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ABEILLES SAUVAGES

 


1. Les abeilles sauvages, butineuses menacées

palmarès - par Lise Barnéoud dans mensuel n°483 daté décembre 2013 à la page 24 (1925 mots) | Gratuit
L'année 2013 signe leur revanche. Discrets et le plus souvent solitaires, les insectes pollinisateurs sauvages étaient jusqu'alors éclipsés par leur cousine domestique : l'abeille Apis mellifera, considérée comme la reine des butineuses et à ce titre vue comme un précieux auxiliaire agricole. En effet, nombreuses sont les plantes qui nécessitent, à des degrés divers, l'intervention d'insectes pour leur reproduction. Sans ces transporteurs de pollen, la plupart des fruits et légumes de nos contrées n'existeraient pas. Adieu également café, cacao, poivre ou encore vanille... Or, selon une étude internationale publiée en mars, cette distinction était largement usurpée : les abeilles sauvages (dont les bourdons), mais aussi certaines guêpes et mouches sont des pollinisateurs bien plus efficaces que l'abeille domestique [1].

De quoi réjouir les agriculteurs, confrontés à l'hécatombe de cette dernière (lire « Les abeilles domestiques s'effondrent », p. 27) ? Hélas, peut-être pas. Car la reconnaissance du rôle des pollinisateurs sauvages s'accompagne d'un signal d'alarme : eux aussi déclinent [2].

Et c'est plus qu'inquiétant puisque, comme l'a montré une troisième étude, la disparition de quelques espèces dans une zone donnée suffit parfois à diminuer la productivité des plantes [3].

Voilà des millénaires que l'homme n'en a que pour les abeilles mellifères, domestiquées dès l'Antiquité. Et pour cause : le miel qu'elles produisent en grandes quantités est l'aliment le plus concentré en sucres disponible à l'état sauvage. Reste qu'au-delà des sept espèces connues dans le monde (Apis mellifera étant la plus représentée d'entre elles), il existe environ 20 000 espèces d'abeilles sauvages, au mode de vie essentiellement solitaire, qui vivent cachées dans le sol, dans le bois, contre les murs ou les rochers. Mais aussi quelque 6 000 espèces de syrphes, petites mouches rayées qui se nourrissent de nectar, environ 5 000 espèces de guêpes, sans parler des papillons et même des fourmis qui passent de fleur en fleur.

Tous ces insectes, qui appartiennent à des groupes très différents, sont susceptibles de participer à la pollinisation des plantes en transportant les grains de pollen depuis les étamines (organe mâle) d'une fleur jusqu'au stigmate (organe femelle) d'une autre. Mais jusqu'alors, leur efficacité pollinisatrice n'avait fait l'objet que de rares études.

Tournesols, courges et amandiers
En 2006, un premier article avait montré que certaines cultures de tournesols produisaient jusqu'à cinq fois plus de semences lorsqu'elles étaient visitées par les abeilles domestiques et les abeilles sauvages [4]. Un constat complété en 2008 sur les cultures de courges puis d'amandiers : dans les deux cas, la présence d'abeilles sauvages permet d'augmenter le taux de fructification, c'est-à-dire le pourcentage de fleurs qui donnent des fruits. « Ces exemples individuels étaient intéressants, mais ils ne permettaient pas d'extrapoler à l'ensemble des cultures dites "entomophiles" qui dépendent des insectes pour leur pollinisation », retrace Bernard Vaissière, spécialiste de la pollinisation à l'Institut national de la recherche agronomique d'Avignon.

Mais en 2011, les résultats d'une première étude de plus grande envergure sont rendus publics. Coordonnée par Lucas Garibaldi et Alexandra-Maria Klein, respectivement de l'université de Rio Negro, en Argentine, et de l'université de Lunebourg, en Allemagne, cette étude a porté sur 369 parcelles et 21 cultures différentes dans 15 pays [5]. Les observations réalisées montrent que plus les cultures sont éloignées des zones naturelles telles que des forêts, des friches ou des prairies permanentes, plus le taux de fructification diminue. Or, cette diminution est corrélée à une baisse de la diversité des pollinisateurs sauvages dans les cultures en question. Ainsi, les champs situés à 1 kilomètre des zones sauvages possèdent une diversité en pollinisateurs environ 25 % plus faible et un taux de fructification inférieur de 9 % à celui des champs qui jouxtent ces milieux préservés, alors que le nombre d'abeilles mellifères qui les visitent est identique.

Déjà importants, ces résultats sont désormais surpassés par ceux que les deux scientifiques ont publiés en 2013. Avec leurs 48 coauteurs issus de 17 pays, ils ont cette fois observé 600 parcelles réparties sur les 5 continents, incluant 41 cultures différentes, c'est-à-dire la majorité des cultures entomophiles [fig. 1]. Les pratiques culturales étaient variées, allant de la monoculture intensive à la culture biologique. Et la moitié des parcelles étudiées était située à proximité de ruches, facilitant la comparaison entre les pollinisateurs sauvages et les abeilles domestiques.

Dans chacune de ces 600 parcelles, les observateurs ont compté le nombre d'espèces de pollinisateurs visitant les fleurs d'une plante ou, dans le cas des arbres fruitiers, d'une branche, sur un certain laps de temps (allant de quelques minutes à une heure). Ils ont alors constaté qu'en moyenne chaque parcelle est fréquentée par 9 espèces différentes d'insectes pollinisateurs. Essentiellement des abeilles (sauvages et/ou domestiques), mais aussi des syrphes, ainsi que quelques papillons ou guêpes. En termes quantitatifs, Apis mellifera est la plus représentée dans la plupart des parcelles.

Fructification accrue
Pour 32 cultures, ils ont ensuite mesuré le succès de ces visites en comptant le pourcentage de fleurs ayant produit des fruits ou des graines. Les résultats sont sans appel : lorsque les visites de pollinisateurs sauvages augmentent, le taux de fructification augmente aussi, quelle que soit la culture considérée. En revanche, en cas de visites plus nombreuses des abeilles domestiques, il n'augmente que pour 14 % des cultures. Plus frappant encore : l'augmentation de fructification induite par les pollinisateurs sauvages est deux fois plus élevée que celle induite par la butineuse domestique. Enfin, le taux de fructification maximum n'est atteint que lorsque ces parcelles sont visitées à de nombreuses reprises, à la fois par des pollinisateurs sauvages et par l'abeille mellifère.

« Il s'agit d'une étude majeure qui démontre clairement l'importance de ces insectes sauvages dans la pollinisation des cultures », juge Bernard Vaissière, qui regrette toutefois que les auteurs n'aient pas pris en considération les variétés des différentes espèces cultivées. « Le niveau de dépendance aux insectes peut énormément varier en fonction des variétés végétales », explique-t-il. « C'est exact, reconnaît Lucas Garibaldi. Mais nos résultats étant identiques quelles que soient les cultures, on peut penser qu'ils ne dépendent pas non plus du type de variétés utilisées. »

Quoi qu'il en soit, il y a désormais peu de doute que les insectes pollinisateurs sauvages, et surtout les abeilles sauvages, sont plus efficaces que leurs cousines domestiques pour induire une fructification. Comment cela se fait-il ? Les chercheurs ont mis en évidence un phénomène susceptible de l'expliquer, au moins en partie. Pour 14 cultures, ils ont mesuré le nombre de grains de pollen déposé sur un stigmate après la visite des différents insectes. Or, ils ont constaté que les abeilles mellifères déposent en moyenne plus de pollen que les abeilles sauvages. Ce qui veut dire qu'un même pollen est moins efficace en termes de fécondation lorsqu'il a été transporté par Apis mellifera, qu'après son transport par une abeille sauvage.

Pollen plus disponible
Pour Bernard Vaissière, cela viendrait du fait que les abeilles mellifères mélangent le pollen avec du miel dilué ou du nectar, suc produit par les glandes nectarifères situées à la base de certaines fleurs. « Ce mélange réduit la viabilité du pollen, estime-t-il. En revanche, à part les bourdons, la plupart des abeilles sauvages transportent majoritairement le pollen à sec, dans des brosses de poils situées au niveau des pattes postérieures ou de la face ventrale de l'abdomen. Il reste ainsi plus viable et disponible pour la pollinisation. »

Lucas Garibaldi, lui, privilégie une autre piste : le fait que les abeilles domestiques sont beaucoup plus fidèles que les abeilles sauvages à leur source de nourriture, allant jusqu'à privilégier une plante individuelle donnée, dans un champ donné. « Or, pour se reproduire efficacement, de nombreuses plantes nécessitent une pollinisation croisée, le pollen devant être transporté d'une plante vers une autre de la même espèce. Les abeilles sauvages procèdent bien davantage ainsi. »

Quelle que soit l'explication, les observateurs sont confrontés à un fait alarmant : tout comme les butineuses des ruches, les pollinisateurs sauvages déclinent de façon préoccupante. On s'en est d'abord rendu compte pour les bourdons. Aux États-Unis, 4 espèces ont décru en vingt ans, la diminution atteignant 96 % par endroits [6]. Et plusieurs dizaines d'extinctions de bourdons ont aussi été recensées localement en Europe [7].

Puis, début 2013, Laura Burkle de l'université Washington à Saint-Louis, dans le Missouri, a élargi ce constat. Après avoir étudié des parcelles de forêt de l'Illinois, aux États-Unis, et comparé ses observations avec des relevés effectués en ces mêmes lieux à la fin des années 1800 ainsi qu'en 1970, elle a conclu que la diversité des interactions entre plantes et insectes pollinisateurs avait diminué de moitié en l'espace de cent vingt ans. En se focalisant sur une seule espèce de plante, Claytonia virginica, petite fleur blanche très abondante au printemps, elle a découvert que ce déclin s'était en fait produit au cours des quarante dernières années. Et elle a aussi noté que chaque fleur recevait quatre fois moins de visites en 2010 qu'en 1970.

Butinage sélectif
Vu le nombre et la diversité des pollinisateurs sauvages, on aurait pu espérer que la disparition de quelques espèces n'ait pas d'impact notable sur la pollinisation. Las... L'étude publiée en août 2013 par Berry Brosi de l'université Emory, à Atlanta, et Heather Briggs de l'université de Californie montre qu'il en va tout autrement.

Les deux écologues ont d'abord délimité 20 parcelles, chacune de la taille d'un cours de tennis, dans des prairies des Rocheuses du Colorado. Ils ont ensuite déterminé quelles étaient les différentes espèces de pollinisateurs présentes. Puis, pour chaque parcelle, ils ont enlevé l'espèce la plus abondante (à chaque fois, une espèce de bourdon). Ils ont alors constaté que les pollinisateurs restants devenaient moins sélectifs. Plutôt que de butiner une seule espèce de plante, ils allaient se nourrir sur 4 ou 5 espèces différentes et en mélangeaient les pollens. Résultat : l'efficacité de la pollinisation s'en trouvait réduite, car la quantité de pollen spécifique déposé sur une plante donnée n'était pas suffisante [fig. 2]. Chez la fleur sauvage que les chercheurs avaient plus précisément choisi d'observer, Delphinium barbeyi, abondante sur le site, ils ont comptabilisé une diminution moyenne de 32 % du nombre de graines produites.

Au vu de ces résultats, il est d'autant plus important d'enrayer le déclin des abeilles sauvages afin de préserver leur apport. Comment ? « En conservant des zones naturelles intactes proches des cultures, en favorisant la diversification agricole et en évitant l'usage d'insecticides », suggèrent Lucas Garibaldi et ses coauteurs. Ce qui ne correspond pas vraiment à la tendance actuelle, qui prétend limiter l'érosion de la biodiversité, en préservant, certes, les dernières zones sauvages, mais en intensifiant les cultures. Quitte à ajouter quelques ruches pour « remplacer » les pollinisateurs sauvages.

Pratiques agricoles à réviser.
Publiée en juillet 2013, une étude financée par l'Union européenne dans le cadre du programme STEP (acronyme anglais de « situation et tendances des pollinisateurs européens ») confirme la nécessité de changer en profondeur les pratiques agricoles [8]. En comparant 71 sites de cultures et de prairies à travers l'Europe, ses auteurs montrent que la mise en place de pratiques agro-environnementales telles que la conservation des talus et des bosquets, la création de bandes fleuries ou encore un usage limité de produits phytosanitaires, augmente la richesse et l'abondance des pollinisateurs sauvages les plus communs.

Un avantage en termes de productivité agricole, certes, mais pas seulement. Car ces insectes ne butinent pas que nos plantes cultivées ! Au-delà de leur intérêt économique pour l'agriculture, les insectes pollinisateurs sont les véritables artisans de nos paysages puisque près de 80 % de notre flore en dépend. Sans eux, plus de couleurs éclatantes chaque printemps, plus d'odeurs enivrantes dans la garrigue, plus de framboises ni de mûres sauvages à déguster au détour d'un chemin. Un service inestimable, impossible à chiffrer.

Par Lise Barnéoud

 

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DÉVELOPPEMENT DU CERVEAU

 

L'ENFANT ET SON DÉVELOPPEMENT
La turbulente dynamique de la matière grise


l'enfant et son développement - par Arthur Toga, Paul Thompson et Elizabeth Sowell dans mensuel n°388 daté juillet 2005 à la page 42 (2718 mots) | Gratuit
Comment le cerveau se développe-t-il ? Jusqu'à quel âge ? Appliquée à l'enfant et à l'adolescent, l'imagerie par résonance magnétique révèle une maturation qui, loin d'être uniforme, s'effectue par vagues successives selon les zones du cerveau.

Qui dit développement, dit dynamique, mouvement, changement. Le développement du cerveau humain n'échappe pas à la règle. Le ballet cellulaire débute très tôt chez l'embryon. Dès le deuxième mois de grossesse, les cellules précurseurs des neurones prolifèrent de façon intensive dans une zone particulière du cerveau rudimentaire, puis migrent jusqu'à leur emplacement définitif. Arrivées là, elles commencent à se différencier, et émettent des prolongements en direction les unes des autres celles qui n'établiront pas de contacts mourront. À partir du sixième mois, les connexions entre neurones survivants se multiplient, et de nouvelles synapses se forment en abondance. Dans le même temps, les axones commencent à être recouverts d'une substance lipidique appelée myéline. Synthétisée par des cellules nommées oligodendrocytes, la myéline augmente la vitesse de conduction de l'influx nerveux le long de l'axone.

Vient la naissance, qui n'interrompt en rien ces processus. Le cerveau du nouveau-né - riche de 100 milliards de neurones environ - continue à grandir, sous le contrôle de certains gènes, mais aussi sous l'influence des stimulations externes, bien plus nombreuses que celles que recevait le foetus. Les dendrites des neurones prolifèrent, les synapses se multiplient. Mais ce foisonnement cède peu à peu la place à un processus d'élagage : certaines connexions sont conservées et renforcées, d'autres, éliminées, tandis que la myélinisation se poursuit. Le tout aboutit à la sélection d'un réseau de connexions certes privilégié, mais pas statique il est continûment remanié au cours de la vie de l'individu.

C'est en examinant sous le microscope des cerveaux provenant de spécimens autopsiés que l'Américain Peter Huttenlocher a pour la première fois, il y a vingt-cinq ans, mis en évidence cette succession d'étapes. Il devait également dresser un second constat : elle ne se déroule pas partout en même temps. Par exemple, dans le cortex visuel, le maximum de connexions advient aux alentours du quatrième mois après la naissance. Commence alors l'élagage, qui se poursuit jusqu'à l'âge préscolaire, où le nombre de connexions est alors grosso modo celui qu'aura l'adulte. Mais dans le cortex préfrontal médian, une aire du cerveau impliquée dans des fonctions cognitives supérieures, le maximum survient vers 3-4 ans seulement, et l'élagage n'est pas notable avant le milieu - voire la fin - de l'adolescence [1].

Examens sans risques

Ces données histologiques suggéraient que le développement du cerveau était un processus dynamique impliquant tant l'apparition que la disparition de certaines structures cellulaires. Problème : ces données étaient très fragmentaires. Et c'est là que l'imagerie par résonance magnétique nucléaire - l'IRM, encore dans sa prime enfance à l'époque des premiers travaux de Huttenlocher - s'est révélée précieuse. D'une part, elle permet d'explorer dans sa globalité, mais aussi dans sa diversité, le développement du cerveau de sujets vivants. La substance grise où se trouvent les corps cellulaires des neurones, les dendrites et les synapses se distingue clairement, sur les clichés, de la substance blanche les axones entourés de myéline. D'autre part, le fait qu'elle ne requière ni molécules radioactives ni exposition aux rayons X, permet de l'utiliser sans danger pour étudier le développement du cerveau de l'enfant.

Les premières études par IRM anatomique du cerveau d'enfants en bonne santé ont eu lieu à la fin des années quatre-vingt. Terry Jernigan et ses collègues, de l'université de Californie à San Diego, ont montré que chez les jeunes adultes la quantité de matière grise corticale était moindre que chez les enfants, bien que le volume de leur cerveau soit supérieur. Le volume global de matière grise semblait décliner après l'âge de 7 ans. Impossible cependant d'afficher une certitude : la croissance globale du cerveau résultant surtout de l'augmentation de substance blanche, il se pouvait très bien que le déclin de substance grise ne soit que relatif. Jernigan et ses collaborateurs devaient ensuite montrer que cette diminution n'avait pas lieu partout au même moment. Elle se produisait d'abord dans les ganglions de la base lire « Variations sous le cortex », p. 45 durant la prime enfance, puis dans les lobes pariétaux et frontaux à la puberté [2]. Quand bien même l'IRM était impuissante à déterminer la densité des synapses, c'était tout de même les premiers indices in vivo venant appuyer les découvertes post mortem de Huttenlocher.

Pour les spécialistes de biologie du développement, l'objectif suivant était bien défini : créer des cartes tridimensionnelles plus précises du cerveau en train de grandir et de mûrir. La méthode utilisée au début des années quatre-vingt-dix consistait à subdiviser le cerveau en différentes régions anatomiques, et de mesurer le volume de chacune de ces régions et ses variations au cours du temps. Malheureusement, le traitement des données impliquait de dessiner à la main les régions en question sur les clichés obtenus. Aussi quelques équipes, dont la nôtre, ont-elles entrepris de développer l'identification automatique des structures cérébrales. À partir de 1999, nous avons commencé à construire des cartes tridimensionnelles des structures cérébrales en développement, l'usage d'un code couleur nous permettant de visualiser, par exemple, les variations de matière grise chez les enfants, les adolescents et les adultes. À l'heure actuelle, nous parvenons même à présenter les données sous forme de courts films qui compactent les données acquises sur plusieurs années [3].

Bien que quelques chercheurs se soient intéressés aux structures de matière grise non corticales enfouies dans le cerveau lire « Variations sous le cortex », p. 45, la plupart des travaux de cartographie du cerveau en développement portent sur le cortex. À cela, une raison simple : il est le siège de fonctions aussi importantes et diverses que la vision, l'audition, le langage, ou encore la planification des actions.

Dans un premier temps, la plupart des études avaient pour objectif de voir s'il existait des différences statistiquement significatives entre enfants en bonne santé et enfants souffrant de troubles neuropsychiatriques citons, par exemple, la schizophrénie. Mais ces études ont aussi largement contribué à une meilleure connaissance du développement normal du cerveau. En effet, la plupart des anomalies détectées par IRM chez des enfants atteints de troubles du développement ne sont pas flagrantes. En d'autres termes, il est impossible de les détecter si l'objet de l'étude est un seul et unique sujet. Le seul moyen de les mettre en évidence est de comparer un groupe d'enfants atteints de tel ou tel trouble à un groupe d'enfants indemnes, et de voir s'il existe des différences statistiquement significatives entre ces deux groupes. Et les enfants « témoins » permettent aussi de dégager des conclusions quant au développement normal.

En 1992, par exemple, Judith Rapoport et son équipe du National Institute of Mental Health NIMH, à Bethesda, ont suivi, pendant cinq ans, 50 adolescents développant une schizophrénie infantile et, à titre de groupe contrôle, plus de 300 adolescents en bonne santé. C'est ensuite notre équipe qui a analysé les données [4]. Résultat ? Chez les adolescents en bonne santé, la substance grise diminue faiblement dans le cortex pariétal 1 ou 2 % par an, tandis qu'aucun changement n'est nettement perceptible dans les autres lobes. En revanche, chez les patients, nous avons détecté une perte rapide de substance grise dans le cortex supérieur frontal et dans le cortex temporal. Cette perte atteint 3 ou 4 % dans certaines sous-régions. La diminution de matière grise débute en fait dans les régions pariétales du cortex impliquées dans le langage et les associations d'idées. Elle s'étend ensuite vers les lobes temporaux et vers le cortex moteur supplémentaire. Cette évolution correspond aux troubles neuromoteurs et sensoriels caractéristiques de la maladie.

L'étape de l'adolescence

Ce type de résultats a souligné l'importance de mieux étudier le développement normal en tant que tel, et des études longitudinales ont été lancées dans cette seule intention. Leurs résultats remettent parfois en question certaines des conclusions antérieures établies sur la base d'études transversales c'est-à-dire où les données correspondant à des âges différents sont obtenues chez des personnes différentes. Par exemple, les données, publiées en 1999 par Jay Giedd, ses collègues du National Institute of Mental Health et des collaborateurs du Montreal Neurological Institute [5], ont dépeint un tableau partiellement différent de celui présenté par Terry Jernigan au début des années quatre-vingt-dix. Leurs travaux, qui portaient sur la croissance des lobes du cerveau entre 4 et 22 ans, ont confirmé l'augmentation linéaire de substance blanche jusqu'à l'âge de 20 ans. En revanche, ils ont montré des changements non linéaires de la substance grise : elle augmente durant la préadolescence, avec un maximum à environ 12 ans pour le lobe frontal et le lobe pariétal, et à 16 ans pour le lobe temporal. C'est après seulement qu'elle commence à diminuer.

Quelle conclusion en tirer quant aux mécanismes sous-jacents ? Il est difficile d'émettre autre chose que des hypothèses. L'IRM permet certes de mesurer les changements de densité et de volume des structures cérébrales, mais sa résolution est trop faible pour caractériser les mécanismes cellulaires correspondants. De plus, le volume de substance grise ne reflète pas seulement les modifications qui affectent les neurones, mais aussi celles qui touchent les autres cellules du cerveau les cellules gliales, et les vaisseaux sanguins. Tout ce que l'on peut dire, c'est que les changements observés par l'équipe de Giedd sont corrélés aux données post mortem indiquant un accroissement de l'élagage des connexions au cours de l'adolescence et de l'entrée dans la vie adulte, et qu'ils soulignent l'importance de cette période dans le développement du cerveau.

Scanné tous les deux ans

Par ailleurs, il était impossible d'extraire de cette étude des informations pertinentes quant à la géographie précise de l'évolution de la substance grise, étant donné que les lobes y étaient chacun considérés dans leur globalité. En 2004, en revanche, nous avons produit, en collaboration avec cette même équipe du NIMH, une carte montrant point par point l'évolution de l'épaisseur du cortex entre 4 et 21 ans [6]. Nous l'avons construite à partir de séries de clichés d'IRM obtenus chez treize enfants recrutés au NIMH au début des années quatre-vingt-dix, et suivis ensuite pendant plusieurs années : chacun des enfants a été scanné tous les deux ans pendant huit ou dix ans, tout en faisant l'objet, à chaque session, d'un entretien visant à s'assurer qu'il ne souffrait d'aucun trouble psychologique.

Cette étude est la première à visualiser l'évolution du cortex sous forme de film [fig. 1]. Dans ses grandes lignes, elle montre que l'amincissement de la substance grise a d'abord lieu, entre 4 et 8 ans, dans les régions du cortex moteur et du cortex somato-sensoriel situées à proximité du sillon séparant les deux hémisphères cérébraux, ainsi qu'au pôle postérieur et au pôle antérieur du cerveau. Autrement dit, les premières régions qui mûrissent sont celles où s'effectue l'intégration primaire des données sensorielles et motrices. Aux alentours de la puberté, soit vers 11 à 13 ans, la diminution de substance grise progresse dans le cortex pariétal - zone impliquée dans l'orientation spatiale et la maîtrise du langage. À la fin de l'adolescence, c'est le cortex préfrontal qui s'affine, autrement dit la zone où sont gérées nombre de fonctions cognitives supérieures, par exemple les capacités de raisonnement. La dernière région concernée par le processus est la partie moyenne et supérieure du cortex temporal. Il est possible que cela traduise la croissance continue de l'hippocampe enfoui au creux du cortex temporal l'hippocampe est une structure impliquée entre autres dans les processus de mémorisation. On notera, non sans intérêt, que le même type de suivi appliqué à des patients atteints de la maladie d'Alzheimer montre une séquence antagoniste [7] : les régions qui se développent le plus tôt chez l'enfant celles qui contrôlent la vision et les sensations sont épargnées jusqu'au stade ultime de la maladie ; celles qui se développent en dernier chez l'enfant sont les premières à dégénérer chez les patients.

Au vu de ces résultats, on s'interroge bien évidemment sur le lien entre l'affinement du cortex et les changements cognitifs que l'on observe au cours de l'enfance et de l'adolescence. Là encore, l'IRM anatomique a son mot à dire - ainsi que l'IRM fonctionnelle lire « La cognition en images », p. 48. Des résultats publiés en 2004, et obtenus sur un groupe de 45 enfants scannés deux fois à deux ans d'intervalle entre 5 et 11 ans, ont montré une corrélation entre l'amincissement du cortex frontal et pariétal gauche et des performances accrues dans l'exécution d'un test de maîtrise verbale [8]. D'après ces données, il semble raisonnable de spéculer mais seulement spéculer que l'évolution du cortex est effectivement liée aux changements cognitifs.

Inné et acquis

Quels sont les paramètres qui régissent ce développement ? Autrement dit, quelle est la part respective de la génétique et de l'environnement dans l'évolution du cerveau ? Afin d'apporter quelques éléments de réponse à ce débat sur l'inné et l'acquis, nous avons mis à profit l'IRM pour étudier des jumeaux.

En la matière, la base de données la plus connue - et utilisée dans diverses études épidémiologiques - est le registre finlandais des jumeaux, qui répertorie tous les jumeaux nés en Finlande depuis 1940. Nous avons donc songé à l'utiliser pour explorer quelles sont les régions du cerveau qui se développent sous un contrôle génétique strict, et quelles sont celles qui sont plus sensibles aux influences extérieures [9]. Certes, des jumeaux avaient déjà été étudiés par IRM avant que nous nous lancions dans cette étude. Il en était ressorti des ressemblances plus marquées chez les vrais jumeaux que chez les faux. Nous avions l'ambition d'aller plus loin dans la description des structures « héritables ».

En deux mots : Précieux outil que l'imagerie par résonance magnétique : ne requérant ni molécules radioactives, ni rayons X, elle peut être utilisée sans danger avec des enfants. Il y a quinze ans, débutaient les premières études sur le développement du cerveau. À l'époque, il s'agissait surtout d'étudier les troubles pathologiques tels que l'autisme ou la schizophrénie. Cet objectif est toujours d'actualité, mais le développement du cerveau normal est aussi devenu un objet d'étude. Résultat : l'IRM anatomique présente un panorama de plus en plus détaillé de l'évolution du cortex cérébral. Elle montre qu'en matière de développement du cerveau tout ne se joue pas pendant la prime enfance. Des changements ont lieu à l'adolescence, et même après.

Nous avons sélectionné quarante adultes en bonne santé à partir d'une cohorte comprenant toutes les paires de jumeaux de même sexe nés entre 1940 et 1957, dont chacun des membres vivait encore en Finlande. Notre panel consistait en dix paires de vrais jumeaux et dix paires de faux jumeaux, avec cinq paires d'hommes et cinq paires de femmes dans chaque groupe. Nous avons scanné tous les sujets, construit des cartes tridimensionnelles de la substance grise corticale, et confronté, paire par paire, les cartes de vrais jumeaux et celles de faux jumeaux. Nous avons ensuite estimé le degré de similarité au sein de chaque paire, et entre les paires. Le résultat le plus net a concerné le cortex frontal : le volume de substance grise est plus étroitement apparié chez les vrais jumeaux que chez les faux. Ainsi, il semble que le développement de cette partie du cortex, impliquée dans le contrôle du comportement, soit plus étroitement sous contrôle génétique que d'autres régions, par exemple, celles impliquées dans la mémorisation et l'apprentissage. Des études longitudinales de jumeaux enfants ou adolescents pourraient à l'avenir permettre de tester cette hypothèse.

Imagerie fonctionnelle

On le voit, les apports de l'IRM à l'étude du développement neurocognitif sont multiples. Néanmoins, les résultats obtenus jusque-là ne doivent pas masquer plusieurs limitations. Certaines sont techniques. Étant donné les prérequis statistiques de l'analyse des données, il est par exemple nécessaire d'avoir des échantillons de grande taille. D'autres relèvent de la nécessaire prudence dans l'interprétation de certaines données. La question clé est : que signifient les changements que l'on observe dans telle ou telle partie du cerveau ? À l'heure actuelle, l'IRM ne nous permet pas d'accéder aux causes cellulaires de ces changements, et nous sommes loin, en la matière, de pouvoir nous affranchir des données post mortem. En revanche, il est très probable qu'elle nous permettra de mieux comprendre le lien entre le développement des structures cérébrales et le développement cognitif - et de mieux comprendre également l'évolution de certaines pathologies. Et ce, qu'il s'agisse de l'IRM anatomique, ou d'autres techniques déjà utilisées chez l'adulte et qui commencent à l'être chez l'enfant, comme l'IRM fonctionnelle.

Par Arthur Toga, Paul Thompson et Elizabeth Sowell

 

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SANG CHAUD , SANG FROID ...

 

Sang chaud, sang froid ? Des indices dans la coquille des œufs de dinosaures
Joël IgnassePar Joël Ignasse

En analysant les éléments qui constituent la coquille des œufs, il est possible de déterminer la température interne de la mère durant leur formation. La technique a été employée pour deux espèces de dinosaures.
Un oeuf de titanosaure. Gerald Grellet-TinnerUn oeuf de titanosaure. Gerald Grellet-Tinner


ŒUFS. Depuis plus d’un siècle les paléontologues débattent de la question de la température corporelle des dinosaures. Etaient-ils des créatures à sang froid ou à sang chaud ? La question est importante car la réponse permettra de mieux appréhender le comportement des géants du Jurassique et du Crétacé, la température du corps influençant sur le niveau d’activité. Cette nouvelle étude, publiée par la revue Nature Communications, ne permet pas de trancher complètement le débat mais elle offre pour la première fois la possibilité de déterminer la température interne de deux espèces de dinosaures grâce à l’étude de la coquille de leurs œufs.

Un système thermique probablement mixte

Les coquilles d’œufs sont formées en grande partie de carbonate de calcium qui contient deux isotopes rares et lourds, le carbone 13 et l’oxygène 18. Ces deux éléments peuvent se lier et le nombre de liaison est fonction de la température de formation des minéraux. Les œufs formés dans un organisme à sang froid présentent le plus grand nombre de liaisons 13C- 18O. En analysant les œufs de 13 espèces d’oiseaux et de neufs reptiles, Robert Eagle de l’université de Californie-Los Angeles et son équipe ont pu dresser une sorte de tableau associant la mesure des liaisons isotopiques et une approximation de la température autour de l’œuf en construction. La coquille étant formée au cœur de l’organisme des femelles, cela procure une bonne estimation de la température interne. Ils ont appliqué leur méthode sur des œufs de titanosaures découverts en Argentine, datés de 80 millions d’années et sur ceux de théropodes, des dinosaures plus petits et dont les oiseaux sont de lointains descendants, ramassés dans le désert de Gobi, en Mongolie, vieux de 71 à 75 millions d’années.

ENDOTHERMES. Les calculs indiquent que les titanosaures avaient une température d’environ 37,7°c tandis que les théropodes eux étaient moins « chauds », avec une température corporelle probablement inférieure à 32,2°c. Les chercheurs ont aussi évalué la température ambiante de l’environnement dans lequel les théropodes sont morts : à l’époque le thermomètre atteignait en moyenne 26,11°c. « Les températures du corps des théropodes étaient plus élevées que les températures environnementales - ce qui suggère qu'ils ne sont pas vraiment des créatures à sang froid, mais plutôt des animaux intermédiaires », a déclaré Aradhna Tripati, co-auteur de l’étude. Pour les sauropodes, la température de leur milieu naturel n’a pas été calculé mais les chiffres indiquent qu’ils étaient probablement endothermes, à sang chaud. Concernant les théropodes, les scientifiques envisagent une physiologie mixte : « quelque part entre les alligators ou les crocodiles modernes et les oiseaux modernes. Cela pourrait signifier qu'ils produisaient un peu de chaleur interne mais ne maintenaient pas des températures aussi élevées ou des températures aussi contrôlées que les oiseaux modernes. Mais s’ils étaient même à un petit degré endothermiques, ils avaient plus de capacités à courir à la recherche de nourriture que les alligators modernes  » précise Robert Eagle. Il faudra calculer la température corporelle de plusieurs autres espèces pour mieux comprendre les différentes physiologies en cours chez les dinosaures. La méthode exposée dans cette étude le permettra et clôturera enfin un débat séculaire et en plus sans fâcher personne puisque ces résultats tendent à prouver que les dinosaures étaient probablement à sang froid et à sang chaud.

LEXIQUE : Homéotherme, ectotherme, ou poïkilotherme…
On désigne communément les mammifères et les oiseaux par l’expression «animaux à sang chaud»; tandis qu’on qualifie les reptiles ou les amphibiens d’  «animaux à sang froid». Plus précisément, les animaux qui contrôlent leur température corporelle par un mécanisme interne sont dits endothermes. Généralement ils sont aussi homéothermes : leur température est stable. A l’inverse, ceux qui dépendent de l’environnement pour leur température sont dits ectothermes et souvent ils sont aussi poïkilothermes : leur température connaît d’importantes variations


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LA MICROFLUIDIQUE

 


 

 

Paris, nouveau pôle mondial de la microfluidique
Olivier Hertel

Publié le 01-09-2014 à 18h40

La mairie de Paris a officiellement lancé les travaux qui feront de l’Institut Pierre-Gilles de Gennes un centre de recherche unique au monde en microfluidique.
Les fluides contenant les gouttelettes d’échantillons à analyser sont injectés dans la plaque de microfluidique. © Bernard Martinez pour Sciences et AvenirLes fluides contenant les gouttelettes d’échantillons à analyser sont injectés dans la plaque de microfluidique. © Bernard Martinez pour Sciences et Avenir


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MICROFLUIDIQUE. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a officiellement lancé ce lundi 1er septembre les travaux qui feront de l’institut Pierre-Gilles de Gennes (IPGG) un centre de recherche unique au monde en microfluidique. À la rentrée 2015, l’IPGG regroupera 14 équipes de recherche de l’Ecole Supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI ParisTech), l’ENS, l’Institue Curie et l’ENSCP. Soit quelque 140 chercheurs sur une plate-forme technologique de 5.900 mètres carrés.

Mais qu'est-ce que la microfluidique ? Et en quoi cette discipline est en passe de révolutionner la fabrication des médicaments ? Sciences et Avenir s'est rendu dans les locaux de Hifibio, une start-up fondée au sein de l'ESPCI ParisTech, il y a tout juste un an.

HIFIBIO. Au premier coup d’œil, la plaque, hérissée de minuscules tuyaux, semble parfaitement transparente. Mais quand Annabelle Gérard, chercheuse responsable des essais chez Hifibio, l’oriente vers la clarté d’une fenêtre et l’incline du bout des doigts, dans un sens puis dans l’autre, le regard perçoit de petites "nervures" régulières sur la surface. Celles-ci dessinent des formes géométriques étranges, plus ou moins complexes.

Ces nervures sont en fait de minuscules canaux, d’un diamètre de l’ordre du micromètre (0,001 millimètre, 100 fois plus fin qu’un cheveu), qui, par endroits, cheminent entre une paire d’électrodes. Dans ce réseau microscopique dessiné avec précision, toutes sortes de fluides — comme de l’eau ou encore de l’huile — circulent habituellement, entrant et sortant par les petits tuyaux qui dépassent de la plaque. Ces fluides charrient cellules, bactéries, molécules et autres "bizarreries" de biologistes, encapsulées dans des gouttelettes.

Quant aux électrodes, leurs décharges, parfaitement contrôlées, influencent le comportement des gouttelettes : elles les dévient vers un canal adjacent lorsqu’il faut les trier, elles les éclatent pour récupérer leur contenu, les fusionnent, etc. Tout devient possible.

Et cette technologie pourrait bien révolutionner l’industrie pharmaceutique et la recherche de nouveaux médicaments.

Nous pouvons tester des molécules 10.000 fois plus vite et pour 10.000 fois moins cher

Ce petit monde de manipulations microscopiques est celui de la "microfluidique", la spécialité de Hifibio. Cette start-up a été fondée il y a tout juste un an au sein de l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI ParisTech). Mais elle attire déjà de grands laboratoires pharmaceutiques, qui depuis quelques années peinent à mettre sur le marché de nouveaux traitements vraiment efficaces. Aucun depuis trois ans, selon la revue médicale indépendante Prescrire. D’où la recherche d’innovations à tout prix.

Certes, des techniques robotisées dites de screening à haut débit permettent déjà d’effectuer des milliers de tests quotidiens afin de débusquer de nouveaux médicaments parmi les millions de molécules conservées dans les chimiothèques des laboratoires, et pour la plupart extraites du monde vivant.

Mais le savoir-faire d’Hifibio promet de les faire changer de vitesse. "Avec notre approche, nous pouvons tester quelques dizaines de milliers de molécules candidates en quelques heures contre quelques milliers par jour avec les techniques actuelles", explique Annabelle Gérard. "Nous sommes à peu près 10.000 fois plus rapides... et 10.000 fois moins cher", poursuit Jérôme Bibette, physicien à l’ESPCI et cofondateur d’Hifibio avec Andrew Griffiths. L’entreprise vient d’ailleurs de signer avec une société pharmaceutique un contrat de 5,5 millions d’euros pour réaliser des essais. "Et nous sommes en discussion avec d’autres industriels", assure Jérôme Bibette.

C’est la seule entreprise au monde à réaliser ces tests

Grâce à sa maîtrise de la microfluidique, Hifibio est la seule entreprise au monde à réaliser ces tests à l’échelle d’une cellule unique. L’intérêt : sélectionner la meilleure, celle qui produira par exemple l’arme la plus efficace contre un virus, une bactérie ou une tumeur. Pour comprendre, prenons un cas concret : un industriel cherche une molécule capable de neutraliser un virus.

Première étape, il inocule le virus à un lapin. Les cellules du système immunitaire de l’animal — les lymphocytes B — réagissent en produisant des anticorps. Ceux-ci se combinent alors à des molécules spécifiques du virus, présentes à sa surface, appelées antigènes.

Par la suite, le virus sera aussitôt reconnu par les anticorps grâce à ses antigènes, pour être neutralisé voire détruit par l’organisme. Mais certains lymphocytes B, ayant une plus grande affinité avec les antigènes, produisent de meilleurs anticorps. Et c’est justement cette "élite" qu’Hifibio est capable d’identifier. Après l’infection d’un lapin, les scientifiques de la petite entreprise française lui prélèvent du sang pour récupérer les lymphocytes B. Ils placent les cellules dans une solution nutritive puis les envoient dans un canal de la plaque de microfluidique. Ce canal va en croiser un autre dans lequel circule une huile avec un débit contrôlé. Les deux fluides ne pouvant se mélanger, l’huile va alors former une pellicule encapsulant une cellule unique avec un peu de son liquide nutritif.

Par cette manipulation, chaque gouttelette devient un milieu d’essai avec son lymphocyte B qui produira ses propres anticorps après quelques jours d’incubation. Ne reste plus aux chercheurs qu’à introduire les antigènes du virus cible et à détecter, au moyen d’un système optique, le lymphocyte B qui produit les anticorps les plus efficaces. Ils peuvent alors séquencer le gène à l’origine de cet anticorps idéal et produire ainsi en masse cette précieuse molécule thérapeutique.

Le procédé est exécuté à grande vitesse

Tout le procédé est bien sûr automatisé et exécuté à très grande vitesse à travers les canaux des petites plaques de microfluidique. Il permet de sélectionner ce que produit de mieux un individu (un lapin, une souris, un homme) pour se défendre contre un agent pathogène en peu de temps.

Mais en étendant le procédé à toute une population, il est aussi possible de sélectionner de la même manière l’individu dont les cellules produisent le meilleur anticorps. Ainsi, pour prendre l’exemple du sida, on sait que certaines personnes sont naturellement résistantes au virus. En sélectionnant celles qui le sont le plus, les chercheurs pourraient espérer trouver parmi elles la ou les cellules qui produisent les meilleures armes pour combattre le virus.

À condition, bien sûr, de connaître la cause de cette résistance. Pour Jérôme Bibette, le principe est finalement assez simple : "La nature dispose d’à peu près toutes les solutions à tous les problèmes !" À nous de trouver ces solutions.

NUMÉRIQUE. Cet article est extrait de Sciences et Avenir n°810. Le magazine est disponible à l'achat en version numérique via l'encadré ci-dessous.


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