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Ces plantes qui envahissent le monde

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Ces plantes qui envahissent le monde


Ces plantes qui envahissent le monde
06.12.2023, par Marie Privé

Hippopotame au milieu de jacinthes d’eau, au parc Kruger (Afrique du Sud). La jacinthe d'eau, originaire d'Amérique du Sud, fait partie des espèces végétales exotiques les plus envahissantes dans le monde.
Tonino De Marco / Biosphoto
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Moins médiatisées que les espèces animales invasives, les plantes exotiques envahissantes n’en sont pas moins féroces et se révèlent de redoutables concurrentes pour les plantes locales. Avec à la clé, des impacts négatifs sur les écosystèmes.
À Marseille, il n’y a pas que les touristes qui ont colonisé les Calanques. Une autre menace, plus insidieuse, vient elle aussi peser sur l’équilibre en péril de cet écosystème du pourtour méditerranéen. Des plantes exotiques originaires d’autres continents – griffe de sorcière,  figuier de Barbarie ou encore agave d’Amérique –, ont tellement proliféré sur le sol des Calanques qu’elles menacent des plantes plus petites, fragiles et endémiques telles que l’emblématique astragale de Marseille. De 2017 à 2022, ce sont 200 tonnes de ces plantes exotiques envahissantes qui ont ainsi dû être arrachées au cours de coûteuses opérations d’éradication, mobilisant de nombreux scientifiques, entreprises spécialisées, bénévoles… et même, un hélicoptère !
Une conséquence de la mondialisation
Moins médiatisées que les espèces animales exotiques envahissantes – frelon asiatique et moustique tigre en tête –, les espèces végétales exotiques envahissantes n’en constituent pas moins une vraie menace pour les écosystèmes planétaires. Sur les dix espèces exotiques envahissantes les plus répandues dans le monde, listées dans le rapport que la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le « Giec de la biodiversité », vient de consacrer aux espèces exotiques envahissantes1 (lire plus bas), sept sont d’ailleurs des plantes, comme le lantanier, le robinier faux-acacia ou la jacinthe d’eau.
 

Très prisée dans les jardins pour ses qualités de couvre-sol, la griffe de sorcière originaire d'Amérique du Sud a colonisé tout le littoral français, mais aussi les côtes de Galice, en Espagne (notre photo).

Mar / stock.adobe.com
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En France métropolitaine, la liste des plantes exotiques envahissantes ne cesse de s’allonger : l’hélianthe en forêt de Fontainebleau (Île-de-France), la jussie dans les zones humides, l’herbe de la pampa avec ses plumeaux blancs désormais si répandue dans l’Hexagone que les fleuristes l’ont adoptée dans leurs bouquets, la renouée du Japon, ou encore la fameuse griffe de sorcière très prisée des jardiniers pour ses qualités de couvre-sol et qu’on peut désormais observer des côtes méditerranéennes jusqu’à la pointe du Finistère. Des espèces dont les origines se situent respectivement en Amérique du Nord, en Amérique du Sud (pour la jussie et l’herbe de la pampa), en Asie orientale et en Afrique du Sud.
 
En Polynésie française, 70 % de la surface de l'île de Tahiti est envahie par Miconia calvescens. Aussi surnommé le « cancer vert », le miconia a été retrouvé en Martinique en 2017, puis en Guadeloupe en 2020.
Certaines plantes exotiques ont une telle capacité à proliférer et à envahir les milieux où elles sont introduites qu’elles sont même qualifiées de « super envahissantes ». Les territoires d’outre-mer sont particulièrement touchés par ces espèces très performantes : « en Polynésie française, 70 % de la surface de Tahiti est envahie par Miconia calvescens, un arbre originaire d'Amérique centrale et du Sud », témoigne Céline Bellard, chercheuse CNRS au laboratoire Écologie, systématique et évolution2. Surnommé le « cancer vert », le miconia a été retrouvé plus récemment en Martinique en 2017, puis en Guadeloupe en 2020, menaçant l’équilibre fragile de ces écosystèmes insulaires.
Comment ces végétaux ont-ils atterri si loin de leur milieu d’origine ? L’introduction de ces plantes exotiques est intimement liée aux déplacements intercontinentaux effectués par les colons européens à partir du XVe siècle. « C’est ni plus ni moins l'héritage de Christophe Colomb, souligne Jonathan Lenoir, écologue, chercheur CNRS au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés3. Les explorateurs ont ramené des espèces indigènes d’Amérique en Europe, et à l’inverse, ceux qui sont partis s’installer dans les colonies ont exporté là-bas les plantes qu’ils affectionnaient. »
La mondialisation, l’industrie, le commerce, l’agriculture et les nombreux déplacements internationaux ont fait le reste et expliquent le nombre croissant de plantes exotiques introduites à travers le monde au fil du temps, avec une nette accélération depuis les années 1970. « On a introduit ces végétaux en masse dans les jardins, les villes, sur les ronds-points, le long des routes, raconte Laurence Affre, écologue à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale4 (IMBE), parce qu’ils sont jolis, avec leurs couleurs et leurs formes inhabituelles. » C’est précisément ce qui est arrivé avec le miconia, introduit en 1937 à Tahiti comme plante ornementale dans un jardin botanique privé, ou avec la jussie, une plante aquatique ramenée en France entre 1820 et 1830 pour décorer des bassins d’agréments.


Griffe de sorcière et figuier de barbarie (gravures). Les premières plantes exotiques ont été ramenées des territoires d'Amérique par les explorateurs à partir du XVᵉ siècle.

akg-images / Florilegius (S. Watts, d’après S.A. Drake dans «The Botanical Register» by Edwards Sydenham, 1835 ; Hannah Zeller, «Wild Flowers of the Holy Land», 1876)
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Quand les plantes prennent la route
Le caractère « utile » de certaines plantes explique aussi leur introduction. « Lorsqu’il y avait encore une activité militaire sur l’île de Bagaud (aujourd’hui partie intégrante du Parc national de Port-Cros, dans le Var), au XIXe siècle, l’armée y a initialement introduit les griffes de sorcière – devenues envahissantes – car celles-ci produisent des rameaux rampants avec des racines qui s’enfoncent dans le sol, ce qui permet de le stabiliser et de diminuer l’érosion », poursuit Laurence Affre.
 
Une fois introduites dans un nouveau milieu, les plantes exotiques ne se contentent pas de « rester plantées là ». Elles disposent en effet d’un large arsenal de vecteurs de dispersion pour « s’échapper » et parcourir des distances parfois très longues.
Problème : une fois introduites dans un nouveau milieu, les plantes exotiques ne se contentent pas de « rester plantées là ». Contrairement à ce que suggère l’expression, les plantes se déplacent ! Elles disposent en effet d’un large arsenal de vecteurs de dispersion pour « s’échapper » et parcourir des distances parfois très longues. Les graines issues de leur reproduction peuvent ainsi être transportées par les humains, sous les semelles de leurs chaussures ou les pneus de leurs véhicules, mais aussi par les animaux via leur pelage ou leurs déjections, par le vent ou encore par l’eau.
En ce qui concerne les plantes exotiques envahissantes, leur mobilité est d’autant plus rapide que les milieux naturels ont subi des perturbations liées aux activités humaines mais aussi naturelles (feux de forêt, tempêtes), devenues plus fréquentes en raison du changement climatique. On dit même qu’elles empruntent les routes pour se propager plus vite ! « Lorsque l’on construit une route, on rase tout et on détruit l’habitat indigène, explique Jonathan Lenoir. C’est cette remise à zéro qui permet aux plantes exotiques envahissantes de s’exprimer et de progresser beaucoup plus facilement que dans un écosystème indemne et compétitif. » C’est particulièrement vrai en montagne où, à cause du changement climatique, les plantes – toutes espèces confondues – ont tendance à migrer en altitude pour retrouver des températures plus fraîches.


Garde nature portant des feuilles de "Miconia calvescens" dans la forêt humide de Nouvelle-Calédonie.

Nicolas-Alain Petit / Biosphoto
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Or, si 6 % « seulement » des plantes exotiques introduites hors de leur territoire d’origine deviennent envahissantes, d’après l’IPBES leur propagation a un impact bien réel sur la biodiversité dont on commence à prendre toute la mesure. Les espèces végétales exotiques envahissantes provoquent notamment « une dégradation des écosystèmes, avec une diminution de l'abondance des plantes indigènes et une modification importante des caractéristiques du sol », détaille Laurence Affre. Avec ses feuilles gigantesques, Miconia calvescens a ainsi la capacité d'étouffer complètement la végétation environnante, qui ne parvient plus à capter la lumière. « On assiste alors à la formation de forêts composées exclusivement de miconia qui détruisent l’habitat des espèces endémiques et les menacent d’extinction, en Polynésie et dans les Antilles notamment », indique Céline Bellard.
 
En forêt de Compiègne, le cerisier tardif modifie le fonctionnement de la forêt au détriment des plantes indigènes.
Ces plantes peuvent même aller jusqu’à modifier le fonctionnement de l’écosystème lui-même. « En forêt de Compiègne (Hauts-de-France), raconte Jonathan Lenoir, on s’est ainsi rendu compte que le cerisier tardif (originaire d’Amérique du Nord) était capable de court-circuiter le fonctionnement naturel de la forêt en modifiant le cycle de l’azote pour se l’accaparer, au détriment des plantes indigènes de l’écosystème. »
 
À la différence des espèces animales exotiques envahissantes, dont les impacts sur les territoires d’accueil sont plus immédiats, les plantes ont la particularité de générer des impacts à retardement, ce qui rend leurs dégâts d’autant plus compliqués à évaluer. « Ce que l’on observe aujourd’hui n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg, s’inquiète Jonathan Lenoir, car il existe un retard de réponse important entre l’introduction d’une espèce et son premier impact visible. » Un délai de latence accentué par le fait que les graines peuvent rester jusqu’à plusieurs décennies en état de dormance dans le sol, jusqu’à ce que les conditions leur soient favorables pour germer (chaleur, pluie, perturbations). Ce que les écologues appellent la « banque de graines du sol » rend d’autant plus délicate leur éradication : une opération d’arrachage pratiquée une année ne suffira pas à prévenir le retour de la plante invasive les années suivantes.
Reproduction et développement plus efficaces
C’est que les végétaux transportés hors de leur milieu d’origine disposent d’avantages redoutables sur les plantes locales : lorsqu’ils sont introduits dans une nouvelle région géographique, ils se retrouvent dépourvus des ennemis présents dans leur aire d’origine et qui limitaient leur population. Sans les espèces animales herbivores, les agents pathogènes ou les parasites contre lesquels elles devaient lutter, « ces plantes peuvent allouer davantage de ressources à leur développement et à leur reproduction, contrairement aux plantes indigènes qui doivent toujours utiliser une partie de leur énergie pour combattre leurs ennemis traditionnels », explique Laurence Affre.



Les végétaux exotiques introduits dans une nouvelle région disposent d’avantages redoutables sur les plantes locales : les ennemis qui limitaient leur population dans leur aire d’origine en sont absents.
L’absence de coévolution entre les plantes exotiques et les espèces indigènes du milieu dans lequel elles ont été introduites, que celles-ci soient végétales ou animales, est fondamentale pour comprendre comment certaines plantes exotiques parviennent à concurrencer les plantes natives. « Au sein d’un écosystème, on a toujours observé des comportements envahissants, observe Jonathan Lenoir. Mais il parvient généralement à s’autoréguler pour rétablir le cycle : les espèces ayant coévolué les unes avec les autres, elles ont développé une dynamique naturelle, une sorte de mécanisme de contrôle qui permet de revenir à une situation d’équilibre dans la communauté indigène. »
En revanche, lorsqu’une plante exotique est introduite, les espèces autochtones se retrouvent dans une situation de « naïveté » face à cette nouvelle plante : n’ayant pas coévolué ensemble, les espèces indigènes n’ont pas pu développer les armes biologiques pour se défendre ou se protéger si jamais cette nouvelle plante devient envahissante. C’est particulièrement vrai dans les territoires insulaires qui, avec leurs écosystèmes clos et isolés, sont particulièrement vulnérables aux invasions biologiques : le nombre de plantes exotiques y dépasserait désormais le nombre de plantes indigènes sur plus d’un quart des îles dans le monde, selon l’IPBES !
 
Une réglementation insuffisante
Face à ce constat préoccupant, les leviers d’action semblent encore insuffisants. Côté législation, les mesures se révèlent disparates : 83 % des pays sont dépourvus de réglementation nationale spécifique sur les espèces exotiques envahissantes. Ils sont néanmoins de plus en plus nombreux à établir des listes de contrôle et des bases de données officielles répertoriant ces espèces (196 pays en 2022). L’Union européenne a mis en place en 2014 une liste réglementaire des espèces jugées préoccupantes (88 à ce jour, dont 41 plantes) et soumises à des restrictions strictes de détention, d’importation, de vente ou de culture. Mais le nombre d’espèces concernées par cette liste est trop faible, déplorent les scientifiques. « On est encore loin des politiques fermes de certains États insulaires comme la Nouvelle-Zélande, où l’on doit nettoyer ses chaussures à l’aéroport pour éviter le transport de graines, mais on progresse », regrette Céline Bellard.


La méthode d'éradication la plus efficace reste l'arrachage, comme ici dans l'île de Bagaud (Var) où une scientifique élimine un tapis de griffes de sorcière.

Élise Buisson
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Les moyens de lutte contre les plantes exotiques envahissantes se sont fortement développés et affinés au cours de la dernière décennie. Pour éradiquer les plantes qui posent problème, l’arrachage reste la méthode la plus commune : « C’est efficace mais ça demande beaucoup de travail, concède Élise Buisson, chercheuse à l’IMBE et coordinatrice scientifique d’un programme ayant permis l’éradication des griffes de sorcière sur l’île de Bagaud. En raison de la banque de graines en dormance dans le sol, on doit revenir chaque année pour arracher de nouveau les nouvelles germinations qui font surface. » Pour maximiser les chances de réussite, rien n’est laissé au hasard : « Après avoir étudié le milieu, nous avons opté pour un protocole d’arrachage qui consistait à extraire non seulement les rameaux lignifiés, mais aussi leur litière (très riche en graines) », explique la chercheuse. L’éradication des griffes de sorcière a eu un effet significatif et positif sur la richesse et le recouvrement en plantes indigènes des communautés végétales du littoral et de l’intérieur de l’île.
Aujourd’hui encore, on trouve des plantes exotiques reconnues comme envahissantes en vente libre dans les jardineries françaises, comme l’arbre aux papillons ou la luzerne arborescente.
Plus complexes et chronophages, les techniques de lutte biologique font aussi partie des solutions explorées par la recherche, même si l’introduction de nouvelles espèces fait toujours peser un risque sur les écosystèmes… La colonisation de Miconia calvescens a par exemple pu être ralentie à Tahiti par l’introduction d’un champignon pathogène au début des années 2000.
Lutter contre les plantes envahissantes doit enfin passer par une nécessaire prise de conscience de la société, au-delà du seul cercle des spécialistes. « Il faut sensibiliser le grand public, qui doit comprendre pourquoi il ne faut pas introduire certaines espèces dans de nouveaux milieux, et surtout informer les décideurs politiques pour qu’ils agissent à la hauteur des dommages causés par les invasions biologiques », insiste Laurence Affre, qui regrette qu’aujourd’hui encore, on trouve des plantes exotiques reconnues comme envahissantes en vente libre dans les jardineries françaises, comme l’arbre aux papillons ou la luzerne arborescente...


Très à la mode dans les années 1970, notamment dans les habitats pavillonnaires, l’herbe de la pampa s’est « échappée » des jardins et se retrouve désormais sur tout le territoire français.

Guy Thouvenin / Robert Harding Heritage via AFP
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À l’issue de la COP15 sur la diversité biologique de Kunming-Montréal, en décembre 2022, 188 gouvernements ont convenu de réduire d’au moins 50 % d’ici à 2030 l’introduction et l’implantation d’espèces exotiques envahissantes prioritaires. Un accord aussi ambitieux qu’essentiel face à l’urgence de la situation. Mais qui doit maintenant être suivi d’effets.  ♦
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Espèces exotiques envahissantes : l’IPBES tire la sonnette d’alarme
« Les espèces exotiques envahissantes (EEE) constituent une menace mondiale majeure pour la nature, les économies, la sécurité alimentaire et la santé humaine. » Ces mots alarmistes, employés en préambule du rapport sur les EEE publié le 4 septembre
(link is external)
dernier par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le « Giec de la biodiversité », sont loin d’avoir été choisis au hasard. Ils font face à un constat sans appel : « Ces espèces ont un rôle majeur dans 60 % des extinctions de plantes et d’animaux dans le monde, avec des coûts annuels dépassant désormais les 423 milliards de dollars. » Les espèces exotiques envahissantes peuvent être des animaux (vertébrés et invertébrés), comme le rat noir ou la fourmi d’Argentine, des micro-organismes, comme le champignon chytride, ou encore des plantes, comme le faux mimosa ou le ricin commun. Le rapport, rédigé par 86 experts de 49 pays sur la base de quatre ans et demi de travaux, constitue l’évaluation la plus complète jamais réalisée au sujet des espèces exotiques envahissantes, passant au crible à la fois leurs causes, leur diversité, leurs impacts et les solutions à mettre en place pour limiter les dégâts. ♦
À lire et à voir sur notre site
Espèces envahissantes : une catastrophe écologique et économique
COP15, un sommet pour enrayer la crise de la biodiversité
 
Notes
*         1.
https://www.ofb.gouv.fr/actualites/publication-du-rapport-de-lipbes-sur-...(link is external)
*         2.
Unité CNRS/AgroParisTech/Université Paris-Saclay.
*         3.
Université de Picardie Jules Verne.
*         4.
Unité CNRS/Aix-Marseille Université/Avignon Université/IRD.
06.12.2023, par Marie Privé

Hippopotame au milieu de jacinthes d’eau, au parc Kruger (Afrique du Sud). La jacinthe d'eau, originaire d'Amérique du Sud, fait partie des espèces végétales exotiques les plus envahissantes dans le monde.
Tonino De Marco / Biosphoto
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Moins médiatisées que les espèces animales invasives, les plantes exotiques envahissantes n’en sont pas moins féroces et se révèlent de redoutables concurrentes pour les plantes locales. Avec à la clé, des impacts négatifs sur les écosystèmes.

À Marseille, il n’y a pas que les touristes qui ont colonisé les Calanques. Une autre menace, plus insidieuse, vient elle aussi peser sur l’équilibre en péril de cet écosystème du pourtour méditerranéen. Des plantes exotiques originaires d’autres continents – griffe de sorcière,  figuier de Barbarie ou encore agave d’Amérique –, ont tellement proliféré sur le sol des Calanques qu’elles menacent des plantes plus petites, fragiles et endémiques telles que l’emblématique astragale de Marseille. De 2017 à 2022, ce sont 200 tonnes de ces plantes exotiques envahissantes qui ont ainsi dû être arrachées au cours de coûteuses opérations d’éradication, mobilisant de nombreux scientifiques, entreprises spécialisées, bénévoles… et même, un hélicoptère !
Une conséquence de la mondialisation
Moins médiatisées que les espèces animales exotiques envahissantes – frelon asiatique et moustique tigre en tête –, les espèces végétales exotiques envahissantes n’en constituent pas moins une vraie menace pour les écosystèmes planétaires. Sur les dix espèces exotiques envahissantes les plus répandues dans le monde, listées dans le rapport que la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le « Giec de la biodiversité », vient de consacrer aux espèces exotiques envahissantes1 (lire plus bas), sept sont d’ailleurs des plantes, comme le lantanier, le robinier faux-acacia ou la jacinthe d’eau.
 

En France métropolitaine, la liste des plantes exotiques envahissantes ne cesse de s’allonger : l’hélianthe en forêt de Fontainebleau (Île-de-France), la jussie dans les zones humides, l’herbe de la pampa avec ses plumeaux blancs désormais si répandue dans l’Hexagone que les fleuristes l’ont adoptée dans leurs bouquets, la renouée du Japon, ou encore la fameuse griffe de sorcière très prisée des jardiniers pour ses qualités de couvre-sol et qu’on peut désormais observer des côtes méditerranéennes jusqu’à la pointe du Finistère. Des espèces dont les origines se situent respectivement en Amérique du Nord, en Amérique du Sud (pour la jussie et l’herbe de la pampa), en Asie orientale et en Afrique du Sud.
 
En Polynésie française, 70 % de la surface de l'île de Tahiti est envahie par Miconia calvescens. Aussi surnommé le « cancer vert », le miconia a été retrouvé en Martinique en 2017, puis en Guadeloupe en 2020.
Certaines plantes exotiques ont une telle capacité à proliférer et à envahir les milieux où elles sont introduites qu’elles sont même qualifiées de « super envahissantes ». Les territoires d’outre-mer sont particulièrement touchés par ces espèces très performantes : « en Polynésie française, 70 % de la surface de Tahiti est envahie par Miconia calvescens, un arbre originaire d'Amérique centrale et du Sud », témoigne Céline Bellard, chercheuse CNRS au laboratoire Écologie, systématique et évolution2. Surnommé le « cancer vert », le miconia a été retrouvé plus récemment en Martinique en 2017, puis en Guadeloupe en 2020, menaçant l’équilibre fragile de ces écosystèmes insulaires.
Comment ces végétaux ont-ils atterri si loin de leur milieu d’origine ? L’introduction de ces plantes exotiques est intimement liée aux déplacements intercontinentaux effectués par les colons européens à partir du XVe siècle. « C’est ni plus ni moins l'héritage de Christophe Colomb, souligne Jonathan Lenoir, écologue, chercheur CNRS au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés3. Les explorateurs ont ramené des espèces indigènes d’Amérique en Europe, et à l’inverse, ceux qui sont partis s’installer dans les colonies ont exporté là-bas les plantes qu’ils affectionnaient. »
La mondialisation, l’industrie, le commerce, l’agriculture et les nombreux déplacements internationaux ont fait le reste et expliquent le nombre croissant de plantes exotiques introduites à travers le monde au fil du temps, avec une nette accélération depuis les années 1970. « On a introduit ces végétaux en masse dans les jardins, les villes, sur les ronds-points, le long des routes, raconte Laurence Affre, écologue à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale4 (IMBE), parce qu’ils sont jolis, avec leurs couleurs et leurs formes inhabituelles. » C’est précisément ce qui est arrivé avec le miconia, introduit en 1937 à Tahiti comme plante ornementale dans un jardin botanique privé, ou avec la jussie, une plante aquatique ramenée en France entre 1820 et 1830 pour décorer des bassins d’agréments.



akg-images / Florilegius (S. Watts, d’après S.A. Drake dans «The Botanical Register» by Edwards Sydenham, 1835 ; Hannah Zeller, «Wild Flowers of the Holy Land», 1876)
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Quand les plantes prennent la route
Le caractère « utile » de certaines plantes explique aussi leur introduction. « Lorsqu’il y avait encore une activité militaire sur l’île de Bagaud (aujourd’hui partie intégrante du Parc national de Port-Cros, dans le Var), au XIXe siècle, l’armée y a initialement introduit les griffes de sorcière – devenues envahissantes – car celles-ci produisent des rameaux rampants avec des racines qui s’enfoncent dans le sol, ce qui permet de le stabiliser et de diminuer l’érosion », poursuit Laurence Affre.
 
Une fois introduites dans un nouveau milieu, les plantes exotiques ne se contentent pas de « rester plantées là ». Elles disposent en effet d’un large arsenal de vecteurs de dispersion pour « s’échapper » et parcourir des distances parfois très longues.

Problème : une fois introduites dans un nouveau milieu, les plantes exotiques ne se contentent pas de « rester plantées là ». Contrairement à ce que suggère l’expression, les plantes se déplacent ! Elles disposent en effet d’un large arsenal de vecteurs de dispersion pour « s’échapper » et parcourir des distances parfois très longues. Les graines issues de leur reproduction peuvent ainsi être transportées par les humains, sous les semelles de leurs chaussures ou les pneus de leurs véhicules, mais aussi par les animaux via leur pelage ou leurs déjections, par le vent ou encore par l’eau.
En ce qui concerne les plantes exotiques envahissantes, leur mobilité est d’autant plus rapide que les milieux naturels ont subi des perturbations liées aux activités humaines mais aussi naturelles (feux de forêt, tempêtes), devenues plus fréquentes en raison du changement climatique. On dit même qu’elles empruntent les routes pour se propager plus vite ! « Lorsque l’on construit une route, on rase tout et on détruit l’habitat indigène, explique Jonathan Lenoir. C’est cette remise à zéro qui permet aux plantes exotiques envahissantes de s’exprimer et de progresser beaucoup plus facilement que dans un écosystème indemne et compétitif. » C’est particulièrement vrai en montagne où, à cause du changement climatique, les plantes – toutes espèces confondues – ont tendance à migrer en altitude pour retrouver des températures plus fraîches.



Or, si 6 % « seulement » des plantes exotiques introduites hors de leur territoire d’origine deviennent envahissantes, d’après l’IPBES leur propagation a un impact bien réel sur la biodiversité dont on commence à prendre toute la mesure. Les espèces végétales exotiques envahissantes provoquent notamment « une dégradation des écosystèmes, avec une diminution de l'abondance des plantes indigènes et une modification importante des caractéristiques du sol », détaille Laurence Affre. Avec ses feuilles gigantesques, Miconia calvescens a ainsi la capacité d'étouffer complètement la végétation environnante, qui ne parvient plus à capter la lumière. « On assiste alors à la formation de forêts composées exclusivement de miconia qui détruisent l’habitat des espèces endémiques et les menacent d’extinction, en Polynésie et dans les Antilles notamment », indique Céline Bellard.
 
En forêt de Compiègne, le cerisier tardif modifie le fonctionnement de la forêt au détriment des plantes indigènes.

Ces plantes peuvent même aller jusqu’à modifier le fonctionnement de l’écosystème lui-même. « En forêt de Compiègne (Hauts-de-France), raconte Jonathan Lenoir, on s’est ainsi rendu compte que le cerisier tardif (originaire d’Amérique du Nord) était capable de court-circuiter le fonctionnement naturel de la forêt en modifiant le cycle de l’azote pour se l’accaparer, au détriment des plantes indigènes de l’écosystème. »
 
À la différence des espèces animales exotiques envahissantes, dont les impacts sur les territoires d’accueil sont plus immédiats, les plantes ont la particularité de générer des impacts à retardement, ce qui rend leurs dégâts d’autant plus compliqués à évaluer. « Ce que l’on observe aujourd’hui n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg, s’inquiète Jonathan Lenoir, car il existe un retard de réponse important entre l’introduction d’une espèce et son premier impact visible. » Un délai de latence accentué par le fait que les graines peuvent rester jusqu’à plusieurs décennies en état de dormance dans le sol, jusqu’à ce que les conditions leur soient favorables pour germer (chaleur, pluie, perturbations). Ce que les écologues appellent la « banque de graines du sol » rend d’autant plus délicate leur éradication : une opération d’arrachage pratiquée une année ne suffira pas à prévenir le retour de la plante invasive les années suivantes.
Reproduction et développement plus efficaces
C’est que les végétaux transportés hors de leur milieu d’origine disposent d’avantages redoutables sur les plantes locales : lorsqu’ils sont introduits dans une nouvelle région géographique, ils se retrouvent dépourvus des ennemis présents dans leur aire d’origine et qui limitaient leur population. Sans les espèces animales herbivores, les agents pathogènes ou les parasites contre lesquels elles devaient lutter, « ces plantes peuvent allouer davantage de ressources à leur développement et à leur reproduction, contrairement aux plantes indigènes qui doivent toujours utiliser une partie de leur énergie pour combattre leurs ennemis traditionnels », explique Laurence Affre.


Les végétaux exotiques introduits dans une nouvelle région disposent d’avantages redoutables sur les plantes locales : les ennemis qui limitaient leur population dans leur aire d’origine en sont absents.

L’absence de coévolution entre les plantes exotiques et les espèces indigènes du milieu dans lequel elles ont été introduites, que celles-ci soient végétales ou animales, est fondamentale pour comprendre comment certaines plantes exotiques parviennent à concurrencer les plantes natives. « Au sein d’un écosystème, on a toujours observé des comportements envahissants, observe Jonathan Lenoir. Mais il parvient généralement à s’autoréguler pour rétablir le cycle : les espèces ayant coévolué les unes avec les autres, elles ont développé une dynamique naturelle, une sorte de mécanisme de contrôle qui permet de revenir à une situation d’équilibre dans la communauté indigène. »
En revanche, lorsqu’une plante exotique est introduite, les espèces autochtones se retrouvent dans une situation de « naïveté » face à cette nouvelle plante : n’ayant pas coévolué ensemble, les espèces indigènes n’ont pas pu développer les armes biologiques pour se défendre ou se protéger si jamais cette nouvelle plante devient envahissante. C’est particulièrement vrai dans les territoires insulaires qui, avec leurs écosystèmes clos et isolés, sont particulièrement vulnérables aux invasions biologiques : le nombre de plantes exotiques y dépasserait désormais le nombre de plantes indigènes sur plus d’un quart des îles dans le monde, selon l’IPBES !
 
Une réglementation insuffisante
Face à ce constat préoccupant, les leviers d’action semblent encore insuffisants. Côté législation, les mesures se révèlent disparates : 83 % des pays sont dépourvus de réglementation nationale spécifique sur les espèces exotiques envahissantes. Ils sont néanmoins de plus en plus nombreux à établir des listes de contrôle et des bases de données officielles répertoriant ces espèces (196 pays en 2022). L’Union européenne a mis en place en 2014 une liste réglementaire des espèces jugées préoccupantes (88 à ce jour, dont 41 plantes) et soumises à des restrictions strictes de détention, d’importation, de vente ou de culture. Mais le nombre d’espèces concernées par cette liste est trop faible, déplorent les scientifiques. « On est encore loin des politiques fermes de certains États insulaires comme la Nouvelle-Zélande, où l’on doit nettoyer ses chaussures à l’aéroport pour éviter le transport de graines, mais on progresse », regrette Céline Bellard.


La méthode d'éradication la plus efficace reste l'arrachage, comme ici dans l'île de Bagaud (Var) où une scientifique élimine un tapis de griffes de sorcière.



Les moyens de lutte contre les plantes exotiques envahissantes se sont fortement développés et affinés au cours de la dernière décennie. Pour éradiquer les plantes qui posent problème, l’arrachage reste la méthode la plus commune : « C’est efficace mais ça demande beaucoup de travail, concède Élise Buisson, chercheuse à l’IMBE et coordinatrice scientifique d’un programme ayant permis l’éradication des griffes de sorcière sur l’île de Bagaud. En raison de la banque de graines en dormance dans le sol, on doit revenir chaque année pour arracher de nouveau les nouvelles germinations qui font surface. » Pour maximiser les chances de réussite, rien n’est laissé au hasard : « Après avoir étudié le milieu, nous avons opté pour un protocole d’arrachage qui consistait à extraire non seulement les rameaux lignifiés, mais aussi leur litière (très riche en graines) », explique la chercheuse. L’éradication des griffes de sorcière a eu un effet significatif et positif sur la richesse et le recouvrement en plantes indigènes des communautés végétales du littoral et de l’intérieur de l’île.

Aujourd’hui encore, on trouve des plantes exotiques reconnues comme envahissantes en vente libre dans les jardineries françaises, comme l’arbre aux papillons ou la luzerne arborescente.
Plus complexes et chronophages, les techniques de lutte biologique font aussi partie des solutions explorées par la recherche, même si l’introduction de nouvelles espèces fait toujours peser un risque sur les écosystèmes… La colonisation de Miconia calvescens a par exemple pu être ralentie à Tahiti par l’introduction d’un champignon pathogène au début des années 2000.
Lutter contre les plantes envahissantes doit enfin passer par une nécessaire prise de conscience de la société, au-delà du seul cercle des spécialistes. « Il faut sensibiliser le grand public, qui doit comprendre pourquoi il ne faut pas introduire certaines espèces dans de nouveaux milieux, et surtout informer les décideurs politiques pour qu’ils agissent à la hauteur des dommages causés par les invasions biologiques », insiste Laurence Affre, qui regrette qu’aujourd’hui encore, on trouve des plantes exotiques reconnues comme envahissantes en vente libre dans les jardineries françaises, comme l’arbre aux papillons ou la luzerne arborescente...


Très à la mode dans les années 1970, notamment dans les habitats pavillonnaires, l’herbe de la pampa s’est « échappée » des jardins et se retrouve désormais sur tout le territoire français.

Guy Thouvenin / Robert Harding Heritage via AFP
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À l’issue de la COP15 sur la diversité biologique de Kunming-Montréal, en décembre 2022, 188 gouvernements ont convenu de réduire d’au moins 50 % d’ici à 2030 l’introduction et l’implantation d’espèces exotiques envahissantes prioritaires. Un accord aussi ambitieux qu’essentiel face à l’urgence de la situation. Mais qui doit maintenant être suivi d’effets.  ♦
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Espèces exotiques envahissantes : l’IPBES tire la sonnette d’alarme
« Les espèces exotiques envahissantes (EEE) constituent une menace mondiale majeure pour la nature, les économies, la sécurité alimentaire et la santé humaine. » Ces mots alarmistes, employés en préambule du rapport sur les EEE publié le 4 septembre
(link is external)
dernier par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le « Giec de la biodiversité », sont loin d’avoir été choisis au hasard. Ils font face à un constat sans appel : « Ces espèces ont un rôle majeur dans 60 % des extinctions de plantes et d’animaux dans le monde, avec des coûts annuels dépassant désormais les 423 milliards de dollars. » Les espèces exotiques envahissantes peuvent être des animaux (vertébrés et invertébrés), comme le rat noir ou la fourmi d’Argentine, des micro-organismes, comme le champignon chytride, ou encore des plantes, comme le faux mimosa ou le ricin commun. Le rapport, rédigé par 86 experts de 49 pays sur la base de quatre ans et demi de travaux, constitue l’évaluation la plus complète jamais réalisée au sujet des espèces exotiques envahissantes, passant au crible à la fois leurs causes, leur diversité, leurs impacts et les solutions à mettre en place pour limiter les dégâts. ♦

À lire et à voir sur notre site
Espèces envahissantes : une catastrophe écologique et économique
COP15, un sommet pour enrayer la crise de la biodiversité
 
Notes
*         1.
https://www.ofb.gouv.fr/actualites/publication-du-rapport-de-lipbes-sur-...(link is external)
*         2.
Unité CNRS/AgroParisTech/Université Paris-Saclay.
*         3.
Université de Picardie Jules Verne.
*         4.
Unité CNRS/Aix-Marseille Université/Avignon Université/IRD.

 


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Troubles du neurodéveloppement chez l’enfant : un nouveau gène mis en cause

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Troubles du neurodéveloppement chez l’enfant : un nouveau gène mis en cause

27 JUIN 2023 | PAR INSERM (SALLE DE PRESSE) | GÉNÉTIQUE, GÉNOMIQUE ET BIO-INFORMATIQUE
| PHYSIOPATHOLOGIE, MÉTABOLISME, NUTRITION

© ADN double hélice – National Human Genome Research Institute, National Institutes of Health.

Face aux troubles neurodéveloppementaux infantiles, comment sortir de l’impasse thérapeutique ? La réponse pourrait bien se trouver dans les gènes du protéasome, une machinerie intracellulaire responsable de l’élimination des protéines défectueuses de la cellule. Une équipe de recherche de l’Inserm, du CNRS, de Nantes Université et du CHU de Nantes, au sein de l’Institut du thorax et en collaboration avec des équipes internationales, a étudié le génome de 23 enfants atteints de troubles du neurodéveloppement. Elle a ainsi mis en évidence quinze mutations du gène PSMC3 du protéasome susceptibles d’être impliquées dans leur maladie. Ces travaux, parus dans Science Translational Medicine, ouvrent de nouvelles perspectives de recherche pour mieux comprendre ces maladies et identifier des traitements.

L’origine d’un trouble du neurodéveloppement chez l’enfant demeure encore aujourd’hui difficile à identifier et les patients et leur famille sont souvent confrontés à plusieurs années d’errance diagnostique.

Une équipe de recherche de l’Institut du thorax (Inserm/CNRS/Nantes Université/CHU de Nantes), menée par Stéphane Bézieau, chef du service de génétique médicale du CHU de Nantes, travaille depuis plusieurs années sur la génétique des troubles du neurodéveloppement chez l’enfant. Ses travaux ont notamment mené à identifier le rôle d’un gène appelé PSMD12 dans une maladie neurodéveloppementale infantile. Ce gène s’exprime dans un grand complexe de protéines situé dans les cellules et baptisé protéasome.

Le protéasome fonctionne comme une sorte d’« éboueur » au sein de la cellule. En permettant l’élimination des protéines défectueuses qu’elle contient, il joue un rôle déterminant dans un grand nombre de processus cellulaires. Les altérations qui peuvent apparaître sur certains des gènes le constituant sont susceptibles d’impacter sa capacité à dégrader les protéines défectueuses. Leur accumulation a pour conséquence l’apparition de pathologies très variées.

Dans de nouveaux travaux[1], en collaboration avec des équipes internationales, l’équipe de recherche a continué à explorer les liens entre mutations des gènes du protéasome et maladies du neurodéveloppement. Elle s’est cette fois plus spécifiquement intéressée au gène PSMC3 du protéasome et à son implication dans les troubles neurodéveloppementaux de 23 jeunes patients européens, américains et australiens, atteints de symptômes neurologiques (retard de langage, déficience intellectuelle ou problèmes comportementaux) fréquemment associés à des anomalies du visage et à des malformations du squelette, du cœur et d’autres organes.

Grâce au séquençage complet du génome de ces patients, les chercheuses et chercheurs ont ainsi mis en évidence quinze mutations du gène PSMC3 susceptibles d’expliquer l’origine des symptômes.

« Il est rapidement apparu que les cellules de patients porteuses d’un gène PSMC3 défaillant se retrouvaient littéralement surchargées de protéines inutiles et toxiques pour elles », explique Frédéric Ebstein, chercheur Inserm et premier auteur de l’étude. Il compare ce phénomène à celui observé dans certaines maladies neurodégénératives liées à l’âge, telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.

« La découverte de l’implication d’un second gène dans les troubles du neurodéveloppement infantile apporte un éclairage inédit sur ce groupe de maladies rares encore inconnu il y a peu, précise le chercheur Sébastien Küry, ingénieur au CHU de Nantes, qui a co-signé ces travaux. Ce travail, associé à la découverte récente par l’équipe d’autres gènes impliqués [mais encore non publiés à ce jour, ndlr.], ouvre des perspectives majeures dans la compréhension de ce groupe de maladies neurodéveloppementales ainsi que des perspectives de traitement », conclut-il.


[1]Ces travaux sont soutenus financièrement par l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Union européenne (European Joint Programme on Rare Diseases) et la compagnie d’assurance AXA.

 

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Faire de la chimie à l’intérieur d’une cellule

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Faire de la chimie à l’intérieur d’une cellule

Une équipe du CEA-IBITECS , en collaboration avec le CNRS et une équipe de l’Université de Strasbourg (Unistra), a développé de nouveaux réactifs pouvant servir à comprendre le mode d’action d’un médicament au coeur de sa zone de fonctionnement. Ces réactifs, appelés « azotures chélatants » sont capables de se coupler quasi instantanément et de façon hautement sélective à tout composé possédant une triple liaison. La grande nouveauté de ce travail est la capacité de réaliser ce couplage dans tous les milieux y compris à l’intérieur d’une cellule. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication comme VIP (very important paper) le 02 mai 2014 sur le site d’Angewandte Chemie International Edition.

PUBLIÉ LE 6 MAI 2014
       
La chimie dite bio-orthogonale, c'est-à-dire bio-compatible et hautement sélective, est en plein essor. Elle est la source des outils chimiques innovants permettant de modifier du matériel biologique, à souhait et avec des performances inégalées. Cette nouvelle chimie, applicable au vivant, est la base du développement de nombreuses technologies associées à la santé. Parmi les réactions chimiques bio-orthogonales, le couplage entre les azotures et les alcynes, fonctions chimiques non naturelles, catalysé par des complexes de cuivre, est l’une des plus utilisées. Cette réaction, impliquant trois composés, les deux réactifs et le catalyseur à base de cuivre, est très chimio sélective. Son utilisation dans des milieux biologiques très complexes, tel que les milieux cellulaires, a cependant plusieurs inconvénients, dont la nécessité d’utiliser un excès de cuivre, ce qui provoque une forte toxicité voire une mort cellulaire.
En partant du principe simple qu’une réaction impliquant deux composés au lieu de trois est plus favorable, les chimistes du CEA-IBITECS, en étroite collaboration avec ceux de l’Unistra et du CNRS, ont développé un réactif comprenant dans sa structure à la fois la fonction azoture et un complexant du cuivre.


Structure générique des azotures chélatants développés par les chercheurs du CEA-IBITECS en collaboration avec l’Unistra et le CNRS Ces composés permettent d’assembler - ou de « clicker » - deux éléments (rond bleu et étoile rouge) de façon spécifique : les autres éléments présents n’interagissent pas avec la réaction. Ceci est rendu possible en fixant sur le premier élément un dipôle appelé azoture (N3) possédant une structure complexant un atome de cuivre et sur l’autre, un groupement alcyne (triple barre en bleu). Ces réactifs peuvent par exemple servir à comprendre le mode d’action d’un médicament lorsque l’on a préalablement introduit sur celui-ci le groupement alcyne et un groupement fluorescent sur l’azoture chélatant. Crédit : F. Taran/CEA

Ce type d’azoture chélatant se conduit à la fois comme réactif et comme catalyseur. Sa capacité à réagir avec des alcynes devient alors spectaculaire. La vitesse de réaction est multipliée par 40 000 et le couplage devient aussi efficace en milieu simple qu’en milieu complexe. En conditions de haute dilution, le couplage s’effectue en moins de trente secondes, y compris dans des environnements aussi complexes que le sang ou les milieux cellulaires. Ces propriétés particulières ont permis de montrer pour la première fois que ce type d’azoture chélatant peut être couplé avec succès à un alcyne directement à l’intérieur d’une cellule.


Applications

Le champ d’application de ces nouveaux réactifs de couplages est varié. Il peut s’étendre de la chimie médicinale (assemblage de médicaments à des anticorps thérapeutiques…) jusqu’aux biotechnologies (traceurs pour l’imagerie médicale à base de 64Cu…).
Dans le cadre de cette étude, les azotures chélatants ont été utilisés pour localiser un médicament à l’intérieur d’une cellule. Ainsi, une fonction alcyne a été introduite dans la structure du paclitaxel, un anticancéreux bien connu. Ce dérivé de paclitaxel a alors été mis au contact de cellules cancéreuses. Après une période d’incubation, un dérivé d’azoture chélatant fluorescent a été additionné. Après incubation puis lavage des cellules, une fluorescence a clairement été identifiée dans les microtubules associée au paclitaxel, démontrant ainsi l’efficacité du couplage chimique à l’intérieur des cellules.
Ces réactifs permettent donc de localiser un médicament dans une cellule et d'identifier la cible biologique du médicament. En d’autres termes, ces résultats permettent de comprendre le mode d'action des médicaments au cœur même de leur zone de fonctionnement.

Références
* Copper-Chelating Azides for Efficient Click Conjugations in Complex Media. V. Bevilacqua, M. King, M. Chaumontet, M. Nothisen, S. Gabillet, D. Buisson, C. Puente, A. Wagner, F. Taran. Angew. Chem. Int. Ed., 2014 – sous presse - VIP Paper -
* Nouveaux azotures, procédés de fabrication et leurs applications. F. Taran, M. Chaumontet, V. Bevilacqua. WO 2014057201 A1 - PCT/FR2013/052384

 

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La transmission des caractères acquis

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Transmission des caractères acquis

La transmission des caractères acquis désigne la faculté pour des êtres vivants de transmettre à leur descendance une caractéristique acquise au cours de leur vie.
Le sujet se penche sur des mécanismes associés à cette transmission qui restent à l'étude et sujets à débat car au xxe siècle seule la mutation génétique issue du hasard alliée à la sélection naturelle étaient reconnues et enseignées comme moteur de l'hérédité. Depuis les années 1990 des expériences scientifiques diverses ont remis en cause cette ancienne certitude, et la transmission de caractères issus du vécu paraît de plus en plus se confirmer bien que la question des mécanismes en cause ne soit pas totalement résolue4.
C'est en particulier l'épigénétique, une branche de la biologie, qui étudie ces phénomènes en s’intéressant aux mécanismes qui permettent de sélectionner l'expression d'un gène plutôt qu'un autre. Ce domaine étudie les moyens qui permettent à une même base génétique d'exprimer différents caractères en fonction du contexte et la façon dont ces moyens peuvent eux-mêmes être transmis.

Histoire du concept
D’Aristote à Weismann, en passant par Charles Darwin, à peu près tous les naturalistes crurent à cette forme d’hérédité[réf. nécessaire]. Contrairement à une idée répandue, Lamarck n’a avancé aucune théorie pour la transmission des caractères acquis[réf. nécessaire], il n’en a pas proposé de mécanisme et ne lui a même pas donné de nom. En réalité, et c’est en effet un point faible de son transformisme, il n’y a pas de théorie de l’hérédité chez Lamarck[réf. nécessaire]; il est donc abusif de parler d’une « hérédité lamarckienne ».
À l’inverse, et toujours contrairement aux légendes qui ont cours, Darwin eut également recours à la transmission des caractères acquis dans L'Origine des espèces. En 1868, il alla même jusqu’à proposer une théorie pour cette transmission sous le nom d’« hypothèse de la pangenèse » dans son ouvrage De la variation des animaux et des plantes sous l’effet de la domestication5. Cette hypothèse semble inspirée de celle avancée par Maupertuis dans son Système de la Nature (1745), avec l’ajout de la toute récente théorie cellulaire[réf. nécessaire].
En fait, ni Lamarck ni Darwin ne la nomment jamais hérédité des caractères acquis, tout simplement parce que cette notion n’existait pas à leur époque sous cette forme. Il y a donc quelque anachronisme à en parler en ces termes dans la mesure où, dans cette formule, la distinction entre caractères innés et acquis présuppose leur opposition, et que celle-ci n’a été conçue qu’à la fin du xixe siècle par Weismann avec sa théorie du plasma germinatif. La fameuse « hérédité lamarckienne » et l’opposition de Lamarck et Darwin sur ce point sont des légendes, nées à la fin du xixe siècle, de la querelle entre Weismann et les néo-lamarckiens[réf. nécessaire].
La théorie d'une hérédité des caractères acquis par les individus au cours de leur vie a été réfutée par August Weismann à la fin du xixe siècle. En réponse aux néo-lamarckiens qui soutenaient le contraire, il montra en 1883 que des mutilations n'étaient pas transmises. Il pratiqua au laboratoire l'ablation de la queue de souris sur un grand nombre de générations, sans jamais observer une transmission du caractère "perte de queue" à la génération suivante. On en déduisit abusivement qu'aucun caractère acquis ne pouvait se transmettre, alors qu'une mutilation ne peut être assimilée à une acquisition par l'organisme de fonctions nouvelles comme le voulait notamment Lamarck, ce dont Weismann lui-même était conscient lorsqu'il entrepris ses expériences.
« Je n’ai pas besoin de dire que le rejet de l’hérédité des mutilations ne tranche pas la question de l’hérédité des caractères acquis. Bien que pour moi-même je me confirme toujours plus dans cette idée que cette transmission n’a pas lieu, et que nous devons chercher à expliquer, sans recourir à cette hypothèse, les phénomènes que nous présente la transformation des espèces, je suis cependant très éloigné de regarder ce problème comme définitivement résolu par le fait de la possibilité de rejeter dans le domaine de la fable l’hérédité des mutilations6. »
On ne peut en effet prouver avec certitude l’impossibilité de l'hérédité de caractères acquis (une inexistence ne peut être prouvée qu'en mathématiques, par l'absurde). On peut à défaut chercher s'il existe quelque exemple réel réfutant cette impossibilité. Plusieurs recherches, très controversées, ont été menées en ce sens au début du xxe siècle, notamment par Paul Kammerer[réf. nécessaire].
Une preuve de la séparation stricte du germen et du soma fut apportée en 1909 par Castle et Philips[réf. nécessaire], qui transplantèrent chez le cobaye les ovaires immatures de femelles noires à des femelles albinos. Tous les jeunes obtenus présentèrent le caractère noir. Seul le germen contribua donc au développement des nouveaux organismes. Il reste néanmoins à établir si cette expérience isolée peut être généralisée à d'autres organismes.
Enfin, le dogme central de la biologie moléculaire, qui veut que l'information se transmette de l'ADN aux protéines via l'ARN et ne remonte jamais dans le sens inverse, fut reçu comme une preuve définitive de l'impossibilité de l'hérédité des caractères acquis, alors qu'il s'agissait en fait d'une simple supposition formulée par Francis Crick, inspirée par l'idée de la séparation du germen et du soma, théorisée par Weismann[réf. nécessaire].
Plus généralement, plus encore que l’hérédité de tel ou tel caractère acquis particulier, c’est la continuité d’un processus physique à travers les générations qui a été rejetée par les travaux de Weismann et des généticiens, remplacée par la continuité du plasma germinatif (qui deviendra le génome au xxe siècle). Une continuité de substance est bien plus aisée à concevoir que la continuité d’un processus physique. C’est sans doute la principale raison de l'adoption des idées de Weismann sur le sujet7.
Si l'hérédité apparaît incontestablement portée par les chromosomes depuis les travaux de Morgan, avec pour unité fondamentale le gène (dont une description chimique a été livrée par la biologie moléculaire), des cas bien documentés (voir ci-dessous) ont depuis le début des années 2000 montré que cette hérédité génétique peut être modulée par l'expérience des parents. Autrement dit, l'hérédité des caractères acquis a été établie dans certains cas et sous certaines modalités. Des mécanismes dits épigénétiques ont été proposés pour l'expliquer. L'importance de ces phénomènes, notamment dans les processus évolutifs, fait l'objet d'intenses débats. Ceux-ci s'inscrivent dans la remise en cause du dogme central de la biologie moléculaire.

Découvertes récentes et mécanismes proposés
Article connexe : Épigénétique.
Depuis les travaux de Paul Kammerer, que l'on a considérés comme falsifiés à la suite de la découverte d'une fraude tardive et à son suicide8, et la théorie synthétique de l'évolution, l'étude de la transmission des caractères acquis a été un sujet longtemps délaissé, voire tabou, pour les biologistes.
Néanmoins, en 2002, des chercheurs (Marcus Pembrey, professeur de génétique clinique de l'Institute of Child Health à Londres, en collaboration avec le chercheur suédois Bygren Lars Olov) ont montré, grâce à des analyses de généalogie sur des suédois, que leur vie est influencée par le mode de vie de leurs grands-parents. Ainsi des grands-parents ayant connu la famine à des moments critiques de leur vie peuvent influencer l’espérance de vie de leurs petits enfants en augmentant le risque de développer des maladies cardio-vasculaires ou un diabète9.
Jusqu'à récemment, on considérait que la mère transmet de l'ADN à l'embryon pendant les premières phases de sa segmentation puis ses anticorps au cours du développement fœtal, l'influence de la mère s'arrêtant avec la fin de l'allaitement. Plusieurs mécanismes épigénétiques ont été mis en évidence depuis.
Une transmission héréditaire de caractères sans lien direct avec la séquence nucléotidique a été montrée10. Elle concerne notamment :
* l'état de méthylation de l'ADN :
Certaines bases de l’ADN peuvent être méthylées (cytosine précédée d’une guanine) ; ces méthylations permettent d’inactiver ou d’activer la mise en place de l’ARN polymérase sur le promoteur et empêche donc la transcription.
* l'état de compaction de la chromatine :
La chromatine est l'association des molécules d'ADN avec des protéines histones. Selon son degré de condensation, l'ADN est ou n'est pas accessible aux facteurs de transcription. L’acétylation de la lysine terminale des histones induit un relâchement de la chromatine. La méthylation de la lysine et de l'arginine joue aussi un rôle dans la régulation de la transcription.
Par ailleurs, deux autres mécanismes ont été étudiés :
* la paramutation :
C’est une interaction entre deux allèles d’un unique locus où l’un a subi une modification épigénétique. On obtient alors un changement héréditaire du phénotype. Ce changement est considéré comme une exception aux lois de Mendel10.
* la rétrotranscription au sein de spermatozoïdes.
*
Mémoire du stress chez les plantes
Une étude remarquable parue en 2006 dans Nature a montré que les plantes font parfois face aux différents stress environnementaux (température, humidité, disponibilité des nutriments du sol ou infection virale par exemple) en déstabilisant leur génome au travers d’une augmentation du taux de recombinaison homologue dans les tissus somatiques, et que cette réponse, qui implique une adaptabilité accrue, pouvait être transmise aux générations suivantes11. Un facteur élevé a été attribué à cette étude par la Faculty of 1000 biology12.
Des plantes transgéniques du genre Arabidopsis ont été utilisées pour mettre en évidence ce phénomène. La nouvelle séquence implantée dans ces plantes comporte deux séquences chevauchantes (GU et US) du gène β-glucuronidase (GUS), séparées par un gène de résistance à l’hygromycine (antibiotique). Une recombinaison homologue entre les deux fragments produit un gène β-glucuronidase fonctionnel (GUS), détectable par coloration histochimique. Ici, le stress était induit par une exposition à des rayons UV-C (longueur d’onde 280-10 nm) qui augmentent entre 2 et 4 fois la fréquence de recombinaison homologue des tissus somatiques (des résultats similaires peuvent être obtenus par l’injection dans la plante de peptides issus d’un pathogène qui imite son attaque).
La fréquence de recombinaisons resta haute dans les 4 générations suivantes (autofécondation), suggérant que la mémoire de stress serait un phénomène basé sur un mécanisme épigénétique plutôt que génétique. Une série de croisements entre individus, transgéniques ou non et stressés ou non, montra que les descendants peuvent hériter de cette mémoire par un seul des parents (mâle ou femelle) et que l’information épigénétique présente sur un chromosome peut influencer l’autre (le croisement entre plante transgénique non stressée et plante non transgénique stressée donna un descendant avec un gène β-glucuronidase fonctionnel).
Les mécanismes dirigeant ce processus sont inconnus mais il est possible que l’organisation de la chromatine joue un rôle dans la régulation de la recombinaison homologue, et ce processus pourrait s’apparenter à un phénomène de paramutation13.

Paramutation
Paramutation chez la souris[modifier | modifier le code]
Un article paru en 2006 dans Nature met en évidence l'existence de paramutation chez la souris14.
Kit est un gène de souris codant une tyrosine kinase et impliqué dans l'hématopoïèse, dans la différenciation des cellules germinales et dans la mélanogenèse. Des souris hétérozygotes (génération 1), possédant l'allèle sauvage Kit et l'allèle Kit(tm1alf) (créé par l'insertion de Lac-Z juste en aval du site d'initiation de la traduction), sont viables et possèdent le phénotype visible et caractéristique « bout de queue blanche » tandis que les souris homozygotes Kit(tm1alf) meurent.
Tous les descendants issus du croisement (génération 2) entre ces souris hétérozygotes et des souris homozygotes pour l'allèle sauvage Kit sont de phénotype « bout de queue blanche ». Ceci est contraire aux lois de Mendel qui prédirait les proportions suivantes chez les descendants : la moitié de phénotypes sauvages et la moitié de phénotypes « bout de queue blanche ». Ces résultats s'expliquent par le phénomène de paramutation : l'allèle Kit (tm1alf) dit « paramutagène » induit un changement de l'allèle Kit dit « paramutable ».
De plus, les croisements entre ces mêmes descendants et d'autres souris homozygotes pour l'allèle Kit donnent également naissance à des souris (génération 3) de phénotype « bout de queue blanche ». On en conclut que l'allèle paramutable Kit est devenu paramutagène chez les souris de la génération 2, on parle donc d'allèle Kit*.
L'allèle Kit* a un taux de transcription plus élevé. Mais de nombreux transcrits issus de cette transcription sont aberrants. Et ces mêmes transcrits aberrants sont retrouvés en grande quantité dans le sperme de la souris et pourraient être à l'origine de la paramutation de l'allèle Kit sauvage dans le zygote. Conclusion : dans cette expérience, ce seraient les transcrits qui seraient responsables de la (para)mutation13.

Paramutation chez le maïs[modifier | modifier le code]
Les ARN peuvent être à la base d’un changement de chromatine qui induira une paramutation. Le gène b1 code un facteur de transcription qui régule la pigmentation des tissus en intervenant dans la synthèse de l’anthocyanine. BI et B’ sont deux allèles de ce gène. L’allèle BI est paramutable et a un fort taux d’expression tandis que l’allèle B’ est paramutagène et s'exprime faiblement. Les allèles qui sont impliqués dans la paramutation de ce gène possèdent une séquence de 853 paires de bases (pb) qui est répétée sept fois et située 100 kilobases (kb) en amont du site d’initiation de la traduction. Il a été observé que le faible taux d’expression de l’allèle B’ était dû au fait que les sept exemplaires de la séquence répétée étaient plus méthylés et que la chromatine était plus compacte par rapport à l’allèle BI.
Mais on ne connaît pas les mécanismes d’action de ces sept séquences sur l'expression du gène b1. Pour savoir quel type d’interaction existe entre les deux allèles impliqués dans la paramutation, les recherches se sont tournées vers le gène Mop1 qui code une ARN polymérase. En effet, il semblerait que cet ARN polymérase ait pour rôle de fabriquer des petits ARN interférents (pARNi) résultant de la transcription de la séquence répétée sept fois 100 Kb en amont du gène b115. On pense donc que ces petits ARN interférents sont responsables de la paramutation via des mécanismes complexes encore méconnus.
Pour explorer encore plus profondément cette question, il faudrait comprendre pourquoi lorsqu’il n’y a qu’une séquence répétée en amont d'un allèle neutre (ni paramutagène, ni paramutable), le taux de petits ARN interférents (pARNi) est le même que quand cette séquence est répétée sept fois. Il faudrait également voir si le fait que le gène Mop1 soit pléïotrope (Mop1 agit également au niveau de la floraison, de la santé et de la taille de la plante) influe sur le phénomène de paramutation13.

Rétrotranscription dans les cellules germinales
Depuis les années 1970, les études sur les cellules germinales mâles et la transcriptase inverse (RT) ont montré que les spermatozoïdes matures sont un lieu d’intense expression de gènes codant la transcriptase inverse (rétrotransposons) et que ces cellules ont la capacité d’« absorber » de l’ADN ou de l’ARN étranger présent dans le milieu. Ainsi, ces mécanismes pourraient permettre aux spermatozoïdes de produire des rétrogènes (rétrotransposons ne codant pas la RT) biologiquement actifs.
Ces découvertes remettent en cause la séparation entre les cellules germinales et le soma admise depuis les travaux de Weismann. On considère classiquement que les cellules germinales sont garantes de la transmission « honnête » de l’information génétique spécifique à un individu jusqu’à sa descendance. Une telle conception n'est pas entièrement invalidée puisque ces cellules comportent des systèmes de protection pour éviter les évènements de rétrotransposition.
Il a été montré chez des souris que de l’ARN extracellulaire absorbé par des spermatozoïdes (et rétrotranscrit en ADN) pouvait être délivré à l’oocyte lors de la fertilisation, puis transmis aux embryons (2 et 4 cellules) et enfin propagé (irrégulièrement) dans les tissus des descendants à l’âge adulte. Les individus issus de cette fécondation peuvent transmettre ces molécules d’ADN à leurs descendants, de manière non mendélienne, et elles seront aussi irrégulièrement propagées dans leurs tissus à l’âge adulte. Le fait que ces molécules d’ADN soient irrégulièrement distribuées dans l’organisme et que leur hérédité soit non mendélienne et des études ultérieures suggèrent que ces molécules ne sont pas intégrées au chromosome et restent probablement dans le spermatozoïde sous forme d’épisome, leur reproduction étant indépendante de celle de l’ADN nucléaire. Étant donné que l’ARN internalisé par les spermatozoïdes peuvent contenir à peu près n’importe quelle information génétique, il est possible qu’un nouveau trait phénotypique soit ainsi transmis à la descendance par ce processus16.

Une évolution réversible ?
Un des principaux enseignements de Darwin est de nous montrer qu'une des principales qualités de la vie est son pouvoir d’adaptation aux variations de son environnement dans l'espace et dans le temps.
Il y a plusieurs échelles temporelles dans ces variations environnementales
* Les variations rapides, de l'ordre de la génération, auxquelles les organismes répondent par la plasticité phénotypique. Non héritable celle-ci n'a donc pas d'influence directe dans l'évolution.
* Les variations longues, de l'ordre des temps géologiques. Elles expliquent la macroévolution, et la modification des phénotypes sur des centaines ou milliers de générations.
Cependant il existe également des variations de l'environnement d’échelles de temps intermédiaires, de l'ordre de quelques dizaines de générations. Or la variation génétique ne peut pas répondre à ces variations. En effet, l'impact des mutations génétiques sur l'évolution des phénotypes peut être très long avant de donner des caractères nouveaux, du moins chez les organismes pluricellulaires.
La réponse à ces variations intermédiaires serait cette hérédité épigénétique. L'évolution aurait sélectionné des mécanismes de variation phénotypique rapides, héritables sur quelques générations17
En effet un certain nombre de phénomènes épigénétiques agissent comme des « interrupteurs » moléculaires, modulant l’expression des gènes, et permettant ainsi à l'organisme d'avoir un « panel phénotypique » large afin de s’adapter rapidement à l'environnement. De plus l'avantage de ces mécanismes épigénétiques, assez complexes, par rapport à des mécanismes de modulation transcriptionelle plus simples, serait justement cette hérédité. Ainsi, un premier organisme modifierait au cours de sa vie un ou plusieurs caractères en réponse à l’environnement par « switch » épigénétique induit par un certain nombre de censeurs de l’environnement17. Si cette modification donne un avantage reproductif et qu’il transmet cette variation à ses descendants, ils bénéficieront eux aussi de cet avantage reproductif. Ici il n’y a pas eu modification de la séquence d’ADN. Ainsi, si après quelques générations les conditions abiotiques reviennent à leurs conditions initiales, les descendants pourront rapidement se « réadapter », car ayant déjà potentiellement toute l’information génétique pour cela.
Dans la nature on observe de nombreux cas où les phénotypes ne suivent pas la fréquence de modification qu’ils devraient avoir si l’on tient compte uniquement de l’horloge des mutations génétiques. En effet, il existe des phénotypes qui subissent des variations sur des temps assez courts, de l’ordre de quelques générations, mais aussi très longs (on parle de canalisation)17. Il existerait donc des « échelles de l'évolution » supportées par des mécanismes biologiques différents afin de répondre à des variations de l'environnement d'échelles de temps variées17.
Cette « plasticité héritable » représente donc un enjeu fondamental pour la compréhension de l'évolution - particulièrement dans la période actuelle où les organismes doivent faire face à une pression de sélection très forte, en grande partie due à l’homme - mais aussi pour comprendre comment les populations naturelles vont s’adapter aux modifications climatiques.

Notes et références
1. ↑ Duhamel du Monceau ne croit pas que les caractères acquis soient héréditaires : « Supposons qu'un père bien fait et qui a eu des enfants qui lui ressemblent, ait perdu par accident une jambe, croit-on que les enfants qu'il aura par la suite naîtront estropiés ? » Cf. Bruno DuPont De Dinechin, Duhamel du Monceau : un savant exemplaire au siècle des Lumières, Connaissance et mémoires européennes, 1999, p. 192.
2. ↑ Remy J.J. Stable inheritance of an acquired behavior in Caenorhabditis elegans. Current Biology 2010, 20:R877-8.
3. ↑ Greer E, Maures T, Ucar D, et coll. Transgenerational epigenetic inheritance of longevity in Caenorhabditis elegans. Nature 2011, 479:365-71.
4. ↑ Une hérédité des caractères acquis? [archive], présentation de l'épigénétique par Jean-Claude Ameisen sur France inter, dans son émission Sur les épaules de Darwin du samedi 13 septembre 2014.
5. ↑ Cf. André Pichot, Histoire de la notion de vie, éd. Gallimard, coll. TEL, 1993.
6. ↑ Weismann, La prétendue transmission héréditaire des mutilations. Essais, 1892, p. 441.
7. ↑ Cf. André Pichot, Histoire de la notion de gène, éd. Flammarion, coll. « Champs », 1999, p. 254.
8. ↑ Travaux qui n'ont fait l'objet depuis d'aucune vérification expérimentale, voir Arthur Koestler, L'étreinte du crapaud, 1977.
9. ↑ Article paru dans Le Monde 28.12.02 de Hervé Morin. D’après les études de Marcus Pembrey, professeur de génétique clinique de l'Institute of Child Health à Londres, en collaboration avec le chercheur Bygren Lars Olov
10. ↑ Revenir plus haut en : 
a et b Grandjean, V., Rassoulzadegan, M. Épigénétique du spermatozoïde : un rôle inattendu de l’ARN Quarantième Journée thématique de la SFEF (Paris, 25 mars 2009)
11. ↑ J. Molinier, G. Ries, C. Zipfel et B. Hohn, « Transgeneration memory of stress in plants », Nature no 442, 2006, p. 1046-1049, version en ligne [archive], DOI 10.1038/nature05022.
12. ↑ Facteur de 10.5 "Exceptional", voir la notice sur Faculty of 1000 biology [archive]
13. ↑ Revenir plus haut en : 
a b et c Bond, D. M. and Finnegan, E. J. Passing the message on: inheritance of epigenetic traits. TRENDS in Plant Science, 12 (5), p. 211-216 (2007)
14. ↑ M. Rassoulzadegan, V. Grandjean, P. Gounon, S. Vincent, I. Gillot et F. Cuzin, « RNA-mediated non-mendelian inheritance of an epigenetic change in the mouse », Nature no 441, 2006, p. 469-474.
15. ↑ M. Alleman, M.L. Sidorenko, K. McGinnis, V. Seshadri, J.E. Dorweiler, J. White, K. Sikkink et V.L. Chandler, « An RNA-dependent RNA polymerase is required for paramutation in maize », Nature no 442, 2006, p. 295-298.
16. ↑ I. Sciamanna, P. Vitullo, A. Curatolo et C. Spadafora, « Retrotransposons, reverse transcriptase and the genesis of new genetic information » Gene, en presse, (2009), doi:10.1016/j.gene.2009.07.011.
17. ↑ Revenir plus haut en : 
a b c et d Rando, O.J., Verstrepen, K.J. Timescale of genetic and epigenetic heritance, Cel,l 128, p. 655–668 (2007)

 

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