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Internet
(abréviation de INTERnational NETwork, réseau international)
Internet : structure du réseau
Cet article fait partie du dossier consacré à l'information et du dossier consacré à l'informatique.
Réseau télématique international, qui résulte de l'interconnexion des ordinateurs du monde entier utilisant un protocole commun d'échanges de données (baptisé TCP/IP ou Transport Control Protocol/Internet Protocol et spécifié par l'Internet Society, ou ISOC) afin de dialoguer entre eux via les lignes de télécommunication (lignes téléphoniques, liaisons numériques, câble).
Internet (en abrégé le Net) est communément appelé la « Toile » (en anglais, Web, « toile d'araignée »), ou WWW (World Wide Web, « réseau mondial »), ou W3. L'accès au réseau est ouvert à tout utilisateur, dit « internaute », ayant obtenu une adresse auprès d'un organisme accrédité (fournisseur d’accès Internet).
1. Le « réseau des réseaux »
Représentation du symbole d'Internet dans le mondeReprésentation du symbole d'Internet dans le monde
Le réseau Internet fonctionne de façon décentralisée, sans dépendre d'une administration ou d'un ordinateur central. Destiné, à l'origine, à mettre en relation chercheurs et militaires aux États-Unis, il interconnecte aujourd'hui tous les ordinateurs de la planète. Réseau informatique globalisant, Internet participe largement à la structuration du « village planétaire », utopie décrite dans les années 1970 par le sociologue canadien Herbert Marshall McLuhan. Du fait du nombre de personnes qu'il permet d'atteindre, ce moyen de communication sans précédent donne naissance à de nouveaux types d'interactions et de communications dont les conventions sociales, techniques, juridiques et économiques sont en constante évolution
Pour se raccorder à Internet, le particulier doit équiper son ordinateur d'un modem, puis ouvrir un compte auprès d'un fournisseur d'accès (le provider), qui lui fournira un identifiant personnel. L’ordinateur de l’abonné est ainsi mis en contact avec l’ensemble des autres ordinateurs connectés à Internet
2. Le lexique de l'Internet
LE LEXIQUE DE L'INTERNET
administrateur de site, administrateur de serveur, webmestre (en anglais, webmaster)
Personne responsable de la maintenance et du suivi d'un site ou d'un serveur, sur l'Internet.
adressage par domaines
Annuaire des domaines.
adresse électronique
Équivalent de l'adresse postale. Elle permet d'envoyer un message à un internaute et se présente fréquemment sous la forme : nom de l'internaute@nom de la machine.
ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, ligne d’abonné numérique asymétrique)
Petite application interactive que l'utilisateur d'un système informatique charge avec un navigateur, à partir d'une page Web d'un serveur, pour l'exécuter sur sa machine.
appliquette (en anglais, applet)
Petite application interactive que l'utilisateur d'un système informatique charge avec un navigateur, à partir d'une page Web d'un serveur, pour l'exécuter sur sa machine.
archie
Type de serveurs de localisation de fichiers dans les sites FTP publics.
Arpanet (Advanced Research Project Agency Network)
Réseau à commutation par paquets, mis au point en 1969, et qui constitua la base du réseau Internet.
ASCII (American Standard Code for Information Interchange)
Code binaire qui permet de représenter les différents caractères et modes utilisés par la majorité des ordinateurs pour coder les caractères saisis.
autoroute de l'information, inforoute (en anglais, information highway)
Réseau télématique à large bande et à haut débit, destiné à favoriser la convergence des services dans le domaine de la transmission interactive et simultanée de données numériques.
bit (binary digit)
Unité élémentaire d'information ne pouvant prendre que deux valeurs distinctes (notées 1 et 0).
blog, blogue
Site Web sur lequel un internaute tient une chronique personnelle ou à un sujet particulier. Par extension, les entreprises et les institutions ont également mis en place des blogs pour communiquer de manière moins officielle et plus interactive.
bps (bits par seconde)
Unité de mesure de la vitesse de transmission de l'information, ou mesure de débit d'une ligne.
CERT (Computer Emergency Response Team)
Groupe d'intervention informatique d'urgence, commandité par la National Science Foundation en 1988. Il a pour mission d'identifier et de résoudre les failles sécuritaires des réseaux et des applications.
chat
Espace virtuel de dialogue en ligne réunissant des internautes qui communiquent par échange de messages électroniques.
commerce électronique
Mode de distribution de produits et de services par l'intermédiaire du site Web des entreprises. (On dit aussi commerce, vente en ligne.)
commutation par paquets
Procédé selon lequel les messages à transmettre sur l'Internet sont découpés en plusieurs paquets, envoyés indépendamment et réassemblés à la réception. Ce mode de transmission diffère de la commutation par circuit, utilisée pour le téléphone.
courrier électronique, mél (en anglais, e-mail)
Messagerie électronique. Les internautes échangent des messages grâce au protocole SMTP (Simple Mail Transfer Protocol). Il s'agit de textes, mais aussi d'images fixes ou animées et/ou de sons. En 1999 sont apparus les téléphones portables conçus pour afficher le courrier électronique.
cryptage
Système de protection informatique destiné à garantir l'intégrité et l'inviolabilité de données pendant leur transmission ou leur stockage.
distribution sélective (en anglais, push technology)
Technique permettant de faire bénéficier automatiquement un internaute, à sa demande, d'un envoi de données d'un type choisi.
domaine
Partie d'une adresse de l'Internet qui identifie, par pays, par activité ou par organisation, un des niveaux de la hiérarchie de l'Internet.
extranet
Réseau télématique local, non directement ouvert sur l'extérieur, mettant à la disposition du personnel et des partenaires d'une entreprise, ou d'un groupe d'entreprises, les technologies d'échange d'informations issues de l'Internet.
forum de discussion (en anglais, newsgroup)
Service permettant l'échange et la discussion sur un thème donné : chaque internaute peut lire à tout moment les interventions de tous les autres et apporter sa propre contribution sous forme d'articles.
fournisseur d'accès (en anglais, access provider)
Opérateur de réseaux fournissant l'accès à l'Internet et éventuellement à un ensemble de services en ligne exclusivement dédiés à ses abonnés ou en libre accès à toute la population des internautes.
FTP (File Transfer Protocol)
Protocole qui définit le transfert des fichiers entre deux machines.
hypertexte
Technique ou système permettant, dans une base documentaire de textes, de passer d'un document à un autre selon des chemins préétablis ou élaborés lors de la consultation.
internaute, cybernaute
Utilisateur du réseau Internet.
intranet
Réseau télématique interne à une entreprise, mettant à la disposition du personnel les technologies d'échange d'informations issues de l'Internet.
Milnet
Réseau IP de la Défense américaine, créé en 1983.
modem (modulateur-démodulateur)
Appareil électronique utilisé en télécommunication et en transmission de données qui assure la modulation des signaux émis et la démodulation des signaux reçus. Il permet notamment l'échange d'informations entre des ordinateurs par le réseau téléphonique.
mouchard, témoin de connexion (en anglais, cookie)
Appliquette envoyée par un serveur Web à un internaute, parfois à l'insu de celui-ci, au cours d'une connexion, afin de caractériser cet internaute, et, par extension, information que l'appliquette peut enregistrer sur le disque de l'internaute et à laquelle le serveur peut accéder ultérieurement.
navigateur, logiciel de navigation (en anglais, browser)
Logiciel, également appelé « butineur », « explorateur » ou « fureteur », permettant l'affichage des pages Web à l'écran et proposant des fonctionnalités étendues pour l'exploration sur le Net.
nommage
Dénomination, désignation de l'adresse d'un site Internet.
page d'accueil (en anglais, home page)
Page de présentation d'un site sur le Web ou page de tête affichée par un navigateur.
page Web
Document multimédia au format HTML, contenant des liens vers d'autres documents.
pare-feu, barrière de sécurité (en anglais, fire-wall)
Équipement situé entre le réseau Internet et le réseau privé d'une entreprise pour accroître la sécurité de ce dernier en filtrant le trafic en provenance ou à destination de l'Internet.
pirate (en anglais, hacker)
Personne qui pénètre frauduleusement dans un système informatique. Pour cela, elle contourne ou détruit les protections d'un logiciel, d'un ordinateur ou d'un réseau en vue d'en modifier ou d'en copier les informations.
portail
Site conçu pour être le point d'entrée sur l'Internet et proposant aux utilisateurs des services thématiques et personnalisés.
recherche individuelle (en anglais, pull technology)
Technique permettant à un internaute de rechercher des données par une démarche active au moyen de son navigateur, qui lui présentera ensuite le résultat de cette recherche.
réseau
Ensemble d’ordinateurs ou de terminaux interconnectés par des télécommunications généralement permanentes.
réseau social (Internet)
Site Web permettant de se constituer un réseau d’amis ou de connaissances professionnelles et d’échanger avec eux différents types d’informations (messages publics ou privés, liens hypertextes, vidéos, photos, etc.). Les réseaux sociaux les plus connus sont Facebook, Twitter, MySpace, etc.
serveur, serveur de données
Organisme privé ou public qui gère des banques de données et en autorise l'accès sous certaines conditions.
signet (en anglais, bookmark)
Mode d'accès rapide d'un internaute à l'adresse électronique d'un site Web, préalablement stockée en mémoire dans son ordinateur.
site, site Web (en anglais, website ou web site)
Ensemble de pages Web accessibles via l'Internet sur un serveur identifié par une adresse.
smiley
Dans un message électronique, association de caractères typographiques évoquant un visage expressif.
spam
Courriel non sollicité, essentiellement constitué de publicité, envoyés en grand nombre à des boîtes aux lettres électroniques ou à des forums. Les deux principaux inconvénients du spam sont d’une part l'espace qu'il occupe sur le réseau, en encombrant inutilement une partie de la bande-passante, et d’autre part le temps perdu inutilement par l’internaute pour trier son courrier.
Telnet
Programme qui permet de faire des sessions interactives de télécommunication via un autre ordinateur connecté sur l'Internet. Cette commande permet de court-circuiter les communications téléphoniques interurbaines, qui sont facturées à la minute.
vente en ligne
Commerce électronique.
WAP (Wireless Application Protocol)
Protocole d'affichage des contenus du Web sur les téléphones portables.
webcam
Caméra numérique miniaturisée destinée à enregistrer et à diffuser, généralement en direct, des images animées sur un site Internet.
wi-fi (en anglais, wireless fidelity)
Réseau local hertzien (sans fil) à haut debit, destiné aux liaisons d’équipements informatiques dans un cadre domestique ou professionnel.
wiki
Site Web collaboratif dont le contenu peut être modifié par les internautes autorisés.
WWW (World Wide Web)
Système développé par Tim Berners-Lee et son équipe du Cern. Le système WWW permet l'accès aux services d'information, quelle que soit l'origine de la consultation sur le réseau. La première version du Web, statique, est généralement notée Web 1.0. WWW utilise l'infrastructure Internet et réalise les connexions (adressage, négociation, acheminement) au moyen de trois protocoles de communications standardisées, définis par le NCSA et le Cern :
– URL (Uniform Resource Locator) ou adresse universelle : adresse qui précise la localisation d'une ressource Internet en indiquant le protocole à adopter, le nom de la machine, le chemin d'accès et le nom du fichier (par exemple : http://www.kleio.net/accueil.htm) ;
– HTML (HyperText Mark-up Language) : langage de description de documents servant à présenter des pages Web et à préciser à l'aide de balises les liens hypertextes avec d'autres documents ;
– HTTP (HyperText Transfer Protocol) : protocole qui permet le transfert de documents multiformats.
Web 2.0
Évolution du Web axée sur des fonctionnalités visuelles et interactives qui ouvrent Internet à l’intervention de communautés d’utilisateurs.
Web 3.0
Évolution du Web (au stade de recherche) axée sur une gestion accrue des bases de données permettant la personnalisation des usages en fonction de chaque utilisateur. Le Web 3.0 est généralement qualifié de sémantique.
3. Histoire de l'Internet
Fonctionnement de l'InternetFonctionnement de l'Internet
L'aventure, tout à la fois politique, technologique et sociale du réseau Internet a commencé dans le contexte de compétition, aux implications scientifiques et militaires, dû à la guerre froide. En 1957, le département d'État à la Défense des États-Unis crée l'Agence pour les projets de recherche avancée (Advanced Research Project Agency, ou ARPA), afin de mettre sur pied un réseau de télécommunications informatique qui permette aux chercheurs universitaires et aux militaires de s'échanger des données et de coordonner leurs activités. En 1962, l'US Air Force commande à la Rand Corporation un rapport sur la vulnérabilité des réseaux de télécommunications en cas de conflit. Le rapport livré par l'informaticien Paul Baran souligne la centralisation excessive de certains réseaux et le manque d'autonomie de fonctionnement des nœuds intermédiaires de communication par rapport aux centres de contrôle en cas de destruction du réseau ; la mise hors d'usage du noyau central aurait pour conséquence la paralysie de l'ensemble.
3.1. Arpanet
C'est aux chercheurs de l'ARPA qu'est confiée la mission de développer un réseau expérimental qui répondrait à la nouvelle approche stratégique préconisée par le rapport Rand. Le réseau Arpanet (Advanced Research Project Agency NETwork), réseau à commutation par paquets, est testé le 21 novembre 1969 : à l'aide d'une ligne téléphonique, une liaison est effectuée entre deux ordinateurs, respectivement installés à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA) et à l'Institut de recherche de Stanford. En décembre, le réseau est étendu à l'université de Californie à Santa Barbara et à l'université de l'Utah.
Le projet Arpanet satisfait plusieurs objectifs. Le réseau utilise des technologies éprouvées et des équipements disponibles sur le marché, ce qui le rend évolutif. D'autre part, il n'est pas tributaire d'un centre de contrôle : au noyau central traditionnel est substituée une architecture composée d'une multitude de connexions, dont la configuration globale évoque une toile d'araignée ; chaque ordinateur du réseau peut ainsi communiquer avec tous les autres ordinateurs. De 1970 à 1980, le réseau Arpanet s'étend d'abord aux universités américaines dont les recherches concernent la défense. Puis le réseau est séparé en deux : Milnet, réservé aux militaires, et Arpanet. Ces deux réseaux demeurent interconnectés grâce à la technique appelée Internet Protocol (IP), qui permet l'échange de données entre réseaux dotés d'équipements informatiques différents. Au milieu des années 1980, les agences de recherche du gouvernement américain confient à la National Science Foundation (NSF) la charge de se substituer à l'ARPA pour donner à l'ensemble des institutions universitaires un accès au réseau, voire pour développer ce dernier à l'échelon international en prenant acte de la détente survenue dans les relations Est-Ouest. De fait, le réseau NSFnet, capable d'une transmission à grande vitesse, connaît un essor remarquable.
Jusqu'en 1991, et la création du Commercial Internet Exchange, les utilisations à caractère commercial sont bridées par les préceptes édictés dans l'AUP (Acceptable Use Policy), qui établit que le NSFnet a pour vocation exclusive de soutenir la recherche et l'enseignement. Pour répondre à la demande pressante des entrepreneurs, un second réseau national est mis au service des entreprises à caractère commercial. Parallèlement, des tractations s'engagent au niveau politique pour céder le réseau NSFnet au secteur privé. En 1995, NSFnet est remplacé par un ensemble de grands réseaux interconnectés (ANSnet, MCInet, CompuServe, etc.), lesquels proposent à leurs clients l'accès à l'Internet.
3.2. La « Toile » ou Web
NetscapeNetscape
Étroitement associé au développement de Internet, le Web rend Internet accessible au grand public en présentant les informations sous une forme multimédia et interactive. Sa conception est due au Britannique Tim Berners-Lee et à son équipe du Cern (officiellement appelé Organisation européenne pour la recherche nucléaire), à Genève. Le Web fonctionne selon un modèle « client-serveur » : le client émet une requête vers un serveur et lui demande la communication d'un document ; le serveur reçoit la demande et retourne les fichiers au client ; celui-ci reçoit le document, et le logiciel spécialisé qu'il utilise, appelé « logiciel de navigation » ou « navigateur » (browser), réalise la mise en page.
Développé en commun par le Cern et le NCSA (National Center for Superconducting Application), le programme Mosaic (mis en service en 1993) est une interface universelle utilisant les techniques de l'hypertexte et du multimédia. Distribué gratuitement par téléchargement, Mosaic permet une consultation aisée des serveurs du réseau Internet et illustre ce qu'est un hypertexte : il suffit de cliquer sur un mot ou une illustration pour se connecter à une autre zone machine du réseau. Au lieu d'obéir à un modèle hiérarchique, la recherche d'informations sur le Web se fait donc selon un modèle de type multimédia : la technologie permet de s'affranchir de l'aspect linéaire des documents. Devenu public dès 1991, le Web connaît une croissance considérable du nombre de services proposés. En 1994, d'une scission du groupe de développement de Mosaic sont nés une nouvelle entreprise, Netscape Corporation, et un nouveau produit commercial, Netscape Navigator. Depuis lors, de nombreux services d'index et de recherche d'informations, les moteurs de recherche, se sont créés (Google, Yahoo, Baidu, etc.).
Internet : structure du réseauInternet : structure du réseau
Dopé par la généralisation de la transmission de données en haut débit (via le câble, le satellite, ou encore la connexion ADSL) et par la banalisation des usages des micro-ordinateurs dans les foyers et dans les entreprises, Internet est devenu socialement et économiquement quasi-incontournable en tant que vecteur de diffusion et de communication et de recherche d'informations. Estimé, en 2005, à plus d'un milliard, le nombre d'internautes dans le monde a dépassé les 2 milliards en 2012, et ce chiffre devrait encore augmenter dans les années à venir.. En France, on est passé de 15 millions d’internautes en 2005 à environ 42 millions en 2012.
4. Les enjeux de l'Internet
CybercaféCybercafé
Internet offre aux utilisateurs de nombreux types d'applications : messagerie électronique (mél ou courriels, en anglais e-mails), messagerie instantanée (« chat »), sites Web et blogs marchands, institutionnels, personnels ou collaboratifs (wikis), réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.), commerce électronique (ou e-commerce), transfert et téléchargement de fichiers informatiques (textes, images, musiques, vidéos), téléphonie sur IP (téléphone par ordinateur), forums de discussion, jeux en réseau ou en ligne (→ jeux vidéo)... Ces différents usages d’Internet créent une culture nouvelle, qui enrichit le système relationnel de l’ensemble des acteurs de la société : individus, entreprises et institutions.
4.1. Les enjeux sociaux et culturels
L’essor d’Internet constitue une innovation majeure dans le domaine des communications : c’est un vivier d’idées. C’est aussi un outil de désenclavement. Où qu’il soit dans le monde, un internaute peut « surfer » sur le Net et ainsi accéder à des produits, à des services d’information, effectuer une transaction, participer à une discussion sur un forum, etc. Mais Internet ne fait pas l’unanimité. Pour ses détracteurs, il contribue à une détérioration du tissu social en favorisant une forme de communication sans contact réel. Internet rapproche-t-il les gens ou, au contraire, contribue-t-il à l’individualisme ? S’il est indéniable qu’Internet offre un moyen supplémentaire de communication interpersonnelle, internationale et interculturelle, comme la lettre ou le téléphone, il crée en même temps de nouvelles formes d'individualisme et transforment nos modes de consommation de biens culturels et de loisirs.
Les implications d’Internet dans la vie quotidienne sont multiples. Le réseau offre la possibilité de « télégérer » des opérations financière : par exemple, acheter tel produit, commander tel voyage. Il peut simplifier les démarches administratives ou bancaires, grâce à des guichets électroniques qui évitent un déplacement ou l’envoi d’un courrier.
Le commerce en ligne (e-commerce) constitue avec la messagerie (le courriel) deux applications particulièrement porteuses.
Grâce au réseau haut débit, les opérateurs de télévision diffusent des bouquets de chaînes dont les programmes peuvent être téléchargés ou visionnés à la demande (lecture en continu ou streaming).
Par ailleurs, la téléphonie sur IP permet de communiquer de façon illimitée et à moindre coût via Internet, en s’affranchissant ainsi des opérateurs de télécommunications traditionnels.
Chômage, A.N.P.E. et InternetChômage, A.N.P.E. et Internet
Au-delà, Internet est devenu un enjeu social. Avec son développement, un nombre croissant d’emplois n’ont plus lieu d’être. Des activités comme, par exemple, la presse, la distribution ou l’édition sont à l’aube de profondes mutations. À l’inverse, de nouveaux métiers apparaissent, dont un nombre important en relation directe avec la mise en place fonctionnelle d’Internet et des systèmes d’information qui lui sont liés. Par ailleurs, Internet induit une évolution de la notion de travail : il n’est plus nécessaire d’être physiquement présent sur un lieu ; une tâche peut être effectuée à distance (télétravail), ce qui suppose une nouvelle appréciation du temps de travail et de la relation entre l’employeur et l’employé. Ainsi, Internet entraîne l'individualisation du salariat et introduit une grande porosité entre les frontières du privé et du professionnel.
Supports numériques connectésSupports numériques connectés
Parallèlement au potentiel informatif et informatique de chaque élément qui compose le réseau, se sont développés, au début des années 2000, de nouveaux services qui se caractérisent par la participation et l’interaction des utilisateurs à la production de contenus. L’internaute est devenu contributeur du Net : c’est l’ère du Web 2.0, marquée principalement par la création de millions de blogs (personnels, professionnels et institutionnels) et surtout des réseaux sociaux (Linkedin, MySpace, Facebook, Twitter, etc.) qui ont conquis une place centrale au sein des différents usages d'Internet.
Avec le Web 2.0, les utilisateurs ont la possibilité d'être beaucoup plus actifs dans la production, la diffusion et le traitement de l'information. On observe un déplacement d’un ensemble d’oppositions traditionnelles entre professionnels et amateurs, passivité et activité, autorité verticale et réseau horizontal... Toutefois, tous ces chamboulements d’ordre sociaux, culturels, informationnels et économiques engendrés par Internet, qui modifient en profondeur la société et les comportements des individus qui la composent, nécessitent un encadrement politique, juridique et éthique.
4.2. Les enjeux économiques
Commerce électroniqueCommerce électronique
La présence des entreprises sur le réseau prend des formes diverses, de la simple présence « médiatique » au serveur transactionnel qui permet de consulter un catalogue, de comparer puis de choisir un produit et enfin de procéder à son achat en ligne. Grâce au courrier électronique, l'Internet propose à l'entreprise – de même qu'à toute institution – un outil de communication externe, qui lui permet de diffuser ses messages (informations sur ses produits et services, annonces de recrutement…) à l'intention des internautes et d'organiser le travail à distance avec ses collaborateurs reliés au réseau. Mais la messagerie électronique lui offre aussi un outil de communication interne (intranet), qui est à l'usage de ses personnels pour qu'ils réalisent des gains de temps dans leurs relations professionnelles.
Pour l'entreprise, l'objectif primordial reste la vente. À cet égard, Internet assure l'essor du commerce électronique (cybercommerce ou e-commerce). Les pages d'accueil du Web, faisant place à la publicité de marque, sont âprement convoitées. Le téléchargement direct sur les autres pages du réseau permet d'offrir à la vente des produits sans cesse diversifiés. Par exemple, l'édition s'est mise à l'heure de la cyberlibrairie et les grands magasins ou les hypermarchés ont ouvert leurs propres sites de distribution. On observe toutefois, sous la forme de « spams », une invasion parasite de l'écran par des messages publicitaires que les annonceurs expédient aux internautes en captant l'adresse électronique de ces derniers à leur insu ; ce « spamming », non sollicité et souvent massif, nécessite le recours à des filtres et incite certains fournisseurs d'accès à la mise en place de parades dont l'efficacité reste toutefois aléatoire.
L'un des principaux enjeux économiques tient à l'association de la technologie d'Internet et de celle de la téléphonie mobile. Ainsi, le protocole WAP (Wireless Application Protocol) offre une passerelle entre un téléphone portable (smartphone) – ou tout autre périphérique sans fil compatible (tablettes, assistants numériques personnels, etc.) – et le serveur Web : il utilise à cette fin un langage conçu pour les écrans de petite taille, ne disposant pas d'outils de navigation comme le clavier et la souris.
Une analyse économique d’Internet montre que le réseau repose essentiellement sur la centralisation des données (YouTube, DailyMotion, Facebook, Google…), ce qui offre une grande facilité de gestion et implicitement une maximisation des profits (capitalisme appliqué au numérique). Actuellement, l’évolution d’Internet se poursuit dans ce sens, avec un développement marginal des logiciels libres (open sources) et autres plates-formes alternatives peer to peer (poste à poste).
5. Les risques et les faiblesses d'Internet
5.1. Les risques liés à la croissance
La vitesse de transmission des données sur Internet fait que ce dernier concurrence les moyens traditionnels de diffusion de l'information, en premier lieu la presse écrite, de même que des modes de transmission comme le courrier ou le fax. Mais la dimension mondiale du réseau accroît les difficultés à la fois pour repérer l'information utile et pour vérifier sa fiabilité. L'édition sur le Web ignore les filtres que constituent d'ordinaire les éditeurs traditionnels. De fait, le Web peut être un véhicule redoutable de rumeurs, notamment par le biais des news. Des informations erronées peuvent se propager avec d'autant plus de rapidité que l'anonymat des émetteurs les met à l'abri des plaintes.
5.2. Les risques liés à la sécurité et à la confidentialité
L'accès à l'Internet expose l'entreprise comme le particulier aux risques d'intrusion et donc aux risques de vol ou de destruction d'informations, par le biais de virus. En outre, l'achat sur l'Internet est subordonné à la protection de la confidentialité des données lors d'échanges transitant par le réseau et nécessitant une carte bancaire. La combinaison du filtrage (pare-feu), du cryptage, de l'authentification et du contrôle d'accès aux outils et applications permet de lutter contre les tentatives de communications indésirables. Toutefois, la cybercriminalité, pratiquement inconnue il y a moins de vingt ans, prend de l'ampleur et devient un sujet de préoccupation majeur pour la plupart des États.
5.3. Les risques liés à la sauvegarde de la propriété intellectuelle
Musique numériqueMusique numérique
La question du respect des droits d'auteur sur le Web se pose avec acuité. En la matière, ce dernier n'est pas une zone de « non-droit » : la législation sur le droit d'auteur protège toute œuvre originale, « quels qu'en soit le mode ou la forme d'expression ». Elle s'applique donc à la numérisation, qui est l'expression, sous une forme spécifique, d'une œuvre. De fait, si la communication d'une œuvre entre deux personnes au moyen du courrier électronique ne constitue pas une communication publique, la diffusion d'une œuvre protégée sur un service d'information est assujettie au droit d'auteur. Sa consultation, autorisée dans le cadre de la consultation particulière, encore que la consultation d'une œuvre sous une forme numérisée suppose la copie de cette œuvre (téléchargement), ne constitue en rien une cession de droit à la reproduire ou à la diffuser.
Le débat est complexe. La multiplication des réseaux peer to peer, qui permettent l'échange de fichiers audiovisuels (musique, vidéo, jeux vidéo, etc.), reste au cœur de l'actualité juridique et économique. Plusieurs logiques s'affrontent. La première est basée sur un échange libre et gratuit. Les ayants droit ne perçoivent alors aucune rémunération. La seconde repose sur le paiement par l'internaute d'une redevance forfaitaire perçue par le fournisseur d'accès et reversée à des sociétés de répartition de droits d'auteur. Enfin, la troisième suppose le versement de droits d'auteur pour chaque œuvre protégée et téléchargée. Ces différentes solutions se heurtent à des contraintes techniques importantes ainsi que d'ordre juridique.
5.4. Les risques liés au respect de l'éthique
Peut-on tout diffuser sur l'Internet ? Quelle position les pouvoirs publics doivent-ils adopter face au réseau des réseaux ? Le développement rapide des services sur Internet a pris de cours le législateur, et le régime juridique qui leur est applicable reste empirique. L'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 définit en tant que communication audiovisuelle « toute transmission, émission ou réception de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature ». Cette définition, volontairement large, inclut les services du Web. Mais la profusion d'informations confère au réseau une envergure qui rend difficile le seul recours à des lois nationales. De fait, des casinos virtuels peuvent étendre leur clientèle en s'affranchissant de toute réglementation ; plusieurs sites ont mis en vente des objets nazis ; d'autres font commerce de la pédophilie. Il reste à élaborer une déontologie et une législation d'Internet. La notion de responsabilité est au centre des débats : les forums de discussion, par les contenus qu'ils véhiculent, posent clairement le problème de la responsabilité des internautes et/ou de celle des fournisseurs d'accès au réseau. La loi sur l'économie numérique telle qu'elle doit s'appliquer en France, faisant obligation aux hébergeurs d'exercer un contrôle a priori sur les sites Internet français et aux fournisseurs d'accès de filtrer les sites étrangers, soulève parmi eux une vive émotion, relayée par les utilisateurs du haut débit.
6. Les questions d'avenir pour Internet
6.1. Être ou ne pas être internaute ?
Internet est le média d'avenir de l'ère postindustrielle. Or, son développement suscite diverses interrogations. Elles tournent en premier lieu autour de la « nouvelle économie » – la netéconomie –, dont l'importance semble avoir été anticipée. Les contre-performances du Nasdaq ont des incidences à la baisse sur l'ensemble des indices de valeurs boursières. La « bulle » Internet a explosé en 2001. En France notamment, beaucoup de start up ont alors disparu. Depuis, les investisseurs sont devenus beaucoup plus prudents ; ils exigent, avant toute prise de décision en matière de participation, des garanties nettement plus élaborées et contraignantes sur les plans de la pérennité technique et de la rentabilité commerciale.
Internet a vocation à être grand public. Il faut pourtant se demander s'il ne contribue pas à creuser le fossé qui sépare les catégories sociales entre elles et les peuples entre eux. Surfer sur le Net implique d'avoir les moyens d'acquérir l'outil informatique, de le faire fonctionner et de le perfectionner (par exemple, en changeant de modem pour accéder au haut débit et en adoptant l'ADSL). L'idée d'une société technologique globale, du « village planétaire », se heurte à la réalité des clivages Nord-Sud, riches-pauvres, villes-campagnes, jeunes-moins jeunes. Toutefois, l’évolution du nombre d’internautes dans le monde ne laisse aucune équivoque : on est passé de 16 millions d’internautes en 1995 à environ 1 milliard en 2005 et à plus de 2 milliards en 2012 (dont 45 % ont moins de 25 ans). On note d’ailleurs que les plus fortes croissances ont eu lieu sur les continents africain et surtout asiatique (en particulier en Chine). Le nombre d’internautes dans le monde est en constante progression pour le bonheur des cybermarchands
En France, on compte environ 40 millions d’internautes en 2012, qui passent, en moyenne, 3 heures chaque jour à surfer sur Internet. Les activités les plus pratiquées sont : « réseauter » (23 millions de Français inscrits à Facebook et 3 millions à Twitter), se divertir (jeux en ligne, etc.) et acheter.
6.2. L'Internet de demain : le Web 3.0
Après un Web 1.0 relativement statique où l’internaute se contente d’accéder à une pléthore d’informations, puis un Web 2.0 dynamique, participatif et interactif où l’internaute peut à la fois consulter et échanger des données, on se dirige vers un Web 3.0 qui reste à définir.
Certains évoquent un Web intelligent, souvent qualifié de sémantique. Cette évolution du Web serait basée sur la personnalisation des usages en fonction de chaque utilisateur. L’objectif est d’améliorer la relation entre les utilisateurs et d’amoindrir les contraintes techniques et l’ergonomie, qui restent à ce jour prédominantes. Le partage de ressources, les requêtes d’informations basées sur des moteurs de recherche innovants capables de s’adapter à chaque profil en recourant à la notion de sémantique et le recours à l’intelligence artificielle pourraient constituer des facteurs clés.
Toutefois, nul ne peut prévoir l’évolution de ce gigantesque réseau – même à très court terme (de l’ordre de quelques années) – car les usages et les technologies évoluent extrêmement vite et partout à la fois à travers le monde entier.
DOCUMENT larousse.fr LIEN |
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JULES CÉSAR |
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Jules César
en latin Caius Julius Caesar
Jules César
Cet article fait partie du dossier consacré à la Rome antique.
Jules César
Homme d'État romain (Rome 100 ou 101-Rome 44 avant J.-C.).
1. Le contexte : Rome au ier siècle avant J.-C.
Durant le ier siècle avant J.-C., Rome est entraînée dans de nouvelles conquêtes par des généraux ambitieux : Marius, après lui, Sulla reconquiert la Grèce et l'Asie Mineure (88-85 avant J.-C.), Pompée qui constitue la province de Syrie et occupe la Judée. Les conséquences de ces conquêtes, sur les plans économique et social, ne sont pas négligeables.
→ empire séleucide.
1.1. Une économie bouleversée
Ces conquêtes ont provoqué une véritable révolution économique, enrichissant les uns, appauvrissant les autres. Le butin, les indemnités de guerre, les tributs payés par les provinces enrichissent l'État, mais aussi des particuliers. Les membres de la classe sénatoriale accaparent les terres que l'État s'est réservées lors des conquêtes (l'ager publicus, domaine public), les chevaliers s'occupent de l'exploitation des biens publics (d'où leur nom de « publicains ») ou se livrent à des activités bancaires et commerciales. Ces gens riches utilisent de plus en plus d'esclaves, dont la condition malheureuse entraîne des révoltes (→ Spartacus, 73-71 avant J.-C.).
1.2. La révolte des territoires soumis
Sur le plan politique, les conquêtes posent des problèmes que le gouvernement de la république n'a pas pu résoudre. Les territoires soumis, transformés en provinces, ont été exploités par leurs gouverneurs bien plus qu'administrés. Les provinciaux sont mécontents. Les Italiens souhaitent l'égalité avec les citoyens romains. Les chevaliers veulent accéder aux honneurs comme les sénateurs. Les vieilles institutions, faites pour l'administration d'une ville, ne sont pas à la mesure d'un vaste empire. Des crises éclatent et des hommes tentent d'imposer leurs solutions. Souvent, ils s'appuient sur une armée solide.
1.3. Sulla
Gouvernant par la terreur les proscriptions, Sulla règle en 90-89 la question italienne en ne se contentant pas de briser par la force la révolte des alliés italiens (→ guerre sociale, 91-89), mais en supprimant la cause principale de leur révolte par l'octroi de la citoyenneté romaine à tous les Italiens (lex Julia de civitate, 90 avant J.-C. Sulla veut également rétablir le sénat dans ses anciens droits ; toutefois, son œuvre de restauration sénatoriale ne lui survivra pas.
2. Origines et ascension politique de Jules César
Patricien portant les effigies de ses ancêtresPatricien portant les effigies de ses ancêtres
Caius Iulius Caesar appartenait à la famille patricienne (→ patriciat) des Iulii, qui, par homonymie, prétendait remonter à Iule, le fils du légendaire héros Énée, et, par ces intermédiaires, à la mère de ce dernier, à Vénus elle-même.
Il était en rapport avec le parti démocrate par sa tante paternelle, qui avait épousé le général Marius, et par sa femme Cornelia, fille de Cinna.
SullaSulla
En 82 avant J.-C., le chef du parti aristocratique, Sulla, instaure sa dictature. Jules César, sommé de répudier Cornelia, refuse et, poursuivi par la haine de Sulla, doit se cacher puis s'éloigner de Rome. Il perd sa préture (charge de magistrat), la dot de Cornelia et la plus grande partie de ses héritages. Contraint de s'exiler, il prend part à des opérations militaires en Asie mineure, se distingue au siège de Mytilène en Grèce, puis en Cilicie (sud-est de l'actuelle Turquie), dans la lutte contre les pirates.
À la mort de Sulla (78 avant J.-C.), César réapparaît à Rome, où il amorce sa carrière politique. Il a 22 ans.
2.1. Du pontife au sénateur
César commence par accuser publiquement des gouverneurs partisans de Sulla. C'est l'occasion de faire connaître la qualité de son éloquence et de se mesurer aux plus illustres avocats. Il part ensuite pour Rhodes afin de perfectionner son talent auprès du célèbre rhéteur Molon et aussi dans le dessein de fuir temporairement certaines inimitiés qu'il a suscitées à Rome. En cours de route, il est pris par des pirates, à qui il verse une plus forte rançon que celle qu'ils demandaient, mais sur lesquels il se venge peu après.
L'ambition incarnée
En 73 avant J.-C., il rentre à Rome, où, en son absence, on l'a nommé pontife (membre le plus important du collège sacerdotal). Il entreprend alors résolument de gravir la carrière des honneurs (→ cursus honorum), ce qu'il exécute à la manière d'une opération commerciale : très dépensier et endetté, il est en effet poussé par la nécessité de disposer des capitaux qui permettent de flatter le corps électoral ; il s'attache à l'entourage de Licinius Crassus, réputé l'homme le plus riche de Rome.
En 68 avant J.-C., il est nommé questeur (magistrat surtout chargé de fonctions financières) et exerce ses fonctions en Espagne Ultérieure (Sud-Ouest de l'Espagne). Si l'on en croit les anecdotes, il manifeste déjà, en paroles, sa grande ambition. Traversant une localité perdue, il avoue qu'il préfère être le premier dans un village que le second à Rome. Au pied d'une statue d'Alexandre, il gémit de n'avoir encore rien fait, alors qu'à son âge Alexandre avait conquis le monde.
Rome, le Forum
Sénateur en 67 avant J.-C., c'est en tant que défenseur du parti populaire que César a l'occasion de soutenir Pompée, issu à l'origine de l'ordre équestre des chevaliers. Édile (magistrat chargé de l'administration municipale) en 65 avant J.-C., il fait remettre en place sur le Capitole la statue de Marius et surtout assure sa popularité en donnant de grands jeux et en travaillant à la décoration du Forum.
Au cœur des intrigues du pouvoir
Au même moment, César trempe dans un complot qui doit porter Crassus à la dictature et qui échoue. Il semble avoir pris la précaution de ne point trop se compromettre. De même, lors de la conjuration de Catilina, il est au nombre des sympathisants, prêt, si le coup réussit, à en profiter. Il vient d'être élu grand pontife (chef de la religion romaine), en 63 avant J.-C., quand on juge les complices de Catilina. Son autorité lui permet d'obtenir la clémence de leurs juges. Il se sent toutefois mal à l'aise. Préteur (magistrat rendant la justice) en 62 avant J.-C., il s'en prend à ceux qui l'ont compromis.
À ce moment, César répudie sa femme, Pompeia (il était veuf de Cornelia), qui le trompe avec le célèbre démagogue et agitateur Publius Appius, futur Clodius. Il réussit en même temps à éviter de compromettre celui-ci en prétendant qu'il divorce parce que « la femme de César ne doit pas même être soupçonnée », l'un de ses mots fameux.
2.2. Jules César consul
Propréteur (préteur délégué en province) en Espagne Ultérieure (61 avant J.-C.), César accomplit quelques opérations militaires sur les côtes et dans la montagne, de manière à revenir très vite à Rome mais riche de butin et pourvu du prestige du général victorieux. Pompée était revenu d'Orient en général vainqueur, dix-huit mois plus tôt, sans réussir à exploiter sa gloire.
César, au contraire, se met rapidement d'accord avec les deux rivaux du moment, Pompée et Crassus, pour former ce que l'on a appelé le premier triumvirat, qui n'est qu'une association d'ambitieux. Fort de cet appui, il se fait élire consul quelques semaines après son retour d'Espagne (août 60 avant J.-C.).
Un législateur actif
Rome sous la RépubliqueRome sous la République
César est très actif. Sans illusions sur l'attitude du sénat et du tribunat de la plèbe, il opère en force et viole les règles qui le gênent.
Si certaines des lois qu'il fait voter vont dans le sens de son intérêt personnel, d'autres sont d'une réelle utilité pour le peuple romain. Parmi celles-ci, une importante loi sur la concussion et une autre sur l'administration des provinces vont lui assurer la sympathie des peuples soumis. Il accorde aux publicains (chargés de percevoir les impôts) une remise sur les sommes dues au titre des impôts qui leur sont affermés (donnés à bail). Il demande et obtient la ratification des actes de Pompée en Orient, ratification que Pompée lui-même s'était vu refuser à son retour. Une loi agraire distribue des terres d'Italie aux vétérans de Pompée et à la plèbe (les citoyens les plus pauvres) de Rome. Une autre étend ces dispositions à la Campanie.
Les comptes rendus des séances du sénat seront désormais affichés. Enfin, et c'est là l'une des premières manifestations d'un intérêt particulier de César pour l'Égypte, il fait conférer au roi Ptolémée XIII Aulète le titre d'ami et d'allié du peuple romain, ce qui vaut à César une « gratification » financière qui le débarrasse de ses dettes.
Préparer l'avenir
Autre bénéfice de cette charge de consul : César s'est procuré de nombreux partisans. Le gouvernement provincial qu'il devait obtenir à l'expiration de son mandat pouvait également étendre sa clientèle politique par l'enrichissement de la soldatesque et accroître son prestige militaire à la faveur d'une guerre de conquête.
Le sénat l'avait vu venir de loin et avait décidé que les provinces qui lui seraient confiées seraient des régions pauvres d'Italie. Alors, César s'entend avec un tribun de la plèbe, P. Vatinius, qui fait casser le décret sénatorial et lui fait attribuer pour cinq ans la Gaule Cisalpine et l'Illyrie, le sénat y ajoutant de lui-même la Narbonnaise.
Cicéron
À Rome, pas question que l'on intrigue derrière son dos : Clodius est élu tribun de la plèbe, Cicéron, son adversaire farouche depuis l'affaire Catilina, part pour l'exil, et les consuls élus pour 58 avant J.-C. sont ses amis. César peut partir.
3. La difficile conquête des Gaules (58-51 avant J.-C.)
La conquête des Gaules représente le premier grand épisode de la vie de César. C'est elle qui fait du politicien heureux un personnage de l'histoire.
Les Gaulois avaient la réputation d'ennemis redoutables, depuis qu'à l'époque primitive ils étaient venus déranger les Romains chez eux. Leur pays paraissait riche et peuplé, et, au-delà, leurs routes menaient à l'étain britannique. César avait voulu cette guerre. Il ne chercha, du moins au début, qu'à soumettre les chefs et à constituter des protectorats. Mais il lui fallait nécessairement guerroyer pour se procurer du butin, donc de l'argent. De là des campagnes successives, qui vont se prolonger d'autant plus longtemps que la pacification n'est assurée qu'après des sursauts de révolte. De là aussi une armée qui s'accroît – en même temps que l'autorité de son chef.
3.1. La guerre racontée par César
Il est impossible de reconstituer les allées et venues de César à travers les Gaules. La localisation des oppidums (places fortes) qui furent assiégés, bien qu'à peu près certaine dans l'ensemble, laisse la possibilité de controverses. De même, les causes et les faits eux-mêmes n'apparaissent pas avec la plus grande évidence. D'où cela provient-il ? De César lui-même, qui, par ses Commentaires sur la guerre des Gaules, est notre source presque unique.
Or, il s'agit là d'une œuvre tendancieuse. Ces Commentaires, faits à partir de rapports réguliers au sénat, remaniés par la suite, sont une œuvre de propagande, où les faits sont intentionnellement obscurcis, pour ne pas tout révéler aux autres généraux de son art militaire, ou déformés de diverses manières, pour rehausser le prestige de César lui-même, minimiser le rôle de ses légats (délégués chargés d'une mission diplomatique, administrative ou militaire), enfler l'importance des adversaires (tel Vercingétorix) et rendre la victoire plus glorieuse. Il faut donc lire entre les lignes.
En dehors des opérations militaires, il y eut des négociations, que César nous raconte à sa façon et qui demeurent entourées de mystère. On sait par exemple que les druides jouaient un grand rôle politique : César n'y fait guère allusion. La guerre des Gaules dresse cependant un tableau complet des mœurs des Gaulois et de leurs institutions tant religieuses que politiques.
3.2. Premières expéditions
La conquête des Gaules, 58-54 avant J.-C.La conquête des Gaules, 58-54 avant J.-C.
Les opérations commencent en 58 avant J.-C., quand les Helvètes veulent émigrer vers la Gaule. César les arrête, comme des envahisseurs, et se fait passer pour le protecteur ou au moins l'allié des Éduens, peuple maître de la Gaule centrale. Il barre ensuite la route à Arioviste, envahisseur qu'il qualifie de Germain.
S'étant assuré vers le Rhin comme vers le Centre, César s'avance vers le nord-ouest de la Gaule, battant apparemment sans difficulté les peuples belges (57 avant J.-C.). Entre-temps, son lieutenant Galba attaque, sans succès, les montagnards des cols alpestres, qui rançonnent les voyageurs et, rendant le passage périlleux, obligent le plus souvent à passer par Marseille, dont les péages sont coûteux. En 56 avant J.-C., César, confirmant ainsi son intérêt pour la route vers l'Océan, s'en prend aux populations côtières, en Normandie et en Aquitaine.
En 55 avant J.-C., des Celtes d'Outre-Rhin, que César disait Germains, ont franchi le fleuve. Ils sont massacrés. Puis César fait lui-même une incursion rapide au-delà du Rhin, opération d'intimidation et de prestige.
Il en va de même de ses tentatives en Bretagne (l'actuelle Grande-Bretagne). Un premier débarquement outre-Manche échoue, faute d'expérience technique. Un autre, en 54 avant J.-C., bien préparé, permet d'imposer un tribut – d'ailleurs tout théorique – à un roi de l'île.
3.3. La Gaule en rébellion
À la fin de 54 avant J.-C., la Gaule entre en rébellion. Elle n'est pas occupée en profondeur : les Romains ne tiennent que les points et les voies stratégiques. Chaque camp légionnaire est attaqué par le peuple voisin. La retraite de César vers l'Italie n'est même plus possible. En 53 avant J.-C., celui-ci est parvenu à se dégager et à « tranquilliser » la Gaule, dont il a dû abandonner le Nord-Ouest. Mais la tranquillité n'est qu'apparente.
César face à Vercingétorix
En 52 avant J.-C., la révolte part des peuples du Centre (Carnutes, Bituriges) ; César doit mettre la Narbonnaise en état de défense. Le chef arverne Vercingétorix a réuni une armée assez forte (400 000 hommes) qui, à distance prudente, nargue les 50 000 soldats romains. Il évite le combat, mais dévaste la campagne pour détruire les vivres. La prise d'Avaricum (→ Bourges) par César assure à celui-ci une plus grande facilité d'évolution.
Cependant César échoue devant Vercingétorix à Gergovie : échec moindre qu'il ne prétend, car il veut faire prendre son adversaire pour le chef de la Gaule entière, ce qui est faux. À la suite d'un engagement malheureux, les Gaulois s'enferment dans l'oppidum d'Alésia, d'où César ne les laisse plus s'échapper. César présente la capitulation d'Alésia comme un succès définitif. La guerre n'est pourtant pas finie. En 51 avant J.-C., il faut réduire les résistances isolées. Les Cadurques se défendent le plus longtemps et ne rendent leur oppidum d'Uxellodunum qu'après un siège difficile.
Un lourd bilan
Les Gaulois se sont montrés beaucoup plus organisés que César ne l'a admis. De là une guerre longue, plus dure également qu'il n'a voulu en convenir. Elle aurait fait un million de morts et un million d'esclaves, selon l'écrivain grec Plutarque. En huit ans, César a dû livrer 30 batailles, soutenir 5 sièges et enlever 800 oppidums. Mais il a obtenu le résultat escompté : il a trouvé ce qu'il cherchait, l'argent et le prestige, la fidélité de ses compagnons d'armes, et il a ouvert un nouveau champ d'opérations aux trafiquants italiens. Le conquérant laissera cependant aux peuples soumis leur nom, leurs frontières, leurs lois et leurs croyances.
4. L'entre-deux-guerres et le dilemme du Rubicon
Pendant l'absence de César, à Rome, les politiciens ont poursuivi leurs intrigues. Le tribun Clodius entraînait le peuple à sa suite et l'excitait contre Pompée. Celui-ci, ne pouvant s'appuyer pleinement sur le sénat, où d'intransigeants républicains lui demeuraient hostiles, avait, en 55 avant J.-C., renouvelé l'accord de triumvirat avec Crassus et César pour cinq ans. Mais Crassus devait mourir en 53 avant J.-C. Les républicains ont à présent beau jeu d'opposer César et Pompée.
4.1. Le sénat et Pompée contre César
Le sénat nomme Pompée unique consul (52 avant J.-C.), avec l'objectif d'abattre César. Tout se passe en bordure de la légalité. De part et d'autre, on s'efforce d'en respecter les formes, mais, inévitablement, on les viole. César pose sa candidature à un nouveau consulat et obtient du sénat l'autorisation de le faire tout en restant absent de Rome, c'est-à-dire près de ses armées. Faute de cette autorisation, il redevient simple particulier, ce qui le met à la merci de ses adversaires. Malgré l'intercession des tribuns de la plèbe, qui défendent César, Pompée fait escamoter par une nouvelle loi l'autorisation sénatoriale.
L'année 50 avant J.-C. s'écoule dans les atermoiements. On apprend que César concentre ses troupes en Cisalpine. Le consul Marcus Claudius Marcellus somme Pompée de prendre ses dispositions pour marcher contre lui. César a conservé ses fonctions au-delà de la date limite : il propose d'y renoncer si Pompée en fait autant. En refusant et en décrétant le rappel de César, le sénat jette définitivement les deux rivaux l'un contre l'autre.
4.2. Alea jacta est
Pompée envisage de refuser la bataille : il espère lasser les armées de César. Mais il a désappris le métier de chef militaire et, à ses côtés, il a surtout des politiciens véreux. Au contraire, le camp de César est rempli d'officiers d'une fidélité aveugle à leur chef. César s'est attaché ses lieutenants et ses hommes – il les appelle non pas « soldats » mais « compagnons ». Aussi, comme le rapporte l'historien latin Suétone « quand il s'engagea dans la guerre civile, les centurions de chaque légion lui promirent d'équiper chacun un cavalier à leurs frais, et les soldats lui offrirent leurs services gratuitement, sans ravitaillement ni solde, les plus riches se chargeant d'entretenir les plus pauvres ».
César entre donc dans la guerre civile avec d'énormes atouts, mais une chose le gêne : le fait d'avoir à se mettre lui-même hors de la légalité. Or c'est ce qui doit arriver s'il franchit avec ses soldats le Rubicon, la rivière qui sépare sa province de l'Italie (péninsulaire), territoire sur lequel il ne lui a pas été confié de commandement. Il hésite jusqu'au dernier instant. Un incident précipite les choses : des soldats suivent un pâtre qui jouait du pipeau jusqu'au-delà du pont. César… suit, en prononçant ces paroles fameuses : Alea jacta est (« Le sort en est jeté »).
5. César contre Pompée : la guerre civile (49-45 avant J.-C.)
La guerre se déroulera à travers tout le monde romain.
5.1. La conquête de l'Italie
Pompée se fait illusion sur ses forces et tout le monde est persuadé de la faiblesse de César. Or celui-ci s'est préparé avec discrétion. Une fois le Rubicon franchi, il fonce : cinq jours plus tard, Pompée et ses partisans quittent Rome dans la panique. Ils cherchent à barrer le sud de la péninsule. César arrive à son tour à Brindisi où Pompée s'est replié, mais ne parvient pas à l'empêcher d'embarquer, discrètement, de nuit.
César revient donc sur Rome, où il ne trouve qu'un sénat réduit : les partisans de Pompée sont partis avec lui. Il se tourne alors vers les pompéiens d'Espagne, mais il se heurte en route aux Marseillais, qui, peu satisfaits des conséquences économiques de la guerre des Gaules, se sont rangés parmi ses adversaires : assiègés en mai 49 avant J.-C., ils capitulent en octobre. En Espagne, la forteresse d'Ilerda (Lérida), où les pompéiens sont installés, capitule en août.
César revient à Rome, s'y fait attribuer la dictature, puis le consulat pour 48 avant J.-C. avant de reprendre la poursuite de ses adversaires.
5.2. De la Grèce à l'Égypte
En 48 avant J.-C., César passe en Épire et en Thessalie, où, dans des conditions souvent difficiles, puisqu'il est un moment poursuivi par Pompée, il parvient à Pharsale et y bat les pompéiens. Il gagne ensuite Alexandrie, où les ministres du roi lui font remettre la tête de son adversaire, qu'ils ont fait décapiter. Mais rien n'est encore terminé, car il reste des pompéiens un peu partout.
Dans l'immédiat, César est arrivé en Égypte au milieu d'une crise politique. Il s'érige en arbitre entre les deux souverains en désaccord, Ptolémée XIV et Cléopâtre VII. Il ne s'est peut-être pas laissé séduire par celle-ci, mais se décide en sa faveur. Les partisans de Ptolémée provoquent alors contre lui une insurrection dans Alexandrie. César rétablit la situation grâce à Mithridate, roi de Pergame (en Asie Mineure), venu à son aide (bataille du Nil et prise d'Alexandrie, 27 mars 47 avant J.-C.). Il visite alors l'Égypte en remontant le Nil sur un bateau en compagnie de Cléopâtre.
Pharnace, fils du grand Mithridate, entreprend de renouveler les exploits paternels : il attaque les rois de Cappadoce et de Petite Arménie. Mais ceux-ci ont fait leur soumission à Rome et quand César vient à son tour, il écrase ses adversaires à Zela et écrit : Veni, vidi, vici (« Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ») [2 août 47 avant J.-C.].
5.3. En Afrique puis en Espagne
Les campagnes de CésarLes campagnes de César
L'hiver suivant, César est en Afrique du Nord, où se sont réfugiés de nombreux républicains. À l'issue d'une campagne difficile, il les massacre à Thapsus, sur la côte orientale de la Tunisie (6 avril 46 avant J.-C.). Quelques-uns se suicident, dont Caton d'Utique.
Les pompéiens se sont alors regroupés en Espagne, sous Cnaeus Pompeius, fils du grand Pompée. À Munda, au sud de Cordoue, César en vient à bout en un combat ultime, mais sans pitié (17 mars 45 avant J.-C.). Ses légionnaires gaulois auraient massacré 33 000 hommes.
La guerre civile est terminée. César n'a plus qu'un an à vivre. Mais quelques mois lui suffisent pour transformer la république romaine en un empire.
6. Le fondateur de la nouvelle Rome
Dans l'intervalle des campagnes militaires, le pouvoir politique de César s'est fortifié.
6.1. César imperator
Il a été soutenu par ses partisans, s'est acquis de nouveaux honneurs (→ cursus honorum), même en son absence de Rome. Il est de nouveau dictateur, puis consul pour cinq ans, dictateur pour dix ans, consul pour dix ans, préfet des mœurs pour trois ans (nouvelle tâche créée pour lui, puisque, étant consul, il ne pouvait légalement pas être censeur).
Ne pouvant, du fait de ses origines nobles, devenir tribun de la plèbe, César s'est fait déclarer, comme les tribuns, inviolable et sacré, et s'est arrogé le droit de les déposer. Acclamé imperator, c'est-à-dire général victorieux, à l'issue de ses campagnes, il est devenu, après la bataille de Munda, imperator dans un nouveau sens du mot, en tant que détenteur de l'imperium, la toute-puissance politique, et ce titre s'accole habituellement à son nom.
6.2. Le politicien habile
Ainsi, maître de tout et de tous, César poursuit les réformes et la politique intérieure déjà amorcées dans l'intervalle de ses campagnes ou même au cours de celles-ci. Car, toujours par monts et par vaux, il travaille et écrit plusieurs de ses œuvres en voyage. Il s'entoure d'un secrétariat de plus en plus nombreux, de même qu'il confie des fonctions inédites à ses fidèles. C'est ainsi que s'esquisse le système des bureaux impériaux, parallèles aux magistratures d'origine républicaine.
D'intrigant politique, César est devenu homme de guerre, puis administrateur et réformateur. Il se révèle tout aussi brillant dans cette dernière tâche.
Démagogie et clémence
D'abord, la sécurité : après les désordres de la guerre civile, César et l'État seront respectés grâce à la loi de majesté. Une loi décourage la violence dans la rue. Les associations sont supprimées en grand nombre.
Ensuite, sous une apparence de réconciliation, d'amnistie et de ralliement, César revient à la politique de recherche de la popularité, c'est-à-dire de démagogie. Son despotisme égalitaire tend à abaisser la noblesse sénatoriale et les hommes d'affaires, mais favorise tous les autres. La clémence ne s'étend quand même pas à tous : il s'agit d'un choix savamment dosé. Il fait grâce aux pompéiens, en libérant les prisonniers, en laissant rentrer ceux qui ont fui, en donnant des fonctions à quelques-uns. Cicéron se fait pardonner sa longue bouderie.
César relève les statues de Pompée, mais aussi de Sulla. Les fils des proscrits de Sulla cessent d'être inéligibles. Les exilés politiques sont rappelés. Les soldats, eux, outre leur part de butin, bénéficient de lots dans des colonies dont les sites sont bien choisis, car ce sont ceux de grandes villes ou de futures grandes villes : Séville, Narbonne, Arles, Corinthe.
Tolérance religieuse
Sur le plan religieux, même, César se garde bien de proscrire les religions exotiques. Il laisse les peuples soumis pratiquer le culte de Mithra ou d'Isis. Les bacchanales peuvent être célébrées au grand jour. César est tolérant même à l'égard des Juifs, pourtant adversaires de tout le paganisme traditionnel : les synagogues sont autorisées à fonctionner, et le grand prêtre de Jérusalem est habilité à percevoir la taxe d'entretien du Temple.
Du travail pour les Romains, des droits pour les provinces
Au peuple de Rome, César cherche à procurer du travail et propose des terres à ceux qui veulent quitter la ville. Il limite à 150 000 les participants aux distributions publiques, mais étend les limites de la ville, qu'il gratifie de nouveaux monuments : nouveau Forum, avec basilique, temple de Venus Genitrix et bibliothèque, la première bibliothèque publique de Rome.
ArlesArles
Il fait davantage encore pour les provinciaux. Il distribue le droit latin, et il l'accorde notamment à la Sicile. Il en est de même du droit de cité, dont la Cisalpine bénéficie. Les abus des sociétés financières sont réprimés, et les impôts directs ne sont plus affermés. La lex Iulia municipalis accorde une appréciable autonomie aux colonies et aux municipes (cités conquises). Il s'amorce ainsi une décentralisation de l'État, comme pour rapprocher le monde romain du type hellénistique de la confédération des villes.
6.3. Le grand réformateur
Parmi ces dispositions, souvent destinées à rallier les populations, on remarque des vues quasi prophétiques et des réformes de valeur durable. César esquisse quelques traits de la géographie politique de l'Europe : il est le premier à assigner, de sa propre autorité, le Rhin comme frontière naturelle à la Gaule, et il inaugure l'unité de l'Italie. Il dote le monde du calendrier julien, que l'on utilise toujours.
Un esprit modernisateur
César pratique une politique économique évoluée : en décongestionnant Rome, ville d'oisifs, au profit d'un retour à la terre ; en imposant des taxes douanières à l'entrée des denrées et non à leur sortie, comme c'était l'usage antique ; en restaurant une monnaie saine et en adoptant l'étalon-or.
Il accorde aux anciens combattants des emplois réservés, découvre, de beaucoup le premier, « la notion d'incompatibilité appliquée aux fonctions électives ; un minimum de moralité imposé aux élus ; dans les compétitions électorales, le bénéfice de l'âge » (Jérôme Carcopino, historien).
Il favorise les familles nombreuses. Il organise la propagande politique, en prescrivant l'affichage des comptes rendus des séances du sénat, comme il a publié au jour le jour ses communiqués de guerre. Enfin, il révolutionne l'instrument du travail intellectuel en adoptant le codex, ancêtre du livre actuel, à la place du rouleau, volumen. Tout cela fait de César « un des plus puissants démiurges qu'ait façonnés l'histoire des hommes » (J. Carcopino).
7. L'imperator qui voulait être roi
7.1. L'abaissement du sénat
Malgré le caractère estimable de l'ensemble de ces réformes, César a aussi détruit des institutions au profit de son despotisme personnel.
Respectueux des comices tributes (assemblées basées sur le cadre des tribus), il n'en a pas moins fait un instrument de louange et d'approbation à sa dévotion. Le sénat est devenu un conseil consultatif. L'accroissement du nombre de ses membres, qui passe de 600 à 900, réduit le prestige de la classe sénatoriale et permet d'y introduire des fidèles et des provinciaux. Les magistrats sont, eux aussi, affaiblis par leur multiplication : 40 questeurs, 6 édiles, 16 préteurs, quand, toutefois, il y a d'autres consuls que César lui-même. De toute façon, César nomme la moitié de ces magistrats.
7.2. Le culte de la personnalité
Après l'abaissement des magistrats, le prestige du maître. En 46 avant J.-C., César célèbre quatre triomphes successifs. Mieux, un véritable culte s'instaure autour de sa personne. Comme les dieux, il donne son nom à un mois. Comme eux, il bénéficie de cérémonies ou d'attributs significatifs : jeux publics en l'honneur de ses victoires, char professionnel, flamine attitré, statues dans les temples. On rappelle qu'il descend de Vénus. Tout cela fait songer aux rois-dieux des monarchies hellénistiques et aussi à une marche vers la royauté.
7.3. L'inaccessible royauté
Certes, le peuple romain avait en horreur le nom de roi. César peut-il, sans risque, prétendre à un titre abhorré ? Il désire ce titre. En 44 avant J.-C., on sent qu'il va l'obtenir. En février, le sénat lui accorde un costume de roi, un trône. À la fête des lupercales, son lieutenant Antoine tente de le coiffer du diadème, équivalent hellénistique d'une couronne. On lui attribue le titre de pater patriae (père de la patrie), il devient dictateur perpétuel, sa tête apparaît sur les monnaies, ce qui est une prérogative royale ou divine. Des monnaies avec le titre royal sont sur le point d'être émises. Mais on sent la foule prête à protester. César fait mine de repousser la royauté. Peut-être portera-t-il le titre de « roi » hors de Rome ? Il s'apprête à partir en guerre contre les Parthes, or, en Orient, un titre de « roi » est très opportun. Il a d'ailleurs adopté Octave, pour le seconder là-bas, en attendant de lui succéder éventuellement.
7.4. Trente-cinq coups de poignard le jour des ides de mars
Une conspiration, menée par Cassius et Brutus, se noue entre mécontents et partisans de la République. Le jour des ides de mars 44 avant J.-C. (le 15), en pleine séance du sénat qui s'est réuni pour préparer une expédition contre les Parthes, César tombe, transpercé de trente-cinq coups de poignard. Reconnaissant parmi ses agresseurs son fils Brutus, il aurait dit : « Et toi aussi, mon fils ! » On ne reconnaît pas l'homme qui, en quelques mots laconiques et sentis, savait mettre fin à une menace de mutinerie.
L'assassinat fut assez diversement jugé. Si l'on en croit le poète Lucain, pourtant républicain et pour qui ce meurtre était un sacrifice nécessaire, il fut assez généralement considéré comme une chose honteuse. On se rallia souvent par la suite, et pour éviter le courroux impérial, à l'opinion de Plutarque, selon lequel César était l'homme providentiel, seul capable, par sa monarchie, de remédier au désordre politique. Il est vrai que l'ordre qu'il avait créé valait mieux qu'une république abusive. Il a surtout réussi à déposséder très rapidement l'oligarchie, et celle-ci n'a pas réussi à reprendre le dessus. Quant aux apparences de l'État, c'était toujours la République, mais César l'avait confisquée au profit d'un seul homme.
Son petit-neveu Octave (le futur Auguste), qu'il a adopté, s'appuiera sur son héritage pour fonder l'Empire.
8. Destinée du nom de César
Le nom de César, comme celui d'Auguste, a été adopté et conservé par les empereurs successifs. On ne disait pas l'empereur, mais César ou le césar. Le terme, donc, devait devenir synonyme d'empereur, et c'est à ce titre qu'on le retrouve sous la forme de kaiser, de czar ou de tsar pour désigner des monarques bien éloignés des dynasties romaines.
Les douze premiers empereurs romains, en vertu de l'œuvre de Suétone, sont appelés les douze Césars, sans que cela corresponde à un lien particulier entre eux, puisque s'y trouvent englobées deux dynasties, celle des Julio-Claudiens, fondée par Jules César, et celle des Flaviens. Ces douze sont César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus et Domitien.
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CHRISTIANISME |
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christianisme
(latin ecclésiastique christianismus, du grec khristianismos)
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Cet article fait partie du dossier consacré au christianisme.
Ensemble des religions fondées sur la personne et les écrits rapportant les paroles et la pensée de Jésus-Christ.
Christ
L'une des principales religions du monde, le christianisme professe – comme le judaïsme (dont il est issu) et l'islam (qui en reprend des éléments fondamentaux) – la foi en un Dieu unique, qui s’est révélé pour la première fois à Abraham, le patriarche commun des trois grands monothéismes. Il constitue une religion révélée, à la fois dans les Écritures et dans la personne de Jésus-Christ, cherche à investir de valeurs la vie humaine et offre un salut.
Apparu au début de notre ère, dite l'ère chrétienne puisqu'elle commence théoriquement avec lui, le christianisme a connu, au cours d'une histoire s’étalant sur deux millénaires, des développements, des crises et des réformes, qui se sont notamment traduits par son éclatement en trois confessions distinctes : le catholicisme romain, l’orthodoxie orientale et le protestantisme issu de la Réforme du xvie s.
La naissance du christianisme
Introduction
L'activité de Jésus en Palestine – prophète et réformateur religieux, qui prêche de l'an 27 à l'an 30 de notre ère – marque le début du christianisme. À cette époque, la Palestine appartient à l’Empire romain et se singularise par sa religion, le judaïsme, qui a un statut particulier dans l'empire en raison de sa foi en un Dieu unique (monothéisme). L'occupation étrangère est particulièrement mal perçue dans le pays, où le pouvoir politique local est de plus en plus amoindri et partagé. Les fils d'Hérode le Grand, le dernier roi juif, lui-même inféodé à Rome, sont sous le contrôle d'un préfet romain dépendant du légat de la province de Syrie. Les impôts sont lourds, et la déstabilisation sociale et politique s'accompagne d'une agitation religieuse. Le judaïsme est à cette époque partagé en plusieurs courants, même si les pratiques religieuses et le rôle du Temple de Jérusalem demeurent le tronc commun des courants dominants.
De surcroît, la visée assimilatrice de la culture hellénistique – mise en place dans tout le Bassin méditerranéen après les conquêtes d’Alexandre le Grand (ive s. avant J.-C.) – ainsi que les compromissions religieuses et politiques avec le pouvoir dominant ont provoqué, au sein même du judaïsme, des mouvements de protestation s'appuyant souvent sur l'attente d'un messie envoyé par Dieu pour rétablir la justice et la paix. Les courants de renouveau du judaïsme sont multiples ; ils peuvent être teintés de nationalisme (comme le mouvement zélote) ou axés sur la protestation religieuse (comme le mouvement des esséniens, vivant en communautés dans le désert). L'un d'entre eux est celui de Jean le Baptiste, qui prêche et baptise loin des grands centres ; le baptême qu’il confère assume le rôle (pardon des péchés) que le judaïsme orthodoxe attribue aux sacrifices offerts dans le Temple de Jérusalem.
L’activité de Jésus au cœur du milieu juif
Tête du Christ de Wissembourg
À la suite de Jean-Baptiste, le juif Jésus annonce la venue imminente du règne et du jugement de Dieu ; mais il se sépare du Baptiste en ceci qu'il insiste sur l'amour de Dieu plus que sur sa colère.
Le témoignage principal sur la vie historique de Jésus, originaire de Nazareth, en Galilée, où il a commencé son ministère, est celui des Évangiles. Or, ces livres ne sont pas des biographies, mais des interprétations de sa vie dans une perspective catéchétique. Néanmoins, il est établi avec une relative certitude que Jésus a été un prédicateur itinérant, qui a réuni des disciples autour de lui, enseigné et opéré des guérisons. Il a voulu susciter une réforme du judaïsme en annonçant la proximité de Dieu, en proposant une autre manière de comprendre sa volonté que celle offerte par la Loi juive, et en désacralisant l'institution du Temple de Jérusalem. Sur ces deux derniers points, il a suscité la virulente opposition des chefs religieux juifs, ce qui a conduit à son exécution sous la forme du supplice romain de la croix. Après sa mort, ses disciples se sont réunis autour de la foi en sa résurrection, qui l'authentifie comme le véritable envoyé de Dieu. Ainsi naît le mouvement de Jésus, qui est, à son origine, un mouvement de renouveau interne du judaïsme.
Philippe de Champaigne, la CènePhilippe de Champaigne, la Cène
Les disciples de Jésus se regroupent d'abord à Jérusalem, où ils annoncent la « Bonne Nouvelle » (en grec, euaggelion, « évangile ») que Dieu s'est manifesté dans la personne de Jésus : le Messie (ou Christ) attendu. Parmi ceux qui s'intègrent à leur groupe se trouvent des juifs qui ont vécu hors de la Palestine et qui sont ouverts à la culture grecque et à son universalisme. Les disciples de Jésus venant de ce judaïsme hellénistique sont plus ouverts vis-à-vis de la foi, et plus critiques à l'égard des institutions juives, que ceux venant du judaïsme palestinien.
C’est ainsi que ces juifs hellénisants provoquent des affrontements avec les chefs religieux juifs et sont persécutés par ces derniers. Contraints de fuir, ils transmettent le contenu de la prédication de Jésus aux marges de la Palestine, en particulier dans des villes où les populations sont très mêlées, notamment à Antioche (en Syrie), où se trouvent une diaspora juive et des adeptes de diverses religions orientales. Nombre de non-juifs sont convaincus par leur prédication et constituent, avec des juifs, un groupe de disciples du Christ Jésus.
Le Greco, la Pentecôte
Le mouvement de Jésus dépasse ainsi les frontières spirituelles du judaïsme. Il accepte, en effet, des membres qui n'appartiennent pas au peuple de Dieu, ne portent pas la marque de leur appartenance au peuple juif (la circoncision) et n'obéissent pas aux réglementations juives (par exemple, sur le pur et l'impur). À Antioche, on donne aux adeptes de Jésus, le Christ, le nom de chrétiens. La rupture est consommée : une nouvelle religion, le christianisme, est née.
Les premières communautés chrétiennes
Introduction
Lippo Memmi, saint Pierre
Si la foi en la résurrection de Jésus, l'homme de Nazareth crucifié par les Romains mais toujours vivant et présent parmi les hommes, est au fondement du christianisme, la signification de cette présence ainsi que le sens de la vie et de la mission de Jésus donnent lieu, dès l'origine, à des interprétations diverses.
Pour les adeptes de l'un des courants du christianisme primitif, qui se retrouvent pour la prière, le baptême des fidèles et le repas commun, Jésus est avant tout le Messie annoncé, dont on attend le retour. Pour ceux d'un courant proche, la foi chrétienne est avant tout une obéissance nouvelle, une fidélité au message de Jésus et à sa réinterprétation de la Loi juive. Différent des deux précédents, un autre courant, dont le centre est Jérusalem, voit en Jésus le Juge de la fin des temps, qui envoie son Esprit à ses disciples. Quittant famille et biens, ces croyants deviennent des prédicateurs itinérants ; vivant dans l'attente de la fin du monde et pratiquant des actes de guérison, ils évangélisent la Palestine et la Syrie. Pour leur part, les chrétiens issus du judaïsme hellénistique orientent leur prédication vers les milieux non-juifs. D'Antioche, leur quartier général, ils partent en mission pour porter en Méditerranée orientale leur confession de foi, qui donne la priorité à la croix et à la résurrection de Jésus pour le salut des hommes. Un dernier courant, mal connu, est celui du mouvement johannique, qui débute probablement en Asie Mineure.
Chacun de ces courants a ses personnages emblématiques. Dans le cercle relativement large de disciples (hommes et femmes) qui entoure Jésus, notamment dans le groupe des Douze choisis comme apôtres (« envoyés »), c'est Pierre qui se détache. Après la mort de Jésus, ses proches acquièrent également de l'influence : ainsi, Jacques deviendra-t-il le chef de la communauté de Jérusalem après le départ de Pierre pour Rome. Les hellénistes sont quant à eux représentés par Paul. Avec Pierre, Paul est l'une des deux figures majeures des origines du christianisme.
De la campagne palestinienne aux villes de l'Empire
La prédication de Jésus lui-même a atteint un monde palestinien encore très paysan. Puis, le mouvement de Jésus s'étend à la Syrie-Palestine et à ses villes. Le christianisme naissant dépasse rapidement les frontières de religion et d'origine nationale, profitant de ce qui fait la force de l'Empire romain : routes terrestres et maritimes de la Méditerranée, langue de culture et d'administration. Il se propage en particulier dans les vastes marchés de biens culturels et religieux que sont les villes. La prédication chrétienne y bénéficie de l'attrait qu'exercent le monothéisme juif et de la haute qualité de sa morale.
Dans les grandes villes de l'Empire, où vivent des communautés juives de la diaspora, les missionnaires présentent d'abord leur message dans le cadre des synagogues juives. Les sympathisants du judaïsme (appelés les « craignant Dieu ») sont attirés par cette prédication qui rompt avec un particularisme de type national. Mais l'insuccès du christianisme auprès des juifs eux-mêmes fait que la nouvelle religion se répand de plus en plus dans un contexte où elle est confrontée aux modes de pensée religieux et philosophiques du monde hellénisé.
Particulièrement abondantes au ier s., les religions de salut provenant de l'Orient offrent une expérience mystique et un espoir dans l'au-delà à ceux qui s'y initient, tout en restant tolérantes entre elles. Le christianisme, qui se trouve dans une situation de concurrence religieuse intense, se démarque par le fait qu'il propose un salut faisant l'objet d'une annonce publique (donc pas nécessairement réservé à des initiés) et qu'il refuse toute coexistence avec d'autres religions, toute forme de syncrétisme.
L'Empire romain laisse libre cours à cette profusion de religions, mais il impose une idéologie unitaire : le culte de l'empereur. Dans ce contexte syncrétiste où un nouveau culte peut s'ajouter à un autre, le judaïsme – affirmant qu'il y a un seul Dieu, l'unique objet de l'adoration humaine – observe un monothéisme strict et bénéficie d'une reconnaissance de cette conception particulière. Les chrétiens, également monothéistes, bénéficient d'abord du même statut que les juifs, dispensés par la loi romaine du culte de l'empereur. Mais lorsque leur appartenance à une autre religion apparaît clairement, ils se trouvent fragilisés. De la seconde moitié du ier s. au iie s., ils subissent de la part du pouvoir impérial des persécutions ponctuelles, puis de plus en plus fréquentes et systématiques au iiie s. et au début du ive s.
Des communautés disparates
L'expansion du christianisme s'organise autour de deux pôles : les prédicateurs itinérants et les groupes de sympathisants sédentaires que les premiers laissent après leur passage. Progressivement se constituent des communautés locales qui prennent le nom d'Église (ecclesia, « assemblée convoquée », une institution typique de la cité grecque). Le terme va prendre une double signification : celle du groupe de croyants qui se rassemblent en un lieu donné, et celle de l'ensemble des croyants qui, dans leur totalité, constituent l'Église du Christ. Ne possédant pas de bâtiment propre, les Églises réunissent dans des maisons particulières des hommes et des femmes d'origine sociale très variée (esclaves, hommes libres, classes montantes, petit peuple), à l'image des groupes qui entouraient Jésus en Palestine.
Ces communautés sont le plus souvent composées de chrétiens d'origine païenne (pagano-chrétiens, également appelés «gentils ») et de chrétiens d'origine juive (judéo-chrétiens) ou provenant de cercles proches. Cette disparité ne tarde pas à créer des tensions : en effet, les chrétiens d'origine juive, attachés à leur identité et à leur appartenance au peuple choisi par Dieu, sont réticents à prendre les repas, en particulier l'eucharistie (le partage du pain et du vin, par lequel se constituent la communion des croyants et leur lien avec Dieu) en commun avec les chrétiens d'origine païenne, qui ignorent leurs préceptes alimentaires. Très tôt se pose la question de savoir s'il faut passer par le judaïsme pour pouvoir bénéficier de l'Évangile du Christ Jésus, s'il faut s'intégrer d'abord au peuple de Dieu par la marque d'appartenance de la circoncision et la pratique des réglementations juives pour bénéficier de la grâce (pardon gratuit) de Dieu. Après moult débats et conflits, la conviction de l'apôtre Paul, principal artisan de l'ouverture sans condition de l'Évangile aux païens, l'emporte.
Les Écritures et la foi chrétienne
Introduction
Dans le monothéisme chrétien, le salut accordé par Dieu indique que la vie ne s'achève pas avec la mort. Cette foi a traversé les siècles grâce aux Écritures et aux institutions humaines que sont les Églises chrétiennes.
Les Écritures saintes
Les textes religieux de référence des premiers adeptes de Jésus sont ceux du judaïsme : les livres de la Bible hébraïque, dans lequel ils puisent des éléments qui, à leurs yeux, annoncent la venue de Jésus-Christ et révèlent le sens de sa mission. Mais ces textes ne leur permettent pas de se situer par rapport à la société et aux religions d'origine, ou de régler les divergences à l'intérieur des communautés et entre les prédicateurs itinérants. Pour aider les différentes Églises locales, l'apôtre Paul rédige, entre 52 et 67, un certain nombre de lettres qui, rassemblées, forment un recueil, dont chaque communauté peut avoir un exemplaire. Ces lettres (appelées Épîtres) ainsi que les Évangiles, composés entre 70 et 100, sont utilisés pour la catéchèse (enseignement) et les lectures au cours des assemblées. Il n’en demeure pas moins que la production d'écrits chrétiens se poursuit tout au long du iie s.
Vers le milieu du iie s. apparaît la nécessité d'établir une sélection parmi les écrits, pour conserver une fidélité à l'origine en même temps qu'un lien entre les Églises, qui occupent un espace toujours plus vaste (ce qui favorise le développement de traditions indépendantes). Dans la seconde moitié du ive s., une liste unique est fixée. Le canon des Écritures chrétiennes comprendra désormais vingt-sept livres : les quatre Évangiles attribués à Matthieu, Marc, Luc et Jean ; un livre historique, les Actes des Apôtres ; treize épîtres de Paul (aux Romains, aux Corinthiens I et II, aux Galates, aux Éphésiens, aux Philippiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens I et II, à Timothée I et II, à Tite, à Philémon), auxquelles la tradition a ajouté l'épître aux Hébreux ; les épîtres dites catholiques de Jacques, de Pierre (I et II), de Jean (I, II et III) et de Jude ; enfin un livre prophétique, l'Apocalypse de Jean.
L'appellation de Nouveau Testament a été donnée à cet ensemble des Écritures chrétiennes pour le distinguer des textes de la Bible hébraïque (appelée par les chrétiens l'Ancien Testament). La Bible chrétienne devient ainsi la somme des deux Testaments, juif et chrétien.
La relation entre Dieu et Jésus-Christ
Les premières communautés chrétiennes donnent de nombreux titres à Jésus, dont les plus importants sont « Seigneur », « Fils de Dieu » et « Christ ». Pour les chrétiens d'origine païenne, le titre de Christ n'est pas chargé du même sens que dans le monde juif ; il prend très vite une valeur propre et, joint à Jésus, forme un nom double. Ainsi, dans l'appellation Jésus-Christ, « Jésus » renvoie-t-il à la vie et à la mort de l'homme de Nazareth, et « Christ » à la mission et à la dignité particulières reconnues à Jésus dans la foi en sa résurrection.
La relation entre Dieu et Jésus-Christ constitue l'originalité de la foi chrétienne. Jésus-Christ est celui qui révèle de façon singulière la volonté et l'œuvre de salut de Dieu. Dans les textes de l'Ancien Testament, Dieu est le créateur du monde, celui qui nomme et fait exister les êtres et les choses, qui permet la vie en manifestant des exigences à l'égard des hommes. Ce Dieu est aussi un Dieu de dialogue, un Dieu personnel, dont l'histoire se confond avec celle de l'humanité. Pour la théologie chrétienne inscrite dans le Nouveau Testament, l'être humain n'a accès à Dieu que l’intermédiaire de Jésus-Christ, qui en est la face livrée au monde. La relation unique et profonde de Dieu et du Christ se traduit dans les termes de Père et de Fils.
La nature trinitaire de Dieu
École de Novgorod, l'AnnonciationÉcole de Novgorod, l'Annonciation
Après la mort de Jésus, la foi en sa résurrection affirme la victoire de Dieu sur la mort comme un don de vie, malgré la mort et au-delà d'elle, en même temps qu'elle garantit une autre forme de présence de Jésus-Christ. Celle-ci se manifeste en particulier par le Saint-Esprit, qui est à la fois un consolateur et un soutien. Il remet en mémoire et permet de comprendre les paroles du Christ ; il inspire ainsi la vie des croyants. Les diverses modalités de la présence de Dieu et de sa relation avec l'homme ont été l'objet d'une intense réflexion dans les Églises primitives.
Les débats ont d'abord porté sur la christologie : il s'agissait d'expliquer comment Jésus-Christ peut être à la fois homme et Dieu, et comment le Dieu unique peut être à la fois Père, Fils et Saint-Esprit. Les credo anciens, comme le symbole des Apôtres (iiie s.), ont essayé de fixer les grandes lignes de la foi en développant la relation entre Dieu et Jésus-Christ. Mais des dissensions sont rapidement apparues et, lorsque le christianisme est devenu la religion de l'Empire au début du ive s., les empereurs ont convoqué des conciles dits « œcuméniques », chargés de formuler les dogmes de l'Église dans son universalité. La doctrine trinitaire – qui affirme que Dieu est un en trois personnes – est l’un de ces dogmes reconnus par toutes les Églises. Si elle ne se trouve pas exprimée comme telle dans le Nouveau Testament, elle s'appuie sur son témoignage. La Trinité indique que Dieu est en lui-même une structure de dialogue, et qu'il renferme un mystère et une liberté.
Suivant leurs sensibilités religieuses et leur histoire propre, les Églises chrétiennes accordent une fonction et une place différentes aux manifestations de Dieu. Cela est vrai en particulier pour le Saint-Esprit. Mais elles s'appuient toutes sur les définitions des premiers grands conciles œcuméniques des ive et ve s.
Les premières Églises chrétiennes
La mise en place du culte
La vie des Églises chrétiennes locales prend corps dans le culte, l'enseignement, l'évangélisation et les œuvres de solidarité. Très tôt, les cultes chrétiens sont célébrés le dimanche, jour de la résurrection du Christ. Ils comportent une liturgie (une confession de foi et des chants) et la lecture de textes bibliques, suivie éventuellement de commentaires. Le baptême, qui marque l'entrée dans l'Église, et l'eucharistie (appelée aussi Sainte Cène), qui célèbre l'union des chrétiens avec Jésus-Christ, sont les deux sacrements pratiqués dans les Églises primitives, et toujours communs à toutes les Églises chrétiennes – un sacrement manifeste le don de Dieu, contrairement aux sacrifices qui sont des dons offerts par les hommes à une divinité.
Afin de perdurer, les Églises reconnaissent en leur sein des services particuliers, appelés ministères. Au début du christianisme, ces ministères sont peu institués et varient d'une communauté à l'autre. Le Nouveau Testament fait état de ministères de la parole (docteurs et prophètes), de ministères d'ordre et de gouvernement (anciens et épiscopes) et de ministères d'assistance (diacres).
L'organisation épiscopale et le monachisme
Malgré les persécutions, le christianisme connaît un essor rapide au ier et au iie s., et s'étend vers la partie occidentale de l'Empire, où l'on parle latin. La multiplication des Églises et l'éloignement de la période des premiers témoins (les apôtres) conduisent à une organisation dépassant l'échelon local. Il s'agit de conserver la foi des origines dans une unité visible. Les Églises locales ont désormais à leur tête un seul évêque, qui a autorité sur les prêtres. Certains sièges épiscopaux sont placés au-dessus des autres (les patriarcats) mais, dès le ier s., le siège romain a primauté sur tous. L'évêque est considéré comme un père (« papa ») – terme à l’origine du titre réservé à l'évêque de Rome (pape). L'organisation des Églises se modèle sur l'organisation politique, administrative et économique de la société, en particulier en Occident, qui hérite du juridisme latin.
L'Empire romain, avec ses deux pôles – l'occidental et l'oriental –, connaît des failles dès le iiie s. L'empereur Constantin autorise l'exercice du culte chrétien en 313. Le christianisme est ensuite constitué en religion officielle à la fin du ive s. Après la disparition de l'empire d'Occident, en 476, l'Église latine s'affranchit de la tutelle de Constantinople et supplée, dans bien des cas, le pouvoir politique occidental qui se désagrège. Au xe s., la christianisation de l'Europe est achevée. En Occident, le pape devient le personnage principal, ajoutant un pouvoir temporel à son pouvoir spirituel. En Orient, en revanche, le patriarche de l'Église grecque dépend le plus souvent de l'empereur byzantin.
Apparu dès la constitution des Églises, le monachisme prend au début la forme du départ au désert (ermites), puis celle de la vie communautaire (cénobites). Alors que pendant la longue période de relations ambiguës avec le pouvoir, les Églises se sont substituées à l'État défaillant (éducation, santé), les ordres monastiques ont joué un rôle important dans l'élaboration des civilisations orientales et occidentales.
Les scissions du christianisme
Après la chute de l'empire d'Occident au ve s., l'Orient et l'Occident ont des échanges de plus en plus rares, et les divergences culturelles et spirituelles s'accentuent. Les littératures chrétiennes (en grec d'un côté, en latin de l'autre) se développent séparément et parallèlement.
L'Orient, qui vit sous une unité politique (l'Empire byzantin, héritier de l’Empire romain d’Orient, perdure jusqu'au milieu du xve s.), est moins centralisateur au point de vue ecclésiastique que l'Occident. Les quatre sièges épiscopaux d'Orient, ou patriarcats, sont représentés par le patriarche de Constantinople, même s’ils reconnaissent une primauté d'honneur à l'évêque de Rome. Mais une rivalité d'influence s'installe entre Rome et Constantinople. De plus, les Orientaux reprochent aux Latins d'introduire des pratiques nouvelles (usage de l'hostie, jeûnes, célibat des prêtres). La crise la plus grave concerne le dogme de la Trinité. Au vie s., à la formule « le Saint-Esprit procède du Père », un concile ajoute « et du Fils ». Aux yeux des Orientaux, c'est donner à l'Esprit un rôle secondaire et rompre l'équilibre de la Trinité. À la fin du ixe s. apparaît un désaccord d'ordre institutionnel, lorsque la papauté devient l'autorité centralisatrice des Églises chrétiennes. La rupture, qui était en germe depuis longtemps, se concrétise en 1054, lorsque le pape Léon IX excommunie le patriarche de Constantinople et que celui-ci lui réplique de façon semblable (grand schisme d'Orient). L'Église d'Orient prend alors le nom d'Église orthodoxe.
Martin LutherJean Calvin
Au xvie s., avec la Renaissance, l'humanisme, des inventions comme l'imprimerie et la découverte de l'Amérique, un désir de changement se manifeste à l'égard de l'Église d'Occident, ou Église romaine, marquée par les ambitions temporelles de la papauté, le luxe du haut clergé et l'ignorance dans laquelle est maintenu le peuple. Après son excommunication en 1520, le moine allemand Martin Luther organise la Réforme sous la protection du prince de Saxe. Des mouvements parallèles naissent en Suisse et en France, avec Ulrich Zwingli, puis Jean Calvin. Malgré leurs vues communes sur la place de la Bible, le salut gratuit et le rôle des laïcs, les réformateurs ne fondent pas une Église unie face à l'Église romaine ; on parle ainsi d’Églises protestantes.
Les principales confessions chrétiennes
Introduction
Le christianisme au IVe et au XIVe siècleLe christianisme au IVe et au XIVe siècle
À partir du xvie s., le christianisme connaît donc trois grandes branches : le catholicisme, l'orthodoxie et le protestantisme. Chacune des confessions s'est développée en relation avec la culture qu'elle a fécondée : le catholicisme et le protestantisme ont marqué la culture occidentale ; l'orthodoxie, le monde oriental et l'Europe de l'Est.
Le catholicisme
Messe à Notre-Dame de la TrappeMesse à Notre-Dame de la Trappe
L'Église qui a pour centre Rome a retenu le terme de catholique (en grec, « universel ») dès le concile de Nicée (325). Elle est dotée d'une organisation centralisée et hiérarchisée. Le pouvoir y est exercé par le pape et les conciles œcuméniques. Le pape, installé à Rome, constitue l'unité visible de l'Église. La médiation entre Dieu et les fidèles est assurée par les autorités religieuses, qui transmettent et gèrent le salut offert aux hommes dans plusieurs domaines, notamment celui de l'enseignement et celui de la distribution de la grâce. Un autre élément de médiation est la messe, conçue comme un sacrifice au cours duquel se renouvelle le don de Jésus-Christ sur la croix dans le sacrement de l'eucharistie. Nécessaires à la réception de la grâce, les sacrements, au nombre de sept, sont dispensés par les prêtres ; il s’agit du baptême, de la confirmation, de l’eucharistie, de la pénitence, du sacrement des malades, du mariage et de l’ordination. Une autre médiation apparaît dans le culte de la Vierge Marie et dans celui des saints.
L'orthodoxie
Le contenu de la foi dans l’orthodoxie remonte à la formulation des premiers siècles. L'orthodoxie (« l'opinion ou la foi droite », en grec) s'en tient en effet aux dogmes définis par les huit premiers conciles œcuméniques. Fidèle aux origines, elle se caractérise par une relation de collégialité entre les Églises, qui sont autocéphales et élisent leurs propres chefs. Le patriarche de Constantinople (aujourd'hui Istanbul) conserve une primauté d'honneur : il convoque des conférences panorthodoxes, placées sous le signe d'interdépendance des Églises. Les prêtres orthodoxes (mais non les moines) peuvent se marier. Le culte orthodoxe reconnaît, comme le culte catholique, sept sacrements : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, sacrement des malades, mariage et ordination.
Le protestantisme
Sainte Cène dans une église luthérienneSainte Cène dans une église luthérienne
Le terme de protestant se réfère à un événement historique : en 1529, les princes allemands favorables à la Réforme protestèrent contre l'attitude de l’empereur germanique Charles Quint, qui exigeait la soumission de tous à Rome. Le protestantisme connaît un grand morcellement ecclésiastique, conséquence de son choix en faveur de la liberté de conscience. Les Églises protestantes ont en commun leur conception de l'Église, le refus de médiation dans la gestion de la grâce, et l'affirmation de la responsabilité personnelle dans les choix éthiques. L'organisation ecclésiastique est l'affaire des communautés, qui se donnent des règles communes sur des bases démocratiques. Le culte protestant se caractérise par l'importance donnée à la parole (prédication) et par l'administration de deux sacrements : le baptême et la Cène. Les pasteurs sont mariés et, dans la quasi-totalité des Églises, les femmes ont accès aux ministères. Le face-à-face de l'homme avec Dieu supprime toutes les autres médiations, en particulier celle d'une hiérarchie et d'un clergé.
Les perceptions contemporaines du christianisme
Introduction
Le christianisme dans le monde aujourd'huiLe christianisme dans le monde aujourd'hui
Lorsque le christianisme est devenu la religion officielle de l'Empire romain, des régimes de chrétienté se sont établis autour du Bassin méditerranéen et dans le monde slave. Ainsi, pendant le Moyen Âge européen, l'Église est-elle le ciment de la société, également organisée hiérarchiquement, avec à sa tête le roi, représentant de Dieu sur Terre. La religion est alors la source de la morale, la garante de l'ordre. Quant à la théologie – la première science –, elle délimite le champ du savoir et tente de le contrôler.
Des brèches s'opèrent en Occident dès le xiiie s. Elles s'élargissent à la Renaissance jusqu'à fracturer le système au moment de la Réforme. Au xviiie s., le mouvement des Lumières renouvelle et accélère le processus. La raison humaine, affranchie de la tutelle religieuse, va désormais explorer tous les domaines de la réalité. Un état d'esprit nouveau s'installe en Occident, entraînant une libéralisation des mœurs et une réforme des institutions. Le catholicisme y résiste de manière frontale, alors que le protestantisme intègre davantage les transformations de la pensée et de la vie socio-économique. Le mouvement des Lumières, dont certains aspects étaient contenus en germe dans le christianisme, est dirigé en grande partie contre les Églises. Au xixe s., la confrontation s'accentue avec l'apparition d'un athéisme critique qui élabore de nouveaux systèmes d'analyse du monde et de l'homme. La religion ne fait plus la loi à la science et devient elle-même objet de science. Au xxe s., les sociétés européennes sont sécularisées et connaissent toutes un processus de laïcisation. La sécularisation atteint la culture, alors que la laïcisation concerne les institutions, mais les deux phénomènes s'influencent mutuellement. Par ailleurs, la sécularisation produit aussi un changement à l'intérieur des Églises (concile Vatican II).
Le mouvement œcuménique
L'adjectif œcuménique (formé à partir d'un terme grec signifiant la « terre habitée ») est appliqué, dès les débuts du christianisme, aux conciles qui réunissent des représentants de toutes les Églises locales. Au xixe s., l'œcuménisme caractérise les structures protestantes. Aujourd'hui le mouvement œcuménique désigne la recherche d'unité entre les différentes confessions chrétiennes.
Au début du xxe s., des Églises protestantes et orthodoxes ont fondé ensemble deux mouvements afin de promouvoir l'unité dans le témoignage et la présence au monde. Ces mouvements ont fusionné pour donner naissance, en 1948, au Conseil œcuménique des Églises (COE), dont le siège est à Genève. Il regroupe la plupart des Églises protestantes et orthodoxes (soit plus de 300 Églises réparties dans plus de 100 pays) qui veulent témoigner d'une présence chrétienne dans les domaines de la réflexion et de l'action. En 1992, l'Église catholique romaine, qui n'en est pas membre, envoie des observateurs aux conférences internationales qui se tiennent environ tous les sept ans.
Les démarches œcuméniques entre protestantisme et catholicisme, d'une part, entre catholicisme et orthodoxie, d'autre part, sont plus récentes. Elles découlent de la reconnaissance du caractère chrétien du protestantisme par le concile Vatican II, et de la levée par le pape Paul VI et le patriarche Athênagoras des anathèmes réciproques échangés au xie s.
À ses débuts, le mouvement œcuménique, marqué par un grand enthousiasme, a été porteur de l'utopie d'une unification des Églises. Cet objectif avait valeur de protestation contre la sécularisation et la division des chrétiens. Mais si, sur certains points, les différences doctrinales se sont atténuées, elles demeurent vives sur d'autres, et une prise de conscience a eu lieu sur l'importance des clivages en matière éthique, notamment entre catholicisme et protestantisme. Par ailleurs, le pluralisme est devenu une valeur positive, et une unité de type institutionnel ne paraît plus prioritaire.
Les christianismes non occidentaux
L'acculturation (processus dynamique par lequel une culture évolue sous l'influence d'une autre) est un phénomène connu du christianisme dès ses origines. Enraciné dans le judaïsme, celui-ci s'est développé dans le monde gréco-romain : il a produit des écrits en grec, qui ont très vite été traduits dans les langues du Bassin méditerranéen. L'Europe chrétienne a semblé clore le processus, si bien que le christianisme s'est longtemps confondu avec la culture européenne, qu'il a en partie construite.
Les missions chrétiennes ont exporté leur message dans les formes de la culture occidentale. L'émancipation politique des pays asiatiques et africains, le poids des peuples de l'Amérique latine et la nouvelle distribution des chrétiens dans le monde en ont modifié les données. Depuis les années 1950, les pays non occidentaux revendiquent la reconnaissance de leur propre sensibilité dans la pratique du christianisme.
Le christianisme africain met en avant le lien, propre aux religions animistes, des êtres humains avec l'Univers, de même que la conscience d'une communauté entre vivants et morts. Dans les textes bibliques, il s'intéresse particulièrement à l'Ancien Testament. La figure de Jésus-Christ est, quant à elle, réinterprétée par des titres nouveaux (l'Ancêtre, l'Initiateur, le Guérisseur).
En Asie, où la double appartenance religieuse suscite des débats, notamment en Inde, le Christ a pu apparaître en raison de son universalisme sous le nom des divinités hindoues, et un rôle important lui est attribué dans la Création. Ce sont surtout les enseignements éthiques qui sont retenus des textes bibliques. Dans d'autres pays, l'héritage bouddhiste sert à réinterpréter le christianisme (théologie de la douleur de Dieu, au Japon). Ailleurs encore, la protestation sociopolitique anime la foi et la théologie (théologie du Minjung, en Corée du Sud).
En Amérique latine, où la prise de distance avec le christianisme d'Europe et de l'Amérique du Nord est à la fois intellectuelle et populaire, des théologiens ont insisté sur l'aspect libérateur du christianisme en utilisant une analyse d'inspiration marxiste (théologie de la libération). Par ailleurs, des communautés de base se sont créées, qui donnent la parole aux plus pauvres et les encouragent dans la lutte sociale.
Intégrismes et fondamentalismes
Dans le dernier tiers du xxe s., la crise du scientisme et des idéologies entraîne une crise du sens. Après la mise en cause du culte de la rationalité – considérée comme moteur du développement humain – et l'abandon de la foi dans le progrès perpétuel – censé conduire à la fois à l'amélioration des conditions de vie et à la maîtrise de l'Univers –, la croyance dans une philosophie de l'histoire se trouve ébranlée. Paradoxalement, la sécularisation et la laïcisation suscitent de nouveaux intérêts pour le religieux, et plus particulièrement pour les radicalismes religieux, qui prennent la forme d'intégrismes et de fondamentalismes.
L'intégrisme est un fait catholique. Apparu en Espagne au tournant du xxe s., lorsqu'un parti catholique nationaliste a demandé le respect des condamnations du Syllabus (texte pontifical de 1864 qui refusait le progrès et le libéralisme), il s’est répandu en Europe et a pris la forme d'une opposition aux ouvertures de Vatican II dans les années 1970 à 1990.
Le fondamentalisme naît au début du xxe s. dans le protestantisme des États-Unis, en opposition au libéralisme, à l'engagement social et au primat de la science. L'interprétation des textes bibliques est au centre de ce mouvement. Les fondamentalistes pratiquent, à des degrés divers, une lecture littérale de la Bible.
L'intégrisme comme le fondamentalisme entendent défendre des valeurs religieuses, l'un faisant appel à la tradition de l'Église, l'autre au texte fondateur.
Les influences syncrétistes
La religion n'ayant plus le pouvoir d'imposer des normes de foi et de comportement autrement que par l'adhésion intérieure, le sentiment religieux prend souvent la place de la doctrine défendue par les Églises. Par ailleurs, le christianisme est souvent alimenté par des apports d'autres spiritualités. L'effervescence religieuse comporte aujourd'hui des caractères protestataires à l'égard du fonctionnement des sociétés et des institutions ecclésiastiques.
Les mouvements de renouveau apparus à l'intérieur du christianisme (mouvements charismatiques catholiques, courants évangéliques protestants) offrent une expérience religieuse singulière par sa chaleur émotionnelle et la conscience unitaire qui président au sein du groupe et au contact avec le monde extérieur.
Aux franges du christianisme surgissent de nouveaux courants religieux, marqués par l'usage de techniques psychocorporelles (méditation, yoga) et des élans caritatifs. La mystique et l'ésotérisme y jouent un grand rôle. Nés aux États-Unis dans les années 1970, ces mouvements ont largement gagné l'Europe. Ils forment une sorte de nébuleuse composée à la fois de groupes constitués et de réseaux. L'adhésion personnelle, les affinités, le charisme des leaders y ont une place importante, et la protestation y est d'ordre culturel. Ces mouvements empruntent souvent des éléments à d'autres religions monothéistes (comme le judaïsme) ou polythéistes (comme l'hindouisme et le bouddhisme). Ils sont donc traversés d'influences syncrétistes. Un certain nombre de chrétiens y puisent leur inspiration spirituelle, ainsi que leur adhésion à des valeurs résolument contemporaines, telles que la conscience planétaire ou la recherche du bonheur personnel.
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INDE - HISTOIRE |
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Inde : histoire
La civilisation de l'Indus
1. Préhistoire et protohistoire
Le sous-continent indien dans son ensemble, donc l'Inde actuelle, le Pakistan et le Bangladesh, est extrêmement riche en gisements préhistoriques. Malheureusement, faute encore de pouvoir rattacher à un cadre chronologique suffisamment précis les trouvailles faites sur de très nombreux sites disséminés sur la presque totalité de cet immense territoire, on se contente jusqu'à présent de classer les outils de pierre, seuls vestiges d'une activité protohumaine, puis humaine, en trois grands groupes correspondant à trois périodes successives du paléolithique, qui doivent coïncider, en termes d'évolution humaine, avec le passage de l'archanthropien au néanthropien, c'est-à-dire à l'homme actuel, dont on situe l'apparition entre −35000 et −15000 environ. Les industries microlithiques sont donc entièrement son œuvre puisqu'en Inde celles-ci ne paraissent pas antérieures à l'holocène, soit à −10000 environ.
Il est actuellement impossible de dire avec certitude si les premiers hominiens ont pénétré dans le sous-continent par le Nord-Ouest, comme on l'imagine parfois, ou si cette évolution s'est faite dans l'Inde même, ou encore si la péninsule a été colonisée dès ces temps reculés par des populations venues d'outre-mer.
1. 1. La civilisation de l'Indus
La civilisation de l'IndusLa civilisation de l'Indus
La « révolution néolithique », définie par l'apparition d'une économie de production, dont on situe les débuts, dans l'Ancien Monde, dans le Croissant fertile au Proche-Orient, entre les IXe et VIIe millénaires avant J.-C., apparaît, depuis la découverte de sites tels que celui de Mehragarh au Pakistan, pratiquement aussi ancienne dans le sous-continent indien. Il est vraisemblable que la présence dès cette époque de villages dans cette partie du Baloutchistan qui domine le bassin de l'Indus explique en partie que la première civilisation indienne, celle dite « de l'Indus » (ou « de Harappa », ou encore « harappéenne »), soit née dans cette région du sous-continent, alors que partout ailleurs dans le reste de l'Inde les populations en sont encore à un stade de civilisation bien moins avancé.
Avec la civilisation de l'Indus, qui dut commencer à se développer au IVe millénaire avant notre ère, commencent l'âge du bronze et, en fait, la protohistoire de l'Inde puisque cette civilisation, à son apogée, entre environ 2500 et 1750 avant J.-C., connaît l'écriture. Mais l'écriture harappéenne non plus que la langue qu'elle note ne sont encore déchiffrées. Ainsi, cette civilisation, par ailleurs assez bien connue sous ses aspects matériels, constitue une énigme.
1.2. La question aryenne
Le millénaire qui suit la disparition de la phase brillante de la civilisation de l'Indus et qui se prolonge jusqu'aux débuts de l'histoire proprement dite (traditionnellement le vie s. avant J.-C., à l'époque du Bouddha) est, lui aussi, énigmatique. Il est en effet presque tout entier concerné par la fameuse question « aryenne », qui, très succinctement, se pose de la façon suivante. D'une part, le corpus littéraire indien le plus ancien : le Rigveda, puis les recueils suivants, ensemble composé en sanskrit védique, langue indo-européenne, sont supposés avoir été élaborés à partir de la seconde moitié du Ier millénaire avant notre ère dans l'Inde du Nord-Ouest.
D'autre part, les archéologues n'ont, pour cette période et dans ces régions, jusqu'à présent, guère trouvé de traces nettes de migrations de populations. On ne retrouve dans le Pendjab, pakistanais aussi bien qu'indien, que des vestiges de cultures harappéennes tardives auxquels font suite, mais après une période d'abandon qui peut avoir duré plusieurs siècles, des vestiges d'une culture qui paraît nouvelle, caractérisée par d'autres types de céramique (en particulier par une poterie grise peinte), et qui, surtout, se développe dans le Doab (l'interfluve entre le Gange et la Yamuna) et dans la haute vallée du Gange.
À cette culture qui doit commencer vers le début du Ier millénaire avant J.-C. fait suite, cette fois sans interruption, une autre culture définie par une forme évoluée de la poterie grise et centrée sur la moyenne vallée du Gange. Cette dernière culture appartient déjà à l'histoire puisqu'elle se prolonge dans la seconde moitié de ce Ier millénaire avant notre ère. À moins de nouvelles découvertes, la pénétration aryenne en Inde n'est donc encore imaginable qu'en termes de langue et de civilisation, les tribus véhiculant langue et idéologie indo-européennes ayant été d'ailleurs, on le sait, nomades et, pour cette raison, n'ayant peut-être pas laissé de traces durables de leurs mouvements.
Il faut enfin ajouter que cette question de la pénétration indo-européenne en Inde devrait être réexaminée si l'une des grandes hypothèses sur la nature de la langue harappéenne se révélait exacte, c'est-à-dire s'il s'agissait déjà d'une langue indo-européenne.
2. La formation de l'Inde ancienne
2.1. Les sources
Les limites chronologiques que l'on assigne habituellement à l'histoire de l'Inde ancienne sont l'époque du Bouddha d'une part, et l'instauration du premier pouvoir musulman à Delhi, en 1206 après J.-C., d'autre part. Les raisons de ce choix sont, avant tout, qu'à chaque fois, avec l'apparition d'une nouvelle religion, un changement se produit dans les sources littéraires qui servent à écrire l'histoire de ce pays (et non un changement radical, politique ou social : pour importants qu'aient été en Inde le bouddhisme et l'islam, l'Inde a toujours été et est toujours majoritairement hindoue).
L'historicité des sources est ici seule en cause. Celle des sources bouddhiques est donc plus nette que celle de la littérature védique (Veda), dont l'élaboration, d'ailleurs, paraît s'achever au milieu du Ier millénaire avant notre ère. D'autre part, près de 2000 ans plus tard, l'histoire en tant que discipline intellectuelle est introduite en Inde par l'islam.
On touche ici à l'un des plus graves problèmes auxquels se heurtent les historiens de l'Inde ancienne. Les sources littéraires, qui restent les sources principales, qu'elles soient bouddhiques, jaïna ou brahmaniques – ces dernières étant de loin les plus considérables –, sont des œuvres religieuses (au sens large) ou purement littéraires. Cela explique que l'histoire proprement dite de l'Inde ancienne, en des temps où fleurit l'une des plus grandes civilisations du monde, soit si schématique en face d'une histoire des idéologies beaucoup plus consistante, sans qu'on ait guère pu, jusqu'à présent, intégrer l'une à l'autre. En d'autres termes, une chronologie, élaborée difficilement pour les temps les plus anciens, puis plus facilement lorsque apparaissent monnaies et surtout inscriptions, ne fournit que des listes de rois dont les activités principales sont l'attaque et la défense, cependant que l'histoire sociale se réduit pratiquement à l'image, figée et certainement passablement idéalisée, que les brahmanes donnent d'une société où ils réclament la première place.
Il est une évolution, toutefois, qui semble s'esquisser dès la fin de l'époque des Gupta (550 après J.-C. environ) et qui conduit, dans les siècles qui suivent, à ce que l'on appelle, assez improprement, le Moyen Âge indien : celui-ci commence à partir du moment où l'on a la preuve qu'aux donations royales de terres, qui, jusque-là, n'étaient que des donations pieuses faites à des brahmanes, à des communautés religieuses diverses ou à des temples, s'ajoutent des donations à des officiers du roi en rétribution de leurs services. Et, peu à peu, lorsque ces donations entraînent, en contrepartie, l'obligation d'entretenir des troupes pour les mettre au service du souverain, lorsque, surtout, d'abord limitées dans le temps, elles deviennent héréditaires, une sorte de noblesse féodale se constitue.
L'histoire de bien des royaumes indiens médiévaux est ainsi celle de dynasties qui ont su profiter de ces attributions de terres pour devenir indépendantes jusqu'à ce qu'à leur tour d'autres profitent de leur faiblesse. Telle est sans doute la raison de l'étonnante « plasticité » de nombre de dynasties qui, tantôt suzeraines, tantôt vassales, durèrent des siècles.
2.2. Les premiers royaumes
L'empire d'Ashoka et son démembrementL'empire d'Ashoka et son démembrement
À l'époque du Bouddha (vers 560-480 avant J.-C.), qui est celle aussi de Mahivara, le fondateur du jaïnisme, subsistent encore des sociétés tribales diverses, indigènes ou « aryanisées ». De telles sociétés persisteront d'ailleurs longtemps : il en existe même aujourd'hui et certaines avaient conservé, il y a moins d'un siècle, des modes de vie qui devaient être ceux du néolithique.
Ainsi, le Bouddha appartenait-il à une famille dirigeante de la tribu ou du clan des Shakya (d'où son nom de Shakyamuni, « Sage des Shakya »). Mais déjà des royaumes sont nés dans la vallée du Gange. La mise en valeur de cette vallée, qui a commencé après l'introduction de la métallurgie du fer dès la première moitié du Ier millénaire avant notre ère, a permis, vers le milieu de ce millénaire, la construction, le long du fleuve, des premières cités. Les sources bouddhiques mentionnent un certain nombre de ces royaumes, tous situés dans la moitié nord du sous-continent.
Parmi ces royaumes, celui du Magadha (sud du Bihar actuel), dont l’essor est probablement dû à ses très riches gisements de cuivre et de fer, tient un rôle central. Ses premiers rois connus sont Bimbisara, contemporain du Bouddha, et son fils Ajatashatru. Leur descendant Udayin transfère la capitale de Rajagrha à Pataliputra (Patna) sur le Gange. Vers 413 avant J.-C., la dynastie Nanda leur succède et Pataliputra deviendra, environ deux siècles plus tard, le centre du premier Empire indien sous la dynastie maurya.
Dans la moitié Sud, la préhistoire a duré plus longtemps, sans doute jusque vers 1500 avant J.-C., et la première mention de peuples méridionaux ne date que du règne d'Ashoka (vers 269-233 avant J.-C.).
2.3. Les Perses et Alexandre le Grand
Dans la seconde moitié du vie siècle avant J.-C., Cyrus puis Darius Ier annexent à l'Empire perse la Bactriane et une partie du bassin de l'Indus. Si les textes indiens n’ont pas laissé de trace directe de cette domination, celle-ci a notamment introduit l'écriture araméo-indienne (kharosthi) en usage dans le Nord-Ouest de l’Inde pendant plusieurs siècles et par l’intermédiaire de l'empire achéménide, les premiers échanges commerciaux et intellectuels avec le monde méditerranéen (et grec) eurent ainsi lieu avant l’expédition d’Alexandre le Grand.
Entre 327 et 325 avant J.-C., Alexandre est aux confins de l'Inde du Nord-Ouest. Il franchit l'Indus, mais ne dépasse pas l'Hyphase (la moderne Bias, l'un des cinq grands fleuves du Pendjab). Aucune mention n'a été retrouvée de cette expédition dans les sources indiennes, mais les sources classiques permettent d'entrevoir que sa venue a précédé de très peu, si elle ne l'a pas favorisée, la prise du pouvoir par Chandragupta, le premier des Maurya, vers 320 avant J.-C.
Le souverain le plus célèbre de toute l'histoire de l'Inde ancienne est le fils de Chandragupta, connu sous le nom de Ashoka (v. 269-v. 233). Il fur le premier à faire graver, sur des colonnes et sur des rochers, à la manière des Achéménides de la Perse, des édits, uniques en leur genre dans l'histoire de l'Inde et qui sont les premières inscriptions indiennes. Ces édits renseignent sur l'étendue de son empire et sur sa politique, dite du dhamma (sanskrit dharma), qui est une exhortation à se conformer à l'« ordre » au sens le plus large, l'ordre cosmique, dont les formes concrètes sont l'ordre religieux et l'ordre politique, celui-ci se devant d'être le garant de celui-là. Cette notion, centrale dans le brahmanisme comme dans le bouddhisme, fonde en partie la politique de tolérance de cet empereur, lui-même bouddhiste.
Mais la cohésion de l'empire ne survit que peu de temps à Ashoka. L'histoire de son déclin est obscure, comme celle des pouvoirs des Shunga 'ou Sunga) et des Kanva qui succèdent aux Maurya à la tête d'un royaume certainement de plus en plus petit (sans que l'on sache le situer avec précision) jusque vers le milieu du ier s. avant J.-C. Ashoka est le seul souverain de l'Inde ancienne qui soit aussi concrètement connu.
3. L'Inde « classique » et médiévale
Après une période assez obscure marquée par des invasions de Scythes puis de Kouchans, autres nomades issus du Turkestan – qui donnent naissance à l’empire de Kanishka, à cheval sur l’Inde et l’Iran, et de ses successeurs –, on voit apparaître, vers la fin du iiie siècle après J.-C., la brillante dynastie des Gupta, que l’on connaît toutefois aussi très mal faute de documents précis.
3.1. L'empire Gupta (v. 320-v. 550)
C’est également la moyenne vallée du Gange qui constitue le cœur du nouvel empire constitué au ive siècle par la dynastie Gupta, fondée par Chandragupta Ier (v. 320-330). Son fils Samudragupta est le vrai fondateur de l’empire, qui s’étendit sous le règne de Chandragupta II (v.375-v. 414) pour comprendre à son apogée l’ensemble de l'Inde au nord de la Narmada. C’est à cette époque dite « classique », que l’hindouisme, encouragé par les souverains de cette lignée, prend tout son essor parallèlement au bouddhisme et au jaïnisme également florissants.
Au milieu du ve siècle, Skandagupta parvient à repousser les Huns hephtalites qui s’imposent cependant jusqu’au milieu du vie siècle et ont raison de l'Empire gupta, qui s'émiette alors en principautés locales. Parmi ces dernières, celle fondée par Harsha (Harsavardhana) — connue grâce à l'un des très rares romans écrits en sanskrit, la Geste de Harsha du poète Bana et par les Mémoires du pèlerin chinois Xuanzang – restaure l’unité de l’Inde du Nord de 606 à 647 à partir de Kanyakubja (Kanauj, dans le Doab). Mais à la mort du souverain, l’Inde du Nord se morcelle de nouveau pendant six siècles.
3.2. L'essor de l'Inde dravidienne
Dans le nord du Deccan, sur les ruines de l’empire maurya, les Andhra avaient déjà constitué un nouveau centre de pouvoir régional à partir de ce qui deviendra l’actuel Andhra Pradesh, qui devait se maintenir jusqu’au iiie siècle, favorisant la pénétration du brahmanisme vers le sud.
À la fin des Gupta, se détachent quatre grands royaumes : dans le Deccan occidental celui des Chalukya au vie siècle, auxquels succèdent les Rashtrakuta aux viiie-xe siècles, et, plus au sud, ceux des Pallava et des Chola qui marquent l’âge d’or de la civilisation tamoule.
Mal connue à ses débuts, c’est à partir du vie siècle que la dynastie des Pallava (d’anciens vassaux des Andhra) étend son influence de la côte sud-orientale autour de Kanchipuram vers le sud de la péninsule. Sous leur règne, un commerce prospère avec l’Asie du Sud-Est commence à se développer. En guerre, dans le nord contre les Chalukya puis contre leurs successeurs, les Rashtrakuta, mais devant aussi affronter au sud les Pandya, les Pallava cèdent finalement devant les Chola, d’anciens vassaux héritiers d’une principauté fondée au iiie siècle.
Ces derniers, à partir de leur capitale Tanjore, s’imposent dans l’ensemble de la péninsule méridionale de la fin du ixe siècle jusqu’au milieu du xiiie siècle, prenant le contrôle de toute la côte orientale après des incursions jusqu’au Bengale et l’Orissa dans le Nord-est, de l’île de Ceylan — qui passe sous la domination des Tamouls au xie siècle pendant quelques décennies – et menant des expéditions maritimes jusqu’en Malaisie et dans le nord de Sumatra. Le règne de Rajendra Ier (1012-1044) en constitue l’apogée. À partir de la fin du xiie siècle, leur puissance s’atténue et les Pandya s’imposent comme la première principauté d’une Inde du Sud de nouveau morcelée.
4. Les premiers pouvoirs musulmans (1206-1526)
Le sultanat de DelhiLe sultanat de Delhi
La première région indienne conquise par une armée musulmane est celle du Sind, en 712. Elle est l'œuvre d'Arabes commandés par Muhammad ibn al-Qasim, neveu et gendre de Hadjdjadj, gouverneur de l'Iraq. Auparavant, des commerçants arabes et iraniens s’étaient déjà établis sur les côtes orientales.
4.1. Le sultanat de Delhi
Mais l'islam ne sera en fait introduit qu'un demi-millénaire plus tard, par des Turcs établis en Afghanistan, lorsque, en 1206, Qutb al-Din Aybak, lieutenant esclave du sultan Muhammad de Ghur, fonda le sultanat de Delhi. Les conquêtes de Muhammad de Ghur (prise de Lahore en 1186, de Delhi en 1193, du Bengale en 1202) seront précédées, entre 1000 et 1027, des raids, mais sans lendemain, du sultan turc Mahmud de Ghazni contre les plus grandes cités de l'Inde du Nord.
Le sultanat de Delhi devient vite la première puissance de l'Inde du Nord et, après s'être étendu au détriment des royaumes hindous, il va donner naissance à des régimes semblables à lui. Il reste cependant largement étranger à la société indienne sur laquelle il est surimposé et dont subsistent les autorités locales. Sans légitimité et règle précise de succession, si ce n’est la force du clan, il se retrouve à la merci des rébellions internes et des changements de dynasties. Sur ses ruines, en 1526, commencera de s'édifier l'Empire moghol (→ Grands Moghols).
Cinq dynasties, toutes turques, au moins d'origine, sauf la dernière, occupent le trône de Delhi de 1206 à 1526 : celle dite des Esclaves (1206-1290), celle des Khaldji (1290-1320), celle des Tughluq (1320-1414), celle des Sayyid (1414-1450), celle enfin des Lodi, qui appartenaient à un clan afghan établi en Inde, de 1451 à 1526. Iltutmich (1211-1236) et Balban (1265-1286) donnent au sultanat des assises solides et Ala al-Din (1296-1315), pour un temps, des dimensions impériales, grâce aux conquêtes de son général, Malik Kafür, aux dépens des derniers grands royaumes hindous du Deccan et du Sud : Yadava de Devagiri (conquis en 1307), Hoysala de Dvarasamudra au Mysore (1310), Kakatiya de Warangal au Telingana (1309), Pandya de Madurai, tout au sud (1311). Comme ses prédécesseurs, Ala al-Din contient les Mongols toujours menaçants au nord-ouest.
4.2. Le sultanat des Bahmanides et l'empire de Vijayanagar
Sous le règne de Muhammad Tughluq (1325-1351), des gouverneurs s’émancipent du pouvoir de Delhi, dans le Sud (sultanat de Madurai, 1334-1378) comme dans le Nord (Bengale en 1339 où le sultanat des Ilyas Chah se maintiendra jusqu’en 1487). Mais ce sont surtout deux grands royaumes qui se distinguent alors. L’un, musulman, est le sultanat bahmanide fondé en 1347 dans le Deccan occidental par Hasan Gangu, avec pour capitale Goulbarga (nord du Karnataka) ; l’autre hindou, est le royaume de Vijayanagar formé en 1336 par Hariha ra Ier au centre du Karnataka (Hampi) qui parvient à s’étendre sur l’ensemble du territoire méridional autrefois contrôlé par les Chola. Si ce nouvel empire, qui trouve son apogée sous le règne de Krishnadeva Raya (1509-1529), se présente comme le foyer d’une renaissance hindoue, il n’est inspiré par aucune volonté de « reconquête » et, tout en se maintenant pendant plus de deux siècles grâce notamment à un système efficace d’administration, il est finalement défait en 1565 par une coalition de sultans successeurs des Bahmanides.
4.3. La fin du sultanat de Delhi
Firuz Tughluq (1351-1388) saura conserver les territoires qui lui restent, mais il sera le dernier grand sultan de Delhi. En 1398, Timur Lang (Tamerlan) vient piller la ville et massacrer ses habitants. Cette invasion accélère la désintégration du sultanat : le Malwa, en 1401, le Gujerat, en 1403, deviennent des sultanats indépendants, les Rajputs du Rajasthan reconstituent leurs principautés au milieu du XVe siècle et le dernier des Lodi, Ibrahim (1517-1526), doit faire face à d'autres rébellions avant de trouver la mort face au premier souverain moghol, Baber, à Panipat.
5. L'arrivée des Européens (1498-1669)
Les Portugais, qui, avec les Espagnols, s'étaient partagé les mers en 1494 (→ traité de Tordesillas), sont les premiers Européens à atteindre l'Inde et à y établir des bases commerciales. Vasco de Gama touche Calicut en 1498 et Pedro Álvarez Cabral y commerce dès 1500. Cette installation, qui est loin d'être pacifique, devient définitive avec la prise de Goa au sultan de Bijapur par Albuquerque (1510).
Tant que durera l'empire de Vijayanagar (jusqu'en 1565), son allié et partenaire, le commerce portugais sera plus que florissant. Les Portugais restent, en tout cas, les maîtres de l'océan Indien pendant presque tout le xvie siècle.
L'échec de l'Invincible Armada (1588), la publication (1595) par les Hollandais (indépendants de la cration des Provinces unies en 1579) des cartes portugaises, jusque-là gardées secrètes, encouragent les puissances protestantes à briser le monopole hispanique sur le commerce des épices. Les Compagnies des Indes orientales anglaise (East India Company) et hollandaise (Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC) sont fondées, respectivement, en 1600 et en 1602. Les Anglais abordent à Surat (1608), alors principal port de l'empire moghol. C'est là qu'après de longues négociations ils obtiennent d'édifier leur première factorerie (1612).
Pour en savoir plus, voir les articles Compagnie anglaise des Indes orientales, Compagnie hollandaise des Indes orientales,
Le développement ultérieur des comptoirs anglais sera, en grande partie, la conséquence des heurts violents de 1623 avec les Hollandais en Asie du Sud-Est. La Compagnie anglaise se replie donc vers l'Inde et, pour y pratiquer le commerce « triangulaire » qui enrichissait tant ses concurrents, s'établit sur la côte de Coromandel : elle construit (1639), près de la future Madras, un fort qui sera baptisé Saint George. En 1658, elle occupe une ancienne factorerie portugaise sur l'Hooghly, principal affluent du Gange, à plus de 160 km au nord du golfe du Bengale. Son troisième point d'ancrage sera Bombay, cédée aux Anglais par la dot de la princesse portugaise Catherine de Bragance à l’occasion de son mariage avec le roi d’Angleterre Charles II, et confiée par la Couronne à la compagnie en 1668. Surat est alors abandonnée et Bombay fortifiée dès 1669. En Angleterre même, la Compagnie, qui avait failli disparaître sous Charles Ier mais que Cromwell avait sauvée (charte de 1657), obtient désormais des privilèges de plus en plus grands.
La France n'apparaît en Inde que dans la seconde moitié du xviie siècle. Colbert crée la Compagnie française des Indes orientales en 1664. Les premières occupations françaises dans le golfe du Bengale en 1671 à Surat et à Sao Tomé sont éphémères avant que François Martin puisse acquérir le droit auprès du sultan de Bijapur de s'installer à Pondichéry (1674) et du nabab du Bengale à Chandernagor (1688). Pondichéry sera pris par les Hollandais pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, puis restitué en 1699 après la signature du traité de Ryswick (1697). Les autres comptoirs français ne seront acquis qu'au xviiie siècle : Masulipatam, Calicut, Mahé et Yanaon (1721-1723), et Karikal en 1739.
Pour en savoir plus, voir l'article Inde Française.
6. L'Empire moghol
6.1. Les premiers conquérants (1526-1556)
BaberBaber
L'établissement de la dynastie moghole en Inde fut l'œuvre du Timuride Baber (ou Babur), qui, parce que ses espoirs de conquêtes en Asie centrale avaient été contrecarrés par la montée des Ouzbeks en ce début du xvie siècle, avait dû se tourner vers Kaboul et, de là, avait su profiter du déclin du sultanat de Delhi. Trois victoires – sur Ibrahim, le dernier des Lodi, à Panipat, en 1526, sur une confédération rajpute, à Khanua, en 1527, et sur une coalition afghane, près de la Gogra, en 1529 – lui assurent la maîtrise de l'Inde du Nord.
L'histoire de la dynastie moghole, officiellement fondée sur le sol indien en 1527, est alors, et pour près de deux siècles, jusqu'à la mort d'Aurangzeb, en 1707, avant tout celle des luttes et des guerres qui assureront son maintien et sa grandeur, guerres civiles pour des successions toujours férocement disputées, guerres de conquêtes (parfois de reconquêtes) lorsque les premières sont achevées. Cette sorte de sélection naturelle, qui tenait au fait qu'il n'existait pas de droit précis en matière de succession chez les Turcs Djaghataïdes, amena au pouvoir des conquérants remarquablement habiles et implacables.
Le fils de Baber, Humayun (1530-1556), n'aura pas assez de dix ans pour asseoir suffisamment son autorité face aux siens. Il perd en 1540 son royaume au profit d'un Afghan, Chir Chah, à bien des égards meilleur que lui, mais dont, à son tour, la descendance ne peut conserver le pouvoir. Humayun recouvre alors son héritage, quelques mois seulement avant de mourir.
6.2. Akbar et la construction de l’Empire moghol (1556-1605)
L'Empire mogholL'Empire moghol
Les extraordinaires capacités d'Akbar (1556-1605), tant militaires qu'administratives, jointes à une personnalité hors pair, font du royaume si fragile d'Humayun, son père, un empire solide et véritablement indien.
Une à une, les différentes puissances et les différentes régions, de l'Afghanistan au Bengale et de la bordure himalayenne au nord du Deccan, sont soumises et intégrées dans une structure impériale dont nombre d'aspects administratifs dureront au moins jusqu'aux premiers temps de la domination britannique. L'un des plus grands mérites de l'empereur est, en même temps, de reconnaître la diversité de son peuple et d'en tenir compte pour gouverner. Dans ce sens sont à comprendre des mesures comme la suppression de la capitation (qui, en territoire conquis par l'islam, frappe les infidèles) et la participation, jusqu'au plus haut niveau, d'hindous au gouvernement.
Des considérations politiques aussi, en même temps qu'une forte tendance au mysticisme et que la fréquentation curieuse d'hommes de religions diverses, le pousseront même à tenter d'instituer une forme de syncrétisme religieux lorsqu'il se voudra chef spirituel de ses sujets. L'art du nouvel empire, l'architecture notamment, témoignera de la même ouverture d'esprit.
6.3. Les successeurs d’Akbar et l’apogée de l’Empire (1605-1707)
Les règnes de Djahangir, de 1605 à 1627, puis de Chah Djahan, de 1628 à 1658, sont ceux de la plus grande splendeur moghole, à la cour du moins (à Agra puis, à partir de 1648, à Delhi) et dans les capitales provinciales.
Le règne de Djahangir, en fait celui de sa femme, la princesse persane Nur Djahan, voit Agra, alors deux fois plus grande qu'Ispahan, devenir un modèle d'élégance séfévide. Quant à Chah Djahan, il a laissé avant tout le souvenir du bâtisseur le plus magnifique que l'Inde ait connu. Le Tadj Mahall et la mosquée de la Perle, tous deux à Agra, et la septième cité de Delhi, Chah Djahanabad, sont son œuvre.
Mais, déjà sous ce dernier empereur, l'esprit de tolérance d'Akbar et de Djahangir a cédé la place à une réaction musulmane qui, avec Aurangzeb (1658-1707), deviendra fanatisme et contribuera sûrement au déclin de l'empire, en lui aliénant, entre autres supports, les Rajputs loyaux depuis le temps d'Akbar.
Déjà aussi sous Chah Djahan, le piège s'entrouvre où s'enlisera Aurangzeb. Ce piège c'est le Deccan, précisément les sultanats de Bijapur et de Golconde. Les campagnes successives, coûteuses et dévastatrices, pour annexer ces deux royaumes commencent dès 1631. Elles occuperont Aurangzeb de 1681 à sa mort.
Les guerres de succession, les guerres dans le Deccan, d'autres encore ont finalement ravagé de vastes territoires. L'Empire moghol n'a jamais été aussi étendu qu'à la fin du règne d'Aurangzeb, mais l'Inde est plus misérable qu'au temps d'Akbar. Des révoltes éclatent dans la seconde moitié du xviie siècle, auxquelles le fanatisme de l'empereur donne une coloration religieuse : les sikhs du Pendjab se soulèvent, ainsi que les Rajputs du Rajasthan et surtout les Marathes du Deccan (Sivaji commence sa carrière en 1647 et fonde le royaume marathe en 1674).
7. Le xviiie siècle
Les traits marquants de ce siècle sont le déclin de l'empire moghol, la montée de la puissance marathe, les débuts de l'ingérence des Anglais dans les affaires indiennes et la défaite des Français face aux Britanniques dans l'Inde du Sud.
7.1. Le déclin et l’éclatement de l’empire moghol
Dans un premier temps, malgré bien des vicissitudes – luttes intestines à la cour, manifestations d'indépendance de la part de gouverneurs, attaques venues de la Perse (1739) puis de l'Afghanistan (à cinq reprises, de 1747 à 1761) –, l'Empire moghol reste la première des puissances indiennes jusqu'à la bataille de Panipat (1761), donc pendant plus de cinquante ans après la mort d'Aurangzeb.
Le principal responsable de la défaite de Panipat (militairement, celle de l'armée marathe face aux Afghans de Ahmad Chah) est, en fait, le vizir de l'empire, Imad al-Mulk. Sa gestion, de 1753 à 1761, a été si désastreuse qu'elle a affaibli Delhi au point de susciter une quatrième intervention afghane en 1757, puis une cinquième en 1759, l'obligeant à appeler encore les Marathes à son secours.
Après la défaite de Panipat, l'Empire moghol n'est plus qu'un royaume, celui de Delhi, qui, grâce d'abord au gouvernement du représentant du souverain afghan (1761-1772), puis grâce à celui de Nadjaf Khan (1772-1782), pour le compte du plus talentueux des derniers Moghols, Chah Alam (restauré en 1772), réussit à rester indépendant. Il cesse de l'être lorsque, faute d'une personnalité capable de succéder au khan, le général marathe, Mahadaji Sindhia, se voit offrir le titre de régent de l'empire en 1785.
Les Anglais, ensuite, occuperont Delhi en 1803 lors de leurs campagnes contre Sindhia et la dynastie moghole disparaîtra définitivement quand, après la « mutinerie » (→ révolte des cipayes) de 1857, ils enverront mourir en exil en Birmanie son dernier représentant, Bahadur Chah.
7.2. Les Marathes
La plus grande puissance indienne du xviiie siècle, lorsque décline l'Empire moghol, est celle des Marathes de Pune. Tant que les peshva (Premiers ministres) conservent tout le pouvoir entre leurs mains (de 1714 à 1772), tenant à distance les quatre grandes familles de chefs de guerre qui forment avec eux une sorte de confédération, les Marathes règnent en maîtres, directement ou indirectement, sur l'Inde entière, à l'exception du Bengale. Mais l'affaiblissement de leur pouvoir central, en un temps où les Anglais viennent d'apprendre au Bengale et dans le sud de l'Inde à user de leur influence, conduit à trois guerres (1775-1782, 1803-1805, 1817-1818) qui finissent par anéantir les Marathes et par donner à leurs adversaires britanniques l'empire de l'Inde.
7.3. La rivalité franco-britannique
La guerre de la succession d'Autriche (1740-1748) dans laquelle s’opposent la France, l’Angleterre et leurs alliés respectifs, se double d’un conflit d’ordre colonial entre les deux puissances, notamment en Inde. Il a pour théâtre le Deccan oriental, plus précisément le Carnatic, portion sud-est de la péninsule entre les Ghât orientaux et la côte du Coromandel, et, plus au nord dans le centre, l’État de Hyderabad.
Si Pondichéry est défendue en 1748 avec succès par son gouverneur Dupleix , Madras, qui avait été prise en 1746 par la flotte de Mahé de La Bourdonnais, est rendue aux Anglais par le traité d'Aix-la-Chapelle (1748) en échange de la restitution de Louisbourg au Canada. Dupleix reprend alors la lutte contre les Anglais par princes indiens interposés. Il rencontre un certain succès (prise de Hyderabad en 1751) mais se heurte aux Anglais et à leurs alliés indiens au Carnatic (échec devant Trichinopoly, 1753) avant d’être rappelé par la Compagnie française des Indes et le gouvernement en 1754.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) est l’occasion pour l’Angleterre d’écarter définitivement la concurrence de la France. Chandernagor tombe en 1757 ; Masulipatam en 1759 ; les troupes de Lally-Tollendal sont défaites par celles de sir Eyre Coote à Vandavachy (Wandiwash) en janvier 1760 et Pondichéry capitule l’année suivante avant d’être restitué par le traité de Paris (1763) mais le rôle de la France en Inde est désormais insignifiant.
8. La formation de l'Empire britannique des Indes
L'Inde à l'époque colonialeL'Inde à l'époque coloniale
Les menées agressives d'un jeune nabab du Bengale, Siradj al-Dawla, en 1756, face à une compagnie de marchands qui entend défendre ses droits, sont le choc initial qui déclenche un processus d'expansion qui, de la simple canonnade de Plassey (juin 1757), commandée par Robert Clive contre le nabab, conduit à la victoire de Buxar, en octobre 1764, cette fois face à une coalition indienne où figure l'empereur moghol.
8.1. L’East India Company, nouvelle puissance territoriale
En 1765, l’East India Company, dont la principale « présidence » est Fort William (à Calcutta) se voit confier par le traité d’Allahabad la perception des impôts et l’administration des Finances dans les trois provinces du nord-est (Bengale, Bihar et Orissa). La même année, elle prend en main les fonctions de défense et de maintien de l’ordre au Bengale. Ce pouvoir ne tardera pas à s’étendre pour devenir sans partage et la Compagnie devient de fait l’une des principales puissances territoriales du sous-continent, dotée d’une puissante armée recrutée parmi les brahmanes et Rajputs du Nord sous le commandement d’officiers britanniques et dont l’entretien absorbera près de la moitié de ses dépenses.
Mais loin d’être le fruit d’une politique délibérée, l'expansion britannique dans toute l'Inde (à partir des présidences de Calcutta, de Madras et de Bombay, avec une nette prééminence de la première à partir de 1793) apparaît plutôt comme un mouvement irréversible, dans lequel la Compagnie, obéissant à une logique à la fois mercantiliste et militaire, est entraînée pour augmenter ses revenus, mais aussi parfois seulement pour les conserver face à des États indiens encore puissants. Ainsi, pour Warren Hastings, gouverneur général du Bengale en 1772-1785, il s’agit avant tout de préserver les possessions britanniques déjà établies dans le Nord comme dans le Sud, en signant notamment un traité avec les Marathes (1782) tandis que son successeur, le général lord Cornwallis (1786-1793), n’entend qu’affaiblir le sultan Tippoo Sahib (troisième guerre du Mysore, 1790-1792) et non annexer son territoire. Sous le gouvernorat de Sir John Shore (1793-1798) la Compagnie privilégie de nouveau la diplomatie.
8.2. L’extension du Raj britannique
C’est à partir de l’arrivée au pouvoir de lord Richard Wellesley, gouverneur général de 1798 à 1805, que la compagnie se lance dans une politique systématique d’annexions territoriales. Tippoo Sahib est battu et trouve la mort en 1799 à l’issue de la quatrième et dernière guerre du Mysore. La majeure partie de ses territoires est annexée de même que le Carnatic en 1801, tandis que Tanjore est placée sous la protection de la compagnie.
Cette politique d’annexion est poursuivie dans le Nord et commence à inquiéter Londres et la direction de la compagnie. Le gouvernorat de lord Minto (1807-1813) marque ainsi une pause dans les conquêtes avant leur reprise sous celui de lord Hastings (1813-1823) : le royaume du Népal, transformé en État tampon, doit céder des territoires (1816) et, surtout, après trois guerres, les Marathes s’inclinent en 1818. À cette date, la Compagnie n’a plus de véritable rival dans le sous-continent à l’exception du plus lointain Pendjab et avec lequel les relations sont encore bonnes.
Elle est cependant engagée dans de nouveaux conflits dont certains en dehors du territoire indien au cours des années suivantes. Sous Amherst (1823-1828), la Birmanie perd la plus grande partie de sa façade maritime. Après un intervalle de sept années de paix sous lord William Bentinck (1828-1835), lord Auckland (1836-1842) cautionne la désastreuse expédition d'Afghanistan. Cette expédition devait s'assurer de ce pays face au péril russe. En 1841, l'armée anglaise de Macnaughten est totalement exterminée.
Lord Ellenborough (1842-1844) venge cette défaite en faisant la conquête (sanglante) du Sind (1842). Lord Hardinge (1844-1848) attaque la dernière grande puissance indienne indépendante, le royaume sikh du Pendjab, jusque-là ami mais en en proie à des troubles depuis la mort de son souverain, Ranjit Singh, en 1839.
La première guerre sikh s'achève (1846) par l'annexion de territoires, entre autres le Cachemire, qui est donné au Rajput Gulab Singh dont la famille régnera jusqu'après l'indépendance de l'Inde (1947). Lord Dalhousie (1848-1856), enfin, achève l'œuvre de son prédécesseur. La seconde guerre sikh aboutit (1849) à l'annexion du Pendjab.
En 1850, l'Empire britannique des Indes s'étend du Bengale à l'Indus, du Cachemire au cap Comorin. D'ultimes expéditions auront lieu contre la Birmanie (1852 et 1885) et contre l'Afghanistan en 1878-1880, sans plus de succès qu'en 1841. Les territoires conquis seront, dans leur grande majorité, administrés directement, mais des centaines d'États autonomes, protectorats en fait liés par traité à la Couronne, gouvernés par des maharaja, subsisteront jusqu'en 1947. Parmi les plus grands figurent le Cachemire et l'État de Hyderabad.
8.3. L'évolution institutionnelle
L'expansion territoriale britannique provoque des mesures destinées à l'administration du nouvel empire et qui touchent au statut de la compagnie des Indes elle-même. La centralisation de l'autorité à Calcutta (confiée au « gouverneur général et conseil de la présidence de Fort William ») s'accompagne du passage progressif de la compagnie sous le contrôle du gouvernement de Londres. La première loi témoignant de cette évolution est le Regulating Act de 1773. L’India Act de 1784, transfère le pouvoir de décision de la Cour des directeurs de la Compagnie à un Conseil de contrôle (Board of Control) relevant de la Couronne.
Puis, par le Charter Act de 1813, la Compagnie perd son monopole commercial. L'Inde est ouverte à l'entreprise privée. Par celui de 1833, elle perd ses activités commerciales pour ne plus être qu'un organisme de gouvernement et le gouverneur général du Bengale devient gouverneur général de l'Inde. Enfin, le Government of India Act de 1858, signant le démantèlement de la compagnie, en transfère toutes les fonctions et propriétés à la Couronne, qui par l’intermédiaire du vice-roi, gouvernera désormais le pays.
Les mesures administratives, pendant cette période, sont nombreuses. Il convient de mentionner le Code que laisse Cornwallis en 1793 et qui définit les règles selon lesquelles s'exercera l'autorité anglaise. La plus célèbre d'entre elles, le Permanent Zamindari Settlement, définit les modalités de la levée de l'impôt foncier au Bengale et fait des zamindar les propriétaires intermédiaires entre les paysans et l'Administration. Dans le Sud, la perception de cet impôt sera différente, dans son principe. L'impôt, aux termes du Ryotwari Settlement mis en place par Thomas Munro, gouverneur de Madras de 1820 à 1827, sera exigé directement des paysans par l'Administration. Dans le premier cas, l'Angleterre tente de substituer une sorte de « gentry » à l'ancienne noblesse moghole ; dans le second, elle tente de faire des paysans les seuls propriétaires des terres qu'ils cultivent, ce qui revient à vouloir changer les structures sociales traditionnelles…
D'une manière générale, toutes les mesures que les Anglais prennent, dans la première moitié du xixe siècle, amènent des transformations partielles de la société indienne. Par exemple, la levée (1833) de l'interdiction faite jusque-là aux missionnaires de venir exercer leurs activités en Inde ainsi que l'introduction, vers la même époque, de l'éducation anglaise font naître une culture anglo-indienne, illustrée d'abord par le mouvement dit de la « renaissance hindoue » au sein de l’intelligentsia bengali. Et les Britanniques tentent des réformes sociales (interdiction, par exemple, du suicide des veuves en 1829). En matière économique, de même, l'abolition du monopole commercial de la Compagnie rend l'Inde dépendante de l'étranger (c'est-à-dire de l'Angleterre). Mais cette mesure fait aussi naître un capitalisme indien…
8.4. La « mutinerie »
L'œuvre du gouverneur général Dalhousie (1848-1856) résume assez bien les bouleversements que l'Angleterre impose à l'Inde pendant la première moitié du xixe siècle. Bouleversements techniques par le lancement de la construction du réseau ferré, et celle du réseau télégraphique, ainsi que par la mise en place d'un réseau postal uniforme. Bouleversements politiques par l'application de la doctrine dite du « lapse », selon laquelle, en l'absence d'héritier direct, un royaume revient à son suzerain, donc à la compagnie. Cette doctrine, contraire à la loi hindoue et à la loi musulmane, qui reconnaissent les droits des héritiers par adoption, permet à Dalhousie des annexions pacifiques et des économies substantielles, car le principe est également appliqué aux pensions.
Cette politique impérialiste culmine avec l'annexion de l'Aoudh, en 1856, non parce que son souverain n'a pas d'héritier, mais sous le prétexte de mauvais gouvernement. L'Aoudh est, en fait, l'une des régions les plus riches de l'Inde. Cette annexion est une erreur à laquelle viennent s'en ajouter d'autres commises par lord Canning (1856-1862), dernier gouverneur général de l'Inde et premier vice-roi.
Révolte des cipayesRévolte des cipayes
Le 9 mai 1857, à Meerut (à environ 50 km au nord de Delhi), éclate dans l'armée du Bengale ce que les Anglais appelleront une « mutinerie », mais qui sera plus qu'une simple révolte de soldats, sans cependant atteindre les dimensions d'une révolte nationale, faute d'une direction et d'un idéal communs. C'est, sans doute, le « dernier sursaut d'un ordre condamné », dont certains éléments supportaient mal les spoliations et la pacification énergique de la puissance étrangère. Cette révolte qui, pendant l'été de 1857, ne fait vraiment perdre aux Anglais que le contrôle du cœur de la vallée du Gange, est rapidement matée, souvent avec une extrême cruauté.
La « mutinerie » (ou révolte des cipayes) aura de multiples conséquences. Un mur de défiance opposera désormais les deux communautés, et l'Angleterre, qui se voulait éducatrice et civilisatrice, n'essaiera plus de légiférer dans des domaines touchant à la religion et aux mœurs. L'évolution de l'Inde au siècle suivant sera bien davantage due au rôle économique que lui fera jouer la puissance coloniale, initiatrice, partenaire et rivale, et à la prise de conscience des Indiens de leur identité.
9. L'Inde coloniale
9.1. Le gouvernement de l'Inde
L'Inde britannique, résultat de cette politique de conquêtes et d'annexions, est devenue, au fil des années, un immense empire comprenant deux sortes de territoires : des territoires administrés directement et des territoires princiers (plus de 600 au début du xxe siècle) soumis au régime de l'administration indirecte, autonomes, mais sans aucune indépendance réelle.
L'Empire est, depuis Calcutta (depuis Delhi à partir de 1911), dirigé par un vice-roi (successeur du gouverneur général depuis 1858) nommé par le gouvernement anglais et dépendant du secrétaire d'État à l'Inde, ce dernier, membre du gouvernement de la Couronne. Le vice-roi est assisté d'un Conseil exécutif, purement consultatif, d'abord de six membres nommés par Londres. Son Conseil législatif est le même, mais augmenté de seize membres nommés par lui. L'administration impériale est absolument centralisée dans la mesure où les gouverneurs de province, assistés de leurs conseils, ne sont que des délégués du vice-roi qui les nomme. Cette centralisation autoritaire est pesante. Elle prend la forme, le temps passant, d'une machine bureaucratique énorme et conservatrice.
L'administration quotidienne repose, elle, presque entièrement sur la personne du collecteur de district, au début homme de terrain, homme à tout faire, aux fonctions à la fois exécutives et judiciaires. Puis, ses tâches ne cessant de croître, ce personnage devient un bureaucrate qui supervise, à la tête d'une administration indigène.
Les administrateurs britanniques appartiennent au corps de l'ICS (Indian Civil Service), dont les Indiens, longtemps, ne pourront faire partie puisque, jusqu'en 1922, le concours d'entrée se passera obligatoirement en Angleterre. Ce corps est resté célèbre pour l'esprit victorien qui l'animait, mais qui le rendait anachronique et incapable d'innover. Toutes les initiatives rendues nécessaires par la poussée nationaliste et par les grands événements mondiaux (les deux guerres mondiales, la crise de 1929) viendront toujours de Londres et se heurteront au conservatisme de ces fonctionnaires coloniaux.
9.2. L'Inde rurale
L'Inde sur laquelle les Britanniques étendent leur empire est un pays rural (le pourcentage de la population urbaine est de 10 % en 1901 et ne sera que de 13 % en 1941) peuplé de villages (730 000 en 1901) isolés, pratiquement autarciques, aux structures sociales héritées d'un très long passé.
La société y est divisée en castes hiérarchisées et cette structure conditionne tous les aspects de la vie rurale. Si le nombre des castes, à considérer l'Inde dans son ensemble, apparaît presque infini, à l'intérieur d'un même village, trois groupes peuvent être, du point de vue économique, définis. Au sommet de la hiérarchie, la caste dominante possède la plus grande partie des droits sur la terre, sans la travailler elle-même. En dessous, et dépendant largement de la classe précédente, viennent les petits propriétaires, les tenanciers et les artisans ruraux. Les exploitations à ce niveau sont petites, guère plus du minimum vital, parfois moins. En bas, enfin, se tiennent les plus pauvres et les plus méprisés, les paysans sans terre et les castes de service impures, en général intouchables. C'est dans ce prolétariat que figurent les paysans non libres endettés dans des conditions qui ne leur permettent pas de racheter leurs dettes.
Dans ce monde, les Anglais introduisent un certain nombre de nouveautés qui, directement ou indirectement, transforment les structures agraires. Il s'agit d'abord de l'établissement de nouveaux systèmes fonciers (dès 1793) qui, en instituant le droit de propriété, bouleversent les droits traditionnels sur la terre, rompant par là l'équilibre de l'économie villageoise. Il s'agit ensuite de l'introduction des cultures industrielles et de la commercialisation croissante de l'économie agricole, phénomènes qui, joints à la concentration de la propriété foncière qui avait suivi l'institution de la propriété, vont déséquilibrer la production agricole et l'assujettir aux fluctuations des cours mondiaux. Enfin, aux facteurs de déséquilibre touchant une société bloquée, s'ajoute, à partir de 1921, le facteur démographique. À partir de 1921, en effet, le taux de mortalité chute de façon continue (il passe de 40 à 50 ‰ avant cette date à 31,2 ‰ en 1941) en face d'un taux de natalité stationnaire aux environs de 45 ‰.
9.3. L'industrie pendant la période coloniale
Le secteur moderne de l'économie indienne, de type capitaliste, est d'abord aux mains d'hommes d'affaires britanniques qui qui peuvent exercer leur activité fortement monopolistique grâce au système des agences de gestion (managing agency system) créé entre 1834 et 1847 à Calcutta puis généralisé à l’ensemble du territoire : les sociétés londoniennes, ignorantes du milieu indien, confient la gestion de leurs capitaux à de vieilles firmes implantées depuis longtemps en Inde.
Ces agences, qui détiennent, en le concentrant aux mains de quelques-uns, le pouvoir économique, fleurissent jusque dans les années 1920. Après quoi commence à se développer un capitalisme indigène, calqué sur le modèle anglais, œuvre de communautés précises (et d'abord celle des parsis, qui avaient commencé, au siècle précédent, à faire des affaires en tant qu'intermédiaires [compradores] dans le commerce du coton et de l'opium). Ce développement se produit à la faveur, notamment, d'une protection douanière (mais sélective) de l'industrie indienne, des difficultés auxquelles se heurte l'industrie en métropole dans les années 1930, et des succès que remporte le nationalisme indien. Les deux guerres mondiales, en isolant l'Inde et en augmentant la demande anglaise, favoriseront aussi l'essor de l'industrie indienne.
Cela étant, le bilan industriel de l'Inde au moment de l'indépendance ne sera nullement en rapport avec les besoins du pays. La raison principale en est que l'industrie indienne est longtemps restée de type colonial, c'est-à-dire déséquilibrée. Certains secteurs seulement ont été développés : fabrication du thé, industrie du coton dans l'Inde de l'Ouest, du jute au Bengale, extraction de la houille au Bihar et en Orissa, au détriment des industries de base que le gouvernement n'a pas aidées, laissant par ailleurs les frontières ouvertes aux importations de la métropole. L'une des conséquences de cette politique est que longtemps subsistera un vaste secteur inorganisé et archaïque. Enfin, l'industrie coloniale, centrée sur les ports, ne contribue pas au développement du reste du pays.
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