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L'ADN révèle les mécanismes de divergence
Marine Cygler dans mensuel 480
daté octobre 2013 -  Réservé aux abonnés du site


Sur l'île volcanique Lord Howe, en mer de Tasmanie, coexistent deux espèces de palmiers du genre Howea, étroitement apparentées. Toutes deux n'existent que sur ce minuscule territoire isolé, long de 12 kilomètres et large d'un seul, où elles représentent 70 % de la végétation. Depuis 2006, et les travaux de l'équipe de Vincent Savolainen, des jardins botaniques royaux de Kew, au Royaume-Uni, elles ont acquis un statut très particulier : il s'agit du premier exemple bien documenté d'espèces végétales ayant divergé l'une de l'autre dans un contexte où il existait très probablement des croisements, donc de forts échanges génétiques, entre les deux groupes en cours de divergence.

Comment ce phénomène de spéciation « avec flux de gènes », longtemps considéré comme impossible, a-t-il pu se produire ? Grâce aux progrès des techniques de séquençage et d'analyse de l'ADN, et en confrontant les données génétiques ainsi obtenues avec les modèles théoriques de spéciation, les spécialistes de biologie évolutive commencent tout juste à identifier la nature des processus génétiques sous-jacents. Qu'il s'agisse des palmiers Howea ou d'autres espèces, végétales ou animales.

Inversion chromosomique
« Chez les végétaux, il n'est pas rare que deux espèces divergent l'une de l'autre sans être isolées géographiquement », souligne Myriam Harry, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette. Le mécanisme mis en oeuvre est connu chez les plantes qui se reproduisent par autofécondation. Lors de la production des gamètes, il se passe parfois un « accident » de répartition des chromosomes, qui fait que les descendants de la plante concernée ont deux fois plus de chromosomes. De ce fait, ils peuvent se reproduire entre eux, mais pas avec les individus de la lignée parentale. Il y a donc une émergence presque immédiate d'une nouvelle espèce, bien qu'elle occupe le même territoire que l'ancienne. « Mais chez le palmier Howea, la situation est très différente, explique Myriam Harry. En effet, les deux espèces ont le même nombre de chromosomes. Il faut donc chercher d'autres mécanismes ayant favorisé la divergence. »

Sur le plan théorique, plusieurs hypothèses, non exclusives, sont avancées pour expliquer un tel phénomène de spéciation sympatrique, quand l'autofécondation est exclue. L'une d'elles implique la survenue d'accidents chromosomiques lors de la formation des gamètes, chez quelques individus de la population initiale : un ou plusieurs fragments de chromosomes sont inversés, à un ou plusieurs endroits du génome, d'où le nom d'« inversions chromosomiques ». Un tel réarrangement est potentiellement très efficace pour conduire à la différenciation d'une nouvelle espèce. En effet, lors de la reproduction, de tels gamètes ne peuvent se recombiner qu'avec d'autres présentant les mêmes inversions.

Sur le terrain, de telles inversions ont été trouvées chez deux sous-espèces d'épinoches Gasterosteus aculeatus qui cohabitent dans les eaux proches des côtes de la province canadienne de Colombie britannique. Ainsi que chez des sous-espèces d'escargots de mer, Littorina saxatilis, qui cohabitent dans différents écosystèmes rocheux depuis la Méditerranée jusqu'aux îles du Svalbard.

Si ces observations semblent d'abord étayer la théorie, elles ne sauraient à elles seules la valider. En effet, « ce n'est pas parce que l'on repère une inversion chromosomique qu'elle est forcément à l'origine de la divergence, insiste Myriam Harry. Un autre exemple, celui des mouches Rhagoletis pomonella, nous a appris la prudence. »

Introduction d'un nouvel hôte
Les mouches Rhagoletis pomonella vivent dans le nord des États-Unis où, pendant longtemps, elles se sont développées exclusivement sur l'aubépine, pondant leurs oeufs dans les fruits de cet arbuste. Mais au milieu du XIXe siècle, après la plantation de nombreux vergers de pommiers, certaines de ces mouches ont changé d'hôte. En quelques dizaines d'années, une nouvelle race, inféodée aux pommiers, est apparue, alors qu'il y avait des aubépines à proximité immédiate. Depuis, ce voisinage entre les Rhagoletis des aubépines et celles des pommiers perdure. Il constitue l'un des exemples emblématiques de spéciation en cours, avec flux de gènes.

En 2003, l'Américain Jeffrey Feder, de l'université Notre-Dame, dans l'Indiana, a découvert six inversions chromosomiques dans le génome des Rhagoletis du pommier [2]. Elles étaient réparties sur trois chromosomes. Or, ces inversions incluaient chacune un gène associé à la durée de la période larvaire de l'insecte, au bout de laquelle l'adulte sort de la chrysalide, se reproduit, puis pond ses oeufs dans les fruits. Il s'agit d'un caractère important pour l'adaptation de la mouche à son hôte : les observations de terrain montrent qu'à une latitude donnée, la mouche des pommiers éclot dix jours plus tôt que celle des aubépines, ce qui est en adéquation avec le fait que les pommiers forment des fruits trois semaines avant les aubépines. À l'époque, Jeffrey Feder avait conclu que ces observations étayaient le rôle décisif des inversions chromosomiques dans le processus de divergence.

Théorie des îlots
Mais en 2010, son équipe a observé des différences génomiques supplémentaires qui l'ont amenée à réviser cette conclusion [3]. Les biologistes de l'Indiana ont en effet comparé, chez les deux sous-espèces de Rhagoletis, les 6 gènes clés présents dans les inversions, ainsi que 33 autres courtes séquences d'ADN réparties ailleurs, sur l'ensemble des chromosomes. Ils ont alors constaté qu'en fait, 26 de ces 39 régions différaient fortement d'une race à l'autre.

Sans nier un rôle éventuel des inversions dans la divergence des deux races de Rhagoletis, ces résultats remettaient en question leur prééminence. En effet, ils suggéraient que les inversions n'étaient sûrement pas les seules zones du génome impliquées dans ce processus. Mais ce n'est pas tout. Ils obligeaient également à nuancer une autre théorie avancée pour expliquer la spéciation avec flux de gènes : la théorie des « îlots de divergence » [4].

D'après cette théorie, lorsqu'un sous-groupe commence à se séparer de la population mère, la plus grande partie du génome reste identique, à l'exception de quelques petites zones, appelées « îlots de divergence ». Ces îlots comprennent un gène conférant un caractère important - par exemple un gène favorisant l'adaptation à un nouvel environnement -, ainsi que les régions qui le bordent. L'idée est que ces îlots sont protégés de tout mélange lors d'une éventuelle hybridation et qu'ils divergent de plus en plus, en augmentant en taille au fur et à mesure. À un moment donné, cette divergence est telle qu'on a deux espèces au lieu d'une seule [fig. 1].

Certaines données génomiques semblent appuyer cette théorie. En 2001, Sara Via, de l'université du Maryland, aux États-Unis, l'un des ardents défenseurs de la théorie des îlots, a découvert quelques régions hautement différenciées dans le génome de deux races de pucerons Acyrthosiphon pisum vivant à proximité l'une de l'autre, dont l'une se reproduit sur la luzerne, et l'autre sur le trèfle. Qui plus est, chacune de ces régions inclut des gènes importants pour le choix de la plante hôte. Quant aux travaux publiés en 2006 sur les palmiers Howea, ils indiquent que sur 274 zones du génome étudiées, seules 4 diffèrent notablement entre les deux espèces.

Toutefois, chez Rhagoletis pomonella, les différences génomiques entre les deux populations de mouches sont réparties sur pas moins de la moitié du génome. Rien à voir, donc, avec quelques régions circonscrites ! Aussi, la théorie des îlots ne semble-t-elle pas s'appliquer chez cette mouche : dans son cas, la divergence commencerait au niveau de plusieurs continents.

Changements en temps réel
Globalement, ces résultats laissent penser que l'ambition d'identifier un mécanisme général est probablement illusoire. « Il faut même partir du principe qu'il n'y a que des cas particuliers », assène Daven Presgraves, de l'université de Rochester, aux États-Unis. Dans les quelques années qui viennent, il est en tout cas probable qu'ils se multiplieront. En effet, les technologies de séquençage ont fait de tels progrès que les spécialistes de biologie évolutive s'appuieront de plus en plus sur l'analyse de génomes entiers. « Auparavant, on regardait des régions du génome qu'on suspectait être impliquées dans la spéciation parce qu'elles codaient un caractère important, pour l'adaptation au milieu par exemple. Maintenant, nous pouvons procéder sans a priori, ce qui permettra de découvrir des modifications génomiques inattendues, explique Pierre Capy, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette. Sans compter qu'il ne faut pas oublier le rôle éventuel de mécanismes non génétiques » (lire « Au-delà de la génétique, l'épigénétique ? », p. 49) .

Reste que les progrès techniques ne sauraient résoudre tous les problèmes : « Nos travaux se déroulent à un moment donné de la séparation des deux espèces, explique Louis Bernatchez, de l'université Laval, à Québec. Nous sommes donc toujours dans un processus de reconstruction hypothétique de ce qui a pu se passer avant. Alors que l'idéal serait d'observer ces changements en temps réel. »

Sur le terrain, l'idéal n'existe pas. Mais par chance, certains cas s'en approchent. En particulier, celui du grand corégone, Coregonus clupeaformis. Ce poisson, qui vit dans les eaux froides des plans d'eau nord-américains, est en voie de divergence adaptative dans certains lacs. Le suivi de la faune le prouve : une forme naine est en train de diverger de la forme normale. L'équipe de Louis Bernatchez a déjà détecté, dans leur génome, la présence d'îlots. Mais elle a aussi constaté, en étudiant les génomes dans leur intégralité, que leur degré de divergence global était plus ou moins prononcé selon les lacs [5]. Autrement dit, chacun représente une étape donnée du processus de divergence. En comparant plusieurs individus nains et normaux provenant de chaque lac, l'équipe de l'université Laval compte essayer de mettre en évidence les forces évolutives qui conduisent à la formation d'îlots et à leur évolution. Avec l'espoir, au final, de mieux comprendre les étapes de la spéciation avec flux de gènes. En tout cas pour le grand corégone !
L'ESSENTIEL
- SUR LE PLAN GÉNÉTIQUE, différentes hypothèses permettent d'expliquer un phénomène de spéciation sans isolement géographique.

- PLUSIEURS ESPÈCES issues de ce type de spéciation étant maintenant connues, leur génome a été séquencé et analysé.

- LES MODIFICATIONS observées sont beaucoup plus variées qu'on ne l'imaginait.
AU-DELÀ DE LA GÉNÉTIQUE, L'ÉPIGÉNÉTIQUE ?
En février 2012, une équipe de l'Institut national de la recherche agronomique de Versailles a identifié, lors d'expériences de croisement entre deux lignées de la plante Arabidopsis thaliana, l'existence de quelques descendants stériles parmi de nombreux descendants fertiles. Or, le génome de ceux-ci ne présentait ni mutation ni inversion de séquences. D'où venait donc leur impossibilité à se reproduire ? De modifications dites « épigénétiques », en l'occurrence la fixation de groupements chimiques, appelés « méthyle », sur l'ADN d'un unique gène [1]. En examinant les deux lignées parentales, les biologistes ont constaté que cette modification épigénétique était déjà présente chez l'une d'elle. On est donc dans une situation où deux lignées d'une même espèce présentent une différence les empêchant de se croiser, ce qui pourrait favoriser leur divergence. Ce type d'observation n'a pas encore été réalisé dans la nature. Mais, selon Pierre Capy, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette, « étant donné que certaines marques épigénétiques peuvent se transmettre de génération en génération, on doit impérativement les inclure dans nos réflexions sur les processus de spéciation ».

[1] S. Durand et al., Curr. Biol., 22, 326, 2012.


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GÉNE ET ADN

 

 

 

 

 

 

 

Le tempo variable des horloges à ADN
mensuel 321
daté juin 1999 -  Réservé aux abonnés du site


De nouvelles données de la biologie des mitochondries remettent en question la précision des horloges moléculaires. Ces dernières ne tournent pas à la même vitesse selon les lignées animales et selon les périodes de l'évolution. Il apparaît de plus que nous n'héritons peut-être pas ces organites cellulaires de la seule lignée maternelle.
Allongez une scientifique sur le divan d'un psychanalyste et prononcez le mot « mitochondrie ». Il est probable qu'une association lui viendra immédiatement à l'esprit : « centrale énergétique de la cellule ». Si c'est une spécialiste de la biologie de l'évolution, elle associera plus probablement cet organite à un pouvoir autre qu'énergétique, celui d'apporter un éclairage sur des événements évolutifs très anciens. Depuis plus de vingt ans, les biologistes se servent en effet de l'ADN des mitochondries ADNmt pour dater les divergences entre organismes et dresser la carte des migrations humaines. Les études utilisant cette horloge moléculaire ont permis à leurs auteurs d'émettre diverses hypothèses : les mammifères et oiseaux modernes auraient partagé la Terre avec les dinosaures ; les animaux seraient apparus des centaines de millions d'années avant leurs premiers fossiles ; enfin, l'« Eve mitochondriale », notre grand-mère à tous, aurait vécu en Afrique il y a quelque 200 000 ans.

Faits troublants . L'arrivée massive de séquences d'ADN, déchiffrées dans le cadre des projets de séquençage du génome, a alimenté ces travaux, et l'idée de l'horloge a pu être appliquée à de nombreux gènes du noyau cellulaire. Mais ces flots de données ont révélé des faits troublants. Il est clair désormais que, dans de nombreux cas, l'hypothèse majeure qui sous-tend le concept d'horloges moléculaires ne tient pas : les horloges ne tournent pas à la même vitesse selon les lignées et les périodes. Et de nouveaux travaux sur la biologie des mitochondries donnent à penser que leur évolution pourrait être plus complexe que les chercheurs ne l'avaient envisagé1.

Le scepticisme gagne de nombreux spécialistes de la génétique de l'évolution : « Bien sûr qu'il existe des horloges mitochondriales. Il en existe un très grand nombre ! », explique Wesley Brown de l'université du Michigan, Ann Arbor, qui ne fait désormais plus appel aux séquences d'ADNmt pour dater les divergences. Pourtant, alors même qu'un regard critique est porté sur les résultats obtenus au moyen des horloges, des chercheurs proposent et appliquent des techniques statistiques complexes pour prendre en compte leurs comportements. Blair Hedges, spécialiste de biologie de l'évolution à l'université de Pennsylvanie, explique : « On ne considère pas a priori qu'un gène évolue à une vitesse constante. On teste différentes vitesses dans différentes lignées, et si un gène ne réussit pas le test, on le rejette. » Comme d'autres, ce chercheur estime que les horloges peuvent fournir des renseignements utiles, même si elles ne sont pas parfaites. Pour David Penny, bio-informaticien à l'université Massey de Palmerston Nouvelle-Zélande: « I l y a un an, on aurait parlé de désastre » si certaines hypothèses du modèle s'étaient révélées fausses. « Aujourd'hui, c'est seulement gênant : nous sommes contraints d'ajouter de la variabilité à nos estimations. »

Inévitable calibrage . Bien que les chercheurs n'accordent pas tous la même confiance aux tests statistiques actuels, les biologistes s'accordent sur la nécessité d'un calibrage des horloges. « Si l'on veut avoir prise sur la datation des événements auxquels ne correspond aucun fossile, c'est la seule solution », reconnaît Gregory Wray, spécialiste de la biologie de l'évolution à l'université de New York, qui se refuse à « jeter le bébé avec l'eau du bain ».

A la fin des années 1970, l'ADNmt semblait être l'outil parfait pour explorer le passé. Chez les animaux multicellulaires, il provient presque toujours de la mère. Les chercheurs peuvent donc remonter la lignée maternelle en évitant les complications dues au mélange des gènes des deux parents, ce qui est fort utile lorsqu'on cherche à identifier un ancêtre commun unique. Il y a des centaines de mitochondries dans chaque cellule, l'ADNmt est donc abondant et relativement facile à isoler, même à partir d'échantillons partiellement altérés. L'ADN des gènes nucléaires n'offre pas les mêmes avantages mais, son évolution étant plus lente, il permet de faire remonter les recherches plus loin dans le passé.

Evolution fluctuante . Qu'elle se fonde sur l'un ou l'autre ADN, comment fonctionne une horloge moléculaire ? Les scientifiques comparent des séquences d'ADN de deux organismes et comptent les différences dans l'enchaînement des éléments de bases, les nucléotides. Les changements de nucléotides doivent se produire d'une façon suffisamment régulière pour pouvoir convertir un nombre, celui des différences entre séquences nucléotidiques, en un autre nombre, celui des années écoulées depuis que les deux organismes ont divergé. Certes, différents gènes évoluent à des vitesses différentes en fonction de la pression de sélection qu'ils subissent, mais la seule exigence du modèle est que l'horloge d'un gène donné tourne à une vitesse constante.

Or, des travaux déjà anciens avaient indiqué que ce n'était peut-être pas toujours le cas et, aujourd'hui, une pléthore de données montrent que de nombreux gènes ne sont pas conformes à ce modèle. Ainsi, d'après une étude conduite en 1997 par Francisco Ayala, de l'université de Californie à Irvine, le gène nucléaire codant une enzyme appelée superoxyde dismutase, ou SOD, évolue à des vitesses différentes selon les groupes d'organismes étudiés. Ce généticien de l'évolution a découvert que le gène évolue très rapidement chez diverses espèces de drosophiles cinq fois plus vite que chez les organismes multicellulaires en général. Un autre exemple de vitesse variable a été découvert avec un autre gène, celui d'une enzyme impliquée dans le métabolisme, la glycérol-3-phosphate déshydrogénase ou GPDH.

Même sur une seule branche de l'arbre phylogénétique, les vitesses peuvent fluctuer avec le temps. Ainsi, selon Chung-I Wu et ses collègues en génétique de l'évolution à l'université de Chicago, un fragment d'ADN faisant partie du gène Odysseus Ods , gène de la fertilité mâle chez la drosophile, a varié davantage au cours des derniers 500 000 ans que pendant les 700 millions d'années précédentes2. Avec l'hypothèse d'une vitesse d'évolution constante, on serait de fait amené à conclure que 500 000 ans représentent une période temporelle plus longue que... 700 millions d'années.

Pour Charles Marshall, spécialiste de paléobiologie moléculaire à l'université de Californie Los Angeles, le simple comptage des substitutions de nucléotides pose d'autres problèmes. Certaines substitutions sont en effet plus probables que d'autres, selon l'organisme concerné, selon le gène, et selon la position du nucléotide dans le gène. Et une seule modification de l'identité d'un nucléotide n'est pas synonyme de substitution unique : le même site peut avoir été modifié plusieurs fois. Ces complexités expliquent peut-être certains résultats surprenants fournis par les méthodes fondées sur les horloges, déclare C. Marshall. De fait, si de nombreuses analyses de l'ADN mitochondrial et nucléaire ont abouti à des dates conformes à celles des fossiles, il y a aussi des discordances majeures.

Par exemple, les fossiles enregistrent il y a environ 530 millions d'années ce qu'on a appelé l'explosion du Cambrien, en l'occurrence une poussée d'innovation caractérisée par l'émergence de nombreux groupes d'animaux modernes. Or, d'après les études moléculaires, les animaux avaient commencé à diverger au moins plusieurs centaines de millions d'années auparavant3. Cela peut s'expliquer simplement : si les animaux ont un corps mou et une forme simple, ils échappent aisément à la fossilisation, de sorte que des animaux multicellulaires pourraient avoir vécu avant l'explosion du Cambrien sans laisser de traces. Mais les paléontologues rétorquent que l'ancêtre commun des animaux devait avoir un système vasculaire, un système nerveux central et un corps doté de muscles, et qu'une créature aussi complexe aurait forcément laissé des traces. « Où cet animal complexe a-t-il pu se cacher pendant un demi-milliard d'années ? » se demande Doug Erwin, paléobiologiste au Smithsonian's National Museum of Natural History de Washington.

Pourtant, comme d'autres, ce chercheur reste prudent et fait remarquer que les désaccords entre arguments moléculaires et preuves fossiles ne signifient pas nécessairement que les données de l'un ou de l'autre type soient fausses. Les données moléculaires permettent d'estimer la date à laquelle cessent les échanges génétiques, ce qui se produit en général quelque temps avant l'apparition de différences physiques caractéristiques, celles qu'enregistrent les fossiles. « En fait, il s'agit de deux choses différentes, explique Doug Erwin . Lorsque les arthropodes et les chordés * se séparent, les premières espèces des deux embranchements ne ressemblent pas à des mouches ou à J. Edgar Hoover [célèbre directeur du FBI-ndlr]. Pour l'essentiel, elles sont pratiquement identiques entre elles. Les différences morphologiques qui nous permettent aujourd'hui de reconnaître l'un ou l'autre embranchement n'apparaissent que plus tard. » Mais, dans ce cas, une durée d'évolution d'un demi-milliard d'années est un peu difficile à avaler, même pour nombre de biologistes moléculaires De plus, les estimations fournies par les méthodes moléculaires ont beaucoup varié, de 1 200 millions d'années à 990 et même à 670, suggérant qu'après tout, les fossiles ont peut-être raison voir figure.

Fossiles et molécules ne sont pas d'accord non plus sur la date d'apparition de la plupart des ordres modernes d'oiseaux et de mammifères. D'une manière générale, les paléontologues n'ont pas trouvé de fossiles qui datent de plus de 65 millions d'années environ, avant la grande extinction de la frontière Crétacé-Tertiaire qui vit disparaître les dinosaures. Or, les études moléculaires utilisant l'ADN mitochondrial et nucléaire concluent que de nombreuses espèces vivantes ont divergé beaucoup plus tôt, à des époques qui peuvent remonter jusqu'à 130 millions d'années4. Pour les biologistes moléculaires, les fossiles qui témoigneraient de cette apparition ne se sont peut-être pas conservés, ou n'ont pas encore été découverts. Pour Alan Cooper, spécialiste d'évolution moléculaire à l'université d'Oxford: « O n commence d'ailleurs à trouver des fossiles de l'autre côté des barrières temporelles au-delà desquelles ils étaient censés ne pas exister : on dispose ainsi de fossiles de perroquets et d'oiseaux de mer vers la fin du Crétacé. »

Recombinaison imprévue . Ainsi une récente étude menée par l'équipe de Mike Foote, paléontologue à l'université de Chicago, donne à penser qu'il n'existe pas de discontinuité importante dans les archives fossiles actuelles5. Les chercheurs ont évalué la qualité de ces archives pour la fin du Crétacé, époque à laquelle l'horloge moléculaire semble faire remonter les mammifères placentaires modernes. Devant le grand nombre de fossiles d'autres mammifères présents à cette époque, ils ont conclu qu'il était peu probable que des mammifères placentaires, s'ils ont existé en même temps, restent introuvables. « Si les archives étaient vraiment très mauvaises, presque toutes les espèces découvertes seraient représentées par un seul fossile, explique Mike Foote. Mais les éléments dont on dispose effectivement sont quelque dix à cent fois plus nombreux qu'il ne faudrait pour autoriser un hiatus de 65 millions d'années dans les séries fossiles. » Blair Hedges n'est pas d'accord avec cette conclusion, car il observe que le travail de l'équipe de M. Foote fait l'hypothèse d'une spéciation constante à la frontière Crétacé-Tertiaire. « Ils ont négligé les effets biologiques de l'astéroïde dont l'impact a fait disparaître les dinosaures », estime-t-il.

Les données récentes sur la complexité de la biologie mitochondriale posent également de nouvelles questions sur l'horloge de l'ADNmt. Classiquement, on considère que l'ADN mitochondrial provient uniquement de l'ovule maternel. Mais la microscopie électronique et les méthodes d'analyse de l'ADN ont montré que les mitochondries du spermatozoïde peuvent pénétrer dans l'oeuf, explique Adam Eyre-Walker, spécialiste de génétique de l'évolution à l'université du Sussex Brighton. Et plusieurs travaux récents aboutissent à une conclusion surprenante : contrairement à ce que pensaient les scientifiques, l'ADNmt provenant du spermatozoïde pourrait se recombiner avec celui de la mère. Si cela est vrai, un seul événement de recombinaison* suffirait à introduire instantanément des modifications multiples dans un fragment d'ADN, ou à supprimer celles dont il était porteur, déréglant totalement l'horloge. C'est peut-être aussi ce phénomène qui explique pourquoi certaines personnes, comme le dernier tsar de Russie Nicolas II, ont deux ADNmt différents dans leurs cellules6I.

Par exemple, l'équipe d'Erika Hagelberg, spécialiste de génétique moléculaire à l'université d'Otago en Nouvelle-Zélande, a récemment séquencé une région hypervariable de l'ADNmt chez 452 habitants de diverses îles du Pacifique occidental. L'analyse phylogénétique a révélé que ces personnes appartenaient à trois groupes distincts7. Cependant, les habitants de l'une des îles avaient une caractéristique particulière : une substitution nucléotidique très rare était présente avec une fréquence élevée et s'observait chez des individus des trois groupes. Il paraît peu probable que cette mutation se soit produite indépendamment dans les trois lignées de cette île mais nulle part ailleurs, explique l'auteur. Elle pense au contraire que la mutation s'est produite une fois, chez un homme, puis s'est recombinée avec l'ADNmt de l'ovule lors de la fécondation. Les descendants mâles de cette lignée ont alors répandu la mutation dans les deux autre lignées de l'île, là encore par recombinaison au moment de la fécondation.

L'ancêtre des Européens . Adam Eyre-Walker et son équipe aboutissent à des conclusions similaires8. Ils ont recherché des cas de changements multiples sur un même site de l'ADNmt. « On a toujours interprété ce phénomène en parlant de sites hypervariables », explique l'auteur. Mais, dans leurs vingt-neuf échantillons, les chercheurs ont découvert que ces modifications multiples étaient beaucoup plus fréquentes qu'on aurait pu s'y attendre pour des mutations aléatoires. En fait, selon Adam Eyre-Walker, « T out pourrait être dû à des recombinaisons. » Et si c'est bien le cas , « les estimations sur la vitesse de changement des nucléotides sont certainement erronées ».

La recombinaison pourrait égale-ment remettre en cause l'utilisation de l'ADNmt dans d'autres questions relatives à nos ancêtres. Ainsi, en 1997, une équipe dirigée par Svante Pääbo, de l'Institut Max Planck d'anthropologie de l'évolution à Leipzig, a récupéré un fragment d'ADN mitochondrial sur le squelette fossile d'un homme de Néandertal. D'après ces chercheurs, cette séquence était trop différente de celle des hommes modernes pour que notre ADNmt puisse provenir des Néandertaliens9. Or la recombinaison tend à mêler les lignées et, avec le temps, à créer une population de séquences d'ADN plus homogène. Dès lors, si une recombinaison mitochondriale s'est produite chez nos ancêtres, on est en droit de penser que la diversité des séquences d'ADNmt était plus grande dans le passé - et on peut s'attendre à davantage d'écart entre les séquences anciennes et celles d'aujourd'hui, plus homogènes. Erika Hagelberg estime: « L es Néandertaliens pourraient être plus proches parents des hommes d'aujourd'hui que ne semble l'indiquer l'ADNmt ». Pour Svante Pääbo: « L a recombinaison est une possibilité envisageable, mais elle n'est pas démontrée. » Il observe que les Néandertaliens étaient confinés à l'Europe et à l'ouest de l'Asie. S'ils sont à l'origine d'hommes modernes, ils devraient donc être plus proches des habitants de ces régions. Mais « la différence entre l'ADN des Néandertaliens et celui des hommes modernes est la même partout dans le monde ». Aux yeux de ce chercheur, il est donc peu probable que ces hommes soient les ancêtres des Européens.

Notre grand-mère à tous . La recombinaison mettrait enfin en cause la thèse de l'Eve mitochondriale, cette femme dont l'ADNmt serait l'ancêtre de celui de tous les humains. L'étude de l'ADN mitochondrial de personnes vivant sur tous les continents révèle une homogénéité surprenante, ce qui a conduit à penser que nous descendons tous d'une femme qui vivait en Afrique il y a à peine 200 000 ans. Mais, explique Erika Hagelberg, cette homogénéité pourrait être due à la recombinaison et non à l'existence d'un ancêtre commun récent. Svante Pääbo confirme : « S'il y a eu des recombinaisons, l'Eve mitochondriale n'a pas existé. » Selon le bioinformaticien David Penny, néanmoins, tant que les scientifiques n'auront pas déterminé à quelle fréquence se produisent ces recombinaisons de l'ADN mitochondrial, « il sera difficile de savoir comment elles affectent les analyses phylogénétiques ».

Si des méthodes statistiques sont aujourd'hui élaborées pour prendre en compte la variabilité d'évolution des gènes, tous les chercheurs ne sont pas encore convaincus de leur pertinence. Certains spécialistes de l'évolution moléculaire modélisent l'amplitude des erreurs statistiques affectant les analyses fondées sur le principe de l'horloge pour que ces dernières puissent répondre de façon fiable à des questions bien définies. D'autres, comme Jeffrey Thorne, de l'université de Caroline du Nord à Raleigh, s'efforcent de rendre les statistiques plus puissantes. Ils mettent au point de nouveaux outils permettant d'attribuer différentes probabilités aux diverses substitutions de nucléotides et aux variations de la vitesse de substitution à certains moments de l'évolution. « On peut en effet s'attendre à ce que des espèces étroitement apparentées aient des vitesses d'évolution moléculaire plus proches que des espèces plus éloignées », explique Jeffrey Thorne. « Nous testons cette hypothèse, puis nous utilisons des méthodes statistiques pour évaluer dans quelle mesure le modèle rend compte des données. »

Pendant que les statistiques s'améliorent, les études sur le principe de l'horloge bénéficient de tous les travaux de séquençage en cours. « Nous rassemblons des quantités de gènes de quantités d'organismes », constate Blair Hedges. Les taux de mutation étant variables dans différentes branches pour différents gènes, « il faut travailler sur un grand nombre de gènes ». Loin d'abandonner la partie dans le domaine des horloges moléculaires, les chercheurs continuent à tenter d'extraire de ces modèles toutes les significations qu'ils peuvent recéler.
1 « Mitochondria make a comeback », Science special section, 283 , 1475, 1999.

2Chau-Ti Ting et al., Science, 282 , 1501, 1998.

3G.A. Wray, J.S. Levinton, L.H. Shapiro, Science, 274 , 568, 1996.

4S. Kumar, S. Blair Hedges, Nature, 392 , 917, 1998.

5M. Foote et al., Science, 283 , 1310, 1999.

6P. Ivanov et al., Nature Genetics, 12 , 417, 1996.

7Erika Hagelberg et al., Proceedings of the Royal Society of London B, 266 , 485, 1999.

8Adam Eyre-Walker, N.H. Smith, J. Maynard Smith, Proceedings of the Royal Society of London B, 266, 477, 1999.

9 M. Krings et al., Cell, 90 , 19, 1997.

 

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SOMMEIL PARADOXAL

 

 

 

 

 

 

Paris, 12 décembre 2016
Sommeil paradoxal : ces neurones qui nous paralysent

Lors du sommeil paradoxal, le cerveau inhibe le système moteur, ce qui rend le dormeur complètement immobile. Des chercheurs CNRS travaillant au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Inserm/Université Jean Monnet) ont identifié une population de neurones responsables de cette paralysie transitoire des muscles. Le modèle animal créé permettra de mieux comprendre l'origine de certains troubles du sommeil paradoxal, en particulier la maladie qui empêche cette paralysie corporelle. Il sera également d'une grande aide pour étudier la maladie de Parkinson, les deux pathologies étant liées. Ces travaux sont publiés le 12 décembre 2016 sur le site de la revue Brain.
Pourtant plongé dans un sommeil profond, le patient parle, s'agite, donne des coups de pied et finit par tomber de son lit. Il souffre d'une forme de parasomnie appelée REM Sleep Behavior Disorder1 (RBD), une maladie du sommeil qui se déclare aux alentours de la cinquantaine. Alors que pendant la phase de sommeil paradoxal, les muscles sont au repos, chez ce patient, la paralysie corporelle est absente, sans que l'on sache bien pourquoi. Il exprime alors des mouvements anormaux reflétant très probablement son activité onirique.

Une équipe du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet) a fait un pas de plus dans la compréhension de cette pathologie. Les chercheurs ont identifié dans le cerveau les neurones du noyau sub-latérodorsal, idéalement placés pour contrôler la paralysie du système moteur pendant le sommeil paradoxal. Chez le rat, ils ont ciblé spécifiquement cette population de neurones en y introduisant des vecteurs viraux génétiquement modifiés2. Une fois dans les cellules neurales, ceux-ci bloquent l'expression d'un gène permettant la sécrétion synaptique du glutamate. Incapables de libérer ce neurotransmetteur excitateur, ces neurones ne peuvent alors plus communiquer avec leurs voisins. Ils sont déconnectés du réseau cérébral nécessaire à la paralysie corporelle du sommeil paradoxal.

Depuis 50 ans, la communauté scientifique considérait que ces neurones à glutamate généraient le sommeil paradoxal lui-même. L'expérience menée par l'équipe balaye cette hypothèse : même sans aucune activité de ce circuit neuronal, les rats passent bien par cet état de sommeil. Ils sont profondément endormis et déconnectés du monde extérieur, les paupières closes. Pourtant ces rats ne sont plus paralysés. Leurs comportements rappellent très fortement le tableau clinique des patients souffrant de RBD. Les neurones à glutamate ciblés dans cette étude jouent donc un rôle essentiel dans la paralysie corporelle pendant le sommeil paradoxal et seraient prioritairement atteints dans cette pathologie neurologique.

Ces travaux de recherche vont au-delà de la création d'un nouveau modèle préclinique mimant cette parasomnie. Ils pourraient même avoir une importance capitale dans l'étude de certaines maladies neurodégénératives. En effet, de récents travaux de recherche clinique ont montré que les patients diagnostiqués avec le RBD développent presque systématiquement les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson, en moyenne une décennie plus tard. L'équipe cherche maintenant à développer un modèle animal évoluant de la parasomnie à la maladie de Parkinson afin de comprendre les prémices de la dégénérescence neuronale.

 

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HÉRÉDITÉ

 

 

 

 

 

 

hérédité


Transmission des caractères génétiques des parents à leurs descendants.
C'est à un moine tchèque de Brno (Moravie), Gregor Mendel, qu'on doit une contribution décisive à la compréhension des mécanismes de l'hérédité. Pendant 8 ans à partir de 1856, Mendel fit des croisements entre des lignées de pois (les « pois de Mendel ») et en dégagea les lois qui portent son nom. Il présenta les résultats de ses travaux oralement en 1865, puis les publia en 1866. Mais ses résultats passèrent largement inaperçus, et c'est seulement à partir de 1900 qu’ils furent redécouverts – de façon indépendante – par trois botanistes : Hugo De Vries, Carl Correns et Erich Von Tschermak. C’est en raison de l’antériorité des découvertes de Gregor Mendel que les lois de l’hérédité sont appelées lois de Mendel.


Les expériences de Mendel
Protocole expérimental

Dans un premier temps, Mendel sélectionna des lignées de pois de race pure, c'est-à-dire des pois dont tous les descendants présentent de façon constante le même profil pour un caractère donné. Une telle plante offrait en outre quelques avantages tels qu'une culture aisée et une facilité de protection contre la fécondation par les pollens de plants non sélectionnés.
Il s'intéressa à 22 variétés de pois, et plus particulièrement à 7 caractères héréditaires : la forme des graines mûres (lisse ou ridée), leur couleur (jaune ou verte), la coloration de leur enveloppe (blanche ou grise), la forme des gousses mûres (rectiligne ou présentant des constrictions), la couleur des gousses à maturité (jaune ou verte), la position des fleurs (axiale ou apicale) et la longueur des tiges (courte ou longue).
Les expériences permettant d'analyser les règles de transmission d'un seul caractère sont aujourd'hui appelées « expériences de monohybridisme » ; les résultats les plus célèbres de Mendel concernent la transmission de la couleur et de la forme des pois.
Mendel réalisa toutes ses expériences selon un protocole rigoureusement identique : aussitôt après la formation des boutons de fleur, il coupait les étamines des plants dont il voulait contrôler la descendance pour éviter le phénomène d'autopollinisation. Pour supprimer tout risque de pollinisation croisée, il enveloppait chaque fleur dans un petit sac en papier.
Expérience sur la transmission d’un seul caractère

Lors d'une première expérience, il féconda une fleur dont le plant était issu de pois à graines lisses avec le pollen d'une fleur dont le plant donnait normalement des pois à graines ridées. Il procéda également, avec une rigueur toute scientifique, à la fécondation inverse : par dépôt du pollen de plants à graines lisses sur le pistil de fleurs provenant d'un plant à graines ridées. Les résultats étaient semblables quel que soit le sens du croisement.
Lors de la première génération (notée conventionnellement F1), tous les descendants, c'est-à-dire toutes les graines de pois produites par les plantes, avaient un aspect lisse : on dit qu'elles sont de phénotype (caractère apparent) « lisse ». Le caractère « ridé », pourtant présent chez l'un des parents, n'apparaissait chez aucun des descendants (loi d’uniformité des hybrides de première génération) ; il semblait avoir complètement disparu. Toutefois, parmi les descendants de seconde génération (F2), obtenus par croisement des plants de première génération, Mendel compta 5 474 graines lisses et 1 850 graines ridées : le caractère « ridé » était réapparu dans une proportion de 1 pour 3. Ainsi, sur quatre individus de F2, trois sont de phénotype « lisse » et un est de phénotype « ridé ». Une conclusion s'imposa alors : le caractère « ridé » devait être porté par les individus de la F1, mais il ne s'exprimait pas : il est récessif, l’autre étant dominant.
Expérience sur la transmission de deux caractères
Mendel conduisit ce type de recherches en analysant la transmission simultanée de deux caractères – la forme des pois et de leur couleur – au cours de générations successives (expériences de dihybridisme). Après croisement de pois jaunes et lisses avec des pois verts et ridés, les individus de la première génération sont tous jaunes et lisses. Ce résultat impose la constatation suivante : le caractère « jaune » et le caractère « lisse » sont tous deux dominants. Après croisement des individus de la F1, Mendel obtint toutes les combinaisons possibles entre les différents allèles, dans des proportions comparables à chaque expérience : sur 16 pois, il en compta 9 lisses et jaunes, 3 lisses et verts, 3 ridés et jaunes pour 1 vert et ridé. Le fait que, dans la F2, on trouve des pois ridés et jaunes, ainsi que des pois lisses et verts montre que les caractères « jaune » et « lisse », associé en F1, ne sont pas liés l’un à l’autre. Il en déduisit que la transmission de chacun de ces caractères se fait indépendamment (loi de ségrégation indépendante des caractères).
Les lois de transmission des caractères héréditaires
→ lois de Mendel
Les chromosomes, supports de l’hérédité
C’est Thomas Hunt Morgan et son équipe qui, entre 1910 et 1915, établissent la théorie chromosomique de l’hérédité : les gènes sont des entités physiques, constituées d’ADN et alignées sur les chromosomes, éléments du noyau cellulaire visibles à un certain stade de la mitose (division cellulaire). Après la division d'une cellule, la répartition des chromosomes dans les cellules filles se fait au hasard.
Chromosomes, autosomes et chromosomes sexuels
Chez l'être humain, le noyau de chaque cellule contient 44 chromosomes homologues (regroupés par paires), appelés chromosomes autosomes, et deux chromosomes sexuels : les chromosomes sexuels de la femme sont identiques et traditionnellement désignés par les lettres XX. Les chromosomes sexuels de l'homme sont différents et désignés par les lettres XY.
La molécule de l'hérédité
Un chromosome est constitué par deux molécules d'A.D.N. en forme d'hélice, associées à des protéines. L'A.D.N. est le support de l'hérédité. Sa molécule comporte des segments correspondant chacun à un caractère héréditaire déterminé (la couleur des yeux, par exemple). Cet élément du chromosome, porteur d'un caractère héréditaire, s'appelle un gène. Chaque chromosome contient plusieurs milliers de gènes. Toutes les cellules d'un même organisme contiennent exactement les mêmes gènes car elles sont issues d'une même cellule qui provient de la réunion d'un ovule et d'un spermatozoïde lors de la fécondation.
Dominance et récessivité
Selon les lois de l'hérédité, un caractère génétique est dominant ou récessif.
Un caractère dominant (tel le caractère « yeux bruns ») se manifeste chez l'enfant même s'il n'est transmis que par un seul des deux parents. Il s'exprime même s'il existe un autre caractère (« yeux bleus ») sur le chromosome homologue.
Un caractère récessif (le caractère « yeux bleus », par exemple) doit être transmis par les deux parents pour se manifester chez l'enfant. Il ne peut s'exprimer que s'il est porté par les deux gènes homologues.
L'hybridation réalisée par Johann Mendel entre des variétés de pois illustre cette différence : le croisement entre pois lisses et pois ridés donne toujours à la première génération (F1) des pois lisses exclusivement. Ce n'est qu'à la deuxième génération (F2) que le caractère ridé réapparaît. Le caractère lisse est un caractère dominant, le caractère ridé, un caractère récessif.
Chaque gène est présent chez un individu en deux exemplaires (un sur chacun des deux chromosomes homologues d’une paire). De plus, chaque gène existe en plusieurs versions, appelées allèles . Lorsque, pour un caractère donné, un allèle récessif et un allèle dominant sont présents, seul l’allèle dominant est en mesure de s'exprimer. Mais lorsque la fécondation met en présence deux allèles récessifs, c'est le caractère récessif qui s'exprime.
Des expériences comparables à celles de Mendel sur le pois ont été réalisées avec des fleurs, les belles-de-nuit, et ont permis d'observer l'apparition d'un caractère intermédiaire en F1, qui se maintient en F2.
Si l'on croise, comme dans les expériences précédentes, les individus de variétés pures de belles-de-nuit à fleurs blanches et à fleurs rouges, tous les descendants de F1 sont roses : le caractère blanc et le caractère rouge s’expriment tous les deux, à part égale. On dit que ces caractères sont codominants.
Des expériences menées sur les capacités d'expression d'un grand nombre de gènes différents ont montré que tous les degrés d'expression, de la dominance complète à la récessivité absolue, peuvent être rencontrés.
Hétérozygotie et monozygotie
Lorsque, pour un caractère donné, un individu est porteur des deux allèles différents du même gène, il est dit hétérozygote pour ce gène ; lorsqu'il est porteur de deux allèles identiques, il est dit homozygote pour ce gène. Un individu peut être homozygote pour un gène et hétérozygote pour un autre ; toutes les combinaisons sont possibles pour chacun des gènes de chaque espèce (qui se comptent par milliers, voire dizaines de milliers [le génome humain renferme ainsi quelque 30 000 gènes]).
La détermination du sexe
C’est en 1905 que deux chercheurs, Edmond Wilson et Nettie Stevens, travaillant chacun sur un insecte, firent – indépendamment – la découverte de l’existence d’une différence morphologique majeure dans deux chromosomes qu’ils attribuent à la détermination du sexe : la femelle possède deux chromosomes en forme de X, alors que le mâle n'en possède qu'un ; en revanche, il possède un chromosome unique (non apparié) qui n'a pas d'équivalent chez la femelle et qui a la forme d'un Y (ainsi, chez de nombreuses espèces, dont l’homme, la femelle est XX, et le mâle XY).
Reproduction des cellules
Les cellules de notre corps, comme les êtres vivants les plus simples, telles les bactéries, se reproduisent par division cellulaire. Mais le mécanisme de la division n'est pas le même pour les cellules sexuelles que pour les autres cellules de l'organisme.
Une cellule mère non sexuelle se divise selon un processus appelé mitose et donne ainsi naissance à deux cellules filles qui ont un nombre de chromosomes et de gènes identique à celui de la cellule mère.
La cellule sexuelle, ou gamète, résulte d'un processus de division particulier, la méiose. Celle-ci, qui ne se produit que dans les ovaires et les testicules, conduit à la formation de cellules qui ne contiennent chacune que la moitié du matériel génétique présent dans les autres cellules, soit 23 chromosomes, dont un chromosome sexuel : X pour l'ovule, X ou Y pour le spermatozoïde.
La rencontre d'un ovule et d'un spermatozoïde lors de la fécondation forme une cellule qui contient à nouveau 46 chromosomes, 23 provenant du père et 23 de la mère. Les deux chromosomes sexuels seront soit XX (une fille), soit XY (un garçon).
Hérédité autosomique et hérédité liée au sexe

Certains caractères et certaines maladies peuvent être transmis par les parents aux enfants soit par les chromosomes non sexuels, ou autosomes – on parle alors d'hérédité autosomique –, soit par les chromosomes sexuels : on parle alors d'hérédité liée au sexe.
Le principe de l'hérédité autosomique d'un caractère dominant se manifeste par exemple dans la syndactylie, malformation héréditaire à transmission autosomique qui se manifeste chez un sujet par la fusion de doigts ou d'orteils. Le gène D porteur du caractère « syndactylie » est dominant. Lors de la fécondation, selon le spermatozoïde et l'ovule en présence, les chromosomes concernés, pouvant chacun porter le gène D ou le gène d (récessif), se réunissent selon une combinaison donnée parmi quatre possibilités : gène D du père et gène D de la mère (DD), gène D du père et gène d de la mère (Dd) ; gène D de la mère et gène d du père (Dd), gène d de la mère et gène d du père (dd). Seul le descendant présentant l'association dd ne porte pas le gène D de la maladie. La syndactylie des parents se retrouvera chez trois descendants sur quatre, ce qui prouve qu'il suffit d'un seul gène D dans le chromosome pour que l'anomalie s'exprime chez l'individu.
Le principe de l'hérédité liée au sexe peut être illustré par l'hémophilie.
X et Y sont les chromosomes sexuels sains transmis à un garçon. Le chromosome x' est le chromosome sexuel porteur du gène récessif de l'hémophilie.
Lors de la fécondation, selon le spermatozoïde et l'ovule en présence, les chromosomes sexuels associés formeront l'une des quatre combinaisons possibles suivantes : chromosome X du père et chromosome x' de la mère (Xx') ; chromosome X du père et chromosome X de la mère (XX) ; chromosome x' de la mère et chromosome Y du père (x'Y) ; chromosome X de la mère et chromosome Y du père (XY).
Seuls les descendants ayant les chromosomes XX (femme saine) et XY (homme sain) ne sont pas porteurs de la maladie. Le gène de l'hémophilie est présent chez les descendants Xx' et x'Y, qui peuvent le transmettre. Cependant, sauf de très rares exceptions, la maladie ne se développera pas chez le sujet Xx' (une femme porteuse de l'hémophilie), car le chromosome x', récessif et porteur de la maladie, ne pourra s'exprimer en présence d'un chromosome homologue X sain. En revanche, le sujet x'Y (un homme hémophile) développera la maladie : les deux chromosomes homologues étant des chromosomes sexuels ne portant pas le même caractère, l'un ne peut empêcher l'autre de s'exprimer.
Les maladies héréditaires
Les maladies héréditaires sont dues à la mutation d'un gène, c'est-à-dire à l'altération de l'information qu'il porte. Cette information regroupe les instructions qui définissent l'élaboration et le rôle d'une protéine. Lorsque le gène mute, la protéine élaborée est modifiée, elle s'écarte de sa fonction normale ou ne peut pas jouer son rôle, ce qui cause une pathologie particulière tranmissible de génération en génération.
Victor Almon Mac Kusick, généticien américain né en 1923, a répertorié plus de 5 000 maladies géné
tiques.

 

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