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LES ABEILLES

 

 

 

 

 

 

 

abeille


Longtemps appelée « mouche à miel », l'abeille mellifique, originaire d'Eurasie, fascine surtout par ses activités de butineuse et par son aptitude singulière à vivre et à s'organiser en colonie. Une organisation qui n'existait peut-être pas chez ses lointains ancêtres...
1. La vie des abeilles
1.1. Une société très organisée où chacune a sa place
Tous les naturalistes l'ont remarqué, les abeilles mellifiques sont extraordinairement solidaires et vivent en colonie. Celle-ci possède son identité propre, puisqu'elle se défend contre tout élément étranger, insectes ou autres abeilles.

Une colonie comprend trois sortes d'abeilles adultes : une reine unique, avec sa double fonction de reproductrice et de régulatrice ; quelque 2 500 mâles – appelés aussi faux-bourdons –, qui ont pour seule fonction de féconder la nouvelle reine d'un nid, lors du vol nuptial ; et, enfin, les ouvrières – 50 000 environ –, qui vivent 38 jours en été et 6 mois en hiver et qui, au cours de leur vie, sont tour à tour nourrices, ménagères, bâtisseuses, magasinières, gardiennes et butineuses... Elles sont dirigées par la reine qui, par des sécrétions, les phéromones, leur transmet des ordres chimiques et peut, par exemple, appeler ainsi tout son monde autour d'elle. Quant aux larves, elles occupent le couvain, qu'on peut comparer à une nursery : il est composé de 6 000 œufs, 9 000 larves, 20 000 nymphes. Mais tous ces chiffres ne représentent qu'une moyenne, la population d'un nid dépendant de divers facteurs : capacités de la reine, conditions climatiques, accès à la nourriture, maladies...
Cette colonie vit dans un nid constitué de rayons de cire que les ouvrières entretiennent en permanence. Celui-ci comporte deux parties : la réserve de nourriture, où se fait le miel, et la nursery, où est élevé le couvain. Quand il y a surpopulation, la reine émigre avec une partie des ouvrières pour créer une nouvelle colonie, c'est l'essaimage.
La reine, le faux-bourdon et l'ouvrière n'ont pas la même taille. La reine, plus grande que l'ouvrière, a un abdomen plus effilé ; la cellule où elle grandit, en forme de dé à coudre, est la plus haute. Le mâle se caractérise par deux très gros yeux et un abdomen carré. Sa cellule est hexagonale, comme celle des ouvrières, mais plus importante, avec un opercule plus bombé. La reine se nourrit de gelée royale, les mâles et les ouvrières n'en consommant que pendant 3 jours, pour passer ensuite au pollen, puis au miel.

La chaîne cirière
La construction du nid exige une organisation très élaborée. Les ouvrières bâtisseuses, ou cirières, sont âgées de 12 à 19 jours quand leurs glandes cirières sécrètent la cire à partir du miel qu'elles absorbent. Elles constituent ce que l'on appelle la « chaîne cirière ». Elles se suspendent en plusieurs grappes dont chacune ressemble à une pyramide inversée. Chaque abeille s'accroche aux autres par les pattes, plusieurs chaînes pouvant être reliées entre elles par des insectes qui sont alors complètement écartelés. Grâce aux brosses de ses pattes postérieures, une ouvrière bâtisseuse commence par récupérer ses lamelles de cire, elle les porte ensuite à sa bouche pour les malaxer et les humecter de salive. La boulette qui résulte de cette opération passe ensuite de cirière en cirière avant de parvenir aux abeilles chargées de la construction des alvéoles. Celles-ci utilisent leurs mandibules pour aplatir la cire et façonnent alors des parois d'une incroyable minceur : 0,073 mm. Au cours de toutes ces opérations, les antennes jouent le rôle d'instruments de mesure de haute précision.
Une fois achevées, les cellules ont une forme hexagonale. Leur hauteur varie selon leur destination (réserve de nourriture ou couvain). Elles sont légèrement inclinées vers l'intérieur et s'emboîtent parfaitement les unes dans les autres sur un rayon, formant ainsi un ensemble remarquable par sa solidité : un rayon composé d'environ 40 g de cire peut supporter près de 2 kg de miel ! Blanche au début, la cire des parois devient brune et noirâtre en vieillissant.
La régulation thermique du nid est assurée, au degré près, par toute la colonie. En été, l'ouvrière agite les ailes pour ventiler l'atmosphère, expulser l'air chargé d'humidité ; en hiver, elle les fait vibrer doucement pour réchauffer l'atmosphère.

L'essaimage

Il a lieu généralement au printemps. Laissant la place à une autre abeille qui prendra sa succession, la reine entraîne environ les deux tiers de la colonie. Pendant que des éclaireuses partent à la recherche d'un endroit pour construire un nouveau nid, l'essaim se pose près de l'ancien. Gorgées de miel, dont elles ont fait provision avant le départ, les abeilles sont alors inoffensives.

Les experts proposent deux explications à l'essaimage : quand la miellée (quantité de miel produite) n'est pas importante, il y a plus de place dans la ruche pour le couvain, ce qui augmenterait la ponte, d'où le recours à l'essaimage ; ou bien ce serait un facteur hormonal qui favoriserait la naissance de nouvelles reines, provoquant le départ de l'ancienne.

1.2. Des abeilles chevronnées pour butiner et récolter
L'abeille ouvrière se met à butiner à partir du 21e jour environ après sa naissance. C'est le dernier métier qu'elle exerce. C'est elle que l'on peut voir, du printemps à l'automne, voleter de fleur en fleur, avant de trouver la mort, le plus souvent dans quelque toile d'araignée ou dans le bec d'un oiseau. En attendant, elle se nourrit, à raison de 0,5 mg par kilomètre, du miel dont elle a fait provision avant de quitter la ruche. Dans sa vie, chaque abeille ne visite qu'une seule espèce de fleur et ne rapporte au nid qu'un seul type de butin : le nectar, le pollen, la propolis ou l'eau dont la colonie a besoin. L'eau sert à diluer le miel et à refroidir le nid par évaporation. Les larves en absorbent aussi une grande quantité.

Le nectar est aspiré

Sécrété par les fleurs au moyen de petites glandes appelées nectaires, le nectar est une solution sucrée qui contient des minéraux et des substances odorantes. L'abeille le prélève en s'introduisant dans la fleur et en l'aspirant au moyen de sa trompe, un organe de 6,5 mm, que prolonge une langue minuscule (2 mm). Elle le met ensuite dans son jabot, sorte de poche pouvant contenir jusqu'à 75 mg de la précieuse substance. Pour remplir ce sac, une abeille qui récolte, par exemple, le nectar du trèfle doit visiter entre 1 000 et 1 500 fleurs. Elle y ajoute des produits qui hydrolysent les sucres pendant le vol de retour : c'est le début de la fabrication du miel. Une fois au nid, la butineuse transmet son butin à une ouvrière magasinière. Un litre de nectar représente un nombre de voyages qui peut varier de 20 000 à 100 000.

Le pollen est amassé

D'autres butineuses sont spécialisées dans la récolte du pollen. Il se compose de milliers de grains microscopiques que produisent les étamines. Sorte de spermatozoïdes de la fleur, ces grains sont prêts à être déposés sur le pistil – ou élément femelle – d'une autre fleur, afin d'assurer la reproduction de l'espèce. Les grains de pollen constituent un aliment indispensable pour les jeunes abeilles. Pour récolter cette poudre, l'abeille butineuse déchire les étamines à l'aide de ses mandibules et forme une boulette en humectant les grains avec le miel dont elle a fait provision dans son jabot avant de sortir du nid. Pendant le vol, elle s'aide du peigne de ses pattes postérieures pour faire passer la boulette de pollen dans les corbeilles situées dans la partie supérieure de celles-ci. Elle récupère également le pollen sur son corps à l'aide de ses 6 pattes. Tout cela se fait à une vitesse telle que l'opération n'est pas visible à l'œil nu. Lorsque les corbeilles sont très pleines, elles ressemblent à de petits sacs accrochés aux pattes de la butineuse, qui transporte ainsi jusqu'à 50 mg de pollen, un poids énorme comparé au sien – environ 82 mg...
D'autres abeilles butineuses récoltent la propolis. Cette substance qui recouvre les bourgeons de certains arbres – peupliers, saules, marronniers... –, mêlée à des sécrétions salivaires et à du pollen, sert d'enduit pour boucher les fissures, réparer les rayons, et embaumer les ennemis tués.

Danse des abeilles

Lorsqu'elle découvre une nouvelle source de récolte, la butineuse rentre au nid et exécute, sur les rayons, une danse, à l'attention des autres butineuses. Quand la source est à moins de 10 m, l'abeille exécute un cercle. Si elle est entre 10 et 40 m, la danse est en forme de faucille ; si elle est plus éloignée, elle est en forme de huit aplati, avec des demi-cercles tantôt à droite, tantôt à gauche. La danse reproduit l'angle formé par la ligne du soleil et celle de la source de nourriture découverte. Cet angle donne la direction. La fréquence des tours et le rythme du frétillement de l'abdomen de l'abeille indiquent aussi le degré de difficulté pour y accéder.

1.3. Plusieurs métiers dans une même vie
Si l'on met à part quelques vols d'essai, le plus souvent en groupe, pour apprendre à situer le nid et à en reconnaître les environs, l'abeille ouvrière passe pratiquement les trois premières semaines de sa vie à l'intérieur. Du 1er au 3e jour après sa naissance, elle nettoie les cellules vides du couvain, afin que la reine puisse pondre à nouveau. À partir du 3e jour, ses glandes mammaires, situées dans la tête, se développent et elle devient nourrice, s'occupant en un premier temps des larves plus âgées, puis des plus jeunes, lorsqu'elle est capable de produire la gelée royale, une matière très nutritive sécrétée par ses glandes hypopharyngiennes et mandibulaires. Par la suite, ces glandes s'atrophient de sorte que l'ouvrière passe à d'autres travaux – enlèvement des gros déchets et des cadavres d'abeilles et surtout stockage du pollen et du nectar dans différentes cellules. Du 12e au 19e jour, c'est la production de la cire et la construction des alvéoles. Enfin, avant de partir pour butiner, la dernière activité de l'abeille est celle de sentinelle. Postée à l'entrée du nid, elle contrôle les animaux qui y pénètrent, et donne l'alerte s'il s'agit d'un étranger.
En cas de perturbations graves au sein de la colonie, l'organisme des ouvrières s'adapte, et celles-ci se remplacent mutuellement. Pendant ses longs moments d'oisiveté, l'abeille reste immobile ou se promène.

La vie en hiver
Contrairement à l'ouvrière née au printemps qui ne vit que 38 jours, celle née entre août et novembre vit tout l'hiver, soit environ 6 mois, dans le nid. La colonie ne comprend alors que 40 000 abeilles, puisqu'il n'y a plus ni couvain ni mâles. L'abeille a constitué dans son corps gras des réserves pour la mauvaise saison. Animal à sang froid, elle meurt sous une température inférieure à 8 °C. Au-dessous de 18 °C, les ouvrières se regroupent en grappe autour de la reine pour se réchauffer. Au centre de ce groupe, la température est maintenue à 35 °C. Les abeilles puisent dans leur réserve de miel pour se nourrir, mais, dans un souci de propreté, elles s'interdisent toute déjection. Dès le 15 janvier, la reine peut se remettre à pondre.
La fabrication du miel



Rentrée au nid le jabot plein de nectar, la butineuse le remet aux magasinières, qui vont alors s'employer à le transformer. Le nectar est d'abord ingéré et, pendant 20 minutes, passe du jabot à la bouche et de la bouche au jabot. Sous l'influence d'une sécrétion, l'invertine, le saccharose du nectar se transforme en glucose et en lévulose. Le nectar est ensuite placé dans une cellule que les ouvrières recouvrent d'un bouchon de cire, l'opercule. Là, il finit de se transformer en miel. Celui-ci contient 85 % de sucres, ainsi que des sels minéraux et des vitamines.

1.4. Le vol nuptial conduit le mâle à la mort
Lorsqu'une colonie se retrouve orpheline soit après la mort de la reine, soit après l'essaimage, les ouvrières élèvent de nouvelles reines. Ces jeunes larves femelles, semblables aux ouvrières, ont été pondues dans de plus grandes alvéoles. Les candidates à la succession sont nourries exclusivement de gelée royale.

Une compétition mortelle
Aussitôt née, la première reine se précipite sur ses rivales pour les piquer à mort. Si plusieurs reines naissent en même temps, un combat s'engage jusqu'à ce que la meilleure l'emporte, les vaincues étant vouées à la mort. La maturation sexuelle de l'abeille victorieuse s'achève au 6e jour. Les ouvrières la nourrissent, mais sont agressives envers elle pour la pousser à prendre son vol nuptial. Celui-ci a lieu le plus souvent par un bel après-midi sans vent. La température doit être au minimum de 20 °C. Les mâles de plusieurs colonies, rassemblés dans des lieux déterminés, fixes d'année en année, se dirigent vers tout ce qui ressemble à une jeune reine. Dès que l'une d'elles est repérée, elle est aussitôt prise en chasse par tous les faux-bourdons.
La copulation se déroule en vol, entre 6 et 20 m au-dessus du sol, parfois à plusieurs kilomètres du nid. Et, à chaque vol, la reine s'accouple avec plusieurs partenaires, 5 ou 6. Le mâle saisit la reine, la chevauche, ce qui provoque l'éversion de tout son appareil génital (l'endophallus). Pendant l'étreinte, une partie de son organe génital pénètre dans le sexe de la reine et y reste accroché jusqu'à l'accouplement suivant, à moins qu'à son retour au nid les ouvrières n'en débarrassent leur reine. L'accouplement déchire l'abdomen du mâle, qui meurt. Le sperme reçu par la reine au cours de son vol est, en principe, suffisant pour la vie, mais, en raison de pertes successives, plusieurs vols et accouplements sont nécessaires pour que la spermathèque (réservoir organique situé à l'extrémité de l'abdomen) soit remplie.
La reine se met alors à pondre et dépose un œuf par cellule. Elle choisit le sexe de l'œuf en fonction de la taille des cellules, qu'elle mesure avec ses pattes antérieures, l'alvéole destinée au mâle étant plus grande que celle de la femelle. Elle pond toutes les 40 secondes environ un œuf de 1,5 mm de long et 0,5 mm de diamètre, qui est fécondé – ou non –, lors de son passage par le canal ovarien, par les spermatozoïdes de la spermathèque. Pour avoir une ouvrière, la reine dépose un ovule fécondé. Pour avoir un mâle, elle ne met pas l'ovule en contact avec les spermatozoïdes. La reine est toujours très entourée.
Au 3e jour, l'œuf éclos donne naissance à une larve goulue, à laquelle les ouvrières apportent continuellement de la nourriture, mais qui cesse de s'alimenter pendant ses mues (4 en 6 jours).

Les faux-bourdons en sursis
Les faux-bourdons sont présents dans le nid d'avril à septembre, condamnés à rester inactifs. En effet, ils ne possèdent morphologiquement aucun « instrument » leur permettant d'exercer une fonction au sein de la colonie : ni glande cirière, ni corbeilles, ni peigne à pollen... Nourris par les ouvrières, leur unique fonction semble être de féconder la reine. Le vol nuptial achevé, tous les faux-bourdons qui n'ont pu s'accoupler sont expulsés du nid et meurent de faim ou de froid.

1.5. Milieu naturel et écologie
Réparties sur toute la terre, les quatre espèces du genre Apis ont chacune des habitats différents. Trois d'entre elles nichent en l'air et se trouvent en Asie. Apis dorsata, l'abeille géante de l'Inde, est une habituée des sommets, elle peut vivre jusqu'à 2 000 m d'altitude. On la trouve de l'Asie du Sud-Est jusqu'aux Philippines. Apis florea ne dépasse pas, elle, les 500 m d'altitude, mais elle se répartit de la même façon sur le continent asiatique. Quant à Apis cerana, qu'on appelait autrefois Apis indica, elle peuple une grande partie de l'Asie, et on la trouve aussi en Chine et dans une partie de la Sibérie.
La quatrième espèce, Apis mellifica, l'abeille occidentale, est la plus répandue. Elle vit dans plusieurs pays européens (Espagne, Angleterre, Allemagne, France) où elle est aussi domestiquée, ainsi qu'en Afrique, et, depuis la colonisation, en Amérique, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elle niche dans des cavités naturelles ou artificielles. Elle s'adapte très bien aussi en montagne.

La pollinisation
Chez les phanérogames (ou plantes supérieures), la fécondation ne peut se produire que si le pollen est transporté par des étamines jusqu'au pistil : c'est la pollinisation. Le transport peut être assuré par le vent pour les plantes anémogames, mais 80 % des végétaux supérieurs sont entomogames, c'est-à-dire qu'ils dépendent des insectes pour la pollinisation. Or, les abeilles domestiques constituent de 65 à 95 % des insectes pollinisateurs. Mais les abeilles solitaires (mégachiles, osmies) sont les plus actives pour la pollinisation. On estime en tout cas que les avantages économiques de la pollinisation par les abeilles sont plus importants que ceux de la seule production de miel.

Prédateurs et profiteurs
Les abeilles sont la proie de nombreux prédateurs, mais aucun d'entre eux n'en consomme assez pour mettre en péril une colonie. Elles sont dévorées par des oiseaux insectivores tels que les hirondelles, les guêpiers et les mésanges. Lorsque l'hiver est rude, le pic-vert troue la ruche ou le nid de son bec puissant et attaque les abeilles qui y restent calfeutrées à l'abri du froid. Parmi les rapaces, la bondrée apivore, qui est protégée par son plumage, ne redoute pas la piqûre des abeilles et détruit les nids pour se nourrir du couvain. Les abeilles sont également piquées et tuées par d'autres insectes, comme le philanthe apivore qui ressemble à une grosse guêpe et presse d'abord l'abdomen de sa victime pour en faire couler le nectar jusqu'à la dernière goutte, avant de donner ensuite la carcasse à sa future larve. Les libellules, qui sont de redoutables carnivores, apprécient aussi les abeilles. Quant aux araignées, elles guettent leur proie avant de s'en nourrir. Le thomise piège les abeilles butineuses dans la corolle des fleurs et l'épeire diamède les saisit dans sa toile.
Certains animaux ne font qu'exploiter le travail de l'abeille en utilisant soit son nid, soit ses produits. Les réserves de miel attirent les guêpes. Un papillon qu'on appelle « teigne des ruches », Galleria mellonella, pond ses œufs sur les rayons. Les chenilles profitent de ce qu'une colonie est faible pour tisser leur toile à partir des rayons de cire. Un petit diptère, appelé « pou des abeilles » (Braula caeca), vit en parasite sur le corps de ses victimes, surtout celui de la reine, et leur fait dégorger de la nourriture. Il est d'autant plus redoutable qu'il propage la nosémose, maladie provoquée par un petit animal unicellulaire, ou l'aspergillose, causée par des champignons qui parasitent l'appareil respiratoire ou l'œil de l'abeille. Chez les mammifères, l'ours est un grand amateur de miel.

2. Zoom sur... l'abeille mellifique
2.1. Abeille mellifique (Apis mellifica)
Insecte invertébré, Apis mellifica possède un squelette externe rigide, mais articulé. Les organes internes baignent dans un liquide qui fait office de sang, l'hémolymphe. Incolore, ce liquide se déplace à l'intérieur du corps, grâce à un appareil dont l'action est comparable à celle d'un cœur, le vaisseau dorsal. Ce vaisseau donne une certaine impulsion à l'hémolymphe qui circule librement (il n'y a pas de vaisseaux pour la véhiculer).
Le corps de l'abeille est une sorte d'atelier en miniature, très perfectionné. Son appareil respiratoire est analogue à celui de tous les insectes. Un système de trachées très ramifiées amène l'air jusqu'à toutes les cellules. Les trachées communiquent avec l'extérieur par 20 stigmates (3 paires sur le thorax et 7 paires sur l'abdomen).
L'appareil digestif est un long tube allant de la bouche à l'anus. Au niveau de la tête se trouve le pharynx, au niveau du thorax l'œsophage, au niveau de l'abdomen le jabot, qui sert de réservoir pour le transport des aliments, puis vient le proventricule. C'est une sorte de valvule qui permet à l'abeille de se nourrir en faisant passer les aliments du jabot dans le ventricule, sans que le contraire soit possible. Enfin, le ventricule, puis l'intestin et la poche rectale terminent l'appareil digestif. Tout au long de cet appareil, les aliments sont digérés sous l'action des sucs. La poche rectale, située au bout de l'abdomen, est d'une capacité telle qu'elle permet à l'abeille de garder ses excréments pendant tout l'hiver.
Les sens de l'abeille sont très développés, en particulier celui de la vision. Grâce à ses cinq yeux et à ses trois ocelles, le champ visuel de l'insecte avoisine 360°, mais son acuité visuelle ne représente que le 80e de celle de l'homme, bien qu'elle soit supérieure à celle de beaucoup d'autres insectes. Fortement astigmate, l'abeille perçoit mieux les objets verticalement qu'horizontalement. Chez l'abeille, l'enchaînement des images se fait à 300 images par seconde, (alors qu'il est de 24 images chez l'homme), de sorte que, pour cet insecte, un film ne serait qu'une suite d'images fixes. En revanche, l'homme ne peut voir les mouvements des abeilles qu'en passant un film au ralenti.
Par ailleurs, les abeilles ne sont pas sensibles aux mêmes teintes que l'homme. Leurs couleurs sont le jaune-orangé (jaune-vert pour l'homme), le bleu-vert (pas de correspondance pour l'homme), le bleu (bleu et violet pour l'homme) et l'ultraviolet, invisible pour l'homme. Si le coquelicot attire les abeilles, ce n'est pas parce qu'il est rouge, mais parce qu'il réfléchit les rayons ultraviolets.
Le goût est très aiguisé chez l'abeille qui distingue le sucré, l'acide, l'amer et le salé. Il est lié à différents endroits du corps. On distingue le goût oral, localisé dans la cavité buccale, le goût tarsal dans les tarses, à l'extrémité des pattes, et le goût antennaire dans les huit dernières articulations de l'antenne. Mais les sensibilités de l'abeille sont différentes : ainsi, le lactose, qui a un goût sucré pour l'homme, ne l'a pas pour elle. En outre, ses capacités gustatives dépendent de son âge et de son état physiologique, de sa nutrition en particulier. Ainsi, lorsqu'elle est affamée, elle est plus sensible à de faibles concentrations sucrées qu'elle ne l'est dans des conditions normales.
Les antennes servent à la fois d'oreilles et de nez à l'abeille. Elles sont divisées en trois parties. La dernière, ou flagelle, est la plus longue et comporte 11 articulations porteuses de plaques qu'on appelle sensilles. Certaines d'entre elles servent à la perception des odeurs, d'autres à celle des sons, ou plutôt des vibrations (car on considère que l'abeille est sourde, mais très sensible aux vibrations).
Celles-ci sont perçues par les sensilles dites « trichoïdes » – une seule antenne peut en porter 8 500. Quant aux odeurs, elles sont captées par les plaques poreuses (chez l'ouvrière, leur nombre varie de 3 000 à 6 000, la reine en a 3 000 et les mâles 30 000), ainsi que par les sensilles dites « basiconiques », situées sur les troisième et dixième segments de l'antenne. L'abeille semble capable de discerner une odeur déterminée, même lorsque celle-ci est associée à plusieurs autres, mais elle ne sent le parfum des fleurs que si elle en est relativement proche. En revanche, c'est grâce à son odorat que la sentinelle placée à la porte du nid distingue les membres de sa colonie des intruses appartenant à d'autres communautés, et peut ainsi les chasser. De même, lors de la danse destinée à communiquer aux autres ouvrières des messages sur les sources de nourriture, la danseuse ne peut être vue par ses camarades, puisque la danse a lieu le plus souvent dans l'obscurité du nid. Si le message passe, c'est donc uniquement grâce aux perceptions tactiles, auditives et olfactives des ouvrières.

ABEILLE MELLIFIQUE OU MELLIFÈRE
Nom
(genre, espèce)
:    Apis mellifica
Famille :    Apidés
Ordre :    Hyménoptères
Classe :    Insectes
Identification :    Tête triangulaire faisant partie du corps ; gros yeux latéraux ; thorax d'où partent 3 paires de pattes et 2 paires d'ailes, abdomen rayé circulairement de noir et de jaune. Aussi appelée abeille domestique
Taille :    Ouvrière : de 14 à 15 mm ; reine : de 18 à 20 mm ; faux-bourdon : 15 mm
Poids :    Ouvrière : 82 mg ; reine : de 250 à 300 mg
Répartition :    Europe, Afrique, Australie
Habitat :    Partout où il y a des plantes mellifères
Régime alimentaire :    Pollen et nectar
Structure sociale :    Vit en colonie de plusieurs milliers d'individus
Maturité sexuelle :    Reine : 6 jours après la naissance ; faux-bourdon : de 5 à 15 jours après la naissance
Longévité :    En moyenne, ouvrière d'été : 38 jours ; ouvrière d'hiver : 6 mois ; reine : de 4 à 5 ans ; faux-bourdon : 22 jours
 
2.2. Signes particuliers
Ommatidies et ocelles
L'abeille est dotée d'une part de 2 yeux composés de milliers d'yeux simples, les ommatidies, d'autre part de 3 ocelles, yeux simples disposés en triangle au-dessus de la tête. Chaque ommatidie constitue un système optique complet, comportant une cornée transparente qui forme lentille convergente, un cristallin conique et une rétinule composée de 8 cellules sensibles à la lumière. Les ocelles n'ont eux, qu'une lentille biconvexe, un corps vitré et une rétine. Ils mesurent l'intensité lumineuse et fonctionnent surtout comme des cellules photoélectriques. L'abeille s'en sert aussi pour voir de très près. Grâce aux ocelles, elle perçoit le jour et la nuit, les passages nuageux et les éclaircies.
Peigne et brosse à pollen
Les pattes arrière de l'abeille présentent, au niveau de la 3e articulation, de minuscules outils, chefs-d'œuvre d'ingéniosité, qui servent à la récolte de la précieuse poudre. Tandis que le pollen a été entassé sur un petit axe situé au fond de la corbeille, le peigne aux poils rigides, au niveau de l'articulation, et la brosse aux poils plus souples, sur la face interne, retiennent et ratissent le pollen, pour le tasser en pelote.
Trompe
Dans cet organe de 6,5 mm coulisse une langue de 2 mm, sorte de cuillère effilée que l'abeille fait pénétrer jusqu'au fond de la fleur pour y aspirer à petites lampées le nectar.

3. Les autres espèces d'abeilles
La famille des apoïdés regroupe ce que l'on appelle les abeilles des zoologistes. Elle représente 20 % des insectes hyménoptères, c'est-à-dire des insectes qui subissent des métamorphoses fréquentes, ont des ailes membraneuses et un appareil buccal capable de broyer et de lécher. Les apoïdés comptent environ 20 000 espèces et se nourrissent de nectar et de pollen. La plupart sont des abeilles solitaires, et certaines entretiennent un début de vie communautaire. Mais aucune ne constitue de colonie aussi organisée que les abeilles de la famille des apidés supérieurs qui sont les seules abeilles dites « sociales ». Il s'agit des genres Apis, Bombus, ou bourdons, Melipona et Trigona.

3.1. Les abeilles sociales
Les apis (Apis)
Les 4 espèces qui composent le genre Apis et dont fait partie Apis mellifica sont des insectes sociaux, qui vivent toujours en colonie. Elles se multiplient par essaimage et sont réparties sur toute la surface du globe. Toutes ces abeilles dansent pour expliquer à leurs congénères les lieux de récolte.
Apis dorsata, Apis florea et Apis cerana ont toutes trois tendance à nicher en plein air et peuplent le continent asiatique. Apis dorsata est l'abeille géante de l'Inde. Cette espèce est très agressive, et la piqûre de son aiguillon très redoutée. Elle accroche son nid sur de grosses branches. Ce nid est, en fait, un seul et même rayon de 0,75 à 1 m environ.
Apis florea, ou abeille « naine », est moitié moins grande qu'Apis mellifica. Sa robe est multicolore. Son nid est, lui aussi, constitué d'un seul rayon, mais plus petit : 8 cm sur 12 cm.
Apis cerana, ou abeille des Indes, est la plus proche d'Apis mellifica.

Les bourdons (Bombus)
Insectes velus et noirs à bandes jaunes ou rouges, ils vivent pour la plupart en Europe et en Amérique du Nord. Ils se nourrissent de nectar et de pollen. À l'automne, la colonie disparaît et les femelles fécondées passent l'hiver dans une cache naturelle pendant une période qui peut durer de 6 à 8 mois. Au printemps, les « fondatrices » (c'est le nom qu'on donne aux femelles, dont le nid est construit dans le sol) se mettent à pondre pour créer une nouvelle colonie. Plus l'été est court, et plus la vie de la colonie est brève. Inversement, dans les régions chaudes, les colonies sont quasiment permanentes et ne cessent de pondre que pendant la saison sèche. En France, on compte 25 espèces de Bombus, les plus communes étant le bourdon des prés (Bombus pratorum), le bourdon des jardins (Bombus hortorum), le bourdon des champs (Bombus agrorum), le bourdon des pierres (Bombus lapidarius) et le bourdon terrestre (Bombus terrestris). Tous ces insectes jouent un rôle important pour la pollinisation. Ils sont en outre dotés d'un dard, dont ils ne se servent qu'assez rarement.

Les mélipones et les trigones (Melipona et Trigona)
Ces deux derniers genres, de la famille des apidés supérieurs, sont proches parents. Mélipones et trigones vivent dans les régions tropicales, en particulier au Mexique, aux Antilles et surtout au Brésil. La plupart de ces abeilles sont plus petites qu'Apis mellifica. Plutôt grêle, leur abdomen est plus court chez certaines espèces. Quelques trigones ne dépassent pas les 4 ou 5 mm. L'une des mélipones, Melipona scutellaris, qui atteint presque la taille de l'abeille mellifique, est particulièrement jolie.
L'organisation des mélipones est plus proche de celle des abeilles domestiques que de celle des bourdons. Ces insectes font leur nid dans le creux des arbres et des rochers. Ils en surveillent d'autant mieux l'entrée que celle-ci est précédée d'un long couloir. Quelques individus nichent dans le sol, comme les bourdons, et y cohabitent parfois avec les termites. Chez ces espèces, la cellule natale reçoit d'abord de la nourriture avant de recevoir l'œuf.

3.2. Les abeilles solitaires
Les abeilles des autres familles sont solitaires. Chez celles-ci, le nid construit sans l'aide d'ouvrières est composé d'une dizaine de cellules destinées à la ponte. Dans chacune d'elles, l'abeille place un peu de nourriture et pond un œuf. La future larve dispose ainsi de réserves alimentaires pour sa croissance, tandis que la femelle meurt avant que l'œuf soit éclos.
La plus solitaire de toutes les abeilles est la mégachile femelle, dite « coupeuse de feuilles », parce qu'elle creuse dans du bois en pleine décomposition des galeries qu'elle garnit de feuilles coupées et modelées en forme de dé à coudre. Ces feuilles serviront de berceaux aux nouveau-nés. La famille des mégachilidés, à laquelle appartient la mégachile, comprend aussi des abeilles maçonnes et est répandue un peu partout dans le monde.
Les collétidés – insectes peu évolués qui possèdent une langue courte et sont surtout nombreux dans l'hémisphère Sud – et les andrénidés qui vivent dans l'hémisphère Nord sont aussi des familles d'abeilles solitaires, comme celles, moins répandues, des mellitidés, des oxaéidés et des fidéliidés, petites familles sans nom vernaculaire.
Bien que considérés comme solitaires, les halictes (famille des halictidés), surnommés par les Anglais « abeilles de la sueur », sont proches des bourdons. On trouve, chez ces insectes, les premières ébauches d'une vie en société. La femelle fondatrice a une durée de vie analogue à celle de l'abeille mellifique et reste fidèle à son lieu de ponte toute son existence. Année après année, le nombre cumulé de ses enfants forme une sorte de colonie, et l'on assiste à une certaine répartition des tâches (ravitaillement, construction, soins aux jeunes) semblable à celle qui existe pour Apis mellifica. Toutefois, il n'y a pas, entre ouvrières, reine et mâles, de différences morphologiques marquées.

4. Origine et évolution des abeilles
Parmi les 6 familles des apoïdés, ou insectes qui se nourrissent de pollen et de nectar, celle des apidés regroupe toutes les abeilles, les solitaires et les « sociales », comme les abeilles du genre Apis, auquel appartient l'abeille mellifère ou mellifique, et celles de genres moins connus : Melipona, Trigona et Bombus, ou bourdons. Ainsi, pour les zoologistes, les bourdons, mâles et femelles, sont des abeilles. Il ne faut pas les confondre avec les faux-bourdons, qui sont les mâles chez les abeilles du genre Apis.
Comme l'explique le biologiste autrichien Karl von Frisch dans son livre Vie et Mœurs des abeilles, les ancêtres des abeilles sont probablement des insectes solitaires et prédateurs, telles les guêpes maçonnes. On ne sait pas exactement comment ou quand leur vie sociale a débuté.
Vers le milieu du crétacé, il y a 100 millions d'années, les plantes se sont répandues sur toute la terre. C'est à cette époque que s'est faite la différenciation entre les guêpes et les abeilles. Des abeilles fossiles ayant de nombreux points communs avec les formes actuelles d'Apis ont été trouvées en plusieurs endroits.
La première découverte a eu lieu dans les pays Baltes, où fut repéré un insecte emprisonné dans des morceaux d'ambre (résine fossile d'origine végétale), qui datait de l'éocène supérieur (– 70 millions d'années environ). Il devait avoir vécu en groupe, car, dans le même morceau d'ambre, étaient fossilisés à côté de lui cinq autres individus. On a donné à ces ancêtres d'Apis mellifica le nom d'Electreapis, ou abeille de l'ambre.
Certaines abeilles datant du miocène, inférieur et supérieur (entre – 25 et – 7 millions d'années), ont été découvertes en Allemagne occidentale, dans les schistes de Rott ; d'autres, retrouvées en France, dans le bassin aquitain, datent de l'oligocène (entre – 37 et – 25 millions d'années). Toutes ces abeilles fossiles étaient assez bien conservées.
Traditionnellement, le genre Apis, originaire d'Asie, ne comporte que 4 espèces, vivant toutes en société. Outre Apis mellifica, il y a Apis dorsata, l'abeille géante de l'Inde, Apis florea et Apis cerana, vivant en Inde elles aussi. On distingue, en outre, différentes races ou sous-espèces de Apis mellifica, appelées abeilles domestiques, parce qu'elles ont été « apprivoisées » par l'homme, qui en prend soin. L'une d'elles est l'abeille noire de France, ou Apis mellifica mellifica.

5. Les abeilles et l'homme
Précieuses auxiliaires de l'homme, qui en prend soin et exploite leurs produits depuis des millénaires, les abeilles ont aussi une place importante dans l'imaginaire des peuples, où elles sont, tour à tour, messagères des dieux ou symbole d'inspiration poétique.

5.1. Des insectes sacrés qui auraient nourri les dieux et les prêtres
Pour les Égyptiens de l'Antiquité, elles étaient nées des larmes de Rê, le dieu solaire qui les avait répandues sur la Terre, tandis que le prophète Mahomet déclare dans le Coran que « ce sont des insectes sacrés ». En Grèce, Melissa (qui signifie abeille) est une femme d'une incomparable beauté. Fille de Melissée, roi de Crète, elle aurait nourri Zeus de lait de chèvre et de miel, ce qui a laissé imaginer qu'elle aurait été transformée en abeille.
Tiré du miel, l'hydromel est, pour les Celtes comme pour les Égyptiens et les Grecs, la liqueur de l'immortalité. Et, représentées sur les tombeaux, les abeilles annoncent la survie après la mort : ne disparaissent-elles pas pendant les mois d'hiver pour ressusciter, en quelque sorte, vers le printemps ? Le monde chrétien est, lui aussi, frappé par les merveilles accomplies par cet insecte, véritable incarnation de l'âme, qui distille le suc des fleurs, comme l'âme rassemble le suc des fleurs de la réalité. Les chrétiens du Moyen Âge voient également dans le dard de l'abeille le symbole de l'exercice de la justice.
En dehors même de toute référence religieuse, l'abeille symbolise le souffle ou le feu de l'inspiration, oratoire, poétique ou philosophique. Une légende de l'Antiquité veut que, dans leur berceau, Pindare et Platon aient eu leurs lèvres effleurées par ces insectes.

5.2. Pour domestiquer les abeilles, les hommes ont construit les ruches
Avant la découverte du sucre de canne et de betterave, le miel a longtemps été pour l'homme l'unique source de sucre. D'où l'attention portée autrefois à ce produit qui ne servait pas seulement d'aliment : 2 000 ans avant J.-C., en Assyrie, les corps des morts célèbres étaient vernis à la cire, puis embaumés dans le miel, une coutume qui s'est perpétuée en Grèce pendant vingt siècles. De nos jours, c'est le service rendu à l'homme par la fécondation des fleurs qui passe au premier plan. Toutefois, la pollinisation des fleurs était déjà connue 5 000 ans avant J.-C., en pays Sumer.
Très tôt, pour éviter que la chasse au miel ne détruise ou ne perturbe les colonies, l'apiculteur a créé la ruche. La forme de ces nids artificiels a beaucoup évolué, des temps préhistoriques jusqu'à nos jours, sans que l'évolution, fruit de ressources locales et de l'ingéniosité humaine, ait été linéaire. Il fallait apporter une solution au problème posé par la préservation du couvain et des colonies. En effet, pour récolter le miel, l'apiculteur était autrefois obligé de détruire la ruche après avoir asphyxié les abeilles.
Au départ, on s'est contenté d'imiter les cavités naturelles recherchées par les abeilles, en récupérant les troncs creux qui avaient parfois déjà logé une colonie. Très primitives, ces premières « ruches-troncs » qui ont donné une variante, la « ruche-écorce », datent de la préhistoire, mais on en trouvait encore en France, au xive et au xve siècle. Puis sont apparues les caisses à planches verticales. L'adoption d'une croix de bois offrant une charpente aux abeilles pour l'aménagement des rayons a représenté une étape très importante. Dans certains cas, des baguettes remplacent les planches. Il s'agit sans doute d'une invention de peuples nomades, en quête d'un matériel léger, aisément transportable. L'armature des ruches est alors recouverte d'une protection étanche et isolante, confectionnée le plus souvent avec de la bouse de vache. En France, certains utilisent encore ces nids de forme conique. Dans les régions de culture céréalière, les apiculteurs sont passés rapidement des baguettes à la paille, notamment à la paille de seigle.
Puis les ruches à rayons fixes apparaissent. Composées de sortes de cubes empilés, elles comportent une calotte placée au-dessus du nid et communiquant avec lui. Celle-ci constitue un magasin supplémentaire, ce qui laisse plus de place pour le couvain et les réserves de miel dans le corps principal de la ruche.
L'apiculteur y récolte le miel sans porter préjudice au couvain. L'origine de telles ruches remonte au xiiie siècle en Italie, au xviie siècle en Angleterre.
La dernière étape de l'évolution est la ruche dite « à cadres mobiles » : elle est composée de pièces de forme variable (ronde, triangulaire, carrée), que l'apiculteur peut à sa guise déplacer et manipuler sans gêner toute l'activité du nid, tandis que les abeilles voient leur travail considérablement allégé, puisqu'elles n'ont qu'à compléter des alvéoles préconstruites...
Inventé en 1844 par un Français, M. Debeauvoys, et perfectionné sept ans plus tard par l'Américain Langstroth, ce type de ruche a fait considérablement progresser l'apiculture en la rendant plus précise. Pourtant, il a eu de nombreux détracteurs.
Au xixe siècle, les « fixistes », nom donné aux apiculteurs qui utilisent les ruches à rayons fixes, se sont opposés aux « mobilistes », les défenseurs des ruches à cadres mobiles. Aujourd'hui encore, le débat n'est pas clos, si l'on en juge par l'ouvrage d'un spécialiste, Alain Caillas. Le Rucher de rapport, paru dans les années 1950, comporte toute une partie où le fixisme est passé en revue et critiqué par l'auteur.

5.3. La lutte contre les maladies parasitaires et les autres menaces
Le travail d'entretien d'une ruche implique aussi la lutte contre de nombreuses maladies. Les plus graves sont l'acariose, la vaorrase, la nosémose et la loque américaine. Cette dernière est due à un microbe et attaque le couvain à tous les stades de son développement. Un autre microbe est à l'origine de la nosémose qui s'en prend aux voies digestives. L'acariose, qui touche les trachées de l'abeille et entraîne la mort par asphyxie, est une maladie parasitaire. C'est le cas également de la vaorrase, véritable fléau dont sont actuellement victimes, partout dans le monde, des colonies entières détruites en quelques années – entre trois et cinq ans.
Le responsable en est le vaorra, qui suce le sang des insectes. Il a été découvert à Java, en 1904, par Edward Jacobson. À l'époque, ce parasite vivait sur Apis cerana, mais ne mettait pas en péril la vie de ses colonies. Soixante ans plus tard, le vaorra est détecté sur Apis mellifica qui a dû s'y exposer en pillant des colonies de Apis cerana. La maladie se propage à une vitesse extraordinaire dans le monde entier – des îles de la Sonde en Asie, jusqu'en France. Le 1er novembre 1965, elle faisait son apparition au nord de l'Alsace et, un an après, au sud, dans la région du Var. L'agent de cette propagation est la femelle du parasite qui, après s'être accouplée, s'introduit dans le nid, sur une abeille, et commence à infecter le couvain. Les larves du vaorra se développent sur la larve d'abeille, entraînant des malformations. Puis elles se nourrissent de l'hémolymphe des abeilles adultes, qu'elles épuisent et infectent.
Les traitements élaborés pour détruire ce parasite sont d'ordre chimique et n'ont été efficaces qu'à 70 %. De plus, ils ne sont pas sans risque pour le miel qu'ils polluent et peuvent perturber le fonctionnement de la colonie. C'est pourquoi les recherches du Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.) et de l'Institut national pour la recherche agronomique (I.N.R.A.) font appel à la biologie pour trouver d'autres remèdes. L'objectif est d'attirer et de piéger les parasites à l'entréede la ruche avant qu'ils n'y pénètrent, et d'utiliser certaines substances pour les neutraliser.
Par ailleurs, outre les parasites et les virus, d'autres menaces pèsent sur les abeilles : ainsi, la raréfaction des plantes qui leur fournissent nectar et pollen (liée à la monoculture et l'utilisation d'herbicides) et les épandages de pesticides sont parmi les facteurs qui contribuent à réduire les populations de pollinisateurs.  D'où  les recommandations adoptées par la FAO en 1996, l'interdiction, en France, du Gaucho et du Régent sur certaines cultures entre 1999 et 2006 ainsi que la prise en compte du rôle des abeilles dans la préservation de la biodiversité comme dans le programme ALARM (pour « Assessing Large scale environmental Risks for biodiversity with tested Methods ») lancé en 2004 sur 5 ans à l'échelle européenne et confié à 80 organismes de recherche afin d'évaluer les risques encourus par la biodiversité terrestre et aquatique et l'impact économique de son éventuel déclin.

5.4. L'apiculture et ses vertus thérapeutiques
Les produits de la ruche ont de nombreux pouvoirs thérapeutiques qui ont été connus dès les premiers temps, puisque, dans l'Égypte ancienne, ils entraient dans la fabrication des onguents.
Aisément assimilé par l'organisme, le miel est riche en calories (300 Cal pour 100 g). C'est un produit énergétique très apprécié des sportifs. Il agit également comme laxatif, sédatif, et donne de l'appétit. Il est généralement absorbé par voie buccale. Aux États-Unis et en Allemagne, il peut aussi être injecté.
Les miels unifloraux ont des qualités qui sont liées à leur provenance. Ainsi, le miel d'eucalyptus est utilisé en cas de maladies respiratoires ; celui de l'origan et de la sarriette soigne les rhumatismes et la goutte, et le miel de ronce, les maux de gorge.
Adoptée surtout en dermatologie, la cire améliore la consistance des pommades. Quant à la propolis, elle est précieuse pour les vétérinaires comme anesthésique local, par exemple, ou pour cicatriser une plaie et lutter contre les hémorragies ; elle est exploitée en médecine comme fongicide et comme antibiotique.
Le venin de l'abeille a longtemps servi de base à certains traitements des rhumatismes. D'éminents savants grecs et latins, comme Celse, Galien ou Hippocrate y font allusion dans leurs ouvrages. De tels traitements existent aujourd'hui encore.
Enfin, les thérapeutes apprécient naturellement le pollen et la gelée royale. De par sa constitution (protides, glucides, quelques lipides, vitamines, matières minérales, oligo-éléments), le pollen, que les apiculteurs recueillent en posant une grille à l'entrée de la ruche – obligeant ainsi les butineuses à se débarrasser de leur fardeau – est essentiellement un fortifiant. Il favorise la croissance et agit comme régulateur sur les fonctions intestinales. Comme le miel, il peut être unifloral, avec des propriétés liées à son origine.
Composée d'eau, de protides, de quelques lipides, de substances minérales, d'oligo-éléments et de vitamines, la gelée royale – dont la récolte est difficile – est un produit riche pouvant servir d'antibiotique. C'est un remède efficace contre la fatigue et pour retrouver l'appétit (on conseille de le donner aux bébés).

5.5. Les chasseurs de miel
Au pays des Gurungs, sur les contreforts sud de l'Himalaya, les techniques de récolte du miel de Mani Lâl, Népalais de 63 ans, remontent aux origines de l'apiculture. Accompagné de toute une équipe, il se rendait d'abord près d'une falaise vertigineuse après avoir traversé la jungle, pieds nus. Là, au cours d'une cérémonie rituelle, il offrait des présents à Pholo, divinité locale, et lisait les présages dans les poumons d'un coq. Puis, il descendait jusqu'au nid d'abeilles, suspendu à une échelle de grosse corde en fibres de bambou. Le nid, construit à même le rocher, mesurait 1,60 m de large sur 1,30 m de haut. Le chasseur ne portait qu'une cape de laine feutrée qu'il rabattait par-dessus sa tête pour se protéger, et 2 perches de bambou pour détacher le couvain. Ses compagnons lui faisait descendre un panier tapissé de cuir qu'il plaçait au-dessous du nid. Mani Lâl éventrait les alvéoles d'où le miel et la cire coulaient en abondance. Puis, toujours accroché à sa corde, il devait maîtriser la remontée du panier chargé d'une vingtaine de litres de liquide, qui risquait en le percutant de le déséquilibrer.

5.6. La découverte du langage dansé des abeilles
La découverte de la danse de l'abeille et celle de son langage ont, au début du  xxe siècle, fait progresser la compréhension des insectes et celle de tout le monde animal. Dans ses Mémoires, le biologiste autrichien Karl von Frisch décrit les premières observations qui furent à l'origine de cette découverte. Il s'était fait prêter une boîte spéciale, munie de deux fenêtres de verre, qui lui permettait d'observer des deux côtés le mouvement des abeilles sur leur rayon de miel : « J'en attirai quelques-unes, raconte-t-il, jusqu'à une coupelle d'eau sucrée et les marquai d'un point de peinture à l'huile rouge ; après quoi, j'interrompis l'apport de nourriture. Quand tout fut redevenu tranquille près de la coupelle, je la remplis de nouveau et j'observai le retour à la ruche d'une abeille qui était venue en éclaireuse et avait bu à la coupelle. Je n'en crus pas mes yeux ! L'abeille se mit à danser en rond, entourée des abeilles marquées qui témoignèrent d'une grande excitation, et provoqua leur envol vers la coupelle pleine. » (Mémoires, 1973).

 

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VIE ET MORT DES NEURONES ...

 

 

 

 

 

 

 

Vie et mort des neurones dans le cerveau vieillissant
mensuel 322
daté juillet-août 1999 -

Deux idées fausses sont répandues. Tout d'abord, notre cerveau perdrait un nombre important de neurones au cours du vieillissement normal. Ensuite, cela expliquerait les troubles de la mémoire qui apparaissent avec l'âge. Or une mort cellulaire étendue ne survient que dans les démences neurodégénératives, comme la maladie d'Alzheimer. Dans le vieillissement normal, il s'agit plutôt alors d'un changement des propriétés des neurones.

Certainesmaladies neurodégénératives maladies d'Alzheimer ou de Parkinson, par exemple sont souvent associées au vieillissement. Il s'agit pourtant de phénomènes bien distincts, comme nous allons le voir. La mort cellulaire est le propre des pathologies neurodégénératives : certains circuits nerveux majeurs sont interrompus par la mort de neurones et la perte de synapses*, en général de manière sélective. Ainsi, la maladie de Parkinson est-elle caractérisée par la dégénérescence quasi totale d'une structure appelée " substance noire ". Quant à la maladie d'Alzheimer, le tableau clinique est hétérogène. En ce qui concerne le cortex, on distingue des zones primaires, qui traitent l'information sur un mode unique visuel, auditif, moteur... et des zones associatives, qui comme leur nom l'indique, traitent l'information de manière intégrée, plus complexe, et sont impliquées dans les fonctions dites supérieures comme le langage, la reconnaissance des visages, etc. Les premières ne souffrent que de pertes minimales, mais les dégâts sont importants dans les secondes. Le circuit le plus vulnérable est la connexion entre deux structures essentielles à la mémoire : le cortex entorhinal* et l'hippocampe*. Elle est appelée « voie perforante ».
Anatomie. Le cortex entorhinal CE est une région d'extraordinaire convergence, réunissant des informations en provenance de tout le cortex associatif, une sorte d'entonnoir dans lequel passent des données déjà traitées ailleurs dans le cerveau, avant d'aller rejoindre l'hippocampe. Ce dernier, quant à lui, joue un rôle primordial dans les processus de mémorisation. Les deux struc-tures cérébrales sont contiguës. Et si l'ensemble occupe dans l'espace une forme compliquée, le trajet de l'information est linéaire, en première approximation : du cortex entorhinal, l'information pénètre dans l'hippocampe via la voie perforante, jusqu'à une zone appelée gyrus denté. De là, elle repart vers une autre zone de l'hippocampe, CA3 CA pour corne d'Ammon puis vers une troisième, appelée CA1 fig. 2.

Les neurones de la voie perforante forment un ensemble particulier. Ils se situent pour la plupart dans la deuxième des six couches du cortex. Chez les sujets souffrant de la maladie d'Alzheimer, même très légèrement, on observe une perte assez étendue de neurones dans cette couche du cortex entorhinal, pouvant atteindre 50 %. Cette perte est parfois directement observable par imagerie IRM*, par exemple. Dans les cas sévères de la maladie d'Alzheimer, 90 % de ces neurones disparaissent. La destruction de la voie perforante peut alors mener à une interruption globale des connexions entre les zones associatives du cortex et de l'hippocampe, ce qui pourrait expliquer au moins une partie des troubles mnésiques liés à la maladie. Cette mort neuronale est sélective. D'autres parties de l'hippocampe, tels le gyrus denté ou de la région CA3, sont très résistantes à la dégénérescence chez le malade1.
Deux signes neuropathologiques s'ajoutent à la dégénérescence dans la maladie d'Alzheimer. On observe tout d'abord dans les tissus atteints la présence de plaques séniles : des structures sphériques microscopiques formées d'un coeur de protéines insolubles, et entourées de prolongements nerveux anormaux. Elles sont composées, en partie, de la protéine b-amyloïde. Les dégénérescences neurofibrillaires DNF constituent le deuxième signe. Celles-ci se situent à l'intérieur des cellules. Ce sont également des accumulations de protéines anormales, cette fois en rubans ou en faisceaux. Plaques séniles et dégénérescences neurofibrillaires sont considérées comme le reflet de la progression de la maladie et signalent une perturbation des circuits cérébraux. Elles conditionnent le diagnostic de la maladie. Cependant, leur seule présence ne suffit pas à expliquer la démence observée chez les patients puisqu'elles existent également chez des individus âgés sains. Dans le vieillissement normal, le nombre de DNF est extrêmement faible. Si la vaste majorité des humains après 55 ans ont certes quelques DNF, ou des neurones « en transition » vers une DNF dans la deuxième couche du cortex entorhinal fig. 1, ces individus sont a priori asymptomatiques, et ne souffrent d'aucune perte de mémoire manifeste. Cette observation contraste avec les analyses post mortem de patients atteints de la maladie d'Alzheimer : les DNF sont répandues dans tout le cortex associatif fig. 3.


Une relation trouble. Finalement, la relation entre la présence des DNF et la maladie reste assez obscure. Il n'existe ainsi aucun argument reliant la formation de DNF qui survient dans le vieillissement normal avec une dégénérescence ultérieure plus grave, comme la maladie d'Alzheimer. De plus, il est improbable que le déclin de la mémoire dans le vieillissement normal résulte de la présence minime de DNF dans le cortex entorhinal. Enfin, il faut remarquer que la démence dans la maladie d'Alzheimer va bien au-delà de la perte de mémoire. Sa sévérité est plutôt corrélée avec le nombre de DNF du cortex en général qu'avec ceux du cortex entorhinal ou l'hippocampe2.
Mais que se passe-t-il alors dans le vieillissement cérébral normal ?

Mort neuronale. L'idée d'une mort neuronale conséquence inévitable du vieillissement s'est répandue à partir des années 1950. Quelques articles démontrèrent une mort de neurones en l'absence de maladie neurodégénérative, chez l'être humain âgé, aussi bien que chez des primates non humains ou des rongeurs. Ces études présentaient des résultats disparates, mais leur ensemble suggérait que la plupart des aires du cortex et certaines parties de l'hippocampe perdaient de 25 % à 50 % de leurs neurones avec l'âge. A la fin des années 1980, la littérature fut analysé rigoureusement par Paul Coleman et Dorothy Flood de l'université de Rochester3. Leur conclusion confirma qu'il existe une perte importante de neurones avec l'âge. Cependant, dans certains cas, de l'avis même des auteurs, les données pouvaient être mises en doute à cause de différences entre espèces ou souches, traitement des tissus, ou méthode expérimentale. Dans toutes ces études passées, les chercheurs mesuraient la densité des neurones dans une structure donnée, et non pas leur nombre. Ces mesures de densité pouvaient être biaisées par des changements de la taille des neurones ou des structures étudiées, que ce soit à cause de la préparation du tissu pour l'observation, ou à cause du processus de vieillissement lui-même. Le développement de méthodes plus rigoureuses pour compter le nombre et non plus la densité des neurones, en particulier les techniques dites stéréologiques a infirmé cet ancien point de vue fig. 4. Ces nouvelles techniques reposent à la fois sur l'observation en volume de coupes plus épaisses et sur des techniques d'imagerie et de comptage informatique. Leur application à différentes espèces, y compris les humains, a mené à la conclusion que la chute du nombre de neurones n'est pas significative dans le vieillissement normal, au moins en ce qui concerne les deux structures cérébrales qui nous intéressent ici : le cortex entorhinal et l'hippocampe.
Etude fonctionnelle. Les travaux les plus intéressants pour le vieillissement sont ceux qui ont étudié une région cérébrale donnée, en association avec certaines fonctions. En particulier, P.R.. Rapp et M. Gallagher, à l'époque à l'université de Stony Brook à New York, ont analysé les données stéréologiques de l'hippocampe de rats âgés, et étudié simultanément leur comportement4. Ils ont montré que la mort neuronale n'est probablement pas la cause du déclin fonctionnel. Dans leur étude, ils n'observent pas de diminution du nombre de neurones dans les différents champs de l'hippocampe, chez le rat âgé en comparaison avec le rat jeune. Des résultats similaires ont été obtenus grâce à des modèles de vieillissement cognitif avec des primates non humains.
Chez les personnes âgées non démentes, il n'y a aucune perte neuronale dans le cortex entorhinal ou dans la partie CA1 de l'hippocampe, les deux régions les plus impliquées dans la fonction mnésique.
Il existe pourtant des baisses fonctionnelles claires, liées à des circuits identifiés. Un certain nombre de tâches comportementales spécifiques de la fonction hippocampique ont révélé un défaut mnésique associé avec l'âge à la fois chez les rongeurs et les singes. Il existe également des données très fortes en faveur de troubles similaires chez l'homme. Comment les expliquer alors ?
Au niveau psychologique déjà, il semblerait que les troubles mnésiques liés à l'âge chez l'être humain diffèrent de ceux observés dans les formes précoces de la maladie d'Alzheimer. Tandis que les malades ne peuvent retenir que très peu de nouvelles informations, les personnes agées saines peuvent le faire, même si cela leur est plus difficile et prend plus de temps que dans leur jeunesse.

Changements qualitatifs. Il existe en fait dans le vieillissement normal des changements neuroanatomiques autres que la mort cellulaire : des modifications de la quantité et de la qualité des connexions entre les neurones. Diverses hypothèses ont été envisagées. A. Peters et ses collègues de la faculté de médecine de Boston ont décrit des singes âgés sans perte neuronale dans le cortex préfrontal, mais avec des troubles cognitifs démontrables, ce qu'ils ont attribué à une rupture de l'enveloppe de myéline qui entoure les neurones, et favorise la transmission des informations. Les connexions de et vers le cortex préfrontal seraient intactes, mais atteintes fonctionnellement5. Quant à Y. Geinisman, de la faculté de médecine de Chicago, il a montré chez le rat une perte du nombre de synapses dans la zone terminale de la voie perforante, ce qui pourrait affecter la fonction de ce circuit, mais cela ne semble pas survenir chez le singe6. Par ailleurs, la forme des dendrites*, et la morphologie des synapses pourraient être transformées, à la fois chez le rongeur et l'homme7. Ces changements pourraient avoir un impact sur les circuits hippocampaux.
A un niveau encore plus fin, celui de la transmission synaptique, de nombreux aspects ne sont pas affectés, ou bien les troubles sont compensés, au cours du vieillissement dans l'hippocampe du rat, ainsi que le prouvent les études électrophysiologiques, comme celles de Carol Barnes au département de psychologie de l'université de l'Arizona8. Ce type d'étude permet de mesurer l'activité synaptique des réseaux des neurones. Une composante de la transmission synaptique apparaît cependant invariablement compromise dans le vieillissement, c'est la plasticité des synapses.
Qu'est-ce donc ? On considère en général aujourd'hui que l'expérience individuelle s'inscrit dans le cerveau au travers de modifications des connexions entre les neurones. Certaines deviennent plus importantes, d'autres moins, en fonction de l'activité, ininterrompue, du cerveau. La plasticité synaptique recoupe plusieurs types d'événements. Le plus étudié d'entre eux s'appelle potentialisation à long terme PLT ou LTP en anglais. C'est l'augmentation réversible de l'efficacité d'une connexion dans des conditions particulières.
Elle a été comparée par certains auteurs au conditionnement pavlovien, à un niveau cellulaire : si une cellule est active en même temps qu'une autre, leur connexion est « renforcée » voir l'encadré. La plupart des neurobiologistes admettent ainsi que de telles transformations permettent de stocker des souvenirs dans le cerveau, bien que ce ne soit pas absolument démontré. C'est dans l'hippocampe que la PLT a été mise en évidence pour la première fois. Or, la capacité à obtenir une PLT diminue avec l'âge. Ce cerait là le substrat biologique du vieillissement cognitif. Ces changements sont dépendants de certains récepteurs, appelés NMDA, acteurs essentiels de la PLT. Ces récepteurs sont des protéines, plus faciles à mesurer que ce phénomène assez fin qu'est la plasticité. C'est pourquoi ils sont utilisés comme marqueurs pour l'étudier. Nous avons montré récemment, chez le singe, que le nombre de ces récepteurs diminuait spécifiquement dans la voie perforante9 fig. 6.

Mémoire spatiale. A ce propos, les résultats les plus fascinants concernent une forme de mémoire spatiale chez le rat. Il existe chez cet animal, comme chez les primates d'ailleurs, des « cellules de localisation ». Ce sont des neurones de l'hippocampe qui enregistrent un environnement familier. Ils s'activent quand l'animal est dans un endroit particulier qu'il reconnaît. Plusieurs neurones de localisation associés peuvent former ensemble une sorte de carte, qui permettrait à l'animal de se repérer dans un endroit qu'il aurait déjà fréquenté fig. 5. Ce type de cartes est généralement interprété comme un substrat de la mémoire spatiale. La formation des cartes, c'est-à-dire le stockage de nouvelles informations dans les neurones de localisation, est un exemple typique de plasticité synaptique. De manière intéressante, les cellules de localisation fonctionnent normalement chez le rat âgé, tant que celui-ci reste dans son environnement familier. Mais s'il change d'environnement, le rat âgé est alors dans l'incapacité de recréer ou de retrouver une nouvelle carte. Le parallèle est frappant avec la désorientation spatiale que l'on observe chez de nombreuses personnes âgées, et qu'elles ressentent en « étant perdu ». Les auteurs de l'étude, Carol Barnes et ses collègues, supposent que le déficit est lié à la défaillance, due à l'âge, des mécanismes de la PLT10. Il s'agirait là donc d'un substrat cellulaire au vieillissement mnésique.

Les événements neurodégénératifs sous-tendant la maladie d'Alzheimer semblent donc bien distincts de ceux impliquant la perte de mémoire liée à l'âge. Il semble qu'il existe cependant un point commun très marquant aux deux phénomènes : le rôle des oestrogènes des hormones sexuelles. Bruce McEwen et ses collègues de l'université Rockefeller ont démontré que les oestrogènes induisent une augmentation de la densité des synapses dans les cellules de CA1, ce qui peut être associé à une PLT. Récemment, nous avons montré que lorsqu'on ôte à des rats femelles leurs ovaires producteurs d'oestrogènes, les quantités de récepteurs NMDA diminuent. Cela pourrait suggèrer une diminution corrélée de la PLT11.
D'un autre côté, des expérience cliniques récentes chez la femme ont démontré que les oestrogènes ont un effet protecteur sur le déclenchement de la maladie d'Alzheimer. In vitro , les oestrogènes peuvent protéger des neurones en culture contre une toxicité induite par l'amyloïde présente dans les DNF. Aussi, bien qu'il n'y ait pas de données directe indiquant si les oestrogènes empêchent ou non la mort neuronale, ces données suggèrent qu'ils protègent contre la neurodégénérescence.

Ménopause et neurones. Il semblerait donc que les oestrogènes soient un participant essentiel dans les processus qui mènent à une incapacité mnésique et cognitive, qu'ils soient neurodégénératifs ou non. Ce rôle est d'une importance évidente pour les femmes ménopausées. Les liens entre oestrogènes, récepteurs NMDA, circuits hippocampiques et mémoire représentent une zone particulièrement active de recherches en gérontologie, qui attire un nombre croissant d'équipes de recherches.

La sénescence reproductive ménopause pourrait ainsi avoir un impact aux multiples facettes sur la perte de mémoire et le déclin cognitif, au travers d'une baisse de la régulation de circuits hippocampiques intacts, comme au travers d'une baisse de la protection contre la neurodégéneration. Peut-être n'est-il pas surprenant que les oestrogènes, des molécules si cruciales pour l'espèce, au travers de la régulation du système reproductif féminin, jouent également un rôle dans la régulation de multiples processus neuronaux qui confèrent une valeur de survivance. L'importance de telles influences neuroendocrines sur le vieillissement pour les mâles reste à éclaircir.
1 T. Gómez-Isla et al., J. Neurosci., 16 , 4491, 1996.
2 L.M. Bierer et al., Arch. Neurol., 52, 81, 1995.
3 P.D. Coleman et D.G. Flood, Neurobiol. Aging, 8 , 521, 1987.
4 P.R. Rapp et M. Gallagher, Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 93 , 9926, 1997.
5 A. Peters, J. Comp. Neurol., 371 , 153, 1996.
6 Y. Geinisman et al., Prog. Neurobiol., 45 , 223, 1995.
7 F.L.F. Chang et al., Neurobiol. Aging, 12 , 517, 1991.
8 C.A. Barnes, Trends Neurosci., 17 , 13, 1994.
9 A.H. Gazzaley et al., Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 93 , 3121, 1996.
10 C.A. Barnes et al., Nature, 388 , 272, 1997.
11 A.H. Gazzaley et al., J. Neurosci., 16 , 6830, 1996.

NOTES
*UNE SYNAPSE correspond à l'interface entre un neurone et une autre cellule neurone, cellule musculaire.... C'est par elle qu'est transmise l'information.
*L'HIPPOCAMPE est une circonvolution de la face interne de cortex temporal. Il est notamment impliqué dans les mécanismes de mémorisation et dans les crises d'épilepsie.
*Dans le lobe temporal interne, LE CORTEX ENTORHINAL est situé entre l'hippocampe et la scissure rhinale. C'est une zone de convergence pour des informations venues d'autres parties du cortex, qui sont ensuite envoyées vers l'hippocampe.
*L'IRM ou imagerie par résonance magnétique est une des techniques les plus fines d'imagerie cérébrale in vivo .
*Prolongements du corps cellulaire, LES DENDRITES forment l'antenne réceptrice d'un neurone.

SQUELETTE CELLULAIRE ET ALZHEIMER
Le constituant majeur des dégénérescences neurofibrillaires DNF de la maladie d'Alzheimer est une protéine, appelée protéine tau. Normalement, c'est à dire de façon non pathologique, elle s'associe aux microtubules qui forment le squelette des cellules. Par ailleurs, les DNF surviennent principalement dans les neurones qui contiennent de grandes quantités de neurofilaments, un autre composant du cytosquelette fig. 1. Des altérations de ce dernier seraient-elles un attribut commun aux processus dégénératifs?
De nombreuses maladies neurodégénératives possèdent une caractéristique commune, la présence dans les cellules de sortes de petites lésions, appelés corps d'inclusion, constitués, au moins en partie, de protéines de neurofilaments. Par exemple, les corps de Lewy dans les neurones de la substance noire permettent un diagnostic de la maladie de Parkinson. Dans le cortex cérébral, ils sont associés à certaines formes de démence. Les corps de Pick dans le cortex cérébral sont la lésion neuropathologique qui permet de définir la maladie du même nom, et les cellules atteintes dans la sclérose latérale amyotrophique montrent des inclusions dans les muscles moteurs.
Des expériences semblent montrer un lien entre squelette cellulaire et maladie neurodégénrative. Ainsi, des souris transgéniques qui surexpriment certaines proteines normales des neurofilaments montrent des troubles des neurones moteurs similaires à la sclérose amyotropique. De plus, les souris transgéniques qui expriment une protéines humaine de neurofilament montrent des profils pathologiques multiples, ressemblant aux dégénérescences neurofibrillaires, ou aux corps de Pick...
L'implication des protéines des neurofilaments n'exclue pas un rôle tout aussi important du stress oxydatif, ou même d'autres mécanismes. En fait, ces derniers pouraient même augmenter la rupture de l'assemblage ou du transport des neurofilaments. Reste à savoir pourquoi ces protéines deviennent pathogènes.

LA POTENTIALISATION À LONG TERME
Le réseau des neurones du cerveau est en perpétuel changement. Parmi les divers phénomènes impliqués, la potentialisation à long terme PLT est sans doute le plus étudié. Découvert pour la première fois en 1966, dans l'hippocampe, c'est aujourd'hui encore dans cette structure que de nombreuses études s'attachent à en élucider les mécanismes.
Le principe général est le suivant. Un ensemble B de fibres nerveuses active un ou plusieurs autres neurones A dont on enregistre la réponse. Tant que la stimulation reste constante, la réponse l'est aussi. Cependant, si on intercale une série de stimulations à très haute fréquence appelé tetanus, la réponse augmente alors, et cela même après la reprise du rythme initial.

Dans le modèle classique, les fibres A libèrent une molécule excitatrice, le glutamate. Celui-ci se fixe sur des récepteurs à la surface de la cellule B et provoque la réponse que l'on enregistre. Le glutamate exerce son action par au moins deux catégories de récepteurs. Les premiers s'appellent AMPA, les seconds NMDA, du nom de composés qui servent à les identifier. Les premiers véhiculent la réponse. Les seconds forment des " détecteurs de coïncidence ". Ils ne s'activent que lorsque deux conditions sont remplies: quand les fibres A sont activées, et quand le neurone B l'est aussi ce qui est le cas lors d'un tetanus. C'est en quelque sorte un transistor biolo- gique. L'activation du récepteur NMDA déclenche toute une cascade de réactions biochimiques qui aboutissent in fine à l'augmentation prolon- gée de la réponse: la PLT.

Bien que l'on ait découvert de nombreux autres mécanismes qui puissent agir comme détecteur de coïncidence, le récepteur NMDA en reste l'archétype. A ce titre, sa présence est extrêmement surveillée dans les études sur la plasticité. Ainsi, des expériences de manipulation génétique des récepteurs NMDA ont mené à des troubles de la PLT et de l'apprentissage en l'absence de changements dégénératifs. Par ailleurs, une présence moindre des récepteurs NMDA, dans l'hippocampe, a été associée au vieillissement chez le singe.

 

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LES GÈNES HOMÉOTIQUES ET L'ÉVOLUTION DES ANIMAUX

 

 

 

 

 

 

 

LES GÈNES HOMÉOTIQUES ET L'ÉVOLUTION DES ANIMAUX

L'idée que les modifications que subissent les espèces au cours de l'évolution sont causées par des altérations du développement de l'embryon est apparue dès le XIXe siècle. Néanmoins, l'ignorance dans laquelle nous étions des mécanismes fondamentaux de l'embryogenèse, c'est-à-dire le développement progressif d'un animal juvénile composé de milliers de cellules, de tissus différenciés et d'organes complexes à partir d'une seule cellule, l'oeuf fécondé, a empêché jusqu'à une date récente toute avancée significative dans le domaine des mécanismes embryologiques de l'évolution. Cette situation a radicalement changé depuis une trentaine d'années. Des progrès considérables ont été faits dans la compréhension de la façon dont les gènes contrôlent le développement de l'embryon. Pour la première fois, des exemples convaincants du rôle possible de certains gènes dans l'évolution de la morphologie des animaux ont été proposés. Au cours de mon exposé, je souhaite donner un aperçu historique de la relation entre embryologie et évolution. J'essaierai d'expliquer à quel point la découverte des gènes homéotiques et de leur conservation chez la plupart des animaux a été révolutionnaire pour la biologie du développement. Dans une troisième partie, j'expliquerai comment certains de ces gènes peuvent avoir été impliqué dans l'évolution du plan d'organisation des animaux.

Texte de la 432e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 11 juillet 2002
Guillaume Balavoine, « Le complexe Hox et l'évolution des animaux »
L'idée que les modifications que subissent les espèces au cours de l'évolution sont causées par des altérations du développement de l'embryon est apparue dès le XIXe siècle. Néanmoins, l'ignorance dans laquelle nous étions des mécanismes fondamentaux de l'embryogenèse, c'est-à-dire le développement progressif d'un animal juvénile composé de milliers de cellules, de tissus différenciés et d'organes complexes à partir d'une seule cellule, l'oeuf fécondé, a empêché jusqu'à une date récente toute avancée significative dans le domaine des mécanismes embryologiques de l'évolution. Cette situation a radicalement changé depuis une trentaine d'années. Des progrès considérables ont été faits dans la compréhension de la façon dont les gènes contrôlent le développement de l'embryon. Pour la première fois, des exemples convaincants du rôle possible de certains gènes dans l'évolution de la morphologie des animaux ont été proposés.
Au cours de mon exposé, je souhaite donner un aperçu historique de la relation entre embryologie et évolution. J'essaierai d'expliquer à quel point la découverte des gènes homéotiques et de leur conservation chez la plupart des animaux a été révolutionnaire pour la biologie du développement. Dans une troisième partie, j'expliquerai comment certains de ces gènes peuvent avoir été impliqué dans l'évolution du plan d'organisation des animaux.

Evolution, embryologie et génétique
La première synthèse de l'embryologie et de l'évolution est celle de Ernst Haeckel (1834-1919), le grand naturaliste allemand. Depuis longtemps, les naturalistes avaient constaté que des animaux très dissemblables au stade adulte comme les mammifères et les poissons peuvent avoir des embryons très comparables aux stades précoces (le fameux stade « pharyngula »). Des interprétations pré-évolutionnistes ont éte proposées par Serres et par Meckel, mais la synthèse la plus connue était celle de von Baer (1792-1876). Les lois de von Baer mettent en exergue que l'embryogenèse dans un groupe donné fait d'abord apparaître les caractères les plus généraux, puis les caractères spécifiques, suivant une séquence temporelle stricte. Von Baer, qui était "fixiste" (il ne croyait pas à l'évolution des formes vivantes) voyait donc les différents groupes d'animaux comme autant de lignées séparées, ayant en commun les caractères généraux apparaissant tout au début de l'embryogenèse, et se différenciant par des caractères apparaissant plus tardivement dans le développement.

Haeckel voyait au contraire dans l'ontogénie une image exacte de la façon dont les animaux ont évolué, une conception énoncée en français par le fameux aphorisme : « l'ontogenèse récapitule la phylogenèse ». Selon Haeckel, les caractères nouveaux acquis par les organismes adultes au cours de l'évolution sont originellement des additions terminales au processus de leur développement. Par la suite, d'autres caractères peuvent encore être ajoutés en séquence, mais les caractères acquis auparavant sont retenus dans l'embryogenèse en apparaissant plus tôt. L'embryogenèse récapitule donc les formes adultes des espèces ancestrales. Un exemple bien connu est celui des fentes pharyngiennes qui apparaissent transitoirement chez les embryons des mammifères et qui selon l'hypothèse d'Haeckel sont le vestige des fentes portant les branchies chez les ancêtres « poissons » des mammifères. Haeckel reconnaît des exceptions à cette règle pourtant, c'est-à-dire des caractères qui n'apparaissent pas dans l'ontogénie à un stade qui correspond à celui de leur acquisition au cours de la phylogenèse. Mais le grand oeuvre du biologiste évolutionniste doit justement consister à retrouver dans l'embryogenèse les indices véritables de l'histoire des êtres. En appliquant systématiquement ces principes à la reconstitution de cette histoire des êtres vivants, Ernst Haeckel fut le premier à dessiner les arbres généalogiques (ou « phylogénétique ») représentant leurs parentés.

Gradualisme darwinien contre mutationnisme
Haeckel était un partisan enthousiaste des idées de Charles Darwin (1809-1882). Darwin proposa en 1859 dans l'Origine des espèces une théorie révolutionnaire de l'évolution des formes vivantes par la sélection naturelle. Le fondement de cette théorie est qu'il existe à tout moment dans la population naturelle de n'importe quelle espèce des variations infimes de la forme et de la taille des organes. Ces variations apparemment insignifiantes ont néanmoins la caractéristique d'être héréditaires. Certaines de ces variations se révèlent désavantageuses pour la survie dans son milieu de l'individu qui les porte mais d'autres sont bénéfiques. Comme la reproduction produit bien plus d'individus qu'il n'en peut survivre (la fameuse "lutte pour la vie"), les individus porteurs d'une variation bénéfique sont plus susceptibles d'attendre l'age de la reproduction que les autres et vont plus que les autres transmettrent ces avantages à leur descendance, entraînant l'expansion de la variation au sein de la population de l'espèce. Comme pendant ce temps, de nouvelles variations apparaissent, de proche en proche, par l'accumulation sur de très longues périodes de temps (Darwin parlait de millions d'années) d'infimes variations, des modifications très substantielles de l'anatomie de l'espèce peuvent se produire. Darwin ne connaissait pas l'origine des variations héréditaires qu'il constatait dans les populations naturelles et il ne savait pas par quel mécanisme ces variations étaient transmises à la descendance.
On le voit, le développement ne joue pas un grand rôle dans la théorie de Darwin. Haeckel a donc essayé de concilier le darwinisme avec sa propre théorie d'évolution des formes vivantes par modification du développement. Haeckel avait ses propres idées sur la transmission héréditaire des variations, fondée sur ce qu'il est convenu d'appeler l'hérédité des caractères acquis, mais cette théorie s'effondra avec la découverte du gène.
Ironiquement, les gènes étaient découverts par un moine morave, Gregor Mendel (1822-1884), à l'époque même où Darwin faisait publier l'Origine des espèces. Mendel travaillait sur une plante, le petit pois, et sur de petites variations de pigmentation ou de texture des téguments des graines de cette plante. Ces variations étaient semblables à celles dont parlait Darwin dans l'Origine des espèces. Mais pendant plus de trente ans, les travaux de Mendel n'ont reçu aucun écho.
L'une des premières conséquences de la redécouverte du gène vers la fin du dix-neuvième siècle a été un rejet par les premiers généticiens de l'évolution « darwinienne » (c'est-à-dire du rôle prépondérant de la sélection naturelle dans l'apparition des caractères nouveaux) comme cause principale de l'évolution anatomique. L'un des ré-inventeurs de la génétique, le hollandais Hugo de Vries (1848-1935), distinguait deux sortes de variations dans les populations naturelles : les variations continues minimes sur lesquelles Darwin fondait sa théorie, mais qui ne pouvaient, selon de Vries, en aucun cas permettre l'évolution et les variations discontinues et brutales (qu'il appela des « mutations ») qui, seules, pouvaient produire de nouvelles espèces. Le rôle de la sélection était, sinon rejetée, du moins limitée à l'émondage des espèces par trop inadaptées. Pour de Vries, l'évolution procède donc par sauts, une mutation pouvant faire apparaître soudainement une nouvelle espèce.

Bateson et les transformations homéotiques
Parmi les tenants de cette école saltationniste, on trouve William Bateson (1861-1926), zoologiste anglais. Bateson était persuadé que les mécanismes évolutifs qui produisent de nouvelles espèces sont discontinus et interviennent par des variations anatomiques brutales. Dans Materials for the study of variation (1894), il fournit un recueil considérable d'exemples de ces variations discontinues. Certaines de ces variations se caractérisent par le fait qu'une certaine partie du corps d'un organisme prenait l'apparence d'une autre partie. Par exemple, chez les insectes, les antennes peuvent être remplacée par des pattes ; chez les crustacés, les yeux peuvent devenir des antennes ; chez diverses plantes, les pétales de la fleur peuvent prendre la forme d'étamines. Bateson fournit une longue liste de ce type de transformations parmi des groupes aussi variés que les vers annelés, les insectes et les mammifères. Il inventa le terme « homéose » pour désigner ces transformations. Bateson s'intéressa à l'origine de la variation et s'enthousiasma pour la théorie génétique de l'hérédité. Cette théorie lui semblait tout à fait confirmer ses idées quant à l'apparition soudaine de nouvelles espèces. Néanmoins, pendant les décennies qui suivent, ces idées ne font guère école. Les généticiens s'intéressent essentiellement à des modifications assez minimes de la morphologie pour expliquer l'évolution des caractères. Les « monstres » issus de mutations telles que les transformations homéotiques intervenant au cours du développement précoce les intéressent fort peu.
Les mutants homéotiques de la drosophile
Il faudra attendre Edward Lewis (né en 1918, prix Nobel 1995 de médecine), un généticien américain, pour que l'origine génétique des transformations homéotiques soient analysées en profondeur. Edward Lewis a travaillé toute sa vie sur les gènes homéotiques de la mouche fétiche des généticiens, la drosophile.

Le corps d'une mouche (tête, thorax et abdomen) est formé de segments d'anatomies différentes mais qui apparaissent identiques au début de leur développement. Sous l'effet d'une mutation d'un gène homéotique, un ou plusieurs segments vont au cours du développement prendre l'apparence d'autres segments. L'exemple le mieux connu est celui de la mutation bithorax. Les mouches porteuses de cette mutation ont deux paires d'ailes et semblent avoir deux thorax. Chez les mouches (diptères), le deuxième segment thoracique (T2) est très développé et porte une paire de pattes et une paire d'ailes alors que le troisième segment thoracique (T3) est de taille réduite et porte juste une paire de pattes mais pas d'ailes. Chez le mutant bithorax, T3 ressemble trait pour trait à T2, c'est-à-dire que la taille du segment est considérablement augmentée et qu'il porte des ailes (fig 1).
Edward Lewis a consacré une bonne partie de sa carrière à l'étude de ces gènes et dans une publication en 1978, il a contribué à démontrer deux aspects fondamentaux de leur structure et de leur fonction (fig 2) :
- les gènes homéotiques sont regroupés en deux complexes sur un chromosome de la mouche, le complexe Antennapedia qui compte cinq gènes contrôlant la forme des segments de la tête et du thorax, et le complexe Bithorax avec trois gènes s'occupant du thorax et de l'abdomen. Lewis en a déduit que les gènes homéotiques étaient des gènes apparentés apparus par des duplications successives dites « en tandem » d'un seul gène ancestral.

- Ces gènes régulent l'identité des segments de la mouche le long de l'axe antéro-postérieur suivant un ordre identique à celui dans lequel on les trouve sur le chromosome. C'est ce que l'on appelle la propriété de colinéarité.
Edward Lewis pensait à cette époque que les gènes homéotiques étaient une particularité des arthropodes (les animaux articulés) et qu'ils avaient joué un grand rôle dans leur évolution. On considérait à l'époque que les insectes avaient évolué à partir d'ancêtres chez lesquels tous les segments du tronc sont identiques, comme chez les milles-pattes actuels. Cette anatomie aurait été contrôlée par un gène homéotique ancestral unique. Puis d'autres gènes, ceux du complexe Bithorax seraient apparus par des duplications du gène ancestral. Mais ces nouveaux gènes auraient acquis une nouvelle fonction, celle de gènes « suppresseurs » de « pattes » L'apparition de ces gènes aurait donc provoqué l'apparition de l'abdomen sans patte et donc des insectes (fig 3).
Les années qui suivirent, qui virent l'application systématique des nouvelles techniques de biologie moléculaire à l'analyse des gènes des deux complexes donnèrent souvent raison aux idées visionnaires de Lewis sauf sur un point important : les gènes étaient beaucoup plus anciens qu'il ne le pensait.
L'homéodomaine ou la pierre de Rosette de la biologie du développement.

Dans les années 1980, plusieurs laboratoires ont élucidé la nature et la fonction moléculaire des gènes homéotiques. Les gènes sont des fragments d'ADN sur le chromosome composé d'un enchaînement spécifique de nucléotides (les quatre fameuses bases A,T,G,C). Ces enchaînements codent la structure d'une protéine, laquelle peut avoir diverses fonctions (protéines contractiles comme dans les cellules musculaires, enzymes du métabolisme, etc ...). Quand un gène, à un moment donné du développement et dans des cellules données, est effectivement « traduit » dans la protéine qu'il code, on dit que le gène s'« exprime ». Les gènes homéotiques codent pour des protéines régulatrices de l'expression d'autres gènes, c'est-à-dire que dans les cellules où le gène homéotique s'exprime, une protéine homéotique est produite qui va à son tour réguler positivement ou négativement l'expression de plusieurs autres gènes.
Les gènes homéotiques sont responsables de l'identité des segments de la drosophile au cours du développement, c'est-à-dire qu'ils vont aiguiller le développement des cellules de ces segments vers une direction spécifique. C'est pourquoi ces gènes ont été désignés sous l'appellation de gènes « sélecteurs» : ils fixent la destinée des cellules embryonnaires dans lesquelles ils sont exprimés, c'est-à-dire dans lesquelles la protéine qu'ils codent est produite. On peut grâce à des méthodes moléculaires sophistiquées mettre en évidence l'expression du gène dans des segments spécifiques (fig 4).
Le séquençage des gènes homéotiques fut effectué dans plusieurs laboratoires, notamment celui de Walter Gehring en Suisse et celui de Thomas Kaufman aux Etats-Unis. Comme Lewis l'avait prévu, les gènes homéotiques sont bien des gènes apparentés. Ils ont tous en commun un motif conservé, lequel code pour une partie de la protéine que l'on a appelé l'« homéodomaine ». C'est grâce à cet homéodomaine que les protéines homéotiques peuvent se fixer sur le chromosome à des endroits spécifiques et réguler d'autres gènes se trouvant à proximité, les gènes « effecteurs » qui vont réaliser la « forme » finale du segment en agissant sur la différenciation des cellules de ce segment.
Les études menées sur la drosophile ont donc révélé des concepts entièrement nouveaux pour la biologie du développement. Les gènes homéotiques ont été les premiers gènes « sélecteurs » étudiés en détail mais on sait aujourd'hui que beaucoup d'autres gènes de ce type (des centaines) existent sur les chromosomes et qu'ils régulent de multiples aspects du développement.

Très rapidement, on s'aperçut que des gènes codant pour des protéines à homéodomaine très proches des gènes homéotiques de la drosophile étaient présents chez la plupart des animaux, en particulier chez les vertébrés. On appelle ces gènes les gènes « Hox » de façon générale. La voie était ouverte pour une vaste entreprise d'identification de gènes par homologie qui conduisit à la découverte des complexes de gènes Hox chez l'homme et la souris. La « Pierre de Rosette » de la biologie du développement était découverte.
Des complexes homologues chez les insectes et les vertébrés.
Les deux complexes homéotiques de la drosophile ANT-C et BX-C sont le résultat d'une scission d'un complexe ancestral unique. Cette organisation ancestrale en un seul complexe a été trouvée chez d'autres insectes. Les vertébrés ont quatre complexes de gènes Hox qui résultent manifestement de duplications d'un complexe ancestral entier. Les quatre complexes sont situés sur des chromosomes différents. Ils sont alignables entre eux, chaque gène ayant en général un proche parent chez chacun des trois autres complexes, dont l'homéodomaine est quasiment identique.

La plupart des gènes Hox des vertébrés sont alignables avec les gènes des complexes de la drosophile, sur la base de la comparaison des homéodomaines et de la position du gène au sein du complexe (figure 3). Ceci démontre que ces gènes ont été hérités d'un ancêtre commun aux deux organismes, un animal qui vivait il y a au moins 550 millions d'années. Le complexe Hox lui-même devait donc exister chez cet animal. Il a été possible d'étudier la fonction des gènes Hox chez les mammifères en prenant comme modèle la souris où il est possible d'obtenir artificiellement des mutants de ces gènes. Quand on détruit l'un des gènes de la souris, on obtient des souriceaux présentant des malformations qui sont des transformations homéotiques de la colonne vertébrale ou des côtes, c'est-à-dire que certaines vertèbres ou certaines côtes prennent l'aspect de vertèbres ou de côtes plus antérieures ou plus postérieures. On a donc des effets très comparables à ceux observés sur les segments de la drosophile.
On avait donc à l'époque entre les mains un premier exemple de conservation à très grande échelle d'une structure chromosomique complexe. Que cette structure soit constituée de gènes fondamentaux pour le développement, responsables d'une partie importante du plan d'organisation de l'animal, comme cela a été établi rapidement chez les vertébrés aussi, était complètement inattendu. Rien ne laissait penser en effet que les plans d'organisation d'un mammifère et d'un insecte avaient quoi que ce soit de comparable, hormis quelques grands traits de base (axe antéro-postérieur, présence d'une tête, etc...).
La comparaison structurelle et fonctionnelle des gènes Hox des insectes et des mammifères établissait donc de façon certaine que leur dernier ancêtre commun avait déjà un complexe Hox élaboré, que ce complexe jouait déjà un rôle dans la régionalisation antéro-postérieure de l'embryon.
L'évolution du complexe Hox au sein des animaux.
La ressemblance des complexes de la souris et de la drosophile est remarquable. Il y a néanmoins des différences importantes. D'abord, les quatre complexes semblables des mammifères suggèrent que chez un de leur ancêtre, le complexe ancestral a été dupliqué plusieurs fois pour donner les quatre copies. Ensuite, les mammifères ont beaucoup plus de gènes « postérieurs » (exprimés dans la partie postérieure de l'embryon) que les insectes (jusqu'à cinq contre un seul). Ces différences suggèrent que des changements assez importants se sont produits pendant l'histoire du complexe Hox.

Ces constatations ont amené certains chercheurs à se demander quelles ont été les grandes étapes de l'évolution du complexe, à quelle moment de l'histoire de la vie ce complexe est apparu et si cette apparition est corrélée avec une étape importante de l'évolution des formes vivantes. Une « chasse » au gène Hox a donc été menée chez toute une série d'organismes. Très vite, il est apparu que l'histoire des gènes Hox serait propre aux animaux. En effet, aucun gène proche du type Hox n'a été découvert chez les plantes, chez les champignons ou chez les bactéries.
Pour comprendre l'histoire du complexe Hox au sein des animaux, il faut avoir une idée assez précise de la généalogie des animaux. A l'époque où les gènes Hox furent identifiés, dans les années 1980, d'importants progrès restaient à faire dans ce domaine. Depuis Haeckel, les hypothèses sur la forme de l'arbre généalogique des animaux, basées sur la comparaison de leurs caractères anatomiques et embryologiques avaient abondées. Mais des conflits importants subsistaient entre les évolutionnistes. L'ère de la biologie moléculaire apporta un renouveau considérable à ce domaine car il devint possible d'utiliser les gènes pour établir les relations de parenté entre les êtres vivants. La comparaison de la structure de gènes homologues (c'est-à-dire hérité d'un ancêtre commun) entre plusieurs organismes permet d'obtenir ces informations. Tous les gènes sont constitués d'un enchaînement précis des quatre acides nucléiques constitutifs de l'ADN (A, T, G et C). Lorsqu'une espèce donne naissance à deux lignées distinctes au cours de l'évolution, de petites différences vont commencer à s'accumuler entre les gènes initialement identiques de ces deux lignées. En général, ces différences consistent en de simples remplacements, appelés substitutions, d'un acide nucléique par un autre. En première approximation, ces substitutions s'accumulent régulièrement en fonction du temps écoulé. Le principe de base de ce que l'on appelle la « phylogénie moléculaire » est donc simple : plus les structures des gènes comparés sont proches (moins on trouve de substitutions), plus les organismes concernés doivent être apparentés.

L'utilisation systématique de ces techniques sur plusieurs types de gènes a permis de voir émerger au cours des années 1990 la forme générale de l'arbre des animaux (fig 5). A la base de l'arbre émergent les éponges, les animaux les plus simples. Les éponges n'ont pas à proprement parler de tissus différenciés. Tous les autres animaux se regroupent par le fait qu'ils ont des tissus et des organes différenciés. A la base de ce nouveau groupe des « animaux à tissus », on distingue une autre branche qui est celle des polypes (anémones de mer, coraux) et méduses. Ces animaux ont été reconnus très tôt comme relativement plus simples que les autres animaux à tissus, car ils n'ont fondamentalement que deux feuillets cellulaires (un externe et un interne), n'ont pas de système nerveux condensé et pas non plus d'axe antéro-postérieur avec une tête et un tronc clairement différenciés. Tous les autres animaux semblent être regroupés dans un troisième ensemble que l'on appelle les « bilatériens ». Ce terme se réfère au fait que ces animaux ont une symétrie bilatérale (c'est-à-dire un côté gauche et un côté droit identique) mais ils ont en commun de nombreuses autres particularités. Ils ont un axe antéro-postérieur très différencié avec une tête et un tronc, un tube digestif et un système nerveux condensé avec un « cerveau » et une chaine nerveuse. Les recherches les plus récentes ont montré que ces animaux complexes, les bilatériens se divisent eux-mêmes en trois grands groupes illustrés sur la figure 5 mais ceci dépasse notre propos.
La recherche de gènes Hox chez les éponges a toujours été négative. Chez les polypes et méduses, un petit nombre de gènes apparentés aux gènes Hox a été identifié et quelques indices qu'ils sont groupés en complexe ont pu être obtenus. Chez pratiquement tous les groupes de bilatériens considérés (vertébrés, oursins, insectes, vers annelés, mollusques, etc ...), un complexe Hox élaboré comptant entre huit et quatorze gènes a été découvert. On voit donc se dessiner un scénario assez clair de l'histoire du complexe Hox. Les premiers gènes Hox seraient apparus chez un ancêtre des animaux à tissus après la divergence des éponges. A l'époque où la branche des polypes et méduses s'est séparée, le complexe Hox n'auraient compté que quelques gènes (peut-être trois). Par contre de nombreuses duplications de gènes se seraient produites chez les ancêtres des bilatériens. On peut imaginer que les grandes étapes de ce scénario correspondent à des étapes de la complexification au plan d'organisation des animaux. En gros, l'acquisition d'un axe de symétrie très simple comme celui des polypes et méduses serait corrélé à la présence d'un petit complexe de trois gènes. Par contre, l'apparition d'une régionalisation antéro-postérieure poussée comme chez les bilatériens aurait nécessité la présence d'un complexe beaucoup plus élaboré d'au moins huit ou dix gènes.
On le voit, l'existence du complexe Hox est bien plus ancienne que ce que Lewis avait imaginé. La multiplication du nombre des gènes que Lewis envisageait chez les arthropodes s'est en fait produite bien avant, chez les ancêtres des bilatériens. Pourtant, les bilateriens ont évolué pour donner une diversité époustouflante d'animaux. Est-ce à dire que le complexe Hox n'a pas été impliqué dans cette diversification, jouant simplement un rôle conservateur d'agent de régionalisation de l'axe antéro-postérieur ?

Les gènes Hox sont-ils responsables de l'évolution anatomique ?
Deux exemples concrets chez les arthropodes
Nous avons vu que l'évolution de la structure du complexe s'est faite bien avant ce que pensait initialement Edward Lewis au cours de l'histoire des animaux. Pourtant, dans la suite de cet exposé, nous allons retourner vers le groupe de prédilection de Lewis et de nombreux évolutionnistes depuis, c'est-à-dire les arthropodes. Les arthropodes, comme nous l'avons vu sont tous constitués de segments, initialement identiques au cours du développement mais qui se différencient par la suite sous l'action des gènes Hox. En comparant l'organisation anatomique des principaux groupes d'arthropodes, on s'aperçoit que leurs plans anatomiques diffèrent considérablement non seulement par la forme des segments mais aussi par la façon dont ils se regroupent le long du corps de l'animal (fig 6). Chez les myriapodes, le groupe le plus simplement organisé, tous les segments portent des pattes et ont à peu près la même forme d'un bout à l'autre. Dans les autres groupes, ils se regroupent en un thorax et un abdomen mais de façon très différentes. Chez les arachnides (araignées et autres scorpions), le thorax portant les pattes est fusionné avec la tête, alors que les segments de l'abdomen ne portent pas de pattes. Chez les crustacés, tous les segments portent généralement des pattes mais celles du thorax sont souvent très différentes de celles de l'abdomen. Chez les insectes, le thorax ne comporte que trois segments et là encore les segments abdominaux ne portent pas de pattes. Les gènes Hox sont ils responsables de ces différences ? Des chercheurs de plusieurs laboratoires ont entrepris des études à la fois sur la structure et le fonctionnement du complexe Hox chez ces grands groupes d'arthropodes. Les résultats ont été surprenants. Globalement, la structure du complexe Hox est très remarquablement conservatrice chez tous les arthropodes. On retrouve les mêmes gènes que ceux que nous avons décrits chez la drosophile chez chacune des espèces d'arthropodes considérés. Contrairement à ce que proposait Lewis, ce n'est donc pas une variation dans le nombre des gènes Hox qui explique l'évolution de l'anatomie des arthropodes. Qu'en est-il de la façon dont ces gènes s'expriment ? Nous avons que les gènes Hox, gènes sélecteurs, influent sur la destinée des cellules dans lesquels ils sont exprimés sous la forme d'une protéine. De la même façon que chez la drosophile, les divers gènes Hox des arthropodes considérés s'expriment dans des groupes de segments contigus, généralement de façon chevauchante et en respectant la règle de colinéarité. La correspondance globale des domaines d'expression suggère des correspondances entre l'anatomie segmentée des différents groupes. Ainsi, si on en croit les gènes Hox (mais aussi l'anatomie comparée plus traditionnelle), les segments du thorax d'une araignée correspondent à ceux de la tête chez les autres arthropodes. Tout ce passe comme si au cours de l'évolution soit les arachnides ont commencé à marcher sur leur tête, soit au contraire (et peut-être plus vraisemblablement) les autres groupes ont intégré à leur tête la partie la plus antérieure de leur tronc dont les pattes sont devenus des pièces buccales destinées à la mastication. Néanmoins, en comparant les gènes correspondant dans différents groupes d'arthropodes, on observe des différences parfois considérables. Le gène pb, par exemple s'exprime dans la plus grande partie du céphalothorax des arachnides (c'est-à-dire cinq segments consécutifs) alors qu'il n'est exprimé que dans un seul segment de la tête chez une espèce de crustacé. L'extension postérieure de l'expression des gènes les plus antérieurs est également variable. Est-il possible que de telles différences expliquent les différents plans d'organisation des arthropodes ? Ceci semble peu probable car il est difficile de relier ces différences individuelles avec des particularités anatomiques constatées. Une difficulté supplémentaire est que nous ne disposons pas chez ces arthropodes des collections de mutants de la drosophile et donc pas de moyen de savoir quelles sont réellement les fonctions de ces gènes.
Pourtant, dans un certain nombre de cas, les chercheurs ont trouvé des indices plus probants.

Le premier exemple concerne les crustacés (crabes, crevettes, etc ...). Les chercheurs Michalis Averof et Nipam Patel (fig 7) ont comparé l'expression du gène Ubx chez diverses espèces de crustacés. Ces espèces diffèrent par la forme et la fonction des pattes les plus antérieures portées par le thorax. Chez certaines espèces, ces pattes sont effectivement des organes locomoteurs mais chez d'autres espèces, elles sont devenues des pièces buccales avec une fonction masticatrice. Chez les embryons des premières, le gène Ubx est exprimé dans toutes les pattes. Par contre, chez les embryons des secondes, les ébauches des pattes les plus antérieures, celles qui vont devenir des pièces buccales, n'ont pas d'expression du gène Ubx. Tout ce passe donc comme si le gène Ubx jouait un rôle dans le maintien de l'identité de patte locomotrice. Son « retrait » des pattes les plus antérieures était donc nécessaire pour leur permettre de devenir des pièces masticatrices. Pour autant, nous ne pouvons pas affirmer que c'est ce retrait de Ubx des pattes antérieures qui a causé la transformation au cours de l'évolution. Peut-être d'autres gènes sont-ils intervenus.
Un autre exemple concerne un aspect en apparence beaucoup plus discret de l'évolution morphologique mais là aussi le gène Ubx (encore lui ...) semble jouer un rôle certain. Cet exemple a été découvert par le chercheur David Stern, chez plusieurs espèces très apparentées de mouches drosophile. Les mouches ont de fins poils sur les pattes mais pas partout. Certaines zones de la patte en sont exemptes et David Stern a mis en évidence que les cellules de ces zones expriment le gène Ubx pendant leur développement. Certaines espèces de mouches ont une zone sans poils très étendue sur leurs pattes alors que chez d'autres, elle est beaucoup plus réduite. David Stern a montré que le gène Ubx est directement responsable de ces différences. Lorsqu'il introduit le gène d'une mouche"glabre « dans une mouche poilue » par un simple croisement (de la même façon que l'on croise un âne avec une jument pour obtenir un mulet), il obtient une extension de la zone sans poils.

Conclusion
Ces deux exemples nous ramènent à notre propos du début : l'évolution est-elle saltationniste ou gradualiste ? Le premier exemple, avec la transformation de plusieurs pattes de façon très importante semble suggérer la possibilité d'une évolution saltationniste. Pourtant rien dans cet exemple ne démontre que cette transformation s'est faite brutalement sous l'effet d'une ou d'un très petit nombre de mutations. Le deuxième exemple concernant un infime détail de l'anatomie d'une patte se rattache beaucoup plus au gradualisme darwinien. Le débat entre saltationnisme et gradualisme est aujourd'hui largement estompé. La plupart des biologistes acceptent l'idée que l'évolution se fait bien de façon graduelle par l'accumulation de petites différences comme le suggérait Darwin. Une partie de l'intérêt suscité par les gènes homéotiques provenait de l'idée que ces gènes étaient susceptibles d'engendrer une évolution par saut. Aujourd'hui, les chercheurs sont beaucoup plus prudents sur cette idée. Mais, ironie de l'histoire, c'est cet engouement pour les gènes homéotiques qui a permis de réaliser une percée décisive dans la compréhension des mécanismes génétiques du développement.

 

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Ginesislab : optimiser l'utilisation des données d'imagerie biomédicale

 

Laboratoires communs


Ginesislab : optimiser l'utilisation des données d'imagerie biomédicale


Le Groupe d'imagerie neurofonctionnelle de l'Institut des maladies neurodégénératives1, et la société Fealinx, inaugureront Ginesislab le 23 octobre prochain. Ce laboratoire commun permettra, à travers l'analyse automatique des données d'imagerie de milliers d'individus, de fournir des biomarqueurs, et à terme de prédire des risques de pathologie.

Analyser les images biomédicales de milliers d'individus pour comprendre la variabilité de l'organisation du cerveau, et différencier le normal du pathologique, est l'un des axes de recherche du Groupe d'imagerie neurofonctionnelle de l'Institut des maladies neurodégénératives1. Pour gérer et exploiter au mieux cette grande base de données, le laboratoire a sélectionné le logiciel de PLM (Product Life Management) et s’est s'appuyé sur un spécialiste de l'intégration de ce type de système, la société Fealinx. Cette collaboration démarrée en 2013, sous la forme du projet ANR Biomist, a permis d'adapter au domaine médical une plateforme industrielle de gestion de données. Elle se poursuit avec la création d'un laboratoire commun, Ginesislab, qui bénéficie d'un soutien de l'ANR sur trois ans.
« Le laboratoire commun Ginesislab va développer des méthodologies permettant la création de biomarqueurs à partir des données brutes d'imagerie. Par ailleurs, l'objectif est aussi de mettre en place des interfaces utilisateur qui faciliteront l'accès des chercheurs à cette base de données », indique Marc Joliot, chercheur au laboratoire et co-directeur de Ginesislab. De son côté, la société Fealinx, qui assure la partie développement informatique de la plateforme, veut ainsi étoffer son offre en créant des outils de PLM pour le médical, avec en ligne de mire la montée en puissance de la médecine personnalisée.

Avec un logiciel de PLM, dont la vocation première est de gérer le cycle de vie d'un produit industriel, Ginesislab bénéficie de la traçabilité des informations que procure ce type d'outil. La base de données biomédicales sera en effet constituée de données d'imagerie, mais aussi démographiques, psychologiques, protéomiques, génétiques..., et permettra de conserver l'historique des modifications sur ces informations ainsi que les liens entre les différents types d'informations. L'ensemble sera partagé par tous les chercheurs dans une base centralisée unique pouvant être accessible dans le cadre d’études multicentriques.

La création de ce laboratoire commun entre partenaires de longue date va permettre de passer à la vitesse supérieure. Le projet est désormais piloté par une direction commune, et un ingénieur d'étude à plein temps a été embauché, pour travailler notamment sur le développement et l’intégration des chaines de traitements de données, intégration qui sera valorisée sur une plateforme maintenue par la société Fealinx. A plus long terme, la création d’une équipe mixte axée, au-delà de la neuroimagerie, sur la médecine personnalisée du futur, est envisagée.
 
1 CNRS/université de Bordeaux
 
Contacts :
Marc Joliot / Co-directeur de Ginesislab / marc.joliot@u-bordeaux.fr
 
Philippe Boutinaud / Co-directeur de Ginesislab / pboutinaud@fealinx.com


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