte par l'eau qu'une ou deux fois l'an, ou lors de tempêtes.
3. UN MOUVEMENT PERPÉTUEL
Les littoraux peuvent présenter des évolutions importantes, voire de véritables bouleversements, perceptibles à l'échelle humaine. En effet, leur physionomie résulte d'un équilibre délicat entre des paramètres pouvant évoluer très rapidement : alimentation en eau des fleuves, volume des sédiments charriés par les eaux, état de la végétation, action de l'homme. Mais il suffit qu'une des composantes soit modifiée pour que, l'état d'équilibre étant rompu, le littoral évolue rapidement.
3.1. LES EMBOUCHURES DES FLEUVES
De nombreux paramètres vont influer sur la façon dont les alluvions transportées par les fleuves vont se déposer sur le rivage (la plus grande partie des terrains meubles – sables, vases – présents sur les littoraux est apportée par les cours d'eau, et non par la mer). La rencontre d'un cours d'eau avec les eaux marines aboutit à la formation de deux types très différents d'embouchures : les estuaires et les deltas.
LES ESTUAIRES
Embouchures en forme d'entonnoir évasé vers l'aval, les estuaires sont largement pénétrés par les marées, et se rencontrent surtout sur les côtes basses. Ils sont le lieu d'un va-et-vient constant entre eaux continentales et eaux marines, selon les cycles des marées.
Leur formation résulte de l'ennoiement des basses vallées des fleuves à la fin de l'ère glaciaire, lors de la remontée du niveau marin : les estuaires sont apparus dans les basses vallées fluviales où le dépôt de matériel alluvial ne suffisait pas à compenser la remontée rapide des eaux, de l'ordre de 100 m en 10 000 ans. Ils se sont maintenus quand trois conditions essentielles ont été réunies : des marées suffisantes pour emporter une grande partie des alluvions, une forme en entonnoir qui permet une plus grande vitesse des courants dans le fond de l'estuaire, et des cours d'eau apportant des alluvions fines.
Le fonctionnement d'un estuaire, très complexe, résulte avant tout de l'équilibre entre les courants de marée (qui remontent parfois très loin en amont et forment une vague, le mascaret, haute de plusieurs dizaines de centimètres) et le flux des eaux continentales. La physionomie interne d'un estuaire n'est pas uniforme : on y rencontre principalement des marais salés dans les zones peu perturbées, donc sur les marges de l'embouchure ou en son fond ; au milieu, le brassage perpétuel des eaux et des courants entretient la formation de bancs de sable dont la localisation et la taille changent au cours de l'année.
LES DELTAS
Au contraire des estuaires, les deltas se forment lorsque le dépôt d'alluvions par les fleuves permet l'avancée de la terre ferme sur la mer. Formes littorales à évolution rapide (le delta de l'Irrawaddy, en Birmanie, gagne 10 km2 par an), ils reculent lorsque des barrages construits sur des grands fleuves retiennent en amont les sédiments : le delta du Rhône perd ainsi plusieurs mètres par an, et il a fallu modifier les équipements de protection construits en amont contre les inondations pour entraver le recul rapide du delta du Mississippi (aux États-Unis) ; le delta du Nil, quant à lui, connaît une hausse rapide de la salinité depuis la construction du barrage d'Assouan.
La superficie des deltas varie de quelques km2 à des étendues gigantesques : celui du Mississippi couvre 30 000 km2, et le delta formé par le Gange et le Brahmapoutre (en Inde) s'étend sur 90 000 km2 (soit près du sixième de la superficie de la France).
La formation d'un delta nécessite la convergence, pendant un temps assez long, de nombreux paramètres : la charge alluviale du fleuve doit être importante (les deltas sont plus fréquents aux latitudes basses et hautes, où l'érosion du continent est active) ; des deltas, comme celui du Danube, en mer Noire, peuvent aussi se former quand les marées ou les houles sont faibles. Lorsque ces conditions sont réunies, les sédiments du fleuve se déposent en avant de l'embouchure, puis sont recouverts. Des chenaux sous-marins se développent, séparés par des levées qui peu à peu émergent ; cette construction sous-marine provoque la formation d'une barre sableuse à son avant, laquelle freine alors l'entraînement des matériaux. Les chenaux se comblent et sont remplacés par d'autres, bientôt recouverts, et le delta émerge ainsi progressivement.
Un delta est composé d'une partie émergée, la plaine deltaïque, et d'une partie immergée, proprement littorale, lieu de l'avancée, la marge deltaïque. La plaine deltaïque est un univers complexe mêlant les bras principaux des fleuves, lesquels peuvent former des deltas séparés qui ensuite fusionnent (le delta du Mississippi résulte de la coalescence de six deltas anciens et de deux deltas actuels), des levées de terre construites par les chenaux, des étendues marécageuses plates, parfois partiellement asséchées.
De longues plages bordent les deltas, parfois surmontées de dunes, ainsi que de nombreuses flèches littorales, parfois parallèles au front du delta ou aux bras du fleuve. Sous la mer, en avant de la marge deltaïque, le front deltaïque s'achève par un talus en pente variable, de 1 à 10°, qui conduit au plateau continental.
3.2. LES FACTEURS D'ÉVOLUTION
D'autres facteurs, imperceptibles à l'échelle humaine mais mesurables aux traces laissées, entrent dans l'évolution du littoral. Quatre paramètres essentiels conditionnent l'état d'équilibre ou de déséquilibre, le tracé et la physionomie des littoraux : l'isostasie, le climat, la mer et les formes de vie.
L'ISOSTASIE
Les plus lents des mouvements, imperceptibles par l'homme, sont les phénomènes de compensation isostatique, mouvements verticaux de l'écorce terrestre. Les plus fréquents résultent de la fonte des glaciers quaternaires (phénomène de glacio-isostasie) : sous le poids de milliers de mètres de glace, l'écorce terrestre s'était enfoncée dans le manteau plastique sous-jacent. Après la disparition des glaces, un lent mouvement de relèvement a commencé, mais il est décalé par rapport à la remontée des eaux due à la fonte des glaciers. Les régions concernées ont d'abord été submergées sous 50 à 100 m d'eau, pour peu à peu émerger. Libéré des glaces voilà environ 10 000 ans, puis recouvert par une série de mers de moins en moins étendues et profondes qui ont laissé des traces littorales fossiles situées aujourd'hui à l'intérieur des terres, le golfe de Finlande présente l'exemple le plus spectaculaire de ce phénomène ; la vitesse du relèvement isostatique a été estimée à quelques millimètres par an en Finlande, et à 1 cm par an dans le golfe de Botnie.
Il existe d’autres mouvements isostatiques. Les plus grands deltas (celui du Niger, en Afrique, notamment) représentent une telle masse de sédiments que le substrat s'enfonce : cette subsidence peut atteindre plusieurs centimètres par siècle. Des mouvements locaux de l'écorce terrestre (à l'origine de failles) et des tremblements de terre peuvent aussi intervenir. Dans les régions de grande activité tectonique (Alaska, Japon), on observe ainsi des traces littorales (plages fossiles, galets marins) relativement récentes (quelques milliers, voire quelques centaines d'années) portées parfois à des dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer.
LE CLIMAT
Le climat joue également un rôle décisif, et a des conséquences au niveau régional sur des durées de l'ordre du millier d'années, plus rarement sur des centaines d'années. Au niveau local, le climat est également un paramètre très important, et des événements météorologiques de courte ou moyenne durée jouent un grand rôle, notamment dans la modification du paysage.
LA MER
Les oscillations du niveau marin en fonction du volume des calottes glaciaires sont la manifestation la plus évidente de l'influence du climat ; ces oscillations s'appellent des transgressions lorsqu'elles sont positives par rapport au niveau actuel, et des régressions quand elles sont négatives.
Au cours de l'ère quaternaire, le niveau marin a ainsi varié lors de chaque cycle glaciaire. Depuis, des modifications moins importantes du climat ont pu provoquer des mouvements de quelques mètres d'amplitude. Ces mouvements ont laissé des traces sur les rivages actuels, qu'il s'agisse de dépôts (plages, grèves, masses de galets à flanc de falaise) ou de formes d'érosion (encoches de falaise, plates-formes d'abrasion aujourd'hui suspendues). Aujourd’hui, il semble que le niveau de la mer, après une très lente baisse (de 1 à 2 m en 5 000 ans), marque une tendance à remonter relativement vite, de l'ordre de 1,2 à 1,5 mm/an, soit plus de 10 cm par siècle. Cette évolution est due probablement à un réchauffement du climat. Si ce phénomène persiste, il pourrait, selon certains climatologues, s'accélérer et aboutir à un relèvement de 0,50 à 1 m vers l'année 2050.
L’onde de tempête, générateur d'inondations et de houles très destructrices, se traduit par une hausse brutale et brève (il dure quelques heures) du niveau de la mer, hausse nettement supérieure aux plus hautes marées (parfois 2 à 3 m), à la suite de la convergence d'une forte marée, de basses pressions et de vents de tempête tournés vers le littoral. Le Bangladesh, pays au climat propice aux cyclones et situé au fond d'un golfe aux fortes marées, est périodiquement victime d'ondes de tempête qui l'inondent en quasi-totalité. Aux latitudes tempérées, le phénomène est plus rare, mais tout aussi dévastateur : l'acqua alta qui a submergé Venise sous plus de 1 m d'eau en novembre 1966 et la grande inondation qui a détruit une partie des digues protégeant les Pays-Bas en 1953 étaient des ondes de tempête.
La houle joue un double rôle, de manière directe. Elle érode, en attaquant le littoral et en emportant les produits de cette érosion vers le bas estran. De sa vigueur, déterminée par l'exposition de la côte au large, le climat régional et la saison (les tempêtes sont le plus violentes au printemps et en automne sous nos latitudes), dépend l'ampleur de l'attaque. La houle peut, à l'inverse, contribuer à remonter les sédiments vers le haut de l'estran. Les tempêtes, lorsqu'elles sont très violentes, comme celle de 1987 en Bretagne, sont elles aussi de puissants agents de façonnement littoral. Le ressac, lors du déferlement de vagues de 5 à 10 m de creux, peut déplacer des blocs énormes : en Écosse, un fragment de digue de 120 t a ainsi été entraîné à des dizaines de mètres en arrière du rivage. Sur les falaises, le choc des vagues de tempête provoque la désagrégation de blocs fissurés, et leur éboulement. La houle contribue indirectement à l'édification des formes littorales, car, agent principal du transport des débris, elle provoque la formation de courants parallèles au rivage, les courants de dérive. En effet, les ondes de houle sont rarement parallèles aux rivages qu'elles atteignent, ne serait-ce que parce que l'orientation de ceux-ci est changeante. Lorsque la houle butte sur le bas estran et déferle, l'eau déviée latéralement engendre un courant le long du rivage. Cette dérive littorale, dont la localisation oscille en fonction des marées, prend en charge les matériaux emportés par le ressac et les transporte parfois sur des dizaines de kilomètres, les déposant à la faveur d'un obstacle (un cap, par exemple), ou au contraire d'un rentrant de la côte (une baie) qui affaiblit la vigueur du ressac. Les flèches littorales sont ainsi construites par des dérives suffisamment régulières dans leur tracé et leur débit.
LES FORMES DE VIE
Le dernier paramètre qui contribue à l'équilibre des formes littorales est l'ensemble des formes de vie, végétales et animales. S'il est déterminant dans certains cas – les marais maritimes, les mangroves et les dunes littorales doivent en partie leur existence aux végétaux qui les couvrent, qui piègent et retiennent les sédiments fins les constituant, et le plus bel exemple est celui des côtes coralliennes, entièrement construites par des animaux –, il est souvent peu apparent.
3.3. LA RÉGULARISATION DES CÔTES
Tout littoral est donc en évolution plus ou moins rapide à l'échelle du millénaire, ou sur des durées plus réduites. Deux grands types de changements peuvent être distingués : les uns irréversibles et concernant de vastes portions de rivages ; les autres plus localisés, intervenant à l'échelle de l'année, et le plus souvent cycliques.
PROCESSUS DE LONGUE DURÉE
L'action de la mer sur le rivage tend inexorablement, sur de longues durées et de grandes étendues, à estomper les irrégularités du tracé côtier nées de la submersion d'une topographie continentale : ce phénomène est appelé égalisation ou régularisation du trait de côte. Un littoral rectiligne, sans caps ni baies, dont la rectitude ne résulte pas de la submersion d'une topographie elle-même uniforme, est ainsi qualifié de côte régularisée. La raison majeure de cette évolution réside dans l'influence du tracé du littoral sur les houles. Les parties saillantes du rivage (caps, promontoires, îles proches de la côte) provoquent une concentration des houles, appelée diffraction, qui augmente l'efficacité érosive de ces dernières. À l'inverse, les rentrants de la côte, les parties évasées, voient les trains de houle se déformer en éventail plus ou moins ouvert (réfraction des houles) et leur énergie s'exercer sur de plus grandes distances. Ils s'affaiblissent relativement, et la tendance sera donc plus au dépôt de matériel qu'à l'érosion. Ainsi, peu à peu, le trait de côte devient moins sinueux.
PROCESSUS DE DURÉE RÉDUITE
Sur des durées et des étendues beaucoup plus réduites, les littoraux connaissent également des évolutions. Il s'agit le plus souvent de processus cycliques qui obéissent à la succession des saisons. Ainsi une plage bordée de dunes voit-elle son profil transversal, du bas estran jusqu'à la dune bordière, changer notablement de l'hiver à l'été. En hiver, la houle est souvent violente, du fait de tempêtes provoquées par des dépressions atmosphériques plus fréquentes. L'érosion de la plage est donc importante, et le ressac emporte le sable vers le bas de plage. On assiste alors à un transfert de sable du haut de la plage, qui perd parfois 1 ou 2 m d'épaisseur, vers le bas. En été, le phénomène est inverse : les houles, plus faibles, déposent plus qu'elles n'érodent, engraissant le haut de plage avec le matériel arraché au bas estran lors de la montée de la marée ; à marée basse, la chaleur assèche rapidement le sable du bas de plage, que le vent remonte sur le haut de plage, lequel reprend l'épaisseur perdue en hiver.
4. LA VIE SUR LES LITTORAUX
Les écosystèmes littoraux sont parmi les plus riches et les plus complexes de la planète.
Le caractère essentiel de la vie littorale est d'être étagée, chaque niveau d'altitude présentant des espèces très différenciées. Cet étagement, ou zonation, est conditionné par un paramètre essentiel, la durée d'immersion sous les eaux marines, qui détermine aussi bien le degré de salinité que la capacité à la respiration aérienne ou aquatique des végétaux et des animaux. La zonation et la typologie des espèces dépendent donc des marées : les mers sans marées présentent des écosystèmes littoraux généralement moins riches, puisque la variation des conditions physiques y est moindre.
4.1. SUR LES CÔTES ROCHEUSES
Les côtes rocheuses offrent des associations relativement simples, où s'opposent nettement les espèces amphibies et les espèces purement aquatiques.
Sous la limite des plus basses eaux, dans la partie basse de la plate-forme d'abrasion, les algues brunes dominent, notamment les laminaires en forme de rubans de plusieurs mètres de long. Les animaux sont adaptés au ressac, vivant soit fixés à la roche (coquillages, échinodermes, coraux), soit dans des anfractuosités (murènes, homards). Un peu plus haut, d'autres algues brunes, solidement fixées à la roche grâce à des sortes de crampons, supportent d'être découvertes quelques heures par jour ; ainsi les fucus, algues présentes sur les falaises, dont les ramifications flottent dans le ressac grâce à de petites vésicules remplies d'air. La faune, notamment les bivalves (les moules, par exemple) est aussi fixée.
Dans la partie supérieure de la zone intertidale, atteinte par les eaux quelques heures par jour, voire quelques heures par semaine, vivent des algues rouges et les algues vertes. Des crustacés (crevettes, crabes) et des gastéropodes (bigorneaux) vivent dans des flaques du platier pendant les basses eaux. Enfin, au-dessus des plus hautes eaux, la végétation aérienne, lichens ou chou sauvage, a besoin d'un peu de sel apporté par les embruns. La faune est représentée avant tout par les oiseaux (cormorans, goélands, pingouins, macareux, fous) qui nichent sur le front des falaises, se nourrissant d'animaux aquatiques et d'insectes des falaises. Les mammifères sont peu nombreux, hormis quelques rongeurs et surtout des pinnipèdes (otaries, phoques, morses).
4.2. SUR LES CÔTES SABLEUSES
Sur les côtes sableuses, la végétation est très peu présente sur l'estran, les algues vertes (zostères) exceptées. Les espèces animales sont plus variées, notamment les bivalves (coques, palourdes), les échinodermes (étoiles de mer), les poissons plats ou les vers arénicoles.
Sur le haut de plage, en revanche, la vie est surtout végétale, selon des associations très délicates qui conditionnent la construction et le maintien des dunes. Au sommet de l'estran, exposées au jet de rive, des plantes annuelles halophiles (qui aiment le sel), comme le cakile, provoquent la formation de petits tas de sable. Plus haut, hors d'atteinte des vagues, des espèces aimant le sable, comme l'oyat et l'agropyrum, fixent la dune bordière à la belle saison, car elles ont besoin d'être partiellement enterrées pour pousser. Vers l'intérieur du cordon dunaire, au fur et à mesure que le vent faiblit (car il a une action desséchante), la végétation est plus riche et dense. Apparaît alors une pelouse rase, sèche et ouverte immédiatement en arrière de la dune bordière, puis une pelouse haute mésophyte (nécessitant une certaine humidité), suivie de buissons souvent épineux et, enfin, d'arbustes. Les espèces animales, peu variées et bien adaptées à la vie dans le sable, sont représentées par des fouisseurs tels que gastéropodes, insectes, rongeurs, et par quelques oiseaux.
4.3. SUR LES CÔTES MARÉCAGEUSES
Les côtes maréc0ageuses (estuaires et lagunes) sont les milieux littoraux les plus riches en espèces végétales ; c'est là que la diversification climatique est la plus nette, avec les marais tempérés, à la végétation basse, et les marais tropicaux porteurs d'une formation végétale haute, la mangrove. Celle-ci est une végétation forestière constituée d'arbres de grande taille, les palétuviers, qui supportent la salinité de l'eau. Ces arbres disposent de racines aériennes qui leur évitent l'asphyxie. Deux espèces de palétuviers dominent : les palétuviers rouges (genre Rhizophora), aux racines en arceaux qui soutiennent le tronc comme des arc-boutants, et les palétuviers blancs (genre Avicennia), dont les racines développent des protubérances hors de la vase, les pneumatophores. Parfois, un climat plus sec provoque la formation d'un marais entre la mangrove et la forêt.
Dans les marais tempérés, la vase qui se dépose aux niveaux inférieur et moyen de la zone de balancement des marées (la slikke) ne porte que peu de végétation (zostères), mais est très riche en micro-organismes (diatomées) et en invertébrés primitifs (arénicoles). Sur la haute slikke pousse un tapis de plantes halophiles, les salicornes et les spartines, dont la densité croît avec l'altitude. En fonction du nombre d'immersions par jour, le schorre montre un étagement plus fin. En allant vers l'intérieur du schorre, on rencontre de denses peuplements de salicornes et de spartines, auxquelles se mêlent d'autres plantes: des asters, puis de vastes tapis d'obiones, aux feuilles épaisses. Dans la partie la plus élevée du schorre, moins salée et moins humide, l'obione est entremêlée de végétaux tels que le plantain, le triglochin, le jonc ou l'agropyrum.
La faune est très riche : dans la slikke et la haute slikke abondent les coquillages (coques, huîtres), les crabes, les crevettes ; ils constituent la source de nourriture de très denses colonies d'oiseaux, notamment d'innombrables variétés d'échassiers arpentant la vase, ou de palmipèdes dont les nids sont situés dans la végétation épaisse du schorre.
5. L'HOMME ET LES LITTORAUX
Depuis la plus haute Antiquité, les hommes ont appris à naviguer et à découvrir de nouvelles terres. Ils ont fondé des ports et de grandes cités maritimes. De Tyr à Carthage, d'Athènes à Venise et à Gênes, de Byzance à Naples, la Méditerranée est devenue le centre d'un commerce actif favorable à l'épanouissement de grandes civilisations. L'homme dépend également de la mer pour son alimentation. Les algues, notamment, sont utilisées comme composants des aliments. La pêche et l'exploitation des ressources du rivage, activités millénaires, constituent toujours une source de richesse pour les économies littorales.
5.1. LA CONQUÊTE DES LITTORAUX
Les domaines littoraux cependant, longtemps perçus comme hostiles, sont restés longtemps déserts. Cette situation s’est modifiée au Moyen Âge, lorsque les Hollandais ont inventé et perfectionné les techniques d'endiguement, de drainage et de dessalage des marais littoraux. Peu à peu, les Pays-Bas, mais aussi le littoral atlantique français, se sont couverts de polders (terrains gagnés sur la mer). L'essor du commerce maritime qui a suivi les grandes découvertes a fait des ports atlantiques d'Europe les poumons économiques de l'Occident. Au cours de la période moderne, du xve au xviiie s., les émigrants européens ont fondé des comptoirs coloniaux, dont beaucoup sont devenus les capitales et les plus grandes villes des États issus des décolonisations.
Aujourd’hui, la civilisation humaine est devenue une civilisation littorale : en effet, deux tiers à trois quarts de l'humanité vivent dans des régions côtières. Les deux plus grands ensembles urbains du monde (les mégalopoles américaines et japonaises), groupant chacun plus de 40 millions d'habitants, sont côtiers. Shanghai, Hongkong, Buenos Aires, Los Angeles, Lagos, Abidjan, Istanbul, toutes villes de plus de 3 millions d'habitants nées d'un port, sont situées à proximité du rivage.
5.2. UNE IMPLANTATION DE CHOIX POUR L'INDUSTRIE
Depuis 1950, les espaces côtiers sont devenus le lieu privilégié de l'essor industriel. La très forte croissance des transports de matières premières, le faible coût des transports par mer et l'existence de vastes terrains bon marché en bord de mer (des marais transformés en polders) ont créé les conditions d'un déplacement d'une grande partie de l'industrie lourde des sites continentaux vers les rivages. Ce processus, parfois appelé « descente de l'industrie sur l'eau », est illustré notamment par la création de vastes ensembles regroupant sur des milliers d'hectares activités portuaires et industrielles, et baptisés « zones industrialo-portuaires » (ZIP). En France, la quasi-totalité de la sidérurgie est ainsi concentrée sur quelques sites portuaires (Dunkerque, Fos-sur-Mer, Caen), de même que la pétrochimie (Fos et le pourtour de l'étang de Berre, Le Havre et la baie de Seine). Au Japon, toutes les usines créées à la fin du xxe s. l'ont été sur des polders gagnés sur la mer par remblai (baie de Tokyo). Dans les pays du tiers-monde, la plupart des industries sont au bord de la mer.
5.3. LE TOURISME LITTORAL
Le tourisme balnéaire est en expansion constante et importante depuis les années 1960 environ. Environ 45 % des touristes dans le monde séjournent sur le littoral méditerranéen ; la Côte d'Azur (en France), la Costa Brava et la Costa del Sol (en Espagne) concentrent à elles trois, avec chacune 10 à 15 millions de personnes par an, le quart du tourisme mondial. Les autres grands sites touristiques, à l'exception de quelques capitales historiques (Paris, Rome, Londres), sont presque tous littoraux : Venise, la Floride, la Californie. En France, la Côte d'Azur, le Languedoc, les Landes et la Bretagne attirent l'essentiel des touristes.
Le tourisme balnéaire est apparu en Europe à l'extrême fin du xviiie s. Au début très marginal et réservé à une petite élite, le séjour à la mer est devenu prestigieux dans le dernier tiers du xixe s. De grandes stations, comme Biarritz et Deauville, ou encore Brighton (au Royaume-Uni), sont apparues ; de riches Britanniques puis des Français et des Américains ont découvert l'agrément de l'hiver sur la Côte d'Azur. Enfin, la création et la généralisation des congés payés a entraîné le développement foudroyant de stations balnéaires proches des grandes villes. La fréquentation est devenue si forte que, au cours des années 1960 et 1970, de véritables villes se sont formées telles des « murailles de béton » sur les côtes les plus prisées (la Costa del Sol, par exemple). Pour éviter la saturation des régions attirant le plus de monde, certains pays ont décidé de créer de toutes pièces de grands ensembles touristiques dans des zones peu exploitées jusqu'alors : ainsi, en France, sur la côte du Languedoc-Roussillon, a été construite une demi-douzaine de grandes stations.
5.4. LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES
Mais l'explosion commerciale, industrielle, touristique, et donc démographique, que connaissent les rivages du globe depuis moins d'un siècle a ses revers en termes environnementaux : la destruction partielle ou totale de la vie littorale par la pollution industrielle, par le rejet des eaux usées rarement retraitées, par la construction de polders.
On estime entre 350 000 et 400 000 t/an la quantité de pétrole rejetée sur les côtes lors des naufrages de pétroliers et des accidents de plates-formes de forage offshore. Le déversement de pétrole lors de la guerre du Golfe (février 1991) constitue la plus grande marée noire de l'histoire (entre 700 000 et 900 000 tonnes d'hydrocarbures se déversent dans la mer). Les conséquences des marées noires sur des milieux aussi fragiles sont nombreuses. Dans les deux à trois mois qui suivent, les oiseaux de mer meurent étouffés ou empoisonnés par le pétrole. Les coquillages et les poissons plats ou de roche meurent ou deviennent impropres à la consommation. En revanche, il n'est pas exclu que différents crustacés (crevettes), algues et micro-organismes prolifèrent grâce aux nappes polluantes. Toutefois, la pollution disparaît parfois rapidement : les eaux du nord du Finistère étaient ainsi pratiquement exemptes de pollution plusieurs années après la marée noire de l'Amoco Cadiz (mars 1978), pourtant la plus grave de toutes par échouement de pétrolier (227 000 t de pétrole répandues sur 360 km de côtes).
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Consulter aussi dans le dictionnaire : inégalité
Cet article fait partie du dossier consacré aux droits de l'homme.
Inégalités de ressources des individus.
LES INÉGALITÉS DANS LE MONDE
L'égalité entre les hommes est proclamée tant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Or, les écarts de richesse et de développement entre les différents pays du monde sont considérables : près de 80 % des richesses de la planète sont entre les mains de la trentaine de pays les plus riches (soit 20 % de la population mondiale). La majorité des pauvres dans le monde vivent en Asie méridionale (39 %), en Asie orientale (33 % ; essentiellement en Chine et dans le Sud-Est asiatique) et en Afrique subsaharienne (17 %).
Ces inégalités de revenus rejaillissent l’alimentation et sur la santé, donc sur l'espérance de vie. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, celle-ci est certes passée de 40 ans en 1950 à 65 ans en 2000. Mais, dans les pays industrialisés, elle augmente d’environ un an tous les cinq ans, et atteint de nos jours 80 ans. Par manque de moyens, y compris d'information, la lutte contre certaines maladies n'est pas généralisée : ainsi, le taux moyen de vaccination contre la rougeole à l'échelle mondiale n'est que de 80 % (et d'environ 60 % en Afrique subsaharienne) ; de même, l'épidémie de sida est difficile à enrayer en Afrique noire. Les inégalités de développement ont également des conséquences sur l'éducation (faible taux de scolarisation, analphabétisme) et, plus généralement, sur le droit au bonheur des populations.
L'indice de développement humain (ou IDH) permet d'apprécier, sur le plan humain, l'amélioration des conditions de vie d'un pays. Il prend en compte trois éléments qui représentent pour chaque société des objectifs à atteindre : l'espérance de vie, l'accès à l'éducation et à la culture, le niveau de vie. En règle générale, plus le pays est riche, plus l'IDH est élevé.
L'OPPOSITION NORD-SUD
Le « Nord » rassemble les pays développés à économies industrielle et tertiaire qui dominent l'économie mondiale. Les pays de la « Triade » (États-Unis, Union européenne, Japon) sont les plus riches. Dans ces pays, le niveau de vie est élevé, l'espérance de vie approche en moyenne 80 ans, la croissance démographique est faible et la population a tendance à vieillir. Néanmoins, ces pays connaissent des crises économiques (avec un chômage important) et des inégalités sociales persistantes.
Mais la situation est encore plus contrastée dans les pays du « Sud ». Ces pays en développement, caractérisés par une économie à dominante agricole, sont généralement confrontés à des problèmes démographiques (population jeune qu'il est difficile de nourrir, loger et scolariser). Les P.M.A. (ou pays moins avancés), situés majoritairement en Afrique, connaissent de très grandes difficultés (famines, épidémies, analphabétisme). Certains pays en développement ont amorcé leur décollage économique dans les années 1980 et sont devenus les « nouveaux pays industriels (ou industrialisés) » : il s’agit d’abord les « quatre dragons » d'Asie (la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hongkong), suivis des « tigres » de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, les Philippines et la Malaisie). À l'expression « nouveaux pays industriels » s’est substituée celle de « pays émergents » : la Chine, l'Inde et l'Indonésie, de même que des pays latino-américains comme le Brésil et l'Argentine relèvent aujourd'hui de cette catégorie. On distingue également les pays exportateurs de pétrole, qui ont souvent une croissance élevée mais dont l'IDH est faible.
FACTEURS ET PERSPECTIVES
Plusieurs explications peuvent être mises en avant pour tenter d'expliquer ces écarts de développement. À des facteurs internes (conditions climatiques, médiocrité des techniques agricoles, conséquences de la domination coloniale, explosion démographique, etc.) s'ajoutent des facteurs externes (inégalité des échanges internationaux, dépendances financière et technique à l'égard des pays industrialisés). Cependant, aucun facteur n'est à lui seul cause de pauvreté et les inégalités de développement découlent de leur accumulation.
Pour remédier à cette situation, les gouvernements des pays riches, l'O.N.U. et ses organismes spécialisés (F.A.O., O.M.S., UNICEF), ainsi que les organisations non-gouvernementales (O.N.G.) mettent en place des projets d'aide et de développement : envoi de nourriture, aide technique… Cependant, cette aide s'avère parfois inadaptée et reste encore insuffisante. En outre, les politiques menées par les institutions monétaires internationales – le Fonds monétaire international, qui accorde des prêts aux pays en développement, et la Banque mondiale, qui leur apporte une assistance technique et financière – sont souvent critiquées en raison de leur inadéquation. Afin de soulager de nombreux pays en développement, grevés par le fardeau de leur dette, des plans sont mis en place afin d’échelonner, voire annuler la dette des pays pauvres les plus endettés.
LES INÉGALITÉS EN FRANCE
En France, 10 % des foyers détiennent près de la moitié de la richesse nationale et les 10 % des habitants les plus riches perçoivent 30 % des revenus avant impôt. Si l'espérance de vie, au cours du xxe s., y est passée de 45 ans à 79 ans en moyenne, hommes et femmes confondus, celle des ouvriers de 35 ans est inférieure de 7 ans à celle des cadres du même âge. Les enfants issus des milieux modestes représentent encore moins de 10 % des élèves des quatre plus grandes écoles (Polytechnique, ENS, ENA, École des hautes études commerciales).
Dans les faits, la mobilité sociale ne garantit pas la promotion sociale. Les inégalités nourrissent le sentiment d'insécurité, à la fois chez l'individu en situation de précarité et dans l'ensemble de la collectivité face à la montée de la criminalité. Aussi l'État est-il sollicité pour mettre en œuvre la solidarité et éviter la rupture du contrat social.
LES INÉGALITÉS ÉCONOMIQUES
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune », affirme l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Le principe d'une égalité juridique n'a pas supprimé pour autant les disparités matérielles et culturelles. Le constat de ces dernières ainsi que la réflexion sur l'idée d'égalité ont conduit à diverses interprétations des causes des inégalités sociales, et à la conception de moyens visant à les réduire ou à les supprimer.
LES ACQUIS DE L’ÉTAT-PROVIDENCE
Dès ses prémices, la pensée politique moderne a désigné les inégalités économiques comme la manifestation majeure des inégalités sociales et le principal obstacle à l'institution de rapports sociaux égalitaires : s'il n'est pas la seule cause déterminante des inégalités, le montant du revenu monétaire, mesure du pouvoir d'achat, commande directement la qualité des conditions quotidiennes d'existence, notamment celles du logement, de la consommation et de la formation. Sur une longue période, l'objectif de rapprochement des « degrés extrêmes » (entre les classes les plus pauvres et les plus aisées) s'est tendanciellement réalisé par le resserrement de l'éventail des revenus, sous l'effet de trois processus : le développement de luttes ouvrières visant à l'augmentation du salaire ; la révolution industrielle continue, qui a débouché au xxe s. sur l'extension mondiale d'un système de production et de consommation de masse, le fordisme, entraînant une démocratisation de l'accès à certains biens et à certaines pratiques ; enfin, la formation, dans les sociétés développées, d'un État providence qui assure une forme de redistribution des richesses – par le biais de la fiscalité et la mise en place de la sécurité sociale (prestations familiales, assurance-maladie, retraites) et de l'assurance-chômage, à quoi s'ajoute l'instauration d'un salaire minimum garanti.
L'INÉGALITÉ DEVANT LE TRAVAIL
En dépit de ce progrès objectif, les inégalités économiques dans la France de la fin du xxe s. non seulement perdurent, mais, pour une partie croissante de la population, s'aggravent de façon alarmante, à l'encontre de l'exigence posée par Rousseau que « nul citoyen ne soit assez opulent pour en pouvoir acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre ». Une misère moderne est née, que désigne l'euphémisme de « grande pauvreté », conséquence d'un chômage de masse, frappant environ trois millions d'individus, et qui traduit une accentuation de l'inégalité devant l'emploi, la qualification, l'enseignement. Les économistes parlent de « marché dual du travail » ; les journalistes, de « société à deux vitesses ».
Si elle produit ainsi une nouvelle population d'exclus, l'inégalité devant le travail apparaît aux travailleurs eux-mêmes comme l'inégalité fondamentale, que les disparités de revenus ne font sans doute que refléter : le travail constitue la source principale des revenus, en dépit de l'importance croissante des revenus sociaux ; les formes de travail sont inégalement pénibles ou gratifiantes, et le travail le plus rebutant est souvent le plus faiblement rémunéré ; enfin, le travail distingue celui qui l'exerce (« paysan » peut être un terme péjoratif, mais non « docteur »). Pour ces raisons, l'inégalité devant le travail est le véritable fondement de la stratification sociale.
CUMUL ET REPRODUCTION DES INÉGALITÉS
DES INÉGALITÉS QUI S'ADDITIONNENT
Rousseau énonçait déjà, dans sa théorie des inégalités, que celles-ci tendent à se cumuler comme se cumulent les privilèges. Et il est vrai que, le plus souvent, ceux qui bénéficient le moins des avantages de la société de consommation vivent dans les habitations les moins confortables et sont également écartés le plus tôt du système éducatif ; ce sont eux qui basculent le plus facilement dans la délinquance et la criminalité, eux encore que police et justice privent de liberté avec le plus d'empressement. Ils sont enfin les premières victimes de l'inégalité devant la santé – l'on observe chez eux une moindre fréquence des actes médicaux et des consultations de spécialistes –, et devant la mort, comme le montrent les différentiels d’espérance de vie entre les catégories [profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS)] extrêmes : un homme de 35 ans a une espérance de vie moyenne de 39 années s'il est ouvrier, et de 46 s'il est professeur.
LA « TRANSMISSION DES INÉGALITÉS »
D'autre part, même si les inégalités ne se transmettent pas exactement comme une part de capital, la sociologie contemporaine a mis en lumière les mécanismes qui tracent, pour les individus des itinéraires analogues à ceux de leurs pères dans le champ de la vie professionnelle et culturelle. Ce phénomène de reproduction, qui paraît obéir à des règles purement économiques, se produit en réalité de façon déterminante dans le champ culturel, principalement le système éducatif. L’école moderne apparaît ainsi comme l'institution la plus appropriée à la lutte contre les inégalités sociales, tout en contribuant à les reproduire.
Les travaux de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron, les Héritiers (1964) et la Reproduction (1970), ont levé ce paradoxe en portant au jour les mécanismes par lesquels l'institution scolaire transforme en mérite ou en don le capital culturel dont héritent les enfants des classes favorisées, contribuant ainsi, par un fonctionnement apparemment démocratique, à reproduire le clivage entre les « héritiers » et les déshérités et, par là, à perpétuer les inégalités initiales de chances devant la culture. En évaluant de manière formellement égale les aptitudes d'enseignés socialement inégaux, l'école méconnaît, ou néglige volontairement, mais aussi consolide, les disparités de compétences acquises dans la famille : de la sorte, elle « confère aux privilégiés le privilège suprême de ne pas s'apparaître comme privilégiés », tandis qu'« elle parvient d'autant plus facilement à convaincre les déshérités qu'ils doivent leur destin scolaire et social à leur défaut de dons ou de mérites. »
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