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LE DIALOGUE MOLÉCULAIRE DES SYMBIOSES

 


 

 

 

 

 

Texte de la 8ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 8 janvier 2000
par Jean Dénarié
Dialogue moléculaire des symbioses
Alors que l’azote moléculaire (N2) constitue environ 80% de l’atmosphère terrestre, l’azote
constitue un facteur limitant majeur de la croissance des végétaux cultivés. Ce paradoxe est
dû au fait que la molécule d’azote est très stable et que les organismes supérieurs (eucaryotes)
sont incapables de l’utiliser. Seules des bactéries (procaryotes) dites fixatrices d’azote sont
capables de réduire N2 en ammoniac. La réduction de l’azote est très exigeante en énergie : il
faut 16 molécules d’ATP (donneur d’énergie dans les cellules) pour réduire une molécule
d’azote. C’est pourquoi les systèmes fixateurs d’azote les plus efficaces sont des symbioses
associant des bactéries fixatrices à des organismes photosynthétiques capables de transformer
l’énergie lumineuse en énergie chimique. Trois symbioses jouent un rôle particulièrement
important.
(i) En Asie l’association de cyanobactéries avec des fougères aquatiques, les Azolla, est
exploitée pour servir d’engrais vert dans les rizières.
(ii) Des plantes ligneuses appartenant à plusieurs familles forment des nodosités fixatrices
d’azote avec des bactéries filamenteuses (actinomycètes) du genre Frankia. Ces plantes, dites
à actinorhizes, jouent un rôle important dans la colonisation de terres peu fertiles ou
dégradées (Dommergues et al. 1999).
(iii) Mais la symbiose la plus importante d’un point de vue écologique et agronomique est
celle associant des bactéries du sol, les Rhizobium, aux légumineuses.
De nombreuses légumineuses ont une grande importance dans l’alimentation humaine et
animale grâce à leur richesse en protéines. Des plantes comme le soja, l’arachide, le pois, les
haricots sont cultivées pour la production de graines, tandis que la luzerne et le trèfle sont
exploités comme productions fourragères. La famille des Légumineuses est très nombreuse
(plus de 16.000 espèces), très diversifiée (comprenant des plantes herbacées annuelles et des
arbres de très grande taille) et colonise des écosystèmes extrêmement variés des régions
circumboréales, tempérées, désertiques et intertropicales (Dommergues et al. 1999). Les
Rhizobium induisent sur les racines des légumineuses-hôtes, la formation de véritables
organes, les nodosités, à l'intérieur desquelles ils fixent l'azote atmosphérique [figure 1]. Les
nodosités des Légumineuses produisent chaque année, sur notre planète, davantage
d’ammoniac que l’ensemble de l’industrie des engrais azotés ! Il est donc important de
comprendre les mécanismes génétiques et moléculaires responsables de la formation de ces
organes.
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1/ Un dialogue moléculaire entre partenaires de la symbiose : Gènes nod et facteurs Nod
On appelle Rhizobium toutes les bactéries qui sont capables d’induire la formation de
nodosités chez les Légumineuses. Les Rhizobium n’appartiennent pas à un phylum unique de
bactéries mais à plusieurs groupes phylogénétiques dont font également partie des bactéries
non-symbiotiques [figure 2]. Cette diversité est reflétée par le fait qu’ils appartiennent à
plusieurs genres (les Azorhizobium, Bradyrhizobium, Mesorhizobium, Rhizobium et
Sinorhizobium). Les symbioses Rhizobium-Légumineuses sont très spécifiques: ainsi un
Rhizobium donné n'induit la formation de nodosités fixatrices que chez un nombre défini de
plantes-hôtes. Étant donnée la grande diversité observée au niveau des bactéries et des
plantes, est-ce que les mécanismes responsables de l’établissement de ces symbioses sont très
divers ?
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L’analyse génétique de diverses espèces de Rhizobium a permis d’identifier des gènes nod
qui contrôlent la spécificité d'hôte, l'infection et la formation des nodosités. Ces gènes nod
sont impliqués dans un dialogue moléculaire entre les partenaires symbiotiques [figure 3].
Les gènes régulateurs nodD, codent pour des protéines qui, en présence de signaux (de type
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flavonoïdes) sécrétés par la plante, activent l’expression des autres gènes nod de la bactérie,
dits gènes nod structuraux. Les gènes nodD codant pour des récepteurs spécifiques de
signaux de la plante constituent un premier niveau de contrôle de la spécificité d’hôte.
Les gènes nod structuraux sont impliqués dans la synthèse et la sécrétion de signaux
symbiotiques bactériens extracellulaires, les facteurs Nod. Les facteurs Nod sont des lipooligosaccharides,
des oligomères de chitine qui sont N-acylés par une chaîne d’acide gras
(Lerouge et al. 1990). Les gènes "communs" nodABC qui sont présents chez tous les
Rhizobium déterminent la synthèse de la structure de base commune à tous les facteurs Nod
(Dénarié et al. 1996). Ces gènes nodABC jouent un rôle absolument essentiel dans la
formation des nodosités. Une mutation dans l’un de ces gènes rend la bactérie incapable
d’établir une relation symbiotique. Chaque espèce de Rhizobium présente un spectre d’hôte
singulier et possède, en plus des gènes nodABC, une combinaison de gènes nod spécifiques
qui "décorent" le squelette oligochitinique à l’aide de substitutions particulières qui confèrent
aux facteurs Nod leur spécificité [figure 4]. Ainsi, les facteurs Nod des Sinorhizobium de
luzerne sont sulfatés et acylés par un acide gras particulier tandis que les signaux des
Azorhizobium de Sesbania sont substitués par deux sucres, le fucose et l’arabinose. Des
expériences de génétique ont montré que les gènes contrôlant la nature et la position des
substitutions sont des déterminants majeurs de la spécificité d’hôte. Les facteurs Nod ont une
grande activité biologique et ils induisent à de faibles concentrations (nano à picomolaire) de
nombreuses réponses symbiotiques similaires à celles induites par les bactéries elles-mêmes
(Dénarié et al. 1996 ; Schultze et Kondorosi, 1998)).
5
2/ Evolution des gènes nod et des facteurs Nod
Les facteurs Nod sont des clés permettant aux Rhizobium d’entrer spécifiquement dans les
Légumineuses-hôtes. La diversité structurale des signaux de nodulation correspond à des
variations sur un même thème et l’étude de la structure des facteurs Nod et des gènes
responsables de ces variations peut fournir des indications sur les mécanismes moléculaires
responsables de cette biodiversité et sur l’évolution des systèmes de communication entre
symbiontes. Par exemple certains Rhizobium produisent des facteurs Nod avec une chaîne
d’acide gras polyinsaturé présentant des caractéristiques différentes selon les espèces.
L’aptitude à synthétiser de tels facteurs Nod n’est pas corrélée avec la phylogénie des
Rhizobium mais avec celle des plantes hôtes. Ces Rhizobium nodulent des Légumineuses
appartenant à un groupe bien défini, le phylum des Galégoïdes. On peut donc faire
l’hypothèse qu’au cours de l’évolution est apparue, au niveau d’une branche des
Légumineuses, un type de récepteur de facteur Nod permettant la reconnaissance d’une
structure particulière de la chaîne d’acide gras des facteurs Nod (Yang et al. 1999).
La protéine NodA est un enzyme qui permet le transfert de l’acide gras sur l’oligomère de
chitine. C’est une acyl transférase qui est spécifique des acides gras transférés et des
oligomères de chitine substitués qui servent d’accepteur pour l’acide gras. L’analyse de la
séquence de la protéine NodA chez les divers Rhizobium permet de prédire certaines
caractéristiques structurales des facteurs Nod comme la présence de groupes fucose et
arabinose, d’une chaîne d’acide gras polyinsaturé. Il existe donc une certaine corrélation
entre la séquence de NodA et la spécificité d’hôte. Les gènes nod communs constituent donc
de bons marqueurs moléculaires pour l’étude de la coévolution des déterminants du dialogue
moléculaire.
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Chez tous les Rhizobium, quelque soit le groupe auxquels ils appartiennent, il existe au moins
un gène nodD, codant pour le récepteur des signaux de nodulation de la plante-hôte et des
gènes nodABC. On doit donc faire l’hypothèse d’une origine unique de ces gènes clés
impliqués dans les échanges de signaux de nodulation. Ces gènes auraient ensuite été
transférés horizontalement entre différents groupes de bactéries du sol, conférant à celles-ci
l’aptitude à noduler les Légumineuses. Des gènes nod spécifiques auraient été ensuite
recrutés, formant des combinaisons variables et contribuant à la diversification des signaux
(Yang et al. 1999). Les gènes symbiotiques sont regroupés chez certaines espèces sur des
plasmides, facilitant le transfert "en bloc" entre souches de ces programmes génétiques. Dans
d’autres espèces les gènes symbiotiques sont localisés sur le chromosome où ils forment des
"îlots symbiotiques" qui peuvent être également transférés entre souches dans les sols, par des
mécanismes qui n’ont pas encore été clairement identifiés.
Les gènes nod ne représentent qu’une faible partie du programme symbiotique de Rhizobium
(une vingtaine de gènes parmi plusieurs centaines) et des approches plus globales sont
développées pour identifier l’ensemble des gènes symbiotiques du microsymbiote. Le
séquençage complet de Sinorhizobium meliloti, choisi comme Rhizobium modèle, devrait être
bientôt achevé et va permettre le développement d’une génomique fonctionnelle de
Rhizobium. L’utilisation de filtres à haute densité et de puces à ADN, couplée à des
approches génétiques, devrait permettre d’identifier et caractériser l’ensemble des gènes de la
bactérie induits au cours des différentes étapes de la symbiose.
3/ Le choix d’une Légumineuse-modèle, Medicago truncatula
Les facteurs Nod purifiés suscitent des réponses variées sur les racines de Légumineusehôtes,
à de très faibles concentrations (nano- à picomolaires). Ils peuvent provoquer la
réorganisation du cytosquelette dans les poils absorbants, ils induisent la transcription de
gènes de Légumineuses, les gènes ENOD, qui sont exprimés spécifiquement au cours des
étapes précoces de la symbiose, et ont un effet mitogène et organogène sur des cellules
corticales (Dénarié et al. 1996 ; Schultze et kondorosi, 1998). Ainsi les Légumineuses
possèdent un programme symbiotique et les facteurs Nod activent une partie de ce
programme (Truchet et al., 1991). Comment identifier ce programme génétique de la plante?
La biologie moderne a montré l’utilité de concentrer les efforts de la communauté
scientifique sur des organismes modèles. Dans le domaine de la biologie végétale, une petite
Crucifère Arabidopsis thaliana, a fait l’objet de programmes de recherches ambitieux et le
séquençage complet de son génome devrait être terminé au cours de l’année 2000. La
moisson de résultats obtenus récemment sur cette plante-modèle est extrêmement abondante.
Malheureusement, Arabidopsis n’est pas capable d’établir des symbioses, ni avec Rhizobium
ni avec des champignons mycorhiziens. Les endomycorhizes à arbuscule sont des symbioses
très importantes. Elles sont présentes chez plus de 80% des plantes et permettent une
meilleure nutrition minérale, notamment phosphatée, en fournissant à la plante-hôte une forte
extension du système racinaire grâce au développement d’un vaste réseau d’hyphes fongiques
dans le sol (Gianinazzi 1996). Ces symbioses sont très anciennes et des fossiles suggèrent
leur existence au cours de l’ère primaire (environ 400 millions d’années) : leur présence
aurait alors contribué à la colonisation par les plantes du milieu terrestre. Les Légumineuses
sont capables d’établir les deux types de symbioses, formation de nodosités avec des
Rhizobium et formation d’endomycorhizes avec des champignons de l’ordre des Glomales.
Des équipes françaises de l’INRA et du CNRS ont identifié une Légumineuse, Medicago
truncatula, qui a un génome de taille réduite, et qui présente des caractéristiques favorables
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pour les études de génétique moléculaire. Cette espèce a été adoptée, par de nombreuses
équipes européennes et américaines, comme modèle pour identifier les programmes
symbiotiques des végétaux.
Les facteurs Nod doivent être reconnus à la surface des poils absorbants de la plante-hôte et
cette information est ensuite transduite dans différents compartiments de ces cellules et dans
les cellules environnantes pour provoquer les réponses appropriées : c’est ce que l’on appelle
la transduction du signal Nod (Schultze et Kondorosi, 1998). Des mutants de M. truncatula
impliqués dans la transduction des signaux Nod ont été isolés. De façon surprenante, des
mutants altérés dans des étapes précoces de cette cascade de transduction sont affectés à la
fois pour la formation des nodosités et des endomycorhizes. L’analyse génétique révèle
l’existence d’au moins trois étapes communes dans la transduction des signaux symbiotiques
provenant des Rhizobium (les facteurs Nod) et des champignons mycorhiziens
(d’hypothétiques facteurs Myc) [figure 5]. Le clonage des gènes de M. truncatula, contrôlant
ces étapes de la transduction des signaux symbiotiques, est en cours. La découverte de la
nature chimique des facteurs Nod, des oligomères de chitine, avait été surprenante. En effet,
les bactéries et les plantes ne synthétisant pas de chitine, la raison pour laquelle des bactéries
utilisent des oligomères de chitine pour dialoguer avec des plantes n’était pas évidente. On
peut maintenant faire l’hypothèse que le programme symbiotique Rhizobium-Légumineuses,
d’origine relativement récente, a emprunté certains éléments à un programme symbiotique
mycorhizien plus ancien (Gianinazzi, 1996). En effet les champignons mycorhiziens
synthétisent de la chitine pour élaborer la paroi de leur mycélium. Plusieurs équipes de
Toulouse essaient de purifier des "facteurs Myc" pour déterminer leur nature chimique et
savoir si il s’agit, ou non, d’oligomères de chitine. Il faut noter qu’en conditions de
laboratoire l’addition de facteurs Nod stimule non seulement la formation de nodosités mais
également la formation d’endomycorhizes. L’inoculation de Légumineuses à grande échelle
(sur des dizaines de millions d’hectares) par enrobage de graines à l’aide de souches
sélectionnées de Rhizobium, est pratiquée dans toutes les régions du monde et en particulier
pour le soja et la luzerne aux USA, au Canada, au Brésil, en Argentine et en Europe. Des
recherches de développement sont en cours, avec un partenaire industriel, pour déterminer si
l’addition aux inoculum de Rhizobium de signaux symbiotiques comme les flavonoïdes et les
facteurs Nod pourrait accélérer et augmenter la formation des nodules et des mycorhizes.
8
4/ La génomique et l’identification des programmes symbiotiques végétaux
Les approches classiques de génétique moléculaire ont permis l’identification de gènes de
Légumineuses qui sont régulés de façon particulière au cours de la formation et du
9
fonctionnement des nodosités, les gènes de nodulines. Les méthodes de séquençage de l’ADN
à grande échelle, l’application des méthodes automatiques et des nanotechnologies à l’étude
de l’hybridation des acides nucleïques et la découverte de méthodes d’amplification de
l’ADN (clonage et PCR) ont permis le développement d’une discipline nouvelle, la
génomique, qui vise à étudier la structure et l’expression des génomes de façon globale en
identifiant non plus quelques dizaines de gènes mais l’ensemble des gènes d’un organisme,
soit des milliers de gènes.
Des programmes de génomique de la légumineuse-modèle Medicago truncatula sont en cours
de développement aux USA et en Europe. Les projets de génomique fonctionnelle ont
notamment pour but d’identifier et de séquencer le plus grand nombre possible de gènes dont
la régulation de l’expression est modifiée au cours de la formation des nodosités, de la
formation des endomycorhizes et des gènes communs aux deux types de symbioses :
identifier le programme génétique des endosymbioses racinaires végétales. Les projets de
génomique structurale ont pour but d’établir des cartes génétiques et physiques des huit
chromosomes et d’étudier la répartition des gènes, notamment symbiotiques, sur ces
chromosomes. Il a été montré qu’au sein d’une même famille botanique, on observe une
conservation (synténie) dans l’ordre des gènes répartis le long des chromosomes. L’existence
de cette synténie justifie le développement d’une génomique comparative des Légumineuses,
c’est à dire l’exploitation de la légumineuse-modèle pour faciliter la génétique et la
génomique des légumineuses d’intérêt agronomique comme le soja, le pois protéagineux,
l’arachide, le haricot, la féverole pour les Légumineuses à graines et la luzerne et le trèfle
pour les plantes fourragères.
En effet les Légumineuses constituent la source majeure de protéines végétales tant pour
l’alimentation humaine (sojas en Asie, haricots et pois) que pour l’élevage des bovins,
porcins et volailles. Des incidents récents (maladie de la vache folle, etc.) ont montré que
l’utilisation de sources de protéines autres que végétales dans l’alimentation animale n’était
pas totalement dépourvue de risques. D’autre part, les légumineuses représentent le meilleur
moyen de produire des protéines végétales dans le cadre d’une agriculture durable et
respectueuse de l’environnement. En effet leur aptitude à fixer l’azote rend inutile
l’utilisation d’engrais azotés. Or la synthèse, le transport et l’épandage des engrais azotés
consomment des combustibles fossiles (2 tonnes de fuel pour une tonne d’ammoniac) et
contribuent à l’effet de serre. Des travaux récents ont également montré que l’introduction de
Légumineuses dans des rotations diminue les pertes d’azote par lessivage et la pollution des
nappes phréatiques par des nitrates (Drinkwater et al. 1998). Le développement de la
génomique d’une légumineuse-modèle devrait contribuer à l’amélioration génétique des
légumineuses d’intérêt agronomique et au développement d’une agriculture plus amicale pour
l’environnement et les consommateurs.
5/ Vers une fixation symbiotique de l’azote chez les céréales ?
Un objectif très important, pour contribuer au développement d’une agriculture durable, sera
d’étendre l’aptitude à fixer l’azote à des plantes de grande culture autres que les
Légumineuses, les céréales par exemple. Plusieurs stratégies sont explorées (voir Ladha et
Reddy, 2000).
1) Introduire des bactéries fixatrices d’azote dans la rhizosphère des plantes. Mais dans la
rhizosphère ces bactéries sont soumises à une forte compétition avec une microflore très
abondante et les échanges métaboliques avec la plante-hôte sont limités. La quantité d’azote
10
fixé et transféré à la plante est donc très faible (et ne dépasserait pas 5 kg d’azote par
hectare).
2) Les bactéries fixatrices d’azote possèdent une vingtaine de gènes nif qui contrôlent la
synthèse d’un complexe enzymatique (nitrogénase) responsable de la réduction de l’azote
moléculaire en ammoniac. D’où l’idée de transférer par génie génétique des gènes nif
bactériens directement dans le génome de plantes dans l’objectif de créer des plantes
fixatrices d’azote. Les cibles pourraient être des organites de plantes comme les chloroplastes
ou les mitochondries qui ont une origine endosymbiotique bactérienne et devraient constituer
un environnement plus favorable pour l’expression de gènes bactériens. Un gène nifH a
récemment été introduit dans le chloroplaste d’une algue unicellulaire Chlamydomonas et a
permis la biosynthèse d’une protéine NifH fonctionnelle. Ce résultat est très encourageant,
mais le projet de l’introduction de l’ensemble des gènes nif requis (une quinzaine), avec un
niveau d’expression satisfaisant et compatible avec la physiologie des organites et de la
plante, s’il n’est plus tout à fait de la science-fiction, reste un projet à très long terme.
3) Un autre projet à très long terme vise à transférer chez les céréales l’aptitude à former des
nodosités fixatrices avec Rhizobium, en d’autres termes transférer tout ou partie du
programme de nodulation des Légumineuses chez les céréales. La découverte que des gènes
de Légumineuses contrôlent à la fois la formation de nodosités et d’endomycorhizes suggère
que tels gènes existent chez les céréales comme le riz, le blé ou le maïs qui sont capables de
former des endomycorhizes. Un projet de génomique fonctionnelle vise à identifier le
programme génétique d’endomycorhization du riz. Une comparaison des programmes
d’endosymbiose des Légumineuses et des céréales devrait permettre de déterminer quels sont
les gènes d’endosymbiose qui existent déjà chez les céréales et ceux qui devraient être
introduits à partir du génome des Légumineuses.
4) Une découverte récente réalisée par l’équipe dirigée par Paola Bonfante, à l’Université de
Turin, pourrait changer les perspectives. Cette équipe a montré que certains champignons
endomycorhiziens comme Gigaspora margarita contiennent des bactéries intracellulaires à
l’intérieur des spores mais également dans le mycélium (Bianciotto et al. 1996). Des études
d’amplification de gènes ont montré que ces bactéries appartiennent au genre Burkholderia et
qu’elles possèdent des gènes nif, notamment l’opéron nifHDK présent chez toutes les
bactéries fixatrices d’azote et qui code pour les deux composants de l’enzyme nitrogénase. A
l’heure actuelle une collaboration entre l’équipe de Paola Bonfante, et des équipes de
Toulouse et Montpellier vise à étudier l’aptitude à fixer l’azote, de ces mycorhizes. Cette
découverte de bactéries nif endosymbiotiques de mycorhizes devrait ouvrir de nouvelles
perspectives de recherche. En effet, le gros intérêt de la symbiose endomycorhizienne est
qu’elle est présente chez la grande majorité des plantes cultivées, y compris les céréales.
L’existence de certains champignons mycorhiziens possédant des bactéries endosymbiotiques
fixatrices d’azote pourrait ouvrir la voie à la sélection de souches très fixatrices symbiotiques
des céréales les plus importantes. Par ailleurs la génétique et la sélection des plantes cultivées
et notamment des céréales devrait tenir compte de l’aptitude à établir des associations
mycorhiziennes, caractère qui n’a pas été du tout pris en compte par la sélection végétale
dans une phase de la recherche agronomique (la seconde moitié du 20ème siècle) fondée sur
l’utilisation massive d’engrais chimiques azotés et phosphatés.
Les endosymbioses semblent avoir joué un rôle décisif dans l’évolution, en permettant
l’acquisition par des cellules d’organites jouant un rôle clé dans le métabolisme énergétique.
Les mitochondries sont des organites des cellules animales et végétales qui permettent la
respiration cellulaire et la synthèse de l’énergie sous forme d’ATP. Elles ont très
11
vraisemblablement tiré leur origine d’une association entre une cellule eucaryote primitive
anaérobie et des bactéries aérobies dont l’intégration durable a permis la formation de
cellules capables d’utiliser l’oxygène pour tirer leur énergie de la respiration [figure 6]. Il en
est de même pour les chloroplastes, organites qui semblent avoir été acquis grâce à une
endosymbiose avec des cyanobactéries photosynthétiques, et qui permettent aux végétaux de
transformer de l’énergie lumineuse en énergie chimique (ATP). Il s’agit là de deux étapes
considérables au cours de l’évolution qui ont modifié le fonctionnement de la biosphère et
permis son extension. Au cours du 21ème siècle, l’humanité devra concilier la forte
démographie de l’espèce humaine, exigeante en protéines, et la nécessité d’exploiter au
mieux et de façon durable notre environnement : ce sont peut-être encore des endosymbioses
qui permettront de trouver une solution. Des poupées russes d’endosymbioses : la plante
hébergeant ses hôtes et leur fournissant du carbone et de l’énergie, un champignon
endomycorhizien, qui a l’avantage de l’ubiquité, prospectant le sol par son mycélium étendu
et améliorant la nutrition phosphatée et hydrique du système et hébergeant une bactérie
endosymbiotique fixatrice d’azote.
12
Les figures ont été préparées par Frédéric Debellé et Charles Rosenberg (CNRS-INRA
Toulouse)
13
Références bibliographiques
Bianciotto V, Bandi C, Minerdi D, Sironi M, Tichy HV, Bonfante P (1996) An obligately
endosymbiotic mycorrhizal fungus itself harbors obligately intracellular bacteria. Appl
Environ Microbiol, 62: 3005-3010.
Dénarié J, Debellé F, Promé JC (1996). Rhizobium lipo-chitooligosaccharide nodulation
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65: 503-535.
Dommergues Y, Duhoux E, Diem HG (1999). Les arbres fixateurs d’azote. Editions Espace
34, Montpellier, 528 p.
Drinkwater LE, Wagoner P, Sarrantonio M. (1998). Legume-based cropping systems have
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Gianinazzi-Pearson V (1996). Plant cell responses to arbuscular mycorrhizal fungi: getting to
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Ladha JK, Reddy PM (2000) The quest for nitrogen fixation in rice. International Rice
Research Institute, Makati City, 354 p.
Lerouge P, Roche P, Faucher C, Maillet F, Truchet G, Promé JC, Dénarié J (1990) Symbiotic
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oligosaccharide signal. Nature, 344: 781-784.
Schultze M, Kondorosi A (1998) Regulation of symbiotic root nodule formation. Ann Rev
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Truchet G, Roche P, Lerouge P, Vasse J, Camut S, de Billy F, Promé JC, Dénarié J (1991)
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Yang GP, Debellé F, Savagnac A, Ferro M, Schiltz O, Maillet F, Promé D, Trilhou M, Vialas
C, Linstrom K, Dénarié J, Promé JC (1999) Structure of the Mesorhizobium huakuii and
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by rhizobia producing Nod factors with α,β-unsaturated N-acyl substitutions. Molec
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L'ADN révèle les mécanismes de divergence
Marine Cygler dans mensuel 480
daté octobre 2013 -  Réservé aux abonnés du site


Sur l'île volcanique Lord Howe, en mer de Tasmanie, coexistent deux espèces de palmiers du genre Howea, étroitement apparentées. Toutes deux n'existent que sur ce minuscule territoire isolé, long de 12 kilomètres et large d'un seul, où elles représentent 70 % de la végétation. Depuis 2006, et les travaux de l'équipe de Vincent Savolainen, des jardins botaniques royaux de Kew, au Royaume-Uni, elles ont acquis un statut très particulier : il s'agit du premier exemple bien documenté d'espèces végétales ayant divergé l'une de l'autre dans un contexte où il existait très probablement des croisements, donc de forts échanges génétiques, entre les deux groupes en cours de divergence.

Comment ce phénomène de spéciation « avec flux de gènes », longtemps considéré comme impossible, a-t-il pu se produire ? Grâce aux progrès des techniques de séquençage et d'analyse de l'ADN, et en confrontant les données génétiques ainsi obtenues avec les modèles théoriques de spéciation, les spécialistes de biologie évolutive commencent tout juste à identifier la nature des processus génétiques sous-jacents. Qu'il s'agisse des palmiers Howea ou d'autres espèces, végétales ou animales.

Inversion chromosomique
« Chez les végétaux, il n'est pas rare que deux espèces divergent l'une de l'autre sans être isolées géographiquement », souligne Myriam Harry, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette. Le mécanisme mis en oeuvre est connu chez les plantes qui se reproduisent par autofécondation. Lors de la production des gamètes, il se passe parfois un « accident » de répartition des chromosomes, qui fait que les descendants de la plante concernée ont deux fois plus de chromosomes. De ce fait, ils peuvent se reproduire entre eux, mais pas avec les individus de la lignée parentale. Il y a donc une émergence presque immédiate d'une nouvelle espèce, bien qu'elle occupe le même territoire que l'ancienne. « Mais chez le palmier Howea, la situation est très différente, explique Myriam Harry. En effet, les deux espèces ont le même nombre de chromosomes. Il faut donc chercher d'autres mécanismes ayant favorisé la divergence. »

Sur le plan théorique, plusieurs hypothèses, non exclusives, sont avancées pour expliquer un tel phénomène de spéciation sympatrique, quand l'autofécondation est exclue. L'une d'elles implique la survenue d'accidents chromosomiques lors de la formation des gamètes, chez quelques individus de la population initiale : un ou plusieurs fragments de chromosomes sont inversés, à un ou plusieurs endroits du génome, d'où le nom d'« inversions chromosomiques ». Un tel réarrangement est potentiellement très efficace pour conduire à la différenciation d'une nouvelle espèce. En effet, lors de la reproduction, de tels gamètes ne peuvent se recombiner qu'avec d'autres présentant les mêmes inversions.

Sur le terrain, de telles inversions ont été trouvées chez deux sous-espèces d'épinoches Gasterosteus aculeatus qui cohabitent dans les eaux proches des côtes de la province canadienne de Colombie britannique. Ainsi que chez des sous-espèces d'escargots de mer, Littorina saxatilis, qui cohabitent dans différents écosystèmes rocheux depuis la Méditerranée jusqu'aux îles du Svalbard.

Si ces observations semblent d'abord étayer la théorie, elles ne sauraient à elles seules la valider. En effet, « ce n'est pas parce que l'on repère une inversion chromosomique qu'elle est forcément à l'origine de la divergence, insiste Myriam Harry. Un autre exemple, celui des mouches Rhagoletis pomonella, nous a appris la prudence. »

Introduction d'un nouvel hôte
Les mouches Rhagoletis pomonella vivent dans le nord des États-Unis où, pendant longtemps, elles se sont développées exclusivement sur l'aubépine, pondant leurs oeufs dans les fruits de cet arbuste. Mais au milieu du XIXe siècle, après la plantation de nombreux vergers de pommiers, certaines de ces mouches ont changé d'hôte. En quelques dizaines d'années, une nouvelle race, inféodée aux pommiers, est apparue, alors qu'il y avait des aubépines à proximité immédiate. Depuis, ce voisinage entre les Rhagoletis des aubépines et celles des pommiers perdure. Il constitue l'un des exemples emblématiques de spéciation en cours, avec flux de gènes.

En 2003, l'Américain Jeffrey Feder, de l'université Notre-Dame, dans l'Indiana, a découvert six inversions chromosomiques dans le génome des Rhagoletis du pommier [2]. Elles étaient réparties sur trois chromosomes. Or, ces inversions incluaient chacune un gène associé à la durée de la période larvaire de l'insecte, au bout de laquelle l'adulte sort de la chrysalide, se reproduit, puis pond ses oeufs dans les fruits. Il s'agit d'un caractère important pour l'adaptation de la mouche à son hôte : les observations de terrain montrent qu'à une latitude donnée, la mouche des pommiers éclot dix jours plus tôt que celle des aubépines, ce qui est en adéquation avec le fait que les pommiers forment des fruits trois semaines avant les aubépines. À l'époque, Jeffrey Feder avait conclu que ces observations étayaient le rôle décisif des inversions chromosomiques dans le processus de divergence.

Théorie des îlots
Mais en 2010, son équipe a observé des différences génomiques supplémentaires qui l'ont amenée à réviser cette conclusion [3]. Les biologistes de l'Indiana ont en effet comparé, chez les deux sous-espèces de Rhagoletis, les 6 gènes clés présents dans les inversions, ainsi que 33 autres courtes séquences d'ADN réparties ailleurs, sur l'ensemble des chromosomes. Ils ont alors constaté qu'en fait, 26 de ces 39 régions différaient fortement d'une race à l'autre.

Sans nier un rôle éventuel des inversions dans la divergence des deux races de Rhagoletis, ces résultats remettaient en question leur prééminence. En effet, ils suggéraient que les inversions n'étaient sûrement pas les seules zones du génome impliquées dans ce processus. Mais ce n'est pas tout. Ils obligeaient également à nuancer une autre théorie avancée pour expliquer la spéciation avec flux de gènes : la théorie des « îlots de divergence » [4].

D'après cette théorie, lorsqu'un sous-groupe commence à se séparer de la population mère, la plus grande partie du génome reste identique, à l'exception de quelques petites zones, appelées « îlots de divergence ». Ces îlots comprennent un gène conférant un caractère important - par exemple un gène favorisant l'adaptation à un nouvel environnement -, ainsi que les régions qui le bordent. L'idée est que ces îlots sont protégés de tout mélange lors d'une éventuelle hybridation et qu'ils divergent de plus en plus, en augmentant en taille au fur et à mesure. À un moment donné, cette divergence est telle qu'on a deux espèces au lieu d'une seule [fig. 1].

Certaines données génomiques semblent appuyer cette théorie. En 2001, Sara Via, de l'université du Maryland, aux États-Unis, l'un des ardents défenseurs de la théorie des îlots, a découvert quelques régions hautement différenciées dans le génome de deux races de pucerons Acyrthosiphon pisum vivant à proximité l'une de l'autre, dont l'une se reproduit sur la luzerne, et l'autre sur le trèfle. Qui plus est, chacune de ces régions inclut des gènes importants pour le choix de la plante hôte. Quant aux travaux publiés en 2006 sur les palmiers Howea, ils indiquent que sur 274 zones du génome étudiées, seules 4 diffèrent notablement entre les deux espèces.

Toutefois, chez Rhagoletis pomonella, les différences génomiques entre les deux populations de mouches sont réparties sur pas moins de la moitié du génome. Rien à voir, donc, avec quelques régions circonscrites ! Aussi, la théorie des îlots ne semble-t-elle pas s'appliquer chez cette mouche : dans son cas, la divergence commencerait au niveau de plusieurs continents.

Changements en temps réel
Globalement, ces résultats laissent penser que l'ambition d'identifier un mécanisme général est probablement illusoire. « Il faut même partir du principe qu'il n'y a que des cas particuliers », assène Daven Presgraves, de l'université de Rochester, aux États-Unis. Dans les quelques années qui viennent, il est en tout cas probable qu'ils se multiplieront. En effet, les technologies de séquençage ont fait de tels progrès que les spécialistes de biologie évolutive s'appuieront de plus en plus sur l'analyse de génomes entiers. « Auparavant, on regardait des régions du génome qu'on suspectait être impliquées dans la spéciation parce qu'elles codaient un caractère important, pour l'adaptation au milieu par exemple. Maintenant, nous pouvons procéder sans a priori, ce qui permettra de découvrir des modifications génomiques inattendues, explique Pierre Capy, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette. Sans compter qu'il ne faut pas oublier le rôle éventuel de mécanismes non génétiques » (lire « Au-delà de la génétique, l'épigénétique ? », p. 49) .

Reste que les progrès techniques ne sauraient résoudre tous les problèmes : « Nos travaux se déroulent à un moment donné de la séparation des deux espèces, explique Louis Bernatchez, de l'université Laval, à Québec. Nous sommes donc toujours dans un processus de reconstruction hypothétique de ce qui a pu se passer avant. Alors que l'idéal serait d'observer ces changements en temps réel. »

Sur le terrain, l'idéal n'existe pas. Mais par chance, certains cas s'en approchent. En particulier, celui du grand corégone, Coregonus clupeaformis. Ce poisson, qui vit dans les eaux froides des plans d'eau nord-américains, est en voie de divergence adaptative dans certains lacs. Le suivi de la faune le prouve : une forme naine est en train de diverger de la forme normale. L'équipe de Louis Bernatchez a déjà détecté, dans leur génome, la présence d'îlots. Mais elle a aussi constaté, en étudiant les génomes dans leur intégralité, que leur degré de divergence global était plus ou moins prononcé selon les lacs [5]. Autrement dit, chacun représente une étape donnée du processus de divergence. En comparant plusieurs individus nains et normaux provenant de chaque lac, l'équipe de l'université Laval compte essayer de mettre en évidence les forces évolutives qui conduisent à la formation d'îlots et à leur évolution. Avec l'espoir, au final, de mieux comprendre les étapes de la spéciation avec flux de gènes. En tout cas pour le grand corégone !
L'ESSENTIEL
- SUR LE PLAN GÉNÉTIQUE, différentes hypothèses permettent d'expliquer un phénomène de spéciation sans isolement géographique.

- PLUSIEURS ESPÈCES issues de ce type de spéciation étant maintenant connues, leur génome a été séquencé et analysé.

- LES MODIFICATIONS observées sont beaucoup plus variées qu'on ne l'imaginait.
AU-DELÀ DE LA GÉNÉTIQUE, L'ÉPIGÉNÉTIQUE ?
En février 2012, une équipe de l'Institut national de la recherche agronomique de Versailles a identifié, lors d'expériences de croisement entre deux lignées de la plante Arabidopsis thaliana, l'existence de quelques descendants stériles parmi de nombreux descendants fertiles. Or, le génome de ceux-ci ne présentait ni mutation ni inversion de séquences. D'où venait donc leur impossibilité à se reproduire ? De modifications dites « épigénétiques », en l'occurrence la fixation de groupements chimiques, appelés « méthyle », sur l'ADN d'un unique gène [1]. En examinant les deux lignées parentales, les biologistes ont constaté que cette modification épigénétique était déjà présente chez l'une d'elle. On est donc dans une situation où deux lignées d'une même espèce présentent une différence les empêchant de se croiser, ce qui pourrait favoriser leur divergence. Ce type d'observation n'a pas encore été réalisé dans la nature. Mais, selon Pierre Capy, du laboratoire évolution, génome et spéciation du CNRS, à Gif-sur-Yvette, « étant donné que certaines marques épigénétiques peuvent se transmettre de génération en génération, on doit impérativement les inclure dans nos réflexions sur les processus de spéciation ».

[1] S. Durand et al., Curr. Biol., 22, 326, 2012.


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GÉNE ET ADN

 

 

 

 

 

 

 

Le tempo variable des horloges à ADN
mensuel 321
daté juin 1999 -  Réservé aux abonnés du site


De nouvelles données de la biologie des mitochondries remettent en question la précision des horloges moléculaires. Ces dernières ne tournent pas à la même vitesse selon les lignées animales et selon les périodes de l'évolution. Il apparaît de plus que nous n'héritons peut-être pas ces organites cellulaires de la seule lignée maternelle.
Allongez une scientifique sur le divan d'un psychanalyste et prononcez le mot « mitochondrie ». Il est probable qu'une association lui viendra immédiatement à l'esprit : « centrale énergétique de la cellule ». Si c'est une spécialiste de la biologie de l'évolution, elle associera plus probablement cet organite à un pouvoir autre qu'énergétique, celui d'apporter un éclairage sur des événements évolutifs très anciens. Depuis plus de vingt ans, les biologistes se servent en effet de l'ADN des mitochondries ADNmt pour dater les divergences entre organismes et dresser la carte des migrations humaines. Les études utilisant cette horloge moléculaire ont permis à leurs auteurs d'émettre diverses hypothèses : les mammifères et oiseaux modernes auraient partagé la Terre avec les dinosaures ; les animaux seraient apparus des centaines de millions d'années avant leurs premiers fossiles ; enfin, l'« Eve mitochondriale », notre grand-mère à tous, aurait vécu en Afrique il y a quelque 200 000 ans.

Faits troublants . L'arrivée massive de séquences d'ADN, déchiffrées dans le cadre des projets de séquençage du génome, a alimenté ces travaux, et l'idée de l'horloge a pu être appliquée à de nombreux gènes du noyau cellulaire. Mais ces flots de données ont révélé des faits troublants. Il est clair désormais que, dans de nombreux cas, l'hypothèse majeure qui sous-tend le concept d'horloges moléculaires ne tient pas : les horloges ne tournent pas à la même vitesse selon les lignées et les périodes. Et de nouveaux travaux sur la biologie des mitochondries donnent à penser que leur évolution pourrait être plus complexe que les chercheurs ne l'avaient envisagé1.

Le scepticisme gagne de nombreux spécialistes de la génétique de l'évolution : « Bien sûr qu'il existe des horloges mitochondriales. Il en existe un très grand nombre ! », explique Wesley Brown de l'université du Michigan, Ann Arbor, qui ne fait désormais plus appel aux séquences d'ADNmt pour dater les divergences. Pourtant, alors même qu'un regard critique est porté sur les résultats obtenus au moyen des horloges, des chercheurs proposent et appliquent des techniques statistiques complexes pour prendre en compte leurs comportements. Blair Hedges, spécialiste de biologie de l'évolution à l'université de Pennsylvanie, explique : « On ne considère pas a priori qu'un gène évolue à une vitesse constante. On teste différentes vitesses dans différentes lignées, et si un gène ne réussit pas le test, on le rejette. » Comme d'autres, ce chercheur estime que les horloges peuvent fournir des renseignements utiles, même si elles ne sont pas parfaites. Pour David Penny, bio-informaticien à l'université Massey de Palmerston Nouvelle-Zélande: « I l y a un an, on aurait parlé de désastre » si certaines hypothèses du modèle s'étaient révélées fausses. « Aujourd'hui, c'est seulement gênant : nous sommes contraints d'ajouter de la variabilité à nos estimations. »

Inévitable calibrage . Bien que les chercheurs n'accordent pas tous la même confiance aux tests statistiques actuels, les biologistes s'accordent sur la nécessité d'un calibrage des horloges. « Si l'on veut avoir prise sur la datation des événements auxquels ne correspond aucun fossile, c'est la seule solution », reconnaît Gregory Wray, spécialiste de la biologie de l'évolution à l'université de New York, qui se refuse à « jeter le bébé avec l'eau du bain ».

A la fin des années 1970, l'ADNmt semblait être l'outil parfait pour explorer le passé. Chez les animaux multicellulaires, il provient presque toujours de la mère. Les chercheurs peuvent donc remonter la lignée maternelle en évitant les complications dues au mélange des gènes des deux parents, ce qui est fort utile lorsqu'on cherche à identifier un ancêtre commun unique. Il y a des centaines de mitochondries dans chaque cellule, l'ADNmt est donc abondant et relativement facile à isoler, même à partir d'échantillons partiellement altérés. L'ADN des gènes nucléaires n'offre pas les mêmes avantages mais, son évolution étant plus lente, il permet de faire remonter les recherches plus loin dans le passé.

Evolution fluctuante . Qu'elle se fonde sur l'un ou l'autre ADN, comment fonctionne une horloge moléculaire ? Les scientifiques comparent des séquences d'ADN de deux organismes et comptent les différences dans l'enchaînement des éléments de bases, les nucléotides. Les changements de nucléotides doivent se produire d'une façon suffisamment régulière pour pouvoir convertir un nombre, celui des différences entre séquences nucléotidiques, en un autre nombre, celui des années écoulées depuis que les deux organismes ont divergé. Certes, différents gènes évoluent à des vitesses différentes en fonction de la pression de sélection qu'ils subissent, mais la seule exigence du modèle est que l'horloge d'un gène donné tourne à une vitesse constante.

Or, des travaux déjà anciens avaient indiqué que ce n'était peut-être pas toujours le cas et, aujourd'hui, une pléthore de données montrent que de nombreux gènes ne sont pas conformes à ce modèle. Ainsi, d'après une étude conduite en 1997 par Francisco Ayala, de l'université de Californie à Irvine, le gène nucléaire codant une enzyme appelée superoxyde dismutase, ou SOD, évolue à des vitesses différentes selon les groupes d'organismes étudiés. Ce généticien de l'évolution a découvert que le gène évolue très rapidement chez diverses espèces de drosophiles cinq fois plus vite que chez les organismes multicellulaires en général. Un autre exemple de vitesse variable a été découvert avec un autre gène, celui d'une enzyme impliquée dans le métabolisme, la glycérol-3-phosphate déshydrogénase ou GPDH.

Même sur une seule branche de l'arbre phylogénétique, les vitesses peuvent fluctuer avec le temps. Ainsi, selon Chung-I Wu et ses collègues en génétique de l'évolution à l'université de Chicago, un fragment d'ADN faisant partie du gène Odysseus Ods , gène de la fertilité mâle chez la drosophile, a varié davantage au cours des derniers 500 000 ans que pendant les 700 millions d'années précédentes2. Avec l'hypothèse d'une vitesse d'évolution constante, on serait de fait amené à conclure que 500 000 ans représentent une période temporelle plus longue que... 700 millions d'années.

Pour Charles Marshall, spécialiste de paléobiologie moléculaire à l'université de Californie Los Angeles, le simple comptage des substitutions de nucléotides pose d'autres problèmes. Certaines substitutions sont en effet plus probables que d'autres, selon l'organisme concerné, selon le gène, et selon la position du nucléotide dans le gène. Et une seule modification de l'identité d'un nucléotide n'est pas synonyme de substitution unique : le même site peut avoir été modifié plusieurs fois. Ces complexités expliquent peut-être certains résultats surprenants fournis par les méthodes fondées sur les horloges, déclare C. Marshall. De fait, si de nombreuses analyses de l'ADN mitochondrial et nucléaire ont abouti à des dates conformes à celles des fossiles, il y a aussi des discordances majeures.

Par exemple, les fossiles enregistrent il y a environ 530 millions d'années ce qu'on a appelé l'explosion du Cambrien, en l'occurrence une poussée d'innovation caractérisée par l'émergence de nombreux groupes d'animaux modernes. Or, d'après les études moléculaires, les animaux avaient commencé à diverger au moins plusieurs centaines de millions d'années auparavant3. Cela peut s'expliquer simplement : si les animaux ont un corps mou et une forme simple, ils échappent aisément à la fossilisation, de sorte que des animaux multicellulaires pourraient avoir vécu avant l'explosion du Cambrien sans laisser de traces. Mais les paléontologues rétorquent que l'ancêtre commun des animaux devait avoir un système vasculaire, un système nerveux central et un corps doté de muscles, et qu'une créature aussi complexe aurait forcément laissé des traces. « Où cet animal complexe a-t-il pu se cacher pendant un demi-milliard d'années ? » se demande Doug Erwin, paléobiologiste au Smithsonian's National Museum of Natural History de Washington.

Pourtant, comme d'autres, ce chercheur reste prudent et fait remarquer que les désaccords entre arguments moléculaires et preuves fossiles ne signifient pas nécessairement que les données de l'un ou de l'autre type soient fausses. Les données moléculaires permettent d'estimer la date à laquelle cessent les échanges génétiques, ce qui se produit en général quelque temps avant l'apparition de différences physiques caractéristiques, celles qu'enregistrent les fossiles. « En fait, il s'agit de deux choses différentes, explique Doug Erwin . Lorsque les arthropodes et les chordés * se séparent, les premières espèces des deux embranchements ne ressemblent pas à des mouches ou à J. Edgar Hoover [célèbre directeur du FBI-ndlr]. Pour l'essentiel, elles sont pratiquement identiques entre elles. Les différences morphologiques qui nous permettent aujourd'hui de reconnaître l'un ou l'autre embranchement n'apparaissent que plus tard. » Mais, dans ce cas, une durée d'évolution d'un demi-milliard d'années est un peu difficile à avaler, même pour nombre de biologistes moléculaires De plus, les estimations fournies par les méthodes moléculaires ont beaucoup varié, de 1 200 millions d'années à 990 et même à 670, suggérant qu'après tout, les fossiles ont peut-être raison voir figure.

Fossiles et molécules ne sont pas d'accord non plus sur la date d'apparition de la plupart des ordres modernes d'oiseaux et de mammifères. D'une manière générale, les paléontologues n'ont pas trouvé de fossiles qui datent de plus de 65 millions d'années environ, avant la grande extinction de la frontière Crétacé-Tertiaire qui vit disparaître les dinosaures. Or, les études moléculaires utilisant l'ADN mitochondrial et nucléaire concluent que de nombreuses espèces vivantes ont divergé beaucoup plus tôt, à des époques qui peuvent remonter jusqu'à 130 millions d'années4. Pour les biologistes moléculaires, les fossiles qui témoigneraient de cette apparition ne se sont peut-être pas conservés, ou n'ont pas encore été découverts. Pour Alan Cooper, spécialiste d'évolution moléculaire à l'université d'Oxford: « O n commence d'ailleurs à trouver des fossiles de l'autre côté des barrières temporelles au-delà desquelles ils étaient censés ne pas exister : on dispose ainsi de fossiles de perroquets et d'oiseaux de mer vers la fin du Crétacé. »

Recombinaison imprévue . Ainsi une récente étude menée par l'équipe de Mike Foote, paléontologue à l'université de Chicago, donne à penser qu'il n'existe pas de discontinuité importante dans les archives fossiles actuelles5. Les chercheurs ont évalué la qualité de ces archives pour la fin du Crétacé, époque à laquelle l'horloge moléculaire semble faire remonter les mammifères placentaires modernes. Devant le grand nombre de fossiles d'autres mammifères présents à cette époque, ils ont conclu qu'il était peu probable que des mammifères placentaires, s'ils ont existé en même temps, restent introuvables. « Si les archives étaient vraiment très mauvaises, presque toutes les espèces découvertes seraient représentées par un seul fossile, explique Mike Foote. Mais les éléments dont on dispose effectivement sont quelque dix à cent fois plus nombreux qu'il ne faudrait pour autoriser un hiatus de 65 millions d'années dans les séries fossiles. » Blair Hedges n'est pas d'accord avec cette conclusion, car il observe que le travail de l'équipe de M. Foote fait l'hypothèse d'une spéciation constante à la frontière Crétacé-Tertiaire. « Ils ont négligé les effets biologiques de l'astéroïde dont l'impact a fait disparaître les dinosaures », estime-t-il.

Les données récentes sur la complexité de la biologie mitochondriale posent également de nouvelles questions sur l'horloge de l'ADNmt. Classiquement, on considère que l'ADN mitochondrial provient uniquement de l'ovule maternel. Mais la microscopie électronique et les méthodes d'analyse de l'ADN ont montré que les mitochondries du spermatozoïde peuvent pénétrer dans l'oeuf, explique Adam Eyre-Walker, spécialiste de génétique de l'évolution à l'université du Sussex Brighton. Et plusieurs travaux récents aboutissent à une conclusion surprenante : contrairement à ce que pensaient les scientifiques, l'ADNmt provenant du spermatozoïde pourrait se recombiner avec celui de la mère. Si cela est vrai, un seul événement de recombinaison* suffirait à introduire instantanément des modifications multiples dans un fragment d'ADN, ou à supprimer celles dont il était porteur, déréglant totalement l'horloge. C'est peut-être aussi ce phénomène qui explique pourquoi certaines personnes, comme le dernier tsar de Russie Nicolas II, ont deux ADNmt différents dans leurs cellules6I.

Par exemple, l'équipe d'Erika Hagelberg, spécialiste de génétique moléculaire à l'université d'Otago en Nouvelle-Zélande, a récemment séquencé une région hypervariable de l'ADNmt chez 452 habitants de diverses îles du Pacifique occidental. L'analyse phylogénétique a révélé que ces personnes appartenaient à trois groupes distincts7. Cependant, les habitants de l'une des îles avaient une caractéristique particulière : une substitution nucléotidique très rare était présente avec une fréquence élevée et s'observait chez des individus des trois groupes. Il paraît peu probable que cette mutation se soit produite indépendamment dans les trois lignées de cette île mais nulle part ailleurs, explique l'auteur. Elle pense au contraire que la mutation s'est produite une fois, chez un homme, puis s'est recombinée avec l'ADNmt de l'ovule lors de la fécondation. Les descendants mâles de cette lignée ont alors répandu la mutation dans les deux autre lignées de l'île, là encore par recombinaison au moment de la fécondation.

L'ancêtre des Européens . Adam Eyre-Walker et son équipe aboutissent à des conclusions similaires8. Ils ont recherché des cas de changements multiples sur un même site de l'ADNmt. « On a toujours interprété ce phénomène en parlant de sites hypervariables », explique l'auteur. Mais, dans leurs vingt-neuf échantillons, les chercheurs ont découvert que ces modifications multiples étaient beaucoup plus fréquentes qu'on aurait pu s'y attendre pour des mutations aléatoires. En fait, selon Adam Eyre-Walker, « T out pourrait être dû à des recombinaisons. » Et si c'est bien le cas , « les estimations sur la vitesse de changement des nucléotides sont certainement erronées ».

La recombinaison pourrait égale-ment remettre en cause l'utilisation de l'ADNmt dans d'autres questions relatives à nos ancêtres. Ainsi, en 1997, une équipe dirigée par Svante Pääbo, de l'Institut Max Planck d'anthropologie de l'évolution à Leipzig, a récupéré un fragment d'ADN mitochondrial sur le squelette fossile d'un homme de Néandertal. D'après ces chercheurs, cette séquence était trop différente de celle des hommes modernes pour que notre ADNmt puisse provenir des Néandertaliens9. Or la recombinaison tend à mêler les lignées et, avec le temps, à créer une population de séquences d'ADN plus homogène. Dès lors, si une recombinaison mitochondriale s'est produite chez nos ancêtres, on est en droit de penser que la diversité des séquences d'ADNmt était plus grande dans le passé - et on peut s'attendre à davantage d'écart entre les séquences anciennes et celles d'aujourd'hui, plus homogènes. Erika Hagelberg estime: « L es Néandertaliens pourraient être plus proches parents des hommes d'aujourd'hui que ne semble l'indiquer l'ADNmt ». Pour Svante Pääbo: « L a recombinaison est une possibilité envisageable, mais elle n'est pas démontrée. » Il observe que les Néandertaliens étaient confinés à l'Europe et à l'ouest de l'Asie. S'ils sont à l'origine d'hommes modernes, ils devraient donc être plus proches des habitants de ces régions. Mais « la différence entre l'ADN des Néandertaliens et celui des hommes modernes est la même partout dans le monde ». Aux yeux de ce chercheur, il est donc peu probable que ces hommes soient les ancêtres des Européens.

Notre grand-mère à tous . La recombinaison mettrait enfin en cause la thèse de l'Eve mitochondriale, cette femme dont l'ADNmt serait l'ancêtre de celui de tous les humains. L'étude de l'ADN mitochondrial de personnes vivant sur tous les continents révèle une homogénéité surprenante, ce qui a conduit à penser que nous descendons tous d'une femme qui vivait en Afrique il y a à peine 200 000 ans. Mais, explique Erika Hagelberg, cette homogénéité pourrait être due à la recombinaison et non à l'existence d'un ancêtre commun récent. Svante Pääbo confirme : « S'il y a eu des recombinaisons, l'Eve mitochondriale n'a pas existé. » Selon le bioinformaticien David Penny, néanmoins, tant que les scientifiques n'auront pas déterminé à quelle fréquence se produisent ces recombinaisons de l'ADN mitochondrial, « il sera difficile de savoir comment elles affectent les analyses phylogénétiques ».

Si des méthodes statistiques sont aujourd'hui élaborées pour prendre en compte la variabilité d'évolution des gènes, tous les chercheurs ne sont pas encore convaincus de leur pertinence. Certains spécialistes de l'évolution moléculaire modélisent l'amplitude des erreurs statistiques affectant les analyses fondées sur le principe de l'horloge pour que ces dernières puissent répondre de façon fiable à des questions bien définies. D'autres, comme Jeffrey Thorne, de l'université de Caroline du Nord à Raleigh, s'efforcent de rendre les statistiques plus puissantes. Ils mettent au point de nouveaux outils permettant d'attribuer différentes probabilités aux diverses substitutions de nucléotides et aux variations de la vitesse de substitution à certains moments de l'évolution. « On peut en effet s'attendre à ce que des espèces étroitement apparentées aient des vitesses d'évolution moléculaire plus proches que des espèces plus éloignées », explique Jeffrey Thorne. « Nous testons cette hypothèse, puis nous utilisons des méthodes statistiques pour évaluer dans quelle mesure le modèle rend compte des données. »

Pendant que les statistiques s'améliorent, les études sur le principe de l'horloge bénéficient de tous les travaux de séquençage en cours. « Nous rassemblons des quantités de gènes de quantités d'organismes », constate Blair Hedges. Les taux de mutation étant variables dans différentes branches pour différents gènes, « il faut travailler sur un grand nombre de gènes ». Loin d'abandonner la partie dans le domaine des horloges moléculaires, les chercheurs continuent à tenter d'extraire de ces modèles toutes les significations qu'ils peuvent recéler.
1 « Mitochondria make a comeback », Science special section, 283 , 1475, 1999.

2Chau-Ti Ting et al., Science, 282 , 1501, 1998.

3G.A. Wray, J.S. Levinton, L.H. Shapiro, Science, 274 , 568, 1996.

4S. Kumar, S. Blair Hedges, Nature, 392 , 917, 1998.

5M. Foote et al., Science, 283 , 1310, 1999.

6P. Ivanov et al., Nature Genetics, 12 , 417, 1996.

7Erika Hagelberg et al., Proceedings of the Royal Society of London B, 266 , 485, 1999.

8Adam Eyre-Walker, N.H. Smith, J. Maynard Smith, Proceedings of the Royal Society of London B, 266, 477, 1999.

9 M. Krings et al., Cell, 90 , 19, 1997.

 

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SOMMEIL PARADOXAL

 

 

 

 

 

 

Paris, 12 décembre 2016
Sommeil paradoxal : ces neurones qui nous paralysent

Lors du sommeil paradoxal, le cerveau inhibe le système moteur, ce qui rend le dormeur complètement immobile. Des chercheurs CNRS travaillant au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/Inserm/Université Jean Monnet) ont identifié une population de neurones responsables de cette paralysie transitoire des muscles. Le modèle animal créé permettra de mieux comprendre l'origine de certains troubles du sommeil paradoxal, en particulier la maladie qui empêche cette paralysie corporelle. Il sera également d'une grande aide pour étudier la maladie de Parkinson, les deux pathologies étant liées. Ces travaux sont publiés le 12 décembre 2016 sur le site de la revue Brain.
Pourtant plongé dans un sommeil profond, le patient parle, s'agite, donne des coups de pied et finit par tomber de son lit. Il souffre d'une forme de parasomnie appelée REM Sleep Behavior Disorder1 (RBD), une maladie du sommeil qui se déclare aux alentours de la cinquantaine. Alors que pendant la phase de sommeil paradoxal, les muscles sont au repos, chez ce patient, la paralysie corporelle est absente, sans que l'on sache bien pourquoi. Il exprime alors des mouvements anormaux reflétant très probablement son activité onirique.

Une équipe du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Claude Bernard Lyon 1/Université Jean Monnet) a fait un pas de plus dans la compréhension de cette pathologie. Les chercheurs ont identifié dans le cerveau les neurones du noyau sub-latérodorsal, idéalement placés pour contrôler la paralysie du système moteur pendant le sommeil paradoxal. Chez le rat, ils ont ciblé spécifiquement cette population de neurones en y introduisant des vecteurs viraux génétiquement modifiés2. Une fois dans les cellules neurales, ceux-ci bloquent l'expression d'un gène permettant la sécrétion synaptique du glutamate. Incapables de libérer ce neurotransmetteur excitateur, ces neurones ne peuvent alors plus communiquer avec leurs voisins. Ils sont déconnectés du réseau cérébral nécessaire à la paralysie corporelle du sommeil paradoxal.

Depuis 50 ans, la communauté scientifique considérait que ces neurones à glutamate généraient le sommeil paradoxal lui-même. L'expérience menée par l'équipe balaye cette hypothèse : même sans aucune activité de ce circuit neuronal, les rats passent bien par cet état de sommeil. Ils sont profondément endormis et déconnectés du monde extérieur, les paupières closes. Pourtant ces rats ne sont plus paralysés. Leurs comportements rappellent très fortement le tableau clinique des patients souffrant de RBD. Les neurones à glutamate ciblés dans cette étude jouent donc un rôle essentiel dans la paralysie corporelle pendant le sommeil paradoxal et seraient prioritairement atteints dans cette pathologie neurologique.

Ces travaux de recherche vont au-delà de la création d'un nouveau modèle préclinique mimant cette parasomnie. Ils pourraient même avoir une importance capitale dans l'étude de certaines maladies neurodégénératives. En effet, de récents travaux de recherche clinique ont montré que les patients diagnostiqués avec le RBD développent presque systématiquement les symptômes moteurs de la maladie de Parkinson, en moyenne une décennie plus tard. L'équipe cherche maintenant à développer un modèle animal évoluant de la parasomnie à la maladie de Parkinson afin de comprendre les prémices de la dégénérescence neuronale.

 

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