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MANIPULER UN PHOTON ... |
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« Nous rêvions de manipuler un photon sans le détruire »
prix nobel - par Propos recueillis par Denis Delbecq dans mensuel n°471 daté janvier 2013 à la page 92 (1896 mots) | Gratuit
Le Français Serge Haroche a partagé le prix Nobel de physique avec l'Américain David Wineland. Ils ont tous deux développé des moyens de mesurer des systèmes quantiques simples pour ausculter les propriétés fondamentales de la lumière et de la matière.
LA RECHERCHE :Vous partagez cette année le prix Nobel de physique avec votre confrère américain David Wineland. Quels sont les points communs entre vos travaux ?
SERGE HAROCHE : Nos deux groupes travaillent dans le domaine que l'on appelle l'optique quantique, qui étudie les propriétés fondamentales des atomes et de la lumière en interaction. Avec Jean-Michel Raimond et Michel Brune, nous enfermons des photons, des grains de lumière, dans une boîte quantique. C'est-à-dire une cavité de quelques centimètres qui est recouverte de miroirs entre lesquels les photons rebondissent. Et nous nous servons d'atomes pour les observer. De son côté, le groupe de David Wineland piège des ions - des atomes débarrassés d'un électron -, et les sonde avec des particules de lumière. Nous travaillons donc des deux côtés d'un même miroir, pour ausculter les propriétés fondamentales de la lumière et de la matière, et étudier la manière dont on passe de l'échelle quantique à l'échelle macroscopique, celle de notre environnement quotidien, dont les propriétés sont très différentes. C'est notre capacité à manipuler sans les détruire des particules uniques, ions ou photons, que le Comité Nobel a choisie cette année de récompenser.
À quand remontent vos recherches primées cette année ?
S.H. Elles correspondent à deux étapes clés. La première remonte au milieu des années 1990 : nous avons réussi à l'époque à observer ce qu'on appelle la décohérence, le phénomène de disparition des effets quantiques provoquée par les interactions des systèmes quantiques microscopiques avec le monde macroscopique. La seconde, dix ans plus tard, nous a conduits à observer pour la première fois des photons sans les détruire. Mais le point de départ est le développement des lasers dans les années 1960. David Wineland et moi avons eu la chance de faire notre doctorat à cette époque extraordinaire. Grâce à ces sources de lumière, nous avons appris à manipuler et à sonder la matière avec une précision et une sensibilité inédites. Dans les années 1970, je me suis intéressé à des atomes d'un type particulier, dits de Rydberg. Quand un atome se trouve dans son état fondamental, les électrons les plus éloignés se trouvent à une distance d'environ 0,1 nanomètre du noyau. Dans un atome de Rydberg, souvent de rubidium, préparé à l'aide de champs électromagnétiques, on a amené le dernier électron sur une orbite située à une distance mille fois plus grande. Cet électron périphérique est alors très sensible à d'infimes perturbations électromagnétiques dans le domaine des micro-ondes. En quelque sorte, l'atome de Rydberg se comporte comme une antenne d'une extrême sensibilité. C'est l'espoir de parvenir à enfermer un photon dans une boîte et de le faire interagir avec un atome de Rydberg qui nous a guidés depuis plus de trente ans.
Quel a été le premier apport de ces boîtes quantiques, qui sont au coeur de toutes vos recherches ?
S.H. En 1935, Erwin Schrödinger avait proposé une expérience de pensée pour illustrer la manière dont un système quantique peut être couplé avec le monde macroscopique. Il avait imaginé, par provocation, de lier le destin d'un chat enfermé dans une boîte fictive, totalement isolée du monde extérieur, à celui d'un atome excité qui, quand il perd de l'énergie, casse une ampoule de poison qui tue l'animal. De cette manière, quand l'atome est excité, le chat est vivant, et quand il ne l'est plus, le chat est mort. C'est ce que l'on appelle l'intrication : le chat et l'atome ne peuvent plus être décrits séparément, ils sont deux facettes d'un même système couplé. À notre échelle, macroscopique, tout dispositif est dans un état bien défini, un chat est donc vivant ou mort. Mais à l'échelle quantique, les particules sont dans une superposition d'états possibles ; l'atome est excité et non excité. Le chat de Schrödinger est donc vivant et mort à la fois, du moins tant que le phénomène de décohérence ne détruit pas l'intrication.
Au milieu des années 1990, nous avons pu réaliser cette expérience du chat, en enfermant dans notre boîte quantique un champ constitué de quelques photons qui étaient intriqués avec un atome de Rydberg. David Wineland a fait la même chose avec quelques ions piégés. Nos deux groupes ont aussi observé un signal caractéristique de la décohérence qui détruit les superpositions d'état d'autant plus vite que ces « ersatz » de chat de Schrödinger contiennent plus de particules.
En 2005, vous réussissez une prouesse : observer un photon sans le détruire. Racontez-nous ces dix ans d'efforts.
S.H. Le photon pose un problème en physique quantique : quand un détecteur le voit, c'est parce qu'il l'a absorbé ; la mesure est donc destructrice. Dès le début des années 1990, nous avions imaginé, avec Jean-Michel Raimond, Michel Brune et des collègues théoriciens brésiliens, Luiz Davidovich et Nicim Zagury, de faire interagir des photons et des atomes de Rydberg de manière si subtile que les grains de lumière ne seraient pas détruits. Mais il fallait pour cela que le photon survive assez longtemps avant d'être absorbé par les miroirs en niobium de notre boîte quantique, matériau choisi pour ses propriétés dans le domaine des micro-ondes. Il fallait prolonger la survie du photon bien au-delà de la centaine de microsecondes, la durée qu'on obtenait à l'époque. La solution est venue d'une collaboration avec un laboratoire du CEA, qui a proposé de fabriquer des miroirs en cuivre, plus faciles à usiner pour obtenir un état de surface quasi parfait, et recouverts ensuite de niobium. Un jour de 2006, Michel Brune est entré dans mon bureau avec une boîte capable de garder les photons, en moyenne, pendant 130 millisecondes. Soit deux milliards de rebonds entre les miroirs ! C'était au-delà de nos espérances, et nous avons pu cette année-là observer pour la première fois un photon sans le détruire, et même compter les photons - jusqu'à 7 - quand ils sont plusieurs en même temps dans la cavité. Nous avons pu également observer la disparition soudaine des photons lorsqu'ils sont absorbés dans les parois de notre boîte, qui se produit sous forme de saut quantique, à un instant restant par essence aléatoire. Dès qu'un événement survient, nous pouvons à présent le détecter immédiatement, et le compenser à volonté en rétablissant le nombre de photons initial.
Voulez-vous dire qu'on sait contrôler la quantité de photons à une unité près, comme on régule la température d'une pièce avec un thermostat ?
S.H. C'est exactement ça. Nous savons maintenir jusqu'à 7 photons dans une cavité, de manière indéfinie. Chaque fois que l'un d'entre eux disparaît ou apparaît, nous en sommes avertis et pouvons en introduire un nouveau pour le remplacer, ou en retirer un. La différence avec un régulateur à l'échelle macroscopique - et c'est toute la complexité de ces expériences -, c'est que chaque observation perturbe le système, même si elle ne détruit pas les photons. Il faut donc tenir compte de cette perturbation dans le système de rétroaction. Tout cela n'est possible que parce qu'on dispose d'ordinateurs capables de gérer de grandes quantités de données en temps réel. Ils nous ont aussi permis, en 2008, de réaliser un véritable film qui montre la décohérence à l'oeuvre dans un petit système quantique.
La capacité à créer, observer, conserver et effacer des atomes ou des photons à l'unité près a-t-elle des retombées concrètes ?
S.H. Longtemps, il s'agissait surtout d'étudier des concepts, comme le chat de Schrödinger. Mais au fil des progrès, des applications sont apparues que personne ne soupçonnait. David Wineland a ainsi pu construire une horloge cent fois plus précise que les horloges à césium les plus performantes à ce jour : elle ne dérive que d'une demi-douzaine de secondes en 13 milliards d'années, l'équivalent de l'âge de l'Univers. C'est un instrument qui fera progresser l'étude de la gravitation et de la relativité.
L'optique quantique a également engendré une discipline nouvelle, l'information quantique, avec des applications concrètes, telle la cryptographie, et l'espoir de construire un ordinateur quantique : si on savait conserver assez longtemps un système quantique formé de centaines ou de milliers d'atomes placés chacun dans leur propre superposition d'états, nous disposerions d'une puissance fantastique pour certains calculs, comme la factorisation de grands nombres. Nous en sommes très loin aujourd'hui, car la décohérence est d'autant plus gênante que le nombre d'éléments quantiques est important. C'est là que le savoir-faire que nous avons développé sur la régulation du nombre de photons dans une boîte quantique peut donner des idées pour l'avenir.
L'ordinateur quantique n'est donc plus un fantasme ?
S.H. Je reste un peu sceptique, en particulier sur la capacité à réaliser ce que les Anglo-Saxons appellent la scalability. C'est une propriété essentielle qui consiste, une fois qu'on dispose d'un circuit élémentaire et fonctionnel, à en augmenter le nombre pour obtenir un fonctionnement à grande échelle. Tout comme on assemble des transistors pour faire des puces. Il y a des pistes, comme ce qu'on appelle l'électrodynamique quantique de circuits. Au lieu d'utiliser des ions ou des photons, on crée des atomes artificiels très simples, avec seulement deux niveaux d'énergie ; ils se présentent sous la forme de circuits minuscules qu'on assemble pour réaliser des expériences. Il y a dix ans, cette discipline était dans les limbes, très loin de ce qu'on faisait avec des ions ou des photons. Aujourd'hui, le retard de ces atomes artificiels sur les atomes réels est comblé. Mais la décohérence reste un énorme obstacle. Je pense qu'il manque encore une idée radicale qui viendra probablement d'un autre domaine, sans qu'on sache lequel. Quand le laser a été inventé, personne n'imaginait qu'il puisse révolutionner la communication. Et il y a eu une convergence, presque fortuite, entre les lasers, la fibre optique et les puces informatiques, pour créer nos systèmes de télécommunications.
De la même manière, la résonance magnétique est devenue une technique d'imagerie parce qu'on a découvert les aimants supraconducteurs et que l'informatique a permis de traiter les images. C'est pour cela qu'il faut laisser la recherche fondamentale libre d'aller dans toutes les directions.
Vous étiez l'élève de Claude Cohen-Tannoudji, Nobel en 1997, qui avait été élève d'Alfred Kastler, Nobel en 1966. Comment expliquer cette lignée unique ?
S.H. Cela tient à la particularité d'une structure comme l'École normale supérieure, qui dispose d'un important vivier d'étudiants. Surtout, elle permet aux chercheurs confirmés de continuer à travailler ensemble, en combinant leurs compétences, sans exiger qu'ils aient chacun leur projet indépendant. Tout ce que j'ai réalisé, c'est grâce à ma collaboration avec Jean-Michel Raimond depuis les années 1970, et avec Michel Brune, qui nous a rejoints à la fin des années 1980 et, bien sûr, avec tous les étudiants et postdoctorants qui nous ont accompagnés dans cette aventure. Le travail d'équipe poursuivi dans la confiance sur le long terme a été essentiel à notre succès. C'est exactement ce qui se passe au National Institute of Standard and Technology de Boulder, aux États-Unis, où David Wineland est installé. Sa réussite est, elle aussi, le fruit d'un travail de longue haleine avec un groupe de chercheurs confirmés. La loi du prix Nobel est que l'on distingue le chef du groupe, mais il faut bien comprendre que c'est le travail de toute l'équipe qui est derrière les travaux récompensés. Je suis sûr que David Wineland partage mon sentiment à ce sujet.
Par Propos recueillis par Denis Delbecq
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NEUTRINOS - MÉTAMORPHOSE 2 |
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Les neutrinos en pleine transformation
autre - par Michel Gonin dans mensuel n°460 daté février 2012 à la page 44 (1478 mots) | Gratuit
Les physiciens ont enfin la preuve que les neutrinos peuvent subir une transformation quantique : l'oscillation de saveur. Ce résultat confirme que ces particules ont une masse comme on le soupçonnait depuis longtemps.
Les neutrinos sont extrêmement difficiles à observer. Uniquement soumis à l'interaction nucléaire faible, l'une des quatre forces fondamentales du modèle standard de la physique des particules élémentaires, ils n'interagissent en effet presque jamais avec la matière. Ils contiennent pourtant des informations cruciales sur la composition de l'Univers, et la compréhension de leurs propriétés représente sans doute la clé de voûte du modèle standard de la physique des particules. Une étape importante de l'étude de ces neutrinos a été franchie en 2011 par l'expérience T2K, installée au Japon. Cette collaboration internationale de 500 chercheurs a en effet démontré intégralement l'existence d'un phénomène nommé oscillation quantique de saveur, autrement dit la transformation d'une des trois formes de neutrinos, ou saveurs, en une autre [1] .
À la fin des années 1990, plusieurs expériences de détection de ces particules avaient mis en évidence que des neutrinos « disparaissaient ». Les physiciens en avaient déduit que ceux-ci avaient changé de saveur. Mais ils n'avaient pas détecté l'apparition des neutrinos correspondants. Il subsistait un doute, qui vient d'être écarté par les résultats de T2K : les physiciens ont observé les deux phénomènes, disparition puis réapparition de certains neutrinos sous une autre saveur. L'existence de l'oscillation est donc définitivement prouvée.
Trois saveurs
L'existence des neutrinos a été postulée en 1930 par le physicien autrichien Wolfgang Pauli. Cette particule, indétectable à l'époque, permettait que soit respecté le principe de la conservation de l'énergie dans les phénomènes de désintégration bêta * des noyaux atomiques, par exemple lorsqu'un neutron se désintègre en proton. Son collègue italien Enrico Fermi les a aussitôt baptisés « neutrinos », littéralement les « petits neutres », car minuscules et de charge électrique nulle.
Les neutrinos existent sous trois saveurs : électronique, muonique et tauique. Chacune traduit une identité quantique qui différencie les neutrinos entre eux. Le neutrino électronique accompagne la production des électrons dans la radioactivité bêta. C'est la première saveur à avoir été détectée expérimentalement, en 1956 aux États-Unis, au voisinage d'un réacteur nucléaire producteur de neutrinos [2] . Cette détection prouvait que l'hypothèse de Pauli était juste.
Le neutrino muonique est créé notamment lors de la désintégration d'un muon, une particule élémentaire apparentée à l'électron, de même charge mais plus lourde. Cette saveur a été découverte en 1962 au laboratoire Brookaven près de New York [3] .
La troisième saveur, le neutrino tauique, a été identifiée au Fermilab à Chicago en 2001 [4] . Elle est associée à la particule tau, une autre particule proche de l'électron et du muon, et encore plus lourde. Il a donc fallu aux expérimentateurs plus de 70 ans pour attraper dans leurs filets les trois saveurs de neutrinos !
Une fois les neutrinos détectés, des physiciens ont voulu déterminer s'ils avaient une masse. La plupart d'entre eux pensaient que non, au vu des expériences précédentes qui avaient fixé des limites supérieures très faibles. La théorie favorisait l'hypothèse d'une masse nulle, mais ne permettait pas de la calculer pour vérifier. Seules des expériences pouvaient permettre de trancher.
Dans le monde quantique, pas question de peser directement les particules. Leurs états sont souvent instables, et ont une durée de vie finie. Chaque particule n'a pas une masse déterminée, mais une distribution continue de masses, centrée autour d'une valeur moyenne et donnée par des lois probabilistes.
Pour la plupart des particules, ces instabilités conduisent à une désintégration, irréversible. Mais pour les neutrinos, la théorie indiquait que, s'ils avaient effectivement une masse, cela conduirait à des phénomènes réversibles à l'infini nommés « oscillations de saveur ». Ainsi, un neutrino électronique se transformerait en neutrino muonique ou tauique, avec la possibilité de revenir ultérieurement dans son état initial.
La théorie quantique indique plus précisément que chaque état physique de saveur pour les neutrinos est un mélange de trois états de masse. Leur proportion relative est déterminée par des coefficients, nommés « angles de mélange », dont la théorie ne permet pas de calculer les valeurs. Cette proportion détermine la valeur moyenne de la masse pour chaque saveur et la probabilité qu'a une oscillation de se produire.
Observer les oscillations
Au contraire, si les neutrinos n'avaient pas de masse, comme les photons, les lois de la relativité restreinte indiquaient que le temps n'existait pas pour ces particules. Pas question donc qu'ils subissent des oscillations de saveur. Ainsi, pour démontrer que les neutrinos avaient une masse, il suffisait d'observer ces oscillations.
Mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Dès les années 1960, des pionniers ont traqué des disparitions de neutrinos électroniques ou muoniques. Ces particules sont constamment produites dans notre Univers, et en quantités impressionnantes. La fusion à l'intérieur du Soleil, les fissions des noyaux dans les réacteurs nucléaires ou encore la radioactivité naturelle de la croûte terrestre nous soumettent en permanence à des flux intenses de ces particules, flux que l'on peut souvent modéliser.
Il a fallu attendre 1998 pour que ces expériences de première génération arrivent à la conclusion définitive qu'il manquait des neutrinos de certaines saveurs dans ces flux. L'explication la plus probable était qu'ils avaient changé de saveur : on avait, semble-t-il, observé des oscillations. Les physiciens pensaient détenir ainsi la preuve que les neutrinos avaient une masse. Celle-ci était très faible : au moins 100 000 fois inférieure à celle de l'électron. Ces expériences leur permirent aussi de mesurer deux des trois angles de mélange : environ 45 et 32 degrés.
À partir des années 2000, les physiciens des hautes énergies ont imaginé des expériences d'oscillation de neutrinos de deuxième génération, plus précises. Pour certaines d'entre elles, les neutrinos sont produits par des accélérateurs de particules, dans un flux parfaitement maîtrisé. Grâce à cette innovation technologique, combinée aux connaissances issues des expériences de la fin du XXe siècle, les physiciens savaient aussi à quelles distances des sources placer les détecteurs et quelles gammes d'énergie sélectionner pour observer disparitions et apparitions avec une plus grande probabilité. Les détecteurs de deuxième génération sont également capables de détecter deux saveurs de neutrinos, une caractéristique nécessaire pour observer l'apparition des nouvelles saveurs.
T2K fait partie de cette nouvelle famille d'expériences. Un accélérateur de particules, situé dans le laboratoire J-PARC, sur la côte est du Japon, bombarde de protons une cible de graphite. Ces collisions produisent des particules instables. Celles-ci se désintègrent ensuite en émettant des muons et des neutrinos muoniques. Un filtre placé 100 mètres après la cible piège les protons et les muons, seuls les neutrinos poursuivent leur course.
Super-Kamiokande
À 280 mètres de la cible, ceux-ci traversent un détecteur qui contrôle précisément la direction du flux et la saveur des neutrinos émis. Tous les neutrinos continuent ensuite leur course à travers l'écorce terrestre, sans interagir avec la matière. Et 295 kilomètres plus loin, ils traversent un second détecteur, Super-Kamiokande. Cette distance de 295 kilomètres n'a pas été choisie par hasard : les neutrinos produits dans le laboratoire J-PARC oscillent avec une plus grande probabilité au bout d'une milliseconde, le temps qu'il leur faut pour parcourir cette distance compte tenu de leur vitesse, très légèrement inférieure à celle de la lumière.
Super-Kamiokande est constitué d'un cylindre de 40 mètres de haut et de 40 mètres de diamètre, rempli de 50 000 tonnes d'eau. Il est tapissé de dizaines de milliers de photomultiplicateurs qui enregistrent un flash lumineux « Tcherenkov », émis lorsqu'un neutrino muonique ou électronique interagit avec le noyau d'un atome d'une molécule d'eau. Les caractéristiques du flash permettent de déterminer la saveur du neutrino. Un système de synchronisation des horloges par GPS permet de s'assurer que les neutrinos détectés sont bien ceux émis à J-PARC.
Durant la période de collecte des données, de janvier 2010 à mars 2011, Super-Kamiokande a enregistré un total de 88 neutrinos, parmi lesquels 6 neutrinos électroniques qui proviendraient de la métamorphose de neutrinos muoniques. Les 82 neutrinos restants sont des neutrinos muoniques n'ayant subi aucune transformation entre leur production et leur détection. Les physiciens ont calculé que les résultats obtenus sont fiables à 99,3 %. Ces observations prouvent définitivement que les neutrinos ont une masse. Elles ont aussi permis de mesurer une valeur approximative de 8 degrés pour le dernier angle de mélange.
Ces résultats ont été publiés en juillet dernier. L'expérience Minos aux États-Unis a annoncé quelques semaines après un résultat similaire, bien que moins précis. Une autre oscillation, celle d'un neutrino muonique se transformant en neutrino tauique, a aussi été rapportée par l'expérience Opera du CERN. Mises à l'arrêt le 11 mars 2011, après le séisme du Japon, les installations de l'expérience T2K n'ont subi que des dégâts minimes. Elles doivent être remises en service en janvier 2012. Les résultats conjugués de T2K et d'autres expériences à travers le monde laissent entrevoir une mesure précise et rapide du dernier angle de mélange des oscillations, et donc leur caractérisation complète.
Par Michel Gonin
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LE TÉLESCOPE "ANTARES" |
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Paris, 27 mars 2006
Naissance d'un télescope au fond de la Méditerranée : Le télescope Antares ouvre les yeux vers le ciel
La première ligne de détection du télescope à neutrinos Antares, immergée à 2 500 mètres de profondeur, a été reliée par le robot téléopéré Victor 6000 de l'Ifremer à la station à terre de La Seyne-sur-Mer (Var), le jeudi 2 mars à 12 h 11. Quelques heures plus tard, Antares ouvrait pour la première fois ses yeux vers le ciel et détectait ses premiers muons (1). Cette liaison marque la naissance effective du détecteur Antares, le premier télescope à neutrinos de haute énergie en mer profonde dans l'hémisphère nord. Cet évènement récompense une décennie d'efforts d'une vingtaine de laboratoires européens (2), parmi lesquels le CEA/Dapnia et des laboratoires du CNRS/IN2P3, instigateurs (3) du projet en 1996.
Le télescope Antares (4) est un détecteur de neutrinos qui a deux objectifs majeurs : l'astronomie de haute énergie et la recherche de la matière noire (voir encadré ci-dessous).
Les neutrinos interagissent très peu avec la matière. Leur détection est donc un défi qu'il n'est possible de relever qu'avec d'immenses détecteurs, protégés du rayonnement cosmique qui bombarde constamment tout site terrestre et représente un important et continu bruit de fond. Installé au large de Toulon (Var), Antares est protégé de ce rayonnement par le blindage naturel des 2 500 mètres de hauteur d'eau de mer. Des photodétecteurs, les yeux d'Antares, utilisent un grand volume d'eau de mer pour observer le sillage très faiblement lumineux produit par les muons « montants ». Ces derniers résultent de l'interaction avec la croûte terrestre des neutrinos ayant traversé la Terre. Cette observation est rendue possible grâce à l'obscurité totale qui règne à ces profondeurs abyssales. Antares observe donc le ciel de l'hémisphère sud au travers du globe terrestre, incluant le centre galactique, siège de phénomènes énergétiques intenses.
Les photodétecteurs se répartissent par groupe de trois le long de câbles ombilicaux de 450 mètres de haut, destinés au transport des signaux et de l'énergie. Au total, 900 « yeux » répartis sur 12 lignes scruteront l'Univers d'ici à fin 2007, occupant une surface d'environ 200 m x 200 m au sol. Chaque ligne est reliée à une boîte de jonction à partir de laquelle s'étire un câble électro-optique de 40 kilomètres qui aboutit à la station à terre de l'institut Michel Pacha, à La Seyne-sur-Mer. Le déploiement du télescope Antares bénéficie de la logistique et de l'expertise de l'Ifremer.
En outre, Antares constitue une infrastructure scientifique sous-marine multidisciplinaire permanente qui enregistre différentes données : océanographiques - incluant l'observation du milieu marin en mer profonde ainsi que les phénomènes de bioluminescence - et géophysiques. Ainsi un sismographe y enregistre les secousses de la planète depuis un an.
Antares a pour objectif l'observation de phénomènes cosmiques de haute énergie. Ces dernières décennies, l'astronomie a permis de découvrir de nombreux objets, dont certains sont le siège de phénomènes cataclysmiques, émetteurs de photons, de particules chargées et de neutrinos de très haute énergie. Cependant les photons sont absorbés par la matière, ce qui limite la profondeur d'espace pouvant être observé, et les particules chargées d'énergie pas trop élevée sont déviées par les champs magnétiques galactiques et extragalactiques, ce qui rend l'observation des sources ponctuelles, et donc l'astronomie, très difficile. En revanche, les neutrinos cosmiques sont des particules élémentaires qui interagissent faiblement avec la matière. Ils parcourent donc de longues distances dans l'Univers sans être absorbés par les milieux intergalactiques, se propageant en ligne droite depuis le cœur des accélérateurs cosmiques sans être déviés. Ils permettent ainsi de sonder l'univers lointain et d'étudier les sources à l'origine des rayonnements cosmiques de très haute énergie.
Antares pourrait également observer des neutrinos de plus basse énergie issus de l'accumulation de matière noire au centre de la Terre, du Soleil ou de notre galaxie. Mis en évidence il y a 70 ans, le problème de la matière noire constitue aujourd'hui une des questions majeures de la cosmologie. Nous ignorons encore ce qui compose 95 % de notre Univers ! La nature de la matière et de l'énergie manquante est complètement inconnue, mais pourrait être en partie constituée d'une particule élémentaire massive appelée wimp (weakly interacting massive particle), ou encore « particule lourde interagissant faiblement avec la matière ». La théorie physique dite de la « supersymétrie » en prédit l'existence, encore non vérifiée. Ces particules s'accumuleraient au centre d'objets massifs comme la Terre, le Soleil… Étant à la fois particule et anti-particule, les wimps finiraient par s'annihiler en produisant une bouffée d'énergie et de particules, dont des neutrinos.
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OSCILLATION DES NEUTRINOS |
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Thomas Patzak : « L'oscillation des neutrinos confirmée »
matière - par Propos recueillis par Franck Daninos dans mensuel n°398 daté juin 2006 à la page 10 (561 mots) | Gratuit
Les neutrinos sont des particules que l'on trouve en abondance dans l'Univers, mais leur nature physique est encore mal comprise. L'existence d'un phénomène permettant à ces « particules fantômes » de se transformer d'un type de neutrino à un autre vient d'être confirmée [1].
Qu'est-ce qu'un neutrino ?
Thomas Patzak : C'est une particule élémentaire. Elle est partie intégrante de ce qu'on appelle le Modèle standard de la physique des particules, une théorie qui décrit les briques élémentaires de la matière, ainsi que les forces qui régissent leurs interactions [2] . Il en existe trois types : les neutrinos « électroniques », « muoniques » et « tauiques ». Le premier a été identifié en 1956, le deuxième en 1962, et le troisième en 2000. Les neutrinos sont si difficiles à détecter qu'on les a surnommés « particules fantômes ». Car ce sont les seules particules qui interagissent avec la matière uniquement par le biais de l'« interaction faible », l'une des quatre forces fondamentales. Les physiciens ont longtemps pensé que ces neutrinos n'avaient pas de masse. Jusqu'à l'expérience « SuperKamiokande », réalisée en 1999, au Japon. Une cuve remplie de 50 000 tonnes d'eau avait été aménagée afin de détecter les neutrinos muoniques traversant l'espace. Cette recherche était possible car les neutrinos interagissent avec l'atmosphère avant de frapper la Terre. Un déficit de ces particules a alors été mesuré, la preuve, selon les physiciens japonais, que les neutrinos se transforment ou « oscillent » d'une famille en une autre. Or, ce phénomène ne peut se produire que si les neutrinos ont une masse.
Quelles ont été les conséquences de ce résultat ?
Dans le cadre du Modèle standard, les neutrinos n'ont pas de masse : prouver le contraire constitue une indication forte de l'existence d'une physique se situant « au-delà » du Modèle standard. Le phénomène d'oscillation serait également lié à d'autres grandes questions que se posent les physiciens, comme la façon dont les particules acquièrent une masse, ou la disparition de l'antimatière dans l'Univers primordial. Ils cherchent à expliquer cette disparition en montrant notamment qu'à cause du phénomène d'oscillation la formation de neutrinos aux premiers instants de l'Univers a été plus forte que celle de leurs équivalents d'antimatière. Cependant, les résultats obtenus en 1999 peuvent être interprétés par des modèles qui ne prennent pas en compte cette oscillation. En outre, l'incertitude inhérente aux mesures des neutrinos atmosphériques était de l'ordre de 25 %. Il fallait donc une expérience supplémentaire pour conclure sur cette question de la masse des neutrinos. Cela a été apporté par l'expérience « Minos ».
En quoi consiste-t-elle ?
Un faisceau de neutrinos muoniques a été produit dans un accélérateur de particules du laboratoire Fermilab, près de Chicago. Des instruments permettent de caractériser très précisément cette source de neutrinos. Ensuite, le faisceau a été envoyé vers Minos, un détecteur installé dans une ancienne mine, 730 kilomètres plus au nord. Quatre-vingt-douze neutrinos ont été détectés sur les 177 présents à la source. La différence correspond aux neutrinos qui se sont transformés en neutrinos tauiques. Ces résultats sont encore préliminaires, mais la marge d'erreur est déjà bien en deçà des normes utilisées pour valider un résultat. À présent, on peut affirmer avec une grande certitude que le phénomène d'oscillation existe, et que les neutrinos ont bel et bien une masse. Dans les années à venir, Minos s'efforcera de mesurer avec précision les paramètres de l'oscillation.
Par Propos recueillis par Franck Daninos
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