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LE TÉLESCOPE "ANTARES" |
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Paris, 27 mars 2006
Naissance d'un télescope au fond de la Méditerranée : Le télescope Antares ouvre les yeux vers le ciel
La première ligne de détection du télescope à neutrinos Antares, immergée à 2 500 mètres de profondeur, a été reliée par le robot téléopéré Victor 6000 de l'Ifremer à la station à terre de La Seyne-sur-Mer (Var), le jeudi 2 mars à 12 h 11. Quelques heures plus tard, Antares ouvrait pour la première fois ses yeux vers le ciel et détectait ses premiers muons (1). Cette liaison marque la naissance effective du détecteur Antares, le premier télescope à neutrinos de haute énergie en mer profonde dans l'hémisphère nord. Cet évènement récompense une décennie d'efforts d'une vingtaine de laboratoires européens (2), parmi lesquels le CEA/Dapnia et des laboratoires du CNRS/IN2P3, instigateurs (3) du projet en 1996.
Le télescope Antares (4) est un détecteur de neutrinos qui a deux objectifs majeurs : l'astronomie de haute énergie et la recherche de la matière noire (voir encadré ci-dessous).
Les neutrinos interagissent très peu avec la matière. Leur détection est donc un défi qu'il n'est possible de relever qu'avec d'immenses détecteurs, protégés du rayonnement cosmique qui bombarde constamment tout site terrestre et représente un important et continu bruit de fond. Installé au large de Toulon (Var), Antares est protégé de ce rayonnement par le blindage naturel des 2 500 mètres de hauteur d'eau de mer. Des photodétecteurs, les yeux d'Antares, utilisent un grand volume d'eau de mer pour observer le sillage très faiblement lumineux produit par les muons « montants ». Ces derniers résultent de l'interaction avec la croûte terrestre des neutrinos ayant traversé la Terre. Cette observation est rendue possible grâce à l'obscurité totale qui règne à ces profondeurs abyssales. Antares observe donc le ciel de l'hémisphère sud au travers du globe terrestre, incluant le centre galactique, siège de phénomènes énergétiques intenses.
Les photodétecteurs se répartissent par groupe de trois le long de câbles ombilicaux de 450 mètres de haut, destinés au transport des signaux et de l'énergie. Au total, 900 « yeux » répartis sur 12 lignes scruteront l'Univers d'ici à fin 2007, occupant une surface d'environ 200 m x 200 m au sol. Chaque ligne est reliée à une boîte de jonction à partir de laquelle s'étire un câble électro-optique de 40 kilomètres qui aboutit à la station à terre de l'institut Michel Pacha, à La Seyne-sur-Mer. Le déploiement du télescope Antares bénéficie de la logistique et de l'expertise de l'Ifremer.
En outre, Antares constitue une infrastructure scientifique sous-marine multidisciplinaire permanente qui enregistre différentes données : océanographiques - incluant l'observation du milieu marin en mer profonde ainsi que les phénomènes de bioluminescence - et géophysiques. Ainsi un sismographe y enregistre les secousses de la planète depuis un an.
Antares a pour objectif l'observation de phénomènes cosmiques de haute énergie. Ces dernières décennies, l'astronomie a permis de découvrir de nombreux objets, dont certains sont le siège de phénomènes cataclysmiques, émetteurs de photons, de particules chargées et de neutrinos de très haute énergie. Cependant les photons sont absorbés par la matière, ce qui limite la profondeur d'espace pouvant être observé, et les particules chargées d'énergie pas trop élevée sont déviées par les champs magnétiques galactiques et extragalactiques, ce qui rend l'observation des sources ponctuelles, et donc l'astronomie, très difficile. En revanche, les neutrinos cosmiques sont des particules élémentaires qui interagissent faiblement avec la matière. Ils parcourent donc de longues distances dans l'Univers sans être absorbés par les milieux intergalactiques, se propageant en ligne droite depuis le cœur des accélérateurs cosmiques sans être déviés. Ils permettent ainsi de sonder l'univers lointain et d'étudier les sources à l'origine des rayonnements cosmiques de très haute énergie.
Antares pourrait également observer des neutrinos de plus basse énergie issus de l'accumulation de matière noire au centre de la Terre, du Soleil ou de notre galaxie. Mis en évidence il y a 70 ans, le problème de la matière noire constitue aujourd'hui une des questions majeures de la cosmologie. Nous ignorons encore ce qui compose 95 % de notre Univers ! La nature de la matière et de l'énergie manquante est complètement inconnue, mais pourrait être en partie constituée d'une particule élémentaire massive appelée wimp (weakly interacting massive particle), ou encore « particule lourde interagissant faiblement avec la matière ». La théorie physique dite de la « supersymétrie » en prédit l'existence, encore non vérifiée. Ces particules s'accumuleraient au centre d'objets massifs comme la Terre, le Soleil… Étant à la fois particule et anti-particule, les wimps finiraient par s'annihiler en produisant une bouffée d'énergie et de particules, dont des neutrinos.
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OSCILLATION DES NEUTRINOS |
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Thomas Patzak : « L'oscillation des neutrinos confirmée »
matière - par Propos recueillis par Franck Daninos dans mensuel n°398 daté juin 2006 à la page 10 (561 mots) | Gratuit
Les neutrinos sont des particules que l'on trouve en abondance dans l'Univers, mais leur nature physique est encore mal comprise. L'existence d'un phénomène permettant à ces « particules fantômes » de se transformer d'un type de neutrino à un autre vient d'être confirmée [1].
Qu'est-ce qu'un neutrino ?
Thomas Patzak : C'est une particule élémentaire. Elle est partie intégrante de ce qu'on appelle le Modèle standard de la physique des particules, une théorie qui décrit les briques élémentaires de la matière, ainsi que les forces qui régissent leurs interactions [2] . Il en existe trois types : les neutrinos « électroniques », « muoniques » et « tauiques ». Le premier a été identifié en 1956, le deuxième en 1962, et le troisième en 2000. Les neutrinos sont si difficiles à détecter qu'on les a surnommés « particules fantômes ». Car ce sont les seules particules qui interagissent avec la matière uniquement par le biais de l'« interaction faible », l'une des quatre forces fondamentales. Les physiciens ont longtemps pensé que ces neutrinos n'avaient pas de masse. Jusqu'à l'expérience « SuperKamiokande », réalisée en 1999, au Japon. Une cuve remplie de 50 000 tonnes d'eau avait été aménagée afin de détecter les neutrinos muoniques traversant l'espace. Cette recherche était possible car les neutrinos interagissent avec l'atmosphère avant de frapper la Terre. Un déficit de ces particules a alors été mesuré, la preuve, selon les physiciens japonais, que les neutrinos se transforment ou « oscillent » d'une famille en une autre. Or, ce phénomène ne peut se produire que si les neutrinos ont une masse.
Quelles ont été les conséquences de ce résultat ?
Dans le cadre du Modèle standard, les neutrinos n'ont pas de masse : prouver le contraire constitue une indication forte de l'existence d'une physique se situant « au-delà » du Modèle standard. Le phénomène d'oscillation serait également lié à d'autres grandes questions que se posent les physiciens, comme la façon dont les particules acquièrent une masse, ou la disparition de l'antimatière dans l'Univers primordial. Ils cherchent à expliquer cette disparition en montrant notamment qu'à cause du phénomène d'oscillation la formation de neutrinos aux premiers instants de l'Univers a été plus forte que celle de leurs équivalents d'antimatière. Cependant, les résultats obtenus en 1999 peuvent être interprétés par des modèles qui ne prennent pas en compte cette oscillation. En outre, l'incertitude inhérente aux mesures des neutrinos atmosphériques était de l'ordre de 25 %. Il fallait donc une expérience supplémentaire pour conclure sur cette question de la masse des neutrinos. Cela a été apporté par l'expérience « Minos ».
En quoi consiste-t-elle ?
Un faisceau de neutrinos muoniques a été produit dans un accélérateur de particules du laboratoire Fermilab, près de Chicago. Des instruments permettent de caractériser très précisément cette source de neutrinos. Ensuite, le faisceau a été envoyé vers Minos, un détecteur installé dans une ancienne mine, 730 kilomètres plus au nord. Quatre-vingt-douze neutrinos ont été détectés sur les 177 présents à la source. La différence correspond aux neutrinos qui se sont transformés en neutrinos tauiques. Ces résultats sont encore préliminaires, mais la marge d'erreur est déjà bien en deçà des normes utilisées pour valider un résultat. À présent, on peut affirmer avec une grande certitude que le phénomène d'oscillation existe, et que les neutrinos ont bel et bien une masse. Dans les années à venir, Minos s'efforcera de mesurer avec précision les paramètres de l'oscillation.
Par Propos recueillis par Franck Daninos
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MASSE DES NEUTRINOS ! |
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Les neutrinos ont enfin une masse
et aussi - dans mensuel n°311 daté juillet 1998 à la page 17 (570 mots) | Gratuit
En mettant en évidence un phénomène quantique appelé " oscillation ", une équipe de physiciens japonais et américains vient d'apporter un élément de réponse décisif à l'une des questions les plus brûlantes en physique des particules: celle de la masse des neutrinos.
Les neutrinos ont-ils une masse? Le " modèle standard " qui décrit l'ensemble des particules élémentaires et leurs interactions, à l'exception de la gravitation, considère la masse de cette famille de particules non chargées comme nulle. Mais depuis une trentaine d'années, la détection des neutrinos produits par le Soleil, puis celle des neutrinos produits dans notre atmosphère, posaient une énigme: leur nombre ne correspond pas à celui attendu par les physiciens voir " Le neutrino, une particule à problème ", La Recherche, avril 1995. La solution de cette énigme peut venir d'un phénomène quantique envisagé dès la fin des années 1950, dénommé oscillation: les neutrinos d'un certain type - il en existe trois neutrinos électroniques, muoniques et tauiques - se convertissent lors de leur propagation en neutrinos d'un autre type. Des groupes de chercheurs avaient déjà fait état, mais de manière prématurée, de la découverte expérimentale d'un tel phénomène. L'équipe du projet Super-Kamiokande, qui rassemble une centaine de physiciens, affirme cette fois en apporter de solides preuves pour les neutrinos muoniques atmosphériques, c'est-à-dire ceux produits par l'interaction des rayons cosmiques particules chargées se déplaçant à très grande vitesse avec l'atmosphère terrestre. Les chercheurs ont présenté leurs résultats le 5 juin dernier, lors de la conférence internationale Neutrinos'98, et soumis un article à Physical Review Letters . Leur dispositif de détection consiste en un gigantesque réservoir de 50 000 tonnes d'eau purifiée, enterré à un kilomètre de profondeur sous les Alpes japonaises, et équipé de 11 146 détecteurs de photons photomultiplicateurs. Comme ils interagissent très peu avec la matière, les neutrinos traversent généralement notre planète sans laisser de trace. Mais il arrive parfois - toutes les 90 minutes environ - qu'un neutrino vienne heurter le noyau d'un atome d'oxygène de l'eau du réservoir. Une particule chargée est alors émise. En se déplaçant à très grande vitesse dans l'eau, elle émet un rayonnement particulier, le rayonnement Tcherenkov, qui est détecté par les photomultiplicateurs. Les caractéristiques de ce rayonnement permettent de déterminer la nature et l'énergie du neutrino incident. En analysant les 4 700 interactions de neutrinos recensées sur une période de 537 jours, les chercheurs ont constaté que le flux de neutrinos muoniques dépend de leur angle d'incidence et de leur énergie: ils observent un déficit de neutrinos de basse énergie, ou ayant parcouru une grande distance neutrinos ayant traversé une partie du globe terrestre par exemple. Cette dépendance s'explique très bien par le phénomène d'oscillation: plus le trajet parcouru est long, plus le neutrino muonique a le temps de se transformer en neutrino d'un autre type ; et moins il est énergétique, plus l'oscillation est rapide. Les physiciens ne savent pas encore en quel type de neutrinos les neutrinos muoniques se sont transformés. Mais l'existence même du phénomène d'oscillation impose qu'un des neutrinos au moins ait une masse non nulle. La mesure des oscillations conduit au chiffre de 0,07 ± 0,04 eV soit un dix millionième de la masse de l'électron, valeur qui constitue donc une limite inférieure de la masse des neutrinos. Et comme il y a beaucoup plus de neutrinos que d'électrons dans l'Univers, les neutrinos, aussi faible soit leur masse, devront désormais être pris en compte dans l'estimation de la densité de l'Univers.
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NEUTRINOS |
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Des neutrinos supraluminiques interrogent la physique
l'événement - par Denis Delbecq dans mensuel n°457 daté novembre 2011 à la page 8 (1548 mots) | Gratuit
Un neutrino peut-il aller plus vite que la lumière ? C'est ce que laissent penser les résultats d'une expérience conduite entre le CERN, en Suisse, et le laboratoire italien de Gran Sasso. Chez les physiciens, la prudence est de mise.
T out reste encore à dé-montrer. Mi-septembre, la révélation, par une équipe internationale, respectée en physique des hautes énergies, de l'existence de neutrinos « supraluminiques » a suscité une grande excitation chez les physiciens et le grand public, tout autant qu'un doute profond. Car les résultats de l'expérience dite Opera aboutiraient, s'ils étaient validés par d'autres équipes et expliqués, à une remise en question d'un des fondements de la théorie de la relativité restreinte énoncée par Einstein en 1905 : rien ne peut dépasser « c », la vitesse de la lumière dans le vide. Rien que ça... On comprend dès lors la prudence, le scepticisme, voire l'incrédulité des spécialistes du domaine. Retour sur une annonce époustouflante, et sur ses enjeux.
Vitesse de la lumière
Imaginons une course contre la montre. Un faisceau de neutrinos sur la ligne de départ pour un parcours de 732 kilomètres en ligne droite à travers l'écorce terrestre. La montre a fixé le temps du trajet : 2,4 millièmes de seconde, soit celui que mettraient des photons de lumière pour parcourir le même trajet dans le vide. Albert Einstein l'avait proposé sans jamais être démenti : rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière, les neutrinos ne peuvent donc que l'égaler. La course s'est tenue sous l'égide de l'équipe de l'expérience internationale Opera, entre le site du CERN, près de Genève, et le laboratoire souterrain de Gran Sasso, enfoui sous 1 400 mètres de roche dans les Abruzzes italiennes. Et les résultats du chrono ont provoqué un véritable séisme : le 23 septembre, lors d'une conférence organisée au CERN, Dario Autiero, de l'institut de physique nucléaire de Lyon, annonçait que les neutrinos sont arrivés 60 milliardièmes de seconde plus tôt que prévu. Comme s'ils avaient franchi la ligne d'arrivée avec 20 mètres d'avance sur la lumière [1] .
Six mois de calculs
« Débutée en 2006, l'expérience Opera a été conçue pour observer les oscillations des neutrinos : c'est-à-dire leur transformation d'un type en un autre, en particulier celle du neutrino "muon" en neutrino "tau" », résume Dario Autiero. Ces particules fugaces sont créées au CERN par bombardement d'une cible par un faisceau de protons, provoquant une série de désintégrations qui donne finalement naissance à des neutrinos. Comme ces derniers interagissent très peu avec la matière et ne se détectent qu'indirectement, le détecteur est placé sous une roche immense, la montagne de Gran Sasso. « En 2008, nous avons décidé de mesurer le temps de parcours entre la source et le détecteur. Nous avons mis en place toute l'instrumentation nécessaire pour mesurer la distance exacte et tous les délais pouvant intervenir dans l'expérience. » Le résultat tombe en mars dernier, au très grand étonnement de l'équipe d'Opera.
Des neutrinos supraluminiques ? « Je n'y croyais pas un instant, se souvient Dario Autiero. Ça a été un vrai choc pour tout le monde. Nous avons décidé de ne rien en dire, et de tout reprendre de zéro. » Les spécialistes de géodésie de l'institut allemand de métrologie PTB ont été rappelés en renfort pour vérifier la distance parcourue. Pendant six mois, des calculs ont été faits pour évaluer l'influence des mouvements des plaques tectoniques, celle du séisme italien de l'Aquila, en 2009, la position des balises de positionnement GPS, la précision des horloges atomiques, l'emplacement des détecteurs... Et aucune de ces vérifications n'a remis en question le résultat : l'avance des neutrinos 60 nanosecondes est six fois plus importante que l'incertitude sur la mesure. Un résultat qui devient de plus en plus difficile à garder secret. Les responsables de l'expérience Opera décident donc de le rendre public le 23 septembre dernier.
Dans la communauté scientifique, le sentiment est partagé entre l'admiration pour le travail de vérification entrepris par Dario Autiero et ses collègues, et le scepticisme. Déjà, en 1987, une expérience similaire, menée dans le cadre du programme Minos, du Fermilab américain avait conduit à une conclusion proche, mais l'incertitude expérimentale était trop élevée. Jenny Thomas, porte-parole de Minos, reste prudente : « On ne jette pas des modèles qui marchent depuis longtemps pour un seul résultat. Mais si c'est vrai, ce serait le plus grand séisme dans la physique depuis Einstein. »
Pour Michel Gonin, de l'École polytechnique, qui participe à T2K, une expérience similaire à Opera au Japon, il n'est pas question de parler de vitesse supraluminique du neutrino. Il s'agit pour l'instant d'une « anomalie », comme le CERN l'indique dans ses communiqués. « C'est un excellent travail, avec un souci méticuleux d'éliminer les causes d'erreurs. Il n'y a aucun doute sur leur résultat. Reste à savoir si ce qui a été mesuré est réellement le temps de parcours des neutrinos entre la source et le détecteur. Nous devons comprendre s'il n'y a pas un biais qui a échappé à mes collègues. » Et c'est bien pour cette raison que les travaux d'Opera ont été rendus publics, affirme Dario Autiero. « Nous avons des résultats qui nous semblent solides, mais il faut maintenant que d'autres les reproduisent, c'est comme cela qu'on fait de la bonne science. »
Pour Guy Wormser, du laboratoire de l'accélérateur linéaire d'Orsay, l'expérience a été menée avec un soin remarquable. « Mais aucune physique ne peut expliquer un tel résultat qui contredit d'autres expériences, notamment l'observation, en 1987, de l'explosion d'une supernova. » À l'époque, les astrophysiciens avaient assisté à l'arrivée quasi simultanée de neutrinos et de photons émis par une explosion cosmique survenue à 168 000 années-lumière de notre planète. Les neutrinos étaient arrivés en avance légère sur les photons, un écart qui ne se démarquait pas des incertitudes de mesure. « Si on projette, sur cette supernova, l'avance des neutrinos constatée par l'équipe Opera, il aurait dû y avoir un écart de près de quatre ans entre les neutrinos et la lumière. Or il était de l'ordre de quelques heures. Cette observation de la supernova ne contredit pas la théorie de la relativité, et sa précision est dix mille fois meilleure que celle relevée par mes collègues d'Opera, à cause de la très grande distance de vol. Pour moi, l'expérience sur la supernova est idéale en matière de calcul de vitesse du neutrino, même si ces particules cosmiques ont une énergie mille fois plus faible que celles produites par l'accélérateur d'Opera. »
Biais et erreurs
Avant de repenser les fondements de la physique, il faut donc s'assurer de ce que l'on mesure réellement. Parmi les biais, la mesure de distance réelle entre la source de neutrinos du CERN et le laboratoire de Gran Sasso est évoquée. « Le problème dans ce type d'expériences est que le drapeau d'arrivée est facile à abaisser, estime Michel Gonin. En revanche, le top-départ peut être source d'erreurs, compte tenu de la manière dont les neutrinos sont fabriqués. » Les scientifiques procèdent donc par le biais de la statistique. Ce que l'on sait, c'est que les neutrinos naissent quelque part dans un tunnel long de 1 kilomètre.
De plus, la position du détecteur de Gran Sasso estimée à 20 centimètres près reste une source de biais, puisque les signaux de positionnement par satellite GPS ne peuvent pénétrer sous la montagne. Elle est donc calculée à partir de détecteurs extérieurs, et d'un dispositif optique qui ne peut être parfait.
Trancher le débat qui s'engage ne sera pas une mince affaire. Car il faut d'abord reproduire les résultats d'Opera avec une incertitude plus faible que les 60 nanosecondes mesurées. Autant l'expérience Minos, aux États-Unis, que T2K, au Japon, ne peuvent encore rivaliser en précision. « D'ici six mois, Minos devrait être nettement plus performant, annonce Jenny Thomas. Et en 2014, nous disposerons d'un faisceau à plus haute énergie qui devrait nous faire progresser. » Au Japon, le groupe T2K a aussi entrepris d'améliorer la qualité de ses mesures temporelles.
Cela suffira-t-il ? Rien n'est moins sûr, car si biais il y a, il n'est pas exclu qu'il ne frappe pas l'ensemble des expériences. « De fait, la seule chose qui serait indiscutable, ce serait de refaire l'expérience d'Opera avec des neutrinos d'énergie comparable à ceux de la supernova, prévient Guy Wormser. Si on observait à nouveau une vitesse supérieure à la lumière, ce serait la preuve d'une erreur de mesure. Dans le cas contraire, cela prouverait qu'il y a une déviation à très haute énergie, vis-à-vis de la relativité. Si d'autres expériences à haute énergie trouvent la même chose que les résultats d'Opera, cela peut aussi venir d'un même biais qui s'applique à tous. »
Pour le théoricien Jean Orloff, de l'université Blaise-Pascal à Clermont-Ferrand : « S'il existe, le biais peut autant être théorique qu'expérimental. Pour moi, si le résultat d'Opera devait être confirmé, ce ne serait pas un bouleversement complet. Il faudrait travailler à comprendre, étendre les modèles, sans tout casser. » Pour le physicien, l'annonce du CERN est une preuve de plus que la science progresse également à coup de surprises. « Quand on dépose des dossiers de financement, on nous demande de tout prévoir des années à l'avance. Mais la science avance aussi à coup d'impromptus. En tout cas, cela pose des questions stimulantes qui méritent réflexion. »
Par Denis Delbecq
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