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LE PÉROU |
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Pérou : histoire
1. Les premières civilisations
1.1. 22 000-4000 avant J.-C.
Le pays présente trois régions bien différenciées : la côte, les hautes terres et la forêt. Les mieux connues, du point de vue archéologique, sont les deux premières, plus favorables, grâce aux conditions climatiques, à la conservation des vestiges. La côte et les hautes terres se divisent en trois secteurs : Nord, Centre et Sud.
Les plus anciennes datations remontent à 22 000 ans et correspondent aux sites de la vallée d'Ayacucho, Toquepala et Lauricocha, dans les hautes terres, où d'autres sites se situent aux environs de 7 500 ans avant J.-C. Ce sont surtout des grottes et des abris, où on a trouvé des peintures rupestres et un outillage en os et en pierre, attribué à des chasseurs.
Sur la côte, habitée par des pêcheurs sédentaires, apparaissent, entre 5000 et 4000 avant J.-C., des plantes cultivées : haricot, courge et coton. Dans les hautes terres, à la même époque, on cultive le quinoa (graminée comestible) et des cucurbitacées et on élève des animaux comme le cochon d'Inde et peut-être le lama. Cependant, la chasse, la pêche et la cueillette constituent encore des activités importantes.
1.2. 1800-200 avant J.-C.
Vers 1800 avant J.-C. débute, dans les Andes centrales, la période formative (1800-200 avant J.-C.), et sur la côte centrale ainsi qu'à Kotosh apparaît la céramique ; dans les autres régions du Pérou, elle est plus tardive. Le tissage sur métier date de la même époque, caractérisée aussi par la construction de centres cérémoniels.
1.3. Les cultures Chavin, Moche, Recuay
Au xe siècle avant J.-C., s'épanouit la culture Chavin, probablement associée à un culte du félin. Le style de Chavin se diffuse rapidement sur un vaste territoire, influençant des manifestations locales, comme celles de Paracas, sur la côte sud.
Vers 200 avant J.-C., au début de la première période intermédiaire (200 avant J.-C.-600 après J.-C.), l'influence unificatrice de Chavin s'estompe, et des cultures locales se développent : Moche (côte Nord), Nazca (côte Sud), Lima (côte centrale), Recuay (côte et hautes terres du Nord). L'artisanat atteint alors un grand développement artistique et technique, surtout la poterie et le tissage. La guerre permet aux différents États de gagner de nouvelles terres cultivables, nécessaires pour nourrir une population de plus en plus nombreuse.
1.4. Huari et Tiahuanaco
Vers les années 600 ou 700 de notre ère, selon les régions, les cultures régionales disparaissent et commence l'expansion Huari-Tiahuanaco. Les influences de cette civilisation vont s'étendre sur la plus grande partie de la côte et des hautes terres du Pérou, ainsi qu'au nord du Chili et au nord-ouest de l'Argentine. C'est une époque de grand développement urbain, comme en témoignent les villes de Huari (Pérou) et de Tiahuanaco (Bolivie).
1.5. La période 1200-1400
Elles existaient déjà à la période précédente, mais sans atteindre une dimension aussi considérable. Vers l'an 1000, l'influence Huari-Tiahuanaco disparaît et, entre 1200 et 1400, s'épanouissent des États régionaux, toujours désireux d'expansion, comme le royaume chimú (côte Nord) ou celui de Chincha (côte Sud) ; la culture Chancay (côte centrale) date de la même époque. Des styles locaux fleurissent, mais ils n'ont pas la même qualité que ceux de la première période intermédiaire ; la poterie, en particulier, est fabriquée massivement dans des ateliers. L'orfèvrerie, par contre, est remarquable, comme l'atteste la célébrité des orfèvres chimús auprès des Incas.
1.6. L'Empire inca
L'expansion des Incas commence en 1438 avec Pachacutec, qui entreprend la conquête de vastes territoires. En 1490, l'empire s'étend depuis la frontière entre l'Équateur et la Colombie jusqu'au fleuve Maule, au Chili ; les hauts plateaux boliviens et le nord-ouest de l'Argentine lui sont également rattachés. Mais la conquête espagnole va mettre fin au premier grand empire de l'Amérique préhispanique.
Pour en savoir plus, voir l'article Empire inca.
2. La conquête espagnole (1525-1555)
Francisco Pizarro
À la mort de Huayana Cápac (vers 1525), qui a divisé ses États entre ses deux fils, Atahualpa (Quito) et Huáscar (Cuzco), la guerre civile ravage l'Empire inca. Depuis Balboa, les Espagnols de Panamá connaissent l'existence d'un pays riche en or, situé plus au Sud, et certains vont explorer le littoral.
Trois Espagnols, Francisco Pizarro, Diego de Almagro et Hernando de Luque, s'associent à Panamá pour tenter l'aventure. Après une première tentative infructueuse où ils touchent à Guayaquil, ils reviennent en 1529, Charles Quint ayant nommé Pizarro gouverneur et capitaine général d'une Nouvelle-Castille qui reste à cerner et à conquérir. Ils y débarquent en 1531 avec 180 hommes et 27 chevaux, et, le 15 novembre 1532, après une longue marche, arrivent à Cajamarca, où Atahualpa, pris par la guerre civile contre son frère et entouré d'une armée de 40 000 hommes, laisse venir cette poignée d'inconnus. L'Inca est fait prisonnier par Pizarro, qui entre peu après à Cuzco.
Dans la guerre civile inca, Pizarro s'allie aux partisans de Huáscar, qui vient d'être exécuté sur ordre de son frère ; les ethnies du Sud, récemment conquises – les Kañaris surtout –, se joignent à lui contre les Incas, et la promesse de leur libération provoque le soulèvement des serfs, ou yanaconas.
L'exécution d'Atahualpa par Pizarro (août 1533), malgré le versement d'une rançon fabuleuse et son baptême, scelle l'union de Pizarro et de ses alliés indigènes.
Pizarro exerce alors le pouvoir à travers un groupe d'Incas fantoches et commence à organiser la présence espagnole avec la fondation des villes, dont Lima – la « cité des rois » –, créée en 1535, dont il fait la capitale. Les rivalités entre conquistadores pour le partage du butin commencent et seul le départ d'Almagro pour le Sud et pour le Chili empêche le conflit. La révolte indienne éclate en 1533 : l'Inca Manco Cápac II réussit à s'évader et revient avec une énorme armée, levée dans le Yucay, assiéger Cuzco, où 200 Espagnols résistent pendant plusieurs mois à 50 000 Indiens. Le retour d'Almagro en 1537 sauve les Espagnols, et Manco doit se retirer aux lointaines Andes de Vilcabamba, où il reconstitue un État néo-inca à Vitcos, dont la résistance ne finit qu'avec la capture et l'exécution de l'Inca Túpac Amaru Ier (1572).
La victoire de 1537 et la déception face à un Chili pauvre et difficile ouvre le cycle des guerres civiles entre les conquistadores du Pérou, où périssent Almagro et Pizarro, les chefs des deux partis opposés, qui s'affrontent dans une série de guerres où interviennent aussi les Incas (1537-1544).
La promulgation en 1542 des « Nouvelles Lois » par Charles Quint, pour protéger les Indiens des excès des conquistadores, va de pair avec la nomination d'un vice-roi, Nuñez de Vela, pour imposer l'autorité royale. La tentative de faire appliquer ces lois au Pérou provoque la révolte des Espagnols. La guerre dure dix ans (1544-1554) et connaît des épisodes multiples, depuis la mort du vice-roi sur le champ de bataille d'Añaquito (1542) jusqu'à la sécession de Gonzalo Pizarro, qui se déclare indépendant de l'Espagne, et qui n'est vaincu et exécuté qu'en 1548 par le vice-roi Pedro de La Gasca. Ce n'est qu'avec la défaite du dernier pizarriste, Hernández de Girón, en 1554, et l'arrivée à Lima comme vice-roi d'Andrés Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete, en 1555, que finit la grande période de troubles.
3. L'époque coloniale (1555-1781)
3.1. La vice-royauté du Pérou
Le système colonial
Le système colonial, élaboré par le marquis de Cañete (1556-1561), est organisé par le vice-roi Francisco de Toledo (1569-1581), qui copie l'organisation inca ; les Indiens restent groupés en communautés agricoles ; les unes sont placées sous la tutelle (encomienda) du conquérant qui les exploite ; les autres s'acquittent envers l'autorité publique du tribut et de la mita (corvée instituée par les Incas), bien que celle-ci fasse fuir de nombreux habitants vers Lima ou la plaine côtière.
La noblesse inca s'intègre, en gardant une certaine spécificité, à l'aristocratie coloniale, et maints chefs inférieurs, les caciques, servent d'intermédiaires entre les communautés indigènes et l'administration espagnole. Il faudra un long effort des religieux pour rattacher les Indiens à la culture chrétienne.
Commerce et exploitation des mines
Les colons espagnols introduisent sur les premiers plateaux des Andes l'olivier, le blé et la vigne, font venir des esclaves pour les plantations de canne à sucre fondées sur la côte ; enfin, ils achètent des produits tinctoriaux, des meubles, des ornements ecclésiastiques, des textiles mexicains, etc.
Mais la grande richesse du Pérou provient de son sous-sol. La mine de mercure de Huancavelica permet l'amalgame de l'argent au Mexique (1567), puis au Pérou lui-même (peut-être dès 1572, au plus tard en 1585).
Le gisement d'argent de Potosí, découvert en 1545, domine la production mondiale jusqu'au xviiie siècle, et alimente pour une très large part les courants commerciaux qui, depuis El Callao, se dirigent vers les isthmes de Panamá (route principale) et de Tehuantepec (ports de Huatulco, puis, après le milieu du xvie siècle, de Navidad) et vers le Río de la Plata. Cet argent, qui à la fois soutient et perturbe l'économie de la métropole et de l'Europe entière, enrichit la société coloniale. Mais, après avoir atteint son apogée entre 1610 et 1630, la production d'argent de Potosí s'effondre rapidement du fait de l'épuisement des filons les plus accessibles, de l'inadaptation technique de l'exploitation et de la fuite de la population indienne vers la côte, les plantations et les villes (surtout Lima), où la mita n'existe pas ; l'apparition d'un salariat n'enraye pas ce processus, la population diminuant d'ailleurs globalement jusqu'à la fin du xviie siècle, après la période catastrophique de 1525 à 1600, qui voit passer la population d'environ 10 millions d'habitants à 1 million.
Quand la reprise démographique se fait sentir au xviiie siècle, Potosí ne se réveille pas, d'autant moins qu'entre-temps les relations avec la métropole par le Pacifique et l'isthme de Panamá se sont interrompues et que le seul lien subsistant avec l'Espagne est la longue et dangereuse route de Buenos Aires.
Les audiencias
Isolée de l'Europe, l'immense vice-royauté du Pérou, qui s'étend en fait sur toute l'Amérique du Sud et est divisée en sept audiencias (Panamá, Santa Fe de Bogotá, Quito, Lima, Charcas, Chili et Buenos Aires), se réduit peu à peu au territoire actuel : la vice-royauté de Terre-Ferme ou de Nouvelle-Grenade (1718), définitivement organisée en 1740, lui enlève le Venezuela, la Colombie et l'Équateur actuels ; en 1776, la création de la vice-royauté de La Plata (Argentine, Uruguay, Paraguay) lui ôte même l'audiencia de Charcas (haut Pérou, l'actuelle Bolivie).
L'insurrection de Túpac Amaru II
Enfin, la capitainerie générale du Chili, créée en 1778, a une certaine autonomie à l'égard de Lima, alors que la proclamation de la liberté du commerce (1778) ébranle les frontières espagnoles et prépare déjà l'indépendance. Les discriminations de la société coloniale, la modernisation de sa fiscalité et les excès de maints corregidors provoquent en 1780 la révolte de José Gabriel Condorcanqui, qui prend le nom de Túpac Amaru II et soulève les masses indiennes. Il est vaincu et exécuté en 1781.
4. La libération et l'indépendance politique (1804-1884)
L'énergique vice-roi J. F. Abascal (1804-1816), qui fait du Pérou un bastion royaliste fondé sur la fidélité des Indiens et la passivité des créoles, qui les craignent, repousse l'armée des Argentins révoltés. Mais, après l'insurrection de Cadix (1820), San Martin prend l'offensive à la tête des Argentins et des Chiliens ; entré dans Lima insurgée, il impose l'indépendance au Pérou et reçoit le titre de « Protecteur » (28 juillet 1821), qu'il abandonnera en septembre 1822, après l'entrevue de Guayaquil avec Bolívar (juillet 1822).
C'est l'armée de ce dernier, proclamé « Libérateur » (septembre 1823), qui achève la destruction de l'armée royaliste (Junín et Ayacucho, 1824) ; la dernière garnison coloniale, celle d'El Callao, capitule en janvier 1826. Les grands propriétaires et les caudillos militaires prennent maintenant le pouvoir à la place de l'administration espagnole, tandis que l'État se désagrège, et que la montagne indienne, délaissée, et ses communautés perdent leurs terres à la faveur de la législation libérale.
Déjà le désordre politique s'est installé ; avant même que Bolívar abandonne le pays à son destin (septembre 1826), il y a eu deux présidents de la République en deux ans. Le Pérou va connaître une multitude de pronunciamientos et de Constitutions. Les liens traditionnels entre le bas et le haut Pérou permettent au maréchal Santa Cruz de créer une confédération péruviano-bolivienne (1836), qui est détruite par l'armée chilienne (1839). Ramón Castilla, président de la République à deux reprises (1845-1851 et 1855-1862), impose sa dictature, supprime alors le tribut des Indiens et l'esclavage des Noirs, et développe l'économie nationale ; les capitaux européens s'intéressent à l'exploitation du guano et du salpêtre, qui sont à l'origine de l'introduction d'une main-d'œuvre chinoise extrêmement maltraitée (à partir de 1849). Une affaire de créances amène la flotte espagnole à occuper les îles Chincha, riches en guano (1864), puis à bombarder El Callao (1866) ; finalement, l'Espagne doit renoncer à ses rêves de reconquête coloniale.
Le salpêtre de la province de Tarapacá est à l'origine de la guerre du Pacifique avec le Chili, qui bat la Bolivie (1879-1880) et le Pérou (1879-1883). Ce dernier cède la province de Tarapacá au Chili, qui occupera les autres provinces de Tacna et d'Arica pendant dix ans, avant qu'elles ne décident de leur sort par un plébiscite. En fait, l'affaire ne sera réglée qu'en 1929, le Chili rendant Tacna et gardant Arica. Des querelles de frontières moins graves se régleront avec le Brésil (1909), avec la Colombie (cession du trapèze de Leticia, 1934) ; en revanche, le différend avec l'Équateur (région au nord du Marañón) persiste, malgré la guerre qui a opposé les deux pays et l'accord de Rio de Janeiro (1942), qui a reconnu au Pérou la souveraineté sur la majeure partie des territoires amazoniens contestés (200 000 km2). En janvier 1981, des incidents frontaliers opposeront encore les deux pays pour la possession de cette région riche en pétrole.
5. L'alternance politique et la modernisation du pays (1884-1948)
La guerre du Pacifique entraîne de profondes mutations dans l'univers politique péruvien. La figure du caudillo, fondant son pouvoir sur la légitimité populaire et apparue au moment de l'indépendance, disparaît, tandis que militaires et civils vont se succéder à la présidence de la République.
5.1. Le développement économique
Le retour des civils à la tête de l'État, avec Nicolás de Piérola, président de 1879 à 1881, puis de 1895 à 1899, s'accompagne d'un formidable essor de l'économie, grâce à l'exploitation du caoutchouc de la forêt amazonienne, et d'une modernisation de l'industrie technique.
Sous les deux présidences d'Augusto Bernardo Leguía (1908-1912 et 1919-1930), les militaires reviennent au pouvoir et poursuivent la politique de modernisation du pays mise en place par N. de Piérola.
Après l'ouverture du canal de Panamá et la Première Guerre mondiale, les productions de sucre et de coton se développent considérablement. La main-d'œuvre manquant, les planteurs font appel à des immigrés japonais ; ainsi, entre 1899 et 1923, environ 18 000 Japonais arrivent au Pérou comme ouvriers journaliers. Mais la politique d'A. Leguía n'améliore pas la situation des Indiens, qui restent les laissés-pour-compte d'un système où subsistent encore le caciquisme et le clientélisme. La pénétration de trop nombreux capitaux étrangers accroît la dette extérieure, tandis que le régime se trouve affaibli par les deux crises économiques de 1920 et 1925.
5.2. Les années 1924-1939
De nouvelles forces politiques apparaissent, dont l'Alianza Popular Revolucionaria Americana (APRA), fondée en 1924 par Haya de la Torre, alors en exil. Ce mouvement politique, qui se dit d'inspiration marxiste non communiste et anti-nord-américain, se prononce en faveur d'une nationalisation des terres et de l'industrie et d'une politique qui prendrait en compte les intérêts des Indiens : il va rester l'un des moteurs de la vie politique péruvienne jusqu'à la fin des années 1980. Parti de type populiste, il aura souvent la faveur du peuple et les régimes en place ne pourront éviter de compter avec lui, du fait de sa capacité à mobiliser les masses.
En 1930, un soulèvement militaire soutenu par le peuple renverse le président Leguía. Le général Luis Sánchez Cerro est au pouvoir pendant sept mois, puis il organise des élections. Haya de la Torre, qui se présente au nom de son parti, est battu de peu par L. Sánchez Cerro lors d'élections, vraisemblablement truquées. Le président élu fait arrêter et emprisonner son adversaire et déclare l'APRA hors la loi. En 1932, les partisans du parti de Haya de la Torre tentent un coup de force dans la ville de Trujillo afin de renverser le pouvoir. Mais la rébellion échoue et la répression est particulièrement rude et sanglante.
Après l'assassinat, en 1933, du président Sánchez Cerro, c'est Oscar Benavides qui lui succède jusqu'en 1936, année des élections. Une fois encore, les résultats penchent en faveur de l'APRA, mais le président Benavides suspend le scrutin et interdit le parti ; Haya de la Torre est exilé. En 1939, c'est un banquier, Manuel Prado y Ugarteche qui est élu à la présidence (1939-1945) ; il poursuit la modernisation du pays et rétablit progressivement la légalité constitutionnelle.
5.3. Premières élections libres
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'opposition se développe et exerce des pressions importantes (grèves, mouvements étudiants et syndicaux) en faveur de la démocratisation, de l'acquisition de plus de libertés et d'une participation plus grande à la vie politique. Les syndicats se rangent du côté de l'APRA, qui, bien qu'interdite, conserve une forte influence politique. Le régime de M. Prado, comme celui de ses prédécesseurs, est principalement au service des grands producteurs et exportateurs qui constituent l'oligarchie sucrière de la côte, désireuse de se débarrasser de l'APRA, qui gêne ses intérêts financiers et politiques.
La fin de la guerre coïncide avec la fin du mandat de M. Prado, qui organise en 1945 des élections libres. La victoire des troupes alliées rendant délicat le maintien dans l'illégalité de l'APRA, et la poursuite d'une politique trop autoritaire risquant de ternir les relations avec les États-Unis, important partenaire commercial, le gouvernement se voit contraint de négocier avec Haya de la Torre : en échange d'une légalisation et d'une participation au pouvoir, le parti révolutionnaire soutient le docteur José Luis Bustamante Rivero, qui est élu en juillet 1945. Pendant les deux années suivantes, l'entente (convivencia) avec l'APRA se détériore, et, en 1947, le parti quitte le gouvernement pour reprendre sa place à la tête de l'opposition. L'agitation sociale se développe (grèves importantes et soulèvements étudiants). En 1948, le général Arturo Odría s'empare du pouvoir avec l'appui de l'oligarchie, mettant ainsi fin à la première expérience démocratique du Pérou.
6. De la dictature militaire à la transition démocratique (1950-1990)
Les nouveaux dirigeants du pays mettent alors en œuvre une politique d'économie libérale, fondée sur la libre circulation des biens et des capitaux, après avoir dévalué la monnaie. De cette façon, le déficit budgétaire est réduit, et les prix connaissent une certaine stabilité de 1950 à 1953. L'État crée des emplois en lançant des projets de grands travaux de construction de bâtiments administratifs et de santé. De plus, l'agriculture est en phase d'expansion. Ainsi, la population, bien que toujours en marge des décisions politiques et privée d'un moyen d'expression légal, est-elle relativement satisfaite des conditions de vie, qui semblent s'améliorer. Toutefois, la réussite se limite au plan économique, car aucune majorité politique ne se dégage au sein du Parlement. En 1954, les difficultés économiques réapparaissent, et la balance commerciale commence à se dérégler.
À l'occasion des élections prévues pour 1956, le parti de Haya de la Torre revient au centre de l'arène politique. À nouveau, l'APRA et le gouvernement négocient dans des termes proches de ceux de 1945. Le candidat Manuel Prado y Ugarteche, qui a promis d'abroger les mesures d'interdiction pesant sur l'APRA, est alors élu. Puis en 1962, lors des élections présidentielles, Haya de la Torre est élu, contre Fernando Belaúnde Terry, candidat d'un nouveau parti, l'Action populaire, de centre droit, démocrate-chrétien ; mais l'armée fait annuler les élections. Ce coup d'État, réalisé par l'ensemble de l'armée, et non pas par un seul homme soutenu par quelques-uns, se différencie des précédents car il est considéré comme institutionnel (golpe institucional). L'armée fonde alors son pouvoir sur la théorie de la sécurité nationale suivant laquelle les militaires sont les garants de la Constitution et les protecteurs de la République ; de nouvelles élections sont organisées en 1963, et les militaires font élire Fernando Belaúnde à la présidence. Cependant, les importations continuent d'augmenter, et la dette extérieure ne cesse de s'accroître. En 1967, le président doit dévaluer le sol ; mais sa marge de manœuvre est étroite, car il ne dispose pas d'une majorité confortable au Congrès, et il est renversé en 1968 par une nouvelle intervention de l'armée, qui porte au pouvoir le général Juan Velasco Alvarado.
La décennie suivante est marquée par l'action des militaires nationalistes, qui étatisent de grandes entreprises étrangères et réforment l'enseignement. La réforme agraire, entamée en 1969, ne sera officiellement achevée qu'en 1976 : elle revêt une importance particulière, puisque, en ayant pour objectif la modernisation des moyens de production, elle met un terme à l'archaïsme quasi féodal des structures agraires du Pérou.
En 1975, la politique réformiste des militaires est en échec : la dette extérieure a triplé et la première crise pétrolière de 1973 a eu des répercussions dramatiques sur la production et sur les prix. Face au développement de l'agitation sociale, le régime se durcit. D'autre part, la crise coïncide avec des dissensions au sein de l'armée, au moment de la mort du général Velasco, en 1975. La réponse politique du gouvernement à la crise se traduit par un retour à l'orthodoxie libérale : il procède à la privatisation de plusieurs grandes entreprises et fait appel aux crédits étrangers.
La fin des années 1970 est caractérisée par le passage à un régime démocratique. À la différence de ce qui s'était passé en 1945, la démocratie n'est pas imposée par les dirigeants, et la transition s'effectue en douceur. L'Assemblée constituante élue le 18 juin 1978 est dominée par l'APRA, et c'est Haya de la Torre qui la préside. La nouvelle Constitution, promulguée le 6 juillet 1979, peu avant la mort de Haya de la Torre (le 2 août), instaure un régime présidentiel. L'élection de F. Belaúnde à la présidence, le 18 mai 1980, avec 45 % des voix, marque le retour à un régime civil. Pour la première fois, les analphabètes ont pu voter. Mais l'ouverture sur le marché mondial, réalisée grâce à une nouvelle libéralisation des échanges, rend le pays encore plus sensible à la crise internationale ; le retour à la démocratie s'effectue donc dans des conditions économiques et sociales difficiles (inflation, baisse du pouvoir d'achat, grèves).
Parallèlement, le mouvement de guérilla maoïste du Sentier lumineux apparu en 1980, développe à partir de 1982-1983 des actions d'une violence extrême. Le régime fait appel aux forces armées pour réprimer durement la subversion. En 1984, un second groupe de guérilleros apparaît : le MRTA (Movimiento Revolucionario Tupac Amaru), d'obédience communiste.
En 1985, le candidat de l'APRA, Alan García, accède à la présidence avec 47 % des voix lors d'une élection qui consacre la démocratisation du régime : pour la première fois en 40 ans, un candidat élu succède à un président lui-même issu du suffrage universel. En 1987, il entreprend une décentralisation administrative et nationalise les banques. Mais il ne parvient pas à enrayer la crise ni à arrêter l'action du Sentier lumineux, malgré les interventions d'une armée qui reste omniprésente.
À la fin des années 1980, la situation économique, sociale et politique du Pérou est l'une des pires de tout le continent. Les partis politiques sont affaiblis, ainsi que le pouvoir judiciaire et les organisations paysannes. On parle alors de desgobierno (dysfonctionnement du gouvernement).
7. L'ère Fujimori (1990-2001)
7.1. Les débuts : ultralibéralisme et autoritarisme
Alberto Fujimori
Lors des élections présidentielles de 1990, c'est un candidat indépendant, Alberto Fujimori, qui est élu, au second tour, face à l'écrivain Mario Vargas Llosa, vigoureux défenseur du libéralisme et leader d'une coalition conservatrice. Membre du parti Cambio 90, A. Fujimori est issu d'une minorité, celle des Péruviens d'origine japonaise. Alors que son programme, lors de la campagne présidentielle, reposait essentiellement sur la protection des droits des minorités ethniques, il applique une partie du programme ultralibéral de Vargas Llosa et prend des décisions radicales (dérégulation du marché, libéralisation des échanges, liberté des prix, élargissement des autorisations de licenciements).
Cette politique d'ajustement économique (le « Fuji choc ») provoque une forte récession. Cependant, Fujimori a su se rendre populaire, notamment en se déplaçant dans les parties les plus reculées du pays. N'étant pas issu d'un parti politique traditionnel, le président trouve ses forces d'appui principales dans l'armée, dont il est le commandant en chef, et se fait doter de pouvoirs exceptionnels par le Congrès. Mais l'année 1992 marque un tournant dans le régime politique, qui prend des allures de dictature. En effet, Fujimori réalise une sorte d'auto-coup d'État (autogolpe) en dissolvant le Congrès, qui refusait d'entériner les propositions visant à donner de plus amples pouvoirs à l'armée, et en suspendant les garanties constitutionnelles. Ce « coup d'État civil » est approuvé par une large majorité de la population, mais les opposants au régime réagissent violemment ; les attentats, qui causent la mort de plusieurs dizaines de civils, et l'insécurité qui en résulte ont des répercussions importantes sur l'activité économique du pays. En juin et en septembre, deux membres fondateurs du Sentier lumineux, Abimael Guzmán et Víctor Polay, sont arrêtés à Lima. L'action du mouvement terroriste est alors considérablement ralentie.
En 1993, une nouvelle Constitution est promulguée, octroyant davantage de prérogatives au président ainsi qu'au pouvoir exécutif et diminuant celles du Congrès – la plupart des partis de l'opposition ont au reste boycotté le vote au sein de l'Assemblée constituante. Cette politique autoritaire permet au chef de l'État de lutter avec succès contre le terrorisme et d'opérer un redressement économique notable, ce qui facilite sa réélection en 1995, avec 64 % des voix au premier tour. Le Congrès est majoritairement du côté du président (67 sièges sur 120, contre 17 pour le leader de l'opposition – Unión por el Perú [UPP], du centriste Javier Pérez de Cuéllar). En avril 1996, A. Fujimori renvoie la moitié des membres de son cabinet pour les remplacer par des technocrates. En décembre 1996, des membres du Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA, guévariste) prennent en otage plus de 400 personnes à l'ambassade du Japon, à Lima ; en avril 1997, alors que le MRTA détient toujours 71 otages, A. Fujimori ordonne l'assaut de l'ambassade par des forces spéciales militaires, au cours duquel tous les guérilleros, ainsi qu'un diplomate et deux soldats trouvent la mort. En octobre 1998, la signature d'un accord de paix entre le Pérou et l'Équateur (entériné solennellement en mai 1999) règle définitivement le différend frontalier qui les opposait depuis plus d'un demi-siècle.
7.2. La décadence : dérives et chute d'un président
La popularité du président s'effrite inexorablement, en dépit de résultats incontestables en matière de contrôle de l'inflation et de lutte contre le terrorisme. À partir de 1996, une grave récession touche de plein fouet la population (augmentation du chômage), alors que la dérive autoritaire du régime Fujimori devient de plus en plus pesante. En février 1998, la Cour suprême confirme la loi de 1996 qui, par une « interprétation authentique » de la Constitution, permet à Fujimori de se représenter pour un troisième mandat consécutif à l'élection présidentielle de mai 2000 et, malgré 1,5 million de signatures, le Congrès rejette un référendum visant à empêcher sa candidature. Celui-ci se représente donc et est réélu avec 51,2 % des voix au second tour, mais les conditions du scrutin – alors que son principal adversaire Alejandro Toledo Manrique s'est retiré de la course entre les deux tours – sont contestées par l'opposition et les observateurs internationaux, qui déplorent une fraude massive. Cependant, l'alliance de Fujimori n'obtient pas la majorité au Congrès (52 sièges sur 120, le parti de Toledo, Perú Posible, remportant 26 sièges). Au cours de l'été s'opère une série de ralliements de parlementaires de l'opposition à l'alliance de Fujimori, au moyen de pressions variées ou contre de fortes sommes d'argent.
À la mi-septembre 2000, la diffusion d'une vidéo montrant le chef des services secrets et proche conseiller de Fujimori, Vladimiro Montesinos, soudoyant un parlementaire de l'opposition déclenche un scandale. Éclaboussé, le président annonce des élections générales anticipées au printemps 2001, auxquelles il renonce à se présenter alors que les manifestations se multiplient et que le lieutenant-colonel Ollanta Humala prend la tête d’une sédition militaire à Locumba (29 octobre) avant de faire allégeance au nouveau gouvernement civil intérimaire.
Du Japon où il s'est enfui (novembre), Alberto Fujimori présente en effet par fax sa démission, rejetée par le Congrès, qui le destitue. Placé sous le coup d'un mandat d'arrêt international, l'ex-président, soupçonné d'être responsable de deux massacres perpétrés pendant la « sale guerre » menée par les autorités péruviennes contre le Sentier lumineux dans les années 1980 et 1990, fait ensuite l'objet d'une instruction judiciaire pour crimes contre l'humanité.
La chute de Fujimori suscite un net refroidissement des relations avec le Japon, coupable aux yeux des Péruviens d'avoir octroyé la nationalité japonaise à l'ancien président en décembre 2000.
8. Alejandro Toledo (2001-2006)
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Alejandro Toledo
Alejandro Toledo
Le président du Congrès, Valentín Paniagua, de l'Action populaire, assure l'intérim jusqu'aux élections générales. Il nomme l'ancien secrétaire général des Nations unies, Javier Pérez de Cuéllar, au poste de Premier ministre. L'économiste d'origine quechua Alejandro Toledo, fondateur en 1995 du parti Perú posible (PP) et grande figure de l'opposition intérieure, devance l'ex-président social-démocrate Alan García, de retour après dix ans d'exil, au second tour de la présidentielle organisée en juin 2001, avec 52,7 % des voix.
Succédant à A. Fujimori, il devient le premier Amérindien à être démocratiquement élu à la tête de l'État péruvien. Au congrès, le résultat médiocre du PP (45 sièges sur 120) amène le nouveau chef de l'État à former des alliances pour constituer une majorité. Mais face à une opposition forte (principalement constituée de l'APRA d'Alan García et de l'Unité nationale [UN], de Lourdes Flores) et déterminée, A. Toledo ne dispose que d'une marge de manœuvre étroite pour l'application de son programme (lutte contre la pauvreté et la corruption, baisse des impôts, effort en matière d'éducation et de santé, décentralisation).
À peine installé, il annonce l'instauration d'une législation déclarant le Pérou société multiculturelle, un geste symbolique en direction du groupe ethnique le plus important du pays, qui a joué un rôle important dans sa victoire. L'introduction en juillet, à titre optionnel, des deux principales langues indiennes (quechua et aymara) dans l'enseignement concrétise cette orientation. Par ailleurs, il se lance dans une tournée planétaire pour redonner confiance aux investisseurs et obtenir un soutien susceptible de faire sortir le pays de la récession.
En juillet 2002, A. Toledo signe tant bien que mal un accord de gouvernabilité avec les forces politiques et les représentants de la société civile, et, malgré la succession des cabinets ministériels, poursuit une politique néolibérale d'austérité, qui permet l'assainissement de finances publiques et le retour de la croissance mais ne réduit guère le sous-emploi et la pauvreté – et par conséquent suscite bientôt un désenchantement et une impopularité qu'aggravent l'instabilité politique et la révélation de nombreux scandales. En mai 2003, confronté à des grèves massives d'enseignants et d'agriculteurs, il déclare temporairement l'état d'urgence et autorise les militaires à rétablir l'ordre – essentiellement dans les provinces encore dominées par le Sentier lumineux.
Concomitamment, une « commission de la vérité », destinée à faire toute la lumière sur la « guerre » menée contre le Sentier lumineux et contre le MRTA jusqu'au début des années 1990, est créée. Ses conclusions, rendues publiques en août 2003, estiment à 70 000 le nombre des victimes de la répression, et, malgré la persistance de difficultés à propos de la mise en œuvre de ses recommandations, ouvrent la possibilité de poursuites judiciaires. Mais le problème reste loin d'être résolu, avec la menace permanente que fait peser sur les campagnes un Sentier lumineux reconverti dans le trafic de drogue. Aussi le parti du président essuie-t-il régulièrement de multiples échecs, notamment lors des élections régionales avec la percée de l'APRA, ou au niveau local face aux conservateurs.
Le président Toledo œuvre à l'intégration régionale, en particulier andine. Champion du libéralisme, il suit les recommandations du FMI et de la Banque mondiale. De fait, après avoir négocié un accord d'association avec le Mercosur en 2003, il conclut, malgré les résistances rencontrées dans son pays, un accord de libre-échange avec les États-Unis en décembre 2005. En dépit de différends et de tensions ponctuelles avec le Venezuela de Hugo Chávez, il pratique une politique de relatif bon voisinage avec la Colombie, l'Équateur et le Brésil, ainsi que, dans une moindre mesure, avec la Bolivie et le Chili.
La campagne des élections (présidentielle et législatives) de 2006 est tout d'abord marquée par l'ombre portée de l'ex-président Aberto Fujimori, arrivé au Chili le 6 novembre 2005, détenu sur place puis libéré ; toutefois, inéligible jusqu'en 2011, et sous le coup d'accusations de corruption et de violation des droits de l'homme, celui-ci se révèle impuissant à peser sur le cours du scrutin. En revanche, l’ancien militaire Ollanta Humala, qui bénéficie toujours dans le pays d’une grande popularité, fonde en octobre 2005 le parti nationaliste péruvien (PNP) mais, faute d’un enregistrement de cette nouvelle formation par le tribunal électoral, se présente comme candidat de l’UPP qui forme également des listes communes avec le PNP aux élections législatives. Porté par la récente victoire d'Evo Morales en Bolivie et soutenu par H. Chávez, O. Humala arrive ainsi en tête lors du premier tour de l'élection du 9 avril, avec 30 % des voix, contre 24 % pour l'ancien président Alan García, de l'APRA. C'est toutefois ce dernier qui, grâce au bon report des suffrages de la droite, est élu le 4 juin avec 52,5 % des voix.
9. Alan García (2006-2011)
L'APRA ne disposant pas de majorité au Parlement (36 sièges sur 120, contre 45 pour l'UPP dont 25 pour le PNP), Alan García doit à son tour composer avec ses adversaires et former des coalitions susceptibles de soutenir la politique d'austérité budgétaire, de soutien aux investissements et de lutte contre la pauvreté qu'il entend mener. L'opposition de O. Humala se trouvant réduite par les poursuites dont il fait l'objet pour atteinte supposée aux droits humains durant la « sale guerre » contre le Sentier lumineux, le climat politique semble favorable au président.
Mais, comme son prédécesseur, celui-ci doit affronter très rapidement des mouvements sociaux et essuyer des échecs électoraux, notamment lors des scrutins locaux de novembre 2006, qui traduisent plus largement le discrédit des partis nationaux, au profit de mouvements régionaux ou indépendants. Ce découplage politique révèle en effet au sein de la population un sentiment généralisé d'éloignement du pouvoir central et sa désapprobation des carences de l'État, notamment lors du violent tremblement de terre qui frappe le sud du pays en août 2007.
Désormais converti à l'économie de marché, A. García peut se targuer de résultats macro-économiques plutôt satisfaisants mais doit répondre à une crise sociale profonde qui se traduit notamment, en juillet 2008, par une grève des mineurs puis par une grève générale lancée par la Confédération générale des travailleurs du Pérou ainsi que par la mobilisation des agriculteurs hostiles au traité de libre-échange (TLC) avec les États-Unis (qui entre finalement en vigueur en janvier 2009).
Au plus bas dans les sondages, le président doit également prendre ses distances avec un scandale de corruption, dans le cadre de l'octroi de concessions pétrolières, impliquant des responsables de son parti et éclaboussant des ministres de son cabinet. En octobre 2008, après avoir accepté la démission collective de son gouvernement, il opte alors pour une ouverture à gauche en nommant au poste de Premier ministre Yehude Simon, personnalité montante de l'opposition de centre gauche, chef fondateur du parti humaniste péruvien et réputé pour sa gestion rigoureuse et transparente à la présidence de la région de Lambeyeque depuis 2003.
Parallèlement, l'extradition de l'ex-président Aberto Fujimori, en septembre 2007 puis sa condamnation à 25 ans de détention pour violation des droits humains en avril 2009, confirment le choix en faveur de l'apurement du passé, même si cette question demeure très controversée : les partisans de l'ancien président, menés par sa fille Keiko Sofía Fujimori (députée depuis 2006, jouissant d'une certaine popularité dans le pays) et par l'Alliance pour le futur (13 % des suffrages), n'entendent pas baisser les bras.
A. García doit aussi affronter l’opposition virulente des minorités indiennes de l’Amazonie occidentale, dont 70 % de la partie péruvienne est déjà divisée en concessions pour l'exploitation des gisements de gaz et de pétrole qu'elle recèle. Ainsi, la promulgation – dans le cadre de l'application du TLC – de deux décrets destinés à encourager les investissements étrangers et à faciliter les forages pétroliers dans la région provoque, à partir du mois d'avril 2009, un conflit meurtrier avec les Indiens organisés par l'Association interethnique de développement de la forêt péruvienne. Dénonçant une privatisation sans consultation de leur territoire ancestral et de ses ressources hydriques, les communautés indigènes parviennent à faire céder le gouvernement. Le Congrès abroge finalement les deux décrets contestés le 18 juin et, à la suite de nouvelles manifestations à l'appel de diverses organisations sociales et du principal syndicat du pays, le gouvernement est remanié en juillet : Javier Velásquez Quesquén (APRA) succède à Y. Simon et sept ministres sont remplacés.
10. La victoire de la gauche nationaliste (2011-)
En juin 2011, à la tête d’une coalition baptisée « Gana Perú » (« le Pérou gagne ») rassemblant, sous la direction du parti nationaliste péruvien (PNP), plusieurs organisations de gauche dont les partis communiste et socialiste, O. Humala remporte de justesse l’élection présidentielle au second tour de scrutin avec 51,4 % des suffrages face à Keiko Sofía Fujimori, candidate du rassemblement « Fuerza 2011 ». Sa coalition arrive également en tête des élections au Congrès avec 47 sièges devant les Fujimoristes (37 sièges), le parti « Perú posible » de l’ex-président A. Toledo (21 députés), le regroupement de centre droit créé par Pedro Pablo Kuczynski (12) et Solidarité nationale (auquel s’est ralliée l’UPP, 9 sièges). L'APRA se retrouve reléguée au sixième rang avec 4 députés.
Prônant un nationalisme « anti-impérialiste » et « intégrateur » incluant toutes les classes et ethnies du pays, O. Humala, qui a fait de la lutte contre la pauvreté l’un des axes de sa campagne mais a également bénéficié du soutien d’une grande partie des classes moyennes, n’entend toutefois pas remettre en cause les fondements de la forte croissance (autour de 9 %) de l’économie péruvienne. Ne pouvant s’appuyer sur une majorité, il devra composer tout comme son prédécesseur avec un Congrès toujours très fragmenté et annonce ainsi un gouvernement de « concertation nationale ». Avant même de prendre officiellement ses fonctions le 28 juillet, il réserve sa première visite à la nouvelle présidente du Brésil Dilma Rousseff avant de rencontrer le Bolivien Evo Morales, mais, soucieux de rassurer les États-Unis, principal partenaire commercial du Pérou, prend ses distances avec Hugo Chávez.
Au cours des premiers mois de son mandat, le président Humala réussit à séduire l'opinion par une série de mesures telles que la mise en place d'un impôt minier prenant en compte le prix élevé des matières premières, l'augmentation du salaire minimum, la retraite à 65 ans, ou l'adoption d'une loi sur les consultations préalables des communautés indigènes avant l'exploitaton des ressources naturelles, etc. qui répondent à ses promesses électorales. Toutefois, leur application partielle ou tardive (loi universitaire) contribue fortement à discréditer son action politique et entraîne le rapide déclin de sa cote de popularité et la perte de la majorité au Congrès.
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L' AMAZONIE |
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Qui a planté les décors de l'Amazonie ?
spécial biodiversité - par William Balée dans mensuel n°333 daté juillet 2000 à la page 18 (3879 mots)
Comment expliquer l'étonnante diversité biologique de l'Amazonie ? Diverses théories s'opposent, qui ne justifient qu'en partie la variété des assemblages végétaux de la région. Or, pendant des milliers d'années, des hommes y ont vécu et pratiqué l'agriculture. Jusqu'à la conquête européenne, ils ont joué un rôle crucial dans le maintien, et l'extension, de la diversité de la forêt.
Les forêts tropicales, qui ne représentent que 7 % des terres émergées, abritent près de la moitié des espèces vivantes. Cette luxuriance intriguait déjà les naturalistes européens du XIXe siècle. Pour expliquer ce que l'on appelle désormais « l'énigme de la richesse des espèces tropicales », la plupart des scientifiques se réfèrent à des événements géophysiques primordiaux et aux variations de l'environnement. Même s'ils débattent avec passion quant à l'influence exacte des uns et des autres, ils s'accordent sur un point : les hommes n'y ont rien à voir. Et s'ils ont joué un rôle, c'est seulement pour réduire la diversité biologique.
Comment les différences d'environnement - latitude, pluviosité, température, luminosité et sol - justifient-elles la biodiversité tropicale ? A l'échelle macroscopique, la biodiversité augmente à mesure qu'on progresse des pôles vers l'équateur. Il en va de même de la pluviosité et du rayonnement solaire. A proximité de l'équateur, la forte pluviosité et le rayonnement solaire intense contribuent sans doute à expliquer la grande productivité biologique des forêts tropicales. Mais les exceptions sont très nombreuses. Ainsi, la diversité est faible dans les déserts tropicaux et elle est peu importante en Asie tropicale, malgré une pluviosité intense.
En Amazonie, qui couvre 7,05 millions de kilomètres carrés et représente environ 2 % des terres émergées , la richesse en espèces vivantes par unité de surface augmente graduellement avec la pluviosité, pour atteindre un plateau aux alentours de 4 000 mm de pluie par an. Au nord-ouest de l'Amérique du Sud, certaines régions reçoivent jusqu'à 10 000 mm de pluie par an. Mais le botaniste Alwyn Gentry a souligné qu'elles ne renferment pas plus d'espèces que d'autres parties de l'Amazonie où il pleut moins. Il avait aussi étudié une forêt, près d'Iquitos, au Pérou, où il pleut moins de 3 000 mm par an. Or c'est l'une des zones forestières les plus riches du monde : presque tous les arbres sont différents de leur voisin, de sorte que les 606 arbres recensés sur une surface d'un hectare appartiennent à 300 espèces1.
Le fort rayonnement solaire favorise la productivité biologique, mais il contribue en partie à appauvrir des sols, par ailleurs lessivés par les fortes pluies. Ainsi, la fertilité et la productivité du sol vont en décroissant à mesure que l'on s'approche de l'équateur. A. Gentry a comparé la composition en espèces de différentes parcelles de terrain en haute Amazonie, analysant ce que les spécialistes nomment la biodiversité bêta. Il a observé une corrélation entre richesse de la diversité et fertilité du sol, la pluviosité étant, pour l'essentiel, considérée comme constante, et il a conclu que le sol jouait peut-être un rôle, mineur, dans la diversité. Mais il ne s'est pas demandé si le sol lui-même n'avait pas été modifié par l'homme. Or on connaît de tels « anthrosols ». En effet, si la majorité des terres amazoniennes non inondables la terra firme ou terre ferme sont peu fertiles, elles sont parsemées de poches de bonne terre, comme la terra roxa ou la terra preta do indio terre noire des Indiens qui résulte de l'habitat humain et de l'accumulation de déchets et de cendres. Ce sont d'ailleurs ces terres que cultivent aujourd'hui les horticulteurs d'Amazonie, note l'anthropologue Emilio Moran, de l'université de l'Indiana2.
Autre problème, aucun gradient environnemental - pluviosité, ensoleillement, température - ne peut expliquer l'existence d'une multitude de zones d'endémie en Amazonie. En revanche, une autre théorie peut répondre de l'isolement reproductif nécessaire à l'apparition d'espèces endémiques : le modèle des refuges forestiers. C'est, jusqu'à présent, l'explication la plus mécaniste et la plus élégante de la diversité tropicale. Elle se fonde sur la distribution d'espèces animales endémiques, interprétée comme la conséquence des variations climatiques régnant au Pléistocène. Et elle combine événements géophysiques et conditions climatiques dans un modèle mathématique qui rend compte de l'accroissement exponentiel de la richesse en espèces et de leur spécialisation sur des niches précises.
Depuis le début du Pléistocène, il y a deux millions d'années , le climat a suivi des cycles continuels de réchauffement et de refroidissement, voire de glaciation. Les aires de répartition des espèces ont alors connu des phases d'expansion ou de restriction. L'hypothèse des refuges forestiers considère que les forêts tropicales ont atteint aujourd'hui leur extension maximale. A l'inverse, les forêts tempérées n'auraient pas encore fini de récupérer des effets climatiques du Pléistocène et de la glace qui les a recouvertes. Les forêts tropicales de plaine n'ont pas souffert de la glace, mais elles auraient été morcelées par l'aridité due au refroidissement global et à la baisse du niveau des mers. Dans certaines régions, moins touchées que d'autres par la diminution des précipitations, les forêts auraient persisté : ce seraient aujourd'hui les régions de plus forte pluviosité. Ailleurs, la forêt aurait laissé place à de grandes étendues de végétation sans arbres, les savanes.
A la fin du Pléistocène, les forêts se seraient étendues depuis leur zone refuge jusqu'à des zones de suture, où le contact se serait établi entre les organismes des différents refuges. Pour sir Ghillean Prance, botaniste à Kew Gardens en Angleterre, ce sont ces contacts qui expliquent la présence, sur un fragment de forêt d'Amazonie centrale, d'une multitude d'espèces appartenant à un seul et même genre, en l'occurrence Eschweilera , de la famille de l'arbre à noix du Brésil3. La fragmentation de la forêt a dû diviser l'espèce parente en espèces filles. Puis, après l'expansion de la forêt, ces espèces filles se seraient retrouvées dans le même habitat où elles exploitent différentes niches très fines. Néanmoins, certaines espèces n'auraient pas migré hors des refuges. Ce sont les espèces endémiques.
Le morcellement de la forêt est un point crucial de l'hypothèse des refuges, car il suppose l'isolement reproductif nécessaire à l'apparition des zones d'endémie. La fragmentation répétée de la forêt tropicale au cours du Pléistocène aurait abouti à un accroissement exponentiel du nombre d'espèces, puis à la saturation des niches avec l'expansion finale du couvert forestier. De ce fait, la diversité globale serait ainsi devenue plus importante qu'avant l'hypothétique morcellement. Pour un tenant du modèle des refuges forestiers, comme sir G. Prance, la spéciation est sans doute négligeable ou nulle depuis l'Holocène, c'est-à-dire depuis l'arrivée des hommes dans les forêts tropicales4.
Quelles sont les critiques opposées à cette théorie ? Elles portent surtout sur l'analyse de la diversité végétale. Ainsi, l'un des plus riches refuges du monde, celui du rio Napo en Equateur, n'aurait pas été composé d'espèces strictement tropicales au Pléistocène1. Le biogéographe Mark Bush y a en effet découvert des pollens indiquant que coexistaient des espèces de forêts tropicales et des espèces que l'on trouve actuellement dans les Andes. Cela donne à penser que les forêts tropicales du Pléistocène ne ressemblaient à rien de ce que l'on connaît aujourd'hui5. Depuis, ces espèces andines ont reculé vers les régions montagneuses, hors des refuges.
Autre critique, une durée de deux millions d'années seulement ne serait pas suffisante pour une spéciation à grande échelle. Cela est surtout vrai pour les arbres, mais aussi pour des vertébrés comme les grenouilles. Chez ces dernières, on a calculé que des espèces appartenant à un unique genre Leptodactylus sont séparées par plus de 25 millions d'années d'évolution, malgré un cycle de reproduction relativement court. Quant aux arbres tropicaux, G. Prance a noté qu'il leur faut souvent trente ans pour atteindre la maturité sexuelle, et que beaucoup d'individus de générations différentes coexistent dans les forêts. De ce fait, la différenciation en nouvelles espèces est certainement beaucoup plus lente pour les arbres que pour les insectes, oiseaux, scorpions et autres animaux dont les aires de répartition ont servi à élaborer le modèle des refuges. En troisième lieu, pour le botaniste Bruce Nelson et ses collègues de l'Institut national de recherche d'Amazonie INPA, la collecte des plantes autour de plusieurs sites d'endémie d'Amazonie, comme Manaus, Belem, Jari et Trombetas, a été biaisée3,6. De sorte que de multiples espèces considérées comme endémiques de ces régions d'Amazonie centrale sont probablement aussi présentes dans des territoires où la collecte a été moins complète. A mesure que l'on découvre et étudie davantage d'espèces, la carte des refuges devient plus complexe.
Enfin, pour certains, comme Mark Bush, il faut plutôt chercher dans le soulèvement des Andes , il y a plus de vingt millions d'années, la raison des perturbations géographiques et climatiques qui ont façonné les marges du bassin amazonien, là où se trouvent la plupart des sites d'endémie5. Autrement dit, les arguments selon lesquels l'Amazonie centrale était une région de savanes parsemée de refuges forestiers au Pléistocène paraissent peu solides. On a bien découvert à l'embouchure de l'Amazone des feldspaths qui n'existent pas en milieu humide et, de prime abord, cela paraissait démontrer une aridité ancienne. Mais Nigel Smith, géographe à l'université de Floride, a observé que l'érosion fluviale provoquée par l'abaissement du niveau des mers au cours du Pléistocène a arraché des matériaux anciens qui ont été transportés jusqu'au delta de l'Amazone et déposés au milieu de sédiments. De plus, l'écologiste britannique Paul Colinvaux n'a relevé aucun signe d'aridité au cours de cette période géologique7.
En résumé, les tenants des refuges considèrent le Pléistocène comme une époque de spéciation exponentielle. Tandis que leurs opposants se fondent sur l'apparition au tertiaire de chaînes montagneuses, comme les Andes qui ont séparé les forêts du Chocó et de l'Amazonie du Nord-Ouest. Aujourd'hui, en effet, ces forêts ont en commun beaucoup de genres végétaux, mais les espèces y sont presque toutes différentes. Autrement dit, bien que les durées et époques au cours desquelles ces spécialistes estiment que s'est constituée la biodiversité soient très différentes, elles finissent toutes les deux avant l'Holocène.
Or, c'est justement à l'Holocène qu'une spéciation de brève durée mais très intense pourrait bien avoir eu lieu, à cause des humains. De plus, le facteur humain ou historico-écologique rend sans doute mieux compte de la grande variété des assemblages végétaux dans les forêts tropicales, surtout en Amazonie. Alwyn Gentry avait observé que, comparée aux autres régions tropicales du Nouveau Monde, la grande diversité de l'Amazonie repose surtout sur cette variété des types de végétation la diversité bêta et la spécialisation concomitante des taxons qui s'installent dans ces habitats. Or c'est précisément la domestication des espèces et des paysages par les indiens, plus que tout autre facteur, qui explique la présence de nombreux types de végétations ayant permis la spécialisation des habitats8,9. En d'autres termes, les pratiques historiques de domestication ont pu conduire à des phénomènes de spéciation rapides et plus intenses qu'en l'absence des hommes.
Charles Clement, spécialiste de génétique végétale à l'INPA, affirme que s'il existe aujourd'hui dans la région un site de diversité génétique des plantes cultivées, c'est forcément parce qu'il y régnait préalablement une grande diversité10. D'ailleurs, le principal lieu de domestication des plantes amazoniennes repéré par Clement en haute Amazonie recouvre en partie des zones forestières qui figurent parmi les plus diverses du monde. Pour moi, ce lien entre la grande diversité génétique des plantes cultivées et celle des forêts environnantes date peut-être de cinq à six mille ans, quand les hommes ont commencé à domestiquer les plantes et les paysages d'Amazonie au cours de l'Holocène.
Ces pratiques agro-forestières ont aussi pu modifier les paysages , leur conférant une plus grande plasticité environnementale pour l'expansion d'espèces, dites écologiquement insensibles ou physiologiquement plastiques, existant sans doute depuis des millions d'années. Beaucoup d'espèces vivant dans les forêts d'Amérique centrale sont plastiques. Or elles ne peuvent l'être que si elles ont disposé d'habitats divers : ces habitats ont pu se constituer de façon relativement rapide, grâce à l'agriculture forestière. Autrement dit, des modifications locales de la végétation, dans les clairières créées par les cultures itinérantes sur brûlis, ont pu aboutir à un état de déséquilibre favorisant une spéciation et une radiation* rapides.
D'ailleurs, le modèle des refuges et les théories alternatives ne rendent pas bien compte de la répartition des espèces plastiques. En effet, une fois les niches saturées du moins très spécialisées - à la fin du Pléistocène selon le modèle des refuges, ou bien avant, selon ses critiques -, on pourrait s'attendre à ce que les espèces plastiques aient aujourd'hui disparu ou soient seulement endémiques. Or elles sont tout à fait courantes. C'est notamment vrai d'un bel arbre à fleurs violettes de la famille des bignones et des catalpas, l'ébénier de Guyane Tabebuia impetiginosa , du bois diable qui fait partie de la famille des hévéas ou des euphorbes Hura crepitans , ou d'arbres de la famille du bougainvillier Neea spp. .
Charles Clement a montré que 139 soit 45 % des plantes cultivées sur le continent américain proviennent d'Amazonie et des régions proches, au nord de l'Amérique du Sud. Pourtant, leur diversité intraspécifique est moindre que pour la plupart des plantes domestiquées ailleurs dans le monde. Cela suggère que la biodiversité a chuté après la conquête européenne, quand ont disparu les Indiens qui l'entretenaient. La diversité bêta était plus importante à l'Holocène, et jusqu'au XVIe siècle.
Beaucoup d'espèces considérées comme plastiques sont donc peut-être des artefacts dus aux processus de culture et de sélection qui ont cessé il y a quelque cinq cents ans. D'autres, notamment celles qui ne sont pas des arbres, se sont éteintes, parce qu'elles étaient incapables de survivre hors des jardins ou des cultures sur brûlis. Quant à la question des arbres, on peut la voir de deux façons. Certaines espèces étaient, et sont peut-être encore, en phase de semi-domestication ou de domestication débutante. D'autres étaient déjà domestiquées, ou presque, et redeviennent de plus en plus sauvages. Dans l'une ou l'autre hypothèse, il est impossible de ne pas tenir compte des techniques de domestication mises en oeuvre par les autochtones.
Parmi ces techniques, il y a le feu et la création de tertres artificiels les mounds11,12. En Bolivie, dans les Llanos de Mojos, des plaines qui couvrent 145 000 km2, des milliers de tertres d'habitation, de voies et de champs de circulation surélevés et de fossés de drainage témoignent des possibilités des techniques agro-forestières dans un milieu non diversifié à l'origine, une savane marécageuse. Les hommes y ont construit des environnements où des espèces antérieurement limitées ont pu s'étendre. Selon C. Clement, cette région a été riche en plantes domestiques haricots, courges, arachides, palmiers parepous Bactris gasipaes et semi domestiques, ce qui est le cas d'une variété de cacaoïer Theobroma bicolor, ou du courbaril Hymenaea courbaril , par exemple. Il considère donc qu'il s'agissait d'un petit site de domestication végétale amazonien. La couverture forestière de la région des Llanos de Mojos atteint aujourd'hui environ 55 000 km2. Une partie de ce couvert résulte des pratiques agro-forestières du passé. En fait, on peut affirmer que la forêt est plus étendue aujourd'hui, et l'était sans doute aussi à une époque plus reculée de l'Holocène, qu'elle ne l'était au Pléistocène.
En 1993-1994, j'ai conduit avec Orione Alvarez, Richard Annas et Clark Erickson et son équipe archéologique un programme de recherche sur une parcelle de forêt d'un hectare dans les Llanos de Mojos. Formant un étroit rectangle, elle est située sur une hauteur dans ce qui est aujourd'hui le territoire des Indiens Sirionó. En langue sirionó, cet endroit est appelé Ibi bate « terre haute » ou « terre vraie », de Ibi, qui signifie terre et bate, qui signifie vrai ou haut. Le tertre, qui mesure 18 mètres de haut, est l'un des plus élevés de l'est de la Bolivie, réputée pour ses nombreux travaux de terrassement. C'est aussi l'un des plus hauts de toute l'Amazonie.
Toute la terre ferme de la région est rassemblée sur des ouvrages de terrassement. Ces mounds ont été abandonnés à l'époque précolombienne, mais la majorité des arbres d'aujourd'hui n'y serait pas si les hommes du passé n'avaient pas bâti ces tertres et l'on peut dire la même chose des arbres d'autres monticules amazoniens, comme à Marajo. Une bonne part des arbres poussant sur le tertre bien drainé d'Ibibate se retrouve ailleurs en Amazonie sur de vieilles friches ou dans des zones soumises à des inondations saisonnières, voire les deux. De plus, l'examen de la forêt-galerie* qui fait le lien entre la savane et la forêt de terre ferme du tertre révèle que beaucoup des espèces de cette zone se retrouvent aussi sur la hauteur. Il n'y a donc probablement pas de forêt primaire sur la terre ferme de cette région des Llanos de Mojos. Mais tout dépend de la façon dont on définit la forêt primaire, c'est-à-dire si l'on pense qu'elle trouve son origine avant l'Holocène, comme dans la théorie des refuges et ses variantes, ou pendant l'Holocène, à la suite directe de l'accumulation de terre ferme et de la domestication du paysage. La forêt dite primaire pourrait bien résulter de mécanismes aléatoires historiques et non pas déterministes évolutionnistes, et pas seulement dans les Llanos de Mojos.
Al Gentry a inventorié six parcelles près de Tambopata, au Pérou , dont les sols avaient des caractéristiques différentes : terre ferme de différents types, forêt-galerie secondaire, forêt marécageuse. Il y a identifié plusieurs taxons d'arbres « plastiques », présents partout. Parmi ceux-ci se trouvent l'arbre à noix du Brésil, un arbre de la famille de l'anacardier cajou Tapirira guianensis , un membre de la famille du bougainvillier Neea divaricata et un représentant de la famille des mûriers Clarisia racemosa . Ces espèces plastiques, je ne les ai pratiquement observées que sur des friches, au Brésil pré-amazonien, lors de l'étude d'une parcelle de huit hectares, dont quatre de futaie ancienne et quatre de vieille friche forestière. Pour G. Prance, un arbre comme Tapirira guianensis est une espèce dominante qui s'est adaptée à divers environnements, avec peu de différences entre les populations isolées à travers toute l'Amazonie. Il en va de même de l'ébénier de Guyane, qui est aussi très courant sur le tertre de terre ferme d'Ibibate3,13. Y sont présentes bien d'autres espèces plastiques ou pionnières - c'est-à-dire capables de s'adapter aux légères perturbations introduites par l'homme -, comme l'arbre à kapok ou fromager Ceiba pentandra et le bois diable. Ce dernier pousse aussi très souvent dans les forêts-galeries, tout comme d'autres espèces communes d'Ibibate, tels le mombin fou Spondias mombin , et le courbaril.
On trouve également à Ibibate des espèces que C. Clement considère toutes en voie de domestication. Outre les courbarils, c'est notamment le cas d'un cousin des cacaoïers Theobroma subincanum et, en Amazonie orientale, ce sont deux espèces vivant sur les friches15. Bien qu'il ne soit pas présent sur la parcelle étudiée, le palmier domestiqué parepou est répandu dans la région, et il est peut-être en train de disparaître. Enfin, il n'y a pas de noix du Brésil sur le territoire des Sirionó peut-être uniquement en raison de la latitude, car l'espèce est fréquente plus au nord, à l'approche de l'équateur. Mais lorsqu'on la trouve ailleurs en Amazonie, c'est en général dans des régions d'agriculture et de domestication préhistorique du paysage et sa répartition est discontinue. Pour C. Clement, les arbres à noix du Brésil étaient aussi en cours de domestication à l'époque de la conquête européenne.
G. Prance a justement noté : « L a végétation qui revient occuper les zones dégagées naturellement n'est pas la même qu'après un feu » 4 . A cet égard, le bois-canon Cecropia obtusa , de la famille des mûriers s'installe bien à l'emplacement des anciennes souches, quand des arbres de futaie ont chuté, et il ne pousse que sur ces sols dans la parcelle de huit hectares d'Amazonie orientale, qui compte 54 sujets du genre Cecropia appartenant à cinq espèces ; à l'inverse, on ne trouve qu'une seule espèce de Cecropia C. sciadophylla dans les friches16. On le voit, par des pratiques de sélection très anciennes, les humains ont domestiqué d'autres espèces, favorisant certaines d'entre elles aux dépens de certaines autres. Ils ont ainsi modelé le paysage, ce qui a ensuite permis la dispersion de certaines espèces des forêts voisines, qui autrement seraient peut-être restées endémiques.
Pour cette terre ferme d'Ibibate et ailleurs dans les Llanos de Mojos, je propose donc la séquence d'événements suivante. Le monticule a commencé sous la forme d'une levée de terre destinée à l'habitation isla ,peut-être associée à des champs surélevés, très nombreux dans la pampa. Sur une période d'un millier d'années environ, les déchets se sont accumulés jusqu'à former un tertre artificiel. Ensuite, d'autres tertres ont été construits intentionnellement, et à plus grande échelle, comme en témoigne la vaste fosse, proche de la chaussée qui relie Ibibate à un tertre plus petit. Cette fosse est d'ailleurs la seule source d'eau permanente dans la région. Le site, qui a sans doute été le siège d'activités agricoles intenses, a ensuite été abandonné. Les Sirionó l'ont occupé au XXe siècle pour des campements temporaires, mais ils n'y ont pas pratiqué de culture sur brûlis16. A mesure que le tertre était abandonné, il a été colonisé par des espèces d'arbres toujours présentes dans la forêt-galerie voisine. Autrement dit, la construction des tertres a créé des conditions d'environnement où a pu s'introduire une végétation physiologiquement plastique, mais par ailleurs restreinte à cause de la pampa. De plus, comme le tertre était de terre ferme, il a également permis la pénétration d'espèces adaptées à des clairières relativement étendues peut-être créées par coupes et brûlis que l'on ne voit pas sur des sols mal drainés ou soumis à des inondations saisonnières, comme ceux des forêts-galeries. Ces espèces devaient être dotées de mécanismes de dispersion très efficaces, par exemple des graines ailées comme celles du bois-canon. Ainsi, dans le cas des accumulations de terre en Bolivie aux temps préhistoriques la constitution des polders aux Pays-Bas est un bon analogue de ce type de processus en Europe, c'est l'activité agro-forestière des hommes qui a créé un paysage convenant bien à la persistance et à l'expansion de la diversité bêta. A l'extrême est de l'Amazonie, des palmiers pyrophytiques*, comme Orbignya phalerata et Maximiliana maripa , que l'on trouve parfois sur des terrains caractérisés par une biodiversité plutôt élevée, ont également été favorisés par les activités de domestication conduites par les Indiens.
Je ne prétends pas avoir résolu l'énigme de la diversité tropicale , mais les conséquences indéniables de la présence humaine à Ibibate et dans les Llanos de Mojos pourraient avoir valeur générale. On voit bien que la biodiversité amazonienne ne peut s'expliquer, même dans une large mesure, par les événements géophysiques et « de simples gradients d'environnement ». Et la diversité tropicale ne résulte pas seulement de facteurs aléatoires, comme les clairières formées par des chutes d'arbres naturelles dans les forêts et chablis, en l'absence de toute activité humaine. Les chasseurs-cueilleurs, qui utilisaient sûrement le feu, comme en Australie, ont pu apporter au paysage des modifications répondant à leurs objectifs. Si la diversité bêta des forêts tropicales amazoniennes est relativement importante, c'est à cause des activités agricoles des hommes qui y ont vécu des milliers d'années et de la domestication des paysages qu'ils ont entreprise, et non pas malgré ces activités. En effet, certains paysages n'existeraient pas si les hommes n'avaient pas joué un rôle essentiel dans la manipulation, l'entretien et l'extension de la biodiversité. Ainsi, l'écologie historique représente probablement le modèle le plus puissant pour trouver une réponse à l'énigme de la biodiversité tropicale.
Par William Balée
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INDE - HISTOIRE |
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Inde : histoire
La civilisation de l'Indus
1. Préhistoire et protohistoire
Le sous-continent indien dans son ensemble, donc l'Inde actuelle, le Pakistan et le Bangladesh, est extrêmement riche en gisements préhistoriques. Malheureusement, faute encore de pouvoir rattacher à un cadre chronologique suffisamment précis les trouvailles faites sur de très nombreux sites disséminés sur la presque totalité de cet immense territoire, on se contente jusqu'à présent de classer les outils de pierre, seuls vestiges d'une activité protohumaine, puis humaine, en trois grands groupes correspondant à trois périodes successives du paléolithique, qui doivent coïncider, en termes d'évolution humaine, avec le passage de l'archanthropien au néanthropien, c'est-à-dire à l'homme actuel, dont on situe l'apparition entre −35000 et −15000 environ. Les industries microlithiques sont donc entièrement son œuvre puisqu'en Inde celles-ci ne paraissent pas antérieures à l'holocène, soit à −10000 environ.
Il est actuellement impossible de dire avec certitude si les premiers hominiens ont pénétré dans le sous-continent par le Nord-Ouest, comme on l'imagine parfois, ou si cette évolution s'est faite dans l'Inde même, ou encore si la péninsule a été colonisée dès ces temps reculés par des populations venues d'outre-mer.
1. 1. La civilisation de l'Indus
La civilisation de l'IndusLa civilisation de l'Indus
La « révolution néolithique », définie par l'apparition d'une économie de production, dont on situe les débuts, dans l'Ancien Monde, dans le Croissant fertile au Proche-Orient, entre les IXe et VIIe millénaires avant J.-C., apparaît, depuis la découverte de sites tels que celui de Mehragarh au Pakistan, pratiquement aussi ancienne dans le sous-continent indien. Il est vraisemblable que la présence dès cette époque de villages dans cette partie du Baloutchistan qui domine le bassin de l'Indus explique en partie que la première civilisation indienne, celle dite « de l'Indus » (ou « de Harappa », ou encore « harappéenne »), soit née dans cette région du sous-continent, alors que partout ailleurs dans le reste de l'Inde les populations en sont encore à un stade de civilisation bien moins avancé.
Avec la civilisation de l'Indus, qui dut commencer à se développer au IVe millénaire avant notre ère, commencent l'âge du bronze et, en fait, la protohistoire de l'Inde puisque cette civilisation, à son apogée, entre environ 2500 et 1750 avant J.-C., connaît l'écriture. Mais l'écriture harappéenne non plus que la langue qu'elle note ne sont encore déchiffrées. Ainsi, cette civilisation, par ailleurs assez bien connue sous ses aspects matériels, constitue une énigme.
1.2. La question aryenne
Le millénaire qui suit la disparition de la phase brillante de la civilisation de l'Indus et qui se prolonge jusqu'aux débuts de l'histoire proprement dite (traditionnellement le vie s. avant J.-C., à l'époque du Bouddha) est, lui aussi, énigmatique. Il est en effet presque tout entier concerné par la fameuse question « aryenne », qui, très succinctement, se pose de la façon suivante. D'une part, le corpus littéraire indien le plus ancien : le Rigveda, puis les recueils suivants, ensemble composé en sanskrit védique, langue indo-européenne, sont supposés avoir été élaborés à partir de la seconde moitié du Ier millénaire avant notre ère dans l'Inde du Nord-Ouest.
D'autre part, les archéologues n'ont, pour cette période et dans ces régions, jusqu'à présent, guère trouvé de traces nettes de migrations de populations. On ne retrouve dans le Pendjab, pakistanais aussi bien qu'indien, que des vestiges de cultures harappéennes tardives auxquels font suite, mais après une période d'abandon qui peut avoir duré plusieurs siècles, des vestiges d'une culture qui paraît nouvelle, caractérisée par d'autres types de céramique (en particulier par une poterie grise peinte), et qui, surtout, se développe dans le Doab (l'interfluve entre le Gange et la Yamuna) et dans la haute vallée du Gange.
À cette culture qui doit commencer vers le début du Ier millénaire avant J.-C. fait suite, cette fois sans interruption, une autre culture définie par une forme évoluée de la poterie grise et centrée sur la moyenne vallée du Gange. Cette dernière culture appartient déjà à l'histoire puisqu'elle se prolonge dans la seconde moitié de ce Ier millénaire avant notre ère. À moins de nouvelles découvertes, la pénétration aryenne en Inde n'est donc encore imaginable qu'en termes de langue et de civilisation, les tribus véhiculant langue et idéologie indo-européennes ayant été d'ailleurs, on le sait, nomades et, pour cette raison, n'ayant peut-être pas laissé de traces durables de leurs mouvements.
Il faut enfin ajouter que cette question de la pénétration indo-européenne en Inde devrait être réexaminée si l'une des grandes hypothèses sur la nature de la langue harappéenne se révélait exacte, c'est-à-dire s'il s'agissait déjà d'une langue indo-européenne.
2. La formation de l'Inde ancienne
2.1. Les sources
Les limites chronologiques que l'on assigne habituellement à l'histoire de l'Inde ancienne sont l'époque du Bouddha d'une part, et l'instauration du premier pouvoir musulman à Delhi, en 1206 après J.-C., d'autre part. Les raisons de ce choix sont, avant tout, qu'à chaque fois, avec l'apparition d'une nouvelle religion, un changement se produit dans les sources littéraires qui servent à écrire l'histoire de ce pays (et non un changement radical, politique ou social : pour importants qu'aient été en Inde le bouddhisme et l'islam, l'Inde a toujours été et est toujours majoritairement hindoue).
L'historicité des sources est ici seule en cause. Celle des sources bouddhiques est donc plus nette que celle de la littérature védique (Veda), dont l'élaboration, d'ailleurs, paraît s'achever au milieu du Ier millénaire avant notre ère. D'autre part, près de 2000 ans plus tard, l'histoire en tant que discipline intellectuelle est introduite en Inde par l'islam.
On touche ici à l'un des plus graves problèmes auxquels se heurtent les historiens de l'Inde ancienne. Les sources littéraires, qui restent les sources principales, qu'elles soient bouddhiques, jaïna ou brahmaniques – ces dernières étant de loin les plus considérables –, sont des œuvres religieuses (au sens large) ou purement littéraires. Cela explique que l'histoire proprement dite de l'Inde ancienne, en des temps où fleurit l'une des plus grandes civilisations du monde, soit si schématique en face d'une histoire des idéologies beaucoup plus consistante, sans qu'on ait guère pu, jusqu'à présent, intégrer l'une à l'autre. En d'autres termes, une chronologie, élaborée difficilement pour les temps les plus anciens, puis plus facilement lorsque apparaissent monnaies et surtout inscriptions, ne fournit que des listes de rois dont les activités principales sont l'attaque et la défense, cependant que l'histoire sociale se réduit pratiquement à l'image, figée et certainement passablement idéalisée, que les brahmanes donnent d'une société où ils réclament la première place.
Il est une évolution, toutefois, qui semble s'esquisser dès la fin de l'époque des Gupta (550 après J.-C. environ) et qui conduit, dans les siècles qui suivent, à ce que l'on appelle, assez improprement, le Moyen Âge indien : celui-ci commence à partir du moment où l'on a la preuve qu'aux donations royales de terres, qui, jusque-là, n'étaient que des donations pieuses faites à des brahmanes, à des communautés religieuses diverses ou à des temples, s'ajoutent des donations à des officiers du roi en rétribution de leurs services. Et, peu à peu, lorsque ces donations entraînent, en contrepartie, l'obligation d'entretenir des troupes pour les mettre au service du souverain, lorsque, surtout, d'abord limitées dans le temps, elles deviennent héréditaires, une sorte de noblesse féodale se constitue.
L'histoire de bien des royaumes indiens médiévaux est ainsi celle de dynasties qui ont su profiter de ces attributions de terres pour devenir indépendantes jusqu'à ce qu'à leur tour d'autres profitent de leur faiblesse. Telle est sans doute la raison de l'étonnante « plasticité » de nombre de dynasties qui, tantôt suzeraines, tantôt vassales, durèrent des siècles.
2.2. Les premiers royaumes
L'empire d'Ashoka et son démembrementL'empire d'Ashoka et son démembrement
À l'époque du Bouddha (vers 560-480 avant J.-C.), qui est celle aussi de Mahivara, le fondateur du jaïnisme, subsistent encore des sociétés tribales diverses, indigènes ou « aryanisées ». De telles sociétés persisteront d'ailleurs longtemps : il en existe même aujourd'hui et certaines avaient conservé, il y a moins d'un siècle, des modes de vie qui devaient être ceux du néolithique.
Ainsi, le Bouddha appartenait-il à une famille dirigeante de la tribu ou du clan des Shakya (d'où son nom de Shakyamuni, « Sage des Shakya »). Mais déjà des royaumes sont nés dans la vallée du Gange. La mise en valeur de cette vallée, qui a commencé après l'introduction de la métallurgie du fer dès la première moitié du Ier millénaire avant notre ère, a permis, vers le milieu de ce millénaire, la construction, le long du fleuve, des premières cités. Les sources bouddhiques mentionnent un certain nombre de ces royaumes, tous situés dans la moitié nord du sous-continent.
Parmi ces royaumes, celui du Magadha (sud du Bihar actuel), dont l’essor est probablement dû à ses très riches gisements de cuivre et de fer, tient un rôle central. Ses premiers rois connus sont Bimbisara, contemporain du Bouddha, et son fils Ajatashatru. Leur descendant Udayin transfère la capitale de Rajagrha à Pataliputra (Patna) sur le Gange. Vers 413 avant J.-C., la dynastie Nanda leur succède et Pataliputra deviendra, environ deux siècles plus tard, le centre du premier Empire indien sous la dynastie maurya.
Dans la moitié Sud, la préhistoire a duré plus longtemps, sans doute jusque vers 1500 avant J.-C., et la première mention de peuples méridionaux ne date que du règne d'Ashoka (vers 269-233 avant J.-C.).
2.3. Les Perses et Alexandre le Grand
Dans la seconde moitié du vie siècle avant J.-C., Cyrus puis Darius Ier annexent à l'Empire perse la Bactriane et une partie du bassin de l'Indus. Si les textes indiens n’ont pas laissé de trace directe de cette domination, celle-ci a notamment introduit l'écriture araméo-indienne (kharosthi) en usage dans le Nord-Ouest de l’Inde pendant plusieurs siècles et par l’intermédiaire de l'empire achéménide, les premiers échanges commerciaux et intellectuels avec le monde méditerranéen (et grec) eurent ainsi lieu avant l’expédition d’Alexandre le Grand.
Entre 327 et 325 avant J.-C., Alexandre est aux confins de l'Inde du Nord-Ouest. Il franchit l'Indus, mais ne dépasse pas l'Hyphase (la moderne Bias, l'un des cinq grands fleuves du Pendjab). Aucune mention n'a été retrouvée de cette expédition dans les sources indiennes, mais les sources classiques permettent d'entrevoir que sa venue a précédé de très peu, si elle ne l'a pas favorisée, la prise du pouvoir par Chandragupta, le premier des Maurya, vers 320 avant J.-C.
Le souverain le plus célèbre de toute l'histoire de l'Inde ancienne est le fils de Chandragupta, connu sous le nom de Ashoka (v. 269-v. 233). Il fur le premier à faire graver, sur des colonnes et sur des rochers, à la manière des Achéménides de la Perse, des édits, uniques en leur genre dans l'histoire de l'Inde et qui sont les premières inscriptions indiennes. Ces édits renseignent sur l'étendue de son empire et sur sa politique, dite du dhamma (sanskrit dharma), qui est une exhortation à se conformer à l'« ordre » au sens le plus large, l'ordre cosmique, dont les formes concrètes sont l'ordre religieux et l'ordre politique, celui-ci se devant d'être le garant de celui-là. Cette notion, centrale dans le brahmanisme comme dans le bouddhisme, fonde en partie la politique de tolérance de cet empereur, lui-même bouddhiste.
Mais la cohésion de l'empire ne survit que peu de temps à Ashoka. L'histoire de son déclin est obscure, comme celle des pouvoirs des Shunga 'ou Sunga) et des Kanva qui succèdent aux Maurya à la tête d'un royaume certainement de plus en plus petit (sans que l'on sache le situer avec précision) jusque vers le milieu du ier s. avant J.-C. Ashoka est le seul souverain de l'Inde ancienne qui soit aussi concrètement connu.
3. L'Inde « classique » et médiévale
Après une période assez obscure marquée par des invasions de Scythes puis de Kouchans, autres nomades issus du Turkestan – qui donnent naissance à l’empire de Kanishka, à cheval sur l’Inde et l’Iran, et de ses successeurs –, on voit apparaître, vers la fin du iiie siècle après J.-C., la brillante dynastie des Gupta, que l’on connaît toutefois aussi très mal faute de documents précis.
3.1. L'empire Gupta (v. 320-v. 550)
C’est également la moyenne vallée du Gange qui constitue le cœur du nouvel empire constitué au ive siècle par la dynastie Gupta, fondée par Chandragupta Ier (v. 320-330). Son fils Samudragupta est le vrai fondateur de l’empire, qui s’étendit sous le règne de Chandragupta II (v.375-v. 414) pour comprendre à son apogée l’ensemble de l'Inde au nord de la Narmada. C’est à cette époque dite « classique », que l’hindouisme, encouragé par les souverains de cette lignée, prend tout son essor parallèlement au bouddhisme et au jaïnisme également florissants.
Au milieu du ve siècle, Skandagupta parvient à repousser les Huns hephtalites qui s’imposent cependant jusqu’au milieu du vie siècle et ont raison de l'Empire gupta, qui s'émiette alors en principautés locales. Parmi ces dernières, celle fondée par Harsha (Harsavardhana) — connue grâce à l'un des très rares romans écrits en sanskrit, la Geste de Harsha du poète Bana et par les Mémoires du pèlerin chinois Xuanzang – restaure l’unité de l’Inde du Nord de 606 à 647 à partir de Kanyakubja (Kanauj, dans le Doab). Mais à la mort du souverain, l’Inde du Nord se morcelle de nouveau pendant six siècles.
3.2. L'essor de l'Inde dravidienne
Dans le nord du Deccan, sur les ruines de l’empire maurya, les Andhra avaient déjà constitué un nouveau centre de pouvoir régional à partir de ce qui deviendra l’actuel Andhra Pradesh, qui devait se maintenir jusqu’au iiie siècle, favorisant la pénétration du brahmanisme vers le sud.
À la fin des Gupta, se détachent quatre grands royaumes : dans le Deccan occidental celui des Chalukya au vie siècle, auxquels succèdent les Rashtrakuta aux viiie-xe siècles, et, plus au sud, ceux des Pallava et des Chola qui marquent l’âge d’or de la civilisation tamoule.
Mal connue à ses débuts, c’est à partir du vie siècle que la dynastie des Pallava (d’anciens vassaux des Andhra) étend son influence de la côte sud-orientale autour de Kanchipuram vers le sud de la péninsule. Sous leur règne, un commerce prospère avec l’Asie du Sud-Est commence à se développer. En guerre, dans le nord contre les Chalukya puis contre leurs successeurs, les Rashtrakuta, mais devant aussi affronter au sud les Pandya, les Pallava cèdent finalement devant les Chola, d’anciens vassaux héritiers d’une principauté fondée au iiie siècle.
Ces derniers, à partir de leur capitale Tanjore, s’imposent dans l’ensemble de la péninsule méridionale de la fin du ixe siècle jusqu’au milieu du xiiie siècle, prenant le contrôle de toute la côte orientale après des incursions jusqu’au Bengale et l’Orissa dans le Nord-est, de l’île de Ceylan — qui passe sous la domination des Tamouls au xie siècle pendant quelques décennies – et menant des expéditions maritimes jusqu’en Malaisie et dans le nord de Sumatra. Le règne de Rajendra Ier (1012-1044) en constitue l’apogée. À partir de la fin du xiie siècle, leur puissance s’atténue et les Pandya s’imposent comme la première principauté d’une Inde du Sud de nouveau morcelée.
4. Les premiers pouvoirs musulmans (1206-1526)
Le sultanat de Delhi
La première région indienne conquise par une armée musulmane est celle du Sind, en 712. Elle est l'œuvre d'Arabes commandés par Muhammad ibn al-Qasim, neveu et gendre de Hadjdjadj, gouverneur de l'Iraq. Auparavant, des commerçants arabes et iraniens s’étaient déjà établis sur les côtes orientales.
4.1. Le sultanat de Delhi
Mais l'islam ne sera en fait introduit qu'un demi-millénaire plus tard, par des Turcs établis en Afghanistan, lorsque, en 1206, Qutb al-Din Aybak, lieutenant esclave du sultan Muhammad de Ghur, fonda le sultanat de Delhi. Les conquêtes de Muhammad de Ghur (prise de Lahore en 1186, de Delhi en 1193, du Bengale en 1202) seront précédées, entre 1000 et 1027, des raids, mais sans lendemain, du sultan turc Mahmud de Ghazni contre les plus grandes cités de l'Inde du Nord.
Le sultanat de Delhi devient vite la première puissance de l'Inde du Nord et, après s'être étendu au détriment des royaumes hindous, il va donner naissance à des régimes semblables à lui. Il reste cependant largement étranger à la société indienne sur laquelle il est surimposé et dont subsistent les autorités locales. Sans légitimité et règle précise de succession, si ce n’est la force du clan, il se retrouve à la merci des rébellions internes et des changements de dynasties. Sur ses ruines, en 1526, commencera de s'édifier l'Empire moghol (→ Grands Moghols).
Cinq dynasties, toutes turques, au moins d'origine, sauf la dernière, occupent le trône de Delhi de 1206 à 1526 : celle dite des Esclaves (1206-1290), celle des Khaldji (1290-1320), celle des Tughluq (1320-1414), celle des Sayyid (1414-1450), celle enfin des Lodi, qui appartenaient à un clan afghan établi en Inde, de 1451 à 1526. Iltutmich (1211-1236) et Balban (1265-1286) donnent au sultanat des assises solides et Ala al-Din (1296-1315), pour un temps, des dimensions impériales, grâce aux conquêtes de son général, Malik Kafür, aux dépens des derniers grands royaumes hindous du Deccan et du Sud : Yadava de Devagiri (conquis en 1307), Hoysala de Dvarasamudra au Mysore (1310), Kakatiya de Warangal au Telingana (1309), Pandya de Madurai, tout au sud (1311). Comme ses prédécesseurs, Ala al-Din contient les Mongols toujours menaçants au nord-ouest.
4.2. Le sultanat des Bahmanides et l'empire de Vijayanagar
Sous le règne de Muhammad Tughluq (1325-1351), des gouverneurs s’émancipent du pouvoir de Delhi, dans le Sud (sultanat de Madurai, 1334-1378) comme dans le Nord (Bengale en 1339 où le sultanat des Ilyas Chah se maintiendra jusqu’en 1487). Mais ce sont surtout deux grands royaumes qui se distinguent alors. L’un, musulman, est le sultanat bahmanide fondé en 1347 dans le Deccan occidental par Hasan Gangu, avec pour capitale Goulbarga (nord du Karnataka) ; l’autre hindou, est le royaume de Vijayanagar formé en 1336 par Hariha ra Ier au centre du Karnataka (Hampi) qui parvient à s’étendre sur l’ensemble du territoire méridional autrefois contrôlé par les Chola. Si ce nouvel empire, qui trouve son apogée sous le règne de Krishnadeva Raya (1509-1529), se présente comme le foyer d’une renaissance hindoue, il n’est inspiré par aucune volonté de « reconquête » et, tout en se maintenant pendant plus de deux siècles grâce notamment à un système efficace d’administration, il est finalement défait en 1565 par une coalition de sultans successeurs des Bahmanides.
4.3. La fin du sultanat de Delhi
Firuz Tughluq (1351-1388) saura conserver les territoires qui lui restent, mais il sera le dernier grand sultan de Delhi. En 1398, Timur Lang (Tamerlan) vient piller la ville et massacrer ses habitants. Cette invasion accélère la désintégration du sultanat : le Malwa, en 1401, le Gujerat, en 1403, deviennent des sultanats indépendants, les Rajputs du Rajasthan reconstituent leurs principautés au milieu du XVe siècle et le dernier des Lodi, Ibrahim (1517-1526), doit faire face à d'autres rébellions avant de trouver la mort face au premier souverain moghol, Baber, à Panipat.
5. L'arrivée des Européens (1498-1669)
Les Portugais, qui, avec les Espagnols, s'étaient partagé les mers en 1494 (→ traité de Tordesillas), sont les premiers Européens à atteindre l'Inde et à y établir des bases commerciales. Vasco de Gama touche Calicut en 1498 et Pedro Álvarez Cabral y commerce dès 1500. Cette installation, qui est loin d'être pacifique, devient définitive avec la prise de Goa au sultan de Bijapur par Albuquerque (1510).
Tant que durera l'empire de Vijayanagar (jusqu'en 1565), son allié et partenaire, le commerce portugais sera plus que florissant. Les Portugais restent, en tout cas, les maîtres de l'océan Indien pendant presque tout le xvie siècle.
L'échec de l'Invincible Armada (1588), la publication (1595) par les Hollandais (indépendants de la cration des Provinces unies en 1579) des cartes portugaises, jusque-là gardées secrètes, encouragent les puissances protestantes à briser le monopole hispanique sur le commerce des épices. Les Compagnies des Indes orientales anglaise (East India Company) et hollandaise (Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC) sont fondées, respectivement, en 1600 et en 1602. Les Anglais abordent à Surat (1608), alors principal port de l'empire moghol. C'est là qu'après de longues négociations ils obtiennent d'édifier leur première factorerie (1612).
Pour en savoir plus, voir les articles Compagnie anglaise des Indes orientales, Compagnie hollandaise des Indes orientales,
Le développement ultérieur des comptoirs anglais sera, en grande partie, la conséquence des heurts violents de 1623 avec les Hollandais en Asie du Sud-Est. La Compagnie anglaise se replie donc vers l'Inde et, pour y pratiquer le commerce « triangulaire » qui enrichissait tant ses concurrents, s'établit sur la côte de Coromandel : elle construit (1639), près de la future Madras, un fort qui sera baptisé Saint George. En 1658, elle occupe une ancienne factorerie portugaise sur l'Hooghly, principal affluent du Gange, à plus de 160 km au nord du golfe du Bengale. Son troisième point d'ancrage sera Bombay, cédée aux Anglais par la dot de la princesse portugaise Catherine de Bragance à l’occasion de son mariage avec le roi d’Angleterre Charles II, et confiée par la Couronne à la compagnie en 1668. Surat est alors abandonnée et Bombay fortifiée dès 1669. En Angleterre même, la Compagnie, qui avait failli disparaître sous Charles Ier mais que Cromwell avait sauvée (charte de 1657), obtient désormais des privilèges de plus en plus grands.
La France n'apparaît en Inde que dans la seconde moitié du xviie siècle. Colbert crée la Compagnie française des Indes orientales en 1664. Les premières occupations françaises dans le golfe du Bengale en 1671 à Surat et à Sao Tomé sont éphémères avant que François Martin puisse acquérir le droit auprès du sultan de Bijapur de s'installer à Pondichéry (1674) et du nabab du Bengale à Chandernagor (1688). Pondichéry sera pris par les Hollandais pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, puis restitué en 1699 après la signature du traité de Ryswick (1697). Les autres comptoirs français ne seront acquis qu'au xviiie siècle : Masulipatam, Calicut, Mahé et Yanaon (1721-1723), et Karikal en 1739.
Pour en savoir plus, voir l'article Inde Française.
6. L'Empire moghol
6.1. Les premiers conquérants (1526-1556)
Baber
L'établissement de la dynastie moghole en Inde fut l'œuvre du Timuride Baber (ou Babur), qui, parce que ses espoirs de conquêtes en Asie centrale avaient été contrecarrés par la montée des Ouzbeks en ce début du xvie siècle, avait dû se tourner vers Kaboul et, de là, avait su profiter du déclin du sultanat de Delhi. Trois victoires – sur Ibrahim, le dernier des Lodi, à Panipat, en 1526, sur une confédération rajpute, à Khanua, en 1527, et sur une coalition afghane, près de la Gogra, en 1529 – lui assurent la maîtrise de l'Inde du Nord.
L'histoire de la dynastie moghole, officiellement fondée sur le sol indien en 1527, est alors, et pour près de deux siècles, jusqu'à la mort d'Aurangzeb, en 1707, avant tout celle des luttes et des guerres qui assureront son maintien et sa grandeur, guerres civiles pour des successions toujours férocement disputées, guerres de conquêtes (parfois de reconquêtes) lorsque les premières sont achevées. Cette sorte de sélection naturelle, qui tenait au fait qu'il n'existait pas de droit précis en matière de succession chez les Turcs Djaghataïdes, amena au pouvoir des conquérants remarquablement habiles et implacables.
Le fils de Baber, Humayun (1530-1556), n'aura pas assez de dix ans pour asseoir suffisamment son autorité face aux siens. Il perd en 1540 son royaume au profit d'un Afghan, Chir Chah, à bien des égards meilleur que lui, mais dont, à son tour, la descendance ne peut conserver le pouvoir. Humayun recouvre alors son héritage, quelques mois seulement avant de mourir.
6.2. Akbar et la construction de l’Empire moghol (1556-1605)
L'Empire moghol
Les extraordinaires capacités d'Akbar (1556-1605), tant militaires qu'administratives, jointes à une personnalité hors pair, font du royaume si fragile d'Humayun, son père, un empire solide et véritablement indien.
Une à une, les différentes puissances et les différentes régions, de l'Afghanistan au Bengale et de la bordure himalayenne au nord du Deccan, sont soumises et intégrées dans une structure impériale dont nombre d'aspects administratifs dureront au moins jusqu'aux premiers temps de la domination britannique. L'un des plus grands mérites de l'empereur est, en même temps, de reconnaître la diversité de son peuple et d'en tenir compte pour gouverner. Dans ce sens sont à comprendre des mesures comme la suppression de la capitation (qui, en territoire conquis par l'islam, frappe les infidèles) et la participation, jusqu'au plus haut niveau, d'hindous au gouvernement.
Des considérations politiques aussi, en même temps qu'une forte tendance au mysticisme et que la fréquentation curieuse d'hommes de religions diverses, le pousseront même à tenter d'instituer une forme de syncrétisme religieux lorsqu'il se voudra chef spirituel de ses sujets. L'art du nouvel empire, l'architecture notamment, témoignera de la même ouverture d'esprit.
6.3. Les successeurs d’Akbar et l’apogée de l’Empire (1605-1707)
Les règnes de Djahangir, de 1605 à 1627, puis de Chah Djahan, de 1628 à 1658, sont ceux de la plus grande splendeur moghole, à la cour du moins (à Agra puis, à partir de 1648, à Delhi) et dans les capitales provinciales.
Le règne de Djahangir, en fait celui de sa femme, la princesse persane Nur Djahan, voit Agra, alors deux fois plus grande qu'Ispahan, devenir un modèle d'élégance séfévide. Quant à Chah Djahan, il a laissé avant tout le souvenir du bâtisseur le plus magnifique que l'Inde ait connu. Le Tadj Mahall et la mosquée de la Perle, tous deux à Agra, et la septième cité de Delhi, Chah Djahanabad, sont son œuvre.
Mais, déjà sous ce dernier empereur, l'esprit de tolérance d'Akbar et de Djahangir a cédé la place à une réaction musulmane qui, avec Aurangzeb (1658-1707), deviendra fanatisme et contribuera sûrement au déclin de l'empire, en lui aliénant, entre autres supports, les Rajputs loyaux depuis le temps d'Akbar.
Déjà aussi sous Chah Djahan, le piège s'entrouvre où s'enlisera Aurangzeb. Ce piège c'est le Deccan, précisément les sultanats de Bijapur et de Golconde. Les campagnes successives, coûteuses et dévastatrices, pour annexer ces deux royaumes commencent dès 1631. Elles occuperont Aurangzeb de 1681 à sa mort.
Les guerres de succession, les guerres dans le Deccan, d'autres encore ont finalement ravagé de vastes territoires. L'Empire moghol n'a jamais été aussi étendu qu'à la fin du règne d'Aurangzeb, mais l'Inde est plus misérable qu'au temps d'Akbar. Des révoltes éclatent dans la seconde moitié du xviie siècle, auxquelles le fanatisme de l'empereur donne une coloration religieuse : les sikhs du Pendjab se soulèvent, ainsi que les Rajputs du Rajasthan et surtout les Marathes du Deccan (Sivaji commence sa carrière en 1647 et fonde le royaume marathe en 1674).
7. Le xviiie siècle
Les traits marquants de ce siècle sont le déclin de l'empire moghol, la montée de la puissance marathe, les débuts de l'ingérence des Anglais dans les affaires indiennes et la défaite des Français face aux Britanniques dans l'Inde du Sud.
7.1. Le déclin et l’éclatement de l’empire moghol
Dans un premier temps, malgré bien des vicissitudes – luttes intestines à la cour, manifestations d'indépendance de la part de gouverneurs, attaques venues de la Perse (1739) puis de l'Afghanistan (à cinq reprises, de 1747 à 1761) –, l'Empire moghol reste la première des puissances indiennes jusqu'à la bataille de Panipat (1761), donc pendant plus de cinquante ans après la mort d'Aurangzeb.
Le principal responsable de la défaite de Panipat (militairement, celle de l'armée marathe face aux Afghans de Ahmad Chah) est, en fait, le vizir de l'empire, Imad al-Mulk. Sa gestion, de 1753 à 1761, a été si désastreuse qu'elle a affaibli Delhi au point de susciter une quatrième intervention afghane en 1757, puis une cinquième en 1759, l'obligeant à appeler encore les Marathes à son secours.
Après la défaite de Panipat, l'Empire moghol n'est plus qu'un royaume, celui de Delhi, qui, grâce d'abord au gouvernement du représentant du souverain afghan (1761-1772), puis grâce à celui de Nadjaf Khan (1772-1782), pour le compte du plus talentueux des derniers Moghols, Chah Alam (restauré en 1772), réussit à rester indépendant. Il cesse de l'être lorsque, faute d'une personnalité capable de succéder au khan, le général marathe, Mahadaji Sindhia, se voit offrir le titre de régent de l'empire en 1785.
Les Anglais, ensuite, occuperont Delhi en 1803 lors de leurs campagnes contre Sindhia et la dynastie moghole disparaîtra définitivement quand, après la « mutinerie » (→ révolte des cipayes) de 1857, ils enverront mourir en exil en Birmanie son dernier représentant, Bahadur Chah.
7.2. Les Marathes
La plus grande puissance indienne du xviiie siècle, lorsque décline l'Empire moghol, est celle des Marathes de Pune. Tant que les peshva (Premiers ministres) conservent tout le pouvoir entre leurs mains (de 1714 à 1772), tenant à distance les quatre grandes familles de chefs de guerre qui forment avec eux une sorte de confédération, les Marathes règnent en maîtres, directement ou indirectement, sur l'Inde entière, à l'exception du Bengale. Mais l'affaiblissement de leur pouvoir central, en un temps où les Anglais viennent d'apprendre au Bengale et dans le sud de l'Inde à user de leur influence, conduit à trois guerres (1775-1782, 1803-1805, 1817-1818) qui finissent par anéantir les Marathes et par donner à leurs adversaires britanniques l'empire de l'Inde.
7.3. La rivalité franco-britannique
La guerre de la succession d'Autriche (1740-1748) dans laquelle s’opposent la France, l’Angleterre et leurs alliés respectifs, se double d’un conflit d’ordre colonial entre les deux puissances, notamment en Inde. Il a pour théâtre le Deccan oriental, plus précisément le Carnatic, portion sud-est de la péninsule entre les Ghât orientaux et la côte du Coromandel, et, plus au nord dans le centre, l’État de Hyderabad.
Si Pondichéry est défendue en 1748 avec succès par son gouverneur Dupleix , Madras, qui avait été prise en 1746 par la flotte de Mahé de La Bourdonnais, est rendue aux Anglais par le traité d'Aix-la-Chapelle (1748) en échange de la restitution de Louisbourg au Canada. Dupleix reprend alors la lutte contre les Anglais par princes indiens interposés. Il rencontre un certain succès (prise de Hyderabad en 1751) mais se heurte aux Anglais et à leurs alliés indiens au Carnatic (échec devant Trichinopoly, 1753) avant d’être rappelé par la Compagnie française des Indes et le gouvernement en 1754.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) est l’occasion pour l’Angleterre d’écarter définitivement la concurrence de la France. Chandernagor tombe en 1757 ; Masulipatam en 1759 ; les troupes de Lally-Tollendal sont défaites par celles de sir Eyre Coote à Vandavachy (Wandiwash) en janvier 1760 et Pondichéry capitule l’année suivante avant d’être restitué par le traité de Paris (1763) mais le rôle de la France en Inde est désormais insignifiant.
8. La formation de l'Empire britannique des Indes
L'Inde à l'époque coloniale
Les menées agressives d'un jeune nabab du Bengale, Siradj al-Dawla, en 1756, face à une compagnie de marchands qui entend défendre ses droits, sont le choc initial qui déclenche un processus d'expansion qui, de la simple canonnade de Plassey (juin 1757), commandée par Robert Clive contre le nabab, conduit à la victoire de Buxar, en octobre 1764, cette fois face à une coalition indienne où figure l'empereur moghol.
8.1. L’East India Company, nouvelle puissance territoriale
En 1765, l’East India Company, dont la principale « présidence » est Fort William (à Calcutta) se voit confier par le traité d’Allahabad la perception des impôts et l’administration des Finances dans les trois provinces du nord-est (Bengale, Bihar et Orissa). La même année, elle prend en main les fonctions de défense et de maintien de l’ordre au Bengale. Ce pouvoir ne tardera pas à s’étendre pour devenir sans partage et la Compagnie devient de fait l’une des principales puissances territoriales du sous-continent, dotée d’une puissante armée recrutée parmi les brahmanes et Rajputs du Nord sous le commandement d’officiers britanniques et dont l’entretien absorbera près de la moitié de ses dépenses.
Mais loin d’être le fruit d’une politique délibérée, l'expansion britannique dans toute l'Inde (à partir des présidences de Calcutta, de Madras et de Bombay, avec une nette prééminence de la première à partir de 1793) apparaît plutôt comme un mouvement irréversible, dans lequel la Compagnie, obéissant à une logique à la fois mercantiliste et militaire, est entraînée pour augmenter ses revenus, mais aussi parfois seulement pour les conserver face à des États indiens encore puissants. Ainsi, pour Warren Hastings, gouverneur général du Bengale en 1772-1785, il s’agit avant tout de préserver les possessions britanniques déjà établies dans le Nord comme dans le Sud, en signant notamment un traité avec les Marathes (1782) tandis que son successeur, le général lord Cornwallis (1786-1793), n’entend qu’affaiblir le sultan Tippoo Sahib (troisième guerre du Mysore, 1790-1792) et non annexer son territoire. Sous le gouvernorat de Sir John Shore (1793-1798) la Compagnie privilégie de nouveau la diplomatie.
8.2. L’extension du Raj britannique
C’est à partir de l’arrivée au pouvoir de lord Richard Wellesley, gouverneur général de 1798 à 1805, que la compagnie se lance dans une politique systématique d’annexions territoriales. Tippoo Sahib est battu et trouve la mort en 1799 à l’issue de la quatrième et dernière guerre du Mysore. La majeure partie de ses territoires est annexée de même que le Carnatic en 1801, tandis que Tanjore est placée sous la protection de la compagnie.
Cette politique d’annexion est poursuivie dans le Nord et commence à inquiéter Londres et la direction de la compagnie. Le gouvernorat de lord Minto (1807-1813) marque ainsi une pause dans les conquêtes avant leur reprise sous celui de lord Hastings (1813-1823) : le royaume du Népal, transformé en État tampon, doit céder des territoires (1816) et, surtout, après trois guerres, les Marathes s’inclinent en 1818. À cette date, la Compagnie n’a plus de véritable rival dans le sous-continent à l’exception du plus lointain Pendjab et avec lequel les relations sont encore bonnes.
Elle est cependant engagée dans de nouveaux conflits dont certains en dehors du territoire indien au cours des années suivantes. Sous Amherst (1823-1828), la Birmanie perd la plus grande partie de sa façade maritime. Après un intervalle de sept années de paix sous lord William Bentinck (1828-1835), lord Auckland (1836-1842) cautionne la désastreuse expédition d'Afghanistan. Cette expédition devait s'assurer de ce pays face au péril russe. En 1841, l'armée anglaise de Macnaughten est totalement exterminée.
Lord Ellenborough (1842-1844) venge cette défaite en faisant la conquête (sanglante) du Sind (1842). Lord Hardinge (1844-1848) attaque la dernière grande puissance indienne indépendante, le royaume sikh du Pendjab, jusque-là ami mais en en proie à des troubles depuis la mort de son souverain, Ranjit Singh, en 1839.
La première guerre sikh s'achève (1846) par l'annexion de territoires, entre autres le Cachemire, qui est donné au Rajput Gulab Singh dont la famille régnera jusqu'après l'indépendance de l'Inde (1947). Lord Dalhousie (1848-1856), enfin, achève l'œuvre de son prédécesseur. La seconde guerre sikh aboutit (1849) à l'annexion du Pendjab.
En 1850, l'Empire britannique des Indes s'étend du Bengale à l'Indus, du Cachemire au cap Comorin. D'ultimes expéditions auront lieu contre la Birmanie (1852 et 1885) et contre l'Afghanistan en 1878-1880, sans plus de succès qu'en 1841. Les territoires conquis seront, dans leur grande majorité, administrés directement, mais des centaines d'États autonomes, protectorats en fait liés par traité à la Couronne, gouvernés par des maharaja, subsisteront jusqu'en 1947. Parmi les plus grands figurent le Cachemire et l'État de Hyderabad.
8.3. L'évolution institutionnelle
L'expansion territoriale britannique provoque des mesures destinées à l'administration du nouvel empire et qui touchent au statut de la compagnie des Indes elle-même. La centralisation de l'autorité à Calcutta (confiée au « gouverneur général et conseil de la présidence de Fort William ») s'accompagne du passage progressif de la compagnie sous le contrôle du gouvernement de Londres. La première loi témoignant de cette évolution est le Regulating Act de 1773. L’India Act de 1784, transfère le pouvoir de décision de la Cour des directeurs de la Compagnie à un Conseil de contrôle (Board of Control) relevant de la Couronne.
Puis, par le Charter Act de 1813, la Compagnie perd son monopole commercial. L'Inde est ouverte à l'entreprise privée. Par celui de 1833, elle perd ses activités commerciales pour ne plus être qu'un organisme de gouvernement et le gouverneur général du Bengale devient gouverneur général de l'Inde. Enfin, le Government of India Act de 1858, signant le démantèlement de la compagnie, en transfère toutes les fonctions et propriétés à la Couronne, qui par l’intermédiaire du vice-roi, gouvernera désormais le pays.
Les mesures administratives, pendant cette période, sont nombreuses. Il convient de mentionner le Code que laisse Cornwallis en 1793 et qui définit les règles selon lesquelles s'exercera l'autorité anglaise. La plus célèbre d'entre elles, le Permanent Zamindari Settlement, définit les modalités de la levée de l'impôt foncier au Bengale et fait des zamindar les propriétaires intermédiaires entre les paysans et l'Administration. Dans le Sud, la perception de cet impôt sera différente, dans son principe. L'impôt, aux termes du Ryotwari Settlement mis en place par Thomas Munro, gouverneur de Madras de 1820 à 1827, sera exigé directement des paysans par l'Administration. Dans le premier cas, l'Angleterre tente de substituer une sorte de « gentry » à l'ancienne noblesse moghole ; dans le second, elle tente de faire des paysans les seuls propriétaires des terres qu'ils cultivent, ce qui revient à vouloir changer les structures sociales traditionnelles…
D'une manière générale, toutes les mesures que les Anglais prennent, dans la première moitié du xixe siècle, amènent des transformations partielles de la société indienne. Par exemple, la levée (1833) de l'interdiction faite jusque-là aux missionnaires de venir exercer leurs activités en Inde ainsi que l'introduction, vers la même époque, de l'éducation anglaise font naître une culture anglo-indienne, illustrée d'abord par le mouvement dit de la « renaissance hindoue » au sein de l’intelligentsia bengali. Et les Britanniques tentent des réformes sociales (interdiction, par exemple, du suicide des veuves en 1829). En matière économique, de même, l'abolition du monopole commercial de la Compagnie rend l'Inde dépendante de l'étranger (c'est-à-dire de l'Angleterre). Mais cette mesure fait aussi naître un capitalisme indien…
8.4. La « mutinerie »
L'œuvre du gouverneur général Dalhousie (1848-1856) résume assez bien les bouleversements que l'Angleterre impose à l'Inde pendant la première moitié du xixe siècle. Bouleversements techniques par le lancement de la construction du réseau ferré, et celle du réseau télégraphique, ainsi que par la mise en place d'un réseau postal uniforme. Bouleversements politiques par l'application de la doctrine dite du « lapse », selon laquelle, en l'absence d'héritier direct, un royaume revient à son suzerain, donc à la compagnie. Cette doctrine, contraire à la loi hindoue et à la loi musulmane, qui reconnaissent les droits des héritiers par adoption, permet à Dalhousie des annexions pacifiques et des économies substantielles, car le principe est également appliqué aux pensions.
Cette politique impérialiste culmine avec l'annexion de l'Aoudh, en 1856, non parce que son souverain n'a pas d'héritier, mais sous le prétexte de mauvais gouvernement. L'Aoudh est, en fait, l'une des régions les plus riches de l'Inde. Cette annexion est une erreur à laquelle viennent s'en ajouter d'autres commises par lord Canning (1856-1862), dernier gouverneur général de l'Inde et premier vice-roi.
Révolte des cipayesRévolte des cipayes
Le 9 mai 1857, à Meerut (à environ 50 km au nord de Delhi), éclate dans l'armée du Bengale ce que les Anglais appelleront une « mutinerie », mais qui sera plus qu'une simple révolte de soldats, sans cependant atteindre les dimensions d'une révolte nationale, faute d'une direction et d'un idéal communs. C'est, sans doute, le « dernier sursaut d'un ordre condamné », dont certains éléments supportaient mal les spoliations et la pacification énergique de la puissance étrangère. Cette révolte qui, pendant l'été de 1857, ne fait vraiment perdre aux Anglais que le contrôle du cœur de la vallée du Gange, est rapidement matée, souvent avec une extrême cruauté.
La « mutinerie » (ou révolte des cipayes) aura de multiples conséquences. Un mur de défiance opposera désormais les deux communautés, et l'Angleterre, qui se voulait éducatrice et civilisatrice, n'essaiera plus de légiférer dans des domaines touchant à la religion et aux mœurs. L'évolution de l'Inde au siècle suivant sera bien davantage due au rôle économique que lui fera jouer la puissance coloniale, initiatrice, partenaire et rivale, et à la prise de conscience des Indiens de leur identité.
9. L'Inde coloniale
9.1. Le gouvernement de l'Inde
L'Inde britannique, résultat de cette politique de conquêtes et d'annexions, est devenue, au fil des années, un immense empire comprenant deux sortes de territoires : des territoires administrés directement et des territoires princiers (plus de 600 au début du xxe siècle) soumis au régime de l'administration indirecte, autonomes, mais sans aucune indépendance réelle.
L'Empire est, depuis Calcutta (depuis Delhi à partir de 1911), dirigé par un vice-roi (successeur du gouverneur général depuis 1858) nommé par le gouvernement anglais et dépendant du secrétaire d'État à l'Inde, ce dernier, membre du gouvernement de la Couronne. Le vice-roi est assisté d'un Conseil exécutif, purement consultatif, d'abord de six membres nommés par Londres. Son Conseil législatif est le même, mais augmenté de seize membres nommés par lui. L'administration impériale est absolument centralisée dans la mesure où les gouverneurs de province, assistés de leurs conseils, ne sont que des délégués du vice-roi qui les nomme. Cette centralisation autoritaire est pesante. Elle prend la forme, le temps passant, d'une machine bureaucratique énorme et conservatrice.
L'administration quotidienne repose, elle, presque entièrement sur la personne du collecteur de district, au début homme de terrain, homme à tout faire, aux fonctions à la fois exécutives et judiciaires. Puis, ses tâches ne cessant de croître, ce personnage devient un bureaucrate qui supervise, à la tête d'une administration indigène.
Les administrateurs britanniques appartiennent au corps de l'ICS (Indian Civil Service), dont les Indiens, longtemps, ne pourront faire partie puisque, jusqu'en 1922, le concours d'entrée se passera obligatoirement en Angleterre. Ce corps est resté célèbre pour l'esprit victorien qui l'animait, mais qui le rendait anachronique et incapable d'innover. Toutes les initiatives rendues nécessaires par la poussée nationaliste et par les grands événements mondiaux (les deux guerres mondiales, la crise de 1929) viendront toujours de Londres et se heurteront au conservatisme de ces fonctionnaires coloniaux.
9.2. L'Inde rurale
L'Inde sur laquelle les Britanniques étendent leur empire est un pays rural (le pourcentage de la population urbaine est de 10 % en 1901 et ne sera que de 13 % en 1941) peuplé de villages (730 000 en 1901) isolés, pratiquement autarciques, aux structures sociales héritées d'un très long passé.
La société y est divisée en castes hiérarchisées et cette structure conditionne tous les aspects de la vie rurale. Si le nombre des castes, à considérer l'Inde dans son ensemble, apparaît presque infini, à l'intérieur d'un même village, trois groupes peuvent être, du point de vue économique, définis. Au sommet de la hiérarchie, la caste dominante possède la plus grande partie des droits sur la terre, sans la travailler elle-même. En dessous, et dépendant largement de la classe précédente, viennent les petits propriétaires, les tenanciers et les artisans ruraux. Les exploitations à ce niveau sont petites, guère plus du minimum vital, parfois moins. En bas, enfin, se tiennent les plus pauvres et les plus méprisés, les paysans sans terre et les castes de service impures, en général intouchables. C'est dans ce prolétariat que figurent les paysans non libres endettés dans des conditions qui ne leur permettent pas de racheter leurs dettes.
Dans ce monde, les Anglais introduisent un certain nombre de nouveautés qui, directement ou indirectement, transforment les structures agraires. Il s'agit d'abord de l'établissement de nouveaux systèmes fonciers (dès 1793) qui, en instituant le droit de propriété, bouleversent les droits traditionnels sur la terre, rompant par là l'équilibre de l'économie villageoise. Il s'agit ensuite de l'introduction des cultures industrielles et de la commercialisation croissante de l'économie agricole, phénomènes qui, joints à la concentration de la propriété foncière qui avait suivi l'institution de la propriété, vont déséquilibrer la production agricole et l'assujettir aux fluctuations des cours mondiaux. Enfin, aux facteurs de déséquilibre touchant une société bloquée, s'ajoute, à partir de 1921, le facteur démographique. À partir de 1921, en effet, le taux de mortalité chute de façon continue (il passe de 40 à 50 ‰ avant cette date à 31,2 ‰ en 1941) en face d'un taux de natalité stationnaire aux environs de 45 ‰.
9.3. L'industrie pendant la période coloniale
Le secteur moderne de l'économie indienne, de type capitaliste, est d'abord aux mains d'hommes d'affaires britanniques qui qui peuvent exercer leur activité fortement monopolistique grâce au système des agences de gestion (managing agency system) créé entre 1834 et 1847 à Calcutta puis généralisé à l’ensemble du territoire : les sociétés londoniennes, ignorantes du milieu indien, confient la gestion de leurs capitaux à de vieilles firmes implantées depuis longtemps en Inde.
Ces agences, qui détiennent, en le concentrant aux mains de quelques-uns, le pouvoir économique, fleurissent jusque dans les années 1920. Après quoi commence à se développer un capitalisme indigène, calqué sur le modèle anglais, œuvre de communautés précises (et d'abord celle des parsis, qui avaient commencé, au siècle précédent, à faire des affaires en tant qu'intermédiaires [compradores] dans le commerce du coton et de l'opium). Ce développement se produit à la faveur, notamment, d'une protection douanière (mais sélective) de l'industrie indienne, des difficultés auxquelles se heurte l'industrie en métropole dans les années 1930, et des succès que remporte le nationalisme indien. Les deux guerres mondiales, en isolant l'Inde et en augmentant la demande anglaise, favoriseront aussi l'essor de l'industrie indienne.
Cela étant, le bilan industriel de l'Inde au moment de l'indépendance ne sera nullement en rapport avec les besoins du pays. La raison principale en est que l'industrie indienne est longtemps restée de type colonial, c'est-à-dire déséquilibrée. Certains secteurs seulement ont été développés : fabrication du thé, industrie du coton dans l'Inde de l'Ouest, du jute au Bengale, extraction de la houille au Bihar et en Orissa, au détriment des industries de base que le gouvernement n'a pas aidées, laissant par ailleurs les frontières ouvertes aux importations de la métropole. L'une des conséquences de cette politique est que longtemps subsistera un vaste secteur inorganisé et archaïque. Enfin, l'industrie coloniale, centrée sur les ports, ne contribue pas au développement du reste du pays.
Pour en savoir plus, voir l'article Inde : vie politique depuis 1947.
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RÉVOCATION DE L'ÉDIT DE NANTES |
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révocation de l'édit de Nantes
Cet article fait partie du dossier consacré à Louis XIV.
Édit signé par Louis XIV le 18 octobre 1685 à Fontainebleau, qui mit fin à l'existence légale du protestantisme en France (sauf en Alsace).
L'édit de Nantes : de la tolérance…
Dès le début de son règne personnel, Louis XIV s'engage dans une politique de réduction progressive du protestantisme, bien que la minorité protestante (environ un million de Français en 1661) ne forme plus un « État dans l'État », la paix d'Alès (1629) lui ayant enlevé ses privilèges politiques (assemblées) et militaires (places de sûreté) accordés par Henri IV lors de l'édit de Nantes.
La politique royale est approuvée par le clergé et par la très grande majorité des Français, qui a toujours considéré l'acte de tolérance d'Henri IV comme un compromis provisoire.
Jusqu'en 1679 Louis XIV favorise les conversions, en utilisant même les moyens financiers (caisse de conversions, 1676), et s'en tient à l'application restrictive de l'édit de Nantes (tout ce qui n'est pas formellement permis par l'édit est interdit), ce qui conduit notamment à la démolition de nombreux temples, à l'obligation de procéder aux enterrements de nuit, à la réduction du nombre des écoles réformées.
… à la persécution
Scène de dragonnade
Des vexations, le gouvernement monarchique passe à la persécution en 1679 : exclusion des huguenots des offices et de la plupart des professions libérales, suppression des chambres mi-parties (tribunaux moitié catholiques-moitié protestants), conversion des enfants protestants autorisée dès l'âge de sept ans, dragonnades.
L'édit de Fontainebleau
Des listes d'abjurations par milliers arrivent alors à Versailles. Fort de la conversion de « la plus grande partie des sujets protestants », Louis XIV révoque l'édit de Nantes par l'édit de Fontainebleau (18 octobre 1685) qui rétablit l'unité religieuse du royaume, ciment de l'unité politique.
Cet édit, rédigé par le chancelier Michel Le Tellier, interdit le culte protestant, ordonne la démolition des temples, la fermeture des écoles réformées, l'obligation du baptême et du mariage catholique, l'expulsion des pasteurs qui refuseront de se convertir ; en revanche, il interdit aux laïcs protestants d'émigrer sous peine des galères.
Quel impact sur le royaume ?
Applicable à tout le royaume – sauf à l'Alsace, où l'édit de Nantes n'avait jamais été appliqué –, la révocation est accueillie avec enthousiasme par l'opinion catholique.
Malgré l'interdiction royale, entre 200 000 et 300 000 réformés, appartenant surtout aux professions libérales et aux métiers du négoce et de l'artisanat, s'enfuient vers les pays de refuge de l'Europe protestante, dont ils enrichiront le potentiel économique et intellectuel. Les grands négociants et les financiers, toutefois, n'émigrent pas et poursuivent sans dommages leurs activités dans le royaume.
Les Provinces-Unies accueillent le plus gros contingent de réformés (environ 70 000), suivies de l'Angleterre (50 000), du Brandebourg (25 000) et de la Suisse (22 000). Cet exode s'accompagne en Europe d'une véhémente critique contre la tyrannie louisquatorzienne, alimentée par les écrits des réfugiés, qui favorisent la formation de la deuxième coalition européenne contre la France (1679-1688).
Quant aux protestants restés dans le royaume, ils résistent à la pression exercée sur eux. Nombre de « nouveaux convertis » adoptent une « façade » catholique, tout en restant calvinistes de cœur. De 1702 à 1705, les camisards défendent les assemblées du Désert contre les armées royales. Après 1760, le Désert bénéficiera d'une relative tolérance. Sous la pression de l'opinion libérale et philosophique, Louis XVI redonne une existence légale aux protestants par l'édit du 17 novembre 1787, qui leur accorde l'état civil.
Pour en savoir plus, voir l'article protestantisme.
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