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JULES CÉSAR

 

Jules César
en latin Caius Julius Caesar
Jules César
Cet article fait partie du dossier consacré à la Rome antique.
Jules César
Homme d'État romain (Rome 100 ou 101-Rome 44 avant J.-C.).
1. Le contexte : Rome au ier siècle avant J.-C.

Durant le ier siècle avant J.-C., Rome est entraînée dans de nouvelles conquêtes par des généraux ambitieux : Marius, après lui, Sulla reconquiert la Grèce et l'Asie Mineure (88-85 avant J.-C.), Pompée qui constitue la province de Syrie et occupe la Judée. Les conséquences de ces conquêtes, sur les plans économique et social, ne sont pas négligeables.
→ empire séleucide.
1.1. Une économie bouleversée

Ces conquêtes ont provoqué une véritable révolution économique, enrichissant les uns, appauvrissant les autres. Le butin, les indemnités de guerre, les tributs payés par les provinces enrichissent l'État, mais aussi des particuliers. Les membres de la classe sénatoriale accaparent les terres que l'État s'est réservées lors des conquêtes (l'ager publicus, domaine public), les chevaliers s'occupent de l'exploitation des biens publics (d'où leur nom de « publicains ») ou se livrent à des activités bancaires et commerciales. Ces gens riches utilisent de plus en plus d'esclaves, dont la condition malheureuse entraîne des révoltes (→ Spartacus, 73-71 avant J.-C.).
1.2. La révolte des territoires soumis

Sur le plan politique, les conquêtes posent des problèmes que le gouvernement de la république n'a pas pu résoudre. Les territoires soumis, transformés en provinces, ont été exploités par leurs gouverneurs bien plus qu'administrés. Les provinciaux sont mécontents. Les Italiens souhaitent l'égalité avec les citoyens romains. Les chevaliers veulent accéder aux honneurs comme les sénateurs. Les vieilles institutions, faites pour l'administration d'une ville, ne sont pas à la mesure d'un vaste empire. Des crises éclatent et des hommes tentent d'imposer leurs solutions. Souvent, ils s'appuient sur une armée solide.
1.3. Sulla

Gouvernant par la terreur les proscriptions, Sulla règle en 90-89 la question italienne en ne se contentant pas de briser par la force la révolte des alliés italiens (→ guerre sociale, 91-89), mais en supprimant la cause principale de leur révolte par l'octroi de la citoyenneté romaine à tous les Italiens (lex Julia de civitate, 90 avant J.-C. Sulla veut également rétablir le sénat dans ses anciens droits ; toutefois, son œuvre de restauration sénatoriale ne lui survivra pas.
2. Origines et ascension politique de Jules César

Patricien portant les effigies de ses ancêtresPatricien portant les effigies de ses ancêtres
Caius Iulius Caesar appartenait à la famille patricienne (→ patriciat) des Iulii, qui, par homonymie, prétendait remonter à Iule, le fils du légendaire héros Énée, et, par ces intermédiaires, à la mère de ce dernier, à Vénus elle-même.
Il était en rapport avec le parti démocrate par sa tante paternelle, qui avait épousé le général Marius, et par sa femme Cornelia, fille de Cinna.
SullaSulla
En 82 avant J.-C., le chef du parti aristocratique, Sulla, instaure sa dictature. Jules César, sommé de répudier Cornelia, refuse et, poursuivi par la haine de Sulla, doit se cacher puis s'éloigner de Rome. Il perd sa préture (charge de magistrat), la dot de Cornelia et la plus grande partie de ses héritages. Contraint de s'exiler, il prend part à des opérations militaires en Asie mineure, se distingue au siège de Mytilène en Grèce, puis en Cilicie (sud-est de l'actuelle Turquie), dans la lutte contre les pirates.
À la mort de Sulla (78 avant J.-C.), César réapparaît à Rome, où il amorce sa carrière politique. Il a 22 ans.
2.1. Du pontife au sénateur

César commence par accuser publiquement des gouverneurs partisans de Sulla. C'est l'occasion de faire connaître la qualité de son éloquence et de se mesurer aux plus illustres avocats. Il part ensuite pour Rhodes afin de perfectionner son talent auprès du célèbre rhéteur Molon et aussi dans le dessein de fuir temporairement certaines inimitiés qu'il a suscitées à Rome. En cours de route, il est pris par des pirates, à qui il verse une plus forte rançon que celle qu'ils demandaient, mais sur lesquels il se venge peu après.
L'ambition incarnée
En 73 avant J.-C., il rentre à Rome, où, en son absence, on l'a nommé pontife (membre le plus important du collège sacerdotal). Il entreprend alors résolument de gravir la carrière des honneurs (→ cursus honorum), ce qu'il exécute à la manière d'une opération commerciale : très dépensier et endetté, il est en effet poussé par la nécessité de disposer des capitaux qui permettent de flatter le corps électoral ; il s'attache à l'entourage de Licinius Crassus, réputé l'homme le plus riche de Rome.
En 68 avant J.-C., il est nommé questeur (magistrat surtout chargé de fonctions financières) et exerce ses fonctions en Espagne Ultérieure (Sud-Ouest de l'Espagne). Si l'on en croit les anecdotes, il manifeste déjà, en paroles, sa grande ambition. Traversant une localité perdue, il avoue qu'il préfère être le premier dans un village que le second à Rome. Au pied d'une statue d'Alexandre, il gémit de n'avoir encore rien fait, alors qu'à son âge Alexandre avait conquis le monde.

Rome, le Forum
Sénateur en 67 avant J.-C., c'est en tant que défenseur du parti populaire que César a l'occasion de soutenir Pompée, issu à l'origine de l'ordre équestre des chevaliers. Édile (magistrat chargé de l'administration municipale) en 65 avant J.-C., il fait remettre en place sur le Capitole la statue de Marius et surtout assure sa popularité en donnant de grands jeux et en travaillant à la décoration du Forum.
Au cœur des intrigues du pouvoir
Au même moment, César trempe dans un complot qui doit porter Crassus à la dictature et qui échoue. Il semble avoir pris la précaution de ne point trop se compromettre. De même, lors de la conjuration de Catilina, il est au nombre des sympathisants, prêt, si le coup réussit, à en profiter. Il vient d'être élu grand pontife (chef de la religion romaine), en 63 avant J.-C., quand on juge les complices de Catilina. Son autorité lui permet d'obtenir la clémence de leurs juges. Il se sent toutefois mal à l'aise. Préteur (magistrat rendant la justice) en 62 avant J.-C., il s'en prend à ceux qui l'ont compromis.
À ce moment, César répudie sa femme, Pompeia (il était veuf de Cornelia), qui le trompe avec le célèbre démagogue et agitateur Publius Appius, futur Clodius. Il réussit en même temps à éviter de compromettre celui-ci en prétendant qu'il divorce parce que « la femme de César ne doit pas même être soupçonnée », l'un de ses mots fameux.
2.2. Jules César consul

Propréteur (préteur délégué en province) en Espagne Ultérieure (61 avant J.-C.), César accomplit quelques opérations militaires sur les côtes et dans la montagne, de manière à revenir très vite à Rome mais riche de butin et pourvu du prestige du général victorieux. Pompée était revenu d'Orient en général vainqueur, dix-huit mois plus tôt, sans réussir à exploiter sa gloire.
César, au contraire, se met rapidement d'accord avec les deux rivaux du moment, Pompée et Crassus, pour former ce que l'on a appelé le premier triumvirat, qui n'est qu'une association d'ambitieux. Fort de cet appui, il se fait élire consul quelques semaines après son retour d'Espagne (août 60 avant J.-C.).
Un législateur actif
Rome sous la RépubliqueRome sous la République
César est très actif. Sans illusions sur l'attitude du sénat et du tribunat de la plèbe, il opère en force et viole les règles qui le gênent.
Si certaines des lois qu'il fait voter vont dans le sens de son intérêt personnel, d'autres sont d'une réelle utilité pour le peuple romain. Parmi celles-ci, une importante loi sur la concussion et une autre sur l'administration des provinces vont lui assurer la sympathie des peuples soumis. Il accorde aux publicains (chargés de percevoir les impôts) une remise sur les sommes dues au titre des impôts qui leur sont affermés (donnés à bail). Il demande et obtient la ratification des actes de Pompée en Orient, ratification que Pompée lui-même s'était vu refuser à son retour. Une loi agraire distribue des terres d'Italie aux vétérans de Pompée et à la plèbe (les citoyens les plus pauvres) de Rome. Une autre étend ces dispositions à la Campanie.
Les comptes rendus des séances du sénat seront désormais affichés. Enfin, et c'est là l'une des premières manifestations d'un intérêt particulier de César pour l'Égypte, il fait conférer au roi Ptolémée XIII Aulète le titre d'ami et d'allié du peuple romain, ce qui vaut à César une « gratification » financière qui le débarrasse de ses dettes.
Préparer l'avenir
Autre bénéfice de cette charge de consul : César s'est procuré de nombreux partisans. Le gouvernement provincial qu'il devait obtenir à l'expiration de son mandat pouvait également étendre sa clientèle politique par l'enrichissement de la soldatesque et accroître son prestige militaire à la faveur d'une guerre de conquête.
Le sénat l'avait vu venir de loin et avait décidé que les provinces qui lui seraient confiées seraient des régions pauvres d'Italie. Alors, César s'entend avec un tribun de la plèbe, P. Vatinius, qui fait casser le décret sénatorial et lui fait attribuer pour cinq ans la Gaule Cisalpine et l'Illyrie, le sénat y ajoutant de lui-même la Narbonnaise.

Cicéron
À Rome, pas question que l'on intrigue derrière son dos : Clodius est élu tribun de la plèbe, Cicéron, son adversaire farouche depuis l'affaire Catilina, part pour l'exil, et les consuls élus pour 58 avant J.-C. sont ses amis. César peut partir.
3. La difficile conquête des Gaules (58-51 avant J.-C.)

La conquête des Gaules représente le premier grand épisode de la vie de César. C'est elle qui fait du politicien heureux un personnage de l'histoire.
Les Gaulois avaient la réputation d'ennemis redoutables, depuis qu'à l'époque primitive ils étaient venus déranger les Romains chez eux. Leur pays paraissait riche et peuplé, et, au-delà, leurs routes menaient à l'étain britannique. César avait voulu cette guerre. Il ne chercha, du moins au début, qu'à soumettre les chefs et à constituter des protectorats. Mais il lui fallait nécessairement guerroyer pour se procurer du butin, donc de l'argent. De là des campagnes successives, qui vont se prolonger d'autant plus longtemps que la pacification n'est assurée qu'après des sursauts de révolte. De là aussi une armée qui s'accroît – en même temps que l'autorité de son chef.
3.1. La guerre racontée par César

Il est impossible de reconstituer les allées et venues de César à travers les Gaules. La localisation des oppidums (places fortes) qui furent assiégés, bien qu'à peu près certaine dans l'ensemble, laisse la possibilité de controverses. De même, les causes et les faits eux-mêmes n'apparaissent pas avec la plus grande évidence. D'où cela provient-il ? De César lui-même, qui, par ses Commentaires sur la guerre des Gaules, est notre source presque unique.
Or, il s'agit là d'une œuvre tendancieuse. Ces Commentaires, faits à partir de rapports réguliers au sénat, remaniés par la suite, sont une œuvre de propagande, où les faits sont intentionnellement obscurcis, pour ne pas tout révéler aux autres généraux de son art militaire, ou déformés de diverses manières, pour rehausser le prestige de César lui-même, minimiser le rôle de ses légats (délégués chargés d'une mission diplomatique, administrative ou militaire), enfler l'importance des adversaires (tel Vercingétorix) et rendre la victoire plus glorieuse. Il faut donc lire entre les lignes.
En dehors des opérations militaires, il y eut des négociations, que César nous raconte à sa façon et qui demeurent entourées de mystère. On sait par exemple que les druides jouaient un grand rôle politique : César n'y fait guère allusion. La guerre des Gaules dresse cependant un tableau complet des mœurs des Gaulois et de leurs institutions tant religieuses que politiques.
3.2. Premières expéditions

La conquête des Gaules, 58-54 avant J.-C.La conquête des Gaules, 58-54 avant J.-C.
Les opérations commencent en 58 avant J.-C., quand les Helvètes veulent émigrer vers la Gaule. César les arrête, comme des envahisseurs, et se fait passer pour le protecteur ou au moins l'allié des Éduens, peuple maître de la Gaule centrale. Il barre ensuite la route à Arioviste, envahisseur qu'il qualifie de Germain.
S'étant assuré vers le Rhin comme vers le Centre, César s'avance vers le nord-ouest de la Gaule, battant apparemment sans difficulté les peuples belges (57 avant J.-C.). Entre-temps, son lieutenant Galba attaque, sans succès, les montagnards des cols alpestres, qui rançonnent les voyageurs et, rendant le passage périlleux, obligent le plus souvent à passer par Marseille, dont les péages sont coûteux. En 56 avant J.-C., César, confirmant ainsi son intérêt pour la route vers l'Océan, s'en prend aux populations côtières, en Normandie et en Aquitaine.
En 55 avant J.-C., des Celtes d'Outre-Rhin, que César disait Germains, ont franchi le fleuve. Ils sont massacrés. Puis César fait lui-même une incursion rapide au-delà du Rhin, opération d'intimidation et de prestige.
Il en va de même de ses tentatives en Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne). Un premier débarquement outre-Manche échoue, faute d'expérience technique. Un autre, en 54 avant J.-C., bien préparé, permet d'imposer un tribut – d'ailleurs tout théorique – à un roi de l'île.
3.3. La Gaule en rébellion

À la fin de 54 avant J.-C., la Gaule entre en rébellion. Elle n'est pas occupée en profondeur : les Romains ne tiennent que les points et les voies stratégiques. Chaque camp légionnaire est attaqué par le peuple voisin. La retraite de César vers l'Italie n'est même plus possible. En 53 avant J.-C., celui-ci est parvenu à se dégager et à « tranquilliser » la Gaule, dont il a dû abandonner le Nord-Ouest. Mais la tranquillité n'est qu'apparente.
César face à Vercingétorix

En 52 avant J.-C., la révolte part des peuples du Centre (Carnutes, Bituriges) ; César doit mettre la Narbonnaise en état de défense. Le chef arverne Vercingétorix a réuni une armée assez forte (400 000 hommes) qui, à distance prudente, nargue les 50 000 soldats romains. Il évite le combat, mais dévaste la campagne pour détruire les vivres. La prise d'Avaricum (→ Bourges) par César assure à celui-ci une plus grande facilité d'évolution.
Cependant César échoue devant Vercingétorix à Gergovie : échec moindre qu'il ne prétend, car il veut faire prendre son adversaire pour le chef de la Gaule entière, ce qui est faux. À la suite d'un engagement malheureux, les Gaulois s'enferment dans l'oppidum d'Alésia, d'où César ne les laisse plus s'échapper. César présente la capitulation d'Alésia comme un succès définitif. La guerre n'est pourtant pas finie. En 51 avant J.-C., il faut réduire les résistances isolées. Les Cadurques se défendent le plus longtemps et ne rendent leur oppidum d'Uxellodunum qu'après un siège difficile.
Un lourd bilan
Les Gaulois se sont montrés beaucoup plus organisés que César ne l'a admis. De là une guerre longue, plus dure également qu'il n'a voulu en convenir. Elle aurait fait un million de morts et un million d'esclaves, selon l'écrivain grec Plutarque. En huit ans, César a dû livrer 30 batailles, soutenir 5 sièges et enlever 800 oppidums. Mais il a obtenu le résultat escompté : il a trouvé ce qu'il cherchait, l'argent et le prestige, la fidélité de ses compagnons d'armes, et il a ouvert un nouveau champ d'opérations aux trafiquants italiens. Le conquérant laissera cependant aux peuples soumis leur nom, leurs frontières, leurs lois et leurs croyances.
4. L'entre-deux-guerres et le dilemme du Rubicon

Pendant l'absence de César, à Rome, les politiciens ont poursuivi leurs intrigues. Le tribun Clodius entraînait le peuple à sa suite et l'excitait contre Pompée. Celui-ci, ne pouvant s'appuyer pleinement sur le sénat, où d'intransigeants républicains lui demeuraient hostiles, avait, en 55 avant J.-C., renouvelé l'accord de triumvirat avec Crassus et César pour cinq ans. Mais Crassus devait mourir en 53 avant J.-C. Les républicains ont à présent beau jeu d'opposer César et Pompée.
4.1. Le sénat et Pompée contre César

Le sénat nomme Pompée unique consul (52 avant J.-C.), avec l'objectif d'abattre César. Tout se passe en bordure de la légalité. De part et d'autre, on s'efforce d'en respecter les formes, mais, inévitablement, on les viole. César pose sa candidature à un nouveau consulat et obtient du sénat l'autorisation de le faire tout en restant absent de Rome, c'est-à-dire près de ses armées. Faute de cette autorisation, il redevient simple particulier, ce qui le met à la merci de ses adversaires. Malgré l'intercession des tribuns de la plèbe, qui défendent César, Pompée fait escamoter par une nouvelle loi l'autorisation sénatoriale.
L'année 50 avant J.-C. s'écoule dans les atermoiements. On apprend que César concentre ses troupes en Cisalpine. Le consul Marcus Claudius Marcellus somme Pompée de prendre ses dispositions pour marcher contre lui. César a conservé ses fonctions au-delà de la date limite : il propose d'y renoncer si Pompée en fait autant. En refusant et en décrétant le rappel de César, le sénat jette définitivement les deux rivaux l'un contre l'autre.
4.2. Alea jacta est

Pompée envisage de refuser la bataille : il espère lasser les armées de César. Mais il a désappris le métier de chef militaire et, à ses côtés, il a surtout des politiciens véreux. Au contraire, le camp de César est rempli d'officiers d'une fidélité aveugle à leur chef. César s'est attaché ses lieutenants et ses hommes – il les appelle non pas « soldats » mais « compagnons ». Aussi, comme le rapporte l'historien latin Suétone « quand il s'engagea dans la guerre civile, les centurions de chaque légion lui promirent d'équiper chacun un cavalier à leurs frais, et les soldats lui offrirent leurs services gratuitement, sans ravitaillement ni solde, les plus riches se chargeant d'entretenir les plus pauvres ».
César entre donc dans la guerre civile avec d'énormes atouts, mais une chose le gêne : le fait d'avoir à se mettre lui-même hors de la légalité. Or c'est ce qui doit arriver s'il franchit avec ses soldats le Rubicon, la rivière qui sépare sa province de l'Italie (péninsulaire), territoire sur lequel il ne lui a pas été confié de commandement. Il hésite jusqu'au dernier instant. Un incident précipite les choses : des soldats suivent un pâtre qui jouait du pipeau jusqu'au-delà du pont. César… suit, en prononçant ces paroles fameuses : Alea jacta est (« Le sort en est jeté »).
5. César contre Pompée : la guerre civile (49-45 avant J.-C.)

La guerre se déroulera à travers tout le monde romain.
5.1. La conquête de l'Italie

Pompée se fait illusion sur ses forces et tout le monde est persuadé de la faiblesse de César. Or celui-ci s'est préparé avec discrétion. Une fois le Rubicon franchi, il fonce : cinq jours plus tard, Pompée et ses partisans quittent Rome dans la panique. Ils cherchent à barrer le sud de la péninsule. César arrive à son tour à Brindisi où Pompée s'est replié, mais ne parvient pas à l'empêcher d'embarquer, discrètement, de nuit.
César revient donc sur Rome, où il ne trouve qu'un sénat réduit : les partisans de Pompée sont partis avec lui. Il se tourne alors vers les pompéiens d'Espagne, mais il se heurte en route aux Marseillais, qui, peu satisfaits des conséquences économiques de la guerre des Gaules, se sont rangés parmi ses adversaires : assiègés en mai 49 avant J.-C., ils capitulent en octobre. En Espagne, la forteresse d'Ilerda (Lérida), où les pompéiens sont installés, capitule en août.
César revient à Rome, s'y fait attribuer la dictature, puis le consulat pour 48 avant J.-C. avant de reprendre la poursuite de ses adversaires.
5.2. De la Grèce à l'Égypte

En 48 avant J.-C., César passe en Épire et en Thessalie, où, dans des conditions souvent difficiles, puisqu'il est un moment poursuivi par Pompée, il parvient à Pharsale et y bat les pompéiens. Il gagne ensuite Alexandrie, où les ministres du roi lui font remettre la tête de son adversaire, qu'ils ont fait décapiter. Mais rien n'est encore terminé, car il reste des pompéiens un peu partout.
Dans l'immédiat, César est arrivé en Égypte au milieu d'une crise politique. Il s'érige en arbitre entre les deux souverains en désaccord, Ptolémée XIV et Cléopâtre VII. Il ne s'est peut-être pas laissé séduire par celle-ci, mais se décide en sa faveur. Les partisans de Ptolémée provoquent alors contre lui une insurrection dans Alexandrie. César rétablit la situation grâce à Mithridate, roi de Pergame (en Asie Mineure), venu à son aide (bataille du Nil et prise d'Alexandrie, 27 mars 47 avant J.-C.). Il visite alors l'Égypte en remontant le Nil sur un bateau en compagnie de Cléopâtre.
Pharnace, fils du grand Mithridate, entreprend de renouveler les exploits paternels : il attaque les rois de Cappadoce et de Petite Arménie. Mais ceux-ci ont fait leur soumission à Rome et quand César vient à son tour, il écrase ses adversaires à Zela et écrit : Veni, vidi, vici (« Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ») [2 août 47 avant J.-C.].
5.3. En Afrique puis en Espagne

Les campagnes de CésarLes campagnes de César
L'hiver suivant, César est en Afrique du Nord, où se sont réfugiés de nombreux républicains. À l'issue d'une campagne difficile, il les massacre à Thapsus, sur la côte orientale de la Tunisie (6 avril 46 avant J.-C.). Quelques-uns se suicident, dont Caton d'Utique.
Les pompéiens se sont alors regroupés en Espagne, sous Cnaeus Pompeius, fils du grand Pompée. À Munda, au sud de Cordoue, César en vient à bout en un combat ultime, mais sans pitié (17 mars 45 avant J.-C.). Ses légionnaires gaulois auraient massacré 33 000 hommes.
La guerre civile est terminée. César n'a plus qu'un an à vivre. Mais quelques mois lui suffisent pour transformer la république romaine en un empire.
6. Le fondateur de la nouvelle Rome

Dans l'intervalle des campagnes militaires, le pouvoir politique de César s'est fortifié.
6.1. César imperator

Il a été soutenu par ses partisans, s'est acquis de nouveaux honneurs (→ cursus honorum), même en son absence de Rome. Il est de nouveau dictateur, puis consul pour cinq ans, dictateur pour dix ans, consul pour dix ans, préfet des mœurs pour trois ans (nouvelle tâche créée pour lui, puisque, étant consul, il ne pouvait légalement pas être censeur).
Ne pouvant, du fait de ses origines nobles, devenir tribun de la plèbe, César s'est fait déclarer, comme les tribuns, inviolable et sacré, et s'est arrogé le droit de les déposer. Acclamé imperator, c'est-à-dire général victorieux, à l'issue de ses campagnes, il est devenu, après la bataille de Munda, imperator dans un nouveau sens du mot, en tant que détenteur de l'imperium, la toute-puissance politique, et ce titre s'accole habituellement à son nom.
6.2. Le politicien habile

Ainsi, maître de tout et de tous, César poursuit les réformes et la politique intérieure déjà amorcées dans l'intervalle de ses campagnes ou même au cours de celles-ci. Car, toujours par monts et par vaux, il travaille et écrit plusieurs de ses œuvres en voyage. Il s'entoure d'un secrétariat de plus en plus nombreux, de même qu'il confie des fonctions inédites à ses fidèles. C'est ainsi que s'esquisse le système des bureaux impériaux, parallèles aux magistratures d'origine républicaine.
D'intrigant politique, César est devenu homme de guerre, puis administrateur et réformateur. Il se révèle tout aussi brillant dans cette dernière tâche.
Démagogie et clémence
D'abord, la sécurité : après les désordres de la guerre civile, César et l'État seront respectés grâce à la loi de majesté. Une loi décourage la violence dans la rue. Les associations sont supprimées en grand nombre.
Ensuite, sous une apparence de réconciliation, d'amnistie et de ralliement, César revient à la politique de recherche de la popularité, c'est-à-dire de démagogie. Son despotisme égalitaire tend à abaisser la noblesse sénatoriale et les hommes d'affaires, mais favorise tous les autres. La clémence ne s'étend quand même pas à tous : il s'agit d'un choix savamment dosé. Il fait grâce aux pompéiens, en libérant les prisonniers, en laissant rentrer ceux qui ont fui, en donnant des fonctions à quelques-uns. Cicéron se fait pardonner sa longue bouderie.
César relève les statues de Pompée, mais aussi de Sulla. Les fils des proscrits de Sulla cessent d'être inéligibles. Les exilés politiques sont rappelés. Les soldats, eux, outre leur part de butin, bénéficient de lots dans des colonies dont les sites sont bien choisis, car ce sont ceux de grandes villes ou de futures grandes villes : Séville, Narbonne, Arles, Corinthe.
Tolérance religieuse
Sur le plan religieux, même, César se garde bien de proscrire les religions exotiques. Il laisse les peuples soumis pratiquer le culte de Mithra ou d'Isis. Les bacchanales peuvent être célébrées au grand jour. César est tolérant même à l'égard des Juifs, pourtant adversaires de tout le paganisme traditionnel : les synagogues sont autorisées à fonctionner, et le grand prêtre de Jérusalem est habilité à percevoir la taxe d'entretien du Temple.
Du travail pour les Romains, des droits pour les provinces
Au peuple de Rome, César cherche à procurer du travail et propose des terres à ceux qui veulent quitter la ville. Il limite à 150 000 les participants aux distributions publiques, mais étend les limites de la ville, qu'il gratifie de nouveaux monuments : nouveau Forum, avec basilique, temple de Venus Genitrix et bibliothèque, la première bibliothèque publique de Rome.

ArlesArles
Il fait davantage encore pour les provinciaux. Il distribue le droit latin, et il l'accorde notamment à la Sicile. Il en est de même du droit de cité, dont la Cisalpine bénéficie. Les abus des sociétés financières sont réprimés, et les impôts directs ne sont plus affermés. La lex Iulia municipalis accorde une appréciable autonomie aux colonies et aux municipes (cités conquises). Il s'amorce ainsi une décentralisation de l'État, comme pour rapprocher le monde romain du type hellénistique de la confédération des villes.
6.3. Le grand réformateur

Parmi ces dispositions, souvent destinées à rallier les populations, on remarque des vues quasi prophétiques et des réformes de valeur durable. César esquisse quelques traits de la géographie politique de l'Europe : il est le premier à assigner, de sa propre autorité, le Rhin comme frontière naturelle à la Gaule, et il inaugure l'unité de l'Italie. Il dote le monde du calendrier julien, que l'on utilise toujours.
Un esprit modernisateur
César pratique une politique économique évoluée : en décongestionnant Rome, ville d'oisifs, au profit d'un retour à la terre ; en imposant des taxes douanières à l'entrée des denrées et non à leur sortie, comme c'était l'usage antique ; en restaurant une monnaie saine et en adoptant l'étalon-or.
Il accorde aux anciens combattants des emplois réservés, découvre, de beaucoup le premier, « la notion d'incompatibilité appliquée aux fonctions électives ; un minimum de moralité imposé aux élus ; dans les compétitions électorales, le bénéfice de l'âge » (Jérôme Carcopino, historien).
Il favorise les familles nombreuses. Il organise la propagande politique, en prescrivant l'affichage des comptes rendus des séances du sénat, comme il a publié au jour le jour ses communiqués de guerre. Enfin, il révolutionne l'instrument du travail intellectuel en adoptant le codex, ancêtre du livre actuel, à la place du rouleau, volumen. Tout cela fait de César « un des plus puissants démiurges qu'ait façonnés l'histoire des hommes » (J. Carcopino).
7. L'imperator qui voulait être roi

7.1. L'abaissement du sénat

Malgré le caractère estimable de l'ensemble de ces réformes, César a aussi détruit des institutions au profit de son despotisme personnel.
Respectueux des comices tributes (assemblées basées sur le cadre des tribus), il n'en a pas moins fait un instrument de louange et d'approbation à sa dévotion. Le sénat est devenu un conseil consultatif. L'accroissement du nombre de ses membres, qui passe de 600 à 900, réduit le prestige de la classe sénatoriale et permet d'y introduire des fidèles et des provinciaux. Les magistrats sont, eux aussi, affaiblis par leur multiplication : 40 questeurs, 6 édiles, 16 préteurs, quand, toutefois, il y a d'autres consuls que César lui-même. De toute façon, César nomme la moitié de ces magistrats.
7.2. Le culte de la personnalité

Après l'abaissement des magistrats, le prestige du maître. En 46 avant J.-C., César célèbre quatre triomphes successifs. Mieux, un véritable culte s'instaure autour de sa personne. Comme les dieux, il donne son nom à un mois. Comme eux, il bénéficie de cérémonies ou d'attributs significatifs : jeux publics en l'honneur de ses victoires, char professionnel, flamine attitré, statues dans les temples. On rappelle qu'il descend de Vénus. Tout cela fait songer aux rois-dieux des monarchies hellénistiques et aussi à une marche vers la royauté.
7.3. L'inaccessible royauté

Certes, le peuple romain avait en horreur le nom de roi. César peut-il, sans risque, prétendre à un titre abhorré ? Il désire ce titre. En 44 avant J.-C., on sent qu'il va l'obtenir. En février, le sénat lui accorde un costume de roi, un trône. À la fête des lupercales, son lieutenant Antoine tente de le coiffer du diadème, équivalent hellénistique d'une couronne. On lui attribue le titre de pater patriae (père de la patrie), il devient dictateur perpétuel, sa tête apparaît sur les monnaies, ce qui est une prérogative royale ou divine. Des monnaies avec le titre royal sont sur le point d'être émises. Mais on sent la foule prête à protester. César fait mine de repousser la royauté. Peut-être portera-t-il le titre de « roi » hors de Rome ? Il s'apprête à partir en guerre contre les Parthes, or, en Orient, un titre de « roi » est très opportun. Il a d'ailleurs adopté Octave, pour le seconder là-bas, en attendant de lui succéder éventuellement.
7.4. Trente-cinq coups de poignard le jour des ides de mars

Une conspiration, menée par Cassius et Brutus, se noue entre mécontents et partisans de la République. Le jour des ides de mars 44 avant J.-C. (le 15), en pleine séance du sénat qui s'est réuni pour préparer une expédition contre les Parthes, César tombe, transpercé de trente-cinq coups de poignard. Reconnaissant parmi ses agresseurs son fils Brutus, il aurait dit : « Et toi aussi, mon fils ! » On ne reconnaît pas l'homme qui, en quelques mots laconiques et sentis, savait mettre fin à une menace de mutinerie.
L'assassinat fut assez diversement jugé. Si l'on en croit le poète Lucain, pourtant républicain et pour qui ce meurtre était un sacrifice nécessaire, il fut assez généralement considéré comme une chose honteuse. On se rallia souvent par la suite, et pour éviter le courroux impérial, à l'opinion de Plutarque, selon lequel César était l'homme providentiel, seul capable, par sa monarchie, de remédier au désordre politique. Il est vrai que l'ordre qu'il avait créé valait mieux qu'une république abusive. Il a surtout réussi à déposséder très rapidement l'oligarchie, et celle-ci n'a pas réussi à reprendre le dessus. Quant aux apparences de l'État, c'était toujours la République, mais César l'avait confisquée au profit d'un seul homme.
Son petit-neveu Octave (le futur Auguste), qu'il a adopté, s'appuiera sur son héritage pour fonder l'Empire.
8. Destinée du nom de César

Le nom de César, comme celui d'Auguste, a été adopté et conservé par les empereurs successifs. On ne disait pas l'empereur, mais César ou le césar. Le terme, donc, devait devenir synonyme d'empereur, et c'est à ce titre qu'on le retrouve sous la forme de kaiser, de czar ou de tsar pour désigner des monarques bien éloignés des dynasties romaines.
Les douze premiers empereurs romains, en vertu de l'œuvre de Suétone, sont appelés les douze Césars, sans que cela corresponde à un lien particulier entre eux, puisque s'y trouvent englobées deux dynasties, celle des Julio-Claudiens, fondée par Jules César, et celle des Flaviens. Ces douze sont César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus et Domitien.

 

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CHRISTIANISME

 

christianisme
(latin ecclésiastique christianismus, du grec khristianismos)

Consulter aussi dans le dictionnaire : christianisme
Cet article fait partie du dossier consacré au christianisme.
Ensemble des religions fondées sur la personne et les écrits rapportant les paroles et la pensée de Jésus-Christ.

Christ
L'une des principales religions du monde, le christianisme professe – comme le judaïsme (dont il est issu) et l'islam (qui en reprend des éléments fondamentaux) – la foi en un Dieu unique, qui s’est révélé pour la première fois à Abraham, le patriarche commun des trois grands monothéismes. Il constitue une religion révélée, à la fois dans les Écritures et dans la personne de Jésus-Christ, cherche à investir de valeurs la vie humaine et offre un salut.
Apparu au début de notre ère, dite l'ère chrétienne puisqu'elle commence théoriquement avec lui, le christianisme a connu, au cours d'une histoire s’étalant sur deux millénaires, des développements, des crises et des réformes, qui se sont notamment traduits par son éclatement en trois confessions distinctes : le catholicisme romain, l’orthodoxie orientale et le protestantisme issu de la Réforme du xvie s.
La naissance du christianisme

Introduction

L'activité de Jésus en Palestine – prophète et réformateur religieux, qui prêche de l'an 27 à l'an 30 de notre ère – marque le début du christianisme. À cette époque, la Palestine appartient à l’Empire romain et se singularise par sa religion, le judaïsme, qui a un statut particulier dans l'empire en raison de sa foi en un Dieu unique (monothéisme). L'occupation étrangère est particulièrement mal perçue dans le pays, où le pouvoir politique local est de plus en plus amoindri et partagé. Les fils d'Hérode le Grand, le dernier roi juif, lui-même inféodé à Rome, sont sous le contrôle d'un préfet romain dépendant du légat de la province de Syrie. Les impôts sont lourds, et la déstabilisation sociale et politique s'accompagne d'une agitation religieuse. Le judaïsme est à cette époque partagé en plusieurs courants, même si les pratiques religieuses et le rôle du Temple de Jérusalem demeurent le tronc commun des courants dominants.
De surcroît, la visée assimilatrice de la culture hellénistique – mise en place dans tout le Bassin méditerranéen après les conquêtes d’Alexandre le Grand (ive s. avant J.-C.) – ainsi que les compromissions religieuses et politiques avec le pouvoir dominant ont provoqué, au sein même du judaïsme, des mouvements de protestation s'appuyant souvent sur l'attente d'un messie envoyé par Dieu pour rétablir la justice et la paix. Les courants de renouveau du judaïsme sont multiples ; ils peuvent être teintés de nationalisme (comme le mouvement zélote) ou axés sur la protestation religieuse (comme le mouvement des esséniens, vivant en communautés dans le désert). L'un d'entre eux est celui de Jean le Baptiste, qui prêche et baptise loin des grands centres ; le baptême qu’il confère assume le rôle (pardon des péchés) que le judaïsme orthodoxe attribue aux sacrifices offerts dans le Temple de Jérusalem.
L’activité de Jésus au cœur du milieu juif

Tête du Christ de Wissembourg
À la suite de Jean-Baptiste, le juif Jésus annonce la venue imminente du règne et du jugement de Dieu ; mais il se sépare du Baptiste en ceci qu'il insiste sur l'amour de Dieu plus que sur sa colère.
Le témoignage principal sur la vie historique de Jésus, originaire de Nazareth, en Galilée, où il a commencé son ministère, est celui des Évangiles. Or, ces livres ne sont pas des biographies, mais des interprétations de sa vie dans une perspective catéchétique. Néanmoins, il est établi avec une relative certitude que Jésus a été un prédicateur itinérant, qui a réuni des disciples autour de lui, enseigné et opéré des guérisons. Il a voulu susciter une réforme du judaïsme en annonçant la proximité de Dieu, en proposant une autre manière de comprendre sa volonté que celle offerte par la Loi juive, et en désacralisant l'institution du Temple de Jérusalem. Sur ces deux derniers points, il a suscité la virulente opposition des chefs religieux juifs, ce qui a conduit à son exécution sous la forme du supplice romain de la croix. Après sa mort, ses disciples se sont réunis autour de la foi en sa résurrection, qui l'authentifie comme le véritable envoyé de Dieu. Ainsi naît le mouvement de Jésus, qui est, à son origine, un mouvement de renouveau interne du judaïsme.

Philippe de Champaigne, la CènePhilippe de Champaigne, la Cène
Les disciples de Jésus se regroupent d'abord à Jérusalem, où ils annoncent la « Bonne Nouvelle » (en grec, euaggelion, « évangile ») que Dieu s'est manifesté dans la personne de Jésus : le Messie (ou Christ) attendu. Parmi ceux qui s'intègrent à leur groupe se trouvent des juifs qui ont vécu hors de la Palestine et qui sont ouverts à la culture grecque et à son universalisme. Les disciples de Jésus venant de ce judaïsme hellénistique sont plus ouverts vis-à-vis de la foi, et plus critiques à l'égard des institutions juives, que ceux venant du judaïsme palestinien.
C’est ainsi que ces juifs hellénisants provoquent des affrontements avec les chefs religieux juifs et sont persécutés par ces derniers. Contraints de fuir, ils transmettent le contenu de la prédication de Jésus aux marges de la Palestine, en particulier dans des villes où les populations sont très mêlées, notamment à Antioche (en Syrie), où se trouvent une diaspora juive et des adeptes de diverses religions orientales. Nombre de non-juifs sont convaincus par leur prédication et constituent, avec des juifs, un groupe de disciples du Christ Jésus.

Le Greco, la Pentecôte
Le mouvement de Jésus dépasse ainsi les frontières spirituelles du judaïsme. Il accepte, en effet, des membres qui n'appartiennent pas au peuple de Dieu, ne portent pas la marque de leur appartenance au peuple juif (la circoncision) et n'obéissent pas aux réglementations juives (par exemple, sur le pur et l'impur). À Antioche, on donne aux adeptes de Jésus, le Christ, le nom de chrétiens. La rupture est consommée : une nouvelle religion, le christianisme, est née.
Les premières communautés chrétiennes

Introduction
Lippo Memmi, saint Pierre
Si la foi en la résurrection de Jésus, l'homme de Nazareth crucifié par les Romains mais toujours vivant et présent parmi les hommes, est au fondement du christianisme, la signification de cette présence ainsi que le sens de la vie et de la mission de Jésus donnent lieu, dès l'origine, à des interprétations diverses.
Pour les adeptes de l'un des courants du christianisme primitif, qui se retrouvent pour la prière, le baptême des fidèles et le repas commun, Jésus est avant tout le Messie annoncé, dont on attend le retour. Pour ceux d'un courant proche, la foi chrétienne est avant tout une obéissance nouvelle, une fidélité au message de Jésus et à sa réinterprétation de la Loi juive. Différent des deux précédents, un autre courant, dont le centre est Jérusalem, voit en Jésus le Juge de la fin des temps, qui envoie son Esprit à ses disciples. Quittant famille et biens, ces croyants deviennent des prédicateurs itinérants ; vivant dans l'attente de la fin du monde et pratiquant des actes de guérison, ils évangélisent la Palestine et la Syrie. Pour leur part, les chrétiens issus du judaïsme hellénistique orientent leur prédication vers les milieux non-juifs. D'Antioche, leur quartier général, ils partent en mission pour porter en Méditerranée orientale leur confession de foi, qui donne la priorité à la croix et à la résurrection de Jésus pour le salut des hommes. Un dernier courant, mal connu, est celui du mouvement johannique, qui débute probablement en Asie Mineure.
Chacun de ces courants a ses personnages emblématiques. Dans le cercle relativement large de disciples (hommes et femmes) qui entoure Jésus, notamment dans le groupe des Douze choisis comme apôtres (« envoyés »), c'est Pierre qui se détache. Après la mort de Jésus, ses proches acquièrent également de l'influence : ainsi, Jacques deviendra-t-il le chef de la communauté de Jérusalem après le départ de Pierre pour Rome. Les hellénistes sont quant à eux représentés par Paul. Avec Pierre, Paul est l'une des deux figures majeures des origines du christianisme.
De la campagne palestinienne aux villes de l'Empire
La prédication de Jésus lui-même a atteint un monde palestinien encore très paysan. Puis, le mouvement de Jésus s'étend à la Syrie-Palestine et à ses villes. Le christianisme naissant dépasse rapidement les frontières de religion et d'origine nationale, profitant de ce qui fait la force de l'Empire romain : routes terrestres et maritimes de la Méditerranée, langue de culture et d'administration. Il se propage en particulier dans les vastes marchés de biens culturels et religieux que sont les villes. La prédication chrétienne y bénéficie de l'attrait qu'exercent le monothéisme juif et de la haute qualité de sa morale.
Dans les grandes villes de l'Empire, où vivent des communautés juives de la diaspora, les missionnaires présentent d'abord leur message dans le cadre des synagogues juives. Les sympathisants du judaïsme (appelés les « craignant Dieu ») sont attirés par cette prédication qui rompt avec un particularisme de type national. Mais l'insuccès du christianisme auprès des juifs eux-mêmes fait que la nouvelle religion se répand de plus en plus dans un contexte où elle est confrontée aux modes de pensée religieux et philosophiques du monde hellénisé.
Particulièrement abondantes au ier s., les religions de salut provenant de l'Orient offrent une expérience mystique et un espoir dans l'au-delà à ceux qui s'y initient, tout en restant tolérantes entre elles. Le christianisme, qui se trouve dans une situation de concurrence religieuse intense, se démarque par le fait qu'il propose un salut faisant l'objet d'une annonce publique (donc pas nécessairement réservé à des initiés) et qu'il refuse toute coexistence avec d'autres religions, toute forme de syncrétisme.
L'Empire romain laisse libre cours à cette profusion de religions, mais il impose une idéologie unitaire : le culte de l'empereur. Dans ce contexte syncrétiste où un nouveau culte peut s'ajouter à un autre, le judaïsme – affirmant qu'il y a un seul Dieu, l'unique objet de l'adoration humaine – observe un monothéisme strict et bénéficie d'une reconnaissance de cette conception particulière. Les chrétiens, également monothéistes, bénéficient d'abord du même statut que les juifs, dispensés par la loi romaine du culte de l'empereur. Mais lorsque leur appartenance à une autre religion apparaît clairement, ils se trouvent fragilisés. De la seconde moitié du ier s. au iie s., ils subissent de la part du pouvoir impérial des persécutions ponctuelles, puis de plus en plus fréquentes et systématiques au iiie s. et au début du ive s.
Des communautés disparates
L'expansion du christianisme s'organise autour de deux pôles : les prédicateurs itinérants et les groupes de sympathisants sédentaires que les premiers laissent après leur passage. Progressivement se constituent des communautés locales qui prennent le nom d'Église (ecclesia, « assemblée convoquée », une institution typique de la cité grecque). Le terme va prendre une double signification : celle du groupe de croyants qui se rassemblent en un lieu donné, et celle de l'ensemble des croyants qui, dans leur totalité, constituent l'Église du Christ. Ne possédant pas de bâtiment propre, les Églises réunissent dans des maisons particulières des hommes et des femmes d'origine sociale très variée (esclaves, hommes libres, classes montantes, petit peuple), à l'image des groupes qui entouraient Jésus en Palestine.
Ces communautés sont le plus souvent composées de chrétiens d'origine païenne (pagano-chrétiens, également appelés «gentils ») et de chrétiens d'origine juive (judéo-chrétiens) ou provenant de cercles proches. Cette disparité ne tarde pas à créer des tensions : en effet, les chrétiens d'origine juive, attachés à leur identité et à leur appartenance au peuple choisi par Dieu, sont réticents à prendre les repas, en particulier l'eucharistie (le partage du pain et du vin, par lequel se constituent la communion des croyants et leur lien avec Dieu) en commun avec les chrétiens d'origine païenne, qui ignorent leurs préceptes alimentaires. Très tôt se pose la question de savoir s'il faut passer par le judaïsme pour pouvoir bénéficier de l'Évangile du Christ Jésus, s'il faut s'intégrer d'abord au peuple de Dieu par la marque d'appartenance de la circoncision et la pratique des réglementations juives pour bénéficier de la grâce (pardon gratuit) de Dieu. Après moult débats et conflits, la conviction de l'apôtre Paul, principal artisan de l'ouverture sans condition de l'Évangile aux païens, l'emporte.
Les Écritures et la foi chrétienne

Introduction

Dans le monothéisme chrétien, le salut accordé par Dieu indique que la vie ne s'achève pas avec la mort. Cette foi a traversé les siècles grâce aux Écritures et aux institutions humaines que sont les Églises chrétiennes.
Les Écritures saintes


Les textes religieux de référence des premiers adeptes de Jésus sont ceux du judaïsme : les livres de la Bible hébraïque, dans lequel ils puisent des éléments qui, à leurs yeux, annoncent la venue de Jésus-Christ et révèlent le sens de sa mission. Mais ces textes ne leur permettent pas de se situer par rapport à la société et aux religions d'origine, ou de régler les divergences à l'intérieur des communautés et entre les prédicateurs itinérants. Pour aider les différentes Églises locales, l'apôtre Paul rédige, entre 52 et 67, un certain nombre de lettres qui, rassemblées, forment un recueil, dont chaque communauté peut avoir un exemplaire. Ces lettres (appelées Épîtres) ainsi que les Évangiles, composés entre 70 et 100, sont utilisés pour la catéchèse (enseignement) et les lectures au cours des assemblées. Il n’en demeure pas moins que la production d'écrits chrétiens se poursuit tout au long du iie s.


Vers le milieu du iie s. apparaît la nécessité d'établir une sélection parmi les écrits, pour conserver une fidélité à l'origine en même temps qu'un lien entre les Églises, qui occupent un espace toujours plus vaste (ce qui favorise le développement de traditions indépendantes). Dans la seconde moitié du ive s., une liste unique est fixée. Le canon des Écritures chrétiennes comprendra désormais vingt-sept livres : les quatre Évangiles attribués à Matthieu, Marc, Luc et Jean ; un livre historique, les Actes des Apôtres ; treize épîtres de Paul (aux Romains, aux Corinthiens I et II, aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens I et II, à Timothée I et II, à Tite, à Philémon), auxquelles la tradition a ajouté l'épître aux Hébreux ; les épîtres dites catholiques de Jacques, de Pierre (I et II), de Jean (I, II et III) et de Jude ; enfin un livre prophétique, l'Apocalypse de Jean.
L'appellation de Nouveau Testament a été donnée à cet ensemble des Écritures chrétiennes pour le distinguer des textes de la Bible hébraïque (appelée par les chrétiens l'Ancien Testament). La Bible chrétienne devient ainsi la somme des deux Testaments, juif et chrétien.
La relation entre Dieu et Jésus-Christ

Les premières communautés chrétiennes donnent de nombreux titres à Jésus, dont les plus importants sont « Seigneur », « Fils de Dieu » et « Christ ». Pour les chrétiens d'origine païenne, le titre de Christ n'est pas chargé du même sens que dans le monde juif ; il prend très vite une valeur propre et, joint à Jésus, forme un nom double. Ainsi, dans l'appellation Jésus-Christ, « Jésus » renvoie-t-il à la vie et à la mort de l'homme de Nazareth, et « Christ » à la mission et à la dignité particulières reconnues à Jésus dans la foi en sa résurrection.
La relation entre Dieu et Jésus-Christ constitue l'originalité de la foi chrétienne. Jésus-Christ est celui qui révèle de façon singulière la volonté et l'œuvre de salut de Dieu. Dans les textes de l'Ancien Testament, Dieu est le créateur du monde, celui qui nomme et fait exister les êtres et les choses, qui permet la vie en manifestant des exigences à l'égard des hommes. Ce Dieu est aussi un Dieu de dialogue, un Dieu personnel, dont l'histoire se confond avec celle de l'humanité. Pour la théologie chrétienne inscrite dans le Nouveau Testament, l'être humain n'a accès à Dieu que l’intermédiaire de Jésus-Christ, qui en est la face livrée au monde. La relation unique et profonde de Dieu et du Christ se traduit dans les termes de Père et de Fils.
La nature trinitaire de Dieu

École de Novgorod, l'AnnonciationÉcole de Novgorod, l'Annonciation
Après la mort de Jésus, la foi en sa résurrection affirme la victoire de Dieu sur la mort comme un don de vie, malgré la mort et au-delà d'elle, en même temps qu'elle garantit une autre forme de présence de Jésus-Christ. Celle-ci se manifeste en particulier par le Saint-Esprit, qui est à la fois un consolateur et un soutien. Il remet en mémoire et permet de comprendre les paroles du Christ ; il inspire ainsi la vie des croyants. Les diverses modalités de la présence de Dieu et de sa relation avec l'homme ont été l'objet d'une intense réflexion dans les Églises primitives.
Les débats ont d'abord porté sur la christologie : il s'agissait d'expliquer comment Jésus-Christ peut être à la fois homme et Dieu, et comment le Dieu unique peut être à la fois Père, Fils et Saint-Esprit. Les credo anciens, comme le symbole des Apôtres (iiie s.), ont essayé de fixer les grandes lignes de la foi en développant la relation entre Dieu et Jésus-Christ. Mais des dissensions sont rapidement apparues et, lorsque le christianisme est devenu la religion de l'Empire au début du ive s., les empereurs ont convoqué des conciles dits « œcuméniques », chargés de formuler les dogmes de l'Église dans son universalité. La doctrine trinitaire – qui affirme que Dieu est un en trois personnes – est l’un de ces dogmes reconnus par toutes les Églises. Si elle ne se trouve pas exprimée comme telle dans le Nouveau Testament, elle s'appuie sur son témoignage. La Trinité indique que Dieu est en lui-même une structure de dialogue, et qu'il renferme un mystère et une liberté.
Suivant leurs sensibilités religieuses et leur histoire propre, les Églises chrétiennes accordent une fonction et une place différentes aux manifestations de Dieu. Cela est vrai en particulier pour le Saint-Esprit. Mais elles s'appuient toutes sur les définitions des premiers grands conciles œcuméniques des ive et ve s.
Les premières Églises chrétiennes

La mise en place du culte

La vie des Églises chrétiennes locales prend corps dans le culte, l'enseignement, l'évangélisation et les œuvres de solidarité. Très tôt, les cultes chrétiens sont célébrés le dimanche, jour de la résurrection du Christ. Ils comportent une liturgie (une confession de foi et des chants) et la lecture de textes bibliques, suivie éventuellement de commentaires. Le baptême, qui marque l'entrée dans l'Église, et l'eucharistie (appelée aussi Sainte Cène), qui célèbre l'union des chrétiens avec Jésus-Christ, sont les deux sacrements pratiqués dans les Églises primitives, et toujours communs à toutes les Églises chrétiennes – un sacrement manifeste le don de Dieu, contrairement aux sacrifices qui sont des dons offerts par les hommes à une divinité.
Afin de perdurer, les Églises reconnaissent en leur sein des services particuliers, appelés ministères. Au début du christianisme, ces ministères sont peu institués et varient d'une communauté à l'autre. Le Nouveau Testament fait état de ministères de la parole (docteurs et prophètes), de ministères d'ordre et de gouvernement (anciens et épiscopes) et de ministères d'assistance (diacres).
L'organisation épiscopale et le monachisme

Malgré les persécutions, le christianisme connaît un essor rapide au ier et au iie s., et s'étend vers la partie occidentale de l'Empire, où l'on parle latin. La multiplication des Églises et l'éloignement de la période des premiers témoins (les apôtres) conduisent à une organisation dépassant l'échelon local. Il s'agit de conserver la foi des origines dans une unité visible. Les Églises locales ont désormais à leur tête un seul évêque, qui a autorité sur les prêtres. Certains sièges épiscopaux sont placés au-dessus des autres (les patriarcats) mais, dès le ier s., le siège romain a primauté sur tous. L'évêque est considéré comme un père (« papa ») – terme à l’origine du titre réservé à l'évêque de Rome (pape). L'organisation des Églises se modèle sur l'organisation politique, administrative et économique de la société, en particulier en Occident, qui hérite du juridisme latin.
L'Empire romain, avec ses deux pôles – l'occidental et l'oriental –, connaît des failles dès le iiie s. L'empereur Constantin autorise l'exercice du culte chrétien en 313. Le christianisme est ensuite constitué en religion officielle à la fin du ive s. Après la disparition de l'empire d'Occident, en 476, l'Église latine s'affranchit de la tutelle de Constantinople et supplée, dans bien des cas, le pouvoir politique occidental qui se désagrège. Au xe s., la christianisation de l'Europe est achevée. En Occident, le pape devient le personnage principal, ajoutant un pouvoir temporel à son pouvoir spirituel. En Orient, en revanche, le patriarche de l'Église grecque dépend le plus souvent de l'empereur byzantin.
Apparu dès la constitution des Églises, le monachisme prend au début la forme du départ au désert (ermites), puis celle de la vie communautaire (cénobites). Alors que pendant la longue période de relations ambiguës avec le pouvoir, les Églises se sont substituées à l'État défaillant (éducation, santé), les ordres monastiques ont joué un rôle important dans l'élaboration des civilisations orientales et occidentales.
Les scissions du christianisme

Après la chute de l'empire d'Occident au ve s., l'Orient et l'Occident ont des échanges de plus en plus rares, et les divergences culturelles et spirituelles s'accentuent. Les littératures chrétiennes (en grec d'un côté, en latin de l'autre) se développent séparément et parallèlement.
L'Orient, qui vit sous une unité politique (l'Empire byzantin, héritier de l’Empire romain d’Orient, perdure jusqu'au milieu du xve s.), est moins centralisateur au point de vue ecclésiastique que l'Occident. Les quatre sièges épiscopaux d'Orient, ou patriarcats, sont représentés par le patriarche de Constantinople, même s’ils reconnaissent une primauté d'honneur à l'évêque de Rome. Mais une rivalité d'influence s'installe entre Rome et Constantinople. De plus, les Orientaux reprochent aux Latins d'introduire des pratiques nouvelles (usage de l'hostie, jeûnes, célibat des prêtres). La crise la plus grave concerne le dogme de la Trinité. Au vie s., à la formule « le Saint-Esprit procède du Père », un concile ajoute « et du Fils ». Aux yeux des Orientaux, c'est donner à l'Esprit un rôle secondaire et rompre l'équilibre de la Trinité. À la fin du ixe s. apparaît un désaccord d'ordre institutionnel, lorsque la papauté devient l'autorité centralisatrice des Églises chrétiennes. La rupture, qui était en germe depuis longtemps, se concrétise en 1054, lorsque le pape Léon IX excommunie le patriarche de Constantinople et que celui-ci lui réplique de façon semblable (grand schisme d'Orient). L'Église d'Orient prend alors le nom d'Église orthodoxe.


Martin LutherJean Calvin
Au xvie s., avec la Renaissance, l'humanisme, des inventions comme l'imprimerie et la découverte de l'Amérique, un désir de changement se manifeste à l'égard de l'Église d'Occident, ou Église romaine, marquée par les ambitions temporelles de la papauté, le luxe du haut clergé et l'ignorance dans laquelle est maintenu le peuple. Après son excommunication en 1520, le moine allemand Martin Luther organise la Réforme sous la protection du prince de Saxe. Des mouvements parallèles naissent en Suisse et en France, avec Ulrich Zwingli, puis Jean Calvin. Malgré leurs vues communes sur la place de la Bible, le salut gratuit et le rôle des laïcs, les réformateurs ne fondent pas une Église unie face à l'Église romaine ; on parle ainsi d’Églises protestantes.
Les principales confessions chrétiennes

Introduction

Le christianisme au IVe et au XIVe siècleLe christianisme au IVe et au XIVe siècle
À partir du xvie s., le christianisme connaît donc trois grandes branches : le catholicisme, l'orthodoxie et le protestantisme. Chacune des confessions s'est développée en relation avec la culture qu'elle a fécondée : le catholicisme et le protestantisme ont marqué la culture occidentale ; l'orthodoxie, le monde oriental et l'Europe de l'Est.
Le catholicisme

Messe à Notre-Dame de la TrappeMesse à Notre-Dame de la Trappe
L'Église qui a pour centre Rome a retenu le terme de catholique (en grec, « universel ») dès le concile de Nicée (325). Elle est dotée d'une organisation centralisée et hiérarchisée. Le pouvoir y est exercé par le pape et les conciles œcuméniques. Le pape, installé à Rome, constitue l'unité visible de l'Église. La médiation entre Dieu et les fidèles est assurée par les autorités religieuses, qui transmettent et gèrent le salut offert aux hommes dans plusieurs domaines, notamment celui de l'enseignement et celui de la distribution de la grâce. Un autre élément de médiation est la messe, conçue comme un sacrifice au cours duquel se renouvelle le don de Jésus-Christ sur la croix dans le sacrement de l'eucharistie. Nécessaires à la réception de la grâce, les sacrements, au nombre de sept, sont dispensés par les prêtres ; il s’agit du baptême, de la confirmation, de l’eucharistie, de la pénitence, du sacrement des malades, du mariage et de l’ordination. Une autre médiation apparaît dans le culte de la Vierge Marie et dans celui des saints.
L'orthodoxie

Le contenu de la foi dans l’orthodoxie remonte à la formulation des premiers siècles. L'orthodoxie (« l'opinion ou la foi droite », en grec) s'en tient en effet aux dogmes définis par les huit premiers conciles œcuméniques. Fidèle aux origines, elle se caractérise par une relation de collégialité entre les Églises, qui sont autocéphales et élisent leurs propres chefs. Le patriarche de Constantinople (aujourd'hui Istanbul) conserve une primauté d'honneur : il convoque des conférences panorthodoxes, placées sous le signe d'interdépendance des Églises. Les prêtres orthodoxes (mais non les moines) peuvent se marier. Le culte orthodoxe reconnaît, comme le culte catholique, sept sacrements : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, sacrement des malades, mariage et ordination.
Le protestantisme

Sainte Cène dans une église luthérienneSainte Cène dans une église luthérienne
Le terme de protestant se réfère à un événement historique : en 1529, les princes allemands favorables à la Réforme protestèrent contre l'attitude de l’empereur germanique Charles Quint, qui exigeait la soumission de tous à Rome. Le protestantisme connaît un grand morcellement ecclésiastique, conséquence de son choix en faveur de la liberté de conscience. Les Églises protestantes ont en commun leur conception de l'Église, le refus de médiation dans la gestion de la grâce, et l'affirmation de la responsabilité personnelle dans les choix éthiques. L'organisation ecclésiastique est l'affaire des communautés, qui se donnent des règles communes sur des bases démocratiques. Le culte protestant se caractérise par l'importance donnée à la parole (prédication) et par l'administration de deux sacrements : le baptême et la Cène. Les pasteurs sont mariés et, dans la quasi-totalité des Églises, les femmes ont accès aux ministères. Le face-à-face de l'homme avec Dieu supprime toutes les autres médiations, en particulier celle d'une hiérarchie et d'un clergé.
Les perceptions contemporaines du christianisme

Introduction

Le christianisme dans le monde aujourd'huiLe christianisme dans le monde aujourd'hui
Lorsque le christianisme est devenu la religion officielle de l'Empire romain, des régimes de chrétienté se sont établis autour du Bassin méditerranéen et dans le monde slave. Ainsi, pendant le Moyen Âge européen, l'Église est-elle le ciment de la société, également organisée hiérarchiquement, avec à sa tête le roi, représentant de Dieu sur Terre. La religion est alors la source de la morale, la garante de l'ordre. Quant à la théologie – la première science –, elle délimite le champ du savoir et tente de le contrôler.
Des brèches s'opèrent en Occident dès le xiiie s. Elles s'élargissent à la Renaissance jusqu'à fracturer le système au moment de la Réforme. Au xviiie s., le mouvement des Lumières renouvelle et accélère le processus. La raison humaine, affranchie de la tutelle religieuse, va désormais explorer tous les domaines de la réalité. Un état d'esprit nouveau s'installe en Occident, entraînant une libéralisation des mœurs et une réforme des institutions. Le catholicisme y résiste de manière frontale, alors que le protestantisme intègre davantage les transformations de la pensée et de la vie socio-économique. Le mouvement des Lumières, dont certains aspects étaient contenus en germe dans le christianisme, est dirigé en grande partie contre les Églises. Au xixe s., la confrontation s'accentue avec l'apparition d'un athéisme critique qui élabore de nouveaux systèmes d'analyse du monde et de l'homme. La religion ne fait plus la loi à la science et devient elle-même objet de science. Au xxe s., les sociétés européennes sont sécularisées et connaissent toutes un processus de laïcisation. La sécularisation atteint la culture, alors que la laïcisation concerne les institutions, mais les deux phénomènes s'influencent mutuellement. Par ailleurs, la sécularisation produit aussi un changement à l'intérieur des Églises (concile Vatican II).
Le mouvement œcuménique

L'adjectif œcuménique (formé à partir d'un terme grec signifiant la « terre habitée ») est appliqué, dès les débuts du christianisme, aux conciles qui réunissent des représentants de toutes les Églises locales. Au xixe s., l'œcuménisme caractérise les structures protestantes. Aujourd'hui le mouvement œcuménique désigne la recherche d'unité entre les différentes confessions chrétiennes.
Au début du xxe s., des Églises protestantes et orthodoxes ont fondé ensemble deux mouvements afin de promouvoir l'unité dans le témoignage et la présence au monde. Ces mouvements ont fusionné pour donner naissance, en 1948, au Conseil œcuménique des Églises (COE), dont le siège est à Genève. Il regroupe la plupart des Églises protestantes et orthodoxes (soit plus de 300 Églises réparties dans plus de 100 pays) qui veulent témoigner d'une présence chrétienne dans les domaines de la réflexion et de l'action. En 1992, l'Église catholique romaine, qui n'en est pas membre, envoie des observateurs aux conférences internationales qui se tiennent environ tous les sept ans.
Les démarches œcuméniques entre protestantisme et catholicisme, d'une part, entre catholicisme et orthodoxie, d'autre part, sont plus récentes. Elles découlent de la reconnaissance du caractère chrétien du protestantisme par le concile Vatican II, et de la levée par le pape Paul VI et le patriarche Athênagoras des anathèmes réciproques échangés au xie s.
À ses débuts, le mouvement œcuménique, marqué par un grand enthousiasme, a été porteur de l'utopie d'une unification des Églises. Cet objectif avait valeur de protestation contre la sécularisation et la division des chrétiens. Mais si, sur certains points, les différences doctrinales se sont atténuées, elles demeurent vives sur d'autres, et une prise de conscience a eu lieu sur l'importance des clivages en matière éthique, notamment entre catholicisme et protestantisme. Par ailleurs, le pluralisme est devenu une valeur positive, et une unité de type institutionnel ne paraît plus prioritaire.
Les christianismes non occidentaux

L'acculturation (processus dynamique par lequel une culture évolue sous l'influence d'une autre) est un phénomène connu du christianisme dès ses origines. Enraciné dans le judaïsme, celui-ci s'est développé dans le monde gréco-romain : il a produit des écrits en grec, qui ont très vite été traduits dans les langues du Bassin méditerranéen. L'Europe chrétienne a semblé clore le processus, si bien que le christianisme s'est longtemps confondu avec la culture européenne, qu'il a en partie construite.
Les missions chrétiennes ont exporté leur message dans les formes de la culture occidentale. L'émancipation politique des pays asiatiques et africains, le poids des peuples de l'Amérique latine et la nouvelle distribution des chrétiens dans le monde en ont modifié les données. Depuis les années 1950, les pays non occidentaux revendiquent la reconnaissance de leur propre sensibilité dans la pratique du christianisme.
Le christianisme africain met en avant le lien, propre aux religions animistes, des êtres humains avec l'Univers, de même que la conscience d'une communauté entre vivants et morts. Dans les textes bibliques, il s'intéresse particulièrement à l'Ancien Testament. La figure de Jésus-Christ est, quant à elle, réinterprétée par des titres nouveaux (l'Ancêtre, l'Initiateur, le Guérisseur).
En Asie, où la double appartenance religieuse suscite des débats, notamment en Inde, le Christ a pu apparaître en raison de son universalisme sous le nom des divinités hindoues, et un rôle important lui est attribué dans la Création. Ce sont surtout les enseignements éthiques qui sont retenus des textes bibliques. Dans d'autres pays, l'héritage bouddhiste sert à réinterpréter le christianisme (théologie de la douleur de Dieu, au Japon). Ailleurs encore, la protestation sociopolitique anime la foi et la théologie (théologie du Minjung, en Corée du Sud).
En Amérique latine, où la prise de distance avec le christianisme d'Europe et de l'Amérique du Nord est à la fois intellectuelle et populaire, des théologiens ont insisté sur l'aspect libérateur du christianisme en utilisant une analyse d'inspiration marxiste (théologie de la libération). Par ailleurs, des communautés de base se sont créées, qui donnent la parole aux plus pauvres et les encouragent dans la lutte sociale.
Intégrismes et fondamentalismes

Dans le dernier tiers du xxe s., la crise du scientisme et des idéologies entraîne une crise du sens. Après la mise en cause du culte de la rationalité – considérée comme moteur du développement humain – et l'abandon de la foi dans le progrès perpétuel – censé conduire à la fois à l'amélioration des conditions de vie et à la maîtrise de l'Univers –, la croyance dans une philosophie de l'histoire se trouve ébranlée. Paradoxalement, la sécularisation et la laïcisation suscitent de nouveaux intérêts pour le religieux, et plus particulièrement pour les radicalismes religieux, qui prennent la forme d'intégrismes et de fondamentalismes.
L'intégrisme est un fait catholique. Apparu en Espagne au tournant du xxe s., lorsqu'un parti catholique nationaliste a demandé le respect des condamnations du Syllabus (texte pontifical de 1864 qui refusait le progrès et le libéralisme), il s’est répandu en Europe et a pris la forme d'une opposition aux ouvertures de Vatican II dans les années 1970 à 1990.
Le fondamentalisme naît au début du xxe s. dans le protestantisme des États-Unis, en opposition au libéralisme, à l'engagement social et au primat de la science. L'interprétation des textes bibliques est au centre de ce mouvement. Les fondamentalistes pratiquent, à des degrés divers, une lecture littérale de la Bible.
L'intégrisme comme le fondamentalisme entendent défendre des valeurs religieuses, l'un faisant appel à la tradition de l'Église, l'autre au texte fondateur.
Les influences syncrétistes

La religion n'ayant plus le pouvoir d'imposer des normes de foi et de comportement autrement que par l'adhésion intérieure, le sentiment religieux prend souvent la place de la doctrine défendue par les Églises. Par ailleurs, le christianisme est souvent alimenté par des apports d'autres spiritualités. L'effervescence religieuse comporte aujourd'hui des caractères protestataires à l'égard du fonctionnement des sociétés et des institutions ecclésiastiques.
Les mouvements de renouveau apparus à l'intérieur du christianisme (mouvements charismatiques catholiques, courants évangéliques protestants) offrent une expérience religieuse singulière par sa chaleur émotionnelle et la conscience unitaire qui président au sein du groupe et au contact avec le monde extérieur.
Aux franges du christianisme surgissent de nouveaux courants religieux, marqués par l'usage de techniques psychocorporelles (méditation, yoga) et des élans caritatifs. La mystique et l'ésotérisme y jouent un grand rôle. Nés aux États-Unis dans les années 1970, ces mouvements ont largement gagné l'Europe. Ils forment une sorte de nébuleuse composée à la fois de groupes constitués et de réseaux. L'adhésion personnelle, les affinités, le charisme des leaders y ont une place importante, et la protestation y est d'ordre culturel. Ces mouvements empruntent souvent des éléments à d'autres religions monothéistes (comme le judaïsme) ou polythéistes (comme l'hindouisme et le bouddhisme). Ils sont donc traversés d'influences syncrétistes. Un certain nombre de chrétiens y puisent leur inspiration spirituelle, ainsi que leur adhésion à des valeurs résolument contemporaines, telles que la conscience planétaire ou la recherche du bonheur personnel.

 

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INDE - HISTOIRE

 

Inde : histoire


La civilisation de l'Indus
1. Préhistoire et protohistoire

Le sous-continent indien dans son ensemble, donc l'Inde actuelle, le Pakistan et le Bangladesh, est extrêmement riche en gisements préhistoriques. Malheureusement, faute encore de pouvoir rattacher à un cadre chronologique suffisamment précis les trouvailles faites sur de très nombreux sites disséminés sur la presque totalité de cet immense territoire, on se contente jusqu'à présent de classer les outils de pierre, seuls vestiges d'une activité protohumaine, puis humaine, en trois grands groupes correspondant à trois périodes successives du paléolithique, qui doivent coïncider, en termes d'évolution humaine, avec le passage de l'archanthropien au néanthropien, c'est-à-dire à l'homme actuel, dont on situe l'apparition entre −35000 et −15000 environ. Les industries microlithiques sont donc entièrement son œuvre puisqu'en Inde celles-ci ne paraissent pas antérieures à l'holocène, soit à −10000 environ.
Il est actuellement impossible de dire avec certitude si les premiers hominiens ont pénétré dans le sous-continent par le Nord-Ouest, comme on l'imagine parfois, ou si cette évolution s'est faite dans l'Inde même, ou encore si la péninsule a été colonisée dès ces temps reculés par des populations venues d'outre-mer.
1. 1. La civilisation de l'Indus

La civilisation de l'IndusLa civilisation de l'Indus
La « révolution néolithique », définie par l'apparition d'une économie de production, dont on situe les débuts, dans l'Ancien Monde, dans le Croissant fertile au Proche-Orient, entre les IXe et VIIe millénaires avant J.-C., apparaît, depuis la découverte de sites tels que celui de Mehragarh au Pakistan, pratiquement aussi ancienne dans le sous-continent indien. Il est vraisemblable que la présence dès cette époque de villages dans cette partie du Baloutchistan qui domine le bassin de l'Indus explique en partie que la première civilisation indienne, celle dite « de l'Indus » (ou « de Harappa », ou encore « harappéenne »), soit née dans cette région du sous-continent, alors que partout ailleurs dans le reste de l'Inde les populations en sont encore à un stade de civilisation bien moins avancé.
Avec la civilisation de l'Indus, qui dut commencer à se développer au IVe millénaire avant notre ère, commencent l'âge du bronze et, en fait, la protohistoire de l'Inde puisque cette civilisation, à son apogée, entre environ 2500 et 1750 avant J.-C., connaît l'écriture. Mais l'écriture harappéenne non plus que la langue qu'elle note ne sont encore déchiffrées. Ainsi, cette civilisation, par ailleurs assez bien connue sous ses aspects matériels, constitue une énigme.
1.2. La question aryenne

Le millénaire qui suit la disparition de la phase brillante de la civilisation de l'Indus et qui se prolonge jusqu'aux débuts de l'histoire proprement dite (traditionnellement le vie s. avant J.-C., à l'époque du Bouddha) est, lui aussi, énigmatique. Il est en effet presque tout entier concerné par la fameuse question « aryenne », qui, très succinctement, se pose de la façon suivante. D'une part, le corpus littéraire indien le plus ancien : le Rigveda, puis les recueils suivants, ensemble composé en sanskrit védique, langue indo-européenne, sont supposés avoir été élaborés à partir de la seconde moitié du Ier millénaire avant notre ère dans l'Inde du Nord-Ouest.
D'autre part, les archéologues n'ont, pour cette période et dans ces régions, jusqu'à présent, guère trouvé de traces nettes de migrations de populations. On ne retrouve dans le Pendjab, pakistanais aussi bien qu'indien, que des vestiges de cultures harappéennes tardives auxquels font suite, mais après une période d'abandon qui peut avoir duré plusieurs siècles, des vestiges d'une culture qui paraît nouvelle, caractérisée par d'autres types de céramique (en particulier par une poterie grise peinte), et qui, surtout, se développe dans le Doab (l'interfluve entre le Gange et la Yamuna) et dans la haute vallée du Gange.
À cette culture qui doit commencer vers le début du Ier millénaire avant J.-C. fait suite, cette fois sans interruption, une autre culture définie par une forme évoluée de la poterie grise et centrée sur la moyenne vallée du Gange. Cette dernière culture appartient déjà à l'histoire puisqu'elle se prolonge dans la seconde moitié de ce Ier millénaire avant notre ère. À moins de nouvelles découvertes, la pénétration aryenne en Inde n'est donc encore imaginable qu'en termes de langue et de civilisation, les tribus véhiculant langue et idéologie indo-européennes ayant été d'ailleurs, on le sait, nomades et, pour cette raison, n'ayant peut-être pas laissé de traces durables de leurs mouvements.
Il faut enfin ajouter que cette question de la pénétration indo-européenne en Inde devrait être réexaminée si l'une des grandes hypothèses sur la nature de la langue harappéenne se révélait exacte, c'est-à-dire s'il s'agissait déjà d'une langue indo-européenne.
2. La formation de l'Inde ancienne

2.1. Les sources

Les limites chronologiques que l'on assigne habituellement à l'histoire de l'Inde ancienne sont l'époque du Bouddha d'une part, et l'instauration du premier pouvoir musulman à Delhi, en 1206 après J.-C., d'autre part. Les raisons de ce choix sont, avant tout, qu'à chaque fois, avec l'apparition d'une nouvelle religion, un changement se produit dans les sources littéraires qui servent à écrire l'histoire de ce pays (et non un changement radical, politique ou social : pour importants qu'aient été en Inde le bouddhisme et l'islam, l'Inde a toujours été et est toujours majoritairement hindoue).
L'historicité des sources est ici seule en cause. Celle des sources bouddhiques est donc plus nette que celle de la littérature védique (Veda), dont l'élaboration, d'ailleurs, paraît s'achever au milieu du Ier millénaire avant notre ère. D'autre part, près de 2000 ans plus tard, l'histoire en tant que discipline intellectuelle est introduite en Inde par l'islam.
On touche ici à l'un des plus graves problèmes auxquels se heurtent les historiens de l'Inde ancienne. Les sources littéraires, qui restent les sources principales, qu'elles soient bouddhiques, jaïna ou brahmaniques – ces dernières étant de loin les plus considérables –, sont des œuvres religieuses (au sens large) ou purement littéraires. Cela explique que l'histoire proprement dite de l'Inde ancienne, en des temps où fleurit l'une des plus grandes civilisations du monde, soit si schématique en face d'une histoire des idéologies beaucoup plus consistante, sans qu'on ait guère pu, jusqu'à présent, intégrer l'une à l'autre. En d'autres termes, une chronologie, élaborée difficilement pour les temps les plus anciens, puis plus facilement lorsque apparaissent monnaies et surtout inscriptions, ne fournit que des listes de rois dont les activités principales sont l'attaque et la défense, cependant que l'histoire sociale se réduit pratiquement à l'image, figée et certainement passablement idéalisée, que les brahmanes donnent d'une société où ils réclament la première place.
Il est une évolution, toutefois, qui semble s'esquisser dès la fin de l'époque des Gupta (550 après J.-C. environ) et qui conduit, dans les siècles qui suivent, à ce que l'on appelle, assez improprement, le Moyen Âge indien : celui-ci commence à partir du moment où l'on a la preuve qu'aux donations royales de terres, qui, jusque-là, n'étaient que des donations pieuses faites à des brahmanes, à des communautés religieuses diverses ou à des temples, s'ajoutent des donations à des officiers du roi en rétribution de leurs services. Et, peu à peu, lorsque ces donations entraînent, en contrepartie, l'obligation d'entretenir des troupes pour les mettre au service du souverain, lorsque, surtout, d'abord limitées dans le temps, elles deviennent héréditaires, une sorte de noblesse féodale se constitue.
L'histoire de bien des royaumes indiens médiévaux est ainsi celle de dynasties qui ont su profiter de ces attributions de terres pour devenir indépendantes jusqu'à ce qu'à leur tour d'autres profitent de leur faiblesse. Telle est sans doute la raison de l'étonnante « plasticité » de nombre de dynasties qui, tantôt suzeraines, tantôt vassales, durèrent des siècles.
2.2. Les premiers royaumes

L'empire d'Ashoka et son démembrementL'empire d'Ashoka et son démembrement
À l'époque du Bouddha (vers 560-480 avant J.-C.), qui est celle aussi de Mahivara, le fondateur du jaïnisme, subsistent encore des sociétés tribales diverses, indigènes ou « aryanisées ». De telles sociétés persisteront d'ailleurs longtemps : il en existe même aujourd'hui et certaines avaient conservé, il y a moins d'un siècle, des modes de vie qui devaient être ceux du néolithique.
Ainsi, le Bouddha appartenait-il à une famille dirigeante de la tribu ou du clan des Shakya (d'où son nom de Shakyamuni, « Sage des Shakya »). Mais déjà des royaumes sont nés dans la vallée du Gange. La mise en valeur de cette vallée, qui a commencé après l'introduction de la métallurgie du fer dès la première moitié du Ier millénaire avant notre ère, a permis, vers le milieu de ce millénaire, la construction, le long du fleuve, des premières cités. Les sources bouddhiques mentionnent un certain nombre de ces royaumes, tous situés dans la moitié nord du sous-continent.
Parmi ces royaumes, celui du Magadha (sud du Bihar actuel), dont l’essor est probablement dû à ses très riches gisements de cuivre et de fer, tient un rôle central. Ses premiers rois connus sont Bimbisara, contemporain du Bouddha, et son fils Ajatashatru. Leur descendant Udayin transfère la capitale de Rajagrha à Pataliputra (Patna) sur le Gange. Vers 413 avant J.-C., la dynastie Nanda leur succède et Pataliputra deviendra, environ deux siècles plus tard, le centre du premier Empire indien sous la dynastie maurya.
Dans la moitié Sud, la préhistoire a duré plus longtemps, sans doute jusque vers 1500 avant J.-C., et la première mention de peuples méridionaux ne date que du règne d'Ashoka (vers 269-233 avant J.-C.).
2.3. Les Perses et Alexandre le Grand

Dans la seconde moitié du vie siècle avant J.-C., Cyrus puis Darius Ier annexent à l'Empire perse la Bactriane et une partie du bassin de l'Indus. Si les textes indiens n’ont pas laissé de trace directe de cette domination, celle-ci a notamment introduit l'écriture araméo-indienne (kharosthi) en usage dans le Nord-Ouest de l’Inde pendant plusieurs siècles et par l’intermédiaire de l'empire achéménide, les premiers échanges commerciaux et intellectuels avec le monde méditerranéen (et grec) eurent ainsi lieu avant l’expédition d’Alexandre le Grand.
Entre 327 et 325 avant J.-C., Alexandre est aux confins de l'Inde du Nord-Ouest. Il franchit l'Indus, mais ne dépasse pas l'Hyphase (la moderne Bias, l'un des cinq grands fleuves du Pendjab). Aucune mention n'a été retrouvée de cette expédition dans les sources indiennes, mais les sources classiques permettent d'entrevoir que sa venue a précédé de très peu, si elle ne l'a pas favorisée, la prise du pouvoir par Chandragupta, le premier des Maurya, vers 320 avant J.-C.
Le souverain le plus célèbre de toute l'histoire de l'Inde ancienne est le fils de Chandragupta, connu sous le nom de Ashoka (v. 269-v. 233). Il fur le premier à faire graver, sur des colonnes et sur des rochers, à la manière des Achéménides de la Perse, des édits, uniques en leur genre dans l'histoire de l'Inde et qui sont les premières inscriptions indiennes. Ces édits renseignent sur l'étendue de son empire et sur sa politique, dite du dhamma (sanskrit dharma), qui est une exhortation à se conformer à l'« ordre » au sens le plus large, l'ordre cosmique, dont les formes concrètes sont l'ordre religieux et l'ordre politique, celui-ci se devant d'être le garant de celui-là. Cette notion, centrale dans le brahmanisme comme dans le bouddhisme, fonde en partie la politique de tolérance de cet empereur, lui-même bouddhiste.
Mais la cohésion de l'empire ne survit que peu de temps à Ashoka. L'histoire de son déclin est obscure, comme celle des pouvoirs des Shunga 'ou Sunga) et des Kanva qui succèdent aux Maurya à la tête d'un royaume certainement de plus en plus petit (sans que l'on sache le situer avec précision) jusque vers le milieu du ier s. avant J.-C. Ashoka est le seul souverain de l'Inde ancienne qui soit aussi concrètement connu.
3. L'Inde « classique » et médiévale

Après une période assez obscure marquée par des invasions de Scythes puis de Kouchans, autres nomades issus du Turkestan – qui donnent naissance à l’empire de Kanishka, à cheval sur l’Inde et l’Iran, et de ses successeurs –, on voit apparaître, vers la fin du iiie siècle après J.-C., la brillante dynastie des Gupta, que l’on connaît toutefois aussi très mal faute de documents précis.
3.1. L'empire Gupta (v. 320-v. 550)

C’est également la moyenne vallée du Gange qui constitue le cœur du nouvel empire constitué au ive siècle par la dynastie Gupta, fondée par Chandragupta Ier (v. 320-330). Son fils Samudragupta est le vrai fondateur de l’empire, qui s’étendit sous le règne de Chandragupta II (v.375-v. 414) pour comprendre à son apogée l’ensemble de l'Inde au nord de la Narmada. C’est à cette époque dite « classique », que l’hindouisme, encouragé par les souverains de cette lignée, prend tout son essor parallèlement au bouddhisme et au jaïnisme également florissants.
Au milieu du ve siècle, Skandagupta parvient à repousser les Huns hephtalites qui s’imposent cependant jusqu’au milieu du vie siècle et ont raison de l'Empire gupta, qui s'émiette alors en principautés locales. Parmi ces dernières, celle fondée par Harsha (Harsavardhana) — connue grâce à l'un des très rares romans écrits en sanskrit, la Geste de Harsha du poète Bana et par les Mémoires du pèlerin chinois Xuanzang – restaure l’unité de l’Inde du Nord de 606 à 647 à partir de Kanyakubja (Kanauj, dans le Doab). Mais à la mort du souverain, l’Inde du Nord se morcelle de nouveau pendant six siècles.
3.2. L'essor de l'Inde dravidienne

Dans le nord du Deccan, sur les ruines de l’empire maurya, les Andhra avaient déjà constitué un nouveau centre de pouvoir régional à partir de ce qui deviendra l’actuel Andhra Pradesh, qui devait se maintenir jusqu’au iiie siècle, favorisant la pénétration du brahmanisme vers le sud.
À la fin des Gupta, se détachent quatre grands royaumes : dans le Deccan occidental celui des Chalukya au vie siècle, auxquels succèdent les Rashtrakuta aux viiie-xe siècles, et, plus au sud, ceux des Pallava et des Chola qui marquent l’âge d’or de la civilisation tamoule.
Mal connue à ses débuts, c’est à partir du vie siècle que la dynastie des Pallava (d’anciens vassaux des Andhra) étend son influence de la côte sud-orientale autour de Kanchipuram vers le sud de la péninsule. Sous leur règne, un commerce prospère avec l’Asie du Sud-Est commence à se développer. En guerre, dans le nord contre les Chalukya puis contre leurs successeurs, les Rashtrakuta, mais devant aussi affronter au sud les Pandya, les Pallava cèdent finalement devant les Chola, d’anciens vassaux héritiers d’une principauté fondée au iiie siècle.
Ces derniers, à partir de leur capitale Tanjore, s’imposent dans l’ensemble de la péninsule méridionale de la fin du ixe siècle jusqu’au milieu du xiiie siècle, prenant le contrôle de toute la côte orientale après des incursions jusqu’au Bengale et l’Orissa dans le Nord-est, de l’île de Ceylan — qui passe sous la domination des Tamouls au xie siècle pendant quelques décennies – et menant des expéditions maritimes jusqu’en Malaisie et dans le nord de Sumatra. Le règne de Rajendra Ier (1012-1044) en constitue l’apogée. À partir de la fin du xiie siècle, leur puissance s’atténue et les Pandya s’imposent comme la première principauté d’une Inde du Sud de nouveau morcelée.
4. Les premiers pouvoirs musulmans (1206-1526)

Le sultanat de DelhiLe sultanat de Delhi
La première région indienne conquise par une armée musulmane est celle du Sind, en 712. Elle est l'œuvre d'Arabes commandés par Muhammad ibn al-Qasim, neveu et gendre de Hadjdjadj, gouverneur de l'Iraq. Auparavant, des commerçants arabes et iraniens s’étaient déjà établis sur les côtes orientales.
4.1. Le sultanat de Delhi

Mais l'islam ne sera en fait introduit qu'un demi-millénaire plus tard, par des Turcs établis en Afghanistan, lorsque, en 1206, Qutb al-Din Aybak, lieutenant esclave du sultan Muhammad de Ghur, fonda le sultanat de Delhi. Les conquêtes de Muhammad de Ghur (prise de Lahore en 1186, de Delhi en 1193, du Bengale en 1202) seront précédées, entre 1000 et 1027, des raids, mais sans lendemain, du sultan turc Mahmud de Ghazni contre les plus grandes cités de l'Inde du Nord.
Le sultanat de Delhi devient vite la première puissance de l'Inde du Nord et, après s'être étendu au détriment des royaumes hindous, il va donner naissance à des régimes semblables à lui. Il reste cependant largement étranger à la société indienne sur laquelle il est surimposé et dont subsistent les autorités locales. Sans légitimité et règle précise de succession, si ce n’est la force du clan, il se retrouve à la merci des rébellions internes et des changements de dynasties. Sur ses ruines, en 1526, commencera de s'édifier l'Empire moghol (→ Grands Moghols).
Cinq dynasties, toutes turques, au moins d'origine, sauf la dernière, occupent le trône de Delhi de 1206 à 1526 : celle dite des Esclaves (1206-1290), celle des Khaldji (1290-1320), celle des Tughluq (1320-1414), celle des Sayyid (1414-1450), celle enfin des Lodi, qui appartenaient à un clan afghan établi en Inde, de 1451 à 1526. Iltutmich (1211-1236) et Balban (1265-1286) donnent au sultanat des assises solides et Ala al-Din (1296-1315), pour un temps, des dimensions impériales, grâce aux conquêtes de son général, Malik Kafür, aux dépens des derniers grands royaumes hindous du Deccan et du Sud : Yadava de Devagiri (conquis en 1307), Hoysala de Dvarasamudra au Mysore (1310), Kakatiya de Warangal au Telingana (1309), Pandya de Madurai, tout au sud (1311). Comme ses prédécesseurs, Ala al-Din contient les Mongols toujours menaçants au nord-ouest.
4.2. Le sultanat des Bahmanides et l'empire de Vijayanagar

Sous le règne de Muhammad Tughluq (1325-1351), des gouverneurs s’émancipent du pouvoir de Delhi, dans le Sud (sultanat de Madurai, 1334-1378) comme dans le Nord (Bengale en 1339 où le sultanat des Ilyas Chah se maintiendra jusqu’en 1487). Mais ce sont surtout deux grands royaumes qui se distinguent alors. L’un, musulman, est le sultanat bahmanide fondé en 1347 dans le Deccan occidental par Hasan Gangu, avec pour capitale Goulbarga (nord du Karnataka) ; l’autre hindou, est le royaume de Vijayanagar formé en 1336 par Hariha ra Ier au centre du Karnataka (Hampi) qui parvient à s’étendre sur l’ensemble du territoire méridional autrefois contrôlé par les Chola. Si ce nouvel empire, qui trouve son apogée sous le règne de Krishnadeva Raya (1509-1529), se présente comme le foyer d’une renaissance hindoue, il n’est inspiré par aucune volonté de « reconquête » et, tout en se maintenant pendant plus de deux siècles grâce notamment à un système efficace d’administration, il est finalement défait en 1565 par une coalition de sultans successeurs des Bahmanides.
4.3. La fin du sultanat de Delhi

Firuz Tughluq (1351-1388) saura conserver les territoires qui lui restent, mais il sera le dernier grand sultan de Delhi. En 1398, Timur Lang (Tamerlan) vient piller la ville et massacrer ses habitants. Cette invasion accélère la désintégration du sultanat : le Malwa, en 1401, le Gujerat, en 1403, deviennent des sultanats indépendants, les Rajputs du Rajasthan reconstituent leurs principautés au milieu du XVe siècle et le dernier des Lodi, Ibrahim (1517-1526), doit faire face à d'autres rébellions avant de trouver la mort face au premier souverain moghol, Baber, à Panipat.
5. L'arrivée des Européens (1498-1669)

Les Portugais, qui, avec les Espagnols, s'étaient partagé les mers en 1494 (→ traité de Tordesillas), sont les premiers Européens à atteindre l'Inde et à y établir des bases commerciales. Vasco de Gama touche Calicut en 1498 et Pedro Álvarez Cabral y commerce dès 1500. Cette installation, qui est loin d'être pacifique, devient définitive avec la prise de Goa au sultan de Bijapur par Albuquerque (1510).
Tant que durera l'empire de Vijayanagar (jusqu'en 1565), son allié et partenaire, le commerce portugais sera plus que florissant. Les Portugais restent, en tout cas, les maîtres de l'océan Indien pendant presque tout le xvie siècle.
L'échec de l'Invincible Armada (1588), la publication (1595) par les Hollandais (indépendants de la cration des Provinces unies en 1579) des cartes portugaises, jusque-là gardées secrètes, encouragent les puissances protestantes à briser le monopole hispanique sur le commerce des épices. Les Compagnies des Indes orientales anglaise (East India Company) et hollandaise (Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC) sont fondées, respectivement, en 1600 et en 1602. Les Anglais abordent à Surat (1608), alors principal port de l'empire moghol. C'est là qu'après de longues négociations ils obtiennent d'édifier leur première factorerie (1612).
Pour en savoir plus, voir les articles Compagnie anglaise des Indes orientales, Compagnie hollandaise des Indes orientales,
Le développement ultérieur des comptoirs anglais sera, en grande partie, la conséquence des heurts violents de 1623 avec les Hollandais en Asie du Sud-Est. La Compagnie anglaise se replie donc vers l'Inde et, pour y pratiquer le commerce « triangulaire » qui enrichissait tant ses concurrents, s'établit sur la côte de Coromandel : elle construit (1639), près de la future Madras, un fort qui sera baptisé Saint George. En 1658, elle occupe une ancienne factorerie portugaise sur l'Hooghly, principal affluent du Gange, à plus de 160 km au nord du golfe du Bengale. Son troisième point d'ancrage sera Bombay, cédée aux Anglais par la dot de la princesse portugaise Catherine de Bragance à l’occasion de son mariage avec le roi d’Angleterre Charles II, et confiée par la Couronne à la compagnie en 1668. Surat est alors abandonnée et Bombay fortifiée dès 1669. En Angleterre même, la Compagnie, qui avait failli disparaître sous Charles Ier mais que Cromwell avait sauvée (charte de 1657), obtient désormais des privilèges de plus en plus grands.
La France n'apparaît en Inde que dans la seconde moitié du xviie siècle. Colbert crée la Compagnie française des Indes orientales en 1664. Les premières occupations françaises dans le golfe du Bengale en 1671 à Surat et à Sao Tomé sont éphémères avant que François Martin puisse acquérir le droit auprès du sultan de Bijapur de s'installer à Pondichéry (1674) et du nabab du Bengale à Chandernagor (1688). Pondichéry sera pris par les Hollandais pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, puis restitué en 1699 après la signature du traité de Ryswick (1697). Les autres comptoirs français ne seront acquis qu'au xviiie siècle : Masulipatam, Calicut, Mahé et Yanaon (1721-1723), et Karikal en 1739.
Pour en savoir plus, voir l'article Inde Française.
6. L'Empire moghol

6.1. Les premiers conquérants (1526-1556)

BaberBaber
L'établissement de la dynastie moghole en Inde fut l'œuvre du Timuride Baber (ou Babur), qui, parce que ses espoirs de conquêtes en Asie centrale avaient été contrecarrés par la montée des Ouzbeks en ce début du xvie siècle, avait dû se tourner vers Kaboul et, de là, avait su profiter du déclin du sultanat de Delhi. Trois victoires – sur Ibrahim, le dernier des Lodi, à Panipat, en 1526, sur une confédération rajpute, à Khanua, en 1527, et sur une coalition afghane, près de la Gogra, en 1529 – lui assurent la maîtrise de l'Inde du Nord.
L'histoire de la dynastie moghole, officiellement fondée sur le sol indien en 1527, est alors, et pour près de deux siècles, jusqu'à la mort d'Aurangzeb, en 1707, avant tout celle des luttes et des guerres qui assureront son maintien et sa grandeur, guerres civiles pour des successions toujours férocement disputées, guerres de conquêtes (parfois de reconquêtes) lorsque les premières sont achevées. Cette sorte de sélection naturelle, qui tenait au fait qu'il n'existait pas de droit précis en matière de succession chez les Turcs Djaghataïdes, amena au pouvoir des conquérants remarquablement habiles et implacables.
Le fils de Baber, Humayun (1530-1556), n'aura pas assez de dix ans pour asseoir suffisamment son autorité face aux siens. Il perd en 1540 son royaume au profit d'un Afghan, Chir Chah, à bien des égards meilleur que lui, mais dont, à son tour, la descendance ne peut conserver le pouvoir. Humayun recouvre alors son héritage, quelques mois seulement avant de mourir.
6.2. Akbar et la construction de l’Empire moghol (1556-1605)

L'Empire mogholL'Empire moghol
Les extraordinaires capacités d'Akbar (1556-1605), tant militaires qu'administratives, jointes à une personnalité hors pair, font du royaume si fragile d'Humayun, son père, un empire solide et véritablement indien.
Une à une, les différentes puissances et les différentes régions, de l'Afghanistan au Bengale et de la bordure himalayenne au nord du Deccan, sont soumises et intégrées dans une structure impériale dont nombre d'aspects administratifs dureront au moins jusqu'aux premiers temps de la domination britannique. L'un des plus grands mérites de l'empereur est, en même temps, de reconnaître la diversité de son peuple et d'en tenir compte pour gouverner. Dans ce sens sont à comprendre des mesures comme la suppression de la capitation (qui, en territoire conquis par l'islam, frappe les infidèles) et la participation, jusqu'au plus haut niveau, d'hindous au gouvernement.
Des considérations politiques aussi, en même temps qu'une forte tendance au mysticisme et que la fréquentation curieuse d'hommes de religions diverses, le pousseront même à tenter d'instituer une forme de syncrétisme religieux lorsqu'il se voudra chef spirituel de ses sujets. L'art du nouvel empire, l'architecture notamment, témoignera de la même ouverture d'esprit.
6.3. Les successeurs d’Akbar et l’apogée de l’Empire (1605-1707)

Les règnes de Djahangir, de 1605 à 1627, puis de Chah Djahan, de 1628 à 1658, sont ceux de la plus grande splendeur moghole, à la cour du moins (à Agra puis, à partir de 1648, à Delhi) et dans les capitales provinciales.
Le règne de Djahangir, en fait celui de sa femme, la princesse persane Nur Djahan, voit Agra, alors deux fois plus grande qu'Ispahan, devenir un modèle d'élégance séfévide. Quant à Chah Djahan, il a laissé avant tout le souvenir du bâtisseur le plus magnifique que l'Inde ait connu. Le Tadj Mahall et la mosquée de la Perle, tous deux à Agra, et la septième cité de Delhi, Chah Djahanabad, sont son œuvre.
Mais, déjà sous ce dernier empereur, l'esprit de tolérance d'Akbar et de Djahangir a cédé la place à une réaction musulmane qui, avec Aurangzeb (1658-1707), deviendra fanatisme et contribuera sûrement au déclin de l'empire, en lui aliénant, entre autres supports, les Rajputs loyaux depuis le temps d'Akbar.
Déjà aussi sous Chah Djahan, le piège s'entrouvre où s'enlisera Aurangzeb. Ce piège c'est le Deccan, précisément les sultanats de Bijapur et de Golconde. Les campagnes successives, coûteuses et dévastatrices, pour annexer ces deux royaumes commencent dès 1631. Elles occuperont Aurangzeb de 1681 à sa mort.
Les guerres de succession, les guerres dans le Deccan, d'autres encore ont finalement ravagé de vastes territoires. L'Empire moghol n'a jamais été aussi étendu qu'à la fin du règne d'Aurangzeb, mais l'Inde est plus misérable qu'au temps d'Akbar. Des révoltes éclatent dans la seconde moitié du xviie siècle, auxquelles le fanatisme de l'empereur donne une coloration religieuse : les sikhs du Pendjab se soulèvent, ainsi que les Rajputs du Rajasthan et surtout les Marathes du Deccan (Sivaji commence sa carrière en 1647 et fonde le royaume marathe en 1674).
7. Le xviiie siècle

Les traits marquants de ce siècle sont le déclin de l'empire moghol, la montée de la puissance marathe, les débuts de l'ingérence des Anglais dans les affaires indiennes et la défaite des Français face aux Britanniques dans l'Inde du Sud.
7.1. Le déclin et l’éclatement de l’empire moghol

Dans un premier temps, malgré bien des vicissitudes – luttes intestines à la cour, manifestations d'indépendance de la part de gouverneurs, attaques venues de la Perse (1739) puis de l'Afghanistan (à cinq reprises, de 1747 à 1761) –, l'Empire moghol reste la première des puissances indiennes jusqu'à la bataille de Panipat (1761), donc pendant plus de cinquante ans après la mort d'Aurangzeb.
Le principal responsable de la défaite de Panipat (militairement, celle de l'armée marathe face aux Afghans de Ahmad Chah) est, en fait, le vizir de l'empire, Imad al-Mulk. Sa gestion, de 1753 à 1761, a été si désastreuse qu'elle a affaibli Delhi au point de susciter une quatrième intervention afghane en 1757, puis une cinquième en 1759, l'obligeant à appeler encore les Marathes à son secours.
Après la défaite de Panipat, l'Empire moghol n'est plus qu'un royaume, celui de Delhi, qui, grâce d'abord au gouvernement du représentant du souverain afghan (1761-1772), puis grâce à celui de Nadjaf Khan (1772-1782), pour le compte du plus talentueux des derniers Moghols, Chah Alam (restauré en 1772), réussit à rester indépendant. Il cesse de l'être lorsque, faute d'une personnalité capable de succéder au khan, le général marathe, Mahadaji Sindhia, se voit offrir le titre de régent de l'empire en 1785.
Les Anglais, ensuite, occuperont Delhi en 1803 lors de leurs campagnes contre Sindhia et la dynastie moghole disparaîtra définitivement quand, après la « mutinerie » (→ révolte des cipayes) de 1857, ils enverront mourir en exil en Birmanie son dernier représentant, Bahadur Chah.
7.2. Les Marathes

La plus grande puissance indienne du xviiie siècle, lorsque décline l'Empire moghol, est celle des Marathes de Pune. Tant que les peshva (Premiers ministres) conservent tout le pouvoir entre leurs mains (de 1714 à 1772), tenant à distance les quatre grandes familles de chefs de guerre qui forment avec eux une sorte de confédération, les Marathes règnent en maîtres, directement ou indirectement, sur l'Inde entière, à l'exception du Bengale. Mais l'affaiblissement de leur pouvoir central, en un temps où les Anglais viennent d'apprendre au Bengale et dans le sud de l'Inde à user de leur influence, conduit à trois guerres (1775-1782, 1803-1805, 1817-1818) qui finissent par anéantir les Marathes et par donner à leurs adversaires britanniques l'empire de l'Inde.
7.3. La rivalité franco-britannique

La guerre de la succession d'Autriche (1740-1748) dans laquelle s’opposent la France, l’Angleterre et leurs alliés respectifs, se double d’un conflit d’ordre colonial entre les deux puissances, notamment en Inde. Il a pour théâtre le Deccan oriental, plus précisément le Carnatic, portion sud-est de la péninsule entre les Ghât orientaux et la côte du Coromandel, et, plus au nord dans le centre, l’État de Hyderabad.
Si Pondichéry est défendue en 1748 avec succès par son gouverneur Dupleix , Madras, qui avait été prise en 1746 par la flotte de Mahé de La Bourdonnais, est rendue aux Anglais par le traité d'Aix-la-Chapelle (1748) en échange de la restitution de Louisbourg au Canada. Dupleix reprend alors la lutte contre les Anglais par princes indiens interposés. Il rencontre un certain succès (prise de Hyderabad en 1751) mais se heurte aux Anglais et à leurs alliés indiens au Carnatic (échec devant Trichinopoly, 1753) avant d’être rappelé par la Compagnie française des Indes et le gouvernement en 1754.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) est l’occasion pour l’Angleterre d’écarter définitivement la concurrence de la France. Chandernagor tombe en 1757 ; Masulipatam en 1759 ; les troupes de Lally-Tollendal sont défaites par celles de sir Eyre Coote à Vandavachy (Wandiwash) en janvier 1760 et Pondichéry capitule l’année suivante avant d’être restitué par le traité de Paris (1763) mais le rôle de la France en Inde est désormais insignifiant.
8. La formation de l'Empire britannique des Indes

L'Inde à l'époque colonialeL'Inde à l'époque coloniale
Les menées agressives d'un jeune nabab du Bengale, Siradj al-Dawla, en 1756, face à une compagnie de marchands qui entend défendre ses droits, sont le choc initial qui déclenche un processus d'expansion qui, de la simple canonnade de Plassey (juin 1757), commandée par Robert Clive contre le nabab, conduit à la victoire de Buxar, en octobre 1764, cette fois face à une coalition indienne où figure l'empereur moghol.
8.1. L’East India Company, nouvelle puissance territoriale

En 1765, l’East India Company, dont la principale « présidence » est Fort William (à Calcutta) se voit confier par le traité d’Allahabad la perception des impôts et l’administration des Finances dans les trois provinces du nord-est (Bengale, Bihar et Orissa). La même année, elle prend en main les fonctions de défense et de maintien de l’ordre au Bengale. Ce pouvoir ne tardera pas à s’étendre pour devenir sans partage et la Compagnie devient de fait l’une des principales puissances territoriales du sous-continent, dotée d’une puissante armée recrutée parmi les brahmanes et Rajputs du Nord sous le commandement d’officiers britanniques et dont l’entretien absorbera près de la moitié de ses dépenses.
Mais loin d’être le fruit d’une politique délibérée, l'expansion britannique dans toute l'Inde (à partir des présidences de Calcutta, de Madras et de Bombay, avec une nette prééminence de la première à partir de 1793) apparaît plutôt comme un mouvement irréversible, dans lequel la Compagnie, obéissant à une logique à la fois mercantiliste et militaire, est entraînée pour augmenter ses revenus, mais aussi parfois seulement pour les conserver face à des États indiens encore puissants. Ainsi, pour Warren Hastings, gouverneur général du Bengale en 1772-1785, il s’agit avant tout de préserver les possessions britanniques déjà établies dans le Nord comme dans le Sud, en signant notamment un traité avec les Marathes (1782) tandis que son successeur, le général lord Cornwallis (1786-1793), n’entend qu’affaiblir le sultan Tippoo Sahib (troisième guerre du Mysore, 1790-1792) et non annexer son territoire. Sous le gouvernorat de Sir John Shore (1793-1798) la Compagnie privilégie de nouveau la diplomatie.
8.2. L’extension du Raj britannique

C’est à partir de l’arrivée au pouvoir de lord Richard Wellesley, gouverneur général de 1798 à 1805, que la compagnie se lance dans une politique systématique d’annexions territoriales. Tippoo Sahib est battu et trouve la mort en 1799 à l’issue de la quatrième et dernière guerre du Mysore. La majeure partie de ses territoires est annexée de même que le Carnatic en 1801, tandis que Tanjore est placée sous la protection de la compagnie.
Cette politique d’annexion est poursuivie dans le Nord et commence à inquiéter Londres et la direction de la compagnie. Le gouvernorat de lord Minto (1807-1813) marque ainsi une pause dans les conquêtes avant leur reprise sous celui de lord Hastings (1813-1823) : le royaume du Népal, transformé en État tampon, doit céder des territoires (1816) et, surtout, après trois guerres, les Marathes s’inclinent en 1818. À cette date, la Compagnie n’a plus de véritable rival dans le sous-continent à l’exception du plus lointain Pendjab et avec lequel les relations sont encore bonnes.
Elle est cependant engagée dans de nouveaux conflits dont certains en dehors du territoire indien au cours des années suivantes. Sous Amherst (1823-1828), la Birmanie perd la plus grande partie de sa façade maritime. Après un intervalle de sept années de paix sous lord William Bentinck (1828-1835), lord Auckland (1836-1842) cautionne la désastreuse expédition d'Afghanistan. Cette expédition devait s'assurer de ce pays face au péril russe. En 1841, l'armée anglaise de Macnaughten est totalement exterminée.
Lord Ellenborough (1842-1844) venge cette défaite en faisant la conquête (sanglante) du Sind (1842). Lord Hardinge (1844-1848) attaque la dernière grande puissance indienne indépendante, le royaume sikh du Pendjab, jusque-là ami mais en en proie à des troubles depuis la mort de son souverain, Ranjit Singh, en 1839.
La première guerre sikh s'achève (1846) par l'annexion de territoires, entre autres le Cachemire, qui est donné au Rajput Gulab Singh dont la famille régnera jusqu'après l'indépendance de l'Inde (1947). Lord Dalhousie (1848-1856), enfin, achève l'œuvre de son prédécesseur. La seconde guerre sikh aboutit (1849) à l'annexion du Pendjab.
En 1850, l'Empire britannique des Indes s'étend du Bengale à l'Indus, du Cachemire au cap Comorin. D'ultimes expéditions auront lieu contre la Birmanie (1852 et 1885) et contre l'Afghanistan en 1878-1880, sans plus de succès qu'en 1841. Les territoires conquis seront, dans leur grande majorité, administrés directement, mais des centaines d'États autonomes, protectorats en fait liés par traité à la Couronne, gouvernés par des maharaja, subsisteront jusqu'en 1947. Parmi les plus grands figurent le Cachemire et l'État de Hyderabad.
8.3. L'évolution institutionnelle

L'expansion territoriale britannique provoque des mesures destinées à l'administration du nouvel empire et qui touchent au statut de la compagnie des Indes elle-même. La centralisation de l'autorité à Calcutta (confiée au « gouverneur général et conseil de la présidence de Fort William ») s'accompagne du passage progressif de la compagnie sous le contrôle du gouvernement de Londres. La première loi témoignant de cette évolution est le Regulating Act de 1773. L’India Act de 1784, transfère le pouvoir de décision de la Cour des directeurs de la Compagnie à un Conseil de contrôle (Board of Control) relevant de la Couronne.
Puis, par le Charter Act de 1813, la Compagnie perd son monopole commercial. L'Inde est ouverte à l'entreprise privée. Par celui de 1833, elle perd ses activités commerciales pour ne plus être qu'un organisme de gouvernement et le gouverneur général du Bengale devient gouverneur général de l'Inde. Enfin, le Government of India Act de 1858, signant le démantèlement de la compagnie, en transfère toutes les fonctions et propriétés à la Couronne, qui par l’intermédiaire du vice-roi, gouvernera désormais le pays.
Les mesures administratives, pendant cette période, sont nombreuses. Il convient de mentionner le Code que laisse Cornwallis en 1793 et qui définit les règles selon lesquelles s'exercera l'autorité anglaise. La plus célèbre d'entre elles, le Permanent Zamindari Settlement, définit les modalités de la levée de l'impôt foncier au Bengale et fait des zamindar les propriétaires intermédiaires entre les paysans et l'Administration. Dans le Sud, la perception de cet impôt sera différente, dans son principe. L'impôt, aux termes du Ryotwari Settlement mis en place par Thomas Munro, gouverneur de Madras de 1820 à 1827, sera exigé directement des paysans par l'Administration. Dans le premier cas, l'Angleterre tente de substituer une sorte de « gentry » à l'ancienne noblesse moghole ; dans le second, elle tente de faire des paysans les seuls propriétaires des terres qu'ils cultivent, ce qui revient à vouloir changer les structures sociales traditionnelles…
D'une manière générale, toutes les mesures que les Anglais prennent, dans la première moitié du xixe siècle, amènent des transformations partielles de la société indienne. Par exemple, la levée (1833) de l'interdiction faite jusque-là aux missionnaires de venir exercer leurs activités en Inde ainsi que l'introduction, vers la même époque, de l'éducation anglaise font naître une culture anglo-indienne, illustrée d'abord par le mouvement dit de la « renaissance hindoue » au sein de l’intelligentsia bengali. Et les Britanniques tentent des réformes sociales (interdiction, par exemple, du suicide des veuves en 1829). En matière économique, de même, l'abolition du monopole commercial de la Compagnie rend l'Inde dépendante de l'étranger (c'est-à-dire de l'Angleterre). Mais cette mesure fait aussi naître un capitalisme indien…
8.4. La « mutinerie »

L'œuvre du gouverneur général Dalhousie (1848-1856) résume assez bien les bouleversements que l'Angleterre impose à l'Inde pendant la première moitié du xixe siècle. Bouleversements techniques par le lancement de la construction du réseau ferré, et celle du réseau télégraphique, ainsi que par la mise en place d'un réseau postal uniforme. Bouleversements politiques par l'application de la doctrine dite du « lapse », selon laquelle, en l'absence d'héritier direct, un royaume revient à son suzerain, donc à la compagnie. Cette doctrine, contraire à la loi hindoue et à la loi musulmane, qui reconnaissent les droits des héritiers par adoption, permet à Dalhousie des annexions pacifiques et des économies substantielles, car le principe est également appliqué aux pensions.
Cette politique impérialiste culmine avec l'annexion de l'Aoudh, en 1856, non parce que son souverain n'a pas d'héritier, mais sous le prétexte de mauvais gouvernement. L'Aoudh est, en fait, l'une des régions les plus riches de l'Inde. Cette annexion est une erreur à laquelle viennent s'en ajouter d'autres commises par lord Canning (1856-1862), dernier gouverneur général de l'Inde et premier vice-roi.

Révolte des cipayesRévolte des cipayes
Le 9 mai 1857, à Meerut (à environ 50 km au nord de Delhi), éclate dans l'armée du Bengale ce que les Anglais appelleront une « mutinerie », mais qui sera plus qu'une simple révolte de soldats, sans cependant atteindre les dimensions d'une révolte nationale, faute d'une direction et d'un idéal communs. C'est, sans doute, le « dernier sursaut d'un ordre condamné », dont certains éléments supportaient mal les spoliations et la pacification énergique de la puissance étrangère. Cette révolte qui, pendant l'été de 1857, ne fait vraiment perdre aux Anglais que le contrôle du cœur de la vallée du Gange, est rapidement matée, souvent avec une extrême cruauté.
La « mutinerie » (ou révolte des cipayes) aura de multiples conséquences. Un mur de défiance opposera désormais les deux communautés, et l'Angleterre, qui se voulait éducatrice et civilisatrice, n'essaiera plus de légiférer dans des domaines touchant à la religion et aux mœurs. L'évolution de l'Inde au siècle suivant sera bien davantage due au rôle économique que lui fera jouer la puissance coloniale, initiatrice, partenaire et rivale, et à la prise de conscience des Indiens de leur identité.
9. L'Inde coloniale

9.1. Le gouvernement de l'Inde

L'Inde britannique, résultat de cette politique de conquêtes et d'annexions, est devenue, au fil des années, un immense empire comprenant deux sortes de territoires : des territoires administrés directement et des territoires princiers (plus de 600 au début du xxe siècle) soumis au régime de l'administration indirecte, autonomes, mais sans aucune indépendance réelle.
L'Empire est, depuis Calcutta (depuis Delhi à partir de 1911), dirigé par un vice-roi (successeur du gouverneur général depuis 1858) nommé par le gouvernement anglais et dépendant du secrétaire d'État à l'Inde, ce dernier, membre du gouvernement de la Couronne. Le vice-roi est assisté d'un Conseil exécutif, purement consultatif, d'abord de six membres nommés par Londres. Son Conseil législatif est le même, mais augmenté de seize membres nommés par lui. L'administration impériale est absolument centralisée dans la mesure où les gouverneurs de province, assistés de leurs conseils, ne sont que des délégués du vice-roi qui les nomme. Cette centralisation autoritaire est pesante. Elle prend la forme, le temps passant, d'une machine bureaucratique énorme et conservatrice.
L'administration quotidienne repose, elle, presque entièrement sur la personne du collecteur de district, au début homme de terrain, homme à tout faire, aux fonctions à la fois exécutives et judiciaires. Puis, ses tâches ne cessant de croître, ce personnage devient un bureaucrate qui supervise, à la tête d'une administration indigène.
Les administrateurs britanniques appartiennent au corps de l'ICS (Indian Civil Service), dont les Indiens, longtemps, ne pourront faire partie puisque, jusqu'en 1922, le concours d'entrée se passera obligatoirement en Angleterre. Ce corps est resté célèbre pour l'esprit victorien qui l'animait, mais qui le rendait anachronique et incapable d'innover. Toutes les initiatives rendues nécessaires par la poussée nationaliste et par les grands événements mondiaux (les deux guerres mondiales, la crise de 1929) viendront toujours de Londres et se heurteront au conservatisme de ces fonctionnaires coloniaux.
9.2. L'Inde rurale

L'Inde sur laquelle les Britanniques étendent leur empire est un pays rural (le pourcentage de la population urbaine est de 10 % en 1901 et ne sera que de 13 % en 1941) peuplé de villages (730 000 en 1901) isolés, pratiquement autarciques, aux structures sociales héritées d'un très long passé.
La société y est divisée en castes hiérarchisées et cette structure conditionne tous les aspects de la vie rurale. Si le nombre des castes, à considérer l'Inde dans son ensemble, apparaît presque infini, à l'intérieur d'un même village, trois groupes peuvent être, du point de vue économique, définis. Au sommet de la hiérarchie, la caste dominante possède la plus grande partie des droits sur la terre, sans la travailler elle-même. En dessous, et dépendant largement de la classe précédente, viennent les petits propriétaires, les tenanciers et les artisans ruraux. Les exploitations à ce niveau sont petites, guère plus du minimum vital, parfois moins. En bas, enfin, se tiennent les plus pauvres et les plus méprisés, les paysans sans terre et les castes de service impures, en général intouchables. C'est dans ce prolétariat que figurent les paysans non libres endettés dans des conditions qui ne leur permettent pas de racheter leurs dettes.
Dans ce monde, les Anglais introduisent un certain nombre de nouveautés qui, directement ou indirectement, transforment les structures agraires. Il s'agit d'abord de l'établissement de nouveaux systèmes fonciers (dès 1793) qui, en instituant le droit de propriété, bouleversent les droits traditionnels sur la terre, rompant par là l'équilibre de l'économie villageoise. Il s'agit ensuite de l'introduction des cultures industrielles et de la commercialisation croissante de l'économie agricole, phénomènes qui, joints à la concentration de la propriété foncière qui avait suivi l'institution de la propriété, vont déséquilibrer la production agricole et l'assujettir aux fluctuations des cours mondiaux. Enfin, aux facteurs de déséquilibre touchant une société bloquée, s'ajoute, à partir de 1921, le facteur démographique. À partir de 1921, en effet, le taux de mortalité chute de façon continue (il passe de 40 à 50 ‰ avant cette date à 31,2 ‰ en 1941) en face d'un taux de natalité stationnaire aux environs de 45 ‰.
9.3. L'industrie pendant la période coloniale

Le secteur moderne de l'économie indienne, de type capitaliste, est d'abord aux mains d'hommes d'affaires britanniques qui qui peuvent exercer leur activité fortement monopolistique grâce au système des agences de gestion (managing agency system) créé entre 1834 et 1847 à Calcutta puis généralisé à l’ensemble du territoire : les sociétés londoniennes, ignorantes du milieu indien, confient la gestion de leurs capitaux à de vieilles firmes implantées depuis longtemps en Inde.
Ces agences, qui détiennent, en le concentrant aux mains de quelques-uns, le pouvoir économique, fleurissent jusque dans les années 1920. Après quoi commence à se développer un capitalisme indigène, calqué sur le modèle anglais, œuvre de communautés précises (et d'abord celle des parsis, qui avaient commencé, au siècle précédent, à faire des affaires en tant qu'intermédiaires [compradores] dans le commerce du coton et de l'opium). Ce développement se produit à la faveur, notamment, d'une protection douanière (mais sélective) de l'industrie indienne, des difficultés auxquelles se heurte l'industrie en métropole dans les années 1930, et des succès que remporte le nationalisme indien. Les deux guerres mondiales, en isolant l'Inde et en augmentant la demande anglaise, favoriseront aussi l'essor de l'industrie indienne.
Cela étant, le bilan industriel de l'Inde au moment de l'indépendance ne sera nullement en rapport avec les besoins du pays. La raison principale en est que l'industrie indienne est longtemps restée de type colonial, c'est-à-dire déséquilibrée. Certains secteurs seulement ont été développés : fabrication du thé, industrie du coton dans l'Inde de l'Ouest, du jute au Bengale, extraction de la houille au Bihar et en Orissa, au détriment des industries de base que le gouvernement n'a pas aidées, laissant par ailleurs les frontières ouvertes aux importations de la métropole. L'une des conséquences de cette politique est que longtemps subsistera un vaste secteur inorganisé et archaïque. Enfin, l'industrie coloniale, centrée sur les ports, ne contribue pas au développement du reste du pays.

 

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LE MOYEN ÂGE

 

Moyen Âge


Cet article fait partie du dossier consacré au Moyen Âge.
Période de l'histoire de l’Occident, située entre l'Antiquité et les Temps modernes (ve-xve siècles).
Le Moyen Âge occidental est traditionnellement situé entre la chute du dernier empereur romain d'Occident (476) et la découverte de l'Amérique (1492), même si ces deux dates sont arbitraires et restent discutables.
La civilisation médiévale se définit par quatre caractéristiques majeures : le morcellement de l'autorité politique et le recul de la notion d'État ; une économie à dominante agricole ; une société cloisonnée entre une noblesse militaire, qui possède la terre, et une classe paysanne asservie ; enfin, un système de pensée fondé sur la foi religieuse et défini par l'Église chrétienne.
1. Le cadre chronologique

L'expression « moyen âge » date du xviie siècle : ce serait Christophe Kellner (Cellarius), professeur d'histoire à l'université de Halle, qui l'aurait employée pour la première fois, en 1688 (Historia medii aevi). La définition, commode chronologiquement, suggère ainsi que la période de mille ans, archaïque et barbare, qui a rompu avec les modèles classiques de l'Antiquité, n'est que l'attente obscure des prestiges de la Renaissance et des Temps modernes. Cette longue période est pour la première fois réhabilitée au xixe siècle, mais dans une vision simpliste (l’ère « gothique ») campée de caricatures romantiques, du chevalier toujours preux au serf irrémédiablement « attaché à la glèbe ». Le langage commun n'est d’ailleurs toujours pas exempt des images conventionnelles d'un Moyen Âge plus mythique que réel, encore synonyme de retour aux limbes, de médiocre et d'inaccompli.
Depuis les années 1930, les historiens s'attachent à rendre son identité à cette longue période de lentes mutations, au cours de laquelle une société complexe s'est épanouie en Occident. En particulier, les études minutieuses faites en France par l'école historique des Annales – et notamment par Marc Bloch, Georges Duby et Jacques Le Goff – ont permis de mettre fin à cette tradition d’idées fausses.
Pour délimiter un cadre chronologique à ce long « Moyen Âge », on ne peut se référer à des dates politiques. Si 395 marque la fin de l'unité de l'Empire romain, avec la séparation entre Empire d'Orient et Empire d'Occident, 476 voit la disparition du dernier empereur romain d'Occident. À l'autre extrémité de la période, la prise de Constantinople par les Turcs ottomans en 1453 est surtout significative pour l'Orient ; en Occident, on pourrait se référer à la mort du dernier roi « médiéval », Louis XI de France, en 1483. Il n’en demeure pas moins que le voyage de Christophe Colomb en 1492, lourd de conséquences, est la date communément admise pour définir la fin du Moyen Âge et le début de l’époque moderne.
La rupture avec les périodes qui encadrent le Moyen Âge n'est donc pas aussi nette qu'on le laisse souvent entendre, et, bien que les repères chronologiques soient indispensables, les évolutions se dessinent plus sûrement dans les mutations économiques et sociales qui, en aucun domaine, n’ont été brutales.
2. Le haut Moyen Âge (fin du ve-ixe siècle)

2.1. L’héritage antique

Introduction
Le Moyen Âge perce déjà dans le monde antique du iiie siècle. La volonté d'échapper à l'État – à sa pression fiscale et aux charges militaires ou municipales – caractérise alors le comportement social. Contraction démographique et étiolement urbain amorcent la ruralisation de l’économie, tandis que se dégrade la condition des colons endettés et que s'améliore celle de l'esclave, qui, de plus en plus, a la jouissance d'une terre. Le développement du christianisme, religion officielle de l’Empire romain depuis la fin du ive siècle, assoit les bases de la puissance ecclésiastique.
L'assimilation des Barbares
Déclenchées par les Huns, qui, à la fin du ive siècle, entreprennent une migration vers l'ouest et poussent devant eux Ostrogoths et autres peuples germains, les grandes invasions n’ont jamais pris l'aspect d'une ruée massive, même si le mouvement s'accentue à partir de 406. Elles n'ont pas non plus détruit brusquement l'Empire romain, qui, dans un premier temps, s'est efforcé d'intégrer ces populations. Un Occident nouveau est né de la lente fusion des peuples et des coutumes.
Les Barbares savent tirer profit de la romanité, acceptent le code d'hospitalité qui préside à leur implantation, s'intègrent (tel Théodoric) au fonctionnariat impérial, ou rédigent (à l'instar d'Alaric) un code de lois, dit bréviaire, inspiré du droit romain.
Le maintien de la langue latine, la continuité entre nombre de grandes villes antiques et médiévales, la permanence des anciens circuits commerciaux sont autant de survivances de l'Antiquité dans le haut Moyen Âge. Par ailleurs, l'apport barbare imprègne ce monde nouveau : la notion de droit public s'estompe, civil et militaire ne se distinguent plus guère dans des communautés où prévaut la valeur guerrière du chef, élu et mythifié. L'économie sylvo-pastorale des Barbares renforce la ruralisation en cours depuis le Bas-Empire. La fuite devant les responsabilités imposées par l'État se conjugue avec le repli des aristocraties sur leurs terres, refuge et fondement de leur pouvoir.
Le rôle de la foi chrétienne
Baptême de ClovisBaptême de Clovis
Le véritable ciment des communautés antiques et barbares est le christianisme. Le prosélytisme des moines (→ Colomban, Benoît de Nursie), soutenu par le pape Grégoire le Grand, est renforcé par l'écrasement de l'arianisme en 653.
Les premiers royaumes barbares sont balayés par les Vandales et les Francs. Alors que, de la Provence à l'Italie et à l'Espagne, le pouvoir éclate en principautés territoriales, Vandales et Francs constituent des royaumes centralisés. Celui des Francs doit en partie son succès au baptême de Clovis (498 ou 499), qui acquiert, outre la reconnaissance de l'empereur byzantin, le soutien du clergé et du pape, dont il devient le principal appui : au moment où, dans l'empire d'Orient, se multiplient les controverses et les hérésies, le christianisme devient ainsi en Occident le passage obligé vers le pouvoir.
2.2. Vers un grand empire chrétien

Le sacre du roi Pépin le Bref à Saint-Denis, par le pape Étienne II en 754, confirme le prestige franc et marque un nouveau pas vers la sacralisation d'une famille : celle des Carolingiens. Le principe dynastique complète désormais l'élection coutumière.
Le couronnement impérial de Charlemagne
Couronnement de CharlemagneCouronnement de Charlemagne
Le secours apporté par Charlemagne au pape, menacé par la noblesse romaine, fait du Carolingien le candidat à la restauration de l'empire d’Occident : son couronnement sanctionne cette évolution. Lors de la cérémonie romaine à la Noël 800, le pape Léon III, en couronnant l'empereur avant qu'il ne soit acclamé, manifeste la suprématie du spirituel sur le temporel, Charlemagne se considérant « empereur couronné par Dieu ». En revanche, Charlemagne, couronnant lui-même son fils Louis le Pieux en 813, se propose de rappeler que le pape n'est que le premier des évêques, dépendant de la protection militaire, donc du pouvoir temporel.
L'Empire carolingienL'Empire carolingien
De fait, l’Empire franc des Carolingiens s'appuie principalement sur l'armée. Mais celle-ci n'en est pas le seul fondement. Charlemagne entreprend une rénovation de l'État à partir d'Aix , où siège la chapelle (→ Aix-la Chapelle). La reprise en main de l'administration régionale par l'intermédiaire des comtes, représentants assermentés de l'empereur, surveillés par les missi dominici, le retour à une législation publique, votée par les hommes libres des plaids et consignée dans les capitulaires (ordonnances), un réseau de fidélités entrecroisées remontant à la personne même de l'empereur : tout concourt au redressement et à la consolidation de l'autorité impériale.
L'Empire devient un Empire germanique
Otton Ier le GrandOtton Ier le Grand
Alors même que s'édifie une civilisation nouvelle, l'Empire carolingien révèle ses faiblesses. Toujours unifié sous Louis le Pieux, il profite encore un temps des conquêtes de Charlemagne. Toutefois, la politique du nouveau souverain, trop favorable à l'Église, met en danger la suprématie du pouvoir laïque. La réforme clunisienne (909) placera d'ailleurs les monastères sous l'autorité directe de Rome (→ histoire de Cluny).
Divisé par les fils de Louis le Pieux en trois royaumes rivaux (Francie occidentale, Lotharingie, ropyaume de Germanie) malgré la proclamation du droit d'aînesse en 817, l'Empire carolingien n'a plus qu'une unité théorique.
Mais en Germanie, où le roi a conservé le contrôle des duchés régionaux, l'idée d'empire et les structures carolingiennes sont assez vigoureuses pour que le roi Otton Ier de Germanie prenne à son tour la couronne impériale, en 962. Chrétien sincère, il n'en impose pas moins sa tutelle au pape et au clergé germanique. Les leçons de l'échec politique des Carolingiens ont été retenues. Toutefois, l'Empire ressuscité n'est plus que strictement germanique, et bientôt appelé Saint Empire romain germanique.
Pour en savoir plus, voir l'article Carolingiens.
3. L'âge féodal (xe-xiiie siècle)

3.1. La société féodale

Dès le viie siècle émerge une aristocratie guerrière composée de nobles de fonction et de nobles de lignage, qu'aucune solidarité de groupe social ne cimente. Charlemagne incite ces hommes à la recommandation mutuelle afin de remplacer les conflits de clans par des relations de fidélité.
L'engagement vassalique
Adoubement d'un chevalierAdoubement d'un chevalier
La richesse foncière constitue le fondement de la puissance de ces aristocrates. Les mieux nantis (vassaux royaux) disposent de terres en toute propriété (les alleux, issus d'héritages familiaux), mais aussi d'honneurs, concédés pour la durée d'exercice d'une charge (comtale par exemple), et de bénéfices accordés en échange de services (surtout militaires). Devenu héréditaire, par transmission familiale des fidélités, le bénéfice ne tarde pas à être la cause même de l'engagement vassalique.
La puissance se mesure donc au nombre d'hommes à qui l'on est en mesure de procurer une terre en échange de leur engagement. Inversement, il devient tentant pour les vassaux de multiplier leurs fidélités afin d'accroître le nombre de leurs bénéfices. Et beaucoup d'hommes libres cherchent à se recommander : en ces temps incertains, servir un protecteur vaut mieux qu'une totale indépendance.

L'arbre de la société médiévaleL'arbre de la société médiévale
Évêques et abbés, à la recherche d'une protection, entrent aussi en vassalité et n'échappent pas à l'intégration dans l'univers féodal. Ne pouvant, du fait de leur vocation religieuse, remplir les obligations militaires, ils ont, depuis les temps carolingiens, confié la gestion des églises et des abbayes à des avoués laïques. Ceux-ci se sont peu à peu approprié les domaines ecclésiastiques, ainsi menacés de dissolution par les partages successoraux.
En France, le transfert de l'autorité publique entre les mains des châtelains se poursuit, sans qu'il soit possible d'affirmer que cette anarchie féodale ait été le tombeau du pouvoir ou, au contraire, son plus efficace refuge.
La multiplication des fidélités vassaliques, devenues concurrentes, jette les nobles dans d'interminables conflits qui accroissent l'insécurité de populations, déjà terrorisées par les catastrophes annoncées à l'approche de l'an 1000. Contrainte subie ou protection illusoire, la dépendance des hommes se généralise à tous les échelons d'une société que l’évêque Adalbéron de Laon, en 1015, divise entre ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores) – c'est-à-dire entre le clergé, la noblesse et le tiers état.
Pour en savoir plus, voir l'article féodalité.
L’émergence des États
Le monde occidental en l'an mille
Le monde occidental en l'an mille
Le monde occidental en l'an milleLe monde occidental, XIIe-XIIIe siècles
Entre le xie et le xiiie siècle, la notion d'État n'est encore qu'en gestation, mais l'idée que le roi doit gouverner pour le bien commun s'affirme de plus en plus. La notion de pouvoir public progresse au cours du xiiie siècle ; ainsi s'explique le rôle croissant des assemblées de contrôle (états, parlements, Cortes), qui, selon les pays, équilibrent un pouvoir monarchique consolidé par le principe dynastique, légitimé par le sacre et appuyé sur l'Église.
Guillaume le Conquérant naviguant vers l'AngleterreGuillaume le Conquérant naviguant vers l'Angleterre
En Angleterre, l'équilibre des pouvoirs s'instaure au milieu de violents conflits. La victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings en 1066 ouvre l'île saxonne à la colonisation et à la féodalité normandes.
Hugues CapetHugues Capet
En France, les succès de la monarchie capétienne se confirment tardivement. Hugues Capet, encore aux prises avec les féodaux, n'a pour lui que l'aura de son sacre. Ses successeurs, de Robert le Pieux à Philippe Ier, ont pour seul souci d'assurer la dynastie des Capétiens.
Il faut attendre Philippe II Auguste et ses victoires sur l'Angleterre et le Saint Empire (→ bataille de Bouvines en 1214) pour voir s'affirmer l'indépendance du royaume de France.
Saint Louis chevauchant avec ses chapelainsSaint Louis chevauchant avec ses chapelains
Le rayonnement et la piété personnels de Louis IX (Saint Louis, après sa canonisation au xiiie siècle) portent le prestige royal à son comble. Le roi s'attache à moraliser les mœurs féodales.
La Hongrie, christianisée au xie s.siècle, parvient à maintenir son indépendance. Malgré la Bulle d'or, concédée par le roi André II en 1222, qui renforce le pouvoir des magnats, la tradition monarchique conserve toute sa vigueur.
La Reconquête, XIIIe siècleLa Reconquête, XIIIe siècle
En Espagne, les petits royaumes chrétiens du Nord – Asturies, Castille, Aragon et Navarre – poursuivent depuis le viiie siècle la lutte contre les musulmans, maîtres du califat de Cordoue et du royaume de Grenade. La Reconquista, croisade des chrétiens de la péninsule Ibérique, marque des progrès décisifs au début du xiiie siècle, malgré la résistance de Grenade. L'Espagne chrétienne, divisée en royaumes, ne parvient pas à réaliser son unité. Cependant, des rois comme Ferdinand III en Castille (1217-1252) et Jacques Ier en Aragon (1213-1276) structurent fermement les institutions monarchiques et publiques, que contrebalancent les Cortes.
En Italie, l'explosion urbaine et les forces économiques modèlent réellement les frontières politiques, surtout dans le nord du pays. Quelques villes dominent : Gênes, enrichie par son monopole commercial en mer Noire depuis 1261 ; Milan ; Florence ; et surtout Venise, grande bénéficiaire de la quatrième croisade (1202-1204), véritable « thalassocratie » dans laquelle le doge contrôle l'aristocratie marchande, dont seules quelques familles constituent le Grand Conseil. Dans de nombreuses communes italiennes, les podestats, d'abord nommés par les empereurs germaniques puis élus au xiiie siècle, jouent le rôle d'arbitres et détiennent la réalité de l'autorité publique. L'exemple des villes italiennes montre, plus que tout autre, l'influence des forces économiques sur la structuration politique des États.
Pour en savoir plus, voir l'article histoire des communes.
3.2. Les mutations sociales

Introduction
Alors que les variations de fortune au sein de chaque groupe introduisent une stratification nouvelle entre riches et pauvres, l’ancienne division tripartite de la société perdure, et nul ne peut y échapper : on reste orator (membre du clergé), bellator (membre de la noblesse) ou laborator (membre du tiers état), et tous ne profitent pas de manière égale des périodes d'expansion économique.
Le monde paysan
Les progrès de l'agriculture contribuent à l'amélioration du sort des populations, sur les plans juridique et économique. Au xiiie siècle, le servage, encore symbolisé par le paiement en argent du chevage, du formariage et de la mainmorte, est devenu résiduel. La liberté s'obtient soit par rachat individuel, soit au moyen de formalités collectives, soit encore à l'occasion des concessions de chartes de défrichement.
La préférence des tenanciers (détenteurs de tenures) va aux terres à cens, dont le loyer (payé en argent et fixé une fois pour toutes) se dévalue régulièrement, alors qu'augmentent le prix de la terre et celui des céréales. Pour leur part, les détenteurs des tenures à champart (ou terrage, ou agrière), astreints à verser un pourcentage de la récolte (du huitième au quart), s'enrichissent nettement moins vite.
De nombreux paysans, engagés dans la modernisation de leur exploitation, s'endettent. Le phénomène est notable à la fin du xiie siècle, les terres étant grevées de rentes. Les prêteurs sont juifs, lombards, paysans riches ou bourgeois ; les seigneurs eux-mêmes n'hésitent pas à jouer le rôle de banquiers. Aussi ne bénéficient de l'expansion que l'alleutier et le fermier à cens, libres de corvée et de rente : ces paysans aisés ne représentent guère que 2 % environ de la masse rurale. Beaucoup n'ont que de petites tenures (moins de 2 ha) ; d'autres, brassiers ou manœuvriers, n'en possèdent aucune et sont employés comme journaliers.
Le temps des seigneurs
Château fort de CoucyChâteau fort de Coucy
L'univers féodal se transforme également. Si les biens ecclésiastiques profitent des dons pour s'accroître, de nombreux domaines laïques souffrent des partages successoraux et se parcellisent, notamment en Île-de-France, où des « seigneuries croupions » résultent de l'absence du droit d'aînesse.
Accaparés par leurs activités, les seigneurs préfèrent confier la gestion de leur domaine à des régisseurs professionnels, choisis parmi les ministériaux. Pour beaucoup, les revenus ont diminué : les terres accensées (c'est-à-dire prises à cens) ne rapportent plus guère, et le seigneur s'attache désormais à développer les revenus céréaliers de son propre domaine (appelé la réserve), à renforcer les droits de mutation et à multiplier les amendes. Mais cela ne suffit pas toujours à préserver l'équilibre des fortunes.
Pour en savoir plus, voir l'article seigneurie
En outre, la chevalerie, en fusionnant avec la noblesse de lignage à la fin du xiie siècle, a apporté à celle-ci son prestige militaire. Les mouvements de paix, le développement de l'armée de métier, l'affermissement du pouvoir public ternissent, dès le xiiie siècle, la réputation de l'aristocratie combattante.

Adoubement d'un chevalierAdoubement d'un chevalier
Vivre noblement coûte cher. Aussi, bien des manifestations symboliques de la condition chevaleresque sont-elles réduites ou transformées : seul le fils aîné est adoubé, et seule la fille aînée est mariée. Les seigneurs n'en continuent pas moins à s'adonner aux tournois, et ils écoutent encore les récits des jongleurs et des troubadours chantant l'amour courtois dans la grande salle du vieux château fort, dont le rôle militaire s'efface progressivement devant la puissance économique et judiciaire du seigneur.
Ainsi, à l'appauvrissement économique s'ajoute la détérioration de l'image sociale d'une noblesse. Démunies, nombre de familles seigneuriales, incapables de continuer à vivre noblement, tombent dans la déchéance. Afin de régénérer une noblesse qu'en outre il veut plus soumise, le roi (en France notamment) n'hésite pas, dès la fin du xiiie siècle, à anoblir de riches bourgeois pour lesquels la réussite sociale tient lieu d'honneur.
Pour en savoir plus, voir les articles littérature et amour courtois, noblesse.
La place de l'Église
Chevaliers en croisadeChevaliers en croisade
D'un monde en mutation surgissent des forces nouvelles, dont la foi est l'une des plus dynamiques. La tâche de l'Église est donc d'envergure.
Aux plus belliqueux, elle prêche la paix de Dieu et la trêve de Dieu, tandis qu'elle détourne les énergies vers les croisades contre les infidèles d'Orient et d'Espagne, et contre les Slaves païens (xiie-xiiie siècle).
Fontenay, l'abbayeFontenay, l'abbaye
Aux plus pacifiques, une floraison de nouveaux ordres monastiques offre des havres de méditation ou de travail : ainsi en va-t-il des chartreux de Grandmont , de l'abbaye de Fontevraud et des 650 filiales de l'ordre de Cîteaux, fondé entre 1098 et 1112 par saint Robert de Molesme et saint Bernard de Clairvaux, le rénovateur de la règle bénédictine.
Aux plus politiques incombe la tâche de désengager l'Église du monde laïque. Le pape Grégoire VII (1073-1085) s'y emploie tout particulièrement. Il rappelle la suprématie du spirituel sur le temporel, condamne la simonie et l'investiture laïque des évêques, dans les vingt-sept propositions de son Dictatus papae, en 1075.
Le renouveau culturel que l'Église a stimulé dans les scriptoria des monastères et dans l'édification des premières églises romanes à partir de 1070 sont les manifestations tangibles d'une vive piété.
Pour en savoir plus, voir l'article monachisme.
Les exclus
Les mutations sociales n'ont guère facilité l'intégration des non-chrétiens, ni amélioré la condition des exclus. Victimes du regain de piété chrétienne lié aux croisades, les Juifs sont stigmatisés par le concile du Latran de 1215. Ils sont repoussés dans des ghettos lorsqu'ils ne sont pas expulsés, à plusieurs reprises, de France et d'Angleterre notamment. Leurs biens sont saisis et leurs créances annulées. Fous et lépreux ne vivent que de la générosité, tout comme les mendiants qui, depuis la fin du xiie siècle, se rassemblent dans les maisons-Dieu. Les multiples errants, tels les pastoureaux au xiiie siècle, sont suspectés d'hérésie. Rejetés de tout groupe social, brigands et charbonniers écument les campagnes et enflamment les « effrois » (révoltes paysannes).
3.3. La civilisation rurale

Introduction
Très Riches Heures du duc de BerryTrès Riches Heures du duc de Berry
La production agricole semble suffire aux ixe et xe siècles, sans qu'il soit nécessaire d'accroître la surface exploitée. L'équilibre entre les terres cultivées (ager) et les zones de pacage et de forêt (saltus), dont les ressources sont indispensables à la vie quotidienne, est préservé. Ce système procure même un surplus en céréales, en vin ou en produits artisanaux, qui contribue à sortir le domaine de son apparente autarcie. L'économie monétaire pénètre les campagnes.
Soumise à de violents chocs démographiques (pestes et famines récurrentes) aux ve et viie siècle, la population occidentale s'accroît de façon notable durant les deux siècles suivants. Ce phénomène est caractérisé par un rééquilibrage de l'occupation des territoires de l'Europe du Nord. Mais l'espérance de vie moyenne ne dépasse guère 30 ans, et près de 45 % des enfants n'atteignent pas l'âge de 5 ans. La quasi-totalité de la population, groupée en hameaux isolés les uns des autres par de vastes étendues incultes, vit essentiellement des richesses issues de la terre.
Au xie siècle, on peut dénombrer en France 6,2 millions d’habitants ; un état des feux (foyers fiscaux) dressé en 1328 permet d'estimer la population du début du xive s.siècle entre 12 et 16 millions. Dans le même temps, l'Italie gagne près de 5 millions d'âmes (passant de 5 à 10 millions). En Angleterre, le Domesday Book de 1085 fait état d’une population de 1,3 million de personnes, qui passe à 3,7 millions à la fin du xiiie siècle. En outre, l'âge moyen serait passé de 22 à 35 ans entre 1100 et 1275, le nombre moyen d'enfants par couple augmentant de 4 à 5.
Certes, la surmortalité – enfants en bas âge et femmes en couches notamment –, la croissance plus dynamique en Europe du Nord qu'en Europe du Sud prouvent que bien des déséquilibres démographiques demeurent. Mais, dans l'ensemble, la croissance est indubitable, à la fois cause et conséquence de l'expansion économique.
Les grands défrichements
En Germanie, la poussée vers l'est (Drang nach Osten) est un triple mouvement de christianisation, de colonisation et d'urbanisation. Il est largement impulsé par l'Église chrétienne, les féodaux et l’ordre Teutonique. Du Brandebourg à la Poméranie, la progression est remarquable entre 1130 et 1180. Quittant des domaines que trop de partages ont rendus exigus, attirés par la promesse de terres gratuites, Allemands, mais également Flamands et Hollandais s'en vont fonder, entre autres, Lübeck, Berlin, Francfort-sur-l'Oder, villes qu'ils dotent des droits urbains germaniques.
L'expansion est également œuvre de proximité, dans le cadre de la seigneurie rurale. Depuis l'an 1000, en effet, l'Occident défriche fébrilement. Forêts et marais reculent partout entre le xie et le xiiie siècle, tandis que les polders gagnent sur la mer du Nord. Commencés discrètement par l'élargissement des terroirs anciens, les défrichements favorisent dans un premier temps la multiplication des alleux paysans. Mais les seigneurs, ne pouvant accepter que des hommes et de nouvelles terres échappent à leur contrôle et à leurs impositions, reprennent l'initiative du mouvement ; leur aide matérielle et technique est, en outre, indispensable lorsque la conquête du milieu se révèle difficile.
Par ailleurs, les seigneurs cherchent à attirer les paysans en leur promettant des terres, la liberté et autres franchises. À cette fin, ils accordent des chartes de fondation d'agglomérations nouvelles qui établissent les droits et les obligations de chacun. Ainsi naissent de nombreuses villes dont le nom a gardé la trace de cette époque : Villeneuve, Villefranche et autres bastides.
Après avoir atteint sa phase culminante au xiie siècle, en Île-de-France par exemple, le mouvement de défrichements s'essouffle progressivement. Seules le prolongent quelques initiatives individuelles. Le besoin de terres nouvelles n'est cependant pas totalement assouvi.
Pour en savoir plus, voir l'article grands défrîchements.
Les nouvelles techniques agricoles
Sans la vulgarisation des techniques nouvelles qui les accompagnent, les défrichements n'auraient pu suffire à dynamiser l'économie rurale.
Les outils en fer, servant à l'essartage (haches, faux, etc.), se perfectionnent grâce aux progrès de la métallurgie. Si, dans les sols secs des régions méditerranéennes, le paysan reste fidèle à l'araire, la charrue se répand dès le xie siècle sur les terres lourdes de l'Île-de-France et de l'Ouest. La traction de la charrue est améliorée par les progrès de l'attelage. Le joug frontal remplace progressivement le joug de garrot, qui étranglait l'animal et diminuait d'autant ses capacités.
L’amendement des sols s'ajoute à l'amélioration des techniques. À partir de 1200, les paysans multiplient les labours (jusqu'à quatre en Île-de-France) pour ameublir la terre. Mais les engrais manquent : on n'utilise la plupart du temps que du chaume ou des feuilles pourries. De fait, c'est la généralisation de la jachère qui assure à la terre le repos propice à une meilleure régénération. Sur la zone à cultiver, divisée en trois soles, alternent récoltes de printemps (orge, avoine), récoltes d'hiver (seigle, froment) et terre en jachère. Ainsi les paysans font-ils deux récoltes dans l'année.
Les conditions climatiques autorisent la viticulture jusqu'en France septentrionale, et même en Angleterre. Clercs, princes et bourgeois s'enorgueillissent de leurs vignes. La technique de culture, sinon de conservation, est déjà parfaitement maîtrisée.
3.4. La civilisation urbaine

La vitalité urbaine
Passé l'an 1000, on ne peut plus douter de la vitalité urbaine, encore stimulée par l'immigration rurale. Les villes neuves, nées des défrichements, complètent le réseau urbain hérité de l'Antiquité. Centre de production, la ville est aussi lieu de pouvoir, d'échanges et de culture.
Le peuplement, toutefois, reste inégal. À part quelques grands centres (comme Paris, Milan, Bruges et Londres), la majorité des villes reste de dimensions modestes : seules soixante villes européennes auraient, à la fin du xiiie siècle, dépassé les 10 000 habitants.
L'émancipation des villes
Dès la fin du xie siècle, les bourgeois tolèrent de plus en plus difficilement les pressions judiciaires et fiscales qu'exercent sur eux les seigneurs, tant laïques qu'ecclésiastiques. S'associant en communes, souvent encouragées par le pouvoir royal, n'hésitant pas à recourir à la violence, les notables bourgeois obtiennent des chartes de franchises qui reconnaissent l'autonomie du pouvoir municipal, celui des échevins dans le Nord ou celui des consuls dans le Sud. En France comme en Italie, toutefois, leur pouvoir demeure plus largement contrôlé par les comtes ou même les podestats, parfois librement choisis comme à Gênes, à Milan ou à Pise au xiiie siècle. De même, dans le Saint Empire romain germanique, les villes, à l'exception de celles de la Baltique, restent liées par serment à l'empereur, auquel elles doivent le service de guerre et l'impôt de gîte.
Foires et marchés
L'impulsion agricole se communique à l'activité artisanale. Au sein des domaines ruraux, les paysans se sont très tôt livrés à un artisanat de nécessité. Pour répondre aux besoins quotidiens, ils achètent parfois la matière première aux marchands de passage. Mais, à partir du xiie siècle, en France et en Flandre notamment, la ville devient le foyer privilégié de l'artisanat, car c'est là qu'arrivent les produits du grand commerce, indispensables à l'activité des métiers (laine, cuir, peaux, métaux) ; c’est là aussi que se regroupe la main-d'œuvre et que se perfectionnent les techniques. Ainsi le monde des artisans, lié à celui des marchands, s'impose-t-il peu à peu comme un élément constitutif du tissu urbain.

Teinturiers dans un atelierTeinturiers dans un atelier
Pendant une ou plusieurs semaines, sous la protection d'un représentant du pouvoir seigneurial, les marchands traitent leurs affaires, commerciales aussi bien que financières. Certaines foires sont spécialisées, comme celles de la laine en Angleterre ou celles des draps en Flandre. Toutes sont surveillées par les gardes des foires, dont la juridiction s'étend à tout l'Occident au xiiie siècle. Les plus célèbres sont les foires de Champagne (Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube), qui ont la particularité d'offrir un marché quasi permanent, de draps et d'épices en particulier, entre la Flandre et l'Italie. Mises en place vers 1150, ces foires sont protégées successivement par le comte de Champagne, puis par le roi de France lui-même, à partir de 1209. Italiens et Flamands ne les fréquentent assidûment que dans le dernier quart du xiie siècle. Leur déclin, vers 1250, semble lié à plusieurs facteurs, parmi lesquels le développement du marché parisien et celui de l'industrie textile italienne.
Les métiers
Rue marchande au Moyen ÂgeRue marchande au Moyen Âge
L'organisation des métiers, souvent regroupés par quartiers, derrière leur bannière, n'est d'abord au xiie siècle que conviviale et charitable, à l'image de confréries. Les réglementations protectrices et le refus de la concurrence incitent à une organisation minutieuse de la production qui, en principe, prohibe toute innovation spontanée. Ainsi, la qualité est fixée et dûment contrôlée. L'organisation du travail exclut la surproduction d'un atelier aux dépens des autres, et les prix n'échappent pas à la surveillance des maîtres.
Dans chaque ville se retrouvent tous les métiers. Qu'ils soient liés à la consommation (telles la boucherie et la boulangerie) ou qu'ils dépendent du grand commerce (tels le tissage, le foulage et la teinturerie), tous sont strictement contrôlés par le pouvoir communal, car la « loyauté » de la production et la régularité de l'approvisionnement garantissent la paix sociale.
L'enseignement
Saint Louis et Robert de SorbonSaint Louis et Robert de Sorbon
Sans être, comme la légende l'a laissé croire, le créateur de l'école, Charlemagne a établi un véritable programme élémentaire d'alphabétisation chrétienne. Puis, sous l'autorité des évêques, à partir de 1079 s'ouvrent les écoles-cathédrales. L'enseignement s'y donne en latin, et les élèves ont le statut de clercs.
Les universités sont issues des centres scolaires les plus importants, dès la fin du xiie siècle. Soutenues par le pape, elles n'obtiennent souvent leurs privilèges (droit de grève, sceau, liberté de recrutement) qu'à l'issue de conflits avec les autorités communales ou royales. Placée sous l'autorité du recteur et de ses doyens, l'université est souvent divisée en facultés qui lui donnent une identité particulière. Ainsi, Montpellier est plus orientée vers le droit et la médecine, Paris vers la théologie.
Les étudiants, regroupés en nations, sont souvent pauvres. C'est à leur intention que sont ouverts les collèges, comme celui de Robert de Sorbon, fondé à Paris en 1257. À la fin du xiiie siècle, à Paris, vivent 5 000 étudiants pour une population estimée à 200 000 habitants.
Le modèle antique de la culture littéraire a fortement imprégné l'enseignement, fondé sur les sept arts libéraux. Le trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) l'emporte généralement sur le quadrivium, qui regroupe les disciplines scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie et musique).
Les écoles laïques, où l'enseignement est dispensé en langue vulgaire (le français dans le royaume de France), forment notaires et marchands.
3.5. Développement du commerce

Introduction
L'urbanisation est très liée à la dynamique des échanges commerciaux. En fait, ceux-ci n'ont jamais été réellement interrompus. Mais il est certain qu’aux xiie et xiiie siècles, tout concourt à la relance de l'activité commerciale : sécurité accrue, protections accordées par les seigneurs, amélioration des transports, augmentation des surplus et demande plus diversifiée.
La monnaie et la circulation de l'argent
FrancFranc
Indice de vitalité économique, la monnaie pénètre toutes les activités économiques, qu'elles soient urbaines ou rurales. La quasi-disparition de la monnaie d'or, de trop forte valeur, et la frappe du denier d'argent, dès 670, avaient déjà stimulé l'augmentation du volume des échanges et ouvert l'économie monétaire à un plus grand nombre.
L'augmentation du stock métallique, due essentiellement aux mines du Harz, de la Saxe et de la Bohême, permet d'alimenter les ateliers monétaires. Nombre de seigneurs et de villes disposent du droit de battre monnaie. Si les ateliers monétaires sont encore environ 300 en France au xiie siècle, ils ne sont plus que 100 en 1270, puis 30 en 1315. Cette centralisation progressive s'accompagne d'une unification sous l'égide royale. Louis IX (Saint Louis) impose en 1262, dans tous ses États, le cours légal de la monnaie royale : le tournaisis, hérité du vieux système carolingien du denier. Le sou et la livre restent des monnaies de compte (1 livre vaut 20 sous, soit 240 deniers). Sur le même modèle, Henri II Plantagenêt crée, en Angleterre, la livre sterling, équivalant à 20 shillings ou à 240 pences. Dans l'ensemble, l'Occident reste fidèle à la monnaie d'argent. L'abondance de la monnaie favorise l'accélération de sa circulation et la vitalité du commerce.
Les techniques commerciales
Souvent venues d'Italie, les techniques commerciales se répandent et se complexifient. Dans le domaine du prêt, surtout privé, les Juifs (jusqu'à leur expulsion de France en 1306), les Lombards et les cahorsins prêtent sur gages.
La banque naît des pratiques de change. En effet, la multiplicité des monnaies a nécessité la mise en place de changeurs, qui fixent le cours des espèces en fonction du poids de métal pur qu'elles contiennent. Au cours du xiie s.siècle à Gênes, ces changeurs étendent leurs activités à la gestion des dépôts et des virements ; ceux-ci sont effectués par des contrats de change à partir de 1300. Si la simple lettre de change ne se répand qu'au xive siècle, le rechange est déjà pratiqué dès la fin du xiie siècle. Par ces procédés, banquiers et marchands pratiquent une triple opération : un paiement, un change et un crédit (puisque le règlement se fait à terme).
Longtemps itinérants, les marchands se sédentarisent, expédiant leurs commis sur les routes et les mers pour rester en ville gérer leurs affaires. Ils se regroupent de plus en plus souvent en associations, notamment en Italie. Dans la commende, née à Venise au xie siècle, un ou plusieurs négociants fournissent l'argent ou la marchandise, voire les deux, à un ou à plusieurs marchands voyageurs. Ces derniers, à leur retour, touchent une part des bénéfices convenue par avance.
Les échanges internationaux
DucatDucat
Si les Italiens innovent en matière commerciale, les marchands de l'Europe du Nord, de la Flandre à la Baltique, s'adaptent plus lentement aux nouvelles méthodes : les changeurs brugeois ne deviennent banquiers qu'au xive siècle.
Le grand commerce international s'organise d'abord à partir de deux pôles : d'une part, les Pays-Bas, avec leur draperie, en provenance de Flandre, du Hainaut puis du Brabant, que Flamands et Italiens exportent en Europe méridionale – Bruges, grand fournisseur de laine importée d'Angleterre est la place marchande la plus importante de l'univers nordique ; d'autre part, les villes italiennes, qui ont puisé leur fortune dans le commerce avec l'Orient en assurant, entre autres, le trafic des épices.
Au xiiie siècle, deux pôles nouveaux exercent leur attraction : la Hanse teutonique et la région rhénane. Cette dernière reprend, à partir de la Flandre et des villes de la Hanse, la dynamique nord-sud vers l'Allemagne méridionale et l'Italie.
4. Le bas Moyen Âge (xive-xve siècle)

4.1. Le temps des calamités

Introduction
Aux deux siècles d'expansion que sont les xiie et xiiie siècles succèdent deux siècles de crise profonde. Au milieu du xve siècle, les mutations, dans tous les domaines, sont d'une telle ampleur que, pour les historiens, c'en est fini du Moyen Âge. Les causes de la dépression sont multiples, et aucune d'elles ne peut seule l'expliquer. Famines, pestes et guerres se sont conjuguées pour faire de ce qu'on appelle le « bas Moyen Âge », le « Moyen Âge tardif », le « temps de l'homme rare » : l'Occident est alors moins peuplé qu'au début du xiiie siècle.
Les famines
La crise des xive-xve siècles est d'abord frumentaire : dès 1309 en Allemagne, les récoltes ne suffisent plus à alimenter les hommes, et en 1315-1316 toute l'Europe occidentale est affamée. Les années de mauvaises récoltes provoquent une hausse du prix des produits céréaliers. Les années d’excellentes récoltes ne règlent pas la crise car, si le prix des céréales chute, celui des autres produits (agricoles et artisanaux) continue d'augmenter durablement.
Attesté par le recul des feuillus en Allemagne, par celui de la vigne en Angleterre, et par la disparition des céréales en Islande, le refroidissement climatique explique en partie les mauvaises récoltes. Les fortes pluies de 1315 aggravent ce phénomène. Mais la catastrophe est amplifiée par la surpopulation qui touche les terroirs et les villes manufacturières, où affluent les immigrés ruraux.
L’épidémie de la Grande Peste
La peste à TournaiLa peste à Tournai
Dans les villes, insalubres, les populations sous-alimentées résistent mal aux épidémies de peste, qu'une médecine balbutiante se révèle incapable d'enrayer. De 1346 à 1353, suivant les grands axes commerciaux, la maladie se propage jusqu'en Île-de-France, où elle ravage Paris de juin 1348 à juin 1349. Présente en Europe centrale, elle gagne les Pays-Bas et l'Angleterre, puis l'Écosse et les pays scandinaves en 1350. Paris doit encore subir ses attaques récurrentes en 1361-1362, alors que la peste des enfants s'abat, particulièrement sévère, sur le Languedoc en 1363.
Pour en savoir plus, voir l'article Grande peste.
Certains préfèrent fuir ; d'autres se murent chez eux. Prince ou serf, riche ou pauvre, nul n'est épargné par le fléau. Arras, Florence, l'Angleterre tout entière perdent 50 % de leurs habitants, Zurich 60 %. On estime à 25 millions – soit le tiers de la population – les victimes de la Grande Peste en Europe occidentale.
Avec l’épidémie de peste, l'homme devient une ressource économique rare et cher. Les salaires augmentent, tant à la campagne, où les seigneurs cherchent la main-d'œuvre qui relancerait l'exploitation de leurs réserves, que dans les ateliers urbains.
Les guerres
La permanence des conflits aggrave le déficit humain. Enlisée dans la guerre de Cent Ans (1337-1453), à laquelle s'ajoute de 1407 à 1413 le conflit entre Armagnacs et Bourguignons, la France, théâtre des opérations, est sans doute le pays le plus touché en Occident.

Bataille de FormignyBataille de Formigny
Il n’en demeure pas moins que dans toute l'Europe, ou presque, on s'affronte. L'Italie frémit sous le choc des impérialismes commerciaux nés avec les empires coloniaux. Ainsi, Pise lutte vainement contre Florence (1399-1406), et Milan contre Venise (1426-1429) ; Angevins et Aragonais se disputent la Sicile et le sud de la péninsule italienne (1435-1443). Dans la péninsule Ibérique, la fratricide querelle entre Pierre II et Henri de Trastamare ensanglante la Castille (1350-1369). L'Angleterre, ébranlée par la résistance écossaise (1295-1328) et déjà mobilisée contre la France, doit également faire face à la guerre des Deux-Roses (1455-1485), qui oppose les maisons d'York et de Lancastre. L'Europe du Nord n'est pas épargnée : en 1360, la Hanse sort victorieuse d'un premier conflit avec le Danemark, mais Teutoniques et Polonais s'affrontent durant un demi-siècle, de 1411 à 1466.
Les conflits mobilisent davantage d'hommes qu'auparavant. Sur terre, où des volontaires contractuels viennent grossir les rangs des armées, mais aussi sur mer, où sévissent pirates et gardes-côtes mercenaires. De la puissante artillerie française aux long bows anglais, les armes se perfectionnent et se multiplient.
Les périodes de trêve n'apportent aucun soulagement aux campagnes, qui sont pillées et dévastées en permanence par des troupes privées de tout autre ravitaillement. La tactique de la terre brûlée, adoptée par Bertrand Du Guesclin pour repousser ces bandes désœuvrées vers l'Espagne en 1367, est tout aussi redoutable pour les populations locales que les grandes chevauchées anglaises du Prince Noir en Languedoc (1355). « Écorcheurs » et « routiers » sévissent jusqu'à l'application de l'ordonnance sur les abus des gens de guerre, en 1439. Les paysans quittent des campagnes exsangues, abandonnant leurs tenures, et cherchent refuge à la ville, où le poids de la guerre se fait également sentir.
L’augmentation des taxes
Pour financer les guerres et payer les mercenaires, les états (assemblées représentant les trois ordres de la société : clergé, noblesse et tiers état) en France, de même que le Parlement en Angleterre autorisent, non sans difficultés, l'alourdissement de la fiscalité royale.
La pénurie de numéraire est un phénomène classique en période de troubles. Aussi les souverains français procèdent-ils à de fréquents réajustements monétaires, dont les conséquences sont avantageuses pour les débiteurs, mais catastrophiques pour ceux qui perçoivent des revenus fixes. Les incertitudes monétaires pèsent sur le grand négoce, que ralentissent en outre l'insécurité grandissante des mers et le mauvais état des routes livrées aux pillards. La production et la consommation sont en recul dans une société perturbée, où les pouvoirs (publics comme seigneuriaux) sont plus que jamais contestés.
4.2. Les crises politiques et sociales

La remise en cause des pouvoirs
La guerre de Cent Ans a dévalorisé le pouvoir royal au profit des aristocraties française et anglaise. Le triomphe monarchique n'est pas encore confirmé, et bien des insuffisances et des contestations fragilisent l'institution. En France, les états généraux entendent jouer leur rôle. Ils sont réunis dix-sept fois au cours du xive siècle, pour le vote de subsides, le règlement des successions ou l'approbation des traités. Mais, malgré le contrôle qu'ils prétendent exercer sur les finances publiques, ils ne menacent guère le pouvoir du roi, pas plus que ne le font les assemblées locales, que le souverain sait finalement utiliser à son avantage.
La petite noblesse s'agite périodiquement, voire constitue de véritables ligues. Elle contraint Louis X à concéder quelques chartes, dans lesquelles est définie la part d'autonomie des provinces. Les princes organisent leur domaine à l'image du royaume, créent des principautés toujours prêtes à défier l'autorité souveraine, en Bourgogne notamment. Les grands du royaume cherchent plus, au moins en France, à contrôler l'autorité du souverain qu'à la détruire.
Lorsque de jeunes souverains accèdent au trône avant d'être majeurs, le pouvoir est livré aux coteries princières. Ainsi, la minorité de Charles VI (1380-1388) laisse le champ libre aux intérêts divergents de ses oncles, en particulier de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. En Angleterre, ces questions se règlent par de sanglantes révolutions de palais : Édouard III fait arrêter et exécuter Mortimer, jadis régent de son royaume, et Thomas de Gloucester paie de sa vie, en 1397, sa révolte contre son ancien pupille Richard II.
Dans certaines circonstances, la transmission du pouvoir donne lieu à d'inextinguibles conflits. En France, la succession de Louis X (1314-1316) et celle de Philippe V (1316-1322) inaugurent un nouveau principe dynastique qui écarte délibérément les femmes et leurs fils du pouvoir (décision des états généraux de 1317 et 1328). Au mépris de toute tradition, la succession en ligne collatérale est autorisée, afin de rendre impossible l'installation d'un Anglais sur le trône de France.
L'enchevêtrement des liens familiaux et des obédiences vassaliques a depuis longtemps brouillé les points de repère politiques et sociaux. Il nourrit des conflits d'autorité dont l'arbitrage incombe à la force plus qu'au droit. Ainsi, par le jeu des alliances, les rois d'Angleterre Édouard II et Édouard III, petits-fils par leur mère des rois de France, peuvent se croire quelque droit à la couronne de France, tout comme Henri VI, petit-fils de Charles VI. Le roi d'Angleterre, égal en puissance au roi de France, mais néanmoins son vassal pour les terres qu’il possède dans le royaume de France, pouvait-il accepter de s'abaisser à lui prêter hommage ? Pouvait-il tolérer la « saisie du fief » de Guyenne opérée par son suzerain en 1337 ? Instrument du pouvoir, la vassalité devient alors inévitablement source de guerre féodale, prémisse à un affrontement national.
Les mouvements de révolte
Partout en Europe, campagnes et villes sont gagnées par des flambées de violence. Expression d'une rageuse lassitude, ces mouvements sont dépourvus de programme social et politique, bien qu'ils soient, de fait, antifiscaux et antiseigneuriaux.

JacquerieJacquerie
Dans les campagnes, les défaites militaires, l'incurie des seigneurs absents, les pillages et les destructions, l'accroissement de la fiscalité royale et seigneuriale provoquent de brusques protestations. Les meilleurs terroirs agricoles sont touchés (Beauvaisis, Île-de-France, bassin de Londres). Ces révoltes paysannes prennent généralement l'aspect d'« effrois » spontanés, violents, et cruellement réprimés. À ce type de révolte correspond, sans doute, celle de la Flandre maritime menée par Zannequin (1323-1327) ; partiellement aidée par les tisserands, elle est écrasée par Philippe VI de Valois. En 1358, en France, la Jacquerie paysanne comme la révolte parisienne, menée par Étienne Marcel, sont essentiellement antinobiliaires. La « révolte des travailleurs » en Angleterre (1381) est l'expression des masses rurales criant leur misère autant que leur refus de la poll tax imposée par le gouvernement en 1380. Les révoltés, dirigés par Wat Tyler, parviennent à entrer dans Londres à l'été 1381, jusqu’à ce que l'assassinat de Tyler donne le signal de la répression. Les aristocraties scandinaves font face à de semblables révoltes, tant en Suède (1434) qu'en Norvège (1438) et qu'au Danemark (1441). Les fureurs paysannes agitent aussi l'Aragon à partir de 1409 et la Catalogne en 1462.
La dégradation des rapports maîtres-ouvriers est à l'origine de révoltes appelées « émotions ». Elles ne sont pas nouvelles : les xiie et xiiie siècles en ont déjà connu de nombreuses, de la révolte des tisserands de Troyes (1175) aux émeutes de Pontoise (1267) et de Provins (1279), avant celles de Douai et d'Ypres (1294-1305). Les maîtres veulent assurer leur monopole et leur suprématie sur les apprentis comme sur les valets et les compagnons plus spécialisés. Ils soumettent l'accès à la maîtrise à des conditions plus astreignantes, qui bloquent les métiers.
Le paroxysme du mouvement de protestation se situe à la fin du xive siècle ; il prend l'aspect de grèves, parfois accompagnées de bris de machines comme à Rouen en 1381-1382. Le tumulte des Ciompi (→  révolte des Ciompi) à Florence en 1378 est l'expression d'un malaise autant politique que social, tout comme le mouvement parisien des maillotins, qui met ouvertement en cause le parti du roi et de ses régents (1382). Il faut l'armée royale pour écraser à Rozebeke (→  bataille de Rozebeke), en 1382, les tisserands flamands pro-anglais révoltés contre la France. Dans l'ensemble, les ouvriers n'ont guère tiré profit de ces révoltes. Mais bien plus encore que chez les paysans, elles ont favorisé une solidarité dont les conséquences vont s'inscrire dans un lointain avenir, face aux négociants et aux maîtres de métiers qui conservent le pouvoir économique et politique des villes.
Le malaise moral
La Grande peste a tant tué, que la population ayant survécu cherche à profiter de ce sursis. Au milieu d'un foisonnement de couleurs, la mode se pare de toutes les audaces. Pour les plus riches, l'habillement, avec ses soieries et ses fourrures, devient de plus en plus luxueux. Tentant d'agir contre ces extravagances, les nombreuses lois somptuaires n'ont guère d'effets. Tableaux vivants et bals masqués animent, parfois tragiquement, les cours princières (en 1393, sous Charles VI, le bal des Ardents coûte la vie à cinq jeunes seigneurs, brûlés vifs par des torches). La courtoisie renaît néanmoins dans les poèmes de Charles d'Orléans en France, ou dans les écrits de Geoffrey Chaucer en Angleterre. On hésite entre la fureur des plaisirs et la chasse aux boucs émissaires. Deux mille Juifs sont ainsi massacrés à Strasbourg en 1349.
Pour sa part déchirée par le grand schisme d’Occident (1378-1417), la papauté n'offre plus de modèle, ni moral ni religieux. La chrétienté tout entière est divisée entre le pape de Rome, celui d'Avignon, et un troisième issu du concile de Pise en 1409. L'unité ne doit être retrouvée qu'avec l'élection de Martin V en 1417.
Les désordres créés par le grand schisme ne sont pas étrangers à la propagation des hérésies. Les prêtres sont rares, des églises sont détruites, des couvents désertés. Voyant dans ces catastrophes un châtiment divin, les flagellants allemands et flamands appellent au repentir, ainsi qu'à la révision des dogmes et des pratiques. Les nouveaux prédicateurs populaires savent exploiter le sens profond des mécontentements. Ils en structurent les idées, établissent un lien entre la contestation sociale et la remise en cause de l'Église et du clergé. Ainsi, John Ball appuie ouvertement les travailleurs anglais, déjà influencés par les discours de John Wycliffe.
Plus à l'est, les hussites de Bohême et les taborites de Bavière critiquent tout autant le servage et la fiscalité qu'une papauté oublieuse de sa vocation. C'est le mouvement des lollards en Angleterre, intellectuel avant de devenir populaire, qui réalise le mieux cette synthèse contestataire. Mais l'hérésie, dont toutes ces révoltes sont empreintes, facilite leur marginalisation et justifie leur écrasement.
5. Vers l'Europe moderne

5.1. Le triomphe des hommes d'argent

Julien de MédicisJulien de Médicis
Un renouveau, perceptible à travers les premiers signes d'une relance démographique et économique, est sensible dans toute l'Europe à partir de 1450. L'Europe de la fin du Moyen Âge devient surtout celle des « hommes d'affaires ». Les Médicis à Florence, les Fugger et les Welser à Augsbourg sont à la tête d'un réseau d'affaires international et discutent à égalité avec les grands princes, dont ils sont les banquiers et les prêteurs.
5.2. Le nouveau paysage politique

Le redressement, c'est aussi une configuration de l'Europe qui annonce celle des Temps modernes et se caractérise par des États forts, de structure monarchique. La fin de la guerre de Cent Ans et de ses ravages assure aux couronnes de France et d'Angleterre un prestige qui devait leur permettre de triompher des aristocraties.
En Angleterre, le rétabli

 
 
 
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