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LA NOTION D'ÉVOLUTION

 

 

 

 

 

 

 

LA NOTION D'ÉVOLUTION

« Rien n'a de sens en biologie si ce n'est à la lumière de l'évolution ». Cet adage célèbre de Th Dobzhansky prend encore plus de valeur quand on se rend compte à quel point la notion d'évolution a été difficile à faire émerger. En effet, au 18ème siècle, de nombreuses idées fausses, comme le créationnisme, l'échelle des êtres, les métamorphoses, la génération spontanée, empêchaient la constitution d'une biologie cohérente. Pas à pas, principalement par la réfutation de ces dernières, un environnement propice à l'apparition du transformisme s'est constitué. Avec Charles Darwin, au milieu du 19ème siècle, un cadre théorique cohérent se met en place à partir des deux concepts-clés que sont la descendance avec modification et la sélection naturelle. Mais il faudra attendre presque un demi-siècle pour que la génétique puisse asseoir une théorie que l'on baptisera du terme de « théorie synthétique » à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale. Ce cadre conceptuel va connaître diverses révolutions qui vont susciter de vastes discussions, parfois houleuses. Avec la cladistique, la classification se trouve bouleversée ; le gradualisme est remis en cause par le concept d'équilibre ponctué et le renouveau du catastrophisme en paléontologie ; l'accès au génome permet de mieux comprendre ce qu'est la nouveauté génétique, en particulier au niveau des gènes de développement ; on se rend compte que la sélection ne joue pas sur tous les caractères… C'est donc une notion de l'évolution, complexe mais cohérente, qui émerge à la fin du 20ème siècle. Les implications philosophiques sont importantes. Mais peut-être que l'une des idées les plus fortes consiste à comprendre que l'originalité géologique de la planète Terre est continuellement sous la dépendance du vivant. Hervé Le Guyader, Professeur à l'Université P. & M. Curie

Texte de la 429e conférence de l'Université de tous les savoirs, donnée le 7 juillet 2002

Hervé Le Guyader, "La notion d'évolution"

Pour présenter la notion d'évolution, j'ai choisi d'adopter une démarche historique, en singularisant différents points autour de périodes clés.
Premièrement, je présenterai quelques éléments importants des XVIIe et XVIIIe siècles qui permettent d'arriver à la conception d'un individu clé, Lamarck, date clé : 1829, publication de sa Philosophie zoologique. Le deuxième individu important est Darwin, date clé : 1859, publication de l' Origine des espèces. La troisième date clé se situe aux alentours de 1940, quand la Théorie synthétique de l'évolution est développée. Enfin, j'exposerai quelques éléments de l'après guerre, qui, à mon sens, montrent comment tout ce qui gravite autour des théories de l'évolution se met en place.
En introduction, j'attire votre attention sur cette citation d'Ernst Mayr qui compare les biologistes et les physiciens : « Au lieu de créer et de donner des lois comme le font les physiciens, les biologistes interprètent leurs données dans un cadre conceptuel »
Ce cadre conceptuel, c'est la notion d'évolution, qui se construit pas à pas, à force de discussions, controverses, voire même d'altercations, de progrès conceptuels ou expérimentaux.
Actuellement, ce cadre conceptuel devient extrêmement compliqué. Néanmoins, il s'en dégage quelques idées directrices.
I. L'apparition du transformisme
Je vous présente tout d'abord comment l'idée, non pas d'évolution, mais de transformisme, est apparue.
En premier lieu, je tiens à insister sur un point. En histoire, on montre souvent l'apparition de concepts « nouveaux » - sous entendu : avant, il n'existait rien. De plus, on attache souvent l'apparition d'un concept à un individu clé, considéré comme un génie. En réalité, ce génie, cet individu clé, ne représente la plupart du temps que le courant de l'époque, et ne fait « que » cristalliser une idée, qui existe néanmoins chez ses contemporains.
Pour que l'idée du transformisme apparaisse, deux mouvements se sont produits en même temps. La première avancée concerne la réfutation d'idées erronées. Ces idées, tant qu'elles n'étaient pas réfutées, empêchaient l'émergence de la notion de transformisme. Concomitamment, de nouveaux concepts apparaissent.
A. Les obstacles au transformisme
1. La métamorphose
Parmi les concepts erronés, celui de métamorphose est l'un des plus importants. Une planche extraite d'un livre d'Ulisse Aldrovandi (1522 - 1605) (fig.1), édité en 1606, illustre cette idée. Elle représente des crustacés, qui appartiennent à la classe des cirripèdes : des anatifes, crustacés fixés par un pédoncule, et dont le corps est contenu dans une sorte de coquille formée de plaques calcaires.
Cette planche montre comment on concevait le devenir de ces coquillages : selon Aldrovandi, les anatifes peuvent se transformer en canards ! Les cirres devenaient les plumes, le pédoncule, le cou, et la tête du canard correspond à l'endroit de fixation. J'aurais pu vous citer bien d'autres exemples de la sorte... D'ailleurs, ceux qui ont fait du latin reconnaîtront peut-être dans le terme actuel pour désigner une de ces espèces, Lepas anatifera, le terme anatifera qui signifie « qui porte des canards ».
Ainsi, dans les esprits d'alors, les animaux pouvaient se transformer les uns en les autres, un crustacé en canard, parmi une foultitude d'exemples. On concevait également des passages du monde végétal au monde animal... Tout était imaginable !
Dans ces conditions, il était impossible que l'idée d'un processus historique puisse apparaître. Ces exemples de métamorphose sont rencontrés jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Puis chacun des exemples de métamorphose est tour à tour réfuté. La notion-même devient progressivement la notion biologique actuelle - la métamorphose par mues des insectes et le passage têtard-adulte des batraciens.
2. La génération spontanée
La deuxième idée, la notion de génération spontanée, n'est pas caractéristique des XVIIe et XVIIIe siècles. Il faudra attendre Louis Pasteur (1822 - 1895) pour qu'elle soit complètement anéantie. En termes actuels, la notion de génération spontanée consiste en ce que de la « matière inanimée » puisse s'animer et produire des êtres vivants. L'abbé Lazzaro Spallanzani (1729-1799) est un homme clé parmi ceux qui ont démontré que la génération spontanée n'existe pas, du moins au niveau des organismes de grandes tailles : souris, insectes... etc. Cependant, il faudra attendre la controverse de 1862 entre Pasteur et Pouchet pour que cette notion disparaisse également au niveau des microorganismes. Retenons qu'au XVIIIe siècle cette notion ne persistera qu'à l'égard des « animalcules », les petits organismes.
3. L'Echelle des Êtres
La notion d'Echelle des Êtres existe déjà chez Aristote. Cette notion traverse tout le Moyen- Age, puis est remise en valeur par Gottfried Leibniz (1646-1716) et reprise par le biologiste Charles Bonnet (1720-1793).
La planche (fig 2) figure cette conception du monde : au bas de l'échelle, se situent les quatre éléments : feu, air, terre, eau. Des terres, on monte vers les cristaux et les métaux. Ensuite, on progresse vers le corail, les polypes, les champignons, jusqu'aux végétaux, insectes et coquillages. Certaines hiérarchies peuvent paraître étranges : les serpents d'abord, les poissons ensuite. Plus haut encore, les poissons, dominés par les poissons volants, qui conduisent aux oiseaux (!) ; puis des oiseaux, on parvient aux quadrupèdes et, qui se situe au sommet de l'échelle ? Bien naturellement : l'homme.
Ce concept était très ancré avant la Révolution. Un extrait d'un poème d'Ecouchard le Brun (1760) illustre comment les lettrés concevaient les relations entre êtres vivants :
« Tous les corps sont liés dans la chaîne de l'Être.
La nature partout se précède et se suit.
[...]
Dans un ordre constant ses pas développés
Ne s'emportant jamais à des bonds escarpés.
De l'homme aux animaux rapprochant la distance,
Voyez l'homme du Bois lier leur existence.
Du corail incertain, ni plante, ni minéral,
Revenez au Polype, insecte végétal. »

Tout était mêlé, avec une notion de progrès. Cette échelle des Êtres vivants est un concept qu'il a fallu discuter longuement, avant qu'il ne soit réfuté.
Cette notion d'Echelle des Êtres, il faut le souligner, est une notion quasi intuitive que tout individu développe. Il ne faut pas se focaliser sur son aspect historique ou archaïque. Chacun, de façon « naturelle », s'imagine être au sommet d'une Echelle des Êtres et conçoit une hiérarchie qui le lie à des subordonnés.
4. L'échelle de temps
Dernière conception à réfuter, la notion de temps. Avant la Révolution, l'échelle des temps reste une échelle biblique. Différents théologiens anglicans ont longuement calculé le temps qui les séparait de la création du monde, à partir des généalogies bibliques. Ils n'étaient pas tous d'accord, à une centaine d'années près, mais s'accordaient autour de 6 000 ans. Comment une idée d'évolution aurait-elle pu germer dans les esprits avec une marge de temps aussi courte ?
L'un de ceux qui réfutent cette idée, c'est Georges Buffon (1707-1788). Il propose une dizaine de milliers d'années, puis une centaine de milliers d'années. Enfin, dans sa correspondance, il émet l'idée que, peut être, la vie serait apparue il y a plusieurs millions d'années. C'est donc à cette époque que naît l'idée d'un temps long, en lien avec le développement de la géologie de l'époque.
B. Les nouvelles idées
A présent, quelles sont les nouvelles propositions ? Trois notions sont essentielles pour que les concepts de transformisme et d'évolution puissent apparaître.
1. L'unicité de la classification naturelle
Depuis Aristote au moins, les hommes ont voulu classer les organismes. Initialement, cette classification a principalement occupé les botanistes.
Aux XVe et XVIe siècles, on se retrouve avec une multitude de systèmes et de méthodes de classification. La bibliothèque du Muséum d'Histoire Naturelle en conserve une centaine dans ses vieux livres. S'il en reste tant actuellement, il en existait au minimum 500 à 600 en Europe, à cette époque.
Carl von Linné (1707-1778), comme les savants de cette époque, est un grand lecteur : il connaît toutes les tentatives réalisées par ses contemporains. Brusquement, il lui apparaît quelque chose d'assez extraordinaire. En effet, lorsque le travail de classification est mené correctement, en bonne logique, d'après de bons caractères, à chaque fois les grandes familles de la botanique ressortent : liliacées, orchidacées, rosacées... etc. Linné remarque que ces multiples tentatives conduisent à une même classification, un même ordonnancement. Tout se passe comme s'il existait une unité qui représente un ordre de la Nature. L'objectif est désormais de décrire cet ordre par une classification naturelle. Cette classification est nécessairement unique, car il n'y a qu'un ordre dans la Nature. Dans le contexte judéo-chrétien de l'époque, Linné imaginait que cette classification naturelle représentait l'ordre de la création.

Cette unicité de la classification est une idée extrêmement forte, comme on le verra avec Darwin. Elle change le sens de la classification - non plus seulement ranger les organismes, mais trouver une unité au monde du vivant.
2. Le concept d'homologie
Le concept d'homologie est mis au point par Etienne Geoffroy St Hilaire (1772-1844). Il utilise des travaux de botanique et bâtit un concept repris par Cuvier quasi en même temps : le concept de plan d'organisation. Cette idée de plan d'organisation, bien antérieure à Geoffroy St Hilaire, est fondamentale. Elle met en évidence que certains êtres vivants sont organisés de la même façon. Cuvier présente quatre plans d'organisation différents pour l'ensemble du règne animal - par exemple, le plan d'organisation des vertébrés.
A partir de ces plans d'organisation, Geoffroy St Hilaire construit un outil très performant pour l'anatomie comparée. Il crée, bien que ce ne soit pas le terme qu'il emploie, le concept d'homologie. Il affirme la nécessité, si on souhaite comparer les organismes, de savoir quels sont les "bons" organes que l'on compare : comment savoir si on compare les « mêmes » organes chez deux organismes différents ? Geoffroy Saint-Hilaire essaie, tout simplement, de trouver des organes qui occupent la même situation dans un plan d'organisation. Par exemple, en observant les membres antérieurs de vertébrés quadrupèdes (fig 3), on remarque qu'à chaque fois, le cubitus, entre autres, se trouve au même endroit dans le membre, même si la forme, la fonction de ce membre changent entre ces animaux.
Ce concept d'homologie permet de comparer de façon pertinente les organismes, ce qui est la condition pour proposer une bonne systématique.
3. La mort des espèces
En plus du concept d'homologie, George Cuvier (1769-1832) apporte une autre notion, qui a un impact considérable. Il démontre, par la paléontologie, que les espèces meurent. Grâce à des fossiles de vertébrés, en particulier ceux du gypse de Montmartre, il prouve qu'il existait des animaux qui n'existent plus actuellement dans le monde, c'est-à-dire que les espèces disparaissent.
Ce concept de mort des espèces a été une révolution extrêmement importante à l'époque, au tout début du XVIIIesiècle. Cet extrait de La peau de chagrin, de Balzac, illustre la portée de ce concept dans le monde des lettres :
« Cuvier n'est-il pas le plus grand poète de notre siècle. Notre immortel naturaliste a reconstruit des mondes avec des os blanchis. Il fouille une parcelle de gypse, y perçoit une empreinte et vous crie : « Voyez ! ». Soudain, les marbres s'animalisent, la mort se vivifie, le monde se déroule »
Brusquement, l'idée apparaît que des mondes, qui n'existent plus, existaient; le monde « se déroule » ; on verra qu'il « évolue ».
C. Lamarck et le transformisme
1. Logique et transformisme
Pour résumer, si vous réfutez les métamorphoses, si vous abandonnez le concept de génération spontanée, si vous allongez l'échelle de temps, si vous relativisez l'Echelle des Êtres, si vous imaginez une unité de classification, si vous concevez les concepts d'homologie et de plan d'organisation et si vous acceptez l'idée de mort des espèces, vous ne pouvez que suivre Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), puis proposer de conserver avec lui la notion de transformisme.
Pourquoi ? Très brièvement, si on suit un raisonnement logique, il ne reste que deux possibilités pour réunir ces idées. Soit on reste créationniste : il faut alors nécessairement imaginer des créations multiples. Or, cela ne figure pas dans la Bible, qui ne mentionne qu'une seule création. Soit, on opte pour une seconde possibilité : les espèces se transforment les unes en les autres. Une troisième possibilité a été retenue par quelques théologiens : le stock des espèces allait en s'amenuisant - ce qui, d'après eux, n'était pas important, puisque seul l'homme a une valeur. Cette dernière théorie a eu très peu d'impact.
2. La théorie de Lamarck
Lamarck présente une classification. Il a l'idée remarquable, même si elle a été réfutée plus tard, de séparer vertébrés et invertébrés. Au niveau des animaux, il construit ce qui reste une échelle des Êtres. Il classe les animaux en trois catégories : les animaux apathiques, les animaux sensibles, les animaux intelligents. Cette vision demeure hiérarchisée.
Il imagine une transformation des organismes les uns en les autres (fig 4). Un premier point est fondamental, novateur : Lamarck présente des bifurcations, c'est-à-dire qu'il construit un arbre, une arborescence. A ma connaissance, c'est la première représentation qui rompt ainsi la linéarité de l'échelle des Êtres. Deuxième innovation, les espèces sont reliées par des points (actuellement ce serait symbolisé par des flèches), qui désignent les transformations possibles : les vers en insectes, les poissons en reptiles ou en amphibiens. La limite de la vision de Lamarck se situe à la base de ce réseau de transformations : la génération spontanée alimente le stock des organismes les plus simples - les vers -. Pour expliquer ce schéma, on a utilisé l'image de l'escalier roulant, qui, avec ses arrêts, ses paliers, paraît particulièrement pertinente : elle montre que Lamarck n'a pas une vision historique. Par exemple, au niveau des oiseaux, certains viennent de prendre l'escalier roulant - ils viennent de se transformer -, tandis que d'autres sont là depuis longtemps. Cela signifie que les animaux semblables ne résultent pas d'une même transformation, qui serait survenue à une même date dans le cours de l'histoire.
Il faut retenir, dans la pensée de Lamarck, cette notion de transformation, d'arbre, nourri continuellement par la génération spontanée.
II. Darwin
Sans entrer dans les détails de la vie de Charles Darwin (1809-1882), un élément important pour le développement de sa vision scientifique et pour l'élaboration de l' Origine des espèces (1859) réside dans un tour du monde de presque cinq ans, effectué entre 1831 et 1836. Non seulement Darwin est un très bon naturaliste et un très bon géologue, mais il possède également des notions d'anatomie et d'embryologie comparées.
A. La théorie de L'Origine des Espèces
Pour illustrer la difficulté de recevabilité que rencontra le livre de Darwin à sa publication, voilà le sous- titre donné dans la traduction française. Le titre original anglais est "Origin of species - by means of natural selection" , qui se traduit par : « L'origine des espèces - par les moyens de la sélection naturelle ». Or, dans l'édition française de 1862, ce titre est « traduit » de manière erronée en : « De l'origine des espèces ou des lois du progrès chez les êtres organisés ». Ce sous-titre montre combien la notion de progrès - et d"échelle des espèces" implicite - était profondément ancrée.
La meilleure solution pour exprimer l'idée clé de L'Origine des espèces, c'est d'examiner un extrait qui traduit de manière essentielle le sens que donne Darwin à la notion de classification :
«Le système naturel, c'est-à-dire la classification naturelle, est fondé sur le concept de descendance avec modification... »
Ce concept de «descendance avec modification » est essentiel pour comprendre la pensée de Darwin. Pourtant, si on interroge quelqu'un sur ce qu'a apporté Darwin, il répondra sans doute « la sélection naturelle "». En réalité, il a proposé ces deux idées, liées : sélection naturelle et descendance avec modification. A mon sens, c'est cette dernière idée qui est la plus importante.
« ... sur le concept de descendance avec modification, c'est-à-dire que les caractères que les naturalistes décrivent comme montrant de réelles affinités entre deux ou plusieurs espèces sont ceux qui ont été hérités d'un parent commun. »
Ces caractères auxquels Darwin fait référence, ce sont les caractères homologues de Geoffroy St Hilaire. Ce que propose Darwin, c'est une réponse à la question : pourquoi ces caractères sont-ils homologues ? Parce qu'ils ont été hérités d'un parent commun. Darwin interprète la notion de ressemblance, très prégnante depuis Geoffroy St Hilaire, comme une notion d'héritage de caractères. Il ne remet pas en cause le travail de ces prédécesseurs : il lui donne « seulement » un autre sens.
« Et par conséquent, toute vraie classification est généalogique... »
Enfin, Darwin plonge ce travail dans un continuum temporel. Cette notion de généalogie bouleverse le sens des classifications : désormais, on recherche des relations de parenté :
« ... c'est-à-dire que la communauté de descendance est le lien caché que les naturalistes ont cherché inconsciemment et non quelque plan inconnu de création. »
A l'époque, cette dernière phrase a représenté une provocation extraordinaire !

Pour éclairer le propos de Darwin, voilà la seule illustration présente dans L'Origine des Espèces (fig 5). Premièrement, cette planche dévoile une vision historique : les lignes horizontales représentent des horizons temporels. Cette figure comprend trois concepts importants :
1) des espèces disparaissent - l'idée de Cuvier ;
2) au cours du temps, les espèces peuvent se transformer - l'idée de Lamarck ;
3) des espèces peuvent donner naissance à plusieurs autres espèces.
Si on considère deux espèces après un embranchement, Darwin considère qu'il faut les rapprocher parce qu'elles partagent un ancêtre commun. Or les espèces partagent toujours un ancêtre commun. La différence réside dans la plus ou moins grande proximité de ces ancêtres. Pour Darwin, les organismes se ressemblent beaucoup car ils partagent un ancêtre commun récent. Les organismes très différents partagent un ancêtre commun lointain, à partir duquel il y a eu énormément de temps pour diverger.
B. La première « généalogie » des organismes
Ces concepts proposés par Darwin sont immédiatement repris par un biologiste allemand, Ernst Haeckel (1834 - 1919). Haeckel poursuit ces idées, en les exagérant même un peu.
Il utilise un arbre pour représenter sa classification. Il propose trois règnes : aux deux règnes animal et végétal classiques, il ajoute les protistes (organismes unicellulaires). Son apport fondamental se situe à la base de l'arbre. Pour chacun des règnes, il situe un ancêtre commun hypothétique, et surtout, il met en place un tronc avec une seule racine commune à l'ensemble des êtres vivants-un ancêtre commun à l'ensemble des organismes.
Cette proposition, en 1866, est le premier arbre dit « phylogénétique »- terme créé par Haeckel. Bien que discutée à ses débuts, l'idée essentielle d'origine commune est conservée - elle contient également l'idée d'origine de la vie sur terre -. Le mouvement est lancé : depuis Haeckel, les chercheurs vont « se contenter » de corriger cet arbre. Seules les logiques pour inférer les relations de parenté sont modifiées et améliorées.
C. Les difficultés de Darwin
Il manque des éléments à Darwin pour expliquer les mécanismes soutenant ce double concept de descendance avec modification. Elle contient premièrement l'idée de descendance entre espèces. Darwin n'utilise pas d'échelle des temps. Entre les lignes horizontales de son schéma, il ne s'agit pas d'années, ni de millions d'années : il s'agit de nombres de générations. Selon Darwin, ce qui rythme la vie des organismes, c'est la reproduction sexuée, à l'origine du concept de descendance. Deuxièmement, Darwin suppose que les caractères héréditaires, transmis via la reproduction sexuée, se « transforment »- mais il ignore comment.
Les deux disciplines qui lui manquent sont d'une part la génétique, et d'autre part, l'embryologie.
III. La Théorie synthétique de l'évolution
A. Les bases de la théorie
Un événement scientifique se produit au début du XXe siècle : la redécouverte des lois de Gregor Mendel (1822 - 1884), indépendamment par trois chercheurs : le hollandais Hugo De Vries (1848 - 1935), l'allemand Carl Correns (1864 - 1933), et l'autrichien Erich von Tschermak (1871 - 1962). Redécouverte, certes, mais enrichie d'un nouveau concept essentiel, celui de mutation. Cette idée de mutation permet de concevoir comment les caractères sont à la fois héréditaires et changeants.

A partir de 1905 jusqu'à 1930, se produit un difficile rapprochement entre deux disciplines : la génétique dite « des populations » (l'étude du devenir des fréquences de gènes dans les populations au cours du temps), se rapproche du darwinisme, par l'intermédiaire de la sélection naturelle. Ce rapprochement conduit à la Théorie synthétique de l'évolution. Signalons que cette traduction mot à mot de l'anglais introduit une connotation étrange en français - c'est plutôt une théorie qui fait une synthèse -.
Cinq biologistes de renom participent à cette nouvelle vision de l'évolution. Le premier individu clé est Theodosius Dobzhansky (1900 - 1975), d'origine russe, immigré aux États-Unis. Comme quasi tous les autres protagonistes de cette théorie, il appartient à l'Université de Columbia, à New York. Dobzhansky publie en 1937 un ouvrage intitulé : Genetics and Origin of Species. Cette référence explicite à Darwin traduit bien sa volonté de démontrer, par la génétique, que Darwin avait raison.
Les autres chercheurs impliqués dans cette vision nouvelle sont :
- Julian S. Huxley (1887-1975), généticien ;
- Ernst Mayr, zoologiste, ornithologue, théoricien de la spéciation ;
- George G. Simpson (1902-1984), géologue et paléontologue ;
- Ledyard G. Stebbins, qui travaille sur la spéciation en biologie végétale.

J'ai repris à partir d'un article récent d'Ernst Mayr les principes de base de cette théorie :
Premier principe : l'hérédité est particulaire et d'origine exclusivement génétique. Cela signifie que l'hérédité est portée par des particules-les gènes-qui ne se mélangent pas. En insistant sur l'origine exclusivement génétique, ce principe nie l'idée d'hérédité des caractères acquis, une forme de lamarckisme en vogue à l'époque.
Second principe : il existe une énorme variabilité dans les populations naturelles. Les organismes présentent une grande variabilité des différents gènes, des différents caractères. Cette variabilité intraspécifique permet l'apparition de nouvelles espèces à partir d'une espèce donnée.
Troisième principe : l'évolution se déroule dans des populations distribuées géographiquement. Un des moteurs les plus importants de la spéciation est l'isolement reproducteur. Les populations peuvent se retrouver séparées par des barrières géographiques, de comportement... etc. A partir du moment où une barrière de reproduction apparaît, des populations isolées peuvent donner naissance à des espèces distinctes.
Quatrième principe : l'évolution procède par modification graduelle des populations. L'évolution se fait pas à pas suivant un gradualisme quasi linéaire en fonction du temps. Autrement dit, le taux d'évolution est toujours considéré comme à peu près constant par unité de temps.
Cinquième principe : les changements dans les populations sont le résultat de la sélection naturelle. Les changements de fréquence des gènes et de caractères dans les populations sont provoqués par la sélection naturelle. Cette idée sera remise en question plus tard : la sélection naturelle existe, certes, mais d'autres moteurs de changement seront avancés.

Dernier principe : la macro-évolution n'est que le prolongement dans le temps de ces processus. La macro-évolution désigne les changements importants, les grands bouleversements, en particulier au niveau des animaux - changements de plans d'organisation, etc. Cette macro-évolution n'est considérée ici que comme le prolongement de la micro-évolution - les changements graduels. La macro-évolution n'est que le résultat de petits changements accumulés pendant des dizaines ou des centaines de millions d'années.

La théorie synthétique de l'évolution contredit la notion fondamentale de finalité : elle affirme que l'évolution ne poursuit aucun but. Tout se passe pas à pas, dans un affrontement continuel, au présent, des organismes avec leur environnement, et les uns par rapport aux autres, et non en fonction d'un but précis.
B. La rupture de la cladistique
Cette théorie synthétique de l'évolution a été un nouveau point de départ. Dans les années 1950, plusieurs aspects sont discutés pour parvenir à la vision actuelle.

Premier point clé : cette nouvelle vision modifie la manière de traiter les fossiles en particulier, et l'histoire de la vie sur Terre, en général. Deux éléments illustrent cette notion. Le premier est révélé par un schéma de Simpson, qui, représente par une arborescence les différentes classes de vertébrés, les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Malgré Darwin, cet arbre traduit, non pas une recherche de parenté, mais de descendance, de généalogie. Par exemple, l' Ichthyostega est placé de telle sorte qu'on puisse penser qu'il est l'ancêtre de l'ensemble des organismes qui le suivent.
Cette représentation illustre un problème clé : comment retracer les relations de parenté ? Comment se servir des fossiles ? A ces questions, le zoologiste allemand Willy Hennig (1913-1976) propose une nouvelle méthode : la cladistique.
Hennig pense qu'il faut rechercher, non pas des relations de descendance, mais de parenté-les relations de cousinage, en quelque sorte-, et positionner des ancêtres hypothétiques. Pour mettre à jour ces relations de parenté, il faut, parmi les caractères homologues (hérités d'un ancêtre commun), considérer ceux qui correspondent à des innovations. Ces caractères novateurs permettent de rassembler les organismes.
En considérant ces organismes (fig 6), des oiseaux et des reptiles (tortues, lézards et crocodiles), une des innovations héritées d'un ancêtre commun hypothétique est la plume, partagée par l'ensemble des oiseaux. La plume résulte de la transformation de l'écaille épidermique existant chez les organismes reptiliens, à la suite d'un processus évolutif particulier.

Cette démarche, fondée non pas sur un mais plusieurs caractères, permet de construire des arbres phylogénétiques. La méthode consiste à définir des groupes monophylétiques, pas à pas, à partir d'ancêtres hypothétiques communs. Un groupe monophylétique est un groupe qui rassemble un ancêtre et l'ensemble de ses descendants. A l'opposé, un groupe paraphylétique correspond à un ancêtre et une partie de ses descendants.
Pour éclairer ces concepts, considérons cet arbre, relativement juste - relativement car encore sujet de controverse. Cet arbre met évidence un groupe monophylétique, les sauropsides, groupant les oiseaux, les crocodiles, les lézards, les serpents et les tortues. Or, dans la classification "traditionnelle", les reptiles (serpents, lézards, tortues) figurent d'un côté, les oiseaux de l'autre. Cela revient à présenter un groupe monophylétique (les oiseaux) et un groupe paraphylétique (les serpents, les oiseaux et les tortues). Cette dichotomie se fonde sur un ensemble de particularités des oiseaux qui les mettaient, intuitivement, "à part" : la capacité de voler, le plumage... Dans ce cas-là, on occulte la relation de parenté extrêmement importante entre les crocodiles et les oiseaux. Dans le cas contraire, on explicite un groupe monophylétique clé : les archosauriens (crocodiles et oiseaux), ce qui modifie la conception évolutive intuitive.
On aurait "naturellement" tendance à penser que les crocodiles ressemblent plus aux varans ou aux lézards qu'aux oiseaux. Cette méthode met en pièce le concept de ressemblance - en trouvant des caractères (moléculaires ou morpho-anatomiques) qui permettent de positionner des ancêtres hypothétiques communs qui ont apporté des innovations. Dans ce cas particulier, l'innovation est la présence d'un gésier. Ce gésier, connu chez les oiseaux, moins chez les crocodiles, n'est pas présent chez les autres reptiles.

Examinons à présent cet arbre (fig 7), qui représente les archosaures. Deux groupes d'animaux vivent actuellement : les oiseaux et les crocodiliens (ici l'alligator), aux deux extrémités du graphe. D'autres branches sont importantes :
- la branche des ptérosauriens - les « dinosaures » volants ;
- le groupe des dinosaures, divisés en deux branches : ornitischiens et saurischiens ;
- les théropodes.
Contrairement à la figure précédente (fig 6), les fossiles ne figurent pas en tant qu'ancêtres. Ils sont représentés comme apparentés aux autres organismes. Des ancêtres hypothétiques communs sont positionnés. A leur niveau, on fait apparaître les innovations. De cette manière, l'histoire de ces innovations est retracée : à partir d'organismes de "type" dinosaure, on voit l'évolution des différents caractères (tels que la plume, l'évolution des membres, mâchoires...etc.), jusqu'aux oiseaux actuels.
Parmi ces archosaures, seuls existent encore les crocodiles et les oiseaux. Entre ces deux groupes se trouvent tous les dinosaures. Les oiseaux partagent des ancêtres hypothétiques avec quantité de ces dinosaures. On croit que les dinosaures ont disparu. Et bien non ! Quand vous croiserez une volée de pigeons dans les rues de Paris, vous pourrez dire : "nous sommes envahis par les dinosaures !" Tous les oiseaux sont des dinosaures : cette méthode change considérablement la vision intuitive des choses, n'est ce pas ?

Je conclus cet exposé en présentant ce à quoi vous avez échappé :
- Tout d'abord, à la phylogénie moléculaire. Actuellement, tous les organismes de la diversité du vivant peuvent apparaître sur un même arbre : bactérie, animaux, plantes... Cet arbre commence à représenter une bonne vision synthétique du monde vivant.
- Ensuite, à l'évolution du génome. On commence à comprendre comment les innovations, les mutations surviennent au niveau du génome. Elles se produisent principalement par duplication des gènes : des motifs de l'ADN se dupliquent et ces gènes dupliqués peuvent acquérir de nouvelles fonctions. La mise en évidence de ces phénomènes permet de mieux comprendre comment la descendance avec modification se produit. Ce ne sont pas de petites modifications ponctuelles comme on le pensait auparavant.

- Troisième point : la sélection n'agit pas exclusivement au niveau des organismes. Elle opère à tous les niveaux d'organisation. Un exemple très simple est la présence, dans les génomes, de petites unités appelées transposons. Ces transposons se répliquent, indépendamment, envahissent le génome, peuvent passer d'un chromosome à l'autre. Ces transposons participent certainement à la fluidité du génome. Le pourcentage de ces transposons dans le génome est considérable : 40 % du génome humain est composé de ces séquences - des unités « parasites "» puisqu'elles ne participent ni à la construction, ni au fonctionnement de notre organisme. Au niveau végétal, ce chiffre est encore plus important : jusqu'à 75 % du génome de certaines plantes serait envahi de transposons.

- Avant dernier point : l'évolution n'est pas si graduelle, elle se fait souvent par crises. La vitesse d'évolution change. Des crises se sont produites, extrêmement importantes dans l'histoire géologique de la Terre. L'une des plus belles crises est celle du Permien, au cours de laquelle 80 % des espèces auraient disparu. Ces crises d'extinctions ont été suivies de radiations, où des innovations très importantes se produisent.
- Enfin, dernier point qui m'est cher. La notion de progrès devient complètement relative. Les innovations se font sur toutes les branches : il n'existe pas d'organisme plus évolué qu'un autre. Tous les organismes ont parcouru le même temps d'évolution. Seulement, ils n'ont pas évolué dans les mêmes directions, en raison de contraintes différentes, de milieu et de choix de stratégies différentes.
Si on prétend dans un style « d'Echelle des Êtres », qu'il existe de « meilleurs » organismes, c'est qu'on met en exergue un ou plusieurs caractères. Ce n'est pas de la biologie. La biologie considère tous les caractères au même niveau et que la biodiversité est structurée par cette évolution. Dans ces conditions, chaque organisme vaut par lui-même.

 

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Déchiffrer le code de l’ubiquitine au cours de la mitose 

 


 

 

 

 

 

 

Déchiffrer le code de l’ubiquitine au cours de la mitose


L’ubiquitine est une petite protéine qui peut être attachée à des protéines cibles afin de réguler leur devenir comme par exemple lors de la mitose qui permet la création de deux cellules filles identiques à partir d’une cellule mère. De nombreuses combinaisons de molécules d’ubiquitine sont possibles et définissent le « code de l’ubiquitine ». L’équipe d’Izabela Sumara au sein de l’institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire a identifié un mécanisme permettant de déchiffrer ce code dans les cellules humaines au cours de la mitose. Ces travaux sont publiés dans la revue Developmental Cell.

'Au cours de la mitose, les chromosomes, qui contiennent l’information génétique, sont tout d’abord copiés puis partagés de manière égale dans les deux cellules filles. Une mauvaise régulation de ce processus peut contribuer au développement de cancers. L’un des mécanismes importants contrôlant la progression mitotique est l’attachement de la petite protéine ubiquitine à des protéines cibles. L’addition d’ubiquitine (ubiquitination) est une modification transitoire qui peut conduire soit à la dégradation de la protéine cible soit à la régulation de sa fonction. De nombreux arrangements et combinaisons de molécules d’ubiquitine isolées ou sous forme de chaines connectées sont possibles et définissent le « code de l’ubiquitine ». Cependant, les mécanismes cellulaires permettant son décodage dans les cellules humaines au cours de la mitose restent largement inexplorés.
L’équipe d’Izabela Sumara avait identifié au cours d’une étude précédente des évènements d’ubiquitination contrôlant des protéines kinases essentielles pour la progression mitotique. Les chercheurs avaient démontré que l’addition d’une molécule d’ubiquitine régule la fonction de ces enzymes cruciales et les relocalise dans des structures subcellulaires spécifiques. Toutefois, la manière exacte dont l’ajout d’ubiquitine régule la mitose ainsi que les mécanismes par lesquels ces signaux peuvent être décodés, demeurait inconnue.

En collaboration avec la plateforme de criblage haut-débit de l’institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire, les chercheurs ont réalisé un criblage non biaisé, par ARN interférents, de tous les récepteurs protéiques connus et prédits de l’ubiquitine. Il existe environ 200 récepteurs de l’ubiquitine dans les cellules humaines qui peuvent spécifiquement reconnaitre des substrats ubiquitinés et moduler leur fonction. Cette analyse a permis l’identification de la protéine de liaison à l’ubiquitine appelée UBASH3B.
UBASH3B avait été précédemment montrée comme dérégulée dans des cancers humains mais n’avait jamais été reliée à la progression mitotique. Les chercheurs ont pu déterminer qu’UBASH3B est essentielle pour la ségrégation correcte des chromosomes pendant la mitose. De plus, UBASH3B interagit directement avec la forme ubiquitinée d’AURORA B, une des kinases les plus importantes régulant la ségrégation chromosomique lors de la mitose. Par cette interaction, UBASH3B contrôle la localisation subcellulaire d’AURORA B, sans modifier son niveau d’expression. UBASH3B est un facteur essentiel, à la fois requis mais également suffisant, pour induire le recrutement d’AURORA B sur les microtubules des fuseaux mitotiques qui régule la vitesse et la précision de la ségrégation chromosomique.
Cette étude identifie la première protéine réceptrice de l’ubiquitine mitotique dans les cellules humaines et montre de quelle manière le « code de l’ubiquitine » peut être déchiffré au cours de la division mitotique. Ces résultats peuvent aussi expliquer comment la dérégulation d’UBASH3B contribue au développement de nombreux cancers.


Figure 2: Modèle expliquant le rôle de la protéine de liaison à l’ubiquitine UBASH3B. UBASH3B (en jaune) interagit avec la forme modifiée par l’ubiquitine de la kinase AURORA B (en rouge) et contrôle la localisation d’AURORA B sur les microtubules (traits noirs) pendant l’étape de métaphase. Ce mécanisme est crucial pour la ségrégation correcte des chromosomes (en bleu) au cours de l’étape d’anaphase de la division mitotique.
© Izabela Sumara
 
 
 

En savoir plus
* Ubiquitin Receptor Protein UBASH3B Drives Aurora B Recruitment to Mitotic Microtubules.
Krupina K, Kleiss C, Metzger T, Fournane S, Schmucker S, Hofmann K, Fischer B, Paul N, Porter IM, Raffelsberger W, Poch O, Swedlow JR, Brino L, Sumara I.
Dev Cell. 2016 Jan 11;36(1):63-78. doi: 10.1016/j.devcel.2015.12.017.
  
 



 Contact chercheur
* Izabela Sumara 
Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire
CNRS UMR 7104, Inserm U 964, Université de Strasbourg
1 Rue Laurent Fries
BP 10142
67404 ILLKIRCH CEDEX
Tel: 03 88 65 35 21

 

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Premier film moléculaire en ‘slow motion’ et 3D d’une protéine membranaire, la bactériorhodopsine

 


 

 

 

 

 

Premier film moléculaire en ‘slow motion’ et 3D d’une protéine membranaire, la bactériorhodopsine
 
Une prouesse technique a permis à un consortium international incluant un chercheur de l’Institut de biologie structurale, de montrer comment la protéine bactériorhodopsine utilise la lumière pour transporter des protons à travers la membrane cellulaire pour créer un différentiel de charge qui peut ensuite être utilisé pour générer l’énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule. Cette étude a été publiée le 23 décembre dans la revue Science.

La bactériorhodopsine est une protéine qui absorbe la lumière et transporte des protons à travers les membranes cellulaires, une fonction essentielle des systèmes biologiques. Les chercheurs se sont longtemps interrogés sur le mécanisme que la protéine utilise pour expulser des protons de façon unidirectionnelle, de l’intérieur vers l’extérieur de la cellule. Pour le découvrir, un consortium international de chercheurs a utilisé le laser à électrons libres SACLA localisé au Japon, qui produit un faisceau de rayons X un million de fois plus intense que ceux des sources synchrotron, pourtant déjà très intenses. Les rayons X de SACLA présentent la particularité d’êtres générés pendant un temps extrêmement court, un centième de milliardième de seconde (une dizaine de femtosecondes). Les rayons X sont utilisés pour déterminer la structure de protéines qui traversent le faisceau sous la forme de microcristaux au sein d’un jet de graisse.
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé une technique appelée cristallographie sérielle femtoseconde en temps résolu, avec laquelle ils ont enregistré des dizaines de milliers d’images de la bactériorhodopsine après un intervalle de temps variant entre la nanoseconde et la milliseconde suivant l’excitation de lumière verte. En analysant les données, ils ont pu décrypter le mécanisme qui fait que le protéine expulse des protons hors de la cellule, dans un milieu chargé donc plus positivement. A l’instar d’une pile, c’est ce différentiel de charges qui permet d’alimenter les réactions chimiques qui font vivre la cellule.
Antoine Royant, à l’Institut de Biologie Structurale à Grenoble, a contribué à l’analyse structurale des 13 structures d’états intermédiaires obtenues sur 5 ordres de grandeur d’échelle de temps, et à l’identification du mécanisme d’action de la protéine.
« Cette expérience nous a permis de confirmer les hypothèses proposées au début des années 2000 sur les premières étapes du mécanisme, mais surtout de visualiser en temps réel les différents mouvements d’atome au sein de la bactériorhodopsine et comprendre ainsi comment ils s’enchaînent » explique A. Royant. L’excitation lumineuse entraîne un changement de configuration du rétinal (une forme de la vitamine A), la molécule colorée située au cœur de la protéine. Ce changement force une molécule d’eau structurale à s’en aller, puis un ensemble de réarrangements structuraux de la protéine entraîne l’expulsion d’un proton du côté extracellulaire de la protéine.
« Nous avons enfin compris comment les changements au voisinage du rétinal empêchent le proton de retraverser la protéine. Ce résultat permet d’envisager de comprendre à un très grand niveau de détail le mécanisme de protéines, et donc d’être capables de les utiliser à notre profit » conclut A. Royant.
 

Video : Enchaînement des changements structuraux se produisant du côté extracellulaire du chromophore de la bactériorhodopsine entre 16 ns et 1,725 ms : on observe d'abord l'évolution des variations de densité électronique au sein de la protéine au cours du temps (variation négative en jaune, positive en bleu) puis celle des structures des états intermédiaires (en rouge), superposées successivement sur celle de l'état initial (en violet, partiellement transparent).
© Eriko Nango, Cecilia Wickstrand, Richard Neutze, Antoine Royant
 

Figure : Microcristaux de bactériorhodopsine obtenus en phase cubique de lipides. Les cristaux sont injectés dans le faisceau du laser à électron libre SACLA, et illuminés par un laser vert déclenchant le photocycle de la protéine. Des clichés de diffraction sont enregistrés entre quelques nanosecondes et quelques millisecondes et permettent d’identifier les changements structuraux au sein de la protéine (formée de sept hélices transmembranaires) qui se déroulent au cours de la photoréaction, permettant à des protons d’être expulsés hors de la cellule de façon unidirectionnelle.
© Eriko Nango, Cecilia Wickstrand, Richard Neutze, Antoine Royant
 
 

En savoir plus
* A three-dimensional movie of structural changes in bacteriorhodopsin. 
Nango E, Royant A, Kubo M, Nakane T, Wickstrand C, Kimura T, Tanaka T, Tono K, Song C, Tanaka R, Arima T, Yamashita A, Kobayashi J, Hosaka T, Mizohata E, Nogly P, Sugahara M, Nam D, Nomura T, Shimamura T, Im D, Fujiwara T, Yamanaka Y, Jeon B, Nishizawa T, Oda K, Fukuda M, Andersson R, Båth P, Dods R, Davidsson J, Matsuoka S, Kawatake S, Murata M, Nureki O, Owada S, Kameshima T, Hatsui T, Joti Y, Schertler G, Yabashi M, Bondar AN, Standfuss J, Neutze R, Iwata S. Science. 2016 Dec 23;354(6319):1552-1557. doi: 10.1126/science.aah3497



 Contact chercheur
* Antoine Royant
Institut de Biologie Structurale
CNRS UMR 5075 – CEA – Université Grenoble Alpes
71 avenue des Martyrs
CS 10090
38044 Grenoble Cedex 9
04 76 88 17 46

 

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LES ABEILLES

 

 

 

 

 

 

 

abeille


Longtemps appelée « mouche à miel », l'abeille mellifique, originaire d'Eurasie, fascine surtout par ses activités de butineuse et par son aptitude singulière à vivre et à s'organiser en colonie. Une organisation qui n'existait peut-être pas chez ses lointains ancêtres...
1. La vie des abeilles
1.1. Une société très organisée où chacune a sa place
Tous les naturalistes l'ont remarqué, les abeilles mellifiques sont extraordinairement solidaires et vivent en colonie. Celle-ci possède son identité propre, puisqu'elle se défend contre tout élément étranger, insectes ou autres abeilles.

Une colonie comprend trois sortes d'abeilles adultes : une reine unique, avec sa double fonction de reproductrice et de régulatrice ; quelque 2 500 mâles – appelés aussi faux-bourdons –, qui ont pour seule fonction de féconder la nouvelle reine d'un nid, lors du vol nuptial ; et, enfin, les ouvrières – 50 000 environ –, qui vivent 38 jours en été et 6 mois en hiver et qui, au cours de leur vie, sont tour à tour nourrices, ménagères, bâtisseuses, magasinières, gardiennes et butineuses... Elles sont dirigées par la reine qui, par des sécrétions, les phéromones, leur transmet des ordres chimiques et peut, par exemple, appeler ainsi tout son monde autour d'elle. Quant aux larves, elles occupent le couvain, qu'on peut comparer à une nursery : il est composé de 6 000 œufs, 9 000 larves, 20 000 nymphes. Mais tous ces chiffres ne représentent qu'une moyenne, la population d'un nid dépendant de divers facteurs : capacités de la reine, conditions climatiques, accès à la nourriture, maladies...
Cette colonie vit dans un nid constitué de rayons de cire que les ouvrières entretiennent en permanence. Celui-ci comporte deux parties : la réserve de nourriture, où se fait le miel, et la nursery, où est élevé le couvain. Quand il y a surpopulation, la reine émigre avec une partie des ouvrières pour créer une nouvelle colonie, c'est l'essaimage.
La reine, le faux-bourdon et l'ouvrière n'ont pas la même taille. La reine, plus grande que l'ouvrière, a un abdomen plus effilé ; la cellule où elle grandit, en forme de dé à coudre, est la plus haute. Le mâle se caractérise par deux très gros yeux et un abdomen carré. Sa cellule est hexagonale, comme celle des ouvrières, mais plus importante, avec un opercule plus bombé. La reine se nourrit de gelée royale, les mâles et les ouvrières n'en consommant que pendant 3 jours, pour passer ensuite au pollen, puis au miel.

La chaîne cirière
La construction du nid exige une organisation très élaborée. Les ouvrières bâtisseuses, ou cirières, sont âgées de 12 à 19 jours quand leurs glandes cirières sécrètent la cire à partir du miel qu'elles absorbent. Elles constituent ce que l'on appelle la « chaîne cirière ». Elles se suspendent en plusieurs grappes dont chacune ressemble à une pyramide inversée. Chaque abeille s'accroche aux autres par les pattes, plusieurs chaînes pouvant être reliées entre elles par des insectes qui sont alors complètement écartelés. Grâce aux brosses de ses pattes postérieures, une ouvrière bâtisseuse commence par récupérer ses lamelles de cire, elle les porte ensuite à sa bouche pour les malaxer et les humecter de salive. La boulette qui résulte de cette opération passe ensuite de cirière en cirière avant de parvenir aux abeilles chargées de la construction des alvéoles. Celles-ci utilisent leurs mandibules pour aplatir la cire et façonnent alors des parois d'une incroyable minceur : 0,073 mm. Au cours de toutes ces opérations, les antennes jouent le rôle d'instruments de mesure de haute précision.
Une fois achevées, les cellules ont une forme hexagonale. Leur hauteur varie selon leur destination (réserve de nourriture ou couvain). Elles sont légèrement inclinées vers l'intérieur et s'emboîtent parfaitement les unes dans les autres sur un rayon, formant ainsi un ensemble remarquable par sa solidité : un rayon composé d'environ 40 g de cire peut supporter près de 2 kg de miel ! Blanche au début, la cire des parois devient brune et noirâtre en vieillissant.
La régulation thermique du nid est assurée, au degré près, par toute la colonie. En été, l'ouvrière agite les ailes pour ventiler l'atmosphère, expulser l'air chargé d'humidité ; en hiver, elle les fait vibrer doucement pour réchauffer l'atmosphère.

L'essaimage

Il a lieu généralement au printemps. Laissant la place à une autre abeille qui prendra sa succession, la reine entraîne environ les deux tiers de la colonie. Pendant que des éclaireuses partent à la recherche d'un endroit pour construire un nouveau nid, l'essaim se pose près de l'ancien. Gorgées de miel, dont elles ont fait provision avant le départ, les abeilles sont alors inoffensives.

Les experts proposent deux explications à l'essaimage : quand la miellée (quantité de miel produite) n'est pas importante, il y a plus de place dans la ruche pour le couvain, ce qui augmenterait la ponte, d'où le recours à l'essaimage ; ou bien ce serait un facteur hormonal qui favoriserait la naissance de nouvelles reines, provoquant le départ de l'ancienne.

1.2. Des abeilles chevronnées pour butiner et récolter
L'abeille ouvrière se met à butiner à partir du 21e jour environ après sa naissance. C'est le dernier métier qu'elle exerce. C'est elle que l'on peut voir, du printemps à l'automne, voleter de fleur en fleur, avant de trouver la mort, le plus souvent dans quelque toile d'araignée ou dans le bec d'un oiseau. En attendant, elle se nourrit, à raison de 0,5 mg par kilomètre, du miel dont elle a fait provision avant de quitter la ruche. Dans sa vie, chaque abeille ne visite qu'une seule espèce de fleur et ne rapporte au nid qu'un seul type de butin : le nectar, le pollen, la propolis ou l'eau dont la colonie a besoin. L'eau sert à diluer le miel et à refroidir le nid par évaporation. Les larves en absorbent aussi une grande quantité.

Le nectar est aspiré

Sécrété par les fleurs au moyen de petites glandes appelées nectaires, le nectar est une solution sucrée qui contient des minéraux et des substances odorantes. L'abeille le prélève en s'introduisant dans la fleur et en l'aspirant au moyen de sa trompe, un organe de 6,5 mm, que prolonge une langue minuscule (2 mm). Elle le met ensuite dans son jabot, sorte de poche pouvant contenir jusqu'à 75 mg de la précieuse substance. Pour remplir ce sac, une abeille qui récolte, par exemple, le nectar du trèfle doit visiter entre 1 000 et 1 500 fleurs. Elle y ajoute des produits qui hydrolysent les sucres pendant le vol de retour : c'est le début de la fabrication du miel. Une fois au nid, la butineuse transmet son butin à une ouvrière magasinière. Un litre de nectar représente un nombre de voyages qui peut varier de 20 000 à 100 000.

Le pollen est amassé

D'autres butineuses sont spécialisées dans la récolte du pollen. Il se compose de milliers de grains microscopiques que produisent les étamines. Sorte de spermatozoïdes de la fleur, ces grains sont prêts à être déposés sur le pistil – ou élément femelle – d'une autre fleur, afin d'assurer la reproduction de l'espèce. Les grains de pollen constituent un aliment indispensable pour les jeunes abeilles. Pour récolter cette poudre, l'abeille butineuse déchire les étamines à l'aide de ses mandibules et forme une boulette en humectant les grains avec le miel dont elle a fait provision dans son jabot avant de sortir du nid. Pendant le vol, elle s'aide du peigne de ses pattes postérieures pour faire passer la boulette de pollen dans les corbeilles situées dans la partie supérieure de celles-ci. Elle récupère également le pollen sur son corps à l'aide de ses 6 pattes. Tout cela se fait à une vitesse telle que l'opération n'est pas visible à l'œil nu. Lorsque les corbeilles sont très pleines, elles ressemblent à de petits sacs accrochés aux pattes de la butineuse, qui transporte ainsi jusqu'à 50 mg de pollen, un poids énorme comparé au sien – environ 82 mg...
D'autres abeilles butineuses récoltent la propolis. Cette substance qui recouvre les bourgeons de certains arbres – peupliers, saules, marronniers... –, mêlée à des sécrétions salivaires et à du pollen, sert d'enduit pour boucher les fissures, réparer les rayons, et embaumer les ennemis tués.

Danse des abeilles

Lorsqu'elle découvre une nouvelle source de récolte, la butineuse rentre au nid et exécute, sur les rayons, une danse, à l'attention des autres butineuses. Quand la source est à moins de 10 m, l'abeille exécute un cercle. Si elle est entre 10 et 40 m, la danse est en forme de faucille ; si elle est plus éloignée, elle est en forme de huit aplati, avec des demi-cercles tantôt à droite, tantôt à gauche. La danse reproduit l'angle formé par la ligne du soleil et celle de la source de nourriture découverte. Cet angle donne la direction. La fréquence des tours et le rythme du frétillement de l'abdomen de l'abeille indiquent aussi le degré de difficulté pour y accéder.

1.3. Plusieurs métiers dans une même vie
Si l'on met à part quelques vols d'essai, le plus souvent en groupe, pour apprendre à situer le nid et à en reconnaître les environs, l'abeille ouvrière passe pratiquement les trois premières semaines de sa vie à l'intérieur. Du 1er au 3e jour après sa naissance, elle nettoie les cellules vides du couvain, afin que la reine puisse pondre à nouveau. À partir du 3e jour, ses glandes mammaires, situées dans la tête, se développent et elle devient nourrice, s'occupant en un premier temps des larves plus âgées, puis des plus jeunes, lorsqu'elle est capable de produire la gelée royale, une matière très nutritive sécrétée par ses glandes hypopharyngiennes et mandibulaires. Par la suite, ces glandes s'atrophient de sorte que l'ouvrière passe à d'autres travaux – enlèvement des gros déchets et des cadavres d'abeilles et surtout stockage du pollen et du nectar dans différentes cellules. Du 12e au 19e jour, c'est la production de la cire et la construction des alvéoles. Enfin, avant de partir pour butiner, la dernière activité de l'abeille est celle de sentinelle. Postée à l'entrée du nid, elle contrôle les animaux qui y pénètrent, et donne l'alerte s'il s'agit d'un étranger.
En cas de perturbations graves au sein de la colonie, l'organisme des ouvrières s'adapte, et celles-ci se remplacent mutuellement. Pendant ses longs moments d'oisiveté, l'abeille reste immobile ou se promène.

La vie en hiver
Contrairement à l'ouvrière née au printemps qui ne vit que 38 jours, celle née entre août et novembre vit tout l'hiver, soit environ 6 mois, dans le nid. La colonie ne comprend alors que 40 000 abeilles, puisqu'il n'y a plus ni couvain ni mâles. L'abeille a constitué dans son corps gras des réserves pour la mauvaise saison. Animal à sang froid, elle meurt sous une température inférieure à 8 °C. Au-dessous de 18 °C, les ouvrières se regroupent en grappe autour de la reine pour se réchauffer. Au centre de ce groupe, la température est maintenue à 35 °C. Les abeilles puisent dans leur réserve de miel pour se nourrir, mais, dans un souci de propreté, elles s'interdisent toute déjection. Dès le 15 janvier, la reine peut se remettre à pondre.
La fabrication du miel



Rentrée au nid le jabot plein de nectar, la butineuse le remet aux magasinières, qui vont alors s'employer à le transformer. Le nectar est d'abord ingéré et, pendant 20 minutes, passe du jabot à la bouche et de la bouche au jabot. Sous l'influence d'une sécrétion, l'invertine, le saccharose du nectar se transforme en glucose et en lévulose. Le nectar est ensuite placé dans une cellule que les ouvrières recouvrent d'un bouchon de cire, l'opercule. Là, il finit de se transformer en miel. Celui-ci contient 85 % de sucres, ainsi que des sels minéraux et des vitamines.

1.4. Le vol nuptial conduit le mâle à la mort
Lorsqu'une colonie se retrouve orpheline soit après la mort de la reine, soit après l'essaimage, les ouvrières élèvent de nouvelles reines. Ces jeunes larves femelles, semblables aux ouvrières, ont été pondues dans de plus grandes alvéoles. Les candidates à la succession sont nourries exclusivement de gelée royale.

Une compétition mortelle
Aussitôt née, la première reine se précipite sur ses rivales pour les piquer à mort. Si plusieurs reines naissent en même temps, un combat s'engage jusqu'à ce que la meilleure l'emporte, les vaincues étant vouées à la mort. La maturation sexuelle de l'abeille victorieuse s'achève au 6e jour. Les ouvrières la nourrissent, mais sont agressives envers elle pour la pousser à prendre son vol nuptial. Celui-ci a lieu le plus souvent par un bel après-midi sans vent. La température doit être au minimum de 20 °C. Les mâles de plusieurs colonies, rassemblés dans des lieux déterminés, fixes d'année en année, se dirigent vers tout ce qui ressemble à une jeune reine. Dès que l'une d'elles est repérée, elle est aussitôt prise en chasse par tous les faux-bourdons.
La copulation se déroule en vol, entre 6 et 20 m au-dessus du sol, parfois à plusieurs kilomètres du nid. Et, à chaque vol, la reine s'accouple avec plusieurs partenaires, 5 ou 6. Le mâle saisit la reine, la chevauche, ce qui provoque l'éversion de tout son appareil génital (l'endophallus). Pendant l'étreinte, une partie de son organe génital pénètre dans le sexe de la reine et y reste accroché jusqu'à l'accouplement suivant, à moins qu'à son retour au nid les ouvrières n'en débarrassent leur reine. L'accouplement déchire l'abdomen du mâle, qui meurt. Le sperme reçu par la reine au cours de son vol est, en principe, suffisant pour la vie, mais, en raison de pertes successives, plusieurs vols et accouplements sont nécessaires pour que la spermathèque (réservoir organique situé à l'extrémité de l'abdomen) soit remplie.
La reine se met alors à pondre et dépose un œuf par cellule. Elle choisit le sexe de l'œuf en fonction de la taille des cellules, qu'elle mesure avec ses pattes antérieures, l'alvéole destinée au mâle étant plus grande que celle de la femelle. Elle pond toutes les 40 secondes environ un œuf de 1,5 mm de long et 0,5 mm de diamètre, qui est fécondé – ou non –, lors de son passage par le canal ovarien, par les spermatozoïdes de la spermathèque. Pour avoir une ouvrière, la reine dépose un ovule fécondé. Pour avoir un mâle, elle ne met pas l'ovule en contact avec les spermatozoïdes. La reine est toujours très entourée.
Au 3e jour, l'œuf éclos donne naissance à une larve goulue, à laquelle les ouvrières apportent continuellement de la nourriture, mais qui cesse de s'alimenter pendant ses mues (4 en 6 jours).

Les faux-bourdons en sursis
Les faux-bourdons sont présents dans le nid d'avril à septembre, condamnés à rester inactifs. En effet, ils ne possèdent morphologiquement aucun « instrument » leur permettant d'exercer une fonction au sein de la colonie : ni glande cirière, ni corbeilles, ni peigne à pollen... Nourris par les ouvrières, leur unique fonction semble être de féconder la reine. Le vol nuptial achevé, tous les faux-bourdons qui n'ont pu s'accoupler sont expulsés du nid et meurent de faim ou de froid.

1.5. Milieu naturel et écologie
Réparties sur toute la terre, les quatre espèces du genre Apis ont chacune des habitats différents. Trois d'entre elles nichent en l'air et se trouvent en Asie. Apis dorsata, l'abeille géante de l'Inde, est une habituée des sommets, elle peut vivre jusqu'à 2 000 m d'altitude. On la trouve de l'Asie du Sud-Est jusqu'aux Philippines. Apis florea ne dépasse pas, elle, les 500 m d'altitude, mais elle se répartit de la même façon sur le continent asiatique. Quant à Apis cerana, qu'on appelait autrefois Apis indica, elle peuple une grande partie de l'Asie, et on la trouve aussi en Chine et dans une partie de la Sibérie.
La quatrième espèce, Apis mellifica, l'abeille occidentale, est la plus répandue. Elle vit dans plusieurs pays européens (Espagne, Angleterre, Allemagne, France) où elle est aussi domestiquée, ainsi qu'en Afrique, et, depuis la colonisation, en Amérique, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Elle niche dans des cavités naturelles ou artificielles. Elle s'adapte très bien aussi en montagne.

La pollinisation
Chez les phanérogames (ou plantes supérieures), la fécondation ne peut se produire que si le pollen est transporté par des étamines jusqu'au pistil : c'est la pollinisation. Le transport peut être assuré par le vent pour les plantes anémogames, mais 80 % des végétaux supérieurs sont entomogames, c'est-à-dire qu'ils dépendent des insectes pour la pollinisation. Or, les abeilles domestiques constituent de 65 à 95 % des insectes pollinisateurs. Mais les abeilles solitaires (mégachiles, osmies) sont les plus actives pour la pollinisation. On estime en tout cas que les avantages économiques de la pollinisation par les abeilles sont plus importants que ceux de la seule production de miel.

Prédateurs et profiteurs
Les abeilles sont la proie de nombreux prédateurs, mais aucun d'entre eux n'en consomme assez pour mettre en péril une colonie. Elles sont dévorées par des oiseaux insectivores tels que les hirondelles, les guêpiers et les mésanges. Lorsque l'hiver est rude, le pic-vert troue la ruche ou le nid de son bec puissant et attaque les abeilles qui y restent calfeutrées à l'abri du froid. Parmi les rapaces, la bondrée apivore, qui est protégée par son plumage, ne redoute pas la piqûre des abeilles et détruit les nids pour se nourrir du couvain. Les abeilles sont également piquées et tuées par d'autres insectes, comme le philanthe apivore qui ressemble à une grosse guêpe et presse d'abord l'abdomen de sa victime pour en faire couler le nectar jusqu'à la dernière goutte, avant de donner ensuite la carcasse à sa future larve. Les libellules, qui sont de redoutables carnivores, apprécient aussi les abeilles. Quant aux araignées, elles guettent leur proie avant de s'en nourrir. Le thomise piège les abeilles butineuses dans la corolle des fleurs et l'épeire diamède les saisit dans sa toile.
Certains animaux ne font qu'exploiter le travail de l'abeille en utilisant soit son nid, soit ses produits. Les réserves de miel attirent les guêpes. Un papillon qu'on appelle « teigne des ruches », Galleria mellonella, pond ses œufs sur les rayons. Les chenilles profitent de ce qu'une colonie est faible pour tisser leur toile à partir des rayons de cire. Un petit diptère, appelé « pou des abeilles » (Braula caeca), vit en parasite sur le corps de ses victimes, surtout celui de la reine, et leur fait dégorger de la nourriture. Il est d'autant plus redoutable qu'il propage la nosémose, maladie provoquée par un petit animal unicellulaire, ou l'aspergillose, causée par des champignons qui parasitent l'appareil respiratoire ou l'œil de l'abeille. Chez les mammifères, l'ours est un grand amateur de miel.

2. Zoom sur... l'abeille mellifique
2.1. Abeille mellifique (Apis mellifica)
Insecte invertébré, Apis mellifica possède un squelette externe rigide, mais articulé. Les organes internes baignent dans un liquide qui fait office de sang, l'hémolymphe. Incolore, ce liquide se déplace à l'intérieur du corps, grâce à un appareil dont l'action est comparable à celle d'un cœur, le vaisseau dorsal. Ce vaisseau donne une certaine impulsion à l'hémolymphe qui circule librement (il n'y a pas de vaisseaux pour la véhiculer).
Le corps de l'abeille est une sorte d'atelier en miniature, très perfectionné. Son appareil respiratoire est analogue à celui de tous les insectes. Un système de trachées très ramifiées amène l'air jusqu'à toutes les cellules. Les trachées communiquent avec l'extérieur par 20 stigmates (3 paires sur le thorax et 7 paires sur l'abdomen).
L'appareil digestif est un long tube allant de la bouche à l'anus. Au niveau de la tête se trouve le pharynx, au niveau du thorax l'œsophage, au niveau de l'abdomen le jabot, qui sert de réservoir pour le transport des aliments, puis vient le proventricule. C'est une sorte de valvule qui permet à l'abeille de se nourrir en faisant passer les aliments du jabot dans le ventricule, sans que le contraire soit possible. Enfin, le ventricule, puis l'intestin et la poche rectale terminent l'appareil digestif. Tout au long de cet appareil, les aliments sont digérés sous l'action des sucs. La poche rectale, située au bout de l'abdomen, est d'une capacité telle qu'elle permet à l'abeille de garder ses excréments pendant tout l'hiver.
Les sens de l'abeille sont très développés, en particulier celui de la vision. Grâce à ses cinq yeux et à ses trois ocelles, le champ visuel de l'insecte avoisine 360°, mais son acuité visuelle ne représente que le 80e de celle de l'homme, bien qu'elle soit supérieure à celle de beaucoup d'autres insectes. Fortement astigmate, l'abeille perçoit mieux les objets verticalement qu'horizontalement. Chez l'abeille, l'enchaînement des images se fait à 300 images par seconde, (alors qu'il est de 24 images chez l'homme), de sorte que, pour cet insecte, un film ne serait qu'une suite d'images fixes. En revanche, l'homme ne peut voir les mouvements des abeilles qu'en passant un film au ralenti.
Par ailleurs, les abeilles ne sont pas sensibles aux mêmes teintes que l'homme. Leurs couleurs sont le jaune-orangé (jaune-vert pour l'homme), le bleu-vert (pas de correspondance pour l'homme), le bleu (bleu et violet pour l'homme) et l'ultraviolet, invisible pour l'homme. Si le coquelicot attire les abeilles, ce n'est pas parce qu'il est rouge, mais parce qu'il réfléchit les rayons ultraviolets.
Le goût est très aiguisé chez l'abeille qui distingue le sucré, l'acide, l'amer et le salé. Il est lié à différents endroits du corps. On distingue le goût oral, localisé dans la cavité buccale, le goût tarsal dans les tarses, à l'extrémité des pattes, et le goût antennaire dans les huit dernières articulations de l'antenne. Mais les sensibilités de l'abeille sont différentes : ainsi, le lactose, qui a un goût sucré pour l'homme, ne l'a pas pour elle. En outre, ses capacités gustatives dépendent de son âge et de son état physiologique, de sa nutrition en particulier. Ainsi, lorsqu'elle est affamée, elle est plus sensible à de faibles concentrations sucrées qu'elle ne l'est dans des conditions normales.
Les antennes servent à la fois d'oreilles et de nez à l'abeille. Elles sont divisées en trois parties. La dernière, ou flagelle, est la plus longue et comporte 11 articulations porteuses de plaques qu'on appelle sensilles. Certaines d'entre elles servent à la perception des odeurs, d'autres à celle des sons, ou plutôt des vibrations (car on considère que l'abeille est sourde, mais très sensible aux vibrations).
Celles-ci sont perçues par les sensilles dites « trichoïdes » – une seule antenne peut en porter 8 500. Quant aux odeurs, elles sont captées par les plaques poreuses (chez l'ouvrière, leur nombre varie de 3 000 à 6 000, la reine en a 3 000 et les mâles 30 000), ainsi que par les sensilles dites « basiconiques », situées sur les troisième et dixième segments de l'antenne. L'abeille semble capable de discerner une odeur déterminée, même lorsque celle-ci est associée à plusieurs autres, mais elle ne sent le parfum des fleurs que si elle en est relativement proche. En revanche, c'est grâce à son odorat que la sentinelle placée à la porte du nid distingue les membres de sa colonie des intruses appartenant à d'autres communautés, et peut ainsi les chasser. De même, lors de la danse destinée à communiquer aux autres ouvrières des messages sur les sources de nourriture, la danseuse ne peut être vue par ses camarades, puisque la danse a lieu le plus souvent dans l'obscurité du nid. Si le message passe, c'est donc uniquement grâce aux perceptions tactiles, auditives et olfactives des ouvrières.

ABEILLE MELLIFIQUE OU MELLIFÈRE
Nom
(genre, espèce)
:    Apis mellifica
Famille :    Apidés
Ordre :    Hyménoptères
Classe :    Insectes
Identification :    Tête triangulaire faisant partie du corps ; gros yeux latéraux ; thorax d'où partent 3 paires de pattes et 2 paires d'ailes, abdomen rayé circulairement de noir et de jaune. Aussi appelée abeille domestique
Taille :    Ouvrière : de 14 à 15 mm ; reine : de 18 à 20 mm ; faux-bourdon : 15 mm
Poids :    Ouvrière : 82 mg ; reine : de 250 à 300 mg
Répartition :    Europe, Afrique, Australie
Habitat :    Partout où il y a des plantes mellifères
Régime alimentaire :    Pollen et nectar
Structure sociale :    Vit en colonie de plusieurs milliers d'individus
Maturité sexuelle :    Reine : 6 jours après la naissance ; faux-bourdon : de 5 à 15 jours après la naissance
Longévité :    En moyenne, ouvrière d'été : 38 jours ; ouvrière d'hiver : 6 mois ; reine : de 4 à 5 ans ; faux-bourdon : 22 jours
 
2.2. Signes particuliers
Ommatidies et ocelles
L'abeille est dotée d'une part de 2 yeux composés de milliers d'yeux simples, les ommatidies, d'autre part de 3 ocelles, yeux simples disposés en triangle au-dessus de la tête. Chaque ommatidie constitue un système optique complet, comportant une cornée transparente qui forme lentille convergente, un cristallin conique et une rétinule composée de 8 cellules sensibles à la lumière. Les ocelles n'ont eux, qu'une lentille biconvexe, un corps vitré et une rétine. Ils mesurent l'intensité lumineuse et fonctionnent surtout comme des cellules photoélectriques. L'abeille s'en sert aussi pour voir de très près. Grâce aux ocelles, elle perçoit le jour et la nuit, les passages nuageux et les éclaircies.
Peigne et brosse à pollen
Les pattes arrière de l'abeille présentent, au niveau de la 3e articulation, de minuscules outils, chefs-d'œuvre d'ingéniosité, qui servent à la récolte de la précieuse poudre. Tandis que le pollen a été entassé sur un petit axe situé au fond de la corbeille, le peigne aux poils rigides, au niveau de l'articulation, et la brosse aux poils plus souples, sur la face interne, retiennent et ratissent le pollen, pour le tasser en pelote.
Trompe
Dans cet organe de 6,5 mm coulisse une langue de 2 mm, sorte de cuillère effilée que l'abeille fait pénétrer jusqu'au fond de la fleur pour y aspirer à petites lampées le nectar.

3. Les autres espèces d'abeilles
La famille des apoïdés regroupe ce que l'on appelle les abeilles des zoologistes. Elle représente 20 % des insectes hyménoptères, c'est-à-dire des insectes qui subissent des métamorphoses fréquentes, ont des ailes membraneuses et un appareil buccal capable de broyer et de lécher. Les apoïdés comptent environ 20 000 espèces et se nourrissent de nectar et de pollen. La plupart sont des abeilles solitaires, et certaines entretiennent un début de vie communautaire. Mais aucune ne constitue de colonie aussi organisée que les abeilles de la famille des apidés supérieurs qui sont les seules abeilles dites « sociales ». Il s'agit des genres Apis, Bombus, ou bourdons, Melipona et Trigona.

3.1. Les abeilles sociales
Les apis (Apis)
Les 4 espèces qui composent le genre Apis et dont fait partie Apis mellifica sont des insectes sociaux, qui vivent toujours en colonie. Elles se multiplient par essaimage et sont réparties sur toute la surface du globe. Toutes ces abeilles dansent pour expliquer à leurs congénères les lieux de récolte.
Apis dorsata, Apis florea et Apis cerana ont toutes trois tendance à nicher en plein air et peuplent le continent asiatique. Apis dorsata est l'abeille géante de l'Inde. Cette espèce est très agressive, et la piqûre de son aiguillon très redoutée. Elle accroche son nid sur de grosses branches. Ce nid est, en fait, un seul et même rayon de 0,75 à 1 m environ.
Apis florea, ou abeille « naine », est moitié moins grande qu'Apis mellifica. Sa robe est multicolore. Son nid est, lui aussi, constitué d'un seul rayon, mais plus petit : 8 cm sur 12 cm.
Apis cerana, ou abeille des Indes, est la plus proche d'Apis mellifica.

Les bourdons (Bombus)
Insectes velus et noirs à bandes jaunes ou rouges, ils vivent pour la plupart en Europe et en Amérique du Nord. Ils se nourrissent de nectar et de pollen. À l'automne, la colonie disparaît et les femelles fécondées passent l'hiver dans une cache naturelle pendant une période qui peut durer de 6 à 8 mois. Au printemps, les « fondatrices » (c'est le nom qu'on donne aux femelles, dont le nid est construit dans le sol) se mettent à pondre pour créer une nouvelle colonie. Plus l'été est court, et plus la vie de la colonie est brève. Inversement, dans les régions chaudes, les colonies sont quasiment permanentes et ne cessent de pondre que pendant la saison sèche. En France, on compte 25 espèces de Bombus, les plus communes étant le bourdon des prés (Bombus pratorum), le bourdon des jardins (Bombus hortorum), le bourdon des champs (Bombus agrorum), le bourdon des pierres (Bombus lapidarius) et le bourdon terrestre (Bombus terrestris). Tous ces insectes jouent un rôle important pour la pollinisation. Ils sont en outre dotés d'un dard, dont ils ne se servent qu'assez rarement.

Les mélipones et les trigones (Melipona et Trigona)
Ces deux derniers genres, de la famille des apidés supérieurs, sont proches parents. Mélipones et trigones vivent dans les régions tropicales, en particulier au Mexique, aux Antilles et surtout au Brésil. La plupart de ces abeilles sont plus petites qu'Apis mellifica. Plutôt grêle, leur abdomen est plus court chez certaines espèces. Quelques trigones ne dépassent pas les 4 ou 5 mm. L'une des mélipones, Melipona scutellaris, qui atteint presque la taille de l'abeille mellifique, est particulièrement jolie.
L'organisation des mélipones est plus proche de celle des abeilles domestiques que de celle des bourdons. Ces insectes font leur nid dans le creux des arbres et des rochers. Ils en surveillent d'autant mieux l'entrée que celle-ci est précédée d'un long couloir. Quelques individus nichent dans le sol, comme les bourdons, et y cohabitent parfois avec les termites. Chez ces espèces, la cellule natale reçoit d'abord de la nourriture avant de recevoir l'œuf.

3.2. Les abeilles solitaires
Les abeilles des autres familles sont solitaires. Chez celles-ci, le nid construit sans l'aide d'ouvrières est composé d'une dizaine de cellules destinées à la ponte. Dans chacune d'elles, l'abeille place un peu de nourriture et pond un œuf. La future larve dispose ainsi de réserves alimentaires pour sa croissance, tandis que la femelle meurt avant que l'œuf soit éclos.
La plus solitaire de toutes les abeilles est la mégachile femelle, dite « coupeuse de feuilles », parce qu'elle creuse dans du bois en pleine décomposition des galeries qu'elle garnit de feuilles coupées et modelées en forme de dé à coudre. Ces feuilles serviront de berceaux aux nouveau-nés. La famille des mégachilidés, à laquelle appartient la mégachile, comprend aussi des abeilles maçonnes et est répandue un peu partout dans le monde.
Les collétidés – insectes peu évolués qui possèdent une langue courte et sont surtout nombreux dans l'hémisphère Sud – et les andrénidés qui vivent dans l'hémisphère Nord sont aussi des familles d'abeilles solitaires, comme celles, moins répandues, des mellitidés, des oxaéidés et des fidéliidés, petites familles sans nom vernaculaire.
Bien que considérés comme solitaires, les halictes (famille des halictidés), surnommés par les Anglais « abeilles de la sueur », sont proches des bourdons. On trouve, chez ces insectes, les premières ébauches d'une vie en société. La femelle fondatrice a une durée de vie analogue à celle de l'abeille mellifique et reste fidèle à son lieu de ponte toute son existence. Année après année, le nombre cumulé de ses enfants forme une sorte de colonie, et l'on assiste à une certaine répartition des tâches (ravitaillement, construction, soins aux jeunes) semblable à celle qui existe pour Apis mellifica. Toutefois, il n'y a pas, entre ouvrières, reine et mâles, de différences morphologiques marquées.

4. Origine et évolution des abeilles
Parmi les 6 familles des apoïdés, ou insectes qui se nourrissent de pollen et de nectar, celle des apidés regroupe toutes les abeilles, les solitaires et les « sociales », comme les abeilles du genre Apis, auquel appartient l'abeille mellifère ou mellifique, et celles de genres moins connus : Melipona, Trigona et Bombus, ou bourdons. Ainsi, pour les zoologistes, les bourdons, mâles et femelles, sont des abeilles. Il ne faut pas les confondre avec les faux-bourdons, qui sont les mâles chez les abeilles du genre Apis.
Comme l'explique le biologiste autrichien Karl von Frisch dans son livre Vie et Mœurs des abeilles, les ancêtres des abeilles sont probablement des insectes solitaires et prédateurs, telles les guêpes maçonnes. On ne sait pas exactement comment ou quand leur vie sociale a débuté.
Vers le milieu du crétacé, il y a 100 millions d'années, les plantes se sont répandues sur toute la terre. C'est à cette époque que s'est faite la différenciation entre les guêpes et les abeilles. Des abeilles fossiles ayant de nombreux points communs avec les formes actuelles d'Apis ont été trouvées en plusieurs endroits.
La première découverte a eu lieu dans les pays Baltes, où fut repéré un insecte emprisonné dans des morceaux d'ambre (résine fossile d'origine végétale), qui datait de l'éocène supérieur (– 70 millions d'années environ). Il devait avoir vécu en groupe, car, dans le même morceau d'ambre, étaient fossilisés à côté de lui cinq autres individus. On a donné à ces ancêtres d'Apis mellifica le nom d'Electreapis, ou abeille de l'ambre.
Certaines abeilles datant du miocène, inférieur et supérieur (entre – 25 et – 7 millions d'années), ont été découvertes en Allemagne occidentale, dans les schistes de Rott ; d'autres, retrouvées en France, dans le bassin aquitain, datent de l'oligocène (entre – 37 et – 25 millions d'années). Toutes ces abeilles fossiles étaient assez bien conservées.
Traditionnellement, le genre Apis, originaire d'Asie, ne comporte que 4 espèces, vivant toutes en société. Outre Apis mellifica, il y a Apis dorsata, l'abeille géante de l'Inde, Apis florea et Apis cerana, vivant en Inde elles aussi. On distingue, en outre, différentes races ou sous-espèces de Apis mellifica, appelées abeilles domestiques, parce qu'elles ont été « apprivoisées » par l'homme, qui en prend soin. L'une d'elles est l'abeille noire de France, ou Apis mellifica mellifica.

5. Les abeilles et l'homme
Précieuses auxiliaires de l'homme, qui en prend soin et exploite leurs produits depuis des millénaires, les abeilles ont aussi une place importante dans l'imaginaire des peuples, où elles sont, tour à tour, messagères des dieux ou symbole d'inspiration poétique.

5.1. Des insectes sacrés qui auraient nourri les dieux et les prêtres
Pour les Égyptiens de l'Antiquité, elles étaient nées des larmes de Rê, le dieu solaire qui les avait répandues sur la Terre, tandis que le prophète Mahomet déclare dans le Coran que « ce sont des insectes sacrés ». En Grèce, Melissa (qui signifie abeille) est une femme d'une incomparable beauté. Fille de Melissée, roi de Crète, elle aurait nourri Zeus de lait de chèvre et de miel, ce qui a laissé imaginer qu'elle aurait été transformée en abeille.
Tiré du miel, l'hydromel est, pour les Celtes comme pour les Égyptiens et les Grecs, la liqueur de l'immortalité. Et, représentées sur les tombeaux, les abeilles annoncent la survie après la mort : ne disparaissent-elles pas pendant les mois d'hiver pour ressusciter, en quelque sorte, vers le printemps ? Le monde chrétien est, lui aussi, frappé par les merveilles accomplies par cet insecte, véritable incarnation de l'âme, qui distille le suc des fleurs, comme l'âme rassemble le suc des fleurs de la réalité. Les chrétiens du Moyen Âge voient également dans le dard de l'abeille le symbole de l'exercice de la justice.
En dehors même de toute référence religieuse, l'abeille symbolise le souffle ou le feu de l'inspiration, oratoire, poétique ou philosophique. Une légende de l'Antiquité veut que, dans leur berceau, Pindare et Platon aient eu leurs lèvres effleurées par ces insectes.

5.2. Pour domestiquer les abeilles, les hommes ont construit les ruches
Avant la découverte du sucre de canne et de betterave, le miel a longtemps été pour l'homme l'unique source de sucre. D'où l'attention portée autrefois à ce produit qui ne servait pas seulement d'aliment : 2 000 ans avant J.-C., en Assyrie, les corps des morts célèbres étaient vernis à la cire, puis embaumés dans le miel, une coutume qui s'est perpétuée en Grèce pendant vingt siècles. De nos jours, c'est le service rendu à l'homme par la fécondation des fleurs qui passe au premier plan. Toutefois, la pollinisation des fleurs était déjà connue 5 000 ans avant J.-C., en pays Sumer.
Très tôt, pour éviter que la chasse au miel ne détruise ou ne perturbe les colonies, l'apiculteur a créé la ruche. La forme de ces nids artificiels a beaucoup évolué, des temps préhistoriques jusqu'à nos jours, sans que l'évolution, fruit de ressources locales et de l'ingéniosité humaine, ait été linéaire. Il fallait apporter une solution au problème posé par la préservation du couvain et des colonies. En effet, pour récolter le miel, l'apiculteur était autrefois obligé de détruire la ruche après avoir asphyxié les abeilles.
Au départ, on s'est contenté d'imiter les cavités naturelles recherchées par les abeilles, en récupérant les troncs creux qui avaient parfois déjà logé une colonie. Très primitives, ces premières « ruches-troncs » qui ont donné une variante, la « ruche-écorce », datent de la préhistoire, mais on en trouvait encore en France, au xive et au xve siècle. Puis sont apparues les caisses à planches verticales. L'adoption d'une croix de bois offrant une charpente aux abeilles pour l'aménagement des rayons a représenté une étape très importante. Dans certains cas, des baguettes remplacent les planches. Il s'agit sans doute d'une invention de peuples nomades, en quête d'un matériel léger, aisément transportable. L'armature des ruches est alors recouverte d'une protection étanche et isolante, confectionnée le plus souvent avec de la bouse de vache. En France, certains utilisent encore ces nids de forme conique. Dans les régions de culture céréalière, les apiculteurs sont passés rapidement des baguettes à la paille, notamment à la paille de seigle.
Puis les ruches à rayons fixes apparaissent. Composées de sortes de cubes empilés, elles comportent une calotte placée au-dessus du nid et communiquant avec lui. Celle-ci constitue un magasin supplémentaire, ce qui laisse plus de place pour le couvain et les réserves de miel dans le corps principal de la ruche.
L'apiculteur y récolte le miel sans porter préjudice au couvain. L'origine de telles ruches remonte au xiiie siècle en Italie, au xviie siècle en Angleterre.
La dernière étape de l'évolution est la ruche dite « à cadres mobiles » : elle est composée de pièces de forme variable (ronde, triangulaire, carrée), que l'apiculteur peut à sa guise déplacer et manipuler sans gêner toute l'activité du nid, tandis que les abeilles voient leur travail considérablement allégé, puisqu'elles n'ont qu'à compléter des alvéoles préconstruites...
Inventé en 1844 par un Français, M. Debeauvoys, et perfectionné sept ans plus tard par l'Américain Langstroth, ce type de ruche a fait considérablement progresser l'apiculture en la rendant plus précise. Pourtant, il a eu de nombreux détracteurs.
Au xixe siècle, les « fixistes », nom donné aux apiculteurs qui utilisent les ruches à rayons fixes, se sont opposés aux « mobilistes », les défenseurs des ruches à cadres mobiles. Aujourd'hui encore, le débat n'est pas clos, si l'on en juge par l'ouvrage d'un spécialiste, Alain Caillas. Le Rucher de rapport, paru dans les années 1950, comporte toute une partie où le fixisme est passé en revue et critiqué par l'auteur.

5.3. La lutte contre les maladies parasitaires et les autres menaces
Le travail d'entretien d'une ruche implique aussi la lutte contre de nombreuses maladies. Les plus graves sont l'acariose, la vaorrase, la nosémose et la loque américaine. Cette dernière est due à un microbe et attaque le couvain à tous les stades de son développement. Un autre microbe est à l'origine de la nosémose qui s'en prend aux voies digestives. L'acariose, qui touche les trachées de l'abeille et entraîne la mort par asphyxie, est une maladie parasitaire. C'est le cas également de la vaorrase, véritable fléau dont sont actuellement victimes, partout dans le monde, des colonies entières détruites en quelques années – entre trois et cinq ans.
Le responsable en est le vaorra, qui suce le sang des insectes. Il a été découvert à Java, en 1904, par Edward Jacobson. À l'époque, ce parasite vivait sur Apis cerana, mais ne mettait pas en péril la vie de ses colonies. Soixante ans plus tard, le vaorra est détecté sur Apis mellifica qui a dû s'y exposer en pillant des colonies de Apis cerana. La maladie se propage à une vitesse extraordinaire dans le monde entier – des îles de la Sonde en Asie, jusqu'en France. Le 1er novembre 1965, elle faisait son apparition au nord de l'Alsace et, un an après, au sud, dans la région du Var. L'agent de cette propagation est la femelle du parasite qui, après s'être accouplée, s'introduit dans le nid, sur une abeille, et commence à infecter le couvain. Les larves du vaorra se développent sur la larve d'abeille, entraînant des malformations. Puis elles se nourrissent de l'hémolymphe des abeilles adultes, qu'elles épuisent et infectent.
Les traitements élaborés pour détruire ce parasite sont d'ordre chimique et n'ont été efficaces qu'à 70 %. De plus, ils ne sont pas sans risque pour le miel qu'ils polluent et peuvent perturber le fonctionnement de la colonie. C'est pourquoi les recherches du Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.) et de l'Institut national pour la recherche agronomique (I.N.R.A.) font appel à la biologie pour trouver d'autres remèdes. L'objectif est d'attirer et de piéger les parasites à l'entréede la ruche avant qu'ils n'y pénètrent, et d'utiliser certaines substances pour les neutraliser.
Par ailleurs, outre les parasites et les virus, d'autres menaces pèsent sur les abeilles : ainsi, la raréfaction des plantes qui leur fournissent nectar et pollen (liée à la monoculture et l'utilisation d'herbicides) et les épandages de pesticides sont parmi les facteurs qui contribuent à réduire les populations de pollinisateurs.  D'où  les recommandations adoptées par la FAO en 1996, l'interdiction, en France, du Gaucho et du Régent sur certaines cultures entre 1999 et 2006 ainsi que la prise en compte du rôle des abeilles dans la préservation de la biodiversité comme dans le programme ALARM (pour « Assessing Large scale environmental Risks for biodiversity with tested Methods ») lancé en 2004 sur 5 ans à l'échelle européenne et confié à 80 organismes de recherche afin d'évaluer les risques encourus par la biodiversité terrestre et aquatique et l'impact économique de son éventuel déclin.

5.4. L'apiculture et ses vertus thérapeutiques
Les produits de la ruche ont de nombreux pouvoirs thérapeutiques qui ont été connus dès les premiers temps, puisque, dans l'Égypte ancienne, ils entraient dans la fabrication des onguents.
Aisément assimilé par l'organisme, le miel est riche en calories (300 Cal pour 100 g). C'est un produit énergétique très apprécié des sportifs. Il agit également comme laxatif, sédatif, et donne de l'appétit. Il est généralement absorbé par voie buccale. Aux États-Unis et en Allemagne, il peut aussi être injecté.
Les miels unifloraux ont des qualités qui sont liées à leur provenance. Ainsi, le miel d'eucalyptus est utilisé en cas de maladies respiratoires ; celui de l'origan et de la sarriette soigne les rhumatismes et la goutte, et le miel de ronce, les maux de gorge.
Adoptée surtout en dermatologie, la cire améliore la consistance des pommades. Quant à la propolis, elle est précieuse pour les vétérinaires comme anesthésique local, par exemple, ou pour cicatriser une plaie et lutter contre les hémorragies ; elle est exploitée en médecine comme fongicide et comme antibiotique.
Le venin de l'abeille a longtemps servi de base à certains traitements des rhumatismes. D'éminents savants grecs et latins, comme Celse, Galien ou Hippocrate y font allusion dans leurs ouvrages. De tels traitements existent aujourd'hui encore.
Enfin, les thérapeutes apprécient naturellement le pollen et la gelée royale. De par sa constitution (protides, glucides, quelques lipides, vitamines, matières minérales, oligo-éléments), le pollen, que les apiculteurs recueillent en posant une grille à l'entrée de la ruche – obligeant ainsi les butineuses à se débarrasser de leur fardeau – est essentiellement un fortifiant. Il favorise la croissance et agit comme régulateur sur les fonctions intestinales. Comme le miel, il peut être unifloral, avec des propriétés liées à son origine.
Composée d'eau, de protides, de quelques lipides, de substances minérales, d'oligo-éléments et de vitamines, la gelée royale – dont la récolte est difficile – est un produit riche pouvant servir d'antibiotique. C'est un remède efficace contre la fatigue et pour retrouver l'appétit (on conseille de le donner aux bébés).

5.5. Les chasseurs de miel
Au pays des Gurungs, sur les contreforts sud de l'Himalaya, les techniques de récolte du miel de Mani Lâl, Népalais de 63 ans, remontent aux origines de l'apiculture. Accompagné de toute une équipe, il se rendait d'abord près d'une falaise vertigineuse après avoir traversé la jungle, pieds nus. Là, au cours d'une cérémonie rituelle, il offrait des présents à Pholo, divinité locale, et lisait les présages dans les poumons d'un coq. Puis, il descendait jusqu'au nid d'abeilles, suspendu à une échelle de grosse corde en fibres de bambou. Le nid, construit à même le rocher, mesurait 1,60 m de large sur 1,30 m de haut. Le chasseur ne portait qu'une cape de laine feutrée qu'il rabattait par-dessus sa tête pour se protéger, et 2 perches de bambou pour détacher le couvain. Ses compagnons lui faisait descendre un panier tapissé de cuir qu'il plaçait au-dessous du nid. Mani Lâl éventrait les alvéoles d'où le miel et la cire coulaient en abondance. Puis, toujours accroché à sa corde, il devait maîtriser la remontée du panier chargé d'une vingtaine de litres de liquide, qui risquait en le percutant de le déséquilibrer.

5.6. La découverte du langage dansé des abeilles
La découverte de la danse de l'abeille et celle de son langage ont, au début du  xxe siècle, fait progresser la compréhension des insectes et celle de tout le monde animal. Dans ses Mémoires, le biologiste autrichien Karl von Frisch décrit les premières observations qui furent à l'origine de cette découverte. Il s'était fait prêter une boîte spéciale, munie de deux fenêtres de verre, qui lui permettait d'observer des deux côtés le mouvement des abeilles sur leur rayon de miel : « J'en attirai quelques-unes, raconte-t-il, jusqu'à une coupelle d'eau sucrée et les marquai d'un point de peinture à l'huile rouge ; après quoi, j'interrompis l'apport de nourriture. Quand tout fut redevenu tranquille près de la coupelle, je la remplis de nouveau et j'observai le retour à la ruche d'une abeille qui était venue en éclaireuse et avait bu à la coupelle. Je n'en crus pas mes yeux ! L'abeille se mit à danser en rond, entourée des abeilles marquées qui témoignèrent d'une grande excitation, et provoqua leur envol vers la coupelle pleine. » (Mémoires, 1973).

 

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