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LE LOUP
Autrefois, pour connaître le nombre des caribous et savoir si la chasse serait bonne, les Inuit d'Amérique écoutaient hurler les loups. En Europe alors, ces mêmes hurlements étaient synonymes de danger et inspiraient la peur. Le loup a aujourd'hui pratiquement disparu d'Europe occidentale.
1. La vie du loup
1.1. Les loups chassent le nez au vent
Un loup chasse quand il a faim, seul ou en meute, selon la saison et la taille de sa proie.
Durant l'hiver, les loups se nourrissent d'ongulés souvent plus grands qu'eux : orignal (élan), renne (caribou), chevreuil, etc., qu'ils attaquent en meute. Ils ne chassent pas comme les chiens la truffe collée au sol, mais les oreilles dressées et le nez au vent, attentifs aux effluves et aux bruits qu'une brise peut leur apporter. On sait qu'un loup perçoit l'odeur d'un orignal (élan) à 300 m environ. Il s'immobilise alors, la truffe pointée dans la direction de la proie. À ce signe, tous les autres lèvent la tête pour analyser l'odeur. Chacun, alors, remue la queue et fait des bonds. Puis, gardant le silence malgré leur excitation, ils s'approchent le plus possible, contre le vent.
Chasse en meute
Selon l'adversaire et l'endroit où ils donnent l'assaut, les loups attaquent différemment. Ils ne gaspillent jamais leur énergie à poursuivre longtemps une proie qui s'enfuit. Ils repèrent vite les animaux jeunes, âgés, blessés ou malades, les encerclent et les attaquent. Selon la proie, les loups ont recours à l'embuscade, à la poursuite ou à un mélange des deux. L'un des loups de la meute se montre pour opérer une diversion. Pendant ce temps, les autres encerclent le troupeau, puis se précipitent.
Orignal ou cerf acculés sont capables de fracasser le crâne de leurs assaillants, un bison d'en encorner plusieurs, mais une seconde d'hésitation est fatale à un animal trop jeune, inexpérimenté ou malade. Les bœufs musqués se défendent collectivement, en formant un cercle, épaule contre épaule et cornes basses. Devant une résistance opiniâtre, la meute préfère rompre l'engagement et partir en quête d'un adversaire moins coriace – ce qui est très fréquent.
La proie est rarement mise à mort du premier coup. Les loups cherchent à mordre les pattes, l'épaule, les flancs ou la croupe. Il faut parfois plusieurs assauts et de nombreuses poursuites pour faire tomber la proie. Un loup se pend à son mufle pour la paralyser pendant que d'autres s'accrochent à sa croupe. Étourdie par ses assaillants, attaquée de toutes parts, elle finit par succomber.
La majeure partie de l'animal tué est dévorée sur place – un loup mange de 9 à 10 kg de chair par repas. Lors de la curée, le mâle dominant écarte ses subalternes avec autorité. Il tolère que sa compagne le rejoigne, puis, repu, il laisse les restes aux autres loups. Dans la mêlée, chacun s'efforce de prélever sa part.
Il arrive que les loups soient rassasiés avant d'avoir tout dévoré. Ils enterrent alors les restes à l'abri des mouches, des corbeaux et des pies. Ces réserves de viande font la joie des renards et autres petits carnivores.
Chasses en solitaire
Durant l'été, les loups se nourrissent pour moitié d'ongulés (daim ou chevreuil) et pour moitié de divers petits animaux – rongeurs, marmottes, castors, lapins. Un individu seul peut tuer une proie isolée. Quand il l'a repérée, il se met à l'affût et s'élance pour la saisir à la gorge et n'en faire qu'une bouchée.
Le loup n'hésite pas non plus à pêcher dans les eaux peu profondes : il patauge le plus bruyamment possible en remontant le courant ; ou bien, allongé sur la rive, il fait sauter les poissons hors de l'eau, d'un coup de patte habile.
1.2. Un couple dominant fait régner l'harmonie
La vie de la harde repose toujours sur la personnalité du couple leader. Celui-ci est, en général, âgé de 4 ou 5 ans. La disparition de la femelle ne provoque pas de sérieuses perturbations. À la mort du mâle, au contraire, le groupe perd sa cohésion et souvent se disloque. Plus le dominant est un « bon » dominant, plus les relations au sein d'une même harde sont amicales et sans agressivité. Chaque loup a une forte personnalité et les qualités de chacun sont utilisées. Ce n'est pas, seulement, semble-t-il, son âge, sa force et son agressivité qui permettent à un individu de s'imposer aux autres. Son pouvoir repose beaucoup plus sur une conduite si déterminée qu'elle emporte l'adhésion de ses compagnons. Lorsqu'une décision du dominant est unanimement désapprouvée, l'avis général l'emporte et le leader s'y soumet.
Certains loups ont du mal à accepter la discipline qui leur est imposée. Ils quittent alors la meute, essaient de s'intégrer dans un autre groupe ou vivent seuls. Les loups solitaires sont, d'ordinaire, des individus jeunes, à la recherche d'un territoire ou d'une femelle. Ils longent le territoire des autres en restant discrets : ils s'abstiennent de hurler ou de déposer des marques odoriférantes, sans doute pour éviter les combats.
Bien qu'il décide des directions, des déplacements, le dominant mâle ne conduit pas toujours la meute. C'est alors la femelle dominante ou un dominé de haut rang qui le remplace. La hiérarchie est au contraire strictement respectée lors de la curée. Tandis que le mâle dominant se rassasie, des batailles éclatent alentour : la meute règle ses vieilles querelles. La raison du plus fort l'emporte.
Un seul couple se reproduit
Pendant 3 semaines, à la fin de l'hiver, la femelle entre en chaleur. La hiérarchie est alors renforcée, et plus dure à supporter pour les mâles dominés. Une seule femelle s'accouple d'ordinaire et les autres peuvent se battre pour ce droit. La compétition entre mâles est parfois très âpre : un individu immédiatement inférieur au dominant peut se montrer si gênant que l'accouplement est différé. Ou encore ce trouble-fête en profite pour s'accoupler avec la femelle dominante. De même, une femelle d'un rang moindre peut bénéficier des faveurs du mâle dominant. Mais, en général, le couple dominant reste fidèle.
Les loups se courtisent avec une étonnante tendresse. Ils se servent d'un rituel amoureux très expressif : baisers dans le cou, mordillement des lèvres, petits coups de langue rapides sur les joues, les oreilles ou le cou. La louve se frotte contre le mâle, elle pose ses pattes sur le dos du loup ou sa tête sur ses épaules.
Lors de l'accouplement, les loups restent, comme les chiens, prisonniers l'un de l'autre pendant 15 à 30 minutes. Ce phénomène est dû à une morphologie particulière des organes génitaux du mâle et de la femelle, et compense une certaine lenteur des processus physiologiques. Elle évite que des unions trop brèves soient stériles. Le loup et la louve s'accouplent deux ou trois fois par jour, durant toute la saison des amours. C'est à cette période précisément que s'établit, pour plusieurs mois, la hiérarchie de la meute.
1.3. Les loups hurlent en meute
Adolph Murie est le premier, en 1939-41, à observer des hardes de loups sauvages dans le parc national du mont McKinley, en Alaska. Il constate notamment qu'on trouve toujours un mâle et une femelle à la tête de la meute. L'effectif de la harde va de ce couple de base jusqu'à une dizaine de loups, sans compter les petits ; il varie selon la saison, la population de loups dans la région, la taille et la densité des proies. Dans les îles arctiques du nord du Canada, on compte 9 loups pour 1 000 caribous sur 10 000 km2, et 100 cerfs pour un seul loup dans le parc Algonquin (25 km2). En Espagne, ou en Italie (parc des Abruzzes), les hardes étaient autrefois constituées de 12 à 15 individus. Aujourd'hui, elles sont souvent réduites à de petites cellules familiales, faites d'un couple et de ses louveteaux.
Les études de L. David Mech dans l'Isle Royale, au Canada, ont mis en lumière les comportements de territorialité des loups. Chaque harde délimite une zone dont sont exclus les loups « étrangers ». Ce territoire s'étend de 100 à plus de 1 000 km2, selon la densité des proies. Jusqu'à 150 km de pistes balisées sillonnent le territoire.
C'est le mâle dominant qui, dans la majorité des cas, commande la harde. Il choisit le territoire, prend l'initiative des chasses et des déplacements du groupe. Il veille à la sécurité de ses subordonnés et au maintien de l'ordre dans la meute. Le travail est réparti selon les aptitudes de chacun à trouver les proies, à les poursuivre ou à les tuer.
Tous marquent les limites du territoire et les itinéraires avec urine ou excréments. Là encore, l'initiative et le choix de l'endroit reviennent au dominant.
Importance des rituels
La harde obéit à une hiérarchie stricte et durable : la position de chacun ne peut être remise en cause qu'à travers des événements tels qu'un décès ou la formation d'une nouvelle meute. Le respect de cette hiérarchie et, donc, la cohésion du groupe reposent sur des modes de communication olfactifs, sonores et visuels. Ainsi, les loups ont tout un code d'attitudes, de postures et de mimiques. Quand deux loups d'une même harde se croisent, celui qui domine marque son rang. Pour se reconnaître, les loups se reniflent la tête et l'arrière-train, mais soutenir le regard est un signe de provocation.
Lorsque deux loups se rencontrent, le dominant adopte une attitude agressive ; il reste immobile, oreilles dressées, crinière hérissée, queue levée, pattes droites. L'animal de rang inférieur avance, oreilles baissées et queue entre les pattes. Puis il s'accroupit et lèche le museau de son congénère en signe de soumission. Si l'autre animal reste en posture de domination, queue et oreilles dressées, corps raide, le loup dominé se couche sur le dos, urine et présente ses organes génitaux.
Les premières études de John B. Théberge et J. Bruce Falls (1967) ont révélé que le loup a cinq façons de donner de la voix. La plus caractéristique, le hurlement, s'entend à plus de 8 kilomètres. Les loups ne hurlent que sporadiquement (toutes les dix heures, d'après le zoologue américain Fred Harrington), en général avant ou après la chasse. La meute signale ainsi sa présence aux hardes voisines. Mais elle peut aussi hurler sans raison apparente, pour le plaisir. Le loup aboie (alerte), jappe (amitié), gronde (désaccord et mise en garde), gémit (soumission ou amitié). Chaque individu a son timbre de voix, qui est toujours parfaitement reconnaissable.
1.4. Des louveteaux turbulents élevés par le groupe
La gestation dure environ deux mois. Quelques semaines avant la naissance, la louve prépare une ou plusieurs tanières à des emplacements différents. Ainsi peut-elle déménager si elle ne sent plus ses petits en sécurité. Selon ce qui est à sa disposition, elle choisit une grotte, une souche creuse, un trou entre deux racines, un arbre renversé, le terrier d'un autre animal.
Alexander W. F. Banfield, naturaliste canadien, a même découvert un jour une tanière sous des arbres renversés, avec une peau de wapiti en guise de toit ! Dans les régions chaudes et sèches ou dans la toundra, la louve est souvent obligée de creuser une simple cuvette sous les buissons ou une galerie dans le sable. Les tanières se trouvent presque toujours à proximité d'un point d'eau : durant l'allaitement, la louve a besoin de boire davantage. Prévoyante, elle enterre à proximité des provisions de viande. Aucun loup n'a le droit de venir la déranger. Postés aux alentours, son compagnon et le reste de la harde assurent sa sécurité.
La portée compte en général cinq louveteaux de 300 à 500 g, aveugles et sourds, au pelage sombre et ras. Durant dix jours, ils mènent une vie végétative, dormant et se gorgeant de lait aux huit mamelles de leur mère. Celle-ci les nettoie en les léchant, car ils ne savent pas uriner ni déféquer seuls sans se salir. On pense qu'ils apprennent ainsi le rapport entre la position couchée sur le dos et la soumission passive qu'ils conservent dans leur comportement d'adulte.
Au bout de trois semaines, ils ont les yeux ouverts et commencent à marcher. Puis, couverts d'un épais duvet, ils sortent de la tanière. Vers six semaines, débute le sevrage. Les louveteaux deviennent rapidement trop gros pour s'entasser dans la tanière et peuvent désormais se passer de sa protection. À la fin du deuxième mois, la louve les emmène dans un endroit plus, proche des troupeaux. La meute abandonne parfois les jeunes loups une journée pour aller chasser. À 3 mois, leur duvet fait place à la livrée des adultes. À 7 mois, ils suivent la harde dans ses déplacements. Les mâles sont matures à 3 ans, les femelles à 2 ans.
Dès la naissance, les louveteaux luttent pour survivre. L'accès aux tétines est difficile ; ils craignent le froid et l'humidité ; ils sont recherchés par l'aigle et le grand duc. Jusqu'à dix mois, de 50 à 80 % d'entre eux peuvent trouver la mort.
Soins communautaires pour les louveteaux
Les petits sont pris en charge par les parents et la meute entière. Mais, durant les premières semaines, seule la mère s'en occupe. Son mâle et le reste de la meute l'approvisionnent devant la tanière. Elle reçoit sa part de la chasse sous forme de morceaux entiers ou régurgités. Les louveteaux et le groupe font alors peu à peu connaissance. Très vite, les petits hurlent et grognent pour réclamer leur nourriture. Désormais, la louve s'absente afin de chasser ou se reposer : les louveteaux sont alors placés sous la surveillance d'un « protecteur », mâle ou femelle, qui les défend et joue avec eux.
Des louveteaux joueurs
Quand les louveteaux ne sont pas occupés à manger ou à dormir, ils jouent entre eux avec des cailloux, des feuilles. Ils se révèlent très chahuteurs avec les adultes. Ceux-ci sont très patients lorsque la jeune classe leur mord les babines ou monte sur leur dos. À l'âge de 2 mois, les jeux sont plus brutaux et les adultes moins patients. Ils leur enseignent l'art de la chasse, l'embuscade, l'affût, l'attaque, l'esquive. Presque adultes, ils jouent encore beaucoup. Les jeux avec les adultes sont une occasion d'apprendre à respecter la hiérarchie, mais aussi d'échanger beaucoup de tendresse.
1.5. Milieu naturel et écologie
Apparu il y a environ 2 millions d'années, d'abord sur le continent américain puis en Eurasie, le loup s'est répandu dans tout l'hémisphère Nord. Seuls les déserts et la forêt tropicale ont arrêté son expansion vers le sud. Peu de régions sont restées hors de sa portée exceptés les sommets les plus hauts où le climat est trop ingrat. Cette prodigieuse capacité d'adaptation en a fait l'unique être vivant directement concurrent de l'homme, le berger comme le cultivateur.
Il y a encore deux cents ans, le loup est un mammifère extrêmement répandu. Mais, victime des persécutions qui lui sont infligées par l'homme depuis des siècles, repoussé par l'extension des pâturages et des villes, cet animal prudent et timide s'est replié vers des régions plus hostiles, vides d'hommes.
Il est pratiquement impossible d'estimer avec précision les effectifs actuels des loups, car ils sont très fluctuants. On peut tout au plus donner des approximations. Dans le monde, à la fin des années 2000, on estime que le nombre de loups est compris entre 190 000 et 217 000.
Trois pays principalement sont riches en loup :
– la Russie : 25 000 à 30 000 loups au début des années 2000 ;
– le Kazakhstan : environ 30 000 ;
– le Canada : de 52 000 à 60 000.
En Asie, le loup est encore présent en Mongolie (entre 10 000 et 20 000 loups) et en Chine (environ 12 000 animaux) ; ailleurs sur le continent, il survit sous la forme de petites populations isolées. En Amérique du Nord, il existe aux États-Unis (15 000 à 16 000 individus en incluant l'Alaska, où il est encore assez fréquent — ailleurs dans le pays, il est devenu très rare), et au Mexique où, au bord de l'extinction (quelques individus seulement), il est protégé. En Europe, la situation est très variable selon les pays. C'est surtout en Europe orientale et centrale que les loups se maintiennent le mieux (outre la Russie, notamment en Biélorussie, avec 2 000 à 2 500 loups, en Ukraine, avec environ 2 000 individus, en Roumanie, avec 2 500 bêtes).
Dans les pays d'Europe occidentale (à l'exception de l'Espagne, où l'on estime le nombre d'individus à environ 2 000), la situation est plus critique. Cependant, des mesures de protection et l'application de permis de chasse soumis à des conditions très strictes assurent un peu partout la remontée des effectifs, voire sa réapparition dans des pays desquels il avait totalement disparu.
La France devait compter 5 000 loups au début du xixe siècle. Elle n'en avait plus que 500 en 1900 et qu'une dizaine en 1930. L'espèce a ensuite rapidement totalement disparu du territoire (bien auparavant, en Europe de l'Ouest, le loup avait disparu d'abord en Angleterre [1486], puis en Écosse [1770]). Le loup est réapparu en France dans les Alpes (Mercantour) en 1992, sous la forme de quelques individus isolés venus d'Italie, où le loup reprenait pied. Aujourd'hui, on estime que sa population totale sur le territoire français est comprise entre 80 et 100 animaux.
En Italie, le Progetto Lupo (« Projet Loup ») initié par le WWF (Fonds mondial pour la nature) a de fait porté ses fruits. D'une centaine de loups au milieu des années 1970, la population lupine de la péninsule est estimée entre 500 et 700 individus au milieu des années 2000. Depuis l'Italie, le loup est d'abord réapparu en France puis, à partir de l'Italie et de la France, en Suisse au début des années 2000 (quelques individus seulement).
Un superprédateur et un régulateur écologique
Dans les régions où pullulent les grands cervidés (Canada, Asie du Nord), le couvert forestier subit une dégradation constante au fur et à mesuré que ces herbivores s'alimentent. Or, même après la création du parc national de l'Isle Royale, en 1940, la population d'élans variait énormément (de 1 000 à 3 000) selon les périodes d'abondance ou de famine. Les études de D. Mech et de son équipe ont montré qu'après l'arrivée des loups, en 1949, cet effectif s'est stabilisé (entre 600 et 800 bêtes) en quelques années. Alors que 225 jeunes naissent tous les ans, les 25 loups du parc tuent pendant ce temps 140 jeunes et 85 adultes, soit 225 bêtes. Depuis ce temps-là, la forêt ne présente plus d'indice de surpâturage.
Par ailleurs, dans les régions où les loups ont été systématiquement abattus (comme en Pologne durant la Seconde Guerre mondiale), on a constaté que les rennes étaient victimes de maladies épidémiques d'une ampleur nouvelle. Auparavant en effet, les loups, en éliminant les bêtes faibles, vieilles ou malades des troupeaux, contribuaient largement à ce que ceux-ci restent sains et résistants.
À la suite de plusieurs saisons de reproduction réussies au sein d'une meute, une majorité de petits étant parvenue à l'âge adulte, le nombre de loups augmente. C'est un symptôme de bonne santé des populations. Une telle augmentation d'une population lupine déclenche des réactions en chaîne. D'une part, les rivalités et la contestation s'accroissent au sein de la meute, qui procède alors à des exclusions. La rupture de l'harmonie sociale empêche la plupart des accouplements et les soins aux petits. D'autre part, plus les loups sont nombreux, plus le nombre de proies par individu diminue et la famine les menace. Lorsque le jeûne se prolonge, les loups deviennent moins résistants et vulnérables aux multiples parasites internes ou externes qui les infestent (tiques, poux, puces, gale, etc.). La natalité se met, une fois encore, à baisser, ce qui a pour effet de réguler la population de loups.
Une brusque réduction de la densité des proies, due à des modifications de leur environnement, peut aussi aboutir à une réduction de la natalité des loups. En réalité, le comportement social de Canis lupus s'avère être le plus puissant obstacle à ces proliférations que l'on observe chez les renards ou les chacals, dont l'organisation n'est pas aussi structurée.
2. Une seule espèce, plusieurs sous-espèces
2.1. Loup gris (Canis lupus)
Le loup gris (ou, plus simplement, loup) est d'un naturel timide et prudent, en particulier vis-à-vis de l'homme, qui depuis longtemps tente de l'exterminer. Il vit au sein d'un groupe social très hiérarchisé, allant de la cellule de base d'un couple à une harde d'une vingtaine d'individus quand les proies sont nombreuses et de grande taille.
Son allure générale est celle d'un chien de traîneau (husky), mais on le compare plus fréquemment au berger allemand, même s'il a quelques caractéristiques physiques différentes. Le loup a un museau pointu, des joues musclées, des oreilles écartées et dressées. Les flancs sont creusés ; la queue, courte et épaisse, est portée très bas. Ses longues pattes dont les coudes avant sont tournés vers l'intérieur constituent sa principale caractéristique. Pourvues de griffes non rétractiles, à croissance continue, elles permettent au loup de creuser la terre pour rechercher un petit rongeur, pour ensevelir les restes de nourriture ou pour se fabriquer une tanière.
Sa cage thoracique est étroite, mais une ventilation accélérée facilite le trot. Agile et rapide, le loup, grâce à sa conformation et sa constitution robuste, est davantage capable d'efforts d'endurance que de brèves mais brillantes performances. Coureur infatigable, il peut parcourir 100 km en une nuit, en quête de proies. Cependant, sa vitesse de pointe ne dépasse guère 64 km/h sur quelques centaines de mètres. Encore faut-il que cela en vaille la peine !
L'espèce Canis lupus regroupe une vingtaine de sous-espèces. La plupart des spécialistes sont d'avis que le pelage du loup s'adapte à l'environnement et au climat. La teinte varie en effet du noir au blanc, selon la région. Les loups des contrées très boisées ont une couleur sombre assez uniforme ; ceux des zones septentrionales sont de couleurs diverses, toujours nuancées de poils gris, bruns ou blancs ; ceux des régions arctiques paraissent blancs à distance, mais, de près, ils laissent voir des nuances grises, noires ou rousses. Cette diversité de couleurs permet aux animaux de mieux se confondre avec leur habitat, et de ne pas être vus quand ils chassent. En outre, les loups de l'Arctique ont, au fond de leur pelage, un duvet très dense qui les protège mieux du froid. Les loups des régions tempérées muent à la fin de l'hiver et semblent beaucoup plus minces jusqu'à l'automne.
L'association en meute, quand ils doivent, pour survivre, chasser des proies de grande taille, est un autre exemple de leur adaptation à l'environnement. Excellents nageurs, ils poursuivent leur proie jusque dans l'eau, même glacée.
Le loup possède une ouïe et un odorat très sensibles, qu'il utilise couramment quand il chasse. Sa vision saisit mieux les sujets en mouvement que les formes immobiles ; elle le conduit parfois à prendre l'homme pour une proie, jusqu'au moment, selon le naturaliste A. W. F. Banfield, où l'animal reconnaît l'odeur humaine et s'enfuit, très effrayé.
Quand la nourriture est abondante, le loup mange beaucoup et digère vite. Prudent, il constitue souvent des réserves, qu'il enterre. Il se montre très frugal pendant les périodes de pénurie : il est capable de jeûner une dizaine de jours sans problème.
Gavé de nourriture, le loup s'accorde de petits sommes de cinq à dix minutes qui se répètent plusieurs fois. Entre deux sommes, il se lève, jette un rapide coup d'œil alentour, tourne sur lui-même et se remet en boule.
2.2. Les sous-espèces
Il existerait une vingtaine de sous-espèces ou races géographiques du loup. En voici quelques-unes :
Loup commun :
- Canis lupus lupus. Forêts d'Europe et d'Asie. Taille moyenne, fourrure foncée et courte.
- Canis lupus italicus. Péninsule italienne (installé en France depuis le début des années 1990).
Loup de la toundra d'Eurasie, Canis lupus albus. Grand, pelage long et clair.
Loup du Mexique, Canis lupus baileyi. Mexique et sud des États-Unis (Arizona). Fourrure ocre clair, gris-noir sur le dos. Très menacé ; seulement quelques individus survivant à l'état sauvage.
Loup du Canada et de l'Alaska, Canis lupus occidentalis. Grand, au pelage long et clair.
Loup des bois, ou du Canada, ou loup de l'Est, Canis lupus lycaon. Est du Canada. Le plus répandu en Amérique du Nord autrefois. Petit, généralement gris.
Loup des plaines, Canis lupus nubilus. Amérique du Nord. Blanc à noir, grand.
Le Loup rouge, Canis rufus, est une espèce distincte du loup gris. Sa fourrure de couleur cannelle à fauve, comporte des traces de gris ou de noir. On le rencontre dans les plaines côtières et les forêts du sud-est des États-Unis. Il est très menacé.
LOUP GRIS
Nom
(genre, espèce)
: Canis lupus
Famille : Canidés
Ordre : Carnivores
Classe : Mammifères
Identification : Ressemble au berger allemand. Cou épais, face large et concave, museau fin, oreilles pointues, queue ébouriffée. Pelage de couleur variable. Mue au printemps
Taille : De 100 à 150 cm de long (femelle < mâle). De 60 à 95 cm au garrot. Queue de 30 à 50 cm
Poids : De 18 à 70 kg
Répartition actuelle : Nord de l'Amérique du Nord, Asie, Moyen-Orient, quelques populations résiduelles en Europe
Habitat : Très varié. Paysages ouverts, forêts à dominance d'arbres à feuilles caduques, banquise
Régime alimentaire : Carnivore. Apports ponctuels de fruits et insectes
Structure sociale : Groupe social de type « couple monogame durable »
Maturité sexuelle : Mâle : 3 ans. Femelle : 2 ans
Saison de reproduction : Début de l'hiver en Amérique du Nord, février-mars en Espagne, mars en Italie, avril dans l'Arctique
Durée de gestation : De 61 à 63 jours, une fois par an
Nombre de jeunes par portée : De 3 à 8 (5 en moyenne)
Poids à la naissance : De 300 à 500 g
Espérance de vie : De 8 à 16 ans (jusqu'à 20 ans en captivité)
Effectifs, tendances : Estimations : de 190 000 à 217 000. Disparu d'une grande partie de l'Europe occidentale et des États-Unis, éteint au Mexique.
Statut, protection : Porte la mention « préoccupation mineure » (2008) sur la liste rouge des espèces menacées d'extinction de l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature) ; protégé sur une partie de son aire de répartition
Remarque : Record de 400 km détenu par un « grand vieux loup » traqué par le Grand Dauphin, de la forêt de Fontainebleau aux portes de Rennes
2.3. Signes particuliers
Cris et hurlements
Le hurlement dure de 1/2 à 11 secondes avec une fréquence de 150 à 780 cycles/s. L'analyse graphique de ce cri, le sonogramme, fait apparaître plus de douze harmoniques (tonalités différentes). Le hurlement est le plus fort et le plus caractéristique des cinq émissions sonores du loup (plainte, grondement, aboiement, jappement aigu, hurlement). Il peut être détecté par l'oreille humaine à 8 km de distance, mais on pense que les loups l'entendent de plus loin. Les loups hurlent seuls ou en groupe, assis, couchés ou debout, à tout âge et toute l'année.
Regard ensorcelant
Les loups ont de beaux yeux, implantés à l'oblique. L'iris est ambré ou blanc bleuté. Le pelage est souvent tacheté de blanc, dessous et entre les yeux. Leur vision n'est pas mauvaise, mais ils l'utilisent peu pour chasser.
Pattes solides
Elles sont longues et musclées. Très souvent, des poils plus sombres forment une rayure verticale sur le devant. Les coudes des pattes avant sont tournés vers l'intérieur et les pieds vers l'extérieur. Les pieds ont 5 doigts dont l'un ne repose pas sur le sol. Les ongles, à croissance continue, ne sont pas rétractiles. À petite allure, les loups placent une patte arrière, à quatre doigts, à l'endroit que vient de quitter une patte avant, laissant une seule trace caractéristique en ligne droite. Quand une meute aborde une courbe, les loups s'écartent les uns des autres ; on peut alors évaluer leur nombre. La patte repose sur 5 coussinets : 1 central, plus grand et 4 petits, situés chacun sous un doigt.
Dents robustes
Ses 42 dents sont robustes et pointues (jusqu'à 27 mm). La pression des mâchoires peut être énorme (15 kg/cm2) : un loup est capable de briser le fémur d'un élan adulte avec ses grosses prémolaires carnassières. Au bout de dix ans, ces crocs sont usés ; les loups ont alors du mal à s'alimenter et finissent par mourir de faim.
3. Origine et évolution du loup
Il y a 40 millions d'années, un ancêtre des canidés et des félidés, Miacis, vit en Amérique du Nord. Puis, il y a 30 millions d'années, vient l'Hesperocyon ; on a retrouvé jusqu'en Europe un grand nombre de fossiles de cet ancêtre des canidés qui ressemble un peu à une genette. Tomarctus, remontant à 10 millions d'années, est peut-être le premier des canidés véritables. Il n'en reste que des crânes et des dents, mais les paléontologues pensent que ses pattes sont proches de celles des loups, chiens et renards d'aujourd'hui, à quatre doigts serrés.
Avec Canis donnezani surgissent en Europe occidentale les tout premiers membres du genre Canis, il y a environ 3 à 4 millions d'années. L'Homo habilis est déjà là quand les premiers loups (Canis lupus) apparaissent, il y a 2 millions d'années. Par la suite, des changements de climat considérables provoquent le déplacement des grands herbivores. Les loups se répandent alors en Eurasie, puis en Amérique du Nord, terre de leurs lointains ancêtres, en suivant la piste des troupeaux.
La communauté scientifique s'accorde pour voir dans le loup l'ancêtre le plus crédible du chien domestique. On sait qu'au mésolithique et au néolithique une certaine forme de chien vit auprès des hommes, car, lors de fouilles aux États-Unis et en Europe, on a exhumé des ossements datant de 9 000 à 14 000 ans.
La domestication du chien a entraîné progressivement une modification de ses organes internes et des sens du loup, qui ont perdu de leur finesse. Le cerveau s'est allégé (69 % moins lourd que celui du loup). Le chien n'en est pas moins intelligent, mais il est adapté à la vie domestique ; il présente aussi des comportements juvéniles du loup. S'il « retourne à la nature », il se rapproche du loup. Aujourd'hui, le loup vit surtout en Amérique du Nord et en Asie (Sibérie), ainsi qu'en Europe centrale et orientale ; en revanche, s quelques centaines d'animaux seulement courent encore dans les forêts d'Europe occidentale.
Systématiquement pourchassé depuis le Moyen Âge, le loup, en tant que prédateur, joue un rôle indispensable dans la nature. Il est donc urgent de renoncer à nos frayeurs ataviques et de vivre en harmonie avec les loups.
4. Le loup et l'homme
Objet de chasses acharnées depuis des siècles, le loup est toujours craint, alors qu'il a pratiquement disparu de nos régions. Son avenir repose désormais entre les mains de l'homme, qui doit sauver les animaux qui subsistent encore en leur préservant des territoires adéquats et en comprenant leur rôle indispensable dans l'équilibre général de la nature.
4.1. Les enfants-loups depuis la fondation de rome
La légende rapporte qu'une louve aurait nourri Romulus, futur fondateur de Rome, et son jumeau Remus. Depuis, des histoires similaires surgissent de temps en temps, particulièrement en Inde, comme nous l'a raconté l'écrivain Rudyard Kipling dans le Livre de la Jungle (1894), avec l'adoption d'un « petit d'homme », Mowgli, par le Clan des Loups.
Dans la réalité, il est fort peu probable qu'un nouveau-né d'homme puisse survivre dans la tanière d'un loup. Admettons que les loups, en le découvrant, l'épargnent et l'adoptent : comment pourra-t-il passer du lait de louve à la viande régurgitée à l'âge de 2-3 mois, et suivre la meute un mois plus tard ? Et, s'il est déjà assez grand, réussira-t-il à communiquer avec ses frères loups sans oreilles ni queue ni babines retroussables ?
4.2. De haine et de frayeurs
À toutes les époques ou presque, le loup a été considéré en Europe comme un animal nuisible et malfaisant, et la superstition voulait que la rencontre d'un loup soit un présage funeste.
Si l'origine des relations entre le loup et l'homme remonte au paléolithique, c'est au Moyen Âge qu'on le « prend en grippe » en Occident : froid, guerres, disette, épidémies et misère déciment les populations. Alléchés par les cadavres laissés sans sépulture, les loups nécrophages deviennent courants. Ils s'approchent des habitations et les chroniques rapportant des attaques par des loups abondent. Bien que l'on connaisse peu de cas d'hommes tués par des loups, la légende du loup anthropophage était née, et la chasse au loup déclarée. Et, dès cette époque jusqu'au xxe siècle, des primes ont été accordées à ceux qui tuaient les loups.
L'histoire de cette lutte contre les loups, liée à la peur des hommes, suit les progrès de la civilisation. Toutes sortes de pièges plus ou moins élaborés apparaissent. Puis les gros chiens de garde sont équipés d'un large collier hérissé de pointes acérées pour les protéger des loups. Le poison et les armes à feu, au xviiie siècle, marquent une étape décisive. Aujourd'hui, les hommes ont de leur côté la précision des armes et la rapidité des transports. Et, dans le Grand Nord canadien, la chasse aux loups en motoneige est un sport très apprécié des amateurs. Pourtant, un loup pris au piège renonce à toute résistance et quelques cailloux bien lancés ou un gros bâton suffisent à le tenir en respect.
4.3. Les efforts de quelques hommes pour sauver les loups
Les loups ont été exterminés en de nombreux endroits du globe. Toutefois, des excès de cette nature sont moins à redouter pour les années à venir, le regard porté sur cet animal s'appuyant de plus en plus sur des études biologiques plutôt que sur des réactions émotives.
En ce qui concerne l'Europe et l'Asie, une initiative intéressante a été prise dès 1973 par la Commission du service de sauvetage (CSS) de l'Union mondiale pour la nature (UICN) : la création d'un groupe de spécialistes des loups. Ces éco-éthologistes de plusieurs pays se réunissent régulièrement. Outre l'étude des populations de loups, ils travaillent à la conservation de l'espèce et à l'information du grand public. Leur premier principe s'énonce ainsi : « Le loup, comme toute espèce vivante, a le droit d'exister à l'état sauvage. Ce droit ne dérive en aucune façon de la valeur qu'il peut avoir éventuellement pour l'homme. Il découle du droit que possèdent toutes créatures vivantes, en tant qu'éléments des écosystèmes naturels, de coexister sans être entravées par l'homme. » (D.H. Pinlott, 1973.)
Les différentes mesures de protection prises au niveau de l'Union européenne ont permis une remontée des effectifs du loup dans plusieurs régions de l'Europe occidentale. En dépit de ces avancées positives, l'espèce y reste rare et menacée. Sa présence implique également de gérer les dégâts qu'il inflige aux troupeaux de bétail, notamment de moutons. La cohabitation avec les éleveurs des régions pastorales ne va en effet pas sans heurts.
L'Égypte ancienne vénérait le loup comme un de ses dieux les plus importants ; l'Inde le considère comme un animal sacré ; depuis longtemps les Inuits ont compris son rôle écologique et le respectent, s'en faisant même un allié pour la chasse. Les autres populations humaines sauront-elles finalement, à l'exemple de ces peuples, vivre en harmonie avec les loups rescapés du massacre ?
4.4. Le loup rouge, histoire d'une disparition
Dans la plupart des États du sud-est des États-Unis, le loup rouge (Canis rufus) étendait sa domination sur des forêts de pins inviolées, des marais et des savanes côtières. Il n'était guère dangereux, pas même pour le bétail. Mais des campagnes d'extermination ont été entreprises, dès la fin du xixe siècle et jusqu'en 1963. Durant cette première partie du xxe siècle, les agents fédéraux américains ont abattu 10 275 loups, dans les États de l'Arkansas, du Texas et de l'Oklahoma.
Entre 1930 et 1940 s'est produit un étrange phénomène. Dans les régions où les loups étaient pris au piège ou empoisonnés, l'espèce disparaissait complètement, créant ainsi un vide écologique. C'est aussi à cette époque que dans l'Ouest, au Texas, on a observé un début de croisement entre coyotes et loups, conséquence de l'irruption de l'homme dans leur habitat. Tout naturellement, ces hybrides ont émigré à l'est et ont occupé la place laissée vacante par les loups rouges. Comme les mâles de race pure manquaient, l'hybridation s'est poursuivie, suscitant une nouvelle menace pour l'espèce entière Canis rufus.
Coyotes et hybrides ont donc envahi des zones où ils ont fait naître des problèmes de déprédation bien plus grands que ceux que les loups rouges avaient jamais posés.
En 1980, le loup rouge était éteint à l'état sauvage. Cependant, en 1987, sa réintroduction à partir d'animaux en captivité a permis l'établissent d'une petite population dans l'est de la Caroline du Nord. Mais, avec des effectifs très faibles – au milieu des années 2000, une cinquantaine d'individus adultes, en tout moins de 150 loups rouges dans la nature –, l'espèce reste proche de l'extinction.
4.5. Amarok, l'esprit du loup
Les Inuits et les Amérindiens d'Amérique du Nord ont depuis toujours considéré le loup (amarok en langue inuit) comme un associé dans la recherche de leur nourriture.
Par le type de chasse qu'il pratique, le loup entretient les populations de gros gibier, contrairement à l'homme qui élimine les plus beaux spécimens. De cette observation, les Inuits ont tiré une légende que Fairley Mowat a retranscrite en 1974.
Au début du monde, seuls l'Homme et la Femme marchaient sur la Terre. Il n'y avait aucune autre présence vivante sur terre, aucun poisson dans l'eau, aucun oiseau dans le ciel.
Un jour, la Femme décida de creuser un grand trou dans le sol, et en tira tous les animaux de la création. Le dernier fut le caribou. Alors, Kaïla, le dieu du Ciel, lui expliqua que le caribou était un animal qui avait une grande importance pour la race de l'Homme, et que c'était le plus grand cadeau qu'elle pouvait recevoir car il ferait vivre l'Homme. La Femme relâcha le caribou et lui dit de se répandre sur la Terre et de se multiplier.
Bientôt, les caribous furent si nombreux qu'ils formèrent des troupeaux et que les Fils de la Femme purent vivre en les chassant. Ceux-ci ne tuaient que les animaux gros et gras, laissant les petits, les maigres et les malades, moins bons à manger. Un jour, il ne resta plus que ceux-ci dont les Fils ne voulaient pas de peur, en les mangeant, de devenir faibles et malades comme eux.
Les Fils allèrent se plaindre à la Femme qui alla à son tour se plaindre à Kaïla. Le dieu du Ciel écouta les demandes de la Femme, puis il alla rendre visite à Amarok, l'esprit du Loup. Il lui demanda que ses enfants, les loups, mangent les caribous petits, maigres et malades pour que les troupeaux redeviennent nombreux, les animaux gros et gras, et que les Fils de la Femme puissent de nouveau les chasser.
Amarok, l'esprit du Loup, accepta et désormais les loups mangèrent les caribous les plus faibles pour que les troupeaux restent sains. « Et pour les Fils, le loup et le caribou ne sont devenus plus qu'un. Car, si le caribou nourrit le loup, le loup conserve le caribou en bonne santé. »
4.6. Quand on parle du loup...
Le loup n'en finit pas de hanter l'imaginaire des hommes d'hier et d'aujourd'hui...
Du conte le Petit Chaperon rouge qui, avant d'être adapté par Charles Perrault à la fin du xviie siècle, appartenait à la tradition orale française, de la poésie les Loups de Paul Verlaine ou encore de la chanson de Serge Reggiani Les loups sont entrés dans Paris, jusqu'au loup de Tex Avery, le thème du loup fait florès. Aujourd'hui, les enseignes et marques commerciales continuent à jouer à « loup, y es-tu ? ».
Le loup est toujours présent dans le langage quotidien, même s'il a disparu de notre environnement. On marche silencieusement, « à pas de loup », on se met « à la queue leu leu » dans les sentiers étroits (leu est le nom du loup en français ancien). On déclare avoir une « faim de loup », on se promène « entre chien et loup », à la tombée de la nuit, on se « jette dans la gueule du loup ».
Mais une « gueule-de-loup » est une fleur, une « vesse-de-loup » un champignon, et le lynx est aussi appelé loup-cervier. Si l'on vous parle d'un « loup », à quoi penserez-vous d'abord : au poisson, au masque, ou plus simplement à l'animal ?
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ART PARIÉTAL |
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Plan
* art pariétal
* 1. Historique des découvertes
* 2. Méthodologie et problématique
* 3. Datation des œuvres
* Trois grandes périodes figuratives
* 4. Spécificités régionales
* 4.1. Europe
* 4.2. Asie
* 4.3. Afrique
* 4.4. Australie
* 4.5. Amériques
* 5. Interprétations
Plan
art pariétal
(latin paries, -etis, mur)
Cet article fait partie du dossier consacré à la préhistoire.
Se dit du décor (peinture, sculpture, etc.) d'un mur, d'une paroi. (En préhistoire, synonyme : rupestre.)
Les peintures et gravures, exécutées sur des parois rocheuses, qui constituent l'art rupestre, ou pariétal, n'ont provoqué la curiosité des savants qu'au xixe s. Présentes dans de très nombreuses régions du globe, les plus anciennes peuvent avoir plus de 40 000 ans, mais certaines témoignent de l'art de civilisations antiques ou contemporaines. Outre les problèmes que pose la datation des traces préhistoriques, l'interprétation de leurs motifs variés, allant de figures zoomorphes ou anthropomorphes à des formes abstraites ou des séries de signes, est difficile.
1. Historique des découvertes
N'ayant d'abord pas été considérés comme des vestiges dignes d'attention, les sites d'art pariétal commencent à être signalés au xixe s. En 1818, le capitaine J. K. Tuckey mentionne l'existence de gravures sur l'une des rives du fleuve Zaïre, à Pedra do Feitiço, en Angola. Quelques années plus tard, C. Grey découvre les abris peints de Kimberley, en Australie, où des peintures wandjinas recouvrent des peintures plus anciennes, signalées en 1892 par J. Bradshaw. Les plafonds peints d'Altamira, près de Santander, en Espagne, ne sont remarqués qu'en 1879, alors que la grotte était connue depuis 1868. Pair-non-Pair, en Gironde, est révélée en 1881, la Mouthe en 1894. En Afrique du Sud, R. Maack découvre en 1918 la grotte de la Dame blanche de Brandberg, en Namibie, dont les relevés seront faits en 1928 par L. Frobenius. Les premières informations sur les fresques du Tassili sont communiquées par les lieutenants Lanney et Brénans en 1933, mais il faut attendre 1951 pour que H. Lhote et H. Breuil en publient une étude.
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De nouveaux sites et de nouvelles représentations continuent d'être mis au jour tout au long du xxe s. Le site de Tito Bustillo, dans les Asturies, est découvert en 1968 ; L. Whol accède à la grotte de Fontanet (Ariège) en 1972 : la grotte ornée était inaccessible depuis 12 000 ans, et le sol portait encore les empreintes des mains et des pieds des artistes magdaléniens, conservées dans la glaise. En 1992, la découverte de la grotte Cosquer, dans les calanques de Marseille, puis celle de Chauvet-Pont d'Arc, en Ardèche, en janvier 1995 montrent que des trésors cachés peuvent encore subsister.
Les techniques d'étude et de datation se développent parallèlement aux découvertes et aux fouilles. L'utilisation des radio-isotopes marque un tournant dans la recherche, car il est dès lors possible de dater les objets ornés dans des couches archéologiques. C'est en s'appuyant sur les datations du mobilier (sagaies à base fendue) que A. Leroi-Gourhan pourra établir les premiers jalons d'une chronologie de l'art pariétal en Europe depuis 30 000 ans.
2. Méthodologie et problématique
Sur le terrain, le préhistorien effectue un relevé complet des figures et des signes peints ou gravés, en tenant compte de l'organisation de l'ensemble. L'étude statistique des représentations ainsi que leur position topographique dans les grottes ont par exemple permis à A. Laming-Emperaire et A. Leroi-Gourhan de mettre en évidence l'organisation du dispositif pariétal, avec les figures d'entrée de grotte, les figures d'entrée de chaque composition, celles qui les entourent, celles qui marquent la fin de chaque salle et celles qui en caractérisent le fond.
Les relevés se font sur des feuilles de plastique transparentes, qui permettent une grande fidélité à l'original. On photographie aussi ce dernier, en noir et blanc ou en couleurs, en jouant sur les éclairages rasants qui permettent parfois de mettre en évidence une figure dans un fouillis de traits écrasés par une lumière plate. Lorsque la solidité du fond le permet, on effectue des moulages des gravures. Ceux-ci rendent possible une reconstitution exacte de l'original, à sa taille réelle. Ce sont souvent des empreintes en polymère qui sont exposées au public et dans les musées.
Toutes les techniques de relevé sont utilisées sur le terrain, afin d'attribuer une localisation stratigraphique précise aux objets décorés et aux pigments employés. À ces techniques s'ajoutent la prospection fine et la reconnaissance de sites potentiels.
Complément indispensable du terrain, le laboratoire permet d'affiner la connaissance des différents relevés, de décrire et d'identifier les figures, de proposer une typologie et une terminologie précises. On utilise par exemple l'étude statistique pour analyser les associations d'animaux présents dans chaque site, bœuf-cheval à Lascaux, et bœuf-mammouth à Pech-Merle. Le travail de laboratoire fait appel à de nombreuses disciplines : l'analyse des pigments est réalisée selon les méthodes classiques des minéralogistes, et les espèces animales et végétales sont identifiées avec l'aide de zoologistes et de botanistes. La palynologie (ou étude des pollens) et les datations par radio-isotopes permettent de dater les couches archéologiques, et de proposer un âge absolu pour les objets ornés, mais aussi de dater les patines.
3. Datation des œuvres
On a longtemps utilisé des arguments de chronologie relative pour dater les couches superposées de peinture ou les entrelacs de gravures, déduisant – logiquement – que les couches picturales de surface étaient plus récentes que celles qui sont appliquées directement sur le support rocheux. On identifiait alors des styles en se fondant sur les différentes techniques picturales et les teintes utilisées, ou bien encore sur la perspective adoptée.
Ces observations, bien que très précises et essentielles à la connaissance du site, ne donnent aucune indication de date, ou de durée. En effet, les couches de calcite qui recouvrent certains dessins ne sont pas un gage d'ancienneté, puisqu'il s'agit d'un phénomène qui peut se produire en quelques années comme en plusieurs millénaires, ainsi qu'en témoignent celles très récentes formées dans certaines galeries de mine. La fouille archéologique permettait, pour les parois peintes ou gravées recouvertes par des couches archéologiques, d'établir une date ante quem pour ces peintures ou gravures. La même démonstration pouvait être faite lorsque des blocs de parois peintes ou gravées se trouvaient dans des couches archéologiques.
Les techniques de datation par radio-isotopes donnent un âge absolu à certains sites d'art rupestre, mais pour être significatives ces mesures doivent être considérées avec précaution : ces méthodes, pour fiables qu'elles soient, ont une fourchette d'erreur dont il faut tenir compte. Les sites feront l'objet d'une stratigraphie très fine, visant à trouver des pigments ou des fragments ornés qui seront mis en relation de façon indiscutable avec les représentations des parois. Il est désormais possible de traiter un échantillon très réduit, ce qui permet, pour les peintures à base de pigments charbonneux, de dater directement les peintures comme on le fait également pour les composés organiques, auxquels on applique la « méthode des acides aminés ». Cette autre technique repose sur la connaissance et le calcul de la vitesse de racémisation des acides aminés qui entrent dans la composition des liants des peintures. Ces mesures, pour être fiables, ne demandent que 10 g d'échantillon, et permettent donc de dater directement les liants des pigments posés sur la paroi.
Les gravures rupestres sont bien plus délicates à dater : la plupart du temps, on se réfère aux sujets représentés, qu'il s'agisse d'animaux disparus ou, au contraire, d'objets familiers. Ainsi, les peintures de l'abri de Galanga, en Angola, datent au moins du xvie s., puisqu'on y reconnaît un fusil ! La patine, qui jusqu'à une date récente ne pouvait servir que pour une datation relative, est utilisée, depuis peu, pour l'établissement des datations absolues. Cette méthode appliquée aux gravures de style Panaramittée, en Australie, a donné un âge de 31 500 ans.
Trois grandes périodes figuratives
L'étude de nombreuses gravures et peintures permet de distinguer trois grandes périodes figuratives, qu'on peut rapporter à trois périodes de l'activité humaine : une première période de figuration animale, une autre caractérisée pas des scènes de chasse et, enfin, une période où les scènes de troupeaux et d'agriculture témoignent du passage de groupements humains de l'état de chasseurs-cueilleurs à celui de pasteurs. Cette évolution est en corrélation avec les grands bouleversements climatiques – phases glaciaires et radoucissements – qui ont profondément modifié l'environnement des premiers « artistes ».
4. Spécificités régionales
Si on reporte les sites connus d'art rupestre sur un planisphère, on constate que ce type d'expression artistique est universel et qu'on le retrouve à différentes périodes sur les cinq continents. Néanmoins, l'étude des sites permet de reconnaître des spécificités bien marquées.
4.1. Europe
En Europe, par exemple, la région franco-cantabrique présente une très forte concentration de sites, datés du périgordien au magdalénien : peintures à Altamira, gravures à Pair-non-Pair. Cette région est la seule au monde où les hommes ont choisi la profondeur des cavernes pour exprimer leur art. Ces représentations sont également remarquables par leur pauvreté en figures anthropomorphes.
De nombreuses gravures datent du néolithique : en Europe, ce sont les sites de la vallée des Merveilles (Alpes-Maritimes) et du Val Camonica (Italie), mais aussi ceux des Pyrénées, représentant des animaux à cornes – bouquetins, chamois, chèvres, mouflons et bovins –, des poignards et des scènes agricoles stylisées. Ce style, où l'on reconnaît des attelages et des silhouettes anthropomorphes stylisées, se retrouve dans de nombreux sites jusqu'en Anatolie, en Crimée et aux abords de la mer d'Azov.
4.2. Asie
En Asie, on trouve des scènes de chasse et des compositions naturalistes : troupeaux de cervidés en Chine centrale, chasseurs à l'arc, troupeaux de rennes. En Inde, les grottes peintes montrent aussi des scènes de chasse à l'arc et des scènes naturalistes, représentant parfois des animaux qui ont disparu du sous-continent (rhinocéros et girafes). Un style plus tardif se caractérise par des motifs géométriques.
4.3. Afrique
En Afrique du Sud, à Drakensberg, haut lieu de l'art rupestre, des figures animales sont mises en scène, notamment des antilopes, associées à des représentations humaines. Dans la grotte de Sebaaieni, on trouve une grande scène de chasse et de boucherie. Des hommes sont chargés de pièces de viande. L'éland (une grande antilope), peint en rouge, est omniprésent, couché, dressé ou dansant, dans des postures si étranges qu'on l'a associé à des rites de chamanisme : l'esprit du chaman, endormi au centre des scènes de danse, serait pénétré par la puissance de l'éland.
En Tanzanie, dans les districts de Singida, Kondoa et Irambe, de longues figures humaines, très stylisées, sont accompagnées de bêtes sauvages, ce qui laisserait supposer, selon certains auteurs, qu'il s'agissait d'une population de chasseurs-cueilleurs.
Le Sahara est très connu pour ses fresques, notamment la région des tassilis, le Fezzan et le Tibesti, où gravures et peintures rupestres montrent au moins six périodes correspondant à des styles très particuliers.
La période bubale des sites à gravures du Sud oranais, la plus ancienne, correspond aux représentations naturalistes d'une faune de pays chaud et humide : hippopotames, panthères, éléphants, girafes et surtout bubales (Bubalus [ou Homoïoceras] antiquus). Viennent ensuite les « têtes rondes », figures stylisées où la tête est symbolisée par un cercle, et que les datations, encore partielles, font remonter à 5 000 ans. L'exemple le plus frappant de cette période est le « dieu martien » du site de Jabbaren, dans les tassilis.
La période bovidienne vient ensuite, dominée par des scènes de troupeaux de bœufs, des scènes de chasse et de vie pastorale.
La période caballine, qui la suit, est marquée par l'abondance de représentations de chars tirés par des chevaux. Le climat s'étant modifié, la désertification gagnait le Sahara.
La dernière période, ou période caméline, montre des représentations de chameaux à bosse démesurée, associées à des inscriptions en alphabet libyco-berbère, puis en tifinagh.
4.4. Australie
En Australie, continent exceptionnellement riche en peintures rupestres, on reconnaît deux ensembles bien distincts : dans le Nord et le Sud-Est, on trouve des représentations, souvent gigantesques, de kangourous, de serpents et d'oiseaux ainsi que des figures humaines ; dans le Sud, les représentations, d'une grande homogénéité thématique, figurent des animaux de petites dimensions (oiseaux) et des empreintes de kangourou et sont associées à une multitude de signes géométriques. Ce style est appelé Panaramittée, du nom d'un site qui regroupe plus de 10 000 figures !
4.5. Amériques
Le continent américain, du nord à la Terre de Feu, est également riche en représentations rupestres. Des recherches menées sur les sites brésiliens de la Serra Talhada ont permis d'avancer que l'homme était présent dès − 47000, alors que jusque-là on supposait que les premiers Américains avaient franchi le détroit de Béring il y a 20 000 à 30 000 ans. Un survol des manifestations rupestres américaines montre de nettes spécificités régionales : à l'ouest des États-Unis, les Four Corners renferment une multitude de sites où peintures et gravures abondent, avec des sujets variés – spirales, serpentins, motifs géométriques, soleils, figures anthropomorphes et figurations animales. Les premiers témoignages rupestres sont attribués à la civilisation des « Basket makers ». Les gravures s'échelonnent sur plusieurs millénaires, et les dernières, après la venue des Européens, représentent des chevaux. Plus au sud, au Mexique, sur l'ensemble des 150 gravures de Coamilles, on distingue des figures anthropomorphes et zoomorphes, et des figures abstraites géométriques. À Cuba, la grotte d'El Indio renferme des peintures de motifs géométriques, mais aussi de visages et de masques. Au Venezuela, à Piedras Pintadas, on retrouve cette diversité de sujets, avec des figures géométriques, anthropomorphes et zoomorphes. À Boqueirão da Pedra Furada, au Brésil, les figures anthropomorphes n'ont pas de visage, la tête est figurée par un cercle, un ovale ou bien un rectangle.
À l'extrême sud du continent américain, les sites de Patagonie montrent des séries d'empreintes de mains en négatif, aussi bien à Los Toldos, en Argentine, qu'au Chili. Ce dernier pays est jalonné de sites remarquables pour leurs gravures, mais aussi pour leurs géoglyphes, et de grands ensembles peints et gravés.
Ainsi, dans un même continent, voire dans un même pays, peuvent coexister des styles et des représentations très différents, traduisant, au-delà de grands ensembles culturels, des spécificités régionales et des caractéristiques locales.
5. Interprétations
Au-delà des techniques d'analyse et d'étude, l'art rupestre pose au chercheur l'insoluble énigme de sa lecture. Les empreintes de mains aux doigts mutilés (ou déformés par la maladie ?) trouvées à la Cueva de Las Manos, en Patagonie argentine, et à Gargas, en France, offrent un exemple d'interprétation problématique. Faut-il y voir des ex-voto, des témoignages de guérison, ou des invocations ? Il est difficile de trancher.
En Europe, la rareté des figures humaines dans l'art paléolithique a suscité de multiples théories sur les tabous des représentations anthropomorphes. Des hypothèses avaient été émises sur la signification des représentations zoomorphes, qui étaient associées à des rites magiques ou initiatiques. L'étude scientifique des sites et des associations faunistiques a permis d'écarter progressivement ces hypothèses, et de réfuter la théorie de la « magie de chasse » : en effet, peintures et gravures ne représentent que très peu d'animaux intervenant dans l'alimentation. Comprendre la signification de l'art rupestre passe par une longue et minutieuse étude archéologique, qui permet d'imaginer le complexe réseau de croyances et la symbolique des peuplades disparues. C'est ce que les chercheurs essaient de faire en Australie, par exemple, où les populations aborigènes ont maintenu jusqu'aux années 1970 leur tradition d'art pariétal. Il découle de ces études que les Aborigènes visent divers buts : but esthétique tout d'abord, mais aussi témoignage historique, pour enregistrer des événements économiques, mythiques ou cérémoniels. Les sites deviennent parfois des lieux d'enseignement, lors de cérémonies d'initiation, mais l'art revêt encore une dimension magique lors des rites de sorcellerie.
La recherche archéologique permet de reconstituer la vie matérielle des sociétés du passé : l'étude de l'art pariétal, à travers les techniques de peinture et de gravure, ouvre une fenêtre sur le passé spirituel, rituel et social de ces sociétés.
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Instruments "hauts", instruments "bas" et oppositions symboliques médiévales
À voix « basse », à voix « haute » : ces adjectifs qui caractérisent le volume sonore ne concernent plus aujourd’hui que le domaine vocal alors qu’ils s’appliquèrent aussi, dès le xiiie siècle, aux instruments de musique. Mais si ces expressions appartiennent au langage courant actuel, elles n’en ont pas moins une belle ancienneté puisque, dans le domaine vocal, elles sont déjà en usage au xie siècle. Par la suite, durant tout le Moyen Age, la Renaissance et une partie du baroque, on utilisa « haut » à la place de « fort » et « bas » à la place de « doux » aussi bien dans la musique vocale qu’instrumentale.
[…] Si l’emploi de cette opposition symbolique du haut et du bas dans le domaine vocal est nouveau au xie siècle, la pensée religieuse qui le sous-tend ne l’est pas. En effet, les questions de la douceur, de la suavité ou au contraire de l’excès sonores, et des divers registres moraux qu’ils symbolisent, sont déjà présentes chez les Pères de l’Église. Mais, en choisissant la métaphore de la verticalité qui demeure, au Moyen Âge, la première au plan de sa richesse symbolique, l’homme médiéval a recentré singulièrement la question du volume sonore parmi ses préoccupations religieuses et morales.
Dès lors, cette bipartition sonore va concerner l’ensemble du champ musical. Au xiiie siècle, apparaissent les premières occurrences littéraires d’une catégorisation concernant la plupart des instruments de musique alors en usage : ils sont déclarés « hauts » ou « bas » (de fort ou de faible volume sonore) ou ne sont pas du tout caractérisés. Ce processus n’a pas de genèse bien localisée : il est repéré à peu près dans tout l’Occident chrétien au même moment. […]
Les diverses symboliques du couple « haut » / « bas »
Sans doute le premier niveau symbolique de ce couple a-t-il rapport à la cosmogonie chrétienne, celle-ci introduisant une verticalité symbolique associée à l’idée d’élévation morale et spirituelle. Cette progression verticale, du Mal vers le Bien, n’admet aucune dérogation. L’au-delà a beau se complexifier, devenir tripolaire avec l’apparition du Purgatoire, se subdiviser, se scinder en plusieurs lieux intermédiaires et progressifs, toutes les « échelles » cosmogoniques et morales sont bien celles d’une verticalité linéaire et progressive.
Découlant de cette verticalité morale, depuis le XIIe siècle au moins, une spatialisation de la hiérarchie sociale s’est instaurée, avec d’un côté les « hautes » élites et de l’autre le « bas » peuple. Le terme « haut » s’applique, en effet, aux personnages de tout premier plan de la société féodale, comme le révèlent l’épigraphie et l’archivistique, mais aussi la littérature médiévales. Il n’y a peut-être pas de formule plus explicite que celle extraite de La Vie de saint Thomas le martyr (XIIe siècle) pour caractériser cette dualité sociale : « Mielz vient de basse gent estre bon e munter, Que de halte gent estre e en enfer aler » (mieux vaut être de basse condition, être bon et s’élever qu’être de haute condition et aller en enfer). Cette spatialisation sociale sera régulièrement attestée sous l’Ancien Régime et, depuis, le terme « haute » s’applique familièrement à la classe dominante.
Ces deux pôles moraux et sociaux se rejoignent sur bien des points. Au Moyen Age, les gens de « haut » rang sont supérieurs, « nobles », alors que ceux dont le statut social est « bas » passent pour médiocres, piètres, vils (Gourevitch 1983 : 164). La polysémie du mot « noble » est là pour nous le rappeler qui, au sens social, allie une connotation morale très positive. Cependant, si le haut est le pôle positif d’un couple dont le champ symbolique serait social, cosmogonique et moral en général, il devient brusquement le pôle négatif du large champ symbolique religieux chrétien qui fait du bas le marqueur de l’humilité et du haut celui de l’orgueil.
Cette diversité symbolique du haut et du bas trouve des prolongements dans ses divers marquages sonores. En effet, si le haut social et politique trouve son corrélat sonore dans le haut sonore, le haut cosmogonique possède une symbolique sonore inversée (le ciel, domaine du « haut », et du Très-Haut, baigne dans la suavité et la grande douceur sonores) ; d’autre part, le « bas » peuple n’est pas symboliquement représenté par le bas sonore, tandis que le « bas » cosmogonique, l’enfer, est le domaine d’effroyables tumultes, du haut sonore ; enfin, si le bas religieux est associé au bas sonore, il s’oppose à la symbolique morale en général : un comportement chrétien idéal, bas, n’est pas synonyme de bassesse, bien au contraire. Il faut donc dans ce domaine se prémunir de toute assimilation hâtive qui fausserait irrémédiablement l’analyse symbolique. […]
La place du « haut » et du « bas » dans la spatialisation de la pensée médiévale
Les oppositions symboliques telles que le « haut » et le « bas » ne datent pas du Moyen Age. Expressions d’une pensée morale dualiste dès la Grèce antique (Lloyd 1962), elles ont été reprises par les Pères de l’Église qui en ont fait les nouvelles marques du dualisme moral chrétien. Mais, si elles ont connu une telle fortune au Moyen Âge, c’est qu’à cette époque, tous les champs de la pensée, ainsi que les domaines d’expression qui leur sont rattachés, se spatialisent en une série d’oppositions symboliques telles que intérieur-extérieur, avant-arrière, gauche-droite, haut-bas, etc. Gourevitch a cru déceler dans cette spatialisation dualiste de la pensée médiévale l’empreinte inéluctable du « conflit cosmique du bien et du mal » dont l’histoire universelle de la rédemption est l’illustration la plus parfaite. C’est pourquoi, selon lui, « le temps et l’espace possédaient [au Moyen Âge] un caractère sacral » (1983 : 291). Quoi qu’il en soit, ce processus de spatialisation de la pensée est un phénomène de grande importance dans l’histoire des idées et des mentalités .
Parallèlement à l’émergence d’une conception ternaire de l’au-delà et de l’ordre social au XIIIe siècle, la pensée médiévale s’est structurée autour d’un dualisme symbolique constitué de polarités opposées, positives et négatives, souvent spatiales (verticales, latérales, etc.). Cela est remarquable dans l’iconographie, notamment dans l’imagerie religieuse. Parmi les très nombreux codes de l’image médiévale (Garnier 1982, 1984, 1988), il en est trois qui reviennent sans cesse et qui ont trait à sa mise en espace : le haut et le bas (au-dessus de, au-dessous de), la gauche et la droite, l’avant et l’arrière. Or, les trois, séparément ou parfois combinés, introduisent une connotation morale et religieuse forte.
Ces oppositions symboliques sont toujours constituées d’un pôle positif et d’un pôle négatif. Le problème, c’est que selon l’angle sous lequel on les envisage, le pôle positif peut devenir négatif et inversement. Par exemple, vu sous l’angle religieux, étant donné que le discours chrétien privilégie l’humilité et la retenue, c’est le « bas » corporel qui sera préféré à une attitude « haute », excessive et décriée. Mais la position debout, qui est celle du chrétien en marche, est préférée à la position assise ou couchée, qui est celle de l’oisiveté. Cela peut sembler contradictoire avec le fait que la génuflexion, la prosternation sont des marques fortes de religiosité, alors que, dans certains cas, la position debout est une marque d’impiété. On le voit, ce champ symbolique est d’une interprétation difficile et il ne doit jamais être abordé hors de son contexte. Cela dit, certaines oppositions symboliques ont tendance à privilégier fortement et durablement l’un des deux pôles, par exemple l’intérieur sur l’extérieur ou la droite sur la gauche.
Le couple droite-gauche est un couple stable dans la mesure où, là, c’est toujours la droite qui est valorisée. Cela a été démontré dans quelques études spécifiques (Hertz 1970), mais est avéré aussi dans de très nombreux documents médiévaux. Ainsi, dans le théâtre religieux médiéval, le Paradis est toujours placé à la gauche du spectateur et l’Enfer à sa droite, mais, en fait, à droite et à gauche des acteurs tournés vers le public, ce qui reste l’orientation de référence (Cohen 1974 : LXXXII). Dans l’iconographie religieuse médiévale, la droite est souvent associée au haut, ce qui contribue à valoriser ces deux notions. Robert Hertz rappelle que « la droite représente le haut, le monde supérieur, le ciel ; tandis que la gauche ressortit au monde inférieur et à la terre. Ce n’est pas un hasard si, dans les représentations du Jugement dernier, c’est la [main] droite levée du Seigneur qui indique aux élus leur séjour sublime, tandis que la gauche abaissée montre aux damnés la gueule béante de l’Enfer prête à les avaler » (1970 : 96-7). Cette métaphore de la main droite et de la main gauche pour désigner ce qui est bon, licite, recommandé ou au contraire décrié, illicite, combattu, est utilisée pour caractériser les vertus ou les vices de la parole : dans l’Expositio Regulae S. Augustini, la langue a une main droite, habile pour faire le bien et conduire à la vie, et une main gauche, source de tous les maux et cause de mort (Casagrande, Vecchio 1991 : 101). Les observations iconographiques de R. Hertz sont corroborées par Michel Pastoureau qui identifie, dans un premier temps, un Judas gaucher omniprésent dans l’iconographie religieuse médiévale. Mais, au-delà de ce personnage, et alors que les gauchers sont rares dans l’iconographie, c’est tout un ensemble de personnages « négatifs », exclus et réprouvés, qui sont gauchers : les bouchers, les bourreaux, les jongleurs, les changeurs et les prostituées, mais aussi tous les non-chrétiens (païens, juifs, musulmans) et toutes les créatures infernales (1996b : 79). Cependant, l’opposition droite-gauche dans la pensée symbolique médiévale est de moindre importance que les oppositions haut-bas ou intérieur-extérieur.
Le couple intérieur-extérieur est l’un des deux couples symboliques phares du Moyen Age, avec celui du haut-bas. Dans ce contexte, intérieur et extérieur font référence au comportement du chrétien, l’intériorisation, spirituelle comme corporelle, étant l’un des idéaux chrétiens. L’homme doit cesser d’être un gesticulateur désordonné, un possédé. Il doit apprendre à orienter sa gestuelle dans le sens de la modération qui est la marque de l’intériorité (Le Goff 1991 : 134). De fait, toute l’iconographie du geste est basée sur cette opposition : les possédés, les personnages diaboliques expriment leur état par des gestes convulsifs, désordonnés, disgracieux ; ils sont souvent grimaçants, voûtés, ahurissants. Alors que les élites sociales et religieuses, les clercs sont gracieux, majestueux, sereins, redressés, souriants, béats. Ce traitement iconographique de l’intériorité ou de l’extériorité, portant bien sûr la marque d’une attitude valorisée ou décriée, est souvent très utile pour décrypter le codage symbolique qui entoure l’iconographie musicale médiévale. Selon la posture du musicien, sa gestuelle, sa tenue vestimentaire, son aspect extérieur, sa place dans l’image, etc., on va pouvoir attribuer à l’instrument ou à son contexte une connotation positive ou négative.
S’il fallait établir une hiérarchie entre ces oppositions symboliques, il ne serait pas exagéré de placer en tête le couple bas-haut. Aucun n’est plus universel (Ginzburg 1989 : 100). Ce couple symbolique, que le christianisme a privilégié, a orienté la dialectique essentielle des valeurs chrétiennes (Le Goff 1981 : 11). Cette verticalité symbolique est la plus empreinte de valeurs morales et religieuses car, outre la dimension cosmogonique évidente (le céleste valorisé contre l’enfer négativisé), cette opposition entre haut et bas est bien celle du conflit entre la matière et l’esprit, le corps et l’âme, etc. (Gourevitch 1983 : 77). Cela n’a pas échappé à Mikhaïl Bakhtine, lorsqu’il écrit : « Ce qui caractérise le cosmos, au Moyen Age, c’est la gradation des valeurs dans l’espace ; aux degrés spatiaux allant de bas en haut, correspondaient rigoureusement les degrés de valeur… Les concepts et images relatifs au haut et au bas, sous leur expression dans l’espace et dans l’échelle des valeurs, sont entrés dans la chair et le sang de l’homme du Moyen Age » (1982 : 361). Cette verticalité symbolique est une constante tellement universelle qu’il serait illusoire de vouloir en dresser la liste de ses champs d’application. Signalons ici simplement une très grande œuvre poétique médiévale, la Divine Comédie, qui a connu un immense retentissement au cours des siècles qui ont suivi, qui est tout entière consacrée à la mise en espace religieuse et morale de la cosmogonie chrétienne, et qui est bâtie autour de la verticalité symbolique, celle de l’espace et celle du temps (Kappler 1980 : 25 ; Gourevitch 1983 : 142).
La classification des instruments de musique en hauts et bas s’inscrit totalement dans cet ordonnancement médiéval symbolique dualiste, d’autant que le couple oppositionnel utilisé ici est celui dont la sémantique symbolique est la plus forte. Ce système d’oppositions est avant tout religieux. Il est donc imaginable que cette répartition instrumentale obéit à des critères religieux […].
Références citées dans cet article :
BAKHTINE Mikhaïl, 1970, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, traduction de Andrée Robel, Paris, Gallimard (« Bibliothèque des Idées »).
CASAGRANDE Carla, VECCHIO Silvana, 1991, Les péchés de la langue, Paris, Cerf.
COHEN Gustave, 1974, Le livre de conduite du régisseur et le compte des dépenses pour le mystère de la Passion joué à Mons en 1501, Genève, Slatkine Reprints (1ère éd. Paris, Champion, 1925).
GARNIER François, 1982, Le langage de l’image au Moyen Âge, Vol. II, La grammaire des gestes, Paris, Le Léopard d’Or. 1984, Thesaurus iconographique : système descriptif des représentations, Paris, Le Léopard d’Or. 1988, L’âne à la lyre : sottisier d’iconographie médiévale, Paris, Le Léopard d’Or.
GINZBURG Carlo, 1989, Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion (« Le haut et le bas. Le thème de la connaissance interdite aux XVIe et XVIIe siècles », pp. 97-112).
GOUREVITCH Aaron J., 1983, Les catégories de la culture médiévale, Paris, Gallimard.
HERTZ Robert, 1970, « La prééminence de la main droite : étude sur la polarité religieuse », in Hertz Robert, Sociologie religieuse et folklore, Paris, PUF, pp. 84-109 (1ère éd. 1928).
KAPPLER Claude, 1980, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Age, Paris, Payot (« Bibliothèque historique »).
LE GOFF Jacques, 1981, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard. 1991, L’Imaginaire médiéval : essais, Paris, Gallimard (« Bibliothèque des Histoires »), (1ère éd. 1985).
PASTOUREAU Michel, 1996a, Figures et couleurs : études sur la symbolique et la sensibilité médiévales, Paris, Le Léopard d’Or. 1996b, Couleurs, images, symboles : études d’histoire et d’anthropologie, Paris, Le Léopard d’Or.
Texte extrait de : Luc Charles-Dominique, Musiques savantes, musiques populaires. Les symboliques du sonore en France 1200-1750, Paris, CNRS, 2006, pp. 15-29.
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LE VIOLON |
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violon
Instrument de musique à cordes frottées, tenu sous le menton et joué avec un archet, et considéré, aussi bien dans l'orchestre qu'en solo, comme le roi des instruments.
Les origines
Si le violon connaît, au cours des siècles, une grande floraison d'écrits musicologiques, scientifiques et littéraires, ses origines n'en restent pas moins assez obscures. En effet, il existe souvent une confusion entre les termes vièle, viole, violon, et il est difficile, d'un point de vue organologique, de situer exactement la date de fabrication du premier violon. Sous le rapport de la forme, celui que nous connaissons aujourd'hui a peu évolué depuis le xvie siècle ; son nom apparaît d'ailleurs pour la première fois sous François Ier dans les comptes des Menus Plaisirs du roi, en 1529.
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Le violon aurait pour ancêtre la cithare, faite d'une caisse de résonance percée d'ouïes, d'un manche et d'un système de chevilles. L'apparition de l'archet provoque au Moyen Âge la naissance d'un grand nombre d'instruments à cordes frottées, ce qui en complique les origines : rebecs, gigues, rotes, lyres et, en particulier, vièles à archet qui se rapprochent davantage de notre violon, par leur facture et la façon d'être posés sur ou contre l'épaule pour en jouer. Au xvie siècle, la vièle est désignée sous le nom de viole de bras, en opposition à la viole de gambe, dont la facture est d'ailleurs différente. À cette époque déjà, les familles des violes et des violons coexistent. Ceux-ci sont plutôt réservés à l'accompagnement des danses en plein air, tandis que les violes, à la sonorité beaucoup plus douce, restent l'instrument noble par excellence. En 1592, Zacconi, dans Prattica di musica, présente la famille des six violes avec leur accord. On peut y voir la parenté des deux instruments : la plus petite viole, ou dessus, s'accorde déjà comme notre violon, sur sol-ré-la-mi. Le grand succès de la viole, à la Renaissance, a sans doute contribué à retarder l'apparition du violon dans une musique plus « élaborée », reléguant celui-ci au rang de vulgaire instrument. Les écrits de cette époque l'attestent : peu de théoriciens sont favorables au violon, d'autres n'en parlent pas. Cependant, même s'il n'est pas toujours bienvenu, on voit son importance grandir en lisant l'Épitomé musical des tons, sons et accordz de Philibert Jambe-de-Fer, en 1556 : « Le violon est fort contraire à la viole (…). Nous appelons viole c'elles desquelles les gentils hommes marchantz et autres gens de vertuz passent leur temps. (…)
L'autre s'appelle violon et c'est celuy duquel on use en dancerie communément et à bonne cause » ; ou encore Mersenne dans l'Harmonie universelle, en 1636, qui nous dit n'avoir « jamais rien ouï de plus ravissant on de plus puissant », et en 1680, Furetière, dans son dictionnaire, le désigne comme « Roy des instruments ».
Luthier, A. Stradivarius, en perfectionne les dimensions, les vernis, mais la forme générale et les principes acoustiques de l'instrument ne changent guère.
Histoire de la lutherie
Le premier grand nom attaché à la lutherie du violon est celui de la famille des Tieffenbrucker, nom déformé par le français en « Duiffoprugcar », dont le plus célèbre représentant, Gaspard, s'établit à Lyon en 1553. Il ne reste de lui que de fort belles violes, mais point de violon. Peu après, deux écoles naissent presque simultanément en Italie : Brescia et Crémone. À Brescia, deux noms importants s'affirment : Gasparo Bertolotti, ou « Da Salo », et Paulo Maggini, dont les altos en particulier sont considérés comme les meilleurs. À Crémone se trouvent les plus illustres écoles de lutherie : celle d'un Andrea Amati, de ses fils et surtout petit-fils, Nicola, dont la production au xviiie siècle est aussi prisée que celle de Stradivarius. Cependant, la sonorité douce de ses violons les fait reculer au second plan lorsque les musiciens désirent des instruments plus sonores. Antonio Stradivarius (1644-1737) fut son élève : la lutherie atteint alors son apogée. Plusieurs périodes correspondent aux recherches du maître : des « longuets », vers 1690, il revient à un modèle plus court vers 1700. Il fixe les proportions définitives du violon, et, par la qualité de son vernis, le fini de son exécution, en fait le modèle encore inégalé aujourd'hui. D'autres noms illustres vont faire de l'Italie le centre international du violon aux xviie et xviiie siècles : les Guarnerii, les Ruggeri, les Gagliano, les Guadanini… Toutes les autres écoles, austro-allemande (Stainer et l'école de Mittenwald dans le Tyrol), française (Lambert, Renaudin, Vuillaume, puis l'école de Mirecourt) dépendent du modèle italien.
La facture
Dans sa structure générale, le violon apparaît comme un instrument relativement simple : une caisse de résonance, un manche, quatre cordes et quelques accessoires. Ce n'est cependant qu'une apparente simplicité, puisque le violon est un assemblage d'environ quatre-vingts pièces. Observons le détail et la fonction précise des plus importantes d'entre elles.
La caisse de résonance se compose d'une table d'harmonie, voûtée, en sapin à fibres parallèles, percée par des ouïes (dont la place doit être exactement déterminée, car elles permettent, pense-t-on, une augmentation des vibrations de la table, donc une meilleure sonorité) ; d'un fond bombé en érable appelé à petites ondes (souvent en deux parties) ; et de parois latérales, les éclisses, d'environ trois centimètres de hauteur, reliant la table au fond. Les deux tables sont voûtées, car elles doivent résister à la pression des cordes. Au milieu de ces deux tables, une échancrure en forme de C est pratiquée pour le passage de l'archet sur les cordes extrêmes sol et mi. À cette étape du travail, le violon n'aurait qu'une faible sonorité si deux pièces primordiales n'étaient pas placées : la barre d'harmonie et l'âme. La barre d'harmonie, en sapin, est collée dans la longueur de la table d'harmonie (environ les deux tiers) non pas dans l'axe médian, mais décalée vers la gauche (sous le pied gauche du chevalet). Elle mesure environ un centimètre à sa plus grosse épaisseur et s'affine vers les extrémités. Elle a deux fonctions : empêcher l'affaissement de la voûte et renforcer la sonorité des notes graves de l'instrument. L'âme, petite pièce cylindrique en sapin d'environ cinq millimètres de diamètre, est mise sans être collée entre la table et le fond, à peu près sous le pied droit du chevalet. Les bouts sont taillés en biais pour s'adapter à la courbure de la table et du fond. Elle retient la table d'harmonie qui pourrait plier sous la pression des cordes et favorise la sonorité aiguë de l'instrument. Pour la finition et l'ornementation de la caisse de résonance, on incruste les filets, souvent en alisier, parfois en ébène, aux bords des deux tables. Cependant, certains luthiers s'accordent à leur donner une importance toute fonctionnelle : ils seraient alors un pourtour consolidant la table, limitant mieux le champ vibratoire. Le manche, en érable, d'une seule pièce, se termine par le chevillier maintenant les quatre chevilles sur lesquelles s'enroulent les cordes. Le chevillier est surmonté d'une volute sculptée d'une manière plus ou moins artistique selon les époques. Un sillet d'ébène sert de point d'appui aux quatre cordes entre le chevillier et la touche. Cette dernière, en ébène aussi, est collée sur le manche jusqu'à la caisse de résonance, puis évidée au-dessus de la table. Les cordes sont attachées à une extrémité aux chevilles, et, à l'autre, au cordier, pièce triangulaire en ébène, elle-même attachée à la caisse par l'intermédiaire d'un gros morceau de corde en boyau et d'un bouton enfoncé dans l'éclisse. Le chevalet, sculpté dans l'érable, mesure environ trois centimètres de hauteur, quatre millimètres d'épaisseur aux pieds et deux millimètres à sa partie supérieure. Il se place à égale distance des deux ouïes et dans leur axe médian, qui passe exactement à l'endroit où le luthier creuse deux petites encoches. Le chevalet doit rester perpendiculaire à la table, et joue un rôle important dans la sonorité de l'instrument, car il transmet les vibrations des cordes à la table d'harmonie. Si sa place est mauvaise, sa courbure mal calculée ou son calibre trop épais, la sonorité s'en ressent fortement.
L'accord du violon se fait de quinte en quinte, donnant du grave à l'aigu : sol-ré-la (diapason) –mi. Les cordes sont en boyau de mouton, renforcé par un filetage depuis le xixe siècle. Le mi, ou chanterelle, plus tendu donc plus fragile, se fait en métal depuis le début du siècle. Leur tension est d'environ trente kilogrammes ; elles exercent une pression d'environ 12 kilogrammes sur le chevalet.
La dernière opération d'un luthier consiste à appliquer son vernis. Le public le croit souvent essentiel pour obtenir la meilleure qualité sonore possible. De là, la légende du mystérieux vernis de Crémone ! Il s'agit, en fait, d'une simple protection. Un mauvais vernis, certes, trop gras ou trop sec, peut influer sur la sonorité, car il s'infiltre dans les fibres du bois et empêche alors les vibrations. Mais un violon bien fait possède toute sa puissance à l'état « brut ». Les vernis sont en général composés d'alcool, d'huile de lin, d'essence de térébenthine ou de romarin, laissés à oxyder à l'air libre et teintés par du benjoin, du sandragon ou d'autres coloris.
Pour achever l'instrument, une mentonnière est fixée sur le bord gauche du violon. Celle-ci permet à l'instrumentiste de tenir l'instrument plus commodément et de ne pas empêcher la table de vibrer au contact du menton. Pour la même raison pratique, les violonistes accrochent sur le fond un coussin pour obtenir une position plus confortable.
L'archet se compose de deux éléments : la baguette et la mèche. La baguette est faite en bois de Pernambouc (Brésil) ; cambrée à chaud, elle s'affine vers l'extrémité. Son poids peut aller de 60 à 68 grammes environ. La mèche, en crin de cheval, est attachée d'une part au talon, ou « hausse » dans laquelle une vis permet une tension plus ou moins forte des crins et d'autre part à la pointe. La collophane, simple résine, s'applique sur les crins pour qu'ils adhèrent aux cordes. Très longtemps, l'archet est resté convexe, sous la forme d'un arc. L'instrumentiste en réglait la mèche par la pression des doigts, ou par un système de crémaillère. L'archet évolue lorsque le violoniste ne se satisfait plus d'un matériel aussi peu maniable. Tourte, vers 1750, en fait un modèle parfait, incurvant la cambrure dans l'autre sens, et remplaçant la crémaillère par une vis.
Le bois étant l'élément essentiel du violon, il paraît indispensable de rappeler l'origine et l'utilisation précises de ce matériau. Pour le luthier, le choix de ses bois et les traitements qu'il leur fait subir constituent la partie la plus importante de son travail. Il choisit pour la table, la barre et l'âme, un sapin dit « épicéa », plus sonore que les autres variétés. Pour remplir les meilleures conditions possibles, l'arbre doit pousser en terrain sec et rocailleux et ne pas être fendillé. Adulte, on le coupe à l'arrière-saison, juste avant les gelées. Du tronc, on débite des morceaux de 50 centimètres sans nœuds. Ensuite, sous forme de planchettes, on entrepose le futur violon dans un endroit aéré pour le laisser sécher cinq à quinze ans, ou plus. Aujourd'hui pour les fabriques industrielles, les nœuds sont soigneusement camouflés sous les vernis, et le séchage est effectué au four en quelques heures. Le luthier choisit ensuite pour les éclisses, le manche, la tête et le chevalet, l'érable, bois plus résistant et plus élastique que l'épicéa. Les meilleurs arbres viennent de Suisse. Ils subissent les mêmes traitements que les bois précédents. Les coins, les tasseaux et les contre-éclisses (à l'intérieur de la caisse) sont en aulne, les chevilles en buis ou en cormier. Le luthier, ensuite, découpe, dégrossit, aplanit, met en voûte à la main avec l'aide de ciseaux, de rabots, de papiers de verre. Lui seul sait arrêter la gouge à l'épaisseur voulue. Selon la régularité de la table et du fond, un violon peut avoir des sons étouffés ou peut tout simplement casser sous la pression du chevalet. Si l'on attache tant d'importance au matériau lui-même, c'est qu'il joue un rôle prépondérant dans la sonorité.
Les principes acoustiques du violon sont trop complexes pour que l'on en fasse le détail ici. Voici en quelques mots comment le son évolue : lorsque l'archet frotte la corde, la vibration est transmise au sommet du chevalet, puis dans les deux pieds. C'est ici que l'élasticité du bois joue son rôle : le pied communique par une légère pression la vibration à la table, puis à la barre et à l'âme, qui, elles-mêmes, répercutent cette vibration aux éclisses, puis au fond. On voit donc que cette simple caisse de bois, véritable terrain mouvant, est susceptible de faire circuler et d'amplifier les vibrations. Chaque pièce de l'instrument a son importance et son rôle à jouer.
Le jeu du violon
Il reste maintenant au violoniste à montrer les moyens techniques employés sur son instrument. Depuis le xvie siècle, la position du violon a évolué : d'abord tenu contre la poitrine, il est appuyé plus tard contre le cou, entre la clavicule et le menton ; il faut attendre le xviiie siècle pour que le violon trouve cette position. Tartini, grand virtuose de ce siècle, fixe la mentonnière à droite du cordier, et Spohr propose encore, en 1832, de la mettre au milieu. Baillot, le grand pédagogue français du xixe siècle, mettra fin aux querelles dans son Art du violon, en 1834, établissant la position définitive de l'instrument.
La technique du violon, fondée sur la vélocité, le brillant, mais aussi la variété des couleurs, des intonations, du phrasé, se partage en deux parties très distinctes : celle de la main gauche, et celle de l'archet à la main droite. La technique de la main gauche est basée sur l'agilité des doigts et la justesse des intonations que l'on travaille au moyen de gammes et d'arpèges. Aujourd'hui, toute l'étendue du manche et de la touche est utilisée, grâce au système des positions et des démanchés. La main gauche, appuyant les cordes à la base de la touche, vers la volute, est dite « en première position » ; si elle se rapproche de la caisse du violon pour donner des sons plus aigus, elle atteint les troisième, quatrième, cinquième positions, ce que le violoniste appelle « monter en position ». Le démanché permet de passer d'une position à l'autre en glissant sur un doigt ; tout l'art consiste à bien savoir doser ce glissando. Mais il n'en a pas toujours été ainsi, surtout en France, lorsque le violon servait encore d'instrument de danse. La tessiture était alors très limitée. Les Italiens, les premiers, étendent rapidement le jeu de la main gauche, et l'on cite souvent l'exemple de Locatelli, en 1723, qui monte jusqu'à la treizième et quatorzième position. Paganini, le célèbre virtuose du xixe siècle, ne les dépassera pas, celles-ci se trouvant à l'extrémité de la touche. On sait, cependant, que, dès le xviie siècle, les instrumentistes comblaient les passages de cadence par des exercices de virtuosité. Vivaldi le faisait très couramment dans ses concertos. La vélocité de la main gauche peut aussi s'exprimer par la polyphonie, c'est-à-dire, par l'utilisation des doubles cordes et des accords. On use très tôt de ce procédé. Mersenne en parle dans son Traité en 1636. Jean-Sébastien Bach portera cette technique de la main gauche à son plus haut degré de perfection dans ses sonates et partitas pour violon seul. Quelques procédés encore, moins usités mais intéressants, sont à signaler : les sons harmoniques et les pizzicati à la main gauche. Les harmoniques produisent un son très flûté et doux, le doigt se posant seulement sur la corde pour l'effleurer, à certaines distances du sillet. Ils sont naturels ou artificiels. Les « pizz » main gauche restent assez rares et relèvent plutôt d'un artifice que d'une technique courante. Paganini en utilise souvent dans ses Caprices ou ses concertos. Malgré tout cet aspect technique que revêt la main gauche, son rôle reste principalement expressif par la bonne utilisation du démanché et du vibrato. Le vibrato, oscillation régulière du doigt sur une corde, donne une sonorité plus chaude et plus vivante, la rapprochant de la voix humaine. Il doit « ravir les oreilles et l'âme », dit Mersenne. C'est en partie par ces deux moyens expressifs que se révèle la personnalité de l'interprète.
L'archet détient aussi un pouvoir expressif par l'utilisation d'un phrasé intelligent, sensible, et surtout par la variété de ses moyens d'action. On le tient entre le pouce, sous la baguette, et le majeur, sur la hausse. Ces deux doigts face à face, forment un anneau autour duquel se disposent les autres doigts. On distingue trois coups d'archet principaux.
« À la corde », du talon à la pointe, l'archet reste sur la corde. On peut alors varier les dynamiques, de pianissimo à fortissimo, ou le contraire. Dans un même coup d'archet, deux à plusieurs notes peuvent être englobées : il s'agit du legato.
Les coups d'archet toujours à la corde, mais rapides, donnent le grand détaché, le détaché bref, le martelé du talon ou de la pointe, et, enfin, le staccato dans lequel les notes brèves, séparées par de très courts silences, se jouent dans un même mouvement de l'archet.
Enfin les coups d'archet où celui-ci doit quitter la corde pour rebondir grâce à l'élasticité de la baguette et la tension de la mèche : le sautillé, le staccato « volant », le spiccato. La main droite permet aussi d'autres effets comme les pizzicati qui imitent luths et guitares, cette fois plus aisés à exécuter que ceux de la main gauche. En 1626, Monteverdi les utilise dans le Combat de Tancrède et Clorinde.
La musique du violon
Au xvie siècle, si la forme définitive du violon est déjà fixée, le répertoire reste encore bien pauvre. Les luths et les violes ont la préférence des princes et des gens fortunés. Relégué parmi les instruments de danses et de chansons à boire, il est donc principalement joué en plein air comme le montre, en 1529, les Six Violons de François Ier. Il faut seulement retenir, aux tout débuts de l'implantation du violon en France, le nom de Baltazar de Belgioso, Italien qui fait partie des Violons du roi en 1580. Aucune indication ne subsiste sur son jeu ou sa technique violonistique. Cependant l'instrument semble ne plus être celui d'un ménestrel ou d'un domestique, mais celui d'une personnalité musicale. De même que l'instrument sort d'ateliers italiens, les premières pièces du répertoire viennent de compositeurs italiens. Monteverdi dans Orfeo, en 1607, fait déjà usage du violon, et, la même année, Salomone Rossi publie un recueil de sonates. D'autres Italiens, comme Marini, Fontana, Bassini, Vitali, confirment peu à peu, au cours du xviie siècle, l'importance que prend le violon dans la musique instrumentale. Zanetti écrit d'ailleurs, en 1645, une méthode de violon, la plus ancienne que l'on connaisse.
Dans la seconde moitié du xviie siècle, d'autres écoles vont éclore en Europe. En Allemagne, en particulier, une école de virtuoses se développe avec Kerll, Walter dont les scherzos pour violon seul et l'Hortulus chelicus font montre de virtuosité parfois fort fantaisiste , Schmelzer qui fait imprimer ses premières sonates pour violon et basse en 1664.
En France, après Belgioso, devenu Beaujoyeulx, et grâce à Lully, le violon entre dans le domaine de l'expression et quitte peu à peu celui du simple divertissement. Mersenne nous dit, en 1636, qu'« il peut apporter la tristesse comme le fait le luth et animer comme la trompette, et que ceux qui le savent toucher en perfection, peuvent représenter tout ce qui leur tombe en imagination ». Lully accroît le répertoire du violon par des suites de danses qui font pressentir le futur concerto. Il organise aussi l'orchestre à cordes avec sa fameuse « bande des petits violons », créée en 1656.
À cette époque, les suites de danses s'organisent selon une unité tonale, un schéma plus structuré avec une alternance lent-vif-lent. À l'orée du xviiie siècle, deux formes naissent, la sonate et le concerto, dont l'influence et la rapide propagation sont favorisées par l'intérêt que l'on porte au violon. Une fois de plus l'Italie est au premier plan. La sonate intitulée « à trois », car elle comprend deux violons et une basse (à laquelle on ajoute un continuo au clavecin), et le concerto sont illustrés par Corelli (6 recueils de sonates et 12 concerti grossi) et surtout par Vivaldi. Si le premier ne s'est pas dirigé vers la virtuosité, mais plutôt vers la mélodie noble et expressive, le second renoue volontiers avec la musique descriptive et la vélocité. Les Quatre Saisons en sont un parfait exemple. Le concerto évolue tout au long du xviiie siècle, parallèlement à la sonate, et offre aux violonistes italiens l'occasion de faire valoir leur virtuosité : Albinoni, Vitali, Geminiani, Locatelli, Pugnani, Tartini (avec ses fameux « trilles du diable ») ont largement contribué à l'essor du violon par l'élargissement de la tessiture, et par l'établissement d'une solide technique d'archet. Leur influence se fait encore sentir à travers toute l'Europe : nombre d'entre eux séjournent en Allemagne et, en échange, de jeunes solistes allemands sont envoyés dans la péninsule, afin de parfaire leur technique. Tels Pisendel, son élève Graun, Cannabich, auteur de nombreuses sonates et concertos, Haendel et Telemann. Jean-Sébastien Bach, lui-même violoniste à la cour de Weimar, ajoute au répertoire en dehors de ses sonates et partitas pour violon seul 6 sonates avec clavecin et 3 concertos. L'aspect pédagogique du violon est illustré par la méthode de L. Mozart, Versuch einer gründlichen Violinschule, en 1756, véritable mine de renseignements sur la technique, les façons d'ornementer et d'interpréter.
L'importance considérable de l'école de Mannheim, dans la seconde moitié du xviiie siècle, ne peut être passée sous silence. Les Stamitz, grande famille de violonistes, mettent alors tout leur art à l'élaboration de l'orchestre à cordes, faisant du violon et de sa famille la base de l'orchestre. Cela correspond peut-être à un certain renouvellement de la conception du violon par un jeu typique d'orchestre, caractérisé par la précision des nuances, la netteté des attaques en groupe, et les oppositions de timbre entre violons et instruments à vent : c'est la naissance de l'esprit symphonique, dans lequel le timbre du violon n'est plus conçu en solo, mais en masse.
W. A. Mozart ajoute à ses 5 concertos, à la Symphonie concertante et à ses 30 sonates des œuvres importantes pour le violon dans sa nouvelle conception « mannheimiste », comme ses divertimentos pour cordes, ses sérénades et surtout ses symphonies. D'autre part, on peut remarquer que, à partir de cette époque, hormis Mozart, les compositeurs ne sont plus des violonistes mais des pianistes.
Cela s'accentuera encore au xixe siècle.
En France, les virtuoses italiens jouissent de la faveur d'une grande partie du public et inspirent les compositeurs. Corelli avait mis la sonate à la mode, et c'est sur ce modèle que le claveciniste F. Couperin en se donnant d'ailleurs le nom de « Coperuni » écrit ses premières sonates à trois en 1692.
Un trop grand nombre de musiciens français s'illustrent dans le répertoire du violon pour qu'il soit possible d'en parler ici. Citons seulement les plus grands : Francœur, dont les sonates se rapprochent fort de leurs homologues italiennes ; Aubert, connu pour ses dix concertos de soliste ; J.-M. Leclair possède un style plus personnel et hausse l'école française au niveau de sa rivale italienne. Son œuvre pour violon est considérable et la virtuosité n'y est jamais gratuite ; l'écriture, plus concise, donne toute l'importance à la partie soliste. Dans la même école, on peut citer Mondonville, spécialiste des sons harmoniques, et Guillemain.
Après 1750, la période du préromantisme est dominée par Gaviniès, dont les aptitudes pédagogiques sont encore incontestées avec ses Matinées. À la même époque, les violonistes étrangers s'illustrent au Concert spirituel : Viotti y est une révélation en 1782. Ses 29 concertos et 51 duos sont devenus des classiques du répertoire. C'est aussi l'époque de Rode, Baillot et Kreutzer, grands pédagogues, dont les œuvres sont toujours travaillées dans les conservatoires.
À la fin du xviiie siècle, le violon devient le roi des instruments. Il n'y a pas de soirées au Concert spirituel sans nouveaux concertos ; aristocrates et bourgeois possèdent un orchestre ou jouent eux-mêmes du violon. Peu à peu, l'école italienne cède la place à une école française, vivace d'ailleurs depuis Leclair.
Si, au xixe siècle, la fulgurante technique de Paganini suscite un enthousiasme unanime, ses célèbres Caprices et concertos n'exercent pas beaucoup d'influence dans une Italie alors tournée vers l'opéra. En Allemagne, quelques grandes œuvres pour violon marquent le siècle du romantisme : les concertos et les sonates de Beethoven, Mendelssohn, puis Brahms, à qui l'on doit aussi le double concerto pour violon et violoncelle, comptent parmi les plus beaux ouvrages écrits pour l'instrument. Deux grands violonistes ont contribué à les faire connaître : Spohr et Joachim. En France, l'influence des pédagogues favorise la naissance d'une école franco-belge, illustrée par les grands violonistes Massart et Vieuxtemps.
La fin du siècle et le début de notre époque voient fleurir une multitude d'œuvres françaises, avec les concertos de Saint-Saëns, de Lalo, les sonates de Fauré, Franck, Lekeu, d'Indy, le Concert et le Poème de Chausson. Au début du xxe siècle, des partitions remarquables sont offertes par Roussel, Debussy, Honegger, Ravel. Ce dernier ajoute au répertoire une œuvre magistrale, influencée par la technique des violonistes d'Europe centrale : Tzigane (1924). Milhaud, Poulenc, Jolivet et bien d'autres encore, élargissent par leurs œuvres diverses le répertoire contemporain du violon.
En Allemagne, il faut retenir le nom de Hindemith qui fait montre d'une parfaite connaissance de l'instrument. L'Europe centrale révèle aussi des personnalités tout à fait remarquables, qui enrichissent la musique du violon par des recherches esthétiques nouvelles : le Hongrois Bartók, les Autrichiens Schönberg et Berg, le Tchèque Martinů. Il ne faut pas omettre les compositeurs de pays plus lointains comme les Russes Tchaïkovski, Prokofiev, Khatchatourian et Chostakovitch, le Norvégien Grieg ou le Finlandais Sibelius, dont le concerto fait partie des plus redoutables ouvrages pour le violon.
Le regain d'intérêt pour l'instrument, au cours de ce xxe siècle, fait découvrir un aspect tout nouveau du violon par des effets techniques, par l'inspiration de certains compositeurs pour des musiques moins conventionnelles comme le jazz (sonate de Ravel), et par son insertion même dans la variété avec Grappelli. D'autre part, de grands solistes tels Milstein, Heifetz, Stern, Menuhin, Szering, Ferras, Perlmann donnent l'occasion d'entendre et de découvrir ce vaste répertoire de l'instrument. L'intérêt que porte le public aux concerts symphoniques, l'engouement pour les nombreux enregistrements de ces solistes, enfin l'envie de pratiquer lui-même un instrument réputé difficile, assurent pour longtemps encore le succès du « Roy des instruments ».
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