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LA PHYSIQUE EN CHAMPS MAGNÉTIQUE INTENSE

 

 

 

 

 

 

 

Texte de la 596 e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 18 juillet 2005

Par Geert Rikken: « Physique en champ magnétique intense »

Introduction

Dans cette conférence je vais vous parlez des champs magnétique intenses comme outil de recherche en physique. Vous pourrez voir que d'autres domaines s'en servent également. Je vais commencer avec par une petite introduction historique qui tracera un bref aperçu des lois fondamentales et des techniques pour générer les champs magnétiques intenses. Puis je présenterai trois grandes catégories dans lesquelles on peut classer l'utilisation des champs magnétiques intenses. D'abord il y a la manipulation magnétique ou des forces mécaniques font bouger et s'orienter des objets. Dans la deuxième catégorie on utilise un champ magnétique pour sonder l'état de la matière, c'est-à-dire l'état où elle serait en l'absence du champ magnétique. Puis, dans la troisième catégorie, le champ magnétique crée un nouvel état de la matière qui n'existe pas sans champ magnétique.

Dans la dernière catégorie, il n'y a pas trop d'applications quotidiennes quand on parle des champs très intenses. Pour la manipulation magnétique, il y a beaucoup plus d'application que vous connaissez sans doute, parce que la plupart se rencontrent dans la vie quotidienne. De l'autre coté, en termes d'intensité, c'est la dernière catégorie qui demande les champs les plus élevés et c'est là dessus que les laboratoires de recherche des champs intenses travaillent le plus.

Historique

Le champ magnétique a fasciné les gens depuis prés de 3000 ans. Les anciens chinois le connaissaient déjà et les Romains discutaient déjà l'origine du mot. On trouve deux versions dont l'une est proposée par Lucrétius faisait descendre le mot du nom de la région Magnésie qui se situe en Grèce, et où l'on trouve des aimants permanents constitués essentiellement d'oxyde de fer aimanté. Euclide racontait l'histoire d'un berger, Magnès, qui aurait découvert le phénomène parce que les clous dans ses bottes étaient attirés par certaines pierres. C'est ainsi que l'on aurait donné son nom au phénomène.

Au Moyen Age il y a eu beaucoup d'histoires autour du magnétisme, et les gens ont cru qu'il était médicinal, ou même diabolique. Il faut attendre 1600 pour voir le premier traité scientifique sur le magnétisme. Il est l'Suvre de William Gilbert, le médecin de la Reine d'Angleterre Elizabeth. C'est à cette période que l'électricité a commencé à faire son apparition. Jusqu'en 1820 on considérait que les deux étaient complètement différents, l'un n'ayant rien à faire avec l'autre. C'est le danois Christian Oersted qui a démontré expérimentalement, et par pur hasard, que les deux sont intimement liés. Alors qu'il effectuait une expérience en électricité sur une table se trouvait à proximité sur une autre table une boussole pour une expérience de magnétisme. Il constata que la boussole bougeait quand il faisait passer un courant électrique sur la première table. C'était la preuve que le courant créait un champ magnétique. Une dizaine d'années plus tard Faraday démontra à l'inverse qu'un champ magnétique variable pouvait créer un champ électrique. Tous ces phénomènes ont finalement été résumés par Maxwell dans une forme mathématique qui lie le champ magnétique, le champ électrique, le courant et les charges. Il en donna ainsi une description homogène et cohérente qui s'est avéré correcte jusqu'aujourd'hui.

Depuis, de nombreuses recherches ont été menées dans le domaine des champs magnétiques comme le montre la liste des prix Nobel liés aux résultats obtenus en champ magnétique ou autour de ce domaine (Cf. figure 1). Parmi ces prix certains ont été décernés en physique, d'autres en chimie et en médecine, certains pour des découvertes de phénomènes fondamentaux et d'autres également pour de l'instrumentation développé autour des champs magnétiques, comme par exemple le cyclotron ou le spectromètre de masse qui sont tous les deux basés sur le champs magnétique.

figure 1

Les lois fondamentales

Souvent des gens me demandent « qu'est-ce qu'un champ magnétique ? », et je n'ai pas vraiment de réponse satisfaisante. Une réponse brève et simple est que c'est une manifestation du champ électromagnétique. Il faut simplement accepter de considérer que l'électromagnétisme est une des quatre interactions fondamentales de l'univers et qu'il n'est pas possible de le réduire à des choses encore plus élémentaires. Une autre définition assez utile du champ magnétique est que c'est une influence qui entoure une charge électrique qui bouge.

En électricité, l'objet élémentaire est la charge électrique, en magnétisme les choses ne sont pas si simples. Il n'existe pas une charge magnétique, l'objet élémentaire est le dipôle magnétique qu'on peut s'imaginer comme un courant circulaire. Le moment magnétique correspondant est le rayon fois la vitesse fois la charge et ce moment crée un champ magnétique autour de lui.

Les lois fondamentales classiques du champ magnétique sont assez simples.

D'abord, il y a la force de Lorentz qui dit qu'une charge qui bouge dans un champ subit une force perpendiculaire à la vitesse et au champ. Dans un champ magnétique homogène, un électron fait donc un mouvement circulaire, qui s'appelle le mouvement cyclotron, caractérisé par le rayon cyclotron et la fréquence cyclotron. Deuxièmement, un champ magnétique induit un moment magnétique dans n'importe quelle matière, c'est-à-dire également dans celle qu'on appelle non-magnétique. Si le moment induit s'oppose au champ, on parle de diamagnétisme, si c'est l'opposé, on parle de paramagnétisme. Finalement, l'énergie d'un dipôle dans un champ est le produit scalaire du moment et du champ, qui fait qu'un dipôle préfère être parallèle au champ. Cette énergie s'appelle l'énergie de Zeeman.

Dans la recherche moderne, les champs magnétiques sont souvent appliqués à des systèmes quantiques, dans la physique des solides ou la physique atomique. Dans ces systèmes, les lois quantiques sont dominantes. Le premier phénomène quantique surprenant, lié au champ magnétique est que les particules comme les électrons ou les protons ont un moment magnétique intrinsèque, qu'on appelle le spin. Pour employer une image simple, il faut imaginer que ces particules chargées tournent autour d'un axe. La mécanique quantique dit que le spin des électrons ne peut avoir que deux valeurs, up et down. Il n'existe aucune explication classique pour ce phénomène qui a été découvert expérimentalement sans aucune prévision théorique. Dans la mécanique quantique, il existe aussi un mouvement cyclotron, mais plus compliqué et bien sur quantifié. Le rayon cyclotron, quantifié, est proportionnel à la longueur magnétique, qui correspond pour un champ d'un Tesla à 25 nanomètres, ce qui fait que les champs magnétiques trouvent aujourd'hui beaucoup d'emploi dans les nanosciences. L'énergie cyclotron est quantifiée, et proportionnelle à la fréquence cyclotron. On appelle ces niveaux d'énergie les niveaux de Landau. Le dernier aspect quantique un peu bizarre du champ magnétique est que le champ lui-même devient quantifié, et n'est plus un paramètre continu. Le quanta de flux magnétique est donné par des constantes fondamentales et correspond au champ magnétique qui traverse la surface d'une orbite cyclotron fondamentale d'un électron. L'intensité du champ correspond maintenant à la concentration des quantum de flux.

Cela nous amène au dernier aspect quantique de la physique en champ magnétique. La mécanique quantique connaît deux grandes familles de particules. D'un coté, il y a la famille des fermions, qui consiste en particules qui ont un spin non entier, très souvent ½, et qui ont comme particularité de ne pas pouvoir se partager un état à une énergie donné. Les électrons et les protons en sont des exemples. D'un autre coté, il y a la famille des bosons, qui consiste en particules qui ont un spin entier, et qui ont comme particularité qu'il peuvent se partager un état à un énergie donné. Les photons et certains atomes sont des exemples de bosons. La différence entre bosons et fermions devient importante quand on met beaucoup de particules ensembles. Les fermions ne veulent pas être tous à la même énergie et beaucoup d'entre eux sont donc forcés d'occuper des états à plus hautes énergies. A une température égale à zéro, le niveau de Fermi sépare les états vides des états remplis. Pour les bosons, les choses sont complètement différentes. A une température inégale à zéro, les bosons occupent une gamme d'énergie à cause des excitations thermiques. Mais si on baisse suffisamment la température, il peuvent tous se partager l'état de la plus basse énergie et ainsi créer un état cohérent. Cette transition s'appelle la condensation de Bose-Einstein, et fournit l'explication de la superfluidité de hélium liquide et de la supraconductivité ( Cf. figure 2).

figure 2

La supraconductivité est un phénomène qui a une relation à la fois difficile et fructueuse avec le champ magnétique, comme on le verra après. Dans certains cristaux se crée une attraction entre les électrons, malgré la répulsion Coulombienne, qui est le résultat de la déformation du cristal par les électrons. Deux électrons peuvent ainsi former une paire, appelé paire de Cooper, dans laquelle ils ont leurs moments cinétiques et leurs spins opposés. Cette nouvelle entité, la paire de Cooper, a donc un spin totale égal à zéro et est un boson. A une température suffisamment basse, toutes les paires peuvent condenser dans un état quantique cohérent. Cet état, observé pour la première fois par Kamerlingh Onnes en 1911, a deux propriétés remarquables : la résistivité électrique égale à zéro, d'où le nom supraconductivité, et le champ magnétique expulsé de l'intérieur du cristal, ce que l'on appelle l'effet Meissner. Cet effet existe jusqu'à une valeur critique du champ. Les champs plus intenses détruisent la supraconductivité parce que le deux spins de la paire de Cooper veulent tous les deux s'aligner avec le champ, annihilant ainsi la paire de Cooper et la supraconductivité.

La pratique des champs intenses

Les ordres de grandeur des champs magnétiques qu'on rencontre sont très divers. Autour de nos cerveaux on trouve des champs extrêmement faibles, liés aux activités cérébrales, et utilisés pour étudier ces dernières. Dans l'espace intra stellaire on trouve des champs faibles dont personne ne connaît l'origine. Le champ le plus connu est bien sur celle de la Terre qui fait aligner nos boussoles. Les aimants permanents ont un champ entre 0,1 et 1 Tesla. Des champs plus intenses sont générés par des électro-aimants, qui peuvent aller jusqu'à 1000 Tesla. La Nature a trouvé des moyens plus efficaces, et sur certaines étoiles, appelés les magnétars, les astronomes ont observés des champs d'un milliard de Tesla.

Dans ce qui suit je ne parlerai plus des champs faibles, en dessous d'un Tesla, pour me concentrer sur les champs intenses, crées par des électro-aimants ( Cf. figure 3).

figure 3

La seule méthode de créer un champ magnétique intense est de faire circuler un courant électrique très fort dans un solénoïde. Il y a deux problèmes à résoudre.

D'abord il y a le réchauffement du conducteur à cause du courant électrique. Pour éviter ce réchauffement, on peut utiliser un fil supraconducteur à basse température, qui n'a aucune résistivité électrique. Cette approche est limitée par les champs magnétiques critiques qui détruisent la supraconductivité. L'alternative consiste à refroidir le conducteur pour enlever la chaleur générée par la dissipation électrique.

Le second problème est la force de Lorentz. Le courant et le champ magnétique qu'ils génèrent ensembles créent une force de Lorentz qui va radialement vers l'extérieur, comme si le champ créait une pression magnétique à l'intérieur qui fait exploser le solénoïde quand elle devient trop forte ( Cf. figure 4). Pour remédier à ce problème, les électro-aimants sont construits avec des conducteurs ultra forts, ou avec un renfort externe.

figure 4

Les champs magnétiques intenses statiques jusqu'à quelques Tesla sont généré avec des fils en cuivre sur un noyau en fer, le plus fort de ce type étant l'aimant de Bellevue, construit au début du 20me siècle, qui a atteint 7 Tesla. Des champs atteignant jusqu'à 22 Tesla peuvent être générés avec des fils supraconducteurs refroidis avec de l'hélium liquide. Pour aller encore plus haut, la seule méthode consiste à utiliser du cuivre comme conducteur, en prenant soin de baisser la température par refroidissement à l'eau. Des puissances électriques jusqu'à 20 MW, refroidies avec 300 litres d'eau froide par seconde, permettent de générer jusqu'à 33 Tesla. En combinant les deux dernières techniques, on construit des aimant hybrides, qui ont généré jusqu'à 45 Tesla.

Pour aller plus haut en champ, on doit se contenter des champs transitoires, avec des durées en dessous d'une seconde. A Toulouse on produit des champs jusqu'à 60 Tesla avec des bobines monolithiques, faites d'un fil ultra fort et d'un renfort externe. Avec deux bobines concentriques on peut mieux répartir les contraintes mécaniques et atteindre jusqu'à 77 Tesla, comme l'a démontré récemment une collaboration européenne basée à Toulouse. Si on veut aller encore plus haut il faut accepter que la bobine soit détruite pendant le tir. Les bobines « monospire » sont constituées d'une seule spire en cuivre, qui explose radialement vers l'extérieur pendant un tir, laissant l'expérience au centre de la bobine intact. De cette façon on peut créer jusqu'à 300 Tesla. Les champs les plus intenses sont générés par la compression de flux ; le champ créé par une petite bobine est compressé par un cylindre en cuivre qui à son tour est comprimé par une explosion. Des champs jusqu'à 2000 Tesla ont été obtenus, mais l'expérience a été complètement détruite par l'explosion ( Cf. figure 5).

figure 5

Applications des champs intenses ; manipulation magnétique

Après cette partie technique, passons maintenant aux applications des champs.

La première catégorie d'application est la manipulation magnétique. Ce qui est très connue c'est bien sur l'orientation magnétique, comme, par exemple, dans le cas d'une boussole. On connaît un peu moins la séparation magnétique qui permet d'enlever des composant magnétique d'un mélange, par exemple les ordures ménagères. Assez actuel, avec l'arrivé d'ITER en France, est le confinement magnétique ou l'on peut confiner des particules chargés dans une volume sans qu'ils touchent le parois. Dans les tokamaks, comme ITER, un plasma ultra chaud est ainsi confiné. Toutes ces applications, ainsi que d'autres, comme la réfrigération magnétique ou le frein magnétique, impliquent des champs assez modestes, de quelques Tesla.

Ce qui est plus intéressant en termes de champs intenses est la lévitation magnétique. Non seulement cela demande des champs plus forts mais en outre il semble exister un problème fondamental pour ce phénomène. Il y a un vieux théorème, appelé le théorème d'Earnshaw, qui dit qu'il n'est pas possible d'atteindre une lévitation stable de charges ou d'aimants dans un champ magnétique statique. Si vous avez jamais essayé de prendre deux aimants permanents et d'en faire léviter un au dessus de l'autre, vous savez que c'est effectivement impossible. Il existe deux façons de contourner le théorème d'Earnshaw. La première est la lévitation dynamique, la deuxième la lévitation diamagnétique. Commençons avec la lévitation dynamique. Si le théorème d'Earnshaw interdit la lévitation stable, la stabilité nécessaire à conditions que l'on puisse activement réguler la lévitation. Par exemple on peut avoir une attraction entre un aimant permanent et un électro-aimant. Dès qu'ils se rapprochent trop, on réduit le courant dans l'électro-aimant pour qu'ils s'éloignent. Dès qu'ils s'éloignent trop, on augmente le courant etc. Il faut donc un système électronique de rétroaction pour arriver à une lévitation quasi stable. Ce principe a été implémenté dans le train à lévitation allemand TransRapid, ce qui lui permet d'avancer, sans friction avec les rails, à des vitesses allant jusqu'à 500 km/h.

Avec la lévitation diamagnétique on se sert d'une autre astuce pour contourner le théorème d'Earnshaw ; le diamagnétisme. Le diamagnétisme, ou le matériau repousse le champ magnétique, est un phénomène purement quantique, qui n'est pas couvert par le théorème d'Earnshaw. Dans un champ magnétique inhomogène, le champ exerce une force sur le matériau diamagnétique qui peut compenser la force gravitationnelle, permettant ainsi de faire léviter l'objet. Pour de l'eau, il faut un gradient magnétique d'à peu près 1000 T2/m pour que la lévitation ait lieu, valeur que l'on peut obtenir grâce à des électro-aimants performants. Par exemple, des êtres vivants, qui sont constitués principalement d'eau, peuvent être lévités ainsi en simulant l'apesanteur, une méthode bien sur moins chers que celle qui consiste à les envoyer dans une station spatiale. On peut aussi utiliser la lévitation diamagnétique comme outil de recherche pour étudier par exemple les interactions entre des gouttes d'eau, qui montrent des collisions élastiques sans fusion. On peut observer la lévitation diamagnétique à son extrême en faisant léviter un aimant permanent au dessus d'un supraconducteur, l'effet Meissner du supraconducteur représentant le diamagnétisme total ( Cf. figure 6).

figure 6

Applications des champs intenses ; sonder la matière

La deuxième catégorie des applications des champs intenses concerne le champ magnétique utilisé comme outil pour sonder la matière et déterminer ses propriétés, y compris des propriétés non-magnétiques. La première est l'effet Hall, qui est une conséquence de la force de Lorentz et qui fait qu'un courant qui passe perpendiculairement à un champ, crée un champ électrique perpendiculaire à ce courant et à ce champ. Cet effet permet de déterminer le signe de large des porteurs et leur concentration. La deuxième application dans cette catégorie est la résonance magnétique. Comme je l'ai expliqué avant, un moment magnétique quantique peut avoir deux valeurs, spin up et spin down, et ces deux états sont séparés par l'énergie de Zeeman. Si on irradie ce moment avec de la radiation électromagnétique, dont la fréquence correspond exactement à cette énergie, cette radiation peut être absorbé, le spin sera tourné du down vers le up et on parle alors de résonance. Ce principe peut être appliqué à plusieurs types de moments magnétiques. Pour les spins nucléaires, on parle de résonance magnétique nucléaire (RMN) et les fréquences nécessaires sont entre 10 et 1000 MHz. Si on l'applique aux spins des électrons, on parle de résonance paramagnétique des électrons (RPE) et les fréquences sont typiquement mille fois plus hautes, entre 10 et 1000 GHz. On peut aussi l'appliquer aux moments magnétiques orbitaux, comme le mouvement cyclotron des électrons (on parle de résonance cyclotron, dans le domaine de fréquences terahertz) ou des ions. Ces ions on peut les créer en ionisant des molécules et ainsi on peut déterminer la masse des molécules avec une très haute précision en mesurant la fréquence de résonance avec une haute précision. Dans ce qui va suivre je souhaite montrer pourquoi la RMN et sa dérivé, l'IRM (imagerie par résonance magnétique), sont tellement puissantes et utiles.

L'essentiel est que la RMN sonde le champ magnétique local d'un spin nucléaire. Si vous imaginez par exemple une molécule de benzène avec un champ perpendiculaire à l'anneaux des atomes de carbones, le moment magnétique induit dans les électrons de la molécule crée son propre champ magnétique qui est superposé au champ externe et qui fait que les protons dans le noyau des atomes d'hydrogène qui sont à l'extérieur de cet anneaux, voient un champ local légèrement différent ( Cf. figure 7). Leur fréquence de résonance sera donc un peu différente que la valeur pour un proton libre et cette différence est une empreinte pour l'environnement chimique de ces protons. En mesurant les différentes fréquences de résonances des protons dans une molécule organique, on peut déduire l'environnement chimique de chaque type de proton et ainsi reconstruire la structure de la molécule. Aujourd'hui la RMN est une des méthodes d'analyse les plus performantes en chimie organique. Des champs magnétiques très intenses sont nécessaires pour analyser les solides par RMN, parce que les raies de résonance sont beaucoup plus larges.

figure 7

Vous connaissez probablement tous quelqu'un qui a subit un examen d'imagerie par résonance magnétique, qui est une application récente de la RMN. Dans l'IRM on utilise toujours la RMN pour sonder le champ local, mais maintenant à une échelle macroscopique quand on applique un champ magnétique avec un gradient. La position le long du gradient se traduit dans une fréquence de résonance, et l'intensité de l'absorption à cette fréquence se traduit dans la concentration des noyaux à cette position dans le gradient. En faisant ces mesures avec des gradients en trois directions, un ordinateur peut reconstruire un plan tri-dimensionnel de la concentration de ces noyaux, qui peut alors être interprété par un médecin.

La troisième catégorie des sondes magnétiques de la matière est constituée des oscillations quantiques. Pour des fermions, les variations de l'énergie de Landau et du rayon du cyclotron avec le champ magnétiques font que le niveau de Fermi, et donc toutes les propriétés électroniques, vont varier périodiquement avec 1/B. Il y a plusieurs manifestations de ces variations, appelés oscillations quantiques. La plus connue est l'oscillation de l'aimantation du système appelée l'effet de Haas van Alphen. On peut aussi l'observer dans la résistivité électrique appelée effet Shubnikov de Haas. Avec ces oscillations, on peut déterminer la masse effective des électrons, leur temps de diffusion et leur surface de Fermi, la surface séparant les états vides des états remplis, en mesurant les oscillations en fonction de l'angle entre le champ et les axes du cristal.

Applications des champs intenses ; créer des nouveaux états

Le troisième grand groupe d'application des champs magnétiques intenses est la création des nouveaux états de la matière condensée et je voudrais vous présenter trois catégories.

Dans les gaz bidimensionnels des électrons, les champs intenses créent les effets Hall quantique intégrale et fractionnaire, les deux découvertes couronnés avec un prix Nobel.

Le gaz bidimensionnel existe à l'interface entre deux couches dans certains dispositifs semi-conducteurs et comme pour tous les conducteurs il a un effet Hall que j'ai décrit avant. La grande surprise, observée par von Klitzing en 1980, était qu'on n'observe pas la prédiction classique, c'est-à-dire un effet Hall linéaire en champ magnétiques, mais des plateaux quantifié dans la résistance de Hall, et des zéros dans la résistance longitudinale. L'explication de l'effet Hall quantique intégrale vient des impuretés dans le système. Ces impuretés font que les niveaux de Landau sont élargis et que les états loin du centre du niveau sont localisés. Tant que le niveau de Fermi se trouve dans ces états localisés, la résistance de Hall est donnée par le facteur de remplissage, c'est-à-dire, le nombre de niveaux de Landau en dessous du niveau de Fermi (et donc constant), et la résistance longitudinale est zéro parce que les porteurs mobiles n'ont pas d'états vides proches disponibles. Comme l'effet Hall quantique dépend des impuretés, il doit disparaître si on réussit à fabriquer des systèmes plus propres, ce qui a été observé. Mais en même temps un autre effet Hall quantique inattendu se manifestait. L'effet Hall quantique fractionnaire phénoménologiquement ressemble beaucoup à l'effet Hall quantique intégrale, mais cette fois ci, les plateaux et les zéros se trouvent à des facteurs de remplissage donnés par des fractions. L'explication de l'effet Hall quantique fractionnaire, donnée par Laughlin, et récompensée par un prix Nobel en 1998, est que les interactions entre les électrons deviennent dominantes et qu'une nouvelle entité se forme, constitué d'un électron avec deux quantum de flux magnétique et qu'on appelle un fermion composite. Dans cette description, l'effet Hall quantique fractionnaire des électrons devient l'effet Hall quantique intégrale des fermions composites.

La deuxième catégorie concerne la supraconductivité exotique. Depuis la découverte de la supraconductivité en 1911, la température critique (la température en dessous laquelle la supraconductivité existe) a monté doucement avec les découvertes de nouveaux matériaux. Un grand saut fut fait en 1986 avec la découverte d'une nouvelle famille de supraconducteurs ; les cuprates. Ils sont composés de couches d'oxyde de cuivre ou la conduction électrique a lieu, séparés par des couches d'autres atomes, qui servent aussi pour injecter de la charge dans les couches d'oxydes de cuivre. Les structures cristallines sont assez compliquées et les diagrammes de phase de ces composés sont très riches, en particulier en fonction du dopage, c'est-à-dire du nombre d'électrons ou de trous par atome de cuivre, introduit par les autres atomes. On y trouve des phases isolantes, supraconductrices, anti-ferromagnétiques et métalliques. Le mécanisme de la supraconductivité dans les cuprates n'est pas bien connu, et aussi l'état normal des cuprates au dessus de la température critique est mal compris et on ne sait par exemple pas s'il est isolant ou métallique. L'approche normale pour discriminer entre un isolant et un métal est de refroidir le système, et de mesurer sa résistivité électrique. Pour un isolant, cette résistivité doit diverger tandis que pour un métal il devient constant. Pour les cuprates, cette approche n'est pas possible parce que la supraconductivité intervient. La solution est d'appliquer un champ magnétique intense pour supprimer la supraconductivité. Sous ces conditions, on peut mesurer la résistivité de l'état normal jusqu'à de basses températures. Récemment on a ainsi observé dans des échantillons très purs d'YBaCuO que l'état normal est métallique.

Je vous ai expliqué qu'un champ intense tue la supraconductivité. Paradoxalement, le contraire existe aussi, de la supraconductivité induit par le champ magnétique ! C'est le cas dans certains conducteurs organiques qui contiennent des anions paramagnétiques. Les électrons de conduction sentent le champ externe et le champ d'échange des ions et les deux sont opposés. Pour une certaine gamme de champs externes, les deux champs se compensent à peu près, les électrons sentent donc très peu de champ total et la supraconductivité peut exister. Ce phénomène s'appelle l'effet Jaccarino-Peter.

La dernière catégorie où le champ magnétique crée des nouveaux états, fait partie du magnétisme quantique. Aujourd'hui, les chimistes savent synthétiser des nouveaux cristaux très purs des oxydes des métaux de transition. Les interactions entre les charges, les moments magnétiques orbitaux, les spins et les phonons donnent une grande richesse à ces systèmes, avec beaucoup de phases différentes en fonction de la température et du dopage. Que se passe-t-il si on ajoute encore une composante, le champ magnétique ? Un champ magnétique lui aussi peut induire une transition de phase, comme la température ou la pression. Cela devient clair si on regarde un système de deux électrons avec spin ½. En général ils s'accouplent anti-parallèlement pour donner une paire avec spin zéro, l'état singlet. L'état parallèle avec le spin égal à un, appelé l'état triplet, a une énergie plus haute. Mais à partir d'un certain champ magnétique externe, à cause de l'effet Zeeman, l'état avec spin -1 a une énergie plus basse que l'état avec spin égal à zéro et le système change d'état. La combinaison des oxydes de métaux de transition avec la transition de phase magnétique a récemment donnée quelques résultats remarquables. Le premier exemple est la condensation de Bose-Einstein des triplons dans le pourpre de Han. C'est un système des couches anisotropes de dimères des ions paramagnétiques de cuivre. Le résultat des interactions entre tous les ions est que l'état fondamental à champ zéro est non magnétique. L'application d'un champ magnétique intense fait croiser l'état triplet à l'état singlet. De leur mélange, une nouvelle entité sort : le triplon. A cause de leur spin entier, les triplons sont des bosons et il peuvent condenser à basse température dans un état cohérent : la condensation Bose-Einstein. Cette transition de phase magnétique est visible dans la chaleur spécifique. Avec des mesures de la chaleur spécifique en fonction de la température et du champ, on peut trouver le diagramme de phase et identifier le domaine du condensât des triplons.

Le deuxième exemple est aussi un système de couches d'ions de cuivre : le SrCu2(BO3)2. Dans ce système, des plateaux d'aimantation ont été observés. Récemment, des mesures de RMN à très basses températures et dans un champ très intense ont démontré que sur ces plateaux, le système a une superstructure magnétique très compliqué qui n'existe pas ailleurs.

C'est avec ce dernier exemple que je termine mon exposé. J'espère avoir pu vous montrer que la physique en champ magnétique intense est à la fois utile, puissante et fascinante. Je tiens à remercier tous mes collègues pour les discussions et pour m'avoir fourni des images.


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LES NANOSTRUCTURES SEMI-CONDUCTRICES

 

 

 

 

 

 

 

Texte de la 586 e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 8 juillet 2005

Par Jean-Michel Gérard * « Les nanostructures semiconductrices »


Au cours des vingt dernières années, les chercheurs ont appris à structurer la matière à l'échelle du nanomètre, en particulier pour les besoins de la microélectronique. Rappelons qu'un nanomètre, c'est un milliardième de mètre, c'est-à-dire cinquante mille fois plus petit que le diamètre d'un cheveu. On parle donc ici d'une échelle extrêmement petite, de l'ordre de quelques distances inter-atomiques au sein des molécules ou des corps solides. A l'échelle du nanomètre, les propriétés physiques sont très différentes de celles qui sont observables dans notre monde macroscopique et sont gouvernées, pour l'essentiel, par la mécanique quantique. Nous allons montrer ici qu'il est particulièrement intéressant de fabriquer des objets de taille nanométrique à partir de matériaux semi-conducteurs. Ces « nanostructures semiconductrices » nous ouvrent des perspectives d'application originales et importantes, grâce à leurs propriétés très particulières.
Nous utilisons tous au quotidien des composants nanométriques, souvent sans le savoir. A titre d'exemple, lorsque nous écoutons notre lecteur de disque compact, nous mettons en Suvre un laser semiconducteur « à puits quantique » pour lire l'information stockée sur le disque. Le cSur de ce composant est constitué par un empilement de couches semiconductrices, qui comporte notamment une couche très fine, le puits quantique, dont l'épaisseur est de l'ordre de 10 nanomètres. Ce composant a été développé il y a une vingtaine d'années et a aujourd'hui de très nombreuses applications.
Les semi-conducteurs constituent une famille de matériaux particulièrement commodes pour fabriquer des nano-structures et exploiter leurs propriétés originales. Après avoir rappelé en termes simples ce qu'est un semi-conducteur, je décrirai les effets quantiques de base attendus pour des structures semi-conductrices de taille nanométrique. Je présenterai ensuite les techniques de fabrication à cette échelle avant d'illustrer par quelques exemples les propriétés et applications des nanostructures semiconductrices.

Qu'est ce qu'un semiconducteur ?

Pour comprendre les propriétés électriques ou optiques des matériaux, il faut de façon générale connaître les états possibles pour les électrons dans le système considéré. Rappelons que ces états sont par exemple très différents pour un électron libre dans l'espace et pour un électron appartenant à un atome. Si l'électron est libre, il peut avoir n'importe quelle vitesse et par conséquent n'importe quelle énergie. S'il appartient à un atome isolé, son énergie ne peut au contraire prendre que certaines valeurs bien définies. Ceci résulte du fait que l'électron, attiré par le noyau atomique, est piégé au voisinage de celui-ci. Plus généralement, la mécanique quantique nous apprend que toute particule dont la position est confinée dans les trois dimensions de l'espace possède un ensemble discret d'énergies permises.
Considérons à présent la situation dans laquelle l'électron n'est plus dans un espace libre mais dans un solide, par exemple un morceau de fer ou un morceau de silicium. Dans ce cas, l'énergie de cet électron ne peut prendre que des valeurs comprises dans certains intervalles (ou « bandes ») d'énergie permise (voir la figure 1). Ceux-ci sont séparés par des « bandes interdites », plages d'énergie pour lesquels le système ne possède aucun état quantique permettant à l'électron d'avoir cette énergie. La connaissance de cette structure de bandes d'un matériau donné permet de définir si celui-ci est un métal ou un isolant. On connaît en effet le nombre d'électrons de ce solide et, d'après une loi physique connue sous le nom de principe de Pauli, on sait qu'on ne peut mettre dans un état quantique donné qu'un seul électron. Dans une « expérience de pensée », plaçons donc les électrons du solide à l'intérieur de ces bandes d'états disponibles. Pour cela, on remplit successivement les différents états, en commençant par ceux de plus basse énergie, jusqu'à ce que tous les électrons soient placés. Dans le cas d'un métal, ce processus s'arrête au milieu d'une bande d'états (voir figure 1). Un tel système électronique va pouvoir répondre très facilement à une sollicitation par une force extérieure, par exemple un champ électrique. En effet, les électrons qui occupent la bande partiellement remplie vont pouvoir se redistribuer aisément au sein de cette bande, puisqu'elle comprend à la fois des états occupés et des états vides très proches en énergie les uns des autres. Un tel solide sera un bon conducteur du courant, et est dit métallique. Supposons au contraire qu'on soit dans une situation pour laquelle les électrons remplissent parfaitement un certain nombre de bandes d'états, toutes les autres étant vides. Dans ce cas, il est beaucoup plus difficile de changer la configuration électronique du système, car il faut apporter une énergie importante pour faire passer un électron d'une bande d'états pleine à une bande d'états vide. Un tel solide, qui ne peut pas répondre à une sollicitation par un champ électrique, est un isolant. Plus précisément, on parlera de matériau semi-conducteur ou de matériau isolant, selon qu'il est possible ou non de rendre ce matériau partiellement conducteur en le fonctionnalisant, en suivant une méthode simple que nous allons décrire.
Nous avons vu que dans un isolant, les bandes d'états sont soit parfaitement remplies par les électrons, soit entièrement vides. On va pouvoir dès lors fonctionnaliser ce matériau en introduisant volontairement des impuretés, ce qu'on appelle « doper » le matériau. Imaginez, par exemple, que dans un cristal de silicium, vous remplaciez des atomes de silicium par des atomes de phosphore qui apportent chacun un électron en plus. Pour placer ces électrons excédentaires, il nous faut commencer à remplir une nouvelle bande, qu'on appelle bande de conduction. Puisqu'ils occupent une bande partiellement occupée, ces électrons vont pouvoir conduire le courant, et la conductibilité du matériau peut être ajustée très simplement en dosant le nombre d'électrons qu'on introduit. De la même façon, si vous insérez des impuretés qui apportent un électron en moins, la dernière bande d'état occupée, appelée bande de valence, ne sera pas complètement pleine. Elle comportera certains « trous », qui permettent ici encore au matériau de devenir conducteur. Le contrôle du dopage des semiconducteurs a constitué une étape clef pour le développement des diodes, des transistors et plus généralement pour l'essor de la microélectronique et de l'optoélectronique.

Figure 1 : Représentation schématique des états électroniques et de leur remplissage par les électrons du solide dans le cas d'un métal, d'un semiconducteur pur, et d'un semiconducteur dopé par des impuretés « donneuses d'électron ».

En considérant la figure 1 b), nous allons voir qu'un semi-conducteur non dopé présente des propriétés très spécifiques vis-à-vis de la lumière. La lumière et la matière interagissent par échange de quanta d'énergie comme l'a montré Einstein en 1905. Ces quantas (les « photons ») peuvent être vus comme des petits grains de lumière, qui ont une énergie hn, où h la constante de Planck et n la fréquence de l'onde lumineuse. Si ce quantum d'énergie hn est plus petit que la largeur de la bande interdite qui sépare la bande de valence de la bande de conduction, le principe de conservation d'énergie nous empêche de promouvoir un électron de la bande de valence à la bande de conduction. Le semi-conducteur ne peut absorber un tel photon, et est donc transparent pour un rayonnement lumineux de fréquence n. Par contre, si l'énergie hn est plus grande que la largeur de la bande d'énergie interdite, il devient possible de faire passer un électron de la bande de valence à la bande de conduction en absorbant un photon.
De plus, un semi-conducteur, peut être mis en Suvre pour émettre de la lumière de fréquence relativement bien définie. Imaginons que nous ayons placé par un moyen idoine, un certain nombre d'électrons dans la bande de conduction et un certain nombre de trous dans la bande de valence. Chaque électron pourra alors redescendre de la bande de conduction à la bande de valence en émettant un photon, avec une énergie voisine de la largeur de la bande interdite. En jouant sur la nature ou la composition du matériau semiconducteur, on peut ainsi ajuster la fréquence du rayonnement émis. Les matériaux les plus employés pour cette fonction sont le nitrure de gallium GaN, le phosphure d'indium InP, ou encore l'arséniure de gallium GaAs, tandis que le silicium, matériau roi de l'électronique, n'est pas un bon émetteur de lumière.
Le principal composant optoélectronique en termes de marché (loin devant la diode laser) est la diode électroluminescente. Ce composant très répandu est largement utilisé pour la visualisation (voyants lumineux, feux de signalisation routière, écrans plats extérieurs...) et de plus en plus pour l'éclairage. Nous reviendrons plus loin sur quelques avancées récentes importantes dans ce domaine.
On peut comprendre relativement simplement comment les diodes électroluminescentes et les diodes lasers émettent de la lumière lorsqu'on leur injecte un courant électrique (figure 2). Juxtaposons côte à côte deux morceaux de semi-conducteur dopés, l'un riche en électrons (SC « de type n ») et l'autre pauvre en électrons (SC « de type p »). Des électrons pourront alors passer de la bande de conduction du matériau de type n vers des états vides de valence du matériau de type p, passage qui s'accompagne de l'émission de photons. Afin d'entretenir ce phénomène, il faut bien entendu apporter des électrons au matériau de type n et en extraire du matériau de type p. Ceci est simplement réalisé en appliquant une tension électrique entre ces deux matériaux via des contacts métalliques.

Figure 2 : Principe de fonctionnement d'une diode électroluminescente (M = métal, SC = semi-conducteur). A droite, diodes électroluminescentes réalisées à partir du semiconducteur GaN (nitrure de gallium).

Afin d'accroître la fonctionnalité des matériaux semi-conducteurs, on peut aussi associer des semi-conducteurs de nature différente, présentant des largeurs de bande interdite différentes, de façon à réaliser une « hétérostructure » semiconductrice. Insérons par exemple une couche d'un matériau à petite bande interdite, P, au sein d'un semiconducteur G de plus grande bande interdite. Plaçons un électron dans la bande de conduction du matériau G. Lorsqu'il se déplace au sein de celui-ci, l'électron « voit » un univers essentiellement uniforme (tous les endroits se ressemblent dans un cristal, les atomes étant parfaitement bien ordonnés). A contrario, lorsqu'il arrive à l'interface entre les matériaux P et G, cet électron peut abaisser son énergie en passant de G à P, car il existe des états de conduction dans le matériau P à plus basse énergie que dans le matériau G. En quelque sorte, l'électron se comporte ici un peu comme une bille qui rencontrerait une marche d'escalier. Il était sur la marche du haut, il saute et tombe sur la marche du bas. On peut bien entendu décliner cette idée de très nombreuses façons, afin de structurer le profil de potentiel vu par l'électron. On va construire pour lui un paysage avec des collines et des vallées, dont le profil et la hauteur peuvent être dessinés quasiment à volonté en jouant avec la nature des matériaux.

Les nanostructures semiconductrices

Invention capitale, les hétérostructures semiconductrices ont déjà valu plusieurs prix Nobel à leurs inventeurs. Derniers en date, Z. Alferov et H. Kroemer se sont vus récompenser en 2000 pour avoir « développé des hétérostructures semiconductrices employées dans les domaines de l'électronique ultrarapide et de l'optoélectronique », selon les termes du comité Nobel. Les hétérostructures « quantiques » sont quant à elles apparues à la fin des années 70. Le principe reste ici le même, à ceci près qu'on va à présent structurer la matière à l'échelle du nanomètre de façon à voir apparaître des effets quantiques. Parmi les exemples les plus célèbres, on peut citer le super-réseau, qui est une sorte de millefeuille, constitué d'un empilement périodique G/P/G/P...de couches semiconductrices de grande bande interdite (G) et de petite bande interdite (P) de quelques nanomètres d'épaisseur. Les super-réseaux possèdent des propriétés de conduction électrique très particulières, dont la découverte a valu le prix Nobel 1973 à L. Esaki. On peut aussi jouer à confiner les électrons dans des nanostructures. L'exemple le plus simple, déjà cité, est le puits quantique G/P/G constitué par une couche mince P, d'épaisseur nanométrique, placée au sein d'un matériau G de plus grande bande interdite. Un électron de conduction, placé dans le puits quantique, est confiné selon une direction de l'espace, mais reste libre de se mouvoir dans les deux autres dimensions. On peut également fabriquer des fils quantiques ou des boîtes quantiques, pour lesquels l'électron est confiné selon deux dimensions ou trois dimensions. Dans le cas des boîtes quantiques, l'électron est confiné dans toutes les directions ; cette situation est tout à fait analogue au cas de l'électron piégé au voisinage du noyau dans un atome. On s'attend donc à retrouver, dans le cas des boîtes quantiques, un système présentant (comme l'atome) des états électroniques discrets, bien séparés en énergie.

Figure 3 : Représentation schématique d'un puits quantique (PQ), de fils quantiques (FQs) et de boîtes quantiques (BQs). Vue en coupe de puits quantiques de GaN dans AlN, obtenue par microscopie électronique à haute résolution (Remerciements à J.L. Rouvière et B. Daudin, CEA).

On sait réaliser des puits quantiques de bonne qualité depuis le début des années 80. A titre d'exemple, la figure 3 montre une vue en coupe d'un puits quantique de GaN au sein d'une couche de nitrure d'aluminium AlN, obtenue par microscopie électronique. Sur cette image, chaque ligne correspond à un plan d'atomes. On voit qu'en fait la structure est très proche de la perfection : d'une part, on passe de la couche de GaN à la couche d'AlN via un changement de composition abrupt à l'échelle atomique ; d'autre part, les interfaces sont presque parfaitement plates, à la présence près de quelques marches atomiques. Comment obtient-on en pratique un tel contrôle ? La perfection de ces objets résulte de la mise en Suvre d'une technique de déposition de films en couches minces, qui s'appelle l'épitaxie par jets moléculaires. Cette technique consiste à prendre un substrat, c'est-à-dire un cristal semi-conducteur sans défaut, sur lequel on va déposer l'hétérostructure désirée. Pour déposer une couche de nature donnée, par exemple en GaAs, on expose la surface du substrat à des flux d'atomes, ici de gallium et d'arsenic, évaporés à partir de cellules chauffées contenant des charges extrêmement pures de ces éléments. On ajuste la composition du matériau qu'on dépose en contrôlant les flux de ces différentes familles d'atomes, et les épaisseurs des couches déposées en jouant sur le temps de déposition. L'épitaxie par jets moléculaires se déroule dans une enceinte dans laquelle on réalise un vide résiduel extrêmement poussé (10-13 atmosphères !) de façon à éviter toute contamination par des atomes indésirables.

Les puits quantiques constituent un exemple simple de système dont les propriétés électroniques sont gouvernées par la mécanique quantique. Ces effets quantiques résultent du confinement de l'électron dans la couche « puits ». On sait depuis L. De Broglie qu'à toute particule on peut associer une onde, et que cette onde représente en fait la probabilité de présence de la particule dans l'espace. Toute onde confinée présente des fréquences de résonance particulière. Considérons par exemple la corde d'un violon ; elle a une longueur bien définie, est fixée à ses deux extrémités, et possède des fréquences de résonance spécifiques : la « note » qui lui est associée, ainsi que ses harmoniques, dont la fréquence est un multiple de celle de la note fondamentale. Il en est de même pour l'électron dans le puits quantique, dont l'onde associée va devoir s'adapter à la taille du puits. De façon analogue à la corde vibrante, dont la longueur est égale à un multiple de la demi longueur d'onde, la longueur d'onde de De Broglie l de l'électron est reliée à l'épaisseur L du puits par la relation L= n. l /2 où n est un nombre entier. De même que la longueur d'onde, l'énergie de l'électron (associée à son mouvement dans une direction perpendiculaire au plan du puits) ne peut prendre qu'un ensemble de valeurs discrètes données par l'expression suivante : . [1] Cette relation nous montre que l'électron a toujours une énergie cinétique minimale, donnée par E1, dont la valeur croît rapidement (comme 1/L2) lorsqu'on réduit la taille L du puits quantique. De même, la séparation énergétique entre les niveaux discrets de l'électron Em- En croît, elle aussi, comme 1/L2. L'étude expérimentale des puits quantiques par spectroscopie optique, par exemple l'étude de leurs propriétés d'absorption de la lumière, a parfaitement confirmé l'ensemble de ces prédictions. Les propriétés des puits quantiques ont été discutées plus en détail par E. Rosencher dans le cadre de ce cycle de conférences de l'UTLS, ainsi que leurs applications très variées en optoélectronique.

Nous allons nous intéresser plus spécifiquement dans la suite de cet exposé aux propriétés et applications des boîtes quantiques, qui ont fait l'objet de très nombreuses études au cours des dix dernières années. Initialement, ces nanostructures ont été principalement développées dans le but d'améliorer les propriétés des diodes laser. Pourquoi fabriquer des boîtes quantiques, et que s'attend t-on à gagner par rapport au laser à puits quantique ?
Ouvrons le boîtier de votre lecteur CD, et regardons à quoi ressemble la diode laser qu'il utilise pour lire le disque. Si on réalise une vue en coupe de ce composant, de façon à obtenir une image analogue à la figure 3, on verra qu'il est constitué par un empilement de couches semi-conductrices. L'une d'elles, de quelques centaines de nanomètres d'épaisseur, sert à guider le faisceau laser à l'intérieur du composant ; en son sein, on trouvera une ou quelques couches plus fines, formant des puits quantiques, qui vont amplifier cette onde laser s'ils sont excités par un courant électrique. Bien que les diodes laser soient des composants présentant des performances tout à fait remarquables, celles-ci sont cependant limitées par certaines lois fondamentales de la physique. Lorsqu'on met des électrons et des trous dans un puits quantique à la température T, l'énergie de ceux-ci n'est pas bien définie, mais distribuée sur une bande d'énergie de largeur typique kT, où k est la constante de Boltzmann. Le laser, quant à lui, fonctionne avec une fréquence d'émission n bien précise. On voit donc que la plupart des paires électron-trou injectées dans le puits, dont l'énergie est différente de hn, ne participent pas à l'émission laser. Ces paires peuvent cependant se recombiner, en émettant un photon par émission spontanée à une énergie différente de hn. Cette consommation d'électrons et de trous, inutiles pour le fonctionnement du laser, accroît la valeur du courant de seuil du laser, courant minimal qu'il faut lui injecter pour assurer son fonctionnement.
En 1982, Y. Arakawa et Y. Sakaki, de l'Université de Tokyo, ont proposé de réaliser des lasers à boîtes quantiques. L'idée sous-jacente était simple, conceptuellement du moins. Dans une boîte quantique, l'électron est confiné dans toutes les directions de l'espace, et ses états électroniques possibles sont discrets, comme pour un atome isolé. Si la boîte est assez petite, les états vont être très bien séparés en énergie comme on l'a vu auparavant, en discutant des effets de confinement. Supposons donc que cette séparation soit plus grande que l'énergie thermique kT (qui vaut 25 meV à température ambiante). Lorsqu'on injecte un électron dans la boîte quantique, celui-ci ne pourra occuper qu'un seul état, celui de plus basse énergie, car l'énergie thermique est insuffisante pour lui permettre d'occuper des états plus hauts en énergie. Il en est de même pour un trou, dans les états de valence de la boîte quantique. On espère donc, si les boîtes quantiques sont toutes identiques, que tous les électrons et les trous injectés vont travailler à la même énergie, ce qui devrait révolutionner les propriétés des lasers : on s'attend par exemple à ce que le courant de seuil soit réduit par un facteur 100 !
Cela étant dit, il faut que l'ensemble de boîtes quantiques satisfasse, pour atteindre cet objectif, un ensemble de conditions draconiennes. Tout d'abord, on veut que les états de la boîte quantique soient très bien séparés en énergie (à l'échelle de l'énergie thermique kT), de façon à ce que seul le premier état électronique de la boîte soit peuplé. Un calcul simple montre qu'alors la boîte quantique doit être plus petite que 15 nanomètres environ pour chacune de ses trois dimensions. Bien entendu, il faut aussi que les boîtes quantiques soient pratiquement identiques. En effet, la position des niveaux quantiques dans une boîte dépend de la taille de la boîte ; elle en dépend même très fortement pour un objet aussi petit, puisque l'énergie de confinement varie comme 1/L2, comme on l'a vu plus haut. On peut montrer facilement que la dispersion des tailles des boîtes quantiques doit être nettement plus petite que 15%. A notre échelle, une précision relative de 15% paraît quelque peu grossière, mais dans le cas présent, cela signifie que les boîtes quantiques doivent être fabriquées avec une précision absolue nettement meilleure que 2 nanomètres ! Enfin, il nous faut mettre en Suvre suffisamment de boîtes quantiques pour que le laser fonctionne effectivement, ce qui implique de fabriquer de l'ordre de un milliard à cent milliards de boîtes par centimètre carré. Chacune de ces trois contraintes, et a fortiori leur combinaison, paraissent extrêmement difficiles à remplir.

Comment fabriquer des boîtes quantiques ?

De nombreuses approches ont été explorées pour fabriquer des boîtes quantiques au cours des vingt dernières années. De façon imagée, on peut dire que la première à avoir fait l'objet d'un intérêt soutenu est celle du sculpteur. On part d'un puits quantique, qu'on cisèle au burin pour former un plot vertical, qui ne contient qu'une toute petite partie du puits. On forme de cette façon une boîte quantique pour laquelle l'électron est confiné suivant un axe vertical par la modulation de composition du semiconducteur (comme pour le puits quantique), et latéralement par les bords du plot. On sait fabriquer de tels objets en utilisant les outils de nanofabrication couramment employés en microélectronique, en particulier la lithographie électronique (qui permet de dessiner des motifs de taille nanométrique dans une résine à l'aide d'un faisceau d'électrons), et la gravure sèche assistée par plasma, qui permet de reproduire ce motif dans le semiconducteur. Bien qu'on ait réussi à fabriquer des boîtes quantiques par cette voie dès 1990, cette approche aujourd'hui abandonnée pose deux problèmes majeurs. D'une part, la lithographie électronique est une technique séquentielle ; il nous faut dessiner le motif désiré dans la résine boîte par boîte. Cette étape est donc fastidieuse et nécessairement coûteuse. D'autre part, on ne sait pas lithographier une résine organique à une échelle inférieure à 3 nanomètres environ. Cette approche n'est donc pas adaptée pour fabriquer un ensemble de boîtes quantiques avec le degré de précision requis pour faire un laser performant.
Fort heureusement, il s'est produit au début des années 90 deux miracles, de ceux dont la Nature a le secret. On a en effet alors découvert qu'il est possible d'obtenir des boîtes quantiques presque identiques très simplement, par auto-assemblage. Nous allons à présent présenter deux méthodes de fabrication de ce type, qui sont aujourd'hui très couramment employées.
La synthèse chimique de boîtes quantiques est assez proche de notre expérience quotidienne. Prenons une casserole d'eau salée, que nous laissons trop longtemps sur le feu. Au début, l'eau s'évapore progressivement, sans qu'on observe de changement particulier. A partir d'un certain moment, on verra cependant de tout petits cristaux de sel commencer à se déposer sur les bords de la casserole. L'eau salée a atteint sa concentration de saturation, ce qui conduit à la précipitation du sel excédentaire sous forme de petits cristaux solides. On peut faire à peu près la même chose à l'échelle nanométrique, avec des semi-conducteurs, par exemple avec le séléniure de cadmium CdSe. Dans la pratique, on prend un récipient dans lequel on met en solution de l'oxyde de cadmium dans un solvant organique. On injecte ensuite brutalement du sélénium dans la solution. Ce faisant, on dépasse le seuil de saturation pour CdSe et on déclenche la nucléation d'un très grand nombre de cristaux nanométriques de CdSe. A ce stade, les molécules de solvant viennent se fixer à la surface des nanocristaux, ce qui va ralentir leur croissance. Du fait de leur formation quasi-simultanée et de leur croissance lente, les nanocristaux conservent des tailles très voisines au cours du temps. Lorsqu'on arrête la croissance à un moment donné en cessant d'apporter du sélénium à la solution, on obtient un ensemble de nanocristaux dont la dispersion des tailles peut être de l'ordre de 5 %, ce qui est tout à fait remarquable pour des objets dont la taille n'est que de 3 nanomètres ! Cette merveilleuse homogénéité est illustrée par le cliché de microscopie électronique présenté sur la figure 4.

Figure 4 : A gauche, vue au microscope électronique d'un ensemble de nanocristaux de CdSe obtenus par synthèse chimique. La fluctuation relative de leur rayon R est de l'ordre de 5%. A droite, observation sous éclairage ultraviolet de flacons contenant des nanocristaux de CdSe dans un solvant: la couleur de la suspension colloïdale peut être ajustée dans tout le spectre visible en jouant sur la taille moyenne des nanocristaux. Remerciements à P. Reiss et J. Bleuse (CEA).

La seconde approche permet de fabriquer des boîtes quantiques par auto-assemblage en utilisant -comme pour les puits quantiques- l'épitaxie par jets moléculaires. Contrairement aux nanocristaux, ces boîtes quantiques vont pouvoir être intégrées facilement au sein d'un composant semi-conducteur, par exemple un laser. Pour présenter cette méthode, considérons une image d'une surface de GaAs sur laquelle on a déposé deux couches moléculaires (soit un demi-nanomètre en moyenne) d'InAs. Cette image, présentée figure 5, a été obtenue par microscopie à force atomique, une technique qui permet d'avoir une résolution à l'échelle atomique sur la topographie d'une surface. On constate ici la formation spontanée d'un ensemble dense d'îlots de taille nanométrique à la surface de l'échantillon. Ce mode de croissance tridimensionnel avec formation d'îlots est en fait observé pour un très grand nombre de couples de matériaux semi-conducteurs.
Pourquoi ce mode de croissance tridimensionnel est-il observé ici ? Lorsqu'on dépose par croissance épitaxiale un semiconducteur A sur un substrat S, on choisit en général deux matériaux pour lesquels la géométrie d'agencement des atomes et leurs distances mutuelles sont les mêmes. Les atomes déposés pour former la couche A adoptent alors de façon naturelle le même ordre cristallin que dans le substrat. (On rencontre une situation analogue lorsqu'on joue aux LegoTM : on peut facilement accrocher des pièces rouges sur un plan de pièces blanches). La croissance se fait alors couche atomique par couche atomique et permet de réaliser des puits quantiques. La situation est différente pour InAs et GaAs, qui ont une même structure cristalline, mais des distances inter-atomiques assez différentes (7% environ). (Une faible différence de distance entre plots d'accrochage suffit pour que les pièces de jeux de constructions différents soient incompatibles !). Pour déposer une couche d'InAs sur GaAs, il va falloir déformer la maille cristalline d'InAs, de façon à adapter la distance entre atomes voisins dans le plan de la couche au paramètre de maille du substrat. Une croissance couche par couche reste ainsi possible, mais la déformation élastique de la couche déposée a un coût en énergie important. Il y a deux solutions pour relaxer cette énergie élastique. La première repose sur la création de défauts cristallins, les dislocations. Une autre solution, adoptée par la Nature dans le cas d'InAs sur GaAs, réside dans la formation d'îlots tridimensionnels. Les atomes à la surface de l'îlot n'ayant pas d'atomes voisins, ils peuvent se « pousser de côté » pour donner plus de place aux autres. Cette morphologie particulière permet donc à la couche d'InAs contrainte de diminuer son énergie élastique.

Figure 5 : A gauche, vue au microscope à force atomique de la surface d'une couche fine d'InAs épitaxiée sur un substrat de GaAs ; les îlots d'InAs ont une hauteur moyenne de 5 nm et une largeur de 20 nm environ à leur base. A droite, vue en coupe d'un plan de boîtes quantiques d'InAs dans GaAs, obtenue par microscopie électronique. Remerciements à JM Moison et A Ponchet, CNRS.

Une fois qu'on a formé ces îlots nanométriques d'InAs, il suffit de déposer une nouvelle couche de GaAs en surface. On obtient alors des inclusions d'InAs, matériau de petite bande interdite, au milieu de GaAs, matériau de plus grande bande interdite, qui constituent de ce fait des boîtes quantiques. Ce procédé de fabrication collectif permet de réaliser en quelques secondes de l'ordre de 10 à 100 milliards de boîtes quantiques par centimètre carré. Il est de surcroît extrêmement propre, puisqu'il se déroule dans l'enceinte du bâti d'épitaxie par jet moléculaire. Quant aux fluctuations de taille, celles-ci ne dépassent pas 7 à 10% lorsque le procédé est optimisé, et sont donc d'amplitude suffisamment faible pour qu'on puisse exploiter ces boîtes quantiques dans des composants optoélectroniques.

Quelques propriétés optiques des nanocristaux et des boîtes quantiques

Considérons à présent les propriétés optiques de ces nano-objets. Nous allons voir que celles-ci présentent des signatures très claires d'effets quantiques. Observons tout d'abord la figure 4, qui présente une série de petites fioles contenant des nanocristaux en solution. Ceux-ci sont constitués du même semi-conducteur, le sélénium de cadmium CdSe. Cependant, on a laissé croître ces nano-cristaux plus ou moins longtemps d'un échantillon à l'autre, de sorte que le diamètre moyen varie graduellement de 3 nanomètres, pour la fiole de gauche à 5nm pour celle de droite. Cette variation de taille provoque un changement spectaculaire de la couleur des nano-cristaux. Cette couleur, qui est ici observée sous excitation par une lampe UV (on est donc en train d'observer l'émission des nano-cristaux), reflète l'énergie de bande interdite de ces boîtes quantiques. Parce qu'on confine fortement l'électron dans ces nano-objets, l'énergie des états électroniques, et donc la largeur de la bande interdite, sont très différentes de celle du semi-conducteur massif CdSe. En ce qui concerne les applications associées à cet effet, il faut mentionner qu'une technique très voisine est employée pour fabriquer des filtres colorés, très utilisés dans les laboratoires d'optique. Au lieu de réaliser la croissance des nanocristaux en solution, on peut en effet les faire précipiter au sein d'une matrice vitreuse, pendant que le verre est fondu. Ce procédé était déjà connu au XVIIème siècle par les artisans verriers de Murano.
Revenons à présent aux boîtes quantiques d'InAs dans GaAs obtenues par épitaxie. Lorsqu'on observe leur émission collective, on constate tout d'abord que sa distribution spectrale est centrée autour d'une énergie hn beaucoup plus grande que la bande interdite du semiconducteur massif InAs, et qui croît lorsque la taille moyenne des boîtes quantiques diminue. Ici encore, le confinement quantique des électrons et des trous entraîne une modification très marquée de la bande interdite du système et donc de ses propriétés d'émission. On constate par ailleurs que cette émission collective est distribuée sur une gamme spectrale très large, typiquement cent mille fois plus large que pour un atome ! D'où cela vient-il ? On se doute que les fluctuations de taille de boîte à boîte sont partiellement responsables de ce résultat. Pour confirmer cette hypothèse et connaître les propriétés intrinsèques des boîtes quantiques, il faut isoler et étudier une boîte quantique unique. Partant d'un plan de boîtes quantiques tel que celui de la figure 5, on va graver celui-ci de façon à définir des plots, dont la taille est de l'ordre de 100 nanomètres, et qui ne contiennent que quelques boîtes, voire une seule boîte. Lorsqu'on réalise cette expérience, on peut observer un spectre d'émission constitué de quelques raies spectrales très fines, qui correspondent chacune à une boîte quantique spécifique (voir la figure 6). Ce comportement, observé à basse température (T

Figure 6 : Spectre d'émission mesuré à basse température (10K) pour un ensemble de boîtes quantiques (à gauche) et pour une boîte quantique isolée, à droite. On notera que l'échelle des énergies est environ 100 fois plus petite pour le spectre de la boîte unique.

Lorsqu'on souhaite discuter les applications futures des boîtes quantiques, par exemple dans le domaine des lasers, il est bien entendu essentiel de considérer leurs propriétés optiques à température ambiante. Nous avons précédemment montré qu'à basse température, une boîte quantique émet, comme un atome, un rayonnement de très faible largeur spectrale. Malheureusement, on perd cette propriété très séduisante dès lors qu'on dépasse une température supérieure à une centaine de Kelvin typiquement. A température ambiante (300K), la raie d'émission observée pour une boîte unique est voisine de 10 milli-électrons volt (soit environ kT/2), ce qui est comparable à la largeur de raie observée pour un puits quantique. On est donc ici très loin de l'image de l'atome artificiel. Plus on élève la température, plus les vibrations des atomes constituant le cristal semiconducteur sont importantes. Ces vibrations cristallines viennent perturber le système électronique et de ce fait élargissent l'émission associée à une boîte unique. Ce résultat, qui n'a été découvert que relativement récemment, nous montre donc que l'image de l'atome artificiel isolé n'est pas du tout valide à haute température. Une boîte quantique est un système électronique localisé fortement couplé à son environnement. En sus de son importance conceptuelle, ce résultat nous invite à reconsidérer les applications initialement envisagées pour les boîtes quantiques.

Quelles applications pour les boîtes quantiques ?

L'observation de raies d'émission larges pour les boîtes quantiques isolées à 300K a sonné le glas du vieux rêve d'Arakawa et Sakaki : il ne sera pas possible d'obtenir un laser à boîte quantique 100 fois plus performant qu'un laser à puits quantique. L'idée de départ était d'avoir une raie d'émission très fine - pour un ensemble de boîtes quantiques très similaires- , qui permette de bien mieux utiliser les paires électron-trou injectées qu'avec un puits quantique. On voit ici que pour une raison tout à fait intrinsèque, ce couplage aux vibrations cristallines, la largeur de raie d'une boîte unique et donc a fortiori d'un plan de boîtes ne peut pas être beaucoup plus étroite que pour un puits quantique.
Très souvent, dans le monde de la recherche, lorsqu'un rêve s'écroule, dix autres naissent. C'est ici le cas. En s'attachant à étudier les propriétés spécifiques des boîtes quantiques, on leur trouve jour après jour de nombreuses opportunités d'application. Il ne saurait ici être question d'en faire une présentation exhaustive ; je n'en citerai donc que quelques unes, choisies pour leur valeur exemplaire.
Plusieurs équipes de recherche ont développé des lasers à boîtes quantiques émettant au voisinage de 1.3 µm - l'une des principales longueurs d'onde employées pour les télécommunications sur fibre optique -, lasers dont les propriétés sont beaucoup moins sensibles à la température celles des lasers à puits quantiques disponibles dans la même gamme spectrale (Cette propriété résulte de la densité d'états discrète des boîtes quantiques : faire passer un électron d'un état à un autre requiert un changement notable de son énergie). Bien que les lasers à boîtes quantiques soient un peu moins performants que les lasers à puits quantiques, leur faible sensibilité aux variations de température permet de simplifier le circuit électronique d'alimentation et de contrôle du laser, et de se dispenser de systèmes complexes de régulation en température. Cette simplification a, bien entendu, a un impact très fort en termes de coût de revient global des modules laser pour les télécommunications à 1.3 µm. Plusieurs start-ups exploitant cette opportunité ont vu le jour aux Etats-Unis, en Europe et au Japon.
C'est cependant dans un domaine différent des lasers, celui des diodes électroluminescentes, que les boîtes quantiques ont trouvé leur principal domaine d'application à ce jour. Les diodes électro-luminescentes (ou « DELs » pour light emitting diodes) représentent un marché colossal supérieur à 3 milliards d'euros par an, et de loin le plus gros marché des composants optoélectroniques. Ce composant très répandu autour de nous est employé pour des fonctions de visualisation et d'éclairage. Les écrans plats extérieurs en couleur, tel que celui que vous voyez sur la tour Montparnasse, reposent sur l'émission de dizaines de millions de DELs. Elles assurent également l'éclairage de l'écran de votre téléphone portable, du tableau de bord des véhicules automobiles récents, et sont présentes dans tous les feux de signalisation routière. Les DELs présentent en fait des avantages très importants par rapport aux lampes à incandescence. Elles consomment typiquement 10 fois moins d'énergie et sont « éternelles », en ce sens que leur durée de vie est 10 fois plus longue que la durée de vie du système dans lequel elles sont incorporées. On saisit très vite l'intérêt d'intégrer ces composants dans un système complexe tel qu'une voiture ; nul n'a envie de démonter un tableau de bord pour changer une simple ampoule ! Si on était capable de remplacer toutes les lampes à incandescence par des DELs blanches, on réduirait aussi très fortement la consommation énergétique associée à l'éclairage, et de plusieurs pour cents la consommation énergétique globale. Les enjeux associés à cette utilisation de plus en plus vaste des DELs sont donc considérables sur un plan économique mais aussi écologique.

Figure 7: Vue en coupe de la couche active d'une DEL bleue commerciale, constituée par une couche très fine d'alliage (InxGa1-x)N dans GaN. Cartographie de la composition chimique de l'alliage, obtenues par microscopie électronique. On observe un phénomène de démixtion et la formation d'inclusions de taille nanométriques très riches en indium (remerciements P. Bayle, CEA).

En 1995, ce domaine a connu une véritable révolution, avec la commercialisation par une société japonaise de DELs bleues et vertes très brillantes. Jusque là en effet, on ne savait produire efficacement de la lumière avec les DELs que dans le rouge ou l'orange. Un épais mystère était attaché au fonctionnement de ces nouvelles DELs. En effet, celles-ci sont réalisées à partir de nitrure de gallium GaN, pour lequel on ne dispose pas de substrat bien adapté à sa croissance épitaxiale. La croissance des DELs GaN est le plus souvent réalisée sur un substrat de saphir, dont le paramètre de maille cristalline est très différent de celui de GaN. De ce fait, la couche épitaxiée contient un très grand nombre de défauts, les dislocations, qui sont connus comme des « tueurs » de paires électron-trou. Celles-ci sont en effet capturées très efficacement par les dislocations, et se recombinent sur ce défaut en générant de la chaleur en lieu et place de photons. Pour les semiconducteurs usuels, on doit donc travailler avec un matériau absolument sans dislocations si on veut obtenir des DELs efficaces. L'analyse par microscopie électronique de la couche active des DELs bleues a donné la clef de ce mystère quelques années plus tard. On s'est alors rendu compte que cette couche active, qu'on croyait être un puits quantique d'alliage (InGa)N, est en fait un ensemble de boîtes quantiques. En cours de croissance, cet alliage présente en effet un phénomène de démixtion, avec formation d'agrégats de taille nanométriques riche en InN, qui constituent des boîtes quantiques (figure 7). Cette nanostructuration de la couche active a des conséquences très importantes. En effet, le piégeage des électrons et les trous dans les boîtes quantiques inhibe presque totalement leur diffusion vers les dislocations, et assure ainsi leur recombinaison radiative. Cette nanostructuration spontanée des couches d'(InGa)N a ainsi engendré un marché de plusieurs milliards d'euros par an !
Les boîtes quantiques offrent de nombreuses autres perspectives d'application, qui font actuellement l'objet d'études exploratoires. L'un des objectifs les plus séduisants est la réalisation d'une source de photons uniques, composant qui exploite l'émission d'une unique boîte quantique. Les composants considérés jusqu'ici, lasers ou DELs, fonctionnent avec des dizaines de milliards de boîtes. Travailler avec une seule boîte quantique nous permet de réaliser une fonction optoélectronique importante et originale, l'émission à la demande de photons un par un. Comme l'a expliqué Philippe Grangier dans une conférence récente de l'Université de Tous Les Savoirs, la disponibilité d'une telle source lumineuse est essentielle en vue d'une application future de la cryptographie quantique à grande échelle. Rappelons ici simplement que la cryptographie quantique propose des protocoles de communication originaux, qui s'appuient sur les lois de la mécanique quantique pour garantir une confidentialité absolue de l'information échangée. Un autre champ d'application des sources à photon unique pourrait être la métrologie. Si on est capable, à la demande, d'émettre une impulsion lumineuse contenant un et un seul photon, on pourrait aussi répéter l'opération 1 million de fois, et émettre précisément 1 million de photons. On pourrait donc utiliser cette source comme étalon de flux lumineux ou plus généralement d'énergie.
Comment préparer un photon unique ? C'est en fait relativement délicat. Un photon unique est un état quantique de la lumière, et il est absolument impossible de le générer par des moyens « classiques » par exemple à l'aide d'un laser, d'une DEL ou d'une lampe à incandescence. A titre d'exemple, lorsqu'un laser génère des impulsions lumineuses contenant en moyenne n photons, le nombre de photons présente en fait une fluctuation d'impulsion à impulsion égale à la racine de n. Pour émettre des photons un par un, il faut en fait utiliser un système quantique unique, tel qu'un atome unique. Isolons par la pensée un atome dans l'espace, et excitons le à l'aide d'un rayonnement lumineux dont la fréquence correspond à l'une de ses raies spectrales. L'absorption d'un photon par l'atome s'accompagne du passage d'un électron d'un état « b » bien défini vers un état « h » lui aussi bien défini, et d'énergie plus élevée. Dans cette nouvelle configuration électronique, l'atome ne peut plus absorber la lumière, puisque l'état « b » est vide. On voit par conséquent qu'un atome excité de cette façon ne peut stocker qu'une excitation élémentaire : lorsqu'on coupe le faisceau de pompage, il se désexcite en émettant un unique photon. En pratique, on sait piéger un atome unique dans l'espace par des méthodes optiques, mais pour une durée qui n'excède pas quelques secondes. Il est ici beaucoup plus commode d'employer une boîte quantique comme « atome artificiel » pour réaliser la même fonction. En collaboration avec des collègues du CNRS, nous avons proposé un protocole original, qui permet de générer des photons un par un à la demande à l'aide d'une boîte quantique. Celui-ci tire en fait parti de la forte interaction de Coulomb entre électrons et trous piégés dans une même boîte. La boîte quantique peut être excitée au choix à l'aide d'un faisceau optique ou à l'aide d'une impulsion électrique, ce qui ouvre la voie au développement de sources de photons uniques compactes et pratiques pour la cryptographie quantique. Plusieurs dizaines d'équipes dans le monde y travaillent aujourd'hui.
Je présenterai enfin un nouvel exemple d'application des nano-cristaux semiconducteurs. A la différence des boîtes quantiques obtenues par croissance sur un substrat, ceux-ci peuvent être dispersés dans différents milieux, en particulier liquides. Ils constituent aujourd'hui une classe de marqueurs fluorescents particulièrement intéressante pour la biologie. On sait aujourd'hui assurer la biocompatibilité de ces nano-objets, ainsi que leur solubilisation dans les liquides physiologiques, en les enrobant par exemple de silice. On sait aussi greffer sur leur surface du matériel biologique, par exemple une protéine ou un fragment d'ADN monobrin, afin de le fonctionnaliser. En cartographiant l'émission des nanocristaux dans l'espace, on peut voir où ce matériel biologique est allé se fixer à l'intérieur d'un organisme, éventuellement jusqu'à l'échelle intracellulaire. Bien qu'il existe des colorants organiques qui remplissent une fonction similaire, les nanocristaux présentent des atouts très importants. Tout d'abord, ils sont dix à cent fois plus stables dans le temps, ce qui permet de faire de longues expériences. Ensuite, le spectre de leur émission est moins large ; il est donc possible d'employer en parallèle des nanocristaux émettant dans des gammes de longueur d'onde différentes et d'obtenir simultanément des informations de nature différente. Enfin, leur biocompatibilité est bien supérieure à celle des colorants organiques, qui sont pour la plupart hautement toxiques.

En conclusion, je voudrais conclure cette présentation, en soulignant le caractère extrêmement vivant de ce domaine. Loin d'être figées, les techniques de nanofabrication font l'objet de nombreux développements, qui permettent par exemple de construire des systèmes quantiques plus complexes (« molécules artificielles » constituées d'un assemblage de boîtes quantiques, dopage par des atomes magnétiques, intégration de boîtes quantiques dans des microrésonateurs optiques...). Mois après mois, de nouveaux résultats viennent enrichir la palette des effets quantiques observables avec les nanostructures semi-conductrices et élargir leur champ d'application potentiel.

*CEA Grenoble, CEA/DRFMC/SP2M, 17 rue des Martyrs, 38054 Grenoble Cedex 9.
Adresse électronique : jean-michel.gerard@cea.fr

[1] Remarquons que l'électron reste libre de se mouvoir dans le plan du puits quantique ; l'énergie cinétique associée à ce mouvement peut prendre une valeur positive quelconque.


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Jean-Pierre Sauvage, un Nobel pour les machines moléculaires

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Pierre Sauvage, un Nobel pour les machines moléculaires

05.10.2016, par La rédaction
Jean-Pierre Sauvage
 Catherine Schroder/Unistra

Le Français Jean-Pierre Sauvage vient de se voir attribuer le prix Nobel de chimie en compagnie de l'Écossais Fraser Stoddart et du Néerlandais Bernard Feringa, pour leurs travaux sur les machines moléculaires.
Ce sont trois spécialistes des machines moléculaires que l'Académie royale des sciences de Suède vient de distinguer par le prix Nobel de chimie 2016 : Jean-Pierre Sauvage, Fraser Stoddart et Bernard Feringa. Ces scientifiques « ont développé les plus petites machines du monde (...), des molécules aux mouvements contrôlables, qui peuvent accomplir une tâche lorsqu'on y ajoute de l'énergie », explique le communiqué (link is external) publié lors de l'annonce des lauréats du prix 2016. « L'Académie ne s'est pas trompée : elle récompense bien trois pionniers majeurs de ce champ de recherche émergent, se félicite le chimiste Gwénaël Rapenne, aujourd'hui professeur à l'Université Paul Sabatier à Toulouse et qui a effectué son doctorat sous la direction de Jean-Pierre Sauvage. Ce prix va susciter un regain d'intérêt mérité pour ce domaine particulièrement prometteur ».

Le Français Jean-Pierre Sauvage, né en 1944, a mené ses recherches au CNRS de 1971 à 2014 et est aujourd’hui professeur émérite à l’université de Strasbourg. Le chimiste a effectué sa thèse à l’université de Strasbourg sous la direction de Jean-Marie Lehn (futur prix Nobel de chimie, en 1987). Il intègre le CNRS en 1971, puis effectue son post-doc à Oxford de 1973 à 1974 et devient directeur de recherche en 1979. Médaille d'argent de l'organisme en 1988, Jean-Pierre Sauvage travaille à l’Institut de science et d'ingénierie supramoléculaires1.


Même si le physicien Richard Feynman avait prédit dès les années 1950 le développement des nanomachines, l'Académie suédoise rappelle que les premiers pas significatifs vers une machine moléculaire ont été effectués par Jean-Pierre Sauvage en 1983 lorsqu'il a inventé une méthode chimique permettant d'entrelacer deux molécules en forme d'anneaux, formant ainsi une chaîne nommée caténane. D'ordinaire, les molécules sont reliées entre elles, par des liaisons covalentes fortes, dans lesquelles les atomes partagent leurs électrons. Ici, les liaisons entre les deux anneaux étaient de nature totalement différente, ceux-ci étant imbriqués l'un dans l'autre. De même, une machine, pour pouvoir fonctionner, doit être composée de différentes parties, mobiles les unes par rapport aux autres... comme les deux anneaux déjà obtenus par le chimiste français, qui ont donc préfiguré les progrès des années suivantes.

Jean-Pierre Sauvage a notamment mis au point une réaction au rendement dix fois supérieur à celui des réactions connues précédemment : les chaînes moléculaires cessaient dès lors d'être une simple curiosité. Et la possibilité de les fabriquer de manière fiable a tout naturellement conduit Jean-Pierre Sauvage à concevoir et élaborer des nanomachines. « Même si Jean-Pierre Sauvage et Fraser Stoddart, qui ont à plusieurs reprises collaboré, se sont distingués par la mise au point de procédés de synthèse chimique inédits, c'est pour le développement de véritables machines moléculaires qu'ils sont récompensés ici ! » tient à préciser Gwénaël Rapenne, membre du groupe NanoSciences au sein du laboratoire CEMES2 à Toulouse.

Les molécules-voitures (voir notre vidéo sur le sujet) font aujourd'hui partie des machines moléculaires les plus connues. Mais ce ne sont pas les seules... « Ce prix Nobel va permettre d'accélérer les avancées d'une discipline qui relève encore de la recherche fondamentale, non seulement en suscitant des vocations chez les jeunes chercheurs, mais aussi en attirant l'attention des industriels, espère Gwénaël Rapenne.  Les premières applications devraient ainsi voir le jour d'ici dix à quinze ans, par exemple dans le domaine de la robotique avec la mise au point de moteurs moléculaires qui pourraient fonctionner de concert avec des muscles artificiels ». En 2012, CNRS Le journal consacrait ainsi un dossier à la bio-inspiration, dans lequel un passage relatait les travaux de Jean-Pierre Sauvage. Extrait que nous reproduisons ci-dessous :

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Des moteurs qui ont du muscle

Et s’il était possible d’imiter le muscle dans ses détails les plus fins ? C’est l’un des paris relevés il y a quelques années par les chercheurs de l’Institut de chimie de Strasbourg3, qui poursuivent leurs efforts pour développer des dispositifs appelés moteurs moléculaires. « En 2000, nous avons synthétisé un premier moteur qui mime le glissement des filaments d’actine sur ceux de myosine4 dans les muscles, raconte Jean-Pierre Sauvage, pionnier dans ce domaine. La contraction ou l’allongement de notre système se produit grâce à une réaction chimique appropriée. »


Aujourd’hui, le laboratoire alsacien poursuit ces travaux en assemblant un polymère à partir d’un moteur moléculaire initial optimisé. « On pourrait envisager d’utiliser de tels systèmes dans la fabrication de dispositifs électro-, photo-  ou chimio-mécaniques, mais il s’agit pour le moment de mimer le fonctionnement du muscle ; il est prématuré de parler de bionique », prévient Jean-Pierre Sauvage. Des moteurs d’un autre genre sont également sur l’établi. « Nous mimons le fonctionnement des protéines chaperons. Celles-ci accueillent dans leur cavité naturelle des enzymes qui ne sont plus actives, car ayant subi des déformations. Grâce à une sorte de massage, la protéine chaperon leur redonne leur forme initiale. En nous inspirant  de ce mécanisme, nous avons créé un compresseur moléculaire capable de capturer une molécule et d’en modifier la forme. »

Extrait de CNRS Le journal n° 268, septembre/octobre 2012.
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Jean-Pierre Sauvage, Fraser Stoddart et Bernard Feringa recevront leur prix Nobel lors d'une cérémonie en décembre prochain à Stockholm.

 

À voir : notre infographie pour explorer le palmarès des prix Nobel

 

Notes
1. CNRS/Université de Strasbourg
2. CNRS
3. Unité CNRS/Université de Strasbourg.
4. L’actine et la myosine sont les deux principaux constituants des fibres musculaires. Leur interaction dynamique permet la contraction musculaire.

 

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Des neutrons pour comprendre le secret des bactéries extrêmophiles

 

Paris, le 5 septembre 2016                                                                                               Des neutrons pour comprendre le secret des bactéries extrêmophiles
comme celles qui décomposent le Titanic


Les micro‐organismes Halomonas sont capables de survivre à des environnements salés très hostiles. Pour cela ils accumulent la molécule ectoïne afin de compenser les fluctuations des concentrations externes de sel. Des expériences de diffusion de neutrons ont permis d'expliquer comment l'ectoïne permet à ces bactéries de survivre : elle agit, à l’intérieur des bactéries, en maintenant les propriétés dynamiques de l'eau, essentielles à la vie.
Publié dans Scientific Reports, ce résultat a été obtenu par une collaboration de chercheurs principalement de l'Institut Laue‐Langevin, du CNRS, du CEA, de l’UGA, de l'Institut Max Planck de biochimie et de la société de biotechnologies Bitop. Il permet une meilleure compréhension de l'adaptation des microbes à des environnements extrêmes. La bactérie Halomonas présente un fort potentiel d’applications biotechnologiques dans des domaines tels que la santé, la biorestauration et la gestion des déchets.
Les micro‐organismes représentent la forme de vie la plus répandue sur Terre, et la compréhension de la façon dont ils se comportent est d'une importance capitale pour notre propre survie et notre bien‐être. La vie microbienne dispose d'une étonnante souplesse d'adaptation aux environnements extrêmes ‐ pouvant survivre par exemple dans des conditions extrêmement chaudes ou froides, acides ou basiques, salées comme dans la mer Morte ou sous haute pression comme dans les grandes profondeurs océaniques ‐ conditions qui serait préjudiciables à des organismes complexes. Ces organismes sont appelés extrêmophiles. Parmi eux les bactéries isolées à partir de marais salants ou de milieux marins comprennent une variété d'espèces intéressantes à potentiel biotechnologique élevé, telle que la bactérie Halomonas titanicae, récemment découverte dans la coque du paquebot RMS Titanic. Il a été estimé que l'action de H. titanicae produit une rouille qui pourrait entraîner la détérioration totale du Titanic vers 2030. De même, cette bactérie a été identifiée comme un danger potentiel pour les plates‐ formes pétrolières et autres objets métalliques fabriqués par l'homme et situés en mer profonde. Mais cette faculté de produire de la rouille pourrait également être mise à profit pour la biorestauration ou la gestion des déchets, par exemple pour accélérer la décomposition des épaves qui jonchent le fond des océans.
Les expériences se sont focalisées sur l'interaction de l'ectoïne avec de l'eau, des protéines et des membranes. Elles ont été menées à l'Institut Laue‐Langevin (ILL), leader mondial des sciences et technologies neutroniques, en collaboration avec l'Institut Max Planck de biochimie (MPIB), la société de biotechnologies Bitop et l'Institut de biologie structurale (IBS‐ CEA/CNRS/UGA). L'ectoïne est un composé naturel présent dans de nombreux organismes, y compris Halomonas. Elle sert de substance protectrice, en agissant comme un osmolyte ‐ une molécule qui joue un rôle dans l'équilibre des fluides et le maintien du volume des cellules et contribue ainsi à la survie des organismes sous stress environnemental extrême. L’ectoïne est considérée comme un soluté compatible dans le sens où sa présence au sein de la cellule n'interfère pas avec le métabolisme cellulaire et la biochimie. Halomonas peut produire de l'ectoïne jusqu'à une concentration intracellulaire de 20% de la masse cellulaire sèche.
Grâce à ce processus de régulation adaptatif, le micro‐organisme est halotolérant sur une large plage de concentration de sel, de 0,5 à 25% de NaCl (en moyenne, l'eau de mer a une concentration en sel de 3,5%). L'ectoïne, qui affiche un effet stabilisateur indirect sur les protéines et les membranes ainsi qu’un effet inhibiteur connexe sur l'inflammation dans les cellules de mammifères, a trouvé de nombreuses applications en cosmétique ainsi que des applications cliniques grâce à ses propriétés hydratantes, stabilisatrices et réductrices de l'inflammation : traitement des allergies, de la dermatite atopique, de la toux et des symptômes du rhume...
Les neutrons, utilisés en combinaison avec des méthodes de marquage isotopique, ont montré comment l'ectoïne agit en laissant intacte la ‘coquille’ d'eau à la surface des protéines et membranes, ce qui est essentiel à leur activité biologique. Les molécules de H2O dans l'eau liquide interagissent les unes avec les autres à travers un réseau fluide très dynamique de liaisons hydrogène entre les atomes d'oxygène et d'hydrogène de molécules adjacentes. La présence d'autres substances dans l'eau peut entraver cette organisation. Les expériences de diffusion neutronique ont permis la description des effets de l'ectoïne sur la dynamique des liaisons hydrogène et révélé comment les caractéristiques protectrices de l'ectoïne n'interfèrent pas avec le métabolisme cellulaire. En fait, l'ectoïne, plutôt que d'entraver, améliore les propriétés dynamiques remarquables des liaisons hydrogène dans l'eau ‐ or ces propriétés sont essentielles pour assurer la capacité de solvant de l'eau, et vitales pour la bonne organisation, la stabilisation et la fonction des protéines, des lipides, des membranes, de l'ARN et de l'ADN.
Ainsi que l’explique le Dr Joe Zaccaï, scientifique émérite du CNRS travaillant à l'ILL : « On sait que la recherche de la vie sur Mars, et ailleurs dans l'univers, est guidée par la recherche de l'eau liquide, essentielle à toute forme de vie. Ses propriétés remarquables sont basées sur les réseaux hydrogène dynamiques qui jouent un rôle vital dans le repliement et les interactions macromoléculaires, qui sont à la base des fonctions biologiques des protéines. Les résultats de cette étude illustrent comment l'osmolyte, derrière la réponse halotolérance dans des microorganismes, induit des effets compensateurs sur les liaisons hydrogène dans le respect des propriétés biologiques essentielles. Les neutrons fournissent l'outil idéal pour étudier la structure et la dynamique de l'eau et des molécules biologiques de par leurs avantages uniques : entre autres, un pouvoir de pénétration élevé sans dégâts d'irradiation pour l'échantillon et la possibilité d'étiquetage d'une structure en remplaçant l'hydrogène par son isotope au deutérium. Chacun des instruments utilisés dans l'étude a agi comme un «microscope géant» de grossissement différent pour nous permettre de ‘voir’ les détails, depuis la formation cruciale des liaisons hydrogène au niveau atomique jusqu'aux grandes structures de protéines et de membranes. Bien que beaucoup d'investigations spectroscopiques et thermodynamiques aient déjà été faites par le passé sur l'ectoïne, nous sommes fiers de présenter, grâce à l'utilisation des neutrons, la caractérisation expérimentale directe des structures ectoïne‐eau‐protéine et ectoïne‐eau‐membrane pour expliquer le mode d'action de cette molécule, dont l’intérêt et l’utilité sont remarquables ».
Contacts Presse
          ILL : Françoise Vauquois – T 04 76 20 71 07 - vauquois@ill.eu
          CNRS : Priscilla Dacher - T 01 44 96 46 06 – priscilla.dacher@cnrs-dir.fr
          CEA : François Legrand – T 01 64 50 27 53 – francois.legrand@cea.fr 
Contacts chercheurs
          Dr Zaccaï : zaccai@ill.eu
          Martin Weik : martin.weik@ibs.fr 
A propos de l'ILL – L’Institut Laue-Langevin (ILL) est un centre de recherche international basé à Grenoble. Depuis sa création il est leader mondial des sciences et technologies neutroniques. L’ILL exploite l’une des sources de neutrons les plus intenses au monde, fournissant des faisceaux de neutrons à une suite de 40 instruments scientifiques très performants et perfectionnés en permanence. Chaque année, 1200 scientifiques venus de plus de 30 pays du monde visitent l’ILL (quelque 2000 visites en tout.). Les recherches sont multidisciplinaires : physique de la matière condensée, chimie (verte), biologie, physique nucléaire ou science des matériaux. Les trois quarts du budget de l'institut sont fournis par la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. 
About MPI Biochemie – Proteins are the molecular building blocks and engines of the cell, and are involved in almost all processes of life. The scientists at the Max Planck Institute of Biochemistry (MPIB) investigate the structure of proteins and how they function – from individual molecules up to whole organisms. With about 850 employees coming from 45 nations, the MPIB is one of the largest institutes within the Max Planck Society. In currently eight departments and about 25 research groups, scientists contribute to the newest findings in the areas of biochemistry, cell biology, structural biology, biophysics and molecular science. They are supported by several scientific, administrative and technical service facilities. For more information please visit http://www.biochem.mpg.de/en. 
A propos de l’IBS – L’IBS est un centre de recherche dédié à la biologie structurale intégrée. Il s’agit d’une Unité Mixte de Recherche (UMR 5075) créée par le CEA, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et l’Université Grenoble Alpes (UGA). Dans son étude structurale et fonctionnelle des macromolécules biologiques (notamment des protéines), l’institut propose une approche multi- disciplinaire, aux frontières de la biologie, de la physique et de la chimie, alliant recherche fondamentale, recherche appliquée et innovation technique. Ses thématiques sont développées au sein de dix-huit groupes, regroupant environ 270 personnes. Pour plus d’informations : http//:www.ibs.fr.

 

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