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MÉGALITHES |
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mégalithe
Monument préhistorique formé d'un ou de plusieurs blocs de pierre.
Les mégalithes – pierres isolées, alignées, ou monuments – sont avant tout des expressions architecturales témoignant d'acquis technologiques et d'un degré d'organisation sociale remarquables. Leur présence dans les différentes parties du monde est attestée à des périodes séparées parfois de plusieurs milliers d'années – ils appartiennent à la préhistoire en Europe et dans le Bassin méditerranéen, à l'histoire parfois contemporaine dans d'autres régions –, et ils ne sont plus considérés comme des indices de diffusion d'une civilisation ou d'une religion.
Les principaux types de mégalithes sont : les menhirs, pierres dressées commémoratives ou jalons de systèmes rectilignes (alignements) ou circulaires (cercles ou cromlechs), interprétés comme des sanctuaires à cultes astraux (Carnac et Stonehenge) ; les dolmens, monuments funéraires, souvent recouverts d'un tumulus ; formant parfois des allées couvertes.
Données chronologiques
La majeure partie des monuments mégalithiques sont, à l'origine, des formes de sépultures collectives, et les plus anciens apparaissent au Ve millénaire avant notre ère. Ils semblent donc contemporains des débuts de l'agriculture en Europe occidentale, depuis le sud du Portugal (monument I de Poço de Gateira dans le Haut-Alentejo) jusqu'en Bretagne (tumulus de Barnenez à Plouézoc'h) et au-delà. L'apogée du mégalithisme occidental se situe au cours de la seconde moitié du IVe millénaire avec les sites de Stonehenge et d'Avebury en Angleterre, Newgrange en Irlande, Gavrinis, Carnac, Bagneux (banlieue de Saumur) en France, Antequera dans la péninsule Ibérique, auxquels on peut ajouter ceux, particulièrement riches, de Ggantija de Tarxien et de Hal Saflieni dans l'archipel de Malte, pour le monde méditerranéen. Pour les autres régions du monde, les données sont nettement plus fragmentaires. Toutefois, des mégalithes sont encore érigés de nos jours dans certains pays, comme Madagascar, ou dans l'île de Nias, en Indonésie.
Les monuments les plus importants montrent, en général, plusieurs phases d'aménagement successives, étalées parfois sur plus d'un millénaire : c'est le cas du grand site de Stonehenge dans la plaine de Salisbury. La date et la durée des périodes d'occupation sont des données primordiales.
Techniques de construction
Les dimensions des éléments constituant les monuments mégalithiques posent les problèmes de leur extraction, de leur transport, de leur érection et de leur assemblage. Certaines dalles de couverture de dolmen pèsent plusieurs dizaines de tonnes, le grand monolithe de Locmariaquer (Morbihan) atteignant plus de 350 t. Bien qu'en général les carrières d'extraction des pierres ne soient pas très éloignées des sites d'édification, des trajets de plusieurs centaines de kilomètres ont parfois été effectués : ainsi, les pierres bleues de Stonehenge ont été acheminées depuis le pays de Galles.
Les outils
Les outils sont essentiellement des pics en bois de cerf, pour déchausser les blocs, et des omoplates de bovidés, pour enlever les déblais ; on en a retrouvé dans des exploitations préhistoriques (notamment des galeries de mines de silex). En outre, des percuteurs en roches siliceuses, surtout en silex, devaient être utilisés pour provoquer des fractures par bouchardage dans les roches les plus dures, tel le granite ; des coins de bois enfoncés dans ces anfractuosités étaient mouillés pour faire éclater la roche par gonflement. Des outils semblables ont été expérimentés avec succès sur le site de Bougon (Deux-Sèvres).
Les pierres
Paraissant souvent brutes ou frustement taillées au premier abord, les pierres sont le plus souvent habilement extraites de leur affleurement géologique d'origine, en fonction des propriétés physiques des roches. Les constructeurs semblaient dominer parfaitement l'utilisation des discontinuités naturelles, comme les plans de stratification sédimentologique des grès et des calcaires, les plans de schistosité des roches métamorphiques ou les plans de faiblesse non apparents liés à l'anisotropie des massifs de granite ou des filons de dolérite (fil de nos carriers actuels).
Ces éléments lithiques se trouvent parfois appareillés dans de grands édifices à l'organisation complexe, ou simplement redressés, le plus souvent dans un point remarquable de la topographie ou du paysage anthropique de l'époque. Il est souvent difficile de s'en rendre compte actuellement, car ils ont été couramment déplacés au cours de l'histoire – quand ils n'ont pas été détruits pour des raisons agricoles ou d'urbanisme.
La mise en place
Les techniques de mise en place des orthostates ont été déduites à partir des fouilles montrant le creusement d'une fosse asymétrique et le plan de disposition des pierres de calage, et grâce à des reconstitutions, notamment celle réalisée par Thor Heyerdahl dans l'île de Pâques.
Les dalles de couvertures
Le montage de ces dalles peut s'effectuer par empilements successifs de troncs d'arbres ; lorsque la hauteur voulue est atteinte, les monolithes supports sont calés sous la dalle, soulevée par des leviers de bois, puis l'échafaudage est détruit par le feu. Une autre façon de procéder consiste à remorquer la dalle le long d'un plan incliné abondamment couvert de graisse jusqu'à sa position définitive sur ses montants.
Le déplacement des pierres
Il peut s'effectuer à l'aide de traîneaux, comme le montrent certaines fresques égyptiennes décrivant la traction de statues monolithiques colossales. Des rondins de bois, réutilisés au fur et à mesure de la progression, permettent aussi le déplacement des charges les plus lourdes dès lors que la résistance du sol est suffisante. En Asie du Sud-Est, la technique du « palong » est encore utilisée de nos jours : sur le sol aplani, on dispose des madriers recevant, dans des encoches, des traverses taillées pour être au même niveau. L'ensemble de la structure est alors enduit de graisse, et le monolithe est halé sur ce « chemin de bois ». Au début du xxe s., 520 hommes tractèrent une pierre de plusieurs dizaines de tonnes sur des pentes supérieures à 40 % dans l'île de Nias (Indonésie). Il semble que la traction par des hommes, capables de réagir très rapidement à un problème imprévu, soit beaucoup plus efficace que la traction animale.
Ces travaux devaient être effectués à des périodes de l'année où la mobilisation de la population ne risquait pas de mettre en péril l'activité agricole. De nos jours, ils donnent toujours lieu à des festivités importantes.
Les mégalithes dans le monde
Dès le xixe s., l'archéologue écossais James Fergusson rend compte, d'après ses propres observations en Europe, à Malte, en Algérie, en Palestine, en Éthiopie, au Soudan, dans le Caucase, en Perse, au Baloutchistan, au Cachemire et jusqu'en Inde centrale et méridionale, de l'universalité des constructions mégalithiques. D'autres sites ont été reconnus depuis, dans la région de San Agustín (Colombie), en Mandchourie, en Corée. Au Japon, les pratiques mégalithiques atteignent leur apogée au ive s. avant notre ère avec le tumulus en trou de serrure de l'empereur Nintoku (486 m de long pour 36 m de haut) et cessent à la fin du viie s. Des monuments mégalithiques se trouvent également en Malaisie, en Indonésie et au Yémen. En Afrique, certaines régions présentent une densité exceptionnelle. On estime entre trois mille et quatre mille le nombre de dolmens composant la nécropole du djebel Mazela à Bou Nouara, en Algérie orientale. Dans le sud de l'Éthiopie, la province de Sidamo représente la plus grande concentration de mégalithes du monde, avec plus de dix mille pierres phalliques et stèles gravées. Des gisements mégalithiques ont été décrits dans la région de Bouar, en République centrafricaine. La Gambie est également riche en cercles de pierres, dont certaines sont taillées en forme de lyre. Le Mali possède un ensemble de monolithes phalliques situé au cœur du delta intérieur du Niger, à Tondidarou, et daté de la fin du viie s. de notre ère. La région de la Cross River au Nigeria montre de beaux monolithes anthropomorphes. Madagascar, enfin, qui n'est touchée par le mégalithisme que depuis trois siècles, constitue une mine de renseignements concernant les motivations des populations qui réalisent de tels monuments.
Les mégalithes d’Europe
Le versant atlantique de l'Europe concentre les constructions les plus anciennes et les plus complexes. Les régions méditerranéennes comptent des ensembles remarquables et, en France, l'Aveyron est le département le plus riche en mégalithes.
Typologie des mégalithes d’Europe
Le professeur Glyn Daniel, de l'université de Cambridge, distingue quatre groupes de monuments en Europe.
Les menhirs ou pierres isolées
Ces pierres, parfois gravées, peuvent dépasser 20 m de haut, comme le menhir brisé de Locmariaquer. Certains menhirs sont réutilisés dans d'autres monuments, tel celui de 14 m de long dont un fragment constitue la dalle de couverture du dolmen de Gavrinis, et un autre celle du dolmen de la « Table des marchands » (Locmariaquer). On trouve, dans le sud de la France, en Corse du Sud (site de Filitosa), en Italie du Nord ou en Espagne, des menhirs qui sont de véritables sculptures anthropomorphes ou phalliformes.
Les regroupements de menhirs
Disposés selon un plan d'ensemble, les menhirs forment un ou plusieurs cercles ou ellipses, ou des alignements (Carnac, en Bretagne). Les anneaux de pierres s'inscrivent parfois dans des ensembles comprenant fossés et remblais (par exemple à Avebury, dans le sud de l'Angleterre). Dans la même région, le complexe de Stonehenge, caractérisé par des trilithes, a été construit en six étapes réparties sur deux millénaires (entre 3100 et 1100 avant J.-C.). La théorie faisant passer ce site pour un véritable observatoire astronomique est controversée.
Les dolmens
Assimilés le plus souvent à des chambres funéraires collectives, les dolmens sont les constructions mégalithiques les plus répandues (environ 50 000 du Portugal à la Scandinavie). Les uns étaient, et sont encore parfois, recouverts d'un tumulus de pierres. Certaines chambres présentent un toit constitué par un encorbellement de pierres sèches : la voûte de Newgrange, construite depuis 5 500 ans, s'élève à plus de 6 m du sol. Plusieurs monuments sont orientés de façon très précise par rapport au soleil, notamment à Newgrange, Gavrinis et Stonehenge.
Les temples mégalithiques
Situés dans les îles voisines de Malte – qui longtemps n'ont été considérées que comme un relais entre le monde égéen et l'Europe de l'Ouest –, les temples mégalithiques sont un exemple original d'une architecture autonome qui s'est développée sur une période de près de trois millénaires. Ces constructions sont particulièrement imposantes. Le temple de Ggantija a été construit en deux phases, et sa partie la plus ancienne laisse penser que les techniques du demi-encorbellement étaient déjà maîtrisées. Le monument de Tarxien, antérieur de plusieurs siècles aux premiers palais mycéniens, est immense (plus de 80 m de long) et complexe (trois temples, dont l'un compte sept chambres).
Un savoir-faire transmis
Les études réalisées sur les techniques d'extraction, de transport et d'assemblage des éléments mégalithiques montrent que les populations du néolithique et de l'âge du bronze savaient transmettre les connaissances acquises par l'observation de leur environnement et utiliser au mieux les moyens simples qui étaient à leur disposition. De plus, la diversification des tâches, coordonnées par un « architecte » possédant un plan d'ensemble et capable d'adapter les efforts d'un groupe parfois très important sans mettre en péril l'économie d'une communauté agricole ou pastorale, relève d'une organisation sociale évoluée. La sensibilité des bâtisseurs de mégalithes néolithiques transparaît dans la recherche esthétique des volumes, des gravures, et surtout dans l'intégration des monuments dans les paysages. Leurs capacités intellectuelles semblent dépasser largement l'imagination de ceux qui, aujourd'hui encore, attribuent à des interventions surnaturelles ou extraterrestres la réalisation de ces constructions.
L’interprétation des mégalithes
Lieux de légendes
Les mégalithes sont, le plus souvent, intégrés dans la culture populaire des régions où ils abondent. Les légendes traditionnelles font intervenir le merveilleux et le surnaturel pour expliquer leur présence, en leur conférant une image bénéfique ou diabolique selon les endroits, souvent associée à la présence de trésors cachés. Les Églises et les pouvoirs politiques ont cherché à neutraliser les pouvoirs qu'on leur attribuait, en les enfouissant dans leurs propres monuments ou en les y assimilant (monolithe intégré à la cathédrale du Mans, menhirs modifiés par l'adjonction d'une croix en Angleterre et en Bretagne). En fait, dans toute l'Europe occidentale, ils ont suscité la curiosité des historiens et des voyageurs depuis le xvie s.
Des monuments fascinants
Depuis la seconde moitié du xixe s., une littérature abondante, fournie par des préhistoriens, des érudits, des explorateurs, mais aussi des politiciens animés de l'idéologie qui entoure les Celtes, ainsi que des illuminés, voire des charlatans, leur a été consacrée. Une carte des dolmens de France a été réalisée par la commission de topographie des Gaules, et la commission des monuments mégalithiques publia un inventaire complet en 1880. De très précieuses descriptions de monuments se trouvent dans les actes des sociétés savantes de cette époque, comme le Bulletin de la société polymathique du Morbihan de Vannes.
Aujourd'hui, l'attrait exercé par les mégalithes se perpétue, qu'ils inspirent des études servies par les techniques de l'archéologie et les hypothèses de l'ethnologie ou qu'ils fascinent des processions de touristes, attirés par leur symbolisme énigmatique.
Signes de continuité
Un monument mégalithique – tombe, temple ou palais – est en général érigé sur un lieu privilégié de l'environnement, où il attire le regard. Signe du savoir-faire d'une communauté, il rend manifeste un certain pouvoir que l'étranger ignorant peut considérer comme magique et dissuasif : l'effet est d'autant plus impressionnant lorsqu'il s'agit de grandes structures soigneusement orientées, capables de complicité avec la course du soleil. Si les sépultures mégalithiques symbolisent une continuité solidaire avec les morts, elles prouvent ainsi la légitimité des constructeurs qui ont hérité des terres sur lesquelles reposent leurs ancêtres.
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PRÉHITOIRE |
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préhistoire
L'existence de l'homme préhistorique et de ses industries a été entrevue, affirmée puis pleinement confirmée grâce à diverses recherches ou découvertes faites séparément par des sciences comme la géologie, la paléontologie, l'ethnologie et l'anthropologie. Science jeune, au carrefour des sciences humaines et des sciences de la nature, la préhistoire ne cesse désormais de faire progresser notre connaissance sur nos plus lointains ancêtres. Cette discipline s'est peu à peu imposée, malgré les interdits et les tabous, religieux notamment. Ainsi, jusqu’au xviiie s., l'idée même d'une pré-histoire, différente de celle écrite dans la Bible notamment, était absolument impensable. Au xviiie s., Linné et Buffon placent au sommet de la hiérarchie des êtres vivants l'homme, qui dès lors n'est plus seulement une créature, mais devient le plus doué des mammifères. Charles Darwin, au xixe s., cherchant le plus proche ancêtre de l'homme trouve le singe. L'idée selon laquelle l'homme appartient au même système évolutif que tous les êtres vivants va devenir prédominante et encourager les premières fouilles visant à découvrir le « pré-homme », le « chaînon manquant » qui ne peut être qu'un singe pensant. À la fin du xxe s., les diverses techniques dont disposent les préhistoriens leur permettent de savoir d'une façon de plus en plus précise comment vivaient les hommes préhistoriques, de reconstituer leurs diverses activités et jusqu'au mode de relations sociales qu'ils entretenaient. La préhistoire atteint là à une véritable « ethnologie préhistorique ».
Des superstitions médiévales aux premiers antiquaires
Depuis le Moyen Âge chrétien jusqu'au xixe s., la Bible – et plus particulièrement la Genèse – sont, en Occident, les fondements de l'histoire de l'homme et servent de base pour évaluer les âges de la Terre. Ainsi, l'Encyclopédie de Diderot et d’Alembert expose encore que le monde a connu plusieurs époques : la Création remonte à 6000 ans avant J.-C. ; 2262 ans plus tard se produisit le Déluge, puis 738 ans après le partage des nations, etc. Cependant, au xixe s., il faudra bien admettre l'existence d'un homme antédiluvien qui fabriquait des outils de pierre. Longtemps d'ailleurs, les silex taillés et les haches polies ont attiré l'attention des hommes. Ainsi, au Moyen Âge et jusqu'au xviiie s., ces vestiges étaient appelés « pierres de foudre », car, selon les croyances populaires, elles étaient issues de l'orage. De la même façon, les silex taillés, et plus particulièrement les pointes de flèches, étaient réputés avoir un pouvoir magique bénéfique et des vertus curatives. Ces pointes étaient connues sous le nom de « glossopètres » (du grec glossâ, langue, et petra, pierre). Longtemps on les confondit, en effet, avec les dents fossiles de certains poissons que les Anciens croyaient être des langues de serpent pétrifiées. C'est l'Italien Michele Mercati qui, dès le xvie s., comprit la confusion, mais son œuvre ne parut qu'au xviiie s.
En 1492, la découverte de l'Amérique provoque un bouleversement complet de la pensée occidentale. La découverte de peuples « primitifs » fabriquant des outils comparables aux glossopètres et aux pierres de foudre va faire naître la curiosité de certains. À partir du xvie s., les premiers passionnés d'antiquités collectionnent les pierres gravées et sculptées, les cabinets de curiosités se multiplient et l'idée de fouiller commence à se faire jour. En 1685, la première fouille est réalisée : celle du dolmen de Cocherel en Normandie.
La découverte de l'homme nouveau
Puisque le Déluge avait englouti tout ce qui était vivant à la surface de la Terre, le xviiie s. recherche plus particulièrement les hommes ensevelis par la punition divine et c'est, pendant la première moitié du xixe s., la course aux ossements fossiles. Au cours de ces recherches, de nombreux outils en pierre sont mis au jour. Il devient clair, notamment sous l'impulsion de Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes, que ces outils ont été fabriqués par l'homme. On accepte alors peu à peu l'idée que ces témoins de l'activité humaine sont contemporains des animaux d'espèces disparues dont on retrouve aussi les ossements. L'existence de l'homme à une époque géologique antérieure aux temps actuels est ainsi prouvée, bien que certains, comme George Cuvier, l'aient niée jusqu'à l'absurde.
Il restait à trouver les squelettes de l'homme qui avait façonné ces premiers outils. Le crâne de Neandertal, découvert en 1856 dans la vallée de Neander (Allemagne), avait été considéré comme une pièce pathologique en raison de sa voûte fuyante et de la taille de ses arcades sourcilières. Il est oublié jusqu'en 1864, où l'espèce est officiellement reconnue par Kingen comme distincte de l'homme moderne et baptisée Homo neandertalensis. En France, la mise au jour d'un squelette à peu près complet d'homme de Neandertal aura lieu à la Chapelle-aux-Saints en 1908. À partir des années 1860, les recherches mais aussi les exhumations d'hommes fossiles se succèdent. L'homme de Cro-Magnon est trouvé en 1868. En 1891, c'est la retentissante découverte par le Néerlandais E. Dubois du pithécanthrope (Pithecanthropus erectus), à Java, qui fut alors considéré comme l'« homme-singe », le chaînon manquant de l'évolution.
Depuis un siècle, les nombreuses fouilles ont permis de mieux cerner et de faire reculer dans le temps les origines de l'homme. En 1974, en Afrique orientale, a lieu la découverte du squelette de Lucy, préhomme appartenant à l'espèce Australopithecus afarensis(australopithèque), qui vécut il y a 3,5 millions d'années. À la fin des années 2000, on considère que les espèces les plus vieilles appartenant à la lignée humaine sont Ardipithecus ramidus (4,4 millions d'années), découvert en Éthiopie, Australopithecus anamensis (entre 4,2 et 3,9 millions d'années), découvert au Kenya, et Toumaï, âgé de 7 millions d’années et mis au jour au Tchad
La bataille de l'art
Au début du xxe s., la communauté scientifique a, difficilement, fini par admettre l'ancienneté de l'homme et sa contemporanéité avec les grands mammifères quaternaires disparus. Elle connaît les outils qu'il fabriquait et les animaux qu'il chassait. Cependant, si l'image de l'homme préhistorique n'est plus tout à fait celle d'une brute épaisse et fruste (grâce, notamment, à la découverte de sépultures, preuve d'une certaine croyance en un « au-delà »), on n'ose imaginer que ces hommes, sortis des ténèbres, puissent être des artistes raffinés. Pourtant, la mise au jour la plus ancienne d'un objet préhistorique décoré (grotte du Chauffaud, dans la Vienne) date de 1834, mais l'objet est alors attribué aux Celtes. Les découvertes se multiplient avec les fouilles de l'abri rocheux de La Madeleine, qui révèlent un mobilier très abondant, celles de Gourdan ou d'Arudy dans les Pyrénées. L'art mobilier est peu à peu reconnu et Édouard Lartet en fait la base de sa classification des différentes périodes préhistoriques.
Il n'en va pas de même pour toutes les figures peintes ou gravées sur les parois des grottes. Lorsque le docteur Garrigou révèle, en 1864, les magnifiques peintures de Niaux (Ariège), lorsque Léopold Chiron signale, en 1878, l'existence de gravures dans la grotte Chabot (Gard) et le marquis de Santuola les grandioses peintures du plafond d'Altamira (Espagne), la communauté scientifique reste indifférente et sceptique. En 1895, Émile Rivière décrit les peintures de la Mouthe aux Eyzies ; l'année suivante, François Daleau raconte sa découverte des gravures de Pair-non-Pair (fouillé depuis 1881) ensevelies sous des sédiments préhistoriques. En 1901, l'abbé Henri Breuil participe aux fouilles de Font-de-Gaume et des Combarelles aux Eyzies-de-Tayac. Quelques semaines plus tard, Émile Cartailhac, éminent opposant à l'existence de l'art pariétal paléolithique, se range à l'avis de Breuil et la reconnaissance officielle se fera en 1902 lors du congrès de l'Association française pour l'avancement des sciences (A.F.A.S.).
Vers une ethnologie de la préhistoire
Jusque dans les années 1950, la fouille visait essentiellement à la récolte des objets : outils de silex ou d'os, parure en coquillage, etc. Pour ce faire, des terrassiers réalisaient, à la pelle ou à la pioche, des tranchées profondes dont la terre était ensuite tamisée pour en séparer les objets. Outre la recherche de vestiges matériels, la fouille servait aussi, éventuellement, à établir une stratigraphie pouvant permettre une relative datation de l'occupation des sols. Nombre de gisements, malheureusement parmi les plus importants, furent ainsi abîmés.
À partir de la seconde moitié du xxe s. se produisent un renouvellement des idées et une révolution dans les méthodes de fouille dont l'un des précurseurs est André Leroi-Gourhan. Pour lui, ethnologue et anthropologue, « on ne fait pas plus de préhistoire en ramassant des haches taillées qu'on ne fait de la botanique en cueillant des salades ». Il met l'accent, tout au long de sa vie, sur la nécessité d'une étude globale des gisements, sur la possibilité de connaître les modes de vie des hommes préhistoriques. À partir de 1952, lors des fouilles d'Arcy-sur-Cure, il adopte de nouvelles méthodes de fouille, tentant de prendre en compte tous les vestiges, la moindre esquille osseuse, témoignage du repas de nos ancêtres, ayant la même importance que le foyer, centre physique et social de l'habitat. Ces méthodes seront pleinement exploitées sur le site de Pincevent, fouillé depuis 1964. Le sol où vécurent les hommes du magdalénien, il y a plus de 12 000 ans, est dégagé horizontalement, chaque vestige laissé scrupuleusement en place. Le résultat, lorsqu'une surface suffisante a été dégagée, donne une image très proche de celle que purent avoir les hommes préhistoriques lorsqu'ils quittèrent leur site, à l'automne, avant d'aller rechercher ailleurs leur nourriture pour l'hiver.
À la fin du xxe s., les préhistoriens ont pleinement conscience du fait que la fouille représente une destructuration irréversible des témoins du passé. Aussi procède-t-on avec d'infinies précautions pour relever la position de chaque objet le plus précisément possible dans les trois dimensions. À partir de ce repérage précis des vestiges les plus ténus, les techniques modernes permettent de reconstituer les activités quotidiennes de nos ancêtres : taille du silex, cuisine, travail des peaux, etc., et de plus, d'imaginer ce qu'était non seulement leur mode de vie mais aussi leurs relations sociales. La préhistoire vise ainsi à une véritable ethnologie du passé.
L'homme et l'outil
Introduction
On considère généralement que la première manifestation de l'intelligence humaine fut le premier outil fabriqué. L'homme a peu à peu appris à maîtriser la matière : pierre, os ou bois, pour réaliser ses outils et ses armes. Il a certainement utilisé tout ce qui, dans la nature, pouvait être employé ; mais, s'il est logique de penser que la plupart des matières périssables (bois, cuir, lianes ou tendons d'animaux) ont été utilisées par l'homme préhistorique, le préhistorien, lui, n'en possède aucune trace matérielle. L'industrie osseuse a subi la sélection de la corrosion naturelle et, bien que l'on suppose que le travail de l'os remonte aux premiers âges, c'est dans les gisements du paléolithique supérieur, qui débute il y a environ 35 000 ans, qu'il est attesté. En fait, seule la pierre n'a pas subi les ravages du temps. Elle constitua l'élément de base de l'outillage pour sa dureté, ses propriétés tranchantes, ses possibilités variées de façonnage et son abondance. Si, au début de la préhistoire, les premiers outils étaient rudimentaires et de formes peu variées, ils se diversifièrent et s'adaptèrent de plus en plus finement à leur fonction aux cours des temps. Il existe une différence fondamentale entre les premiers galets grossièrement aménagés par les premiers hominidés, il y a 3 millions d'années, et l'industrie du paléolithique supérieur, qui prouve le prodigieux degré de technicité acquis par nos ancêtres Homo sapiens. Bien que les outils aient été conçus et fabriqués dans un but utilitaire, ils témoignent aussi de la tradition des divers groupes préhistoriques en caractérisant leur culture.
Dates clés de l'évolution des outils préhistoriques
DATES CLÉS DE L'ÉVOLUTION DES OUTILS PRÉHISTORIQUES
2 millions d'années avant J.-C. Premiers outils attribués aux australopithèques et découverts en Afrique orientale.
1 million d'années avant J.-C. Apparition des premiers bifaces.
200 000 ans avant J.-C. Les Acheuléens prédéterminent la forme des produits à débiter : c'est l'invention de la technique Levallois.
35 000 ans avant J.-C. L'Homo sapiens sapiens développe le débitage laminaire et façonne l'os.
18 000 ans avant J.-C. Apogée de la taille avec les Solutréens qui utilisent le débitage par pression. Cette même culture invente l'aiguille à chas en os.
9 000 ans avant J.-C. L'industrie lithique tend à une miniaturisation.
Les premiers outils
La première « industrie lithique » humaine (premiers essais de transformation de pierres en outils) reconnue comme telle a été découverte en Afrique orientale sur le gisement d'Olduvai, en Tanzanie ; elle est aussi désignée sous le nom anglais de « Pebble culture » et est l'œuvre de Homo habilis, qui vécut il y a environ 2 millions d'années. Cette industrie est surtout représentée par des galets dits « aménagés », qui présentent soit un seul enlèvement sur l'une de leur face (galets appelés choppers), soit un enlèvement sur chacune des deux faces, l'intersection créant ainsi un tranchant (galets appelés chopping-tools). Il s'agit d'outils extrêmement frustes qui devaient servir à broyer. Plus tard, en Europe notamment, à l'acheuléen, il y a plus de 1 million d'années, le biface constitue l'outil le plus fréquemment retrouvé. Outil allongé à l'extrémité pointue ou arrondie, il est obtenu à partir d'un bloc (ou nucléus) qui est, comme le chopping-tool, taillé sur ses deux faces. Mais il est beaucoup plus élaboré et montre une volonté de mise en forme du tranchant, donc de la silhouette de l'objet.
Au cours du paléolithique inférieur, les outils vont commencer à se diversifier et c'est pendant l'acheuléen moyen que l'on trouve les premiers outils sur éclat, tels que le racloir, éclat retouché sur son long côté, et des outils encochés ou denticulés (grattoirs, burins, etc.). Enfin, vers-200 000 ans, l'industrie lithique va subir une évolution fantastique avec l'apparition de la « technique Levallois ». Il s'agit d'un mode de débitage qui consiste à obtenir un éclat de forme prédéterminée, à partir d'une préparation particulière et élaborée du bloc de matière première (silex le plus souvent). Cette technique permet, à partir d'un rognon de silex (le nucléus), d'obtenir plusieurs éclats ou pointes prédéterminés de forme semblable : il s'agit d'une véritable production en série. Du simple enlèvement dans le but de créer un tranchant sur le chopper, les hommes du paléolithique inférieur ont franchi, grâce à l'invention de la technique Levallois, une étape fondamentale aussi bien pour la pensée humaine (présence d'un schéma opératoire complexe) que pour le perfectionnement technique. En effet, au paléolithique supérieur, le débitage des lames de silex à partir d'un nucléus ne fera que reprendre cette technique.
Forme et fonction
Au cours de la préhistoire, les outils se sont beaucoup diversifiés et les archéologues les retrouvent en grand nombre dans les gisements préhistoriques. Pour attribuer à ces témoins un cadre chronologique précis et en découvrir l'évolution, il a fallu les étudier selon, d'une part, la technique de fabrication et, d'autre part, leurs formes et leurs fonctions. La corrélation de ces éléments a permis de créer une typologie, c'est-à-dire une classification cohérente des différents types d'objets. Depuis Boucher de Perthes, qui, au xixe s., lança les bases d'une classification des outils préhistoriques, les préhistoriens ont reconnu, de façon intuitive, des types aux formes constantes en leur donnant, le plus souvent, soit le nom de leur fonction présumée, soit, par analogie avec des formes actuelles, le nom d'outils contemporains : ainsi les grattoirs, les burins, les perçoirs et autres « bâtons de commandement ». En fait, l'ethnologie a prouvé qu'un même outil pouvait avoir des fonctions variées ou que, à l'inverse, différents outils pouvaient être utilisés pour une même tâche. On sait aujourd'hui, notamment grâce à l'étude des plus infimes traces d'utilisation (microtraces d'utilisation), que, par exemple, les grattoirs ne servaient pas toujours à gratter et que les racloirs ne servaient pas forcément à racler. Ce fait confirme que plusieurs types de fonctions peuvent être attribués à un même outil. Toutefois, la communauté scientifique a conservé les noms de la typologie traditionnelle.
L'étude des microtraces d'utilisation remet effectivement en question les interprétations anciennes. Au moyen de microscopes à fort grossissement, on analyse les stries, les écaillures, les émoussés de l'outil, son utilisation par les hommes préhistoriques ; pour relier ces traces à la fonction de l'outil, on procède à des comparaisons avec des outils reproduits aujourd'hui et utilisés dans les mêmes conditions qu'alors. On a pu ainsi retrouver la manière dont il était utilisé, s'il était emmanché et le matériau qu'il a travaillé.
Les outils en os
Vivant en contact permanent avec les animaux, l'homme a très tôt utilisé leurs ossements. Les australopithèques fracturaient des os longs, produisant ainsi un biseau formant une pointe solide ; le site de Melka Kontouré (Éthiopie) a ainsi livré dans une couche datée de 1 700 000 ans les premiers outils en os portant les traces d'une utilisation humaine. Pendant le paléolithique inférieur et jusqu'à la fin du paléolithique moyen (vers- 35 000 avant J.-C.), la forme de l'outil d'os est restée fortuite, seule la partie active était, parfois, aménagée par percussion. C'est au paléolithique supérieur que l'artisanat de l'os se développe réellement, l'habileté technique permettant même d'atteindre un incomparable esthétisme. Ainsi, des techniques spécifiques ont abouti à une très grande variété d'armes et d'outils, d'objets de parure et d'art. L'industrie de l'os a été utilisée pour fabriquer des armes qui servaient pour la plupart à la chasse des grands mammifères. Ainsi la sagaie, qui est constituée d'une baguette d'os dont une extrémité est appointée, l'autre étant fixée à une hampe en bois. Elle était lancée grâce à un propulseur, qui décuplait sa force par rapport au lancer à la main et en augmentait la précision.
Pour la pêche sont fabriqués des hameçons, des têtes de harpons avec une ou deux rangées de barbelures. Certains outils sont encore utilisés aujourd'hui, l'aiguille à chas par exemple, inventée par les hommes du solutréen il y a plus de 18 000 ans et dont la forme, même si le matériau a changé, n'a guère varié. Le propulseur est resté en usage jusqu'au xxe s. chez les Inuit et certaines populations océaniennes. Enfin, il existe d'autres outils dont on ne connaît pas encore la fonction : le bâton percé, parfois appelé « bâton de commandement », ou les baguettes demi-rondes par exemple. L'homme travaille également l'ivoire, comme en témoignent les statuettes féminines trouvées à Brassempouy (Landes) et le bois de renne, qu'il façonne en armes de chasse (emmanchement des haches de pierre polie).
La fabrication des outils
Industrie moustérienne
Les techniques de fabrication des outils en pierre varient en fonction de la matière première, les roches compactes ne se travaillant pas de la même façon que les roches friables. Elles utilisent deux types d'opération : le débitage et le façonnage. Le débitage est l'action qui consiste à détacher, par percussions successives, des éclats d'un bloc de pierre. L'éclat sera alors utilisé, le bloc initial (appelé nucléus) pouvant être considéré comme un déchet. Le façonnage a pour but de mettre en forme l'éclat débité, ou bien le bloc lui-même, afin de permettre un débitage plus efficace. Au paléolithique, la technique de façonnage la plus répandue est la retouche. Celle-ci consiste à détacher de l'objet de très petits éclats par percussion ou par pression. La percussion directe (la plus courante) utilise un percuteur (galet de pierre pour un percuteur dur ; bois végétal ou animal pour un percuteur tendre) frappant directement l'objet. La percussion indirecte, par écrasement entre percuteur et enclume, produit des retouches verticales ; enfin, la pression permet des retouches très fines, les enlèvements étant alors très longs et étroits. Les hommes du solutréen, qui, il y a 20 000 ans, atteignirent l'apogée des techniques de débitage, utilisaient la retouche par pression pour réaliser les magnifiques « feuilles de laurier ». Ainsi, pour fabriquer un outil comme le grattoir, très utilisé au paléolithique supérieur, il faut commencer par bien choisir le silex, le préparer (enlever le cortex), le mettre en forme et aménager un plan de frappe pour pouvoir débiter aisément puis frapper avec le percuteur afin de détacher une lame ; cette lame est façonnée par des retouches obliques, sur sa partie étroite, qui déterminent le front du grattoir, c'est-à-dire la partie active, l'autre bout pouvant être emmanché.
La fabrication des outils en os requiert des techniques plus variées et l'existence préalable d'outils de pierre. Le matériau est généralement constitué par les bois, l'ivoire ou les os longs des grands mammifères comme le mammouth, le cheval, le bison ou le renne, animal par excellence du paléolithique supérieur. Pour fabriquer des outils tels que la sagaie, le harpon, l'aiguille à chas ou le propulseur, il faut creuser dans la partie compacte d'un bois de renne, à l'aide d'un burin de silex, deux rainures séparées par une distance égale à la largeur de l'outil désiré. Ces rainures sont peu à peu approfondies jusqu'à ce que la partie spongieuse de l'os soit atteinte. La baguette est alors extraite. L'ébauche peut ensuite être transformée soit en sagaie par raclage au moyen d'un silex tranchant, soit en aiguille à chas ; la perforation du chas se pratique soit par pression à partir d'une petite rainure, soit par rotation en utilisant un perçoir de silex.
Les microlithes
L'outillage des derniers chasseurs-cueilleurs se caractérise par la fabrication et l'utilisation de très petits outils produits à partir d'éclats ou d'esquilles de silex. Ce sont, la plupart du temps, des armatures de pointes de flèches. De forme géométrique, leur dimension est inférieure à 40 mm et leur épaisseur à 4 mm. Ces microlithes étaient réunis en série sur le tranchant d'un support d'os ou de bois ou étaient utilisés comme pointes sur des armes de jet.
À la fin du paléolithique supérieur, l'homme façonne des outils de plus en plus petits. Si les premiers tailleurs obtenaient 10 cm de tranchant utile avec 1 kg de silex, les hommes de l'acheuléen en obtenaient 40 cm, puis ceux du moustérien (au paléolithique moyen) 2 m, enfin les hommes de la fin du paléolithique supérieur obtinrent de 6 à 20 m. L'homme s'est-il complètement affranchi par rapport aux gisements de matière première, ou s'agit-il d'exploiter au maximum une matière première devenue rare ou difficile à trouver en raison du bouleversement climatique, réchauffement intervenu vers- 9000 et qui eut pour conséquence majeure le retour de la forêt ?
L'apparition de l'agriculture
Introduction
L'apparition de l'agriculture, qui marque le début de la période appelée néolithique, constitue, au même titre que la découverte du feu, une véritable révolution dans l'histoire de l'humanité. Pendant la plus grande partie de son histoire (que nous nommons préhistoire), c'est-à-dire pendant près de quatre millions d'années, l'homme a toujours connu le même mode d'existence. Il vit en petits groupes, nomades ou semi-nomades, et pratique pour assurer sa subsistance la chasse et la cueillette. En quelques millénaires à peine, il abandonne le nomadisme, se sédentarise et se libère de la recherche constante de nourriture grâce à l’agriculture.
L'émergence des premières communautés paysannes, dès le Xe millénaire avant notre ère en Orient et au Moyen-Orient, vers le VIe millénaire avant notre ère en Europe, aura des conséquences irréversibles. Comme les autres espèces animales, l'homme vivait en équilibre avec son milieu. En domestiquant plantes et animaux, il va le modifier en profondeur, l'humaniser, mais aussi y causer des atteintes encore visibles aujourd'hui. (→ environnement.)
L'habitat de l'homme change aussi. Les petits groupes de nomades, qui s'abritaient sous des huttes, des tentes, des abris-sous-roche ou dans des grottes, deviennent sédentaires, et construisent de véritables maisons groupées en villages. L'apparition de l'agriculture modifie également les techniques et l'outillage. Parmi les inventions les plus caractéristiques de cette époque se trouvent la hache de pierre polie, qui sert à l'abattage des arbres, et la poterie, dont les récipients de terre cuite, le plus souvent décorés, ont un usage domestique.
La domestication des animaux et des plantes
La domestication des animaux et des plantes constitue une étape fondamentale dans l'histoire des hommes. On peut parler de domestication lorsqu'il y a une intervention humaine sur une population animale ou végétale afin de la favoriser parce qu'elle représente un intérêt particulier. Il faut distinguer deux processus dans la domestication. L'un est dit primaire lorsqu'il s'effectue sur un groupe d'animaux et de plantes d'origine locale (comme cela s'est probablement produit, en Europe, pour le porc qui est un sanglier domestiqué sur place). L'autre est dit secondaire lorsqu'il s'agit d'acclimater des animaux ou des végétaux déjà domestiqués ailleurs (c'est sans doute le cas du mouton, importé en Europe après avoir été domestiqué au Moyen-Orient). La domestication a pour conséquence presque immédiate une évolution génétique des espèces qui doivent s'adapter à leur nouvel environnement. Ainsi, la culture du blé, à partir d'une espèce sauvage, puis sa sélection ont conduit à un accroissement de la taille et du nombre de grains sur chaque épi, puis à l'apparition d'espèces à rachis solides plus faciles à moissonner. À l'inverse, le bœuf domestique (dont l'ancêtre sauvage est l'aurochs) voit sa taille diminuer tout au long de la période néolithique.
Les berceaux du néolithique
On situe habituellement le berceau de l'agriculture au Moyen-Orient, dans une zone communément appelée le « Croissant fertile », comprenant les territoires actuels de la Syrie, du Liban, d'Israël, de l'Iran et de l'Iraq. Dès le IXe millénaire avant notre ère, des populations sédentaires domestiquent des espèces animales et végétales sauvages locales parmi lesquelles la chèvre et le mouton, l'orge et le blé, qui sont les céréales principales, mais aussi des légumineuses comme les pois, les fèves, les gesses et les lentilles.
D'autres foyers de néolithisation s'individualisent dans le monde. Dans le Baloutchistan pakistanais, des découvertes archéologiques récentes ont mis au jour des couches attribuées au VIIIe millénaire avant notre ère, dans lesquelles les squelettes animaux appartiennent à une faune en voie de domestication (bœuf, chèvre, mouton). Ce sont les débuts de la période préindusienne. Les céréales dominantes sont l'orge et le blé. Les récoltes étaient stockées dans de grandes bâtiments en briques crues, qui servaient de grenier. La poterie n'y apparaît qu'au VIe millénaire avant notre ère. La culture du riz, en Chine, du riz et du millet, dans l'Asie du Sud-Est, est attestée au VIe millénaire avant notre ère. C'est à la même époque que se développe une civilisation pastorale au Sahara (domestication du bœuf).
Le continent américain est tardivement peuplé (vers 40 000 avant J.-C.), et les premiers villages d'agriculteurs n'apparaissent en Amérique centrale qu'au milieu du IIIe millénaire avant notre ère.
La diffusion du néolithique
C'est à partir du Croissant fertile, zone de découvertes privilégiée aujourd'hui par les spécialistes, que le néolithique va se diffuser pendant environ deux millénaires, sur le pourtour méditerranéen, par contact et acculturation des derniers chasseurs-cueilleurs. En ce qui concerne l'Europe, atteinte au VIe millénaire avant notre ère, deux axes essentiels ont été mis en évidence : les Balkans et le Danube d'une part, la Méditerranée occidentale d'autre part.
Pour le premier axe, on se fonde sur la découverte d'une céramique de forme ronde-ovale au riche décor peint caractéristique des cultures appelées proto-Sesklo et Sesklo en Grèce, Starčevo en Serbie-et-Monténégro, Karanovo en Bulgarie. Ces cultures forment, en remontant vers le nord-ouest, le courant de diffusion danubien, ou culture à « céramique linéaire occidentale ». Elles parviennent jusqu'au nord de la Pologne, aux Pays-Bas, en Belgique et dans le Bassin parisien. L'élevage, principalement le bœuf et le mouton, représente souvent plus de 90 % des ressources en viande ; blé, orge, petits pois et lin sont également cultivés. Ces populations danubiennes, dites « rubanées » en raison des incisions en forme de ruban qui ornent leurs poteries, défrichent, recherchant presque systématiquement les terres les plus meubles et faciles à travailler que constituent les lœss. Elles habitent dans de longues maisons de bois, de torchis et de chaume qui mesurent de 10 à 40 mètres de longueur, ce qui permet d'abriter jusqu'à 25 personnes, et qui sont regroupées en villages.
En Méditerranée occidentale, l'apparition de l'agriculture se situe entre le VIe et le IVe millénaire avant notre ère. On ignore toujours si les « colons » néolithiques sont venus par terre – traversant la Grèce, l'Italie, le midi de la France – ou par mer – abordant les côtes italiennes, celles de l'Afrique du Nord, de l'Espagne et du sud de la France. Vers – 6000 avant J.-C., en effet, la mer n'est plus un obstacle. L'homme fabrique des embarcations, certes sommaires (on a retrouvé surtout des pirogues dites « monoxyles », c'est-à-dire creusées dans un seul tronc d'arbre), mais qui lui permettent d'effectuer du cabotage. La culture des premières communautés paysannes de Méditerranée occidentale est appelée le cardial, en raison du décor caractéristique de leurs vases, réalisé à l'aide d'un coquillage, le Cardium edule. L'habitat de ces populations est de deux types : soit des sites protégés, fréquentés depuis déjà bien longtemps (grottes et abris-sous-roche), soit des cabanes construites en plein air. Le mouton et la chèvre sont domestiqués, ainsi que les bovidés ; la chasse joue encore un rôle important (petit gibier, mais aussi cerf et sanglier). Les céréales les plus consommées sont là encore le blé et l'orge, mais la cueillette n'est pas totalement absente, noisettes et glands notamment. Au cardial, l'agriculture est pratiquée avec des moyens très rudimentaires tels que les « bâtons à fouir », bâtons appointés qui permettent de creuser des trous ou de briser les mottes de terre ; des faucilles, avec des éléments de silex insérés dans un manche en bois, servent à la récolte des céréales, tandis que des meules en pierre servent à broyer et à moudre les grains.
Mais bien des peuples ignorent encore l'agriculture, tandis que, dès le VIIIe millénaire avant notre ère, la métallurgie du cuivre naît au Proche-Orient.
Les conséquences de l'apparition de l'agriculture
Les conséquences de l'apparition de l'agriculture sont multiples, atteignant tous les domaines de la vie des hommes : économique, social et écologique. Économique d'abord, puisque l'homme, de prédateur devient producteur. Ce changement d'état a été précédé (et non suivi, comme on l’a longtemps cru), par un bouleversement social : l'abandon du nomadisme pour la sédentarité ; les hommes vont donc, peu à peu, habiter des maisons construites pour durer, en pierre ou en bois. Ces maisons sont regroupées en villages. En outre, le temps de travail s'accroît, les soins à apporter aux cultures et au bétail étant beaucoup plus contraignants que ceux nécessaires à la chasse et à la cueillette ; cet accroissement du temps de travail va aussi mener à une spécialisation des tâches et à la naissance du commerce.
Les données de l'archéologie montrent, pour le début du néolithique, que les sociétés devaient être « égalitaires », car il n'a pas été mis au jour, dans les maisons ou les sépultures, d'accumulation de richesses ou des signes distinctifs qui prouvent l'existence d'une hiérarchie. En revanche, la production accrue des biens alimentaires va entraîner un accroissement de la population et engendrer des chefferies. La guerre fait son apparition et les villages se fortifient.
Si l'on peut dire que l'essor de l'agriculture au VIe millénaire avant notre ère est à l'origine de notre système culturel et social, il est aussi souvent pour beaucoup dans l'aspect de notre environnement actuel. Les chasseurs-cueilleurs vivaient en étroite symbiose avec le milieu naturel dont ils dépendaient entièrement, alors que les premiers agriculteurs vont détruire ce milieu pour y installer cultures et pâturages. Au VIIe millénaire avant notre ère, le changement climatique que connaît l'Europe, depuis déjà trois mille ans, a favorisé l'expansion de la forêt, principalement constituée par les chênes. Les premiers agriculteurs armés de leurs haches de pierre polie vont commencer par déboiser de petites parcelles afin d'en cultiver quelques arpents ; les animaux peuvent alors trouver leur nourriture dans le sous-bois. En moins d'un millénaire, cependant, ces terrains se révèlent exigus, s'appauvrissent, et il faut défricher de nouveaux territoires. À cela il faut ajouter, et notamment pour la région méditerranéenne, l'action dévastatrice du mouton et de la chèvre qui broutent les jeunes pousses et sont les acteurs essentiels du déboisement et de l'érosion des sols. Au VIe millénaire avant notre ère, l'apparition de l'agriculture entraîne la dégradation ou la fin des milieux naturels : le paysage est transformé par l'homme.
L'art préhistorique
L'art de l'époque paléolithique
C'est en 1834 qu'est découvert, dans la grotte du Chaffaud (Vienne), le premier témoin d'un art préhistorique : un os gravé. Entre 1860 et 1865, Édouard Lartet découvre en Dordogne et en Ariège d'autres témoignages d'une activité artistique des hommes magdaléniens. L'art préhistorique pariétal ne sera cependant révélé qu'en 1879 par M. de Santuola dans la grotte d'Altamira. Mais son authenticité n'est admise qu'en 1895, après la découverte de gravures et de peintures dans la grotte de la Mouthe.
Le sud-ouest de la France et le nord-ouest de l'Espagne constituent le foyer le plus important de l'art pariétal paléolithique. Cette province franco-cantabrique renferme un grand nombre de grottes ou d'abris ornés parmi lesquels : Pair-non-Pair (Gironde), la Mouthe, les Combarelles, Font de Gaume, le Cap Blanc, Lascaux (Dordogne), Niaux, les Trois Frères (Ariège), Pech-Merle, Cougnac (Lot), Angle-sur-l'Anglin (Vienne), le Castillo et Altamira (Santander, Espagne). La découverte, plus récemment, d'un site près de Marseille (la grotte Cosquer, sous-marine) et d'un autre en Ardèche (la grotte Chauvet) modifie toutefois la géographie des témoignages rupestres.
Les artistes paléolithiques utilisaient des techniques variées : simples tracés digitaux sur support tendre, gravures avec un outil de silex sur surface dure, sculptures en bas relief, modelage d'argile, dessin et peinture mono- et polychrome.
L'art paléolithique comporte également des œuvres mobilières : statuettes, plaquettes et blocs gravés, instruments décorés, dont le contexte archéologique permet une attribution chronologique et culturelle relativement précise. Par analogie stylistique à ces œuvres, dont on connaît l'origine stratigraphique, il est possible de dater les œuvres pariétales.
C'est l’abbé Henri Breuil qui établit, au cours de la première moitié de ce siècle, la première synthèse sur l'art franco-cantabrique et proposa une chronologie comportant deux cycles évolutifs successifs : le cycle « aurignaco-périgordien », débutant par des figurations au trait peint passant, par la suite, aux teintes plates, puis polychromes. Le cycle « solutréo-magdalénien », commençant lui aussi par des figurations linéaires pour passer aux teintes plates, noires le plus souvent, devenant polychromes. Ce cycle s'achève par de fines gravures.
Les nombreuses statuettes féminines dites « Vénus aurignaciennes » sont en fait attribuables au gravettien, ou périgordien. Des blocs de calcaire portant des représentations sexuelles féminines ont été trouvés en association avec des industries aurignaciennes. A. Leroi-Gourhan reprit, après Breuil, l'étude de l'art paléolithique et proposa une chronologie différente. Sur la base d'arguments stylistiques observés dans l'art mobilier, quatre styles peuvent être distingués :
– le style I, ou primitif, correspondant aux gravures grossières de l'aurignacien ;
– le style II, ou archaïque, auquel appartiennent les œuvres gravettiennes. Les figurations, dépourvues de détails, sont réduites à quelques traits simples ;
– le style III, qui constitue une nette amélioration du précédent par un perfectionnement du modelé et l'adjonction de détails anatomiques précis. De nombreuses figurations de la grotte de Lascaux appartiennent à ce style ;
– le style IV, qui correspond à un plus grand réalisme des figurations, dont le modèle est rendu par des hachures ou des variations dans la densité des couleurs.
L'étude des grottes et abris ornés semble indiquer que les artistes paléolithiques avaient un souci de composition esthétique auquel s'ajoutait une trame de liaisons symboliques qui nous échappent en grande partie.
La conservation de ce patrimoine artistique pariétal est des plus délicates. Le milieu souterrain qui, jusqu'à nos jours, a permis la conservation de ces œuvres est très sensible aux perturbations, et l'altération des parois entraîne la disparition des peintures et gravures. Les visites trop fréquentes modifient dans certaines grottes les conditions d'éclairage et de température, la teneur en gaz carbonique et introduisent des bactéries, pollens et spores qui menacent les œuvres pariétales. C'est pourquoi certaines grottes ne sont ouvertes qu'à un nombre limité de visiteurs, voire même interdites au public. C'est le cas de la grotte de Lascaux, dont un fac-similé a été réalisé et est accessible au public depuis 1983.
L'art du néolithique
Les archéologues ont souvent remarqué la disparition presque totale des formes d'art des civilisations paléolithiques et ont parfois pensé qu'avec le néolithique les manifestations artistiques étaient devenues de plus en plus schématiques jusqu'à disparaître. Il n'en est rien : plusieurs foyers de création artistique apparaissent alors, révélant dans la forme une forte inspiration et, dans le fond, l'expression symbolique d'une vision globale de la société nouvelle.
Si les peintures rupestres du Levant espagnol ne sont pas encore bien datées, si certains animaux font encore penser aux représentations paléolithiques, divers caractères semblent spécifiques du néolithique, en particulier les scènes guerrières qui font s'affronter deux bandes d'archers ; celle de la gorge de Gasulla à Castellon ou celle de Morella la Vella sont vraisemblablement du Ve millénaire avant notre ère.
Dans le nord de l'Europe, à la même époque, parmi les vestiges maglemosiens, des armes guerrières en os ou en bois de cervidé, des poignards, des pointes de lance et des haches peuvent être finement décorés de motifs géométriques qui se combinent parfois en évocation anthropomorphe, comme sur la hache provenant d'une tourbière de Jordløse, dans le Sjaelland, au Danemark.
Un autre foyer original de création artistique, du début de l'époque postglaciaire, est celui de Lepenski Vir, en Serbie-et-Monténégro, sur les bords du Danube, au niveau des Portes de Fer. Des sculptures sur pierre représentent des êtres mi-hommes, mi-poissons qui devaient jouer un rôle important dans cette société de chasseurs-pêcheurs déjà sédentarisés.
Une source importante d'inspiration de l'art néolithique est puisée dans l'ambiance de la fertilité agricole telle qu'elle s'exprime, dès le VIIIe millénaire avant notre ère en Syrie-Palestine, par des statuettes en pierre et surtout en terre cuite d'animaux domestiqués et de divinités féminines. L'ensemble iconographique le plus complet et le plus cohérent de la religion néolithique est celui qui a été mis au jour en Anatolie, à Çatal Höyük (vers 6000 avant J.-C.). Il serait hasardeux de généraliser les conclusions tirées sur ce site à propos de la déesse mère associée à des animaux comme le taureau et le léopard. Ce thème caractéristique du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale n'est probablement pas à transporter tel quel dans d'autres régions comme la vallée du Danube. Pourtant, l'abondance des statuettes féminines (plus rarement masculines) et zoomorphes (bovidés et ovicapridés surtout, cervidés parfois) dans le néolithique de l'Europe tempérée en général montre l'expression symbolique et probablement religieuse d'une société agricole que certains archéologues n'ont pas hésité à qualifier de matriarcale. Les statuettes féminines sont souvent représentées nues sous des formes plastiques stylisées d'une grande variété : des gravures ou des lignes peintes viennent souvent accentuer l'expression abstraite. Les plus célèbres de ces statuettes viennent de la culture de Tripolie en Ukraine, des cultures de Gumelniţa et de Cucuteni en Bulgarie et Roumanie, de la culture de Vinča en Serbie-et-Monténégro, des cultures de Sesklo (Sésklon) et Dimin (Dhiminion) en Grèce. Les deux figures en terre cuite d'une femme accroupie et d'un homme assis sur un tabouret, la tête entre les mains, provenant d'une sépulture de la culture de Hamangia, fouillée à Cernavodă près de Dobroudja en Roumanie, sont de véritables chefs-d'œuvre du IVe millénaire avant notre ère. Ces statuettes existent en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en France, en Italie, dans la péninsule Ibérique, etc. Elles sont de plus en plus stylisées à mesure que l'on s'avance vers l'ouest : les « yeux » gravés ou peints sur la céramique de Los Millarès au sud de l'Espagne, les idoles en pierre de la région d'Almeria ou celles du Portugal, les quelques statuettes en terre cuite de Fort-Harrouard (Eure-et-Loir) ou encore le petit bloc calcaire sculpté et représentant une « divinité » à Grimes Graves (Grande-Bretagne) témoignent de la large diffusion d'une idéologie aux traits communs. Celle-ci apparaît encore, d'une manière très allusive, dans des sépultures comme les hypogées de la Marne ou les allées couvertes, dans lesquelles on reconnaît parfois la « tête de chouette » associée aux seins et parfois à la représentation d'un collier. L'art décoratif gravé ou piqueté sur des piliers de tombes mégalithiques de Bretagne (Gavrinis) ou d'Irlande (Newgrange) date d'environ 3000 avant J.-C. Les monuments mégalithiques eux-mêmes représentent, depuis le Ve millénaire avant notre ère, en Occident, un aspect religieux original de l'art architectural dont l'équivalent civil, et surtout défensif, se trouve depuis les remparts de Jéricho jusqu'aux camps à fossés de la Saintonge néolithique.
Plus au nord, des civilisations dites « forestières » sculptent l'ambre et le bois de cervidé avec une grande habileté : la statuette anthropomorphe d'Ousviaty et la tête d'élan de Chiguir en Russie révèlent les qualités artistiques de peuples non citadins trop souvent considérés comme « retardés ». Les grands rochers gravés de Suède méridionale ou de Carelie nous racontent des scènes émouvantes de la vie quotidienne, pêche, chasse, cérémonies et même enfantement. Ces figures ont été réalisées à partir de la fin du néolithique et pendant les âges des métaux.
En dehors de l'Europe, pendant cette même époque néolithique, s'épanouissent les premiers arts rupestres du Sahara et une partie de ceux d'Afrique du Sud. L'Égypte n'aura de grand art qu'avec les civilisations prédynastiques. L'Asie connaît une évolution semblable au Proche-Orient, et les statuettes féminines existent jusqu'en Chine. Nous connaissons bien moins l'art contemporain des sociétés vivant alors en Australie et en Amérique, où de grandes cités du monde précolombien vont bientôt être construites.
L'art à l'époque protohistorique
Le métal intervient aussi dans le domaine artistique pour mettre en valeur la classe dirigeante par le biais de la richesse. Les tombes royales d'Our (vers 3000 avant J.-C.) contenaient vaisselles, armes et statuettes en or, en argent et en bronze. Le groupe des tumulus princiers de Maïkop dans le nord du Caucase et les sépultures de Varna en Bulgarie présentent, en des temps assez proches, des vaisselles, des ornements et des parures en or, en argent et en cuivre. En Mésopotamie et en Égypte, l'écriture apparaît alors et de grandes civilisations historiques se développent. À leur pourtour, de nombreux peuples protohistoriques acquièrent leur personnalité pendant les âges du bronze et du fer (→ protohistoire). La Méditerranée a connu des arts protohistoriques de grande qualité : idoles cycladiques en marbre jusqu'aux peintures minoennes de Crète ou de Thêra. C'est encore dans le cadre des palais royaux que l'écriture est apparue (linéaires A et B). En Italie, plusieurs peuples indigènes et bientôt les Étrusques décorent leurs temples de grandes terres cuites historiées et font l'offrande de statuettes en bronze, comme le feront encore les Ibères quelques siècles plus tard. La sculpture sur pierre de Méditerranée occidentale reflète souvent une inspiration orientale transmise par les Phéniciens fixés à Carthage et dans bien d'autres colonies. Quelques enclaves d'art rupestre, comme celle du mont Bégo dans les Alpes-Maritimes, révèlent la tradition de vieilles populations locales.
Au nord, le monde celtique n'a probablement pas encore l'unité décrite par les auteurs antiques au deuxième âge du fer. Pourtant, des thèmes iconographiques sont communs (des oiseaux, des cygnes [ ?] et le disque solaire porté par un bateau ou véhiculé sur un chariot) depuis l'âge du bronze, de la Scandinavie aux Balkans et depuis l'Irlande jusqu'à la Hongrie. Les gravures de Suède méridionale illustrent cette mythologie, de même que certaines pièces célèbres en métal comme le char de Trundholm au Danemark. Des chars en modèle réduit de l'époque de Hallstatt, représentant des scènes de chasse, celui de Strettweg (Autriche) ou celui de Mérida (Espagne) appartiennent aussi à cette ambiance culturelle que l'on peut suivre jusqu'aux grandes sépultures princières à char de la fin du premier âge du fer, celle de Vix (Côte-d'Or) en France et celles de Hochdorf et de Klein-Aspergle en Allemagne du Sud, par exemple. Dans ce monde celtique naissant, les influences méditerranéennes sont perceptibles et expliquent en partie des sculptures sur pierre comme le guerrier de Hirschlanden (Allemagne du Sud). Pourtant, une orfèvrerie originale, un art des situles historiées en tôle de bronze, un style décoratif général dit « celtique », comme celui de Waldalgesheim, se répandent dans toute l'Europe tempérée.
Dans l'Europe de l'Est, des unités culturelles protohistoriques fortes possèdent leur propre expression artistique : les Thraces, les Daces et bientôt les Slaves. Les habitants du Caucase, et surtout ceux de Koban, nous ont laissé de nombreuses statuettes en bronze (cervidés, chiens, carnivores et animaux fantastiques). Les Scythes possèdent un art raffiné, inspiré en partie par l'art grec des colonies de la mer Noire. Les guerriers scythes sont probablement en relation avec les peuplades des steppes sibériennes de la région de Pazyryk, ou, sous des tumulus, des contenus somptueux de tombes ont été découverts avec des soieries, des feutres aux couleurs vives. En Inde, en Chine, au Viêt Nam, la formation d'empires aux arts prestigieux se situe dès le IIe millénaire avant notre ère dans un contexte historique. La découverte des arts protohistoriques d'Afrique, du monde précolombien, de Polynésie, de Micronésie, etc., révèle, d'année en année, l'univers complexe et les héritages millénaires des peuples ayant vécu avant l'écriture.
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SOUDAN DU SUD |
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Soudan du Sud
Nom officiel : République du Soudan du Sud
État d'Afrique orientale, le Soudan du Sud est bordé par l’Éthiopie à l’est, par le Kenya et l'Ouganda au sud, par la République démocratique du Congo au sud-ouest, par la République centrafricaine à l’ouest, par le Soudan au nord. C'est un État fédéral qui se compose de 10 États : Haut-Nil, Jongleï, Équateur-Oriental, Équateur central (Bahr el-Djebel), Équateur-Occidental, Bahr el-Ghazal-Occidental, Bahr el-Ghazal-Septentrional, Ouarab, État de l'Unité, États des Lacs.
Superficie : 644 329 km2
Nombre d'habitants : 11 296 000 (estimation pour 2013)
Capitale : Djouba
Langue : anglais
Monnaie : livre sud-soudanaise
Chef de l'État : Salva Kiir Mayardit
Chef du gouvernement : Salva Kiir Mayardit
Nature de l'État : république à régime semi-présidentiel
Constitution :
Entrée en vigueur : juillet 2011
Pour en savoir plus : institutions du Soudan du Sud
GÉOGRAPHIE
État né en 2011 de la partition du Soudan, le Soudan du Sud représente environ le tiers de la superficie de l'ancien Soudan unifié. Le nouveau pays est l'un des plus pauvres de la planète : la grande majorité des habitants vivent avec moins d'un dollar par jour, un enfant sur dix meurt avant cinq ans, le taux de mortalité infantile est le plus élevé du monde, une grande partie de la population est illettrée. État tampon enclavé entre l'Afrique du Nord et l'Afrique sub-saharienne, le Soudan du Sud, territoire grand comme la France et peuplé seulement de 10 millions d'habitants, se situe en marge des grands flux économiques mondiaux. Dépendant de ses voisins pour la plupart de ses approvisionnements, dépourvu totalement ou presque d'infrastructures et d'industries, déjà rongé par la corruption, il fait partie des pays les moins avancés de la planète et est soutenu par l'aide internationale. L'aide alimentaire est indispensable pour plusieurs millions d'habitants. L'espoir du pays réside dans l'extraction du pétrole et dans l'exploitation des riches terres agricoles.
En 2014, les violences interethniques aggravent les conséquences d'un conflit interne qui a déjà fait 800 000 déplacés, plus de 80 000 réfugiés dans les pays voisins et de très nombreuses destructions.
1. Le milieu physique
1.1. Le relief
Traversé du sud au nord par le Nil, le pays s'étend du 4e au 12e degré de latitude nord.
La partie centrale, où coule le Nil, est une cuvette d'accumulation où les surfaces planes (plaines et bas plateaux) dominent. L'altitude dépasse rarement 500 m. L'horizontalité est ici la conséquence de longues périodes d'érosion et d'accumulation. La vallée du Nil s'est individualisée à l'ère tertiaire dans une vaste aire de subsidence dans laquelle se sont accumulés des sables et des argiles. Cette zone présente une grande zone de confluences : la zone marécageuse du lac No, où convergent le Nil et deux de ses affluents (Sobat et Bahr el-Ghazal, dont le principal affluent est le Jur). Ici dominent les sols argileux noirs tropicaux.
Dans le sud et dans l'ouest, des mouvements à grand rayon de courbure ont individualisé une zone d'altitude plus élevée, constituée d'inselbergs établis sur les terrains cristallins du vieux socle précambrien, un craton archéen composé de gneiss et de granite. Dans l'ouest, les hauteurs qui séparent le bassin du Congo et celui du Nil s'élèvent jusqu'à 1 200 m d'altitude. Tout au sud, à la frontière avec l’Ouganda, la retombée du plateau des Grands Lacs atteint plus de 3 000 m d'altitude aux monts Imatong, où le mont Kinyeti constitue, avec ses 3 187 m, le point culminant du pays. Dans le sud-est, un volcanisme datant de l'ère secondaire a laissé des reliefs qui dépassent les 2 000 m d'altitude aux monts Boma, contreforts d'Éthiopie.
1.2. Un climat tropical humide à saisons alternées
Le climat du Soudan du Sud est tropical humide à saisons alternées. Les températures sont toujours élevées (de 20 à 40 °C) : le Soudan du Sud est l'un des pays les plus chauds du monde. La saison des pluies se situe en été, avec de 600 à 1 500 mm de précipitations annuelles. A Djouba, la capitale, située à 460 m d'altitude, la température moyenne annuelle est de 28 °C et les précipitations atteignent 950 mm par an.
1.3. La végétation
Dans le Bahr el-Ghazal, où s'étalent les eaux du Nil Blanc, une végétation aquatique enracinée retarde l'écoulement des eaux et forme une zone marécageuse, le Sadd, où les marais pérennes couvrent quelque 15 000 km2. Le toïch est la zone verte inondée lors des crues (de 200 000 à 300 000 km2). L'arbre qui y croît, l'ambatch, donne un bois léger qui sert à faire des pirogues, moyen de transport entre les villages situés sur les interfluves. Cette cuvette est tapissée de papyrus, de roseaux et de bambous.
Au sud et à l'ouest de cette vaste zone inondable, strate herbacée et arbres composent une mosaïque de savanes et de forêts claires décidues de bauhinias, de parkias, d'acacias, à herbe haute, donnant un paysage qui rappelle celui du scrub australien. Des forêts-galeries ourlent les affluents du Nil Blanc. Les essences de montagne couvrent les pentes des monts Imatong.
Dans le sud du pays, le Nimule National Park abritait notamment, avant la guerre civile, des éléphants et des rhinocéros.
1.4. Le réseau hydrographique
La colonne vertébrale du pays est constituée par le Nil, ensemble complexe qui conserve une faible pente (452 m à Djouba). Lorsqu'il arrive au Soudan du Sud, le plus long fleuve du monde, en provenance des lacs Albert et Victoria, présente un régime équatorial et une allure torrentielle (il est appelé Bahr el-Gebel, « rivière de la Montagne »). À partir de Mongalla, le fleuve s'étale en de multiples bras obstrués par des marais (le Sadd). Il reçoit le Bahr el-Ghazal, qui draine les savanes de l'Ouest (l'un de ses affluents principaux est le Bahr el-Arab) et lui permet d'échapper à l'emprise marécageuse. Devenu Nil Blanc, ou Bahr el-Abiad, le fleuve reçoit ensuite la Sobat, alimentée par le massif éthiopien.
2. La population et les activités
2.1. Les différents peuples
La population est composée de Nilotiques (Nuers, Dinkas, Chillouks), de Nilochamites et d'autres peuples (comme les Baris, les Madis, les Zandés) réunis sous le nom de Soudanais, aux langues différentes. Ces peuples sont animistes et leur élite a été christianisée.
2.2. La culture traditionnelle : les chants Dinkas
Peuple nilotique et ethnie numériquement la plus importante du Soudan du Sud, les Dinkas développent leurs talents poétiques dans de remarquables compositions chantées, de genres très divers, aux textes parfois fort longs. Les plus étonnants sont sans doute les chants que tout jeune Dinka digne de ce nom se doit de composer et d'adresser à son bœuf favori en compagnie duquel il se pavane. Parmi les nombreux autres genres, on note aussi, pour l'originalité de leurs paroles, les chants cathartiques (associés à des sortes de retraites masculines dans des camps éloignés du village et au cours desquelles on se gorge de lait), les chants d'initiation, les hymnes à la divinité, les chants d'insultes et de plaisanteries entre compagnons d'âge, les chants de guerre et, d'origine plus récente, mais non moins belliqueux, les chants d'écoliers.
2.3. L'agriculture
80 % de la population est rurale. Des populations nilotiques de haute taille résident dans ces marais où la densité est très faible. Chillouks et Dinkas pratiquent une agriculture à base de sorgho sur les bourrelets alluviaux exondés et abrités des crues, sur lesquels ils établissent leurs villages et pratiquent un élevage de zébus qui transhument sous la conduite de bergers entre des zones non inondées lors des crues et les terres toïch libérées par les eaux en saison sèche. Chez les Nuers, qui se tiennent à l'écart des marais, la vie pastorale est encore plus développée. D'autres groupes, de langue luo, associent cultures, élevage et pêche autour des lacs et des rivières de la cuvette. Alors que certains peuples ont été sédentarisés, des éleveurs nomadisent toujours entre les piémonts frontaliers de l'Ouganda et les bas plateaux (Turkana).
Les animaux ont un rôle social important (dots pour les mariages). On consomme la viande, le lait (beurre, yaourts). La bouse permet de crépir les murs, sert de combustible. L'urine sert au tannage et tient lieu de shampooing, etc. Ces populations pratiquent aussi la pêche (lance, harpon). L'inondation par la crue du Nil Blanc d'un modelé continentale faiblement différencié restreint considérablement le domaine de l'élevage, alors qu'en hiver de vastes espaces à vocation pastorale sont libérés par les eaux.
Hors des marécages, le Soudan du Sud est presque vide (les marchands d'esclaves venaient s'y approvisionner jusqu'au xixe s.). Au S.-O. du Sadd, la culture sur brûlis permet des plantations vivrières de céréales (éleusine, maïs, riz) et de tubercules (igname, manioc), mais la trypanosomiase limite l'élevage. Il est vrai que l'emprise des mouches glossines, vecteurs favorisés par le sous-peuplement et la vitalité du couvert arboré, est forte au sud du 8e parallèle, où, paradoxe lié à l'histoire de la traite négrière, les régions les mieux arrosées du pays sont loin d'être les plus peuplées.
Peu touchés par les fluctuations des marchés, élevage et agriculture contribuent à la stabilité économique.
2.4. L'industrie
En l'absence de minerais économiquement exploitables, le pétrole constitue la principale richesse du sous-sol et du pays. Les principaux gisements sont situés dans le nord du pays, (notamment dans les États de l’Unité et du Haut-Nil). Dépourvu d'infrastructures, le pays devrait acheminer sa production par oléoducs vers le Soudan, qui continuerait à le raffiner puis à l'exporter, principalement vers la Chine, à partir du terminal pétrolier de Port-Soudan, sur la mer Rouge, le Soudan du Sud payant une dîme. Le pétrole devrait permettre au Soudan du Sud de limiter l'inflation et de garder une monnaie stable dans un contexte économique mondial pourtant difficile.
Dans l'ouest du pays, une voie ferrée, datant de la colonisation britannique, relie Ouâou (Wau) à Aoueil et, au-delà, au Soudan. Sa construction a été facilitée par la platitude dominante du relief et par un sol sableux où les voies ont pu être posées sans ballast. Le canal de Jongleï (280 km) relie directement la région de Bor, dans le centre, à Malakâl, dans le nord. Les villes les plus importantes sont Malakâl et Djouba (Juba), création coloniale qui est devenue la capitale du pays et constitue un centre universitaire.
2.5. Les relations extérieures
Le nouvel État, pays enclavé, est dépendant de ses voisins, notamment de l'Éthiopie, qui devrait lui fournir ses ressources en électricité et assurer sa sécurité. Il devrait constituer le principal débouché des exportations de l'Ouganda.
La partition du Soudan, première division à remettre en cause les frontières issues de la colonisation de l'Afrique, entraîne la question de la délimitation des frontières entre les deux pays, notamment dans la région d'Abyei, ville située au Soudan.
HISTOIRE
La naissance, le 9 juillet 2011, du nouvel État du Soudan du Sud est le fruit de plusieurs décennies de guerre civile (1956-1972 et 1983-2005) entre le nord et le sud du Soudan qui, depuis l’annexion par l’Égypte (1821) puis le condominium anglo-égyptien (1899-1924) et la domination britannique (jusqu’en 1956, date de l’indépendance), n’a jamais véritablement connu de développement intégré. Au déséquilibre économique, s’est ajouté le fossé culturel : alors que le Nord a été pour une grande part arabisé et islamisé, les populations nilotiques du Sud ont toujours conservé leurs spécificités et leur grande diversité ethnique, certaines d’entre elles ayant été partiellement christianisées à l’époque de la colonisation britannique.
1. De l’annexion par l’Égypte à la domination britannique
1.1. La conquête égyptienne
En 1821, le pacha d’Égypte Méhémet Ali lance la conquête du Soudan. Les provinces méridionales – Équateur, Bahr el-Ghazal et Haut-Nil – marginalisées, sont particulièrement visées par l’esclavage qui se perpétue malgré son abolition officielle en 1860 sous la pression des Européens. De surcroît, elles ne reçoivent l’attention que du khédive Ismaïl Pacha (1867-1879) qui confie à l’explorateur britannique Samuel White Baker, avec les fonctions de gouverneur de la province d’Équateur, la charge d’annexer les territoires situés dans le bassin du Nil blanc et d’y supprimer la traite. Malgré l’action du gouverneur général Charles Gordon (1874-1880), celle-ci ne prendra cependant fin que très progressivement.
1.2. Le condominium anglo-égyptien et ses conséquences
Sous le condominium anglo-égyptien (1899-1924), les provinces du Sud restent à l’écart du développement jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, alors que s’y implantent les premières missions catholiques, presbytériennes et anglicanes donnant naissance aux élites, formées en partie également dans les pays voisins d’Afrique de l’Est. À partir des années 1920, les Britanniques décident de réserver au Sud un traitement à part qui conduit à sa séparation de fait : en 1922, le Close District Order interdit la libre circulation entre le Nord et le Sud, les administrateurs et les marchands arabes sont remplacés et expulsés, tandis que la pénétration de l’islam est découragée.
Cette politique de développement séparé conduit même à envisager un rattachement du Soudan du Sud à l’Afrique-Orientale britannique (Ouganda, Kenya et Tanganyika). Toutefois, en 1946, la Conférence administrative sur le Soudan revient sur ces mesures et prône l’unité : après avoir subi les conséquences économiques de l’isolement, le Soudan du Sud est désormais menacé par la domination des élites du Nord, une situation qui conduit à une rébellion en août 1955, à l’initiative de plusieurs unités de l’armée placées de force sous l’autorité d’un commandement nordiste. C’est l’étincelle qui débouche sur la première guerre civile.
Pour en savoir plus, voir l'article colonisation.
2. De l’indépendance du Soudan à la partition
2.1. Première guerre civile (1956-1972)
Alors que le Soudan accède à l’indépendance le 1er janvier 1956, les leaders sudistes tentent dans un premier temps d’obtenir des concessions dans la nouvelle organisation du pouvoir, écartant le recours à la violence. Mais, après le coup d’État d’Ibrahim Abbud (1958) puis sa décision d’encourager l’arabisation et l’islamisation de l’ensemble du pays, la résistance des populations du Sud se radicalise. À partir de 1963, l’insurrection prend la forme d’une guérilla menée par l’Anyanya (du nom d’un venin de serpent), bras armé du premier mouvement de libération sud-soudanais et dirigé par Joseph Lagu. Née dans l’Équateur, la rébellion s’étend bientôt aux deux autres provinces méridionales, reçoit l’appui direct ou indirect d’Israël, des États-Unis, de l’Ouganda et de l’Éthiopie mais s’épuise toutefois en querelles interethniques tandis que le Nord est également en proie à des divisions qui conduisent au coup d’État du général Djafar al-Nimayri en 1969.
La poursuite de la guerre conduit, en 1971, au regroupement des différentes factions de la guérilla sous la direction centralisée du Mouvement de libération du Soudan du Sud (SSLM), avant l’accord d’Addis Abeba du 27 mars 1972, concédant une assez large autonomie aux provinces méridionales.
2.2. Seconde guerre civile (1983-2005)
La région connaît dès lors une période de paix relative jusqu’à la reprise du conflit en mai 1983, dans le sillage de la découverte de gisements de pétrole et à la suite de l’abrogation unilatérale par Khartoum des accords d’Addis Abeba suivie de l’imposition de la charia ; les forces sudistes sont désormais placées sous l’autorité du Mouvement populaire de libération du Soudan et de son armée (SPLM/SPLA) sous le commandement du colonel John Garang, un officier dinka de confession chrétienne. Cette seconde guerre civile, extrêmement meurtrière (plus de 2 millions de morts) ne prend définitivement fin qu’en 2005 avec la signature d'un Accord de paix global (CPA) en janvier au Kenya, fruit de trois ans de négociations sous impulsion étrangère.
3. Le Soudan du Sud indépendant
3.1. Accession à l'indépendance
Après une période intérimaire de 6 ans, en janvier 2011, les Soudanais du Sud se prononcent massivement en faveur de leur indépendance. Celle-ci est proclamée le 9 juillet, en présence de nombreux chefs d’États africains dont le président soudanais Umar al-Bachir, et aussitôt reconnue par la communauté internationale. Une Constitution laïque transitoire, issue d’une révision du texte intérimaire adopté à la suite de l’accord de paix globale de 2005, entre en vigueur avant la future adoption d’une Constitution permanente ; le mandat de tous les représentants politiques élus en 2010 (dans leur très grande majorité du SPLM) est renouvelé pour une période de 4 ans. Mais, alors que de graves séditions sont apparues depuis 2010 au sein même de l’armée sudiste (SPLA), dans le Jonglei notamment, des voix s’élèvent pour que soit rapidement instauré un système pleinement fédéral ou pour contester l’hégémonie des Dinkas au sein de l’État. Cette ethnie représenterait environ 40 % de la population qui compte plus d’une soixantaine de communautés dont les principales sont en outre les Nuers, les Shilluks (ou Chillouks), les Zandés (Azandés), les Baris.
3.2. La main de Khartoum derrière les luttes intertribales récurrentes
Pendant la guerre civile, le gouvernement de Khartoum a joué sur ces divisions recrutant des milices parmi certaines tribus ou clans hostiles à la suprématie dinka, les communautés étant elles-mêmes divisées en de nombreux sous-groupes parfois rivaux. Les conflits interethniques, par exemple entre les Dinkas et les Nuers entre 1991 et 1999, ont ainsi conduit à de fortes tensions entre groupes rebelles. De ces deux ethnies, mais plus particulièrement de la première, sont issus de nombreux dirigeants actuels au premier rang desquels le président (dinka) Salva Kiir Mayardit, chef du SPLM, et le vice-président (nuer) Riek Machar. Le respect du pluralisme culturel et ethnique et la reconnaissance nationale de toutes les langues est ainsi un sujet très sensible, expressément prévu dans le texte constitutionnel.
3.3. Les principaux contentieux
Le statut de la région d'Abyei, à cheval entre le Nord et le Sud
Si la séparation entre le Nord et le Sud est désormais effective, la définition précise de la frontière et les relations entre communautés restent des sources de conflit, en particulier dans la zone d’Abyei, riche en pétrole et dont le statut est toujours flou en dépit de la redéfinition des limites de ce secteur par la Cour permanente d'arbitrage de La Haye en 2009. Refusée par le Nord, son appartenance au Sud est inscrite dans la Constitution transitoire. Mais la consultation par référendum de ses habitants – dont la plupart ont apporté leur soutien aux forces sudistes pendant la guerre civile – a été reportée sine die, faute d’un accord sur le recensement des électeurs et sur la participation des éleveurs nomades arabes Misseriya originaires du Nord (soutenant Khartoum) à cette consultation. En janvier 2011, des affrontements entre ces derniers et des cultivateurs/pasteurs de la tribu native des Ngok Dinkas resurgissent, faisant des dizaines de morts. Après de nouvelles attaques de milices soutenues par Khartoum puis l’intervention des Forces armées soudanaises (nordistes), un accord sur la démilitarisation de la région et le déploiement d’une force de maintien de la paix éthiopienne est finalement accepté par les deux parties en juin. Mais les tensions restent très vives.
Le Kordofan-Sud
S’y ajoute la reprise des violences au Kordofan-Sud voisin, principal État pétrolifère du Nord. Tenu par le NCP au pouvoir à Khartoum mais après avoir échappé de peu à une victoire de la branche nordiste du SPLM lors de l’élection du gouverneur en mai, cet État abrite notamment les Nubas qui se sont battus du côté des Sudistes et se sentent désormais abandonnés par leurs anciens alliés et menacés.
Le partage des richesses pétrolières
Outre les litiges concernant l’accès à la terre, aux pâturages et à l'eau ou la complexité des équilibres ethniques qu’ils révèlent, ces conflits renvoient également au principal contentieux entre le Nord et le Sud : le nouveau partage à venir des ressources issues de l’exploitation du pétrole, dont la plus grande partie des gisements est dans le Sud, mais dont l’acheminement et l’exportation dépendent pour l’heure des infrastructures (pipelines, raffineries, port) contrôlées par le Nord.
La question de la citoyenneté
Parmi les autres pommes de discorde figure aussi la question de la nationalité et de la citoyenneté concernant en particulier le futur statut des nombreux Soudanais du Sud qui avaient trouvé refuge dans le Nord et à Khartoum pendant la guerre civile.
Moins d'une semaine après son indépendance, le Soudan du Sud devient le 193e État membre des Nations unies. Appelé à y jouer un rôle qualifié de « vital » par son secrétaire général, l'ONU y a créé une nouvelle opération de maintien de la paix forte de 7 000 militaires, 900 policiers et 2 000 à 3 000 civils.
4. Vers une pacification de la région ?
Peu après l’accession à l’indépendance, le litige pétrolier entre les deux Soudans et les affrontements intercommunautaires dans les régions frontalières (Kordofan-Sud et Nil Bleu notamment) ressurgissent. Pour le Soudan du Sud, touché de plein fouet en 2012 par une brutale récession et une spirale inflationniste, la reprise de l’exportation de pétrole, qui représente plus de 70 % de son PIB mais qui a été interrompue par Djouba en janvier faute d’un accord sur les tarifs d’acheminement et de raffinage, est vitale.
Alors que les deux pays semblent au bord d’un nouveau conflit armé, sous la pression de l’Union africaine et des Nations unies, les présidents al-Bachir et Salva Kiir s’engagent à régler leurs différends économique et territorial à l’issue de deux sommets qui se tiennent à Addis Abeba en septembre 2012 et en janvier 2013. L’obtention de nouvelles conditions financières ouvre ainsi la voie à la reprise de la production du précieux hydrocarbure.
La délimitation de la frontière est un autre contentieux brûlant qui devrait être réglé après une démarcation confiée à une commission mixte. Le statut de la région d’Abyei, où le mandat de la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abyei (FISNUA) est renouvelé en novembre 2012, reste cependant en suspens.
5. Le Soudan du Sud dans la guerre civile
En janvier 2013, un processus de réconciliation en vue de surmonter les tensions politiques et interethniques est lancé. Cependant, les rivalités à la tête du jeune État éclatent en plein jour avec le limogeage du gouvernement et du vice-président Riek Machar en juillet. Alors que ce dernier dénonce un abus de pouvoir avant de prendre la tête d’une rébellion, le président Salva Kiir accuse son rival de tentative de coup d’État.
Couvant depuis plusieurs mois, ces dissensions – dont les origines remontent au moins aux conflits entre leaders du mouvement de libération après la mort de J. Garang en 2005 –, s'aggravent avec l’opposition d’une frange du SPLM à l’exercice de plus en plus personnel du pouvoir par S. Kiir dans la perspective de l’élection présidentielle de 2015. Ce qui semblait n’être qu’un règlement de compte entre chefs politiques acquiert une tournure inquiétante à partir de décembre avec de violents heurts entre factions militaires qui prennent d’emblée une dimension ethnique en opposant Dinkas et Nuers.
Malgré l’ouverture de pourparlers de paix avec la médiation de l’IGAD à Addis-Abeba et un éphémère cessez-le-feu en janvier 2014, les combats se poursuivent, les troupes fidèles à R. Machar prenant l’avantage dans plusieurs zones du Centre et du Nord, tandis que celles du camp présidentiel – appuyées par l’Ouganda, ce qui leur permet notamment de reprendre la ville de Bor et de tenir la capitale – essuient d’importants revers. Le contrôle des champs pétrolifères en devient l’un des enjeux.
Cette nouvelle guerre civile entraîne des déplacements massifs de populations qui se réfugient auprès des forces des Nations unies (MINUSS, présente depuis juillet 2011) ou affluent dans les pays voisins, en Ouganda, en Éthiopie, au Kenya et même au Soudan. Elle s’accompagne d’affrontements interethniques meurtriers et de massacres commis dans les deux camps comme ceux perpétrés à Bor (Jongleï) le 17 avril visant des civils nuers ou, la même semaine, à Bentiu (État d’Unité) dirigés dans ce cas contre des Dinkas, des Soudanais du Darfour suspectés de soutenir les troupes gouvernementales mais aussi des Nuers accusés de ne pas adhérer à la rébellion.
Après 20 mois de guerre, avec la médiation du Kenya, de l’Ouganda et de l’Éthiopie et sous la menace de sanctions de la part des Nations unies, les deux parties finissent cependant par signer un accord de paix en août 2015. Ce texte prévoit notamment une démilitarisation de la capitale, un partage du pouvoir, la création d’une commission « vérité, réconciliation et réparations » et la formation d’un gouvernement d’union nationale de transition, avant l’organisation de nouvelles élections générales.
DOCUMENT larousse.fr LIEN
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ÉTHIOPIE |
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Éthiopie
en amharique Ityopya
Nom officiel : République démocratique fédérale d'Éthiopie
État d'Afrique orientale, l'Éthiopie est limitée au sud par le Kenya, au sud-ouest par le Soudan du Sud, à l'ouest par le Soudan, au nord par l'Érythrée, à l'est par la Somalie et Djibouti.
Superficie : 1 100 000 km2
Nombre d'habitants : 95 045 679 (estimation pour 2013)
Nom des habitants : Éthiopiens
Capitale : Addis-Abeba
Langue : amharique
Monnaie : birr éthiopien
Chef de l'État : Wirtu Mulatu Teshome
Chef du gouvernement : Hailemariam Desalegn
Nature de l'État : république
Constitution :
Adoption : décembre 1994
Entrée en vigueur : 22 août 1995
GÉOGRAPHIE
1. Géographie générale
En dehors des plateaux de l'Est (Ogaden) et du désert Danakil, plus au nord, domaines de l'élevage nomade, l'Éthiopie est un pays montagneux (ce qui lui vaut, à cette latitude, de ne pas être désertique). Pratiquement dépourvue de matières premières minières et énergétiques – exception faite d'une petite production d'or –, très faiblement dotée en industries (agroalimentaire, chimie, textile, travail du cuir, concentrées dans la province d'Addis-Abeba et le long du chemin de fer qui aboutit à Djibouti), l'Éthiopie demeure un pays profondément rural (85 % de la population) et agricole. Les cultures s'étagent en fonction de l'altitude : céréales (maïs, sorgho, blé) autour de 2 000 m, plantations à vocation commerciale (canne à sucre, coton et surtout café, réputé pour être le meilleur arabica au monde) au-dessous de 1 500 m. L'élevage est diversifié, exclusif (ovins surtout) dans les régions arides.
La population mêle principalement Abyssins et Oromos et est partagée entre chrétiens monophysites et musulmans.
Mais l'enclavement du pays, sans accès direct à la mer après la sécession de l'Érythrée, le très mauvais état des infrastructures, l'absence de propriété privée des terres et l'évolution erratique des cours des matières premières ne présagent guère une amélioration de l'agriculture à moyen terme. Seul le qat, plante euphorisante consommée dans toute la corne de l'Afrique, connaît un important essor.
L'Éthiopie reste pauvre et demeure très tributaire de l'aide internationale, notamment alimentaire. Depuis les années 1970, elle a en outre subi des sécheresses dramatiques (en 1973 et en 1984), des changements de régime radicaux et des conflits internes – nés des irrédentismes érythréen et somali – qui ont entraîné d'énormes dépenses militaires.
Le pays enregistre cependant une certaine croissance, s'efforçant notamment de développer son secteur agricole et son potentiel énergétique, notamment en construisant le barrage de la Grande Renaissance, sur le Nil Bleu.
2. Le cadre physique
2.1. Le relief
Vaste pays (1 100 000 km2) au relief élevé (Simien ou Ras Dachan : 4 620 m), l’Éthiopie sépare la vallée du Nil soudanais du fossé de la mer Rouge et isole la Somalie de l’Afrique arabe. Des dénivellations de plus de 2 000 m séparent le sommet des plateaux (ambas) des vallées profondes qui incisent le massif éthiopien. La dépression Danakil, au nord-est, étend ses lacs saumâtres de – 40 à – 166 m.
2.2. L’histoire géologique
L’explication de ces contrastes orographiques tient en grande partie dans l’histoire géologique. Les roches précambriennes et secondaires du substrat n’affleurent qu’à la périphérie du plateau (Harar, Sidamo) ; ailleurs, elles sont recouvertes d’épais dépôts de basaltes parsemés de cônes volcaniques anciens (Simien, Dendi, Kollo) ou récents (Erta Ale, Dubbi). Ces épanchements seraient liés à la formation des grandes fosses tectoniques (oligo-miocènes) après le soulèvement de l’ensemble du socle ancien arabo-éthiopien (éocène supérieur). L’une de celles-ci traverse d’ailleurs le pays dans sa partie méridionale, du lac Chew Bahir au golfe de Tadjoura (fossé de l’Aouach [ou Awash]) ; à cet endroit, elle se divise en deux branches, dont l’une correspond à la mer Rouge, l’autre au golfe d’Aden.
2.3. Les pluies
Les pluies sont abondantes sur le massif central et dans le sud-ouest (Iloubabor, Kaffa), où leur total annuel peut dépasser 2 m. Au contraire, elles sont irrégulières et peu abondantes dans l’Ogaden (extrême est) et la partie érythréenne (Massaoua : 188 mm). L’importance des pluies et le relief élevé ont fait du massif central éthiopien un véritable château d’eau.
2.4. Le réseau hydrographique
Le réseau hydrographique comprend :
– les bassins du Nil Bleu, ou Abbaï, du Sobat et du Takazzé, affluent de l’Atbara à l’ouest ;
– le bassin de l’Aouach au nord-est (ce dernier coule au fond d’une Rift Valley et se jette dans le lac Aba, ou Abbé, à la limite occidentale de Djibouri) ;
– enfin, le bassin de l’Omo, tributaire du lac Rodolphe, et les cours supérieurs du Djouba et de l’Ouebi Chébéli au sud.
2. Les différentes régions
Les frontières actuelles sont essentiellement le résultat de l'expansion de l'ethnie amhara sous l'impulsion du négus Ménélik II. Les conquêtes ont permis d'intégrer toutes les populations voisines des Amharas et habitant comme eux les hautes terres du centre du pays ainsi que les ethnies résidant dans les régions de bas plateaux et de plaines qui entourent les hautes terres centrales. Cela explique la complexité actuelle de l'Éthiopie (une quarantaine de groupes, quelque 70 langues). Les conditions naturelles (relief, climat) et la répartition des aires culturelles permettent de distinguer trois grands ensembles géographiques.
2.1. Le foyer amhara
Le foyer amhara est le cœur historique du pays, correspondant à peu près à l'ancienne Abyssinie, région de hautes terres située au N. de l'Abbaï (Nil Bleu), dépassant 4 500 m au Ras Dachan dans le massif du Semien. Dans ce bastion, les Amharas, population chrétienne monophysite parlant une langue sémitique (l'amharique, qui est d'ailleurs la langue nationale de l'Éthiopie), ont développé une civilisation rurale originale, qui a su au cours des siècles préserver son identité et résister à toutes les tentatives de conquêtes avant de s'imposer à son tour dans les régions voisines.
Le paysage dominant est celui de vastes plateaux basaltiques (les ambas) entre 2 000 et 3 000 m d'altitude, profondément entaillés par des rivières dont beaucoup s'écoulent en direction du Nil : Abbaï, issu du lac Tana, et qui correspond au cours supérieur du Nil Bleu, et Takazzé. Les régions le plus densément peuplées se situent vers 2 000 m d'altitude (c'est l'étage dit woïna dega) ; on y pratique à l'araire une agriculture céréalière pluviale (la saison des pluies, de juin à septembre, est la grande saison agricole). Le tef est la principale céréale : ses grains minuscules permettent d'obtenir une farine servant à faire l'enjera, galette consommée avec une sauce épicée contenant quelques morceaux de viande.
Le blé et l'orge sont cultivés à des altitudes plus élevées ; l'orge sert à fabriquer le talla (bière), mais c'est le tedj (hydromel) qui est la boisson nationale. Au-dessus de 2 500 m, l'élevage est plus important que les cultures (c'est l'étage dit dega) ; le lieu habité le plus haut est à 4 000 m. En dessous de 1 800 m (étage dit kolla), on cultive le sorgho et le maïs, mais ces zones plus chaudes et malsaines, correspondant le plus souvent aux vallées, sont évitées par la population, qui se contente souvent d'y mener paître des animaux. Les paysans amharas se sont aussi établis en grand nombre plus au sud, dans le Choa, dont ils ont fait la reconquête et où Ménélik II a installé sa capitale, Addis-Abeba, au xixe s. Cette province a pris au xxe s. une importance considérable, concentrant près de la moitié des citadins d'Éthiopie et près de 80 % des travailleurs de l'industrie. Cette dernière est essentiellement concentrée, en dehors de la capitale, le long de la voie ferrée qui part vers Djibouti en direction de la Rift Valley éthiopienne, qui constitue d'ailleurs aussi une zone de colonisation agricole.
Cette dépression tectonique d'orientation S.-O.-N.-E. coupe en effet les hautes terres éthiopiennes en deux parties. Prolongeant la Rift Valley d'Afrique orientale, elle rejoint le golfe de Tadjoura (République de Djibouti). Son altitude varie de 375 m (lac Turkana) à 1 846 m (lac Zwai) pour redescendre en dessous du niveau de la mer dans l'Afar. Plus chaude et moins arrosée que les hautes terres, elle fut délaissée jusqu'à ce que de grands domaines y soient établis par l'aristocratie amharique (ou des capitaux étrangers) afin d'y pratiquer l'agriculture irriguée de la canne à sucre, du coton, du riz, du maïs et même du café, arrosé en saison sèche.
Dans plusieurs secteurs, les Amharas sont mêlés à d'autres populations, mais même s'ils ne sont pas les plus nombreux, ils constituent partout les classes dominantes.
2.2. Les régions périphériques des hautes terres
Les régions périphériques des hautes terres sont habitées par d'autres populations. Certaines ont adopté le même type d'agriculture que les Amharas. Ainsi, vers le nord, les Tigréens constituent une population chrétienne de langue sémitique débordant en Érythrée très proche des Amharas. Dans le Choa, les Oromos sont souvent musulmans, parfois christianisés et parlent une langue couchitique. Cette population est d'ailleurs la plus importante d'Éthiopie par le nombre (un tiers de la population du pays). Les agriculteurs oromos accordent une place plus importante au bétail que les Amharas. Dans l'ouest des hautes terres (Wollega), un véritable front pionnier se développe. Amharas et surtout Oromos s'installent aux dépens de la forêt (la région est mieux arrosée que l'Abyssinie) pour pratiquer une agriculture où le sorgho est plus important qu'en pays amhara, alors qu'apparaissent les tubercules (inconnus en Abyssinie). Au N. du lac Tana, les Falachas ou Kaylas sont des Juifs pratiquant l'agriculture mais surtout l'artisanat, activité considérée comme déshonorante par les Amharas.
Sur les rives du lac Tana, la ville neuve de Bahar Dar reçoit l'électricité produite sur les chutes de l'Abbaï. C'est aussi sur cette rivière qu'est entrée en service en 1973 la centrale hydroélectrique de Findjar, la plus puissante du pays.
Certaines populations pratiquent une agriculture très différente de celle des Amharas. Au Sud d'Addis-Abeba, les Gouragués, de langue sémitique, cultivent l'ensette, faux bananier dont les nervures des feuilles donnent une farine constituant la base alimentaire. Les Sidamos, population couchitique animiste, qui occupent les hautes terres situées au S. de la Rift Valley (4 340 m au mont Galamo), se nourrissent aussi à partir d'ensettes, plantés autour des maisons en bambou de forme elliptique et séparés des pâturages par des haies d'euphorbes. Les Sidamos sont d'importants éleveurs de bovins, et le lait et le beurre sont des éléments importants de leur alimentation (la viande est plus secondaire).
C'est dans les zones d'ensette que l'on observe les densités les plus fortes (plus de 200 habitants par km2).
2.3. Les régions de bas plateaux et de plaines entourant les hautes terres centrales
Les régions de bas plateaux et de plaines entourant les hautes terres centrales présentent un vigoureux contraste climatique. À l'O. et au S., les pluies sont abondantes (2 m) et assez bien réparties toute l'année. Les provinces de Kaffa et de Sidamo produisent du café arabica en grandes plantations familiales. Le café est le principal produit d'exportation du pays, et cette région est probablement le foyer d'origine du café qui y pousse aussi spontanément. Le long de la frontière du Soudan du Sud, des populations nilotiques cultivent le mil, le sorgho, le maïs, la patate douce. Dans la province d'Iloubabor, on a développé des plantations de thé. Les régions périphériques de l'Est sont au contraire semi-arides ou arides. Seuls quelques îlots montagneux sont occupés par des agriculteurs sédentaires, ainsi les montagnes de la région de Harar, où, à côté du sorgho et du maïs vivriers, on observe des plantations de café établies sur des terrasses irriguées. Le café recule cependant devant le qat, stupéfiant exporté clandestinement vers l'Arabie par Djibouti. Ailleurs, c'est le domaine des semi-nomades et nomades. Dans le sud du Sidamo, des pasteurs oromos, les Boranas, élèvent bovins et chevaux sans déplacer leur habitat. L'Est est le domaine des nomades chameliers qui élèvent ovins et caprins en évoluant vers le semi-nomadisme; ils parlent des langues couchitiques : Somalis de l'Ogaden (Darods, Issas), Afars (ou Danakils) des régions basses et volcaniques entourant la République de Djibouti. Les Afars exploitent aussi le sel des chotts de leur région et en effectuent le commerce en direction des hautes terres centrales. La voie ferrée reliant Addis-Abeba à Djibouti traverse ces déserts. Elle a permis le développement de Dirédaoua, troisième centre industriel de l'Éthiopie après la capitale et Asmara. La circulation se limite désormais au tronçon Djibouti-Dirédaoua.
Parmi les peuples qui vivent en partie ou en totalité en Éthiopie figurent les Amharas, les Gallas, les Gouragués, les Afars, les Issas, les Kaffas, les Tigréens, les Somalis, les Murles.
HISTOIRE
Les définitions de l'Éthiopie sont restées longtemps légendaires : pays de Pount des Égyptiens, encore très imprécise pour Hérodote, l'Éthiopie n'apparaît avec certitude qu'avec Strabon (mais faisant un tout avec les Somalies) et Ptolémée, qui mentionne le royaume d'Aksoum. En fait, l'Éthiopie semble avoir été pour les Anciens synonyme d'« Afrique noire ». Au temps des Ptolémées se développent des relations maritimes et commerciales avec la côte érythréenne et la royauté d'Aksoum, mais les idées sur l'intérieur demeurent floues.
1. L'Éthiopie du royaume d'Aksoum au milieu du xixe siècle
1.1. Les royaumes sabéens
Aux environs de 1000 avant J.-C. se constituent sur la côte méridionale de l'Arabie des royaumes connus sous le nom de « sabéens », en possession de techniques agraires évoluées, notamment de l'irrigation. C'est à eux que se rattache la tradition nationale faisant descendre les empereurs d'Aksoum, par Ménélik Ier, de la reine de Saba et de Salomon.
La civilisation d'Aksoum est un mélange, semble-t-il, de la culture autochtone et de la culture sabéenne, notamment de celle apportée par la dernière vague de ces colonisateurs (temple de Yeha dans le Tigré, fondation du port d'Adulis, traces d'irrigation sur les hauts plateaux).
1.2. Le royaume d'Aksoum
Le royaume d'Aksoum, fondé par les Sabéens, apparaît aux alentours de 500 avant J.-C. Sa puissance s'étend à toute l'Éthiopie du Nord et la plus grande partie du Centre, jusqu'au Nil Bleu à l'ouest et aux dépressions de l'Est. Des inscriptions gravées sur la pierre des fameuses stèles d'Aksoum (en sabéen, en guèze ou en grec) témoignent de ces expéditions menées jusqu'en Arabie et de la conquête du royaume de Méroé.
Le plus illustre des empereurs est Ezana, monté sur le trône vers 320 après J.-C. et converti au christianisme par saint Frumence, envoyé du patriarche d'Alexandrie portant le titre d'abouna. Rattaché ainsi à l'Église égyptienne, le pays la suit dans l'hérésie monophysite.
Le règne de Caleb, qui châtie le prince juif de Sanaa coupable d'avoir mis à mort un de ses sujets chrétiens (523), marque l'apogée du royaume d'Aksoum. La civilisation, à la fois agricole et urbaine, a été vivifiée par un important commerce (ivoire, or, esclaves, contre armes, métaux, tissus de coton), qui, à partir de 250, utilise aussi des pièces de monnaie.
La naissance et la rapide expansion de l'islam au viie siècle aboutissent à couper le royaume d'Aksoum de ses sources (Arabie et Égypte). Mais, au début du xe siècle, les Éthiopiens reprennent pied sur le littoral érythréen, reconquièrent les îles Dahlak, ce qui n'empêche pas le royaume d'Aksoum, affecté aussi par les combats en mer Rouge et contre les Bedjas du Soudan, de s'effondrer, victime des révoltes des populations autochtones non christianisées, personnifiées par la légendaire princesse Judith.
1.3. Période de prospérité (xiiie-xvie siècle)
Une dynastie usurpatrice connue sous le nom de Zagoué, appartenant à la vieille race autochtone des Agaous, prend alors le pouvoir dans la région de Lasta, avec Roha (aujourd'hui Lalibela, du nom du plus célèbre de ses rois [1190-1225]) comme capitale. Vers 1270, le dernier roi Zagoué doit céder la place à Yekouno Amlak (1270-1285), qui prétend descendre de la dynastie légitime salomonienne. Il établit sa capitale à Tegoulet dans le nord du Choa. C'est le début d'un brillant renouveau.
Pendant plus de deux siècles et demi, les Éthiopiens développent leur prospérité et enrichissent leur culture. La civilisation, centrée sur la religion, prend sa forme originale. Toutefois, Yekouno Amlak et ses successeurs seront engagés dans une guerre perpétuelle contre les populations islamisées de l'Est et du Sud. La langue parlée n'est plus le guèze mais l'amharique. Les « rois des rois » sont également aux prises avec les populations païennes du Nord-Ouest, qu'ils tentent d'assujettir et de christianiser. Au cœur même du royaume, leur autorité se heurte à la tradition d'indépendance des chefs locaux héréditaires et s'épuise en luttes contre les hérésies et les dissensions du clergé.
1.4. Guerres et troubles
Sous le règne de Lebna Denguel (1508-1540), le royaume d'Éthiopie est presque entièrement conquis par les troupes musulmanes de l'imam Ahmad ibn Ibrahim al-Ghazi, plus connu sous le nom d'Ahmad Gran, originaire du Harar. Les églises et les monastères sont détruits, les cultures ravagées, le bétail tué et nombre d'habitants vendus comme esclaves. Le négus mort, les Portugais qu'il a sollicités en 1535 viennent à l'aide de la monarchie.
Après des succès initiaux, les Portugais sont décimés par les musulmans, aidés par les Turcs, et leur commandant, dom Cristóvão da Gama, est fait prisonnier et massacré (1542). Mais les survivants se regroupent autour de l'empereur Claude (Galaoudéos) [1540-1559] et Ahmad Gran est tué à son tour au cours de la bataille d'Ouaïna Daga, près du lac Tana, en 1543. L'échec de la tentative de conquête d'Ahmad Gran laisse chrétiens et musulmans également épuisés par une lutte longue et acharnée.
Le pays est par ailleurs soumis d'une part aux invasions des Gallas païens, venus du sud-est, qui repoussent les musulmans vers le nord-est, s'infiltrent vers le nord le long du contrefort oriental du massif éthiopien et parviennent à l'ouest jusqu'au Nil Bleu, d'autre part à la lente poussée des nomades afars et somalis vers l'ouest.
L'intervention portugaise amène en Éthiopie – en laquelle l'Europe a cru reconnaître l'empire fabuleux du Prêtre-Jean – des missionnaires catholiques qui tentent de la ramener dans le giron de l'Église de Rome, ajoutant encore aux difficultés du pouvoir central. Les rois Minas (1559-1663), Sartsa Denguel (1563-1597), tout en luttant contre les Gallas, maintiennent tant bien que mal un équilibre religieux.
Après une période de troubles, le roi Sousneyos (1607-1632) suscite l'assimilation d'une partie des Gallas, mais sa conversion au catholicisme, sous l'influence du jésuite Pedro Páez en 1613, provoque la révolte du pays, et il préfère abdiquer au profit de son fils Fasilidas (1632-1667). Celui-ci expulse les jésuites et interdit le catholicisme. Il fixe sa capitale en 1636 à Gondar et ordonne la construction d'un château autour duquel viennent s'agglomérer peut-être 100 000 habitants.
Ses successeurs continuent à embellir la ville, symbole de leur autorité centralisatrice. Ils tentent de défendre leurs frontières, et même de les étendre, tandis que les chefs héréditaires des principales provinces (Tigré, Semien, Begameder, Lasta, Choa, Godjam) rivalisent d'influence à la Cour.
1.5. La « période des princes »
Au milieu du xviiie siècle s'ouvre la « période des princes ». Sous le règne de Iyassou II (1730-1755), qui a épousé une femme galla, une faction galla (devenue entre-temps adepte de l'islam) vient s'ajouter à toutes celles qui intriguent à la Cour. Au début de la seconde moitié du xviiie siècle, le ras Mikael, du Tigré, confisque en quelque sorte la monarchie à son profit. On le surnommera le « faiseur de rois ». L'Empire verra se développer dans le gouvernement et dans les mœurs un esprit féodal dont les vestiges se perpétueront jusqu'au début du xxe siècle.
Un homme énergique, Kassa, d'une famille de chefs du Kouara, dont le père est tombé au combat contre les musulmans venus du Soudan, réussit à s'imposer au milieu de l'anarchie qui règne depuis le début du siècle. Il met fin à la suprématie des ras (titre de la plus haute dignité, après le négus) gallas en vainquant le ras Ali en juin 1853, puis les chefs du Godjam, du Semien, du Begameder et du Tigré, et occupe alors le Choa, dont il emmène en otage l'héritier Ménélik. En 1855, il se fait oindre et proclamer « roi des rois » sous le nom de Théodoros II.
2. L'Éthiopie face aux puissances coloniales
2.1. Théodoros II (1855-1868)
Arrivé au pouvoir, Théodoros II entreprend un certain nombre de réformes, organisant l'administration des provinces, confiées à des fonctionnaires nommés par lui, créant une armée de métier payée sur le Trésor public. Tenant Gondar et ses richesses pour responsables de la décadence de l'Empire, il incendie la cité et transfère sa résidence dans le Centre, sur l'amba de Magdala. Hostile aux musulmans, Théodoros II mate une insurrection des Gallas et, le premier, cherche l'appui des Européens, particulièrement des Anglais, pour moderniser son pays.
Mais c'est aussi l'époque où les puissances occidentales rivalisent pour tenter de s'installer sur la côte est de l'Afrique, au débouché de la mer Rouge, dont l'importance est liée à l'ouverture prochaine du canal de Suez. La rupture avec les Anglais intervient pour de multiples causes (activités des missionnaires protestants, incursions égyptiennes, malentendus diplomatiques). La Grande-Bretagne, pour délivrer ses ressortissants et diplomates emprisonnés, organise une expédition militaire contre la capitale du négus, Magdala. Les troupes de sir Robert Napier, laissées libres d'agir par des populations qui redoutent le fanatisme religieux de l'empereur, écrasent les troupes éthiopiennes, provoquant le suicide de Théodoros (1868) et le retour de l'anarchie pour quatre ans, jusqu'à ce que le chef du Tigré devienne empereur sous le nom de Jean IV (Johannès IV) [1872-1889] et continue l'œuvre de réunification nationale.
2.2. Johannès IV (1872-1889)
En face des ambitions européennes développées depuis l'ouverture du canal de Suez (1869) – la France s'installe à Obock (1881) et Djibouti (1885) – et pour faire face au danger italien (installation à Assab en 1882 et à Massaoua en 1885), Johannès IV recherche l'appui de la Grande-Bretagne (établie à Aden dès 1839) et traite avec Ménélik, roi du Choa, qu'il reconnaît comme héritier présomptif (1878).
Cependant les Égyptiens, vassaux des Turcs, ne sont pas moins avides que les Européens et en 1875 occupent Harar, qui ne sera libérée par Ménélik qu'en 1887, malgré la défaite que leur ont infligée les forces impériales à Goura en 1877.
Enfin, l'Éthiopie est aussi attaquée à l'ouest par les troupes mahdistes, d'abord victorieuses au Godjam, puis battues à Metemma par Johannès IV, qui est mortellement blessé (1889).
2.3. Ménélik II (1889-1913)
Devenu empereur, Ménélik, tout en poursuivant une politique d'expansion territoriale, négocie avec l'Italie, par l'intermédiaire du ras Makonnen, gouverneur du Harar, le traité d'Uccialli (2 mai 1889). Celui-ci reconnaît à l'Italie la possession de l'Érythrée et la faculté de s'étendre jusqu'à Asmara et institue un véritable protectorat de fait sur l'Éthiopie, à la faveur d'un double texte, italien et amharique, dont Ménélik n'a pu lire que cette dernière rédaction.
Pour en savoir plus, voir l'article campagnes d'Éthiopie.
Ménélik s'attache à moderniser le pays (fondation d'une compagnie de chemin de fer franco-éthiopienne, appel à de nombreux techniciens, transfert de la capitale à Addis-Abeba). Son autorité suffisamment établie, il s'indigne des prétentions italiennes, dénonce le traité d'Uccialli (1893), écrase les troupes du général Baratieri à la bataille d'Adoua (1er mars 1896) et impose aux Italiens le traité d'Addis-Abeba, reconnaissant la souveraineté éthiopienne.
Mais les convoitises italiennes toujours vivaces, la course franco-anglaise à la vallée du Nil (→ affaire de Fachoda) aboutissent au partage de l'Éthiopie en trois zones d'influence économique (anglaise, française et italienne) par la convention du 13 décembre 1906, qui affirme, d'ailleurs, respecter l'intégrité du territoire.
Ménélik II, malade, se retire dès 1907, laissant s'instituer une régence en attendant que puisse régner son petit-fils Lidj Iyassou. Le pays entre de nouveau dans une ère d'intrigues et de rivalités qui ruinent partiellement l'œuvre de Ménélik. À partir de 1911, Iyassou, qui n'a que 15 ans, rejette toute tutelle, mais se montre peu capable de gouverner. Favorable aux Turcs et à l'Allemagne, il est déposé en 1916 par les grands du royaume et l'Église, avec l'appui discret des Alliés. Zaouditou, fille de Ménélik II, est proclamée impératrice (1916).
3. Le règne de Hailé Sélassié (1930-1936 et 1941-1974)
3.1. Du régent Tafari au « roi des rois » Hailé Sélassié
Apparaît alors sur la scène politique le ras Tafari, fils du ras Makonnen, nommé régent et héritier du trône. Il se consacre à la politique extérieure, adhérant à la Société des Nations (SDN) (1923) et au pacte Briand-Kellog (1928), ainsi qu'au progrès social et culturel de la nation. À la suite de l'échec d'une tentative de coup d'État, il devient négus, puis « roi des rois » en 1930 à la mort de Zaouditou, après avoir brisé la révolte de plusieurs provinces, et prend le nom de Hailé Sélassié.
Hailé Sélassié s'attache dès lors à promouvoir des réformes politiques prudentes, mais réelles, et à résister par ailleurs aux entreprises italiennes. En 1931, il octroie une Constitution qui proclame son pouvoir absolu de droit divin, mais prévoit un Conseil privé où les compétences doivent progressivement remplacer les privilèges sociaux ; il institue des ministres et un Parlement consultatif, composé d'un Sénat de 30 membres, choisis par l'empereur, et d'une Chambre des députés de 60 membres, nommés par les chefs locaux.
3.2. La conquête italienne
Mais les Italiens en 1925, puis de nouveau en 1928, tentent par la voie diplomatique d'affirmer leur emprise sur l'Éthiopie. Dès 1930, Mussolini est décidé à la conquête. L'Italie prend prétexte d'un premier incident en novembre 1934 dans l'Ogaden, puis d'un autre à Oual-Oual, pour mettre en accusation l'Éthiopie devant la SDN. Au mépris des principes de la SDN, les Anglais et les Français sont prêts à se résigner à accepter une tutelle italienne sur l'Éthiopie. Mais déjà, le 3 octobre 1935, les troupes italiennes franchissent la frontière érythréenne. La conquête dure sept mois. (→ campagnes d'Éthiopie) L'empereur se réfugie en Angleterre. Jusqu'en 1941, l'Éthiopie constituera avec l'Érythrée et la Somalie italienne l'Africa orientale italiana.
3.3. Libération et modernisation de l'Empire
Libérée en 1941 par les troupes anglo-françaises, l'Éthiopie retrouve son indépendance (traité avec la Grande-Bretagne le 31 janvier 1942) et proclame dès 1945 ses droits sur l'Érythrée et la Somalie italienne. Un référendum fait connaître le désir de l'Érythrée d'être rattachée à l'Empire. Elle y sera en pratique fédérée en 1952, puis deviendra simple province en 1960. L'Ogaden est restitué en 1948 par les Britanniques, mais le problème de la frontière avec la Somalie n'est pas réglé lors de l'accession de celle-ci à l'indépendance en 1960, d'où une série d'incidents – même armés – jusque vers 1965.
Dès 1942, l'empereur a entrepris de réorganiser l'administration du pays en douze provinces, gouvernées chacune par un ras responsable devant les ministres et dépourvues de forces armées pour éviter les tentations de dissidence. Est aussi créé un système judiciaire hiérarchisé, accompagné d'une réforme du droit pénal distinguant les pays de droit chrétien de ceux de droit musulman. En 1945 sont installés des conseils municipaux élus et, à l'occasion du jubilé impérial de 1955, une nouvelle Constitution accorde au Parlement (Sénat nommé par l'empereur parmi les hauts dignitaires de l'État et Chambre élue au suffrage universel à raison de deux députés par circonscription de 200 000 habitants) l'initiative des lois (concurremment avec le négus) et la publicité des débats. L'Éthiopie demeure cependant une autocratie.
Les années d'après-guerre voient s'accroître l'audience internationale de l'Éthiopie, grâce au prestige de l'empereur, symbole de l'indépendance africaine. Cette audience s'affirmera notamment, après les mouvements d'indépendance des années 1960, au sein de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), dont le siège est fixé en 1963 à Addis-Abeba.
En décembre 1960, la garde impériale, profitant d'un voyage de l'empereur au Brésil, tente de le remplacer par le prince héritier, mais la situation est rapidement rétablie. En 1966, Hailé Sélassié entreprend une certaine libéralisation du régime en donnant au Premier ministre, responsable devant l'empereur, mais aussi devant le Parlement, le pouvoir de désigner les membres du cabinet. Le mécontentement n'en persiste pas moins dans les milieux libéraux et intellectuels, qui réclament notamment une réforme agraire.
3.4. Premiers signes de contestation et destitution de l'empereur
Si les difficultés frontalières se règlent avec le Soudan en 1967 et s'apaisent avec le Kenya, un conflit armé se développe à partir de 1964 dans l'Ogaden ; puis un Front de libération de l'Érythrée (FLE) se constitue, soutenu par des pays arabes, notamment l'Iraq et la Syrie, soucieux de fermer la mer Rouge pour isoler le port israélien d'Eilat. Des détournements d'avions d'Ethiopian Air Lines et la destruction à Francfort d'un Boeing entraînent l'expulsion de diplomates tchécoslovaques et de journalistes soviétiques, accusés d'actions subversives. À partir de 1970, les affrontements se multiplient entre l'armée et le FLE. L'état d'urgence est proclamé, mais au début de 1974 les séparatistes, ayant fait taire les dissensions entre chrétiens et musulmans, contrôlent la moitié de la province.
Cette situation, aggravée par l'impuissance du gouvernement devant la famine qui sévit depuis 1971 comme dans toute la frange sahélienne de l'Afrique, entraîne une crise sans précédent : mutinerie de militaires à Asmara, manifestations à Addis-Abeba et agitation dans l'ensemble du pays. En février 1974 éclate une révolte générale de l'armée de terre : la marine occupe Massaoua, l'aviation Debra Zeyt. Aux officiers supérieurs, aristocrates et conservateurs, s'opposent de jeunes officiers réformistes, issus des classes modestes. À la grève des étudiants et universitaires s'ajoutent celle des travailleurs, la révolte des paysans contre les propriétaires terriens, les revendications du bas clergé contre la hiérarchie orthodoxe et des musulmans, qui réclament l'égalité des droits avec les coptes. Le contrôle de l'armée, où la tendance progressiste l'emporte, s'étend peu à peu sur le pays. Le 12 septembre, l'empereur, qui a été privé peu à peu de ses derniers pouvoirs, est déposé, le Parlement est dissous et la Constitution de 1955 abrogée par le Conseil militaire provisoire.
4. La dictature marxiste-léniniste du général Mengistu (1977-1991)
4.1. Luttes de factions au sein du Derg
La période qui s'ouvre alors est marquée par des luttes intestines au sein du Conseil militaire – le Derg, junte millitaire composée de cent vingt hommes, simples soldats et officiers –, l'instauration d'un régime socialiste et des guerres épuisantes contre la Somalie et les irrédentistes érythréens. Deux factions s'opposent au sein du Derg : le MEISON (Mouvement socialiste panéthiopien) et le parti révolutionnaire du Peuple éthiopien. Leur affrontement se traduit par des purges sanglantes, dont sont successivement victimes les deux généraux portés à la tête de l'État, l'Érythréen Aman Andom et Teferi Bante, exécutés respectivement en 1974 et 1977. Le colonel – puis général – Mengistu Hailé Mariam sort vainqueur de cette épreuve de force et devient chef de l'État et président du Derg le 11 février 1977, après l'élimination de Teferi Bante.
4.2. La « terreur rouge » et la République populaire démocratique d'Éthiopie
La politique éthiopienne s'oriente vers l'option socialiste. Dès 1974, le nouveau régime met au pas les syndicats avant d'entreprendre la nationalisation des terres et des entreprises privées. Il s'ensuit une répression sans pitié – la « terreur rouge » – dirigée contre toute forme d'opposition et menée par les comités de quartier, formés dans les villes. En 1976, les étudiants sont envoyés dans les villages pour une campagne d'alphabétisation et d'éducation des masses rurales. En 1984, un parti unique est créé : le parti des Travailleurs d'Éthiopie, dont le général Mengistu est le secrétaire général. À la suite de la sécheresse qui frappe durement le pays la même année, le gouvernement procède à un déplacement massif des populations les plus éprouvées, au nord du pays, vers les zones moins peuplées et mieux arrosées de l'ouest et du sud. L'opération – qui affecte plusieurs centaines de milliers de paysans – est vivement critiquée par les organisations humanitaires, qui y voient une manœuvre politique destinée à dépeupler les régions les moins dociles à l'égard du régime. En 1987, une nouvelle Constitution fédérale est adoptée par référendum, et l'Éthiopie devient une démocratie populaire de type soviétique.
4.3. La guerre de l'Ogaden
Entre-temps, le régime a dû affronter les irrédentismes somali et érythréen. La Somalie revendique en effet l'Ogaden et soutient activement le Front de libération de la Somalie occidentale, qui y mène des opérations de guérilla et s'infiltre en Éthiopie. En 1977, un conflit éclate entre les deux pays. Comme les troupes éthiopiennes se trouvent en mauvaise posture, le général Mengistu se rend à Moscou. On assiste alors à un spectaculaire renversement d'alliance : l'URSS, qui soutenait jusqu'à présent la Somalie, décide d'appuyer l'Éthiopie. Des conseillers soviétiques viennent renforcer l'armée éthiopienne, consolidée également par des troupes cubaines. L'armée somalienne est défaite, et, en 1978, la Somalie renonce à ses revendications sur l'Ogaden.
4.4. L'Éthiopie face aux irrédentismes érythréen et tigréen
Le régime éthiopien peut alors reporter son effort militaire contre deux mouvements de libération érythréens : le Front de libération de l'Érythrée (FLE), à dominante musulmane et soutenu par le Soudan, et le Front populaire de libération de l'Érythrée (FPLE), qui regroupe chrétiens et musulmans de tendance socialiste. Le FPLE s'avère le mieux structuré, mais il se voit néanmoins contraint d'abandonneren 1978 les villes qu'il avait conquises. Pourtant, plusieurs offensives postérieures de l'armée éthiopienne ne parviennent pas à réduire la rébellion, qui, par la suite, reconquiert progressivement le terrain perdu.
Le régime éthiopien doit également faire face à plusieurs mouvements d'opposition interne, le plus souvent à base ethnique, en pays afar, oromo et dans le Tigré. Tandis que l'effondrement de l'URSS, en 1991, prive l'Éthiopie de son principal soutien, le Mouvement populaire de libération du Tigré (MPLT) – à dominante marxisante – prend le contrôle de cette province. Il fédère alors plusieurs mouvements d'opposition (amhara et oromo notamment) au sein d'un Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), dirigé par Meles Zenawi et dont les troupes progressent rapidement vers Addis-Abeba.
5. Meles Zenawi (1991-2012)
En 1991, le général Mengistu Hailé Mariam renonce au pouvoir pour se réfugier au Zimbabwe (jugé par contumace depuis 1994 par la Haute Cour fédérale de son pays, reconnu coupable de génocide en 2006, il est condamné à la prison à vie en 2007). Meles Zenawi, le leader du FDRPE, qui a abandonné entre-temps ses options marxisantes, est alors élu à la tête de l'État par une conférence nationale. Il règle le problème érythréen, d'autant plus facilement que le MPLT et le FPLE ont combattu ensemble le régime de Mengistu.
En 1993, Addis-Abeba accorde l'indépendance à l'Érythrée, moyennant un accord qui ménage à l'Éthiopie un accès aux ports érythréens de Massaoua et d'Assab. Mais le nouveau régime, soutenu par les États-Unis, se heurte à différents mouvements d'opposition – comme le Front de libération oromo (FLO) et l'Organisation populaire panamhara (OPPA) – qui accusent les Tigréens de monopoliser le pouvoir. Les autorités procèdent à de nombreuses arrestations dans les rangs de l'opposition, rassemblée au sein de diverses coalitions. Les formations hostiles au régime, en particulier le FLO, boycottent les élections de 1994 à l'Assemblée constituante et les législatives de 1995, remportées haut la main par le FDRPE.
En 1995, après la rédaction d'un nouvelle Constitution, l'Éthiopie devient une république fédérale, composée de neuf régions à base ethnique, chacune étant pourvue d'une large autonomie et d'un droit théorique à la sécession. Le Parlement élit président un Oromo, Negasso Gidada, tandis que M. Zenawi devient Premier ministre, fonction qui lui assure la direction effective du pouvoir.
La nouvelle Constitution ne suffit pourtant pas à ramener le calme : les partis d'opposition continuent à se multiplier, malgré une répression contraignant souvent leurs dirigeants à l'exil. Deux mouvements de rébellion islamique font en outre leur apparition en pays oromo et dans l'Ogaden. D'autre part, le procès des dirigeants de l'ancien régime, accusés d'avoir organisé la « terreur rouge », s'ouvre en 1995, tandis que le Zimbabwe refuse l'extradition de Mengistu.
Les tensions au sein de la coalition au pouvoir – le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) – dans lequel le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) occupe une place dominante, aboutissent en mars 2001 à la suspension de 12 membres du Comité central, fragilisant M. Zenawi accusé par certains de faiblesse envers l'Érythrée et la communauté internationale. Après son investiture comme unique candidat par le FDRPE à la présidence de la République, Girma Wolde-Giorgis est élu par le Parlement en octobre 2001.
Les élections de mai 2005, marquées par une très forte mobilisation populaire, voient une nette progression de l'opposition qui conteste vivement la victoire annoncée du FDRPE. Au terme d'une crise de quatre mois, accompagnée de violences et de nombreuses arrestations, le FDRPE remporte la majorité absolue au Parlement fédéral devant la Coalition pour l'unité et la démocratie (CUD), le mouvement d'opposition le plus important.
Les élections de mai 2010 se soldent de nouveau par la victoire écrasante du FDRPE (499 sièges sur 547) un résultat avalisé le 21 juin après le rejet par la Cour suprême des recours déposés par l’opposition et malgré les réserves émises par la mission d’observation de l'UE et les États-Unis sur la régularité du scrutin.
La mort de Meles Zenawi en août 2012 après vingt-et-un ans de règne, ouvre une période d’incertitude. Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Hailemariam Desalegn lui succède, s’engageant à renforcer le pluralisme et la démocratie dans le pays alors que de graves atteintes aux droits humains – dont des journalistes et des opposants sont notamment les victimes –, sont dénoncées par Human Rights Watch. En octobre 2013, le Parlement élit Mulatu Teshome Wirtu à la présidence de la République.
6. Vers un équilibre des tensions ?
En politique étrangère, les relations avec le Soudan se détériorent. Khartoum refuse d'extrader les auteurs de la tentative d'assassinat du président égyptien Hosni Moubarak, qui a eu lieu dans la capitale éthiopienne lors du sommet de l'OUA, en 1995. De son côté, Addis-Abeba apporte son soutien à la rébellion du Sud-Soudan. Une amélioration dans les relations entre les deux pays se dessine en 1998, se traduisant par la reprise des vols entre les deux capitales.
Au même moment, les rapports avec l'Érythrée s'enveniment. En 1997, l'introduction d'une nouvelle monnaie dans ce pays – qui utilisait jusque-là le birr éthiopien – provoque une sérieuse tension entre les deux États, que vient encore aggraver un différend frontalier. Ceux-ci finissent par s'affronter militairement à partir de mai 1998. Après plusieurs tentatives de médiation infructueuses, un accord de cessez-le-feu élaboré par l'OUA, soutenue par l'ONU et l'Union européenne, est signé en juin 2000. Cet accord prévoit le déploiement d'une force de maintien de la paix (Mission des Nations unies en Érythrée, Minuee), puis en décembre, la signature d'un accord de paix et la délimitation de la frontière par une Commission internationale.
En décembre, alors que le déploiement de quelque 4 200 Casques bleus à la frontière avec l'Érythrée a commencé, un accord de paix est signé à Alger par les autorités éthiopiennes et érythréennes. L'Éthiopie, après avoir rejeté la décision rendue par la Commission internationale en 2002, l'accepte finalement en 2004 et invite l'Érythrée à ouvrir un dialogue. À la suite du refus de cette dernière, le processus de paix demeure toujours dans l'impasse. En novembre 2006, la Commission trace une démarcation « virtuelle » entre les deux États mais l'Éthiopie rejette la procédure.
Les deux États, qui concentrent des forces militaires de part et d'autre de la zone de sécurité temporaire, se rejettent mutuellement la responsabilité du blocage de la situation. La Commission achève sa mission le 30 novembre 2007 sans avoir obtenu l'application de ses décisions.
Longtemps envenimées par le souvenir laissé par la guerre de l'Ogaden, les relations avec la Somalie s'intensifient. Au sein de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), l'Éthiopie accompagne le processus de paix en cours dans ce pays. En 2006, elle intervient militairement aux côtés des troupes somaliennes dans le conflit qui les oppose à l'Union des tribunaux islamiques, soutenue par l'Érythrée. Si elle accepte de retirer ses forces militaires en 2009, elle maintient sa pression avant de mener de nouvelles opérations contre les milices islamistes chabab à partir de novembre 2011 tout en soutenant le processus de transition politique lancé à Muqdisho depuis août 2012.
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