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François Rabelais
Écrivain français (La Devinière, près de Chinon, vers 1494-Paris 1553).
Témoignant d'un don prodigieux pour l'invention verbale dans ses romans parodiques Gargantua et Pantagruel, François Rabelais a donné à la langue française ses lettres de noblesse. « Guerre picrocholine », « moutons de Panurge », « abbaye de Thélème », « Dive Bouteille » et « substantifique moelle » sont autant de traces que les aventures de ses géants ont laissées dans la langue.
Contemporain de François Ier, premier monarque de la Renaissance française, et des premières tensions avec la religion réformée naissante, Rabelais est un écrivain humaniste à la curiosité pétillante. Son rire paillard d'érudit bon vivant résonne encore.
Famille
Antoine Rabelais, son père, était avocat au siège royal de Chinon et apparenté aux plus grandes familles de sa province. La Devinière est la maison des champs que possédait son père.
Moine et humaniste, médecin et écrivain
François Rabelais entre dans les ordres, chez les cordeliers, puis chez les bénédictins (1524). Il s'inscrit à l'école de médecine de Montpellier (1530) et obtient le grade de docteur en médecine en 1537.
Médecin errant de France et d'Italie protégé par la famille Du Bellay, il encourt la censure de la Sorbonne pour son Pantagruel et son Gargantua.
Père de Gargantua et de Pantagruel
Gargantua (le père)
▪ Vie inestimable du grand Gargantua (1534).
Pantagruel (le fils)
▪ Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel [orthographe moderne] (1532, Second Livre)
▪ Tiers Livre (1546)
▪ Quart Livre (1552).
L'ensemble du Cinquième Livre, publié de façon posthume en 1564, n'est pas attribué à Rabelais avec certitude.
Les aventures sont écrites dans ce que l'on appelle aujourd'hui le moyen français, soit le français tel qu'on le parlait entre les xive et xvie siècles.
Pseudonyme connu
Alcofribas Nasier, anagramme de François Rabelais
Citations
« Mieux est de ris que de larmes écrire
Pour ce que rire est le propre de l'homme. »
(Avertissement en vers du Gargantua).
« science sans conscience n'est que ruine de l'âme »
(Pantagruel, chap. VIII, lettre de Gargantua à Pantagruel).
1. La vie de Rabelais
1.1. Les années de formation
Moine pétri d'humanisme
La vie de Rabelais est mal connue ; documents et témoignages laissent de vastes zones d'ombre (sa date de naissance elle-même reste incertaine). Il est sans doute novice au couvent des cordeliers (franciscains) de la Baumette, près d'Angers. Plus tard (1520), il prend l'habit au couvent de Fontenay-le-Comte, en Poitou. Passionné par le grec, il entame une correspondance (en latin et en grec) avec Guillaume Budé. Il fréquente les érudits de la région, notamment André Tiraqueau. Premiers démêlés avec la Sorbonne : ses livres grecs sont temporairement confisqués en 1523.
Tout au long de sa carrière, il saura néanmoins conserver des protecteurs puissants. Grâce à Geoffroy d'Estissac, le prieur qui l'attache à sa personne en qualité de secrétaire, il passe, en 1524, chez les bénédictins de Maillezais (en Vendée), où il peut poursuivre plus librement ses études. Il se lie alors avec le rhétoriqueur Jean Bouchet (1476-1559), de Poitiers, et Antoine Ardillon, abbé de Fontenay-le-Comte. Dans ce monde provincial et rural, Rabelais découvre les cercles de lettrés, juristes et philologues, religieux ou laïcs.
En 1527, il renonce à la vie monacale et parcourt la France, s'arrêtant, comme l'attestent quelques épisodes de son œuvre, dans plusieurs villes universitaires de renom (Orléans, Paris, Toulouse…).
Entrée en médecine et en littérature
En 1530, on le retrouve à Montpellier, où il s'inscrit à l'école de médecine et donne des cours sur Hippocrate et Galien, qu'en bon humaniste il commente en s'appuyant sur le texte grec, l'original, et non sur une mauvaise traduction latine. Il est très vite admis au grade de bachelier et entame une licence. À Montpellier s'achève sa formation intellectuelle : il y noue une solide amitié avec un autre étudiant en médecine et joyeux compagnon, Guillaume Rondelet ; il prend conscience que tout le savoir humain n'est pas dans les livres.
Nommé ensuite médecin de l'hôtel-Dieu, il s'installe à Lyon, et c'est dans cette cité alors débordante d'activité littéraire qu'il connaît la période la plus féconde de son existence. Non seulement son cercle de relations s'élargit (Étienne Dolet, Mellin de Saint-Gelais, Macrin [Jean Salmon, 1490-1557]), mais il correspond aussi avec Érasme, qu'il vénère comme son père spirituel. Il a 38 ans lorsqu'il publie la première histoire de Pantagruel, sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier.
1.2. Médecin voyageur et écrivain récidiviste
Viennent les voyages en Italie : il y accompagne d'abord son nouveau protecteur, l'évêque de Paris Jean Du Bellay (cousin du poète), chargé d'une délicate mission auprès du pape Clément VII. C'est en rentrant en France (1534) que Rabelais, encouragé par le succès de Pantagruel, publie la Vie inestimable du grand Gargantua, ajoutant ainsi les prouesses du père à celles du fils. Le volume précédent lui fournit le cadre : les enfances, les années d'études, les exploits guerriers, mais ce n'est plus la description « gigantesque » qui occupe le premier plan. Rabelais s'impose maintenant comme créateur de personnages, son art de conteur s'affirme : on le voit dans le prologue, plus fermement élaboré, et dans l'énigme qui termine le livre ; il accorde aussi une plus grande place à l'invective et à l'inspiration satirique. Rabelais a désormais pris conscience de son pouvoir, ses convictions s'affirment, ses déclarations sont assurées.
Après l'affaire des Placards (1534), Jean Du Bellay, nommé cardinal, l'emmène de nouveau en Italie. Rabelais voit alors à Ferrare la cour d'Hercule II d'Este et de Renée de France (où il rencontre Clément Marot), à Rome la cour du nouveau pape Paul III (il obtient d'être dûment relevé de ses vœux monastiques). Il parcourt Florence, où règne le duc Alexandre de Médicis. Par ses lettres à Geoffroy d'Estissac, nous possédons une chronique variée de la vie romaine.
En 1536, pourvu d'une prébende (des revenus) de chanoine grâce au cardinal, il se consacre à l'exercice de la médecine au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. De retour à Montpellier pour achever ses études, il est licencié le 3 avril 1537 et docteur en médecine le 22 mai. Il pratique son art à Lyon et il fait, à Montpellier, des leçons sur les traités d'Hippocrate.
En 1540, il se rend en Italie aux côtés de Guillaume Du Bellay (autre cousin du poète), seigneur de Langey, mais il a la douleur de le perdre en 1543. Il voit également disparaître cette même année son premier protecteur, Geoffroy d'Estissac. Après la mort de Langey, qui fit sur lui une impression profonde, on perd sa trace pendant deux ans.
En 1546, le Tiers Livre, pourtant moins irrévérencieux que ses devanciers, est lui aussi condamné par la Sorbonne [faculté de théologie]. Cela justifie-t-il la retraite de l'auteur à Metz, hors de portée de la justice du roi de France (→ Trois-Évêchés), en un temps où l'on risque encore le bûcher pour hérésie? À l'occasion de son troisième voyage à Rome, où Jean Du Bellay l'appelle, Rabelais écrit une « Relation des fêtes données à l'occasion de la naissance de Louis, duc d'Orléans », qu'il fera imprimer à son retour sous le titre de Sciomachie. Il fait imprimer à Lyon quelques chapitres du Quart Livre (1548), qui sera publié dans son intégralité en 1552 et immédiatement censuré par les théologiens.
Grâce à son protecteur, il obtient les cures de Saint-Martin de Meudon et de Saint-Christophe-du-Jambet, dans la Sarthe ; par la recommandation du cardinal de Châtillon, Odet de Coligny (1517-1571), il reçoit un privilège pour faire imprimer librement tous ses ouvrages. Que devient-il ensuite ? En janvier 1553, il renonce à ses cures. Il s'éteint à Paris en 1553.
1.3. Un bouffon de la démesure ?
Le conteur difforme
La légende d'un Rabelais ivrogne et bouffon s'est formée du vivant même de l'écrivain. Il apparaît ainsi dans l'épitaphe que Ronsard compose pour lui en 1554 ; l'historien Jacques de Thou, son contemporain, assure qu'« il se livra tout entier à une vie dissolue et à la goinfrerie ». L'imagination des lecteurs n'a jamais cessé de broder sur ces thèmes.
La Bruyère écrira que le livre de Rabelais est incompréhensible, que c'est « une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable ». Pour d'autres, qui s'efforceront de percer son secret, il est une sorte de philosophe et de mage : Voltaire voit en lui « un philosophe ivre » ; Chateaubriand le range parmi les « génies-mères » de l'humanité, et Victor Hugo le qualifie de « gouffre de l'esprit » pour son « rire énorme ». Silène contrefait dissimulant une fine drogue ? Sa figure et son œuvre présentent l'ambiguïté du prologue de Gargantua.
L'humaniste
Rabelais fut essentiellement un homme de la Renaissance. S'il nous invite à rechercher la « substantifique moelle » de la connaissance, il apporte aussi la guérison par le rire. Il goûta tous les plaisirs de la vie ; il apprécia la grandeur de Rome, le charme des jardins de Saint-Maur, les châteaux de la Loire et les tavernes de Chinon et de Paris, sans parler du « bon vin de Languedoc qui croît à Mirevaulx, Canteperdrix et Frontignan ».
Médecin reconnu, il a publié de savants travaux, qui sont d'un humaniste pur et qui donnent une idée des curiosités encyclopédiques de l'époque. Outre ses lettres à Budé, à Érasme, à Geoffroy d'Estissac et au cardinal Du Bellay, il donne chez Sébastien Gryphe, à Lyon, une édition des Aphorismes d'Hippocrate, et, dans son désir de vulgariser les textes importants, il publie les lettres du médecin italien Giovanni Manardi (1462-1536) et un texte juridique, le Testament de Cuspidius. En 1534, sa publication de la Topographia antiquae Romae de Bartolomeo Marliani révèle son goût pour la Rome antique et pour l'archéologie. Enfin, sa facétieuse Pantagruéline Prognostication prolonge la vogue des almanachs.
« [A]mateur de pérégrinité » comme son Pantagruel, il rechercha toujours un savoir nouveau. Il aima par-dessus tout l'indépendance, la liberté, et il fit une entière confiance en la bonté de la nature. Mais il demeure pour nous l'immortel conteur des aventures de Pantagruel. Délassement d'érudit ou « repos de plus grand travail » que savent s'accorder les humanistes de la Renaissance ?
2. Père de Gargantua et de Pantagruel
2.1. Quels prédécesseurs ?
Rabelais est le continuateur de la littérature profane du Moyen Âge : il connaît fort bien la farce et en particulier la sotie. Il leur emprunte non seulement certaines formes du comique de situation, mais encore le naturel du langage parlé, le sens du dialogue de théâtre, le rire qui défie la mort, qui libère de l'angoisse dans une atmosphère populaire de fête, de banquet, de jeu et de carnaval.
Le cycle pantagruélique commence par Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel (Lyon, 1532), qui contient l'histoire du fils avant celle du père, et qui deviendra plus tard le Second Livre. Rabelais reconnaît s'inspirer des Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua, ouvrage anonyme à succès, publié à Lyon en 1532, déclarant qu'il se propose d'écrire « un autre livre de même billon ». Ce livret populaire narrait les exploits de Gargantua et il en fut vendu, nous dit-il, plus d'exemplaires en deux mois « qu'il ne sera acheté de Bibles en neuf ans ».
Adoptant le plan traditionnel des romans de chevalerie : naissance, « enfances », prouesses, Rabelais ajoute à ces aventures fabuleuses quelques éléments facétieux qui reflètent les mœurs et les usages de l'époque. Mais ce roman comique porte, dans sa parodie même, une pensée : on y remarque notamment la critique des vieilles disciplines, des lectures scolastiques de l'abbaye de Saint-Victor, des excès pédants de l'écolier limousin, des pratiques de procédure judiciaire (argumentation par signes, débat des deux gros seigneurs).
La conception rabelaisienne s'inscrit d'autre part à la suite des Maccheronee (1517) de Teofilo Folengo et du Morgante maggiore (1483) de Luigi Pulci, qui présentent la force, l'appétit et la bonhomie d'un géant entouré de compagnons aux noms symboliques. Pantagruel doit le sien au petit démon qui, dans la littérature des Mystères, avait le don de faire naître la soif ; il sera roi des Dipsodes, des assoiffés.
2.2. Le Tiers Livre (1546)
La geste fabuleuse des géants avait permis à Rabelais de dénoncer les abus du monde dans une épopée satirique et dans la parodie caricaturale. Après le Gargantua, il reste douze ans sans rien publier. Ce long silence est significatif de la prudence dans laquelle, par crainte des foudres de la Sorbonne, doivent se retrancher les humanistes épris d'idées nouvelles. En 1546, il fait imprimer le Tiers Livre des faits et dits héroïques du noble Pantagruel, qui, après un prologue vibrant des préparatifs de défense contre les entreprises de Charles Quint, se développe comme une enquête sur le mariage et une satire de la justice.
Pourtant, le roman connaît une inflexion nouvelle : il n'est plus question de prouesses guerrières ; l'intérêt se concentre sur les discussions suscitées par les consultations de Panurge, qui se demande s'il doit ou non se marier. Réduit à s'endetter, il lance une prestigieuse apologie de la dilapidation et des dettes. Après avoir interrogé les « sorts virgiliens » et les songes, il prend conseil auprès de la sibylle de Panzoust, du muet Nazdecabre, du vieux poète Raminagrobis, de l'occultiste Her Trippa, du théologien Hippothadée, du médecin Rondibilis, du philosophe Trouillogan et du juge Bridoie. Peu satisfait de leurs réponses, il se tourne vers le bouffon Triboulet. Le sage Pantagruel l'engage à s'embarquer pour consulter l'oracle de la Dive Bouteille.
Faut-il voir dans le Tiers Livre un simple réquisitoire contre les femmes, dans la tradition satirique, ou même un reflet de la fameuse « querelle des femmes » qui passionna les esprits de 1542 à 1550 et qui opposa l'Amie de court, de Bertrand de La Borderie, à la Parfaite Amie, du platonicien Antoine Héroët ? Le dessein misogyne de Rabelais n'explique pas toute la portée du livre. Apportant des constatations de bon sens sur la vanité des conseils, le Tiers Livre nous montre que Panurge est amené à se décider seul. L'aspect philosophique de l'œuvre est clair : l'apologie des dettes laisse espérer un monde de solidarité dans l'harmonie d'un perpétuel échange ; la plante merveilleuse du « pantagruélion », dont la nature et les vertus sont longuement détaillées, symbolise l'énergie et les progrès possibles de l'humanité ; l'enquête sur le mariage de Panurge attestant l'inutilité des paroles, le voyage permettra de « toujours voir et toujours apprendre » et d'atteindre la vérité.
2.3. Le Quart Livre (1548-1552)… et la suite
Le récit de la navigation, annoncé à la fin du Tiers Livre, est mis en œuvre dans le Quart Livre des faits et dits héroïques du noble Pantagruel. Nous sommes témoins de l'odyssée de Pantagruel et de ses amis en quête de la Dive Bouteille : son oracle devrait mettre un terme aux incertitudes de Panurge. C'est donc le récit d'un voyage avec escales, descriptions de pays étrangers, tempête, au cours de laquelle le géant retrouve sa force prodigieuse.
L'originalité de Rabelais tient surtout à la création de personnages et de lieux allégoriques d'un étonnant relief, tels l'île des Chicanous, pour les gens de justice, ou celle de Messer Gaster (l'estomac), entouré de ses Gastrolâtres qui, comme leur nom l'indique, ont pour dieu leur ventre. Autant de condamnations de la contrainte et des aberrations humaines ! Chaque personnage incarne une attitude : Panurge, la peur devant le danger ; frère Jean, l'excès de témérité ; Pantagruel, un juste équilibre d'espoir et de prudence.
Aux souvenirs traditionnels des récits de navigation dans les épopées et les romans d'aventures, le Quart Livre ajoute probablement quelques traits empruntés aux voyages de Jacques Cartier au Canada, de 1534 à 1540 ; on y remarque, d'autre part, de vives attaques contre la papauté, au moment où le concile de Trente suscite une certaine défiance. Mais, encore une fois, le réel sert de support au mythe de la recherche de la Vérité.
En 1562 paraissent sous le titre de L'Isle sonante les premiers chapitres du Cinquième Livre (dont l'édition définitive paraît en 1564) des aventures de Pantagruel. Cette suite tardive de la « navigation faite par Pantagruel, Panurge et autres ses officiers » n'est peut-être pas entièrement de la main de Rabelais. La navigation narrée dans le Cinquième Livre aboutit au temple de la Dive Bouteille, dont l'oracle : « Trink ! » (« Bois ! »), semble inviter les pantagruélistes à boire aux sources du savoir. Est-ce la révélation des « mystères horrifiques » que promettait le prologue de Gargantua ?
2.4. Une comédie si humaine
Rire aux dépens de tous
Rabelais nous présente dans une foisonnante galerie de personnages, la plupart des classes et des institutions sociales. Il parle avec complaisance du peuple et des humbles : fouacier [marchand de galettes], berger, laboureur, bûcheron, marchand de moutons, sorcière de village. De la bourgeoisie et des élites il retient le professeur d'université, et surtout les nobles et les princes, « monde palatin », largement représenté. Il s'en prend avec une raillerie parfois féroce, aux juges, avocats, procureurs, plaideurs, dont il tourne en dérision la sottise, les « ineptes opinions » ou le pédantisme.
S'il se plaît à des tableaux colorés de la vie universitaire de son temps, il exècre les théologiens de Sorbonne (« sorbonagres » et « sorbonicoles »). Il condamne les moines pour leur saleté, leur oisiveté, leur inutilité sociale, et, pensant à l'activité de frère Jean, il s'emporte en âpres invectives. Il sait, à l'occasion, critiquer les vices des citadins, et ses portraits de femmes rusées, curieuses ou lascives ne manquent pas de relief. Mais il est surtout attentif aux problèmes relatifs à l'éducation, à la politique et à la religion.
L'art de brocarder
Rabelais dénonce l'obscurantisme pédant qui passe par une langue hermétique, un jargon pour le profane.
La langue de Rabelais est d'une confondante invention verbale, d'exubérance et de verve. Il lance son vocabulaire, d'une surprenante richesse, dans de foisonnantes assonances et litanies fantaisistes. La truculence rabelaisienne ne s'interdit ni les détails scatologiques, ni les obscénités. L'écrivain multiplie avec virtuosité les jeux de mots, les galimatias, les jurons, l'allégorie et le symbole. Panurge demande à manger en une douzaine de langues ; Rabelais forge les mots, les déforme, les combine : la langue française, sous sa plume, explose en liberté.
Boire… aux sources du savoir
Rabelais critique l'instruction selon les méthodes scolastiques. À l'exercice fastidieux de la mémoire et au formalisme stérile, qui ne forme qu'une « tête bien pleine » et un pédant intolérant, il préfère la curiosité d'un esprit toujours en éveil et une instruction par l'expérience, par le voyage, par les incertitudes de l'existence. Il prône le développement harmonieux du corps et de l'esprit, dans l'abandon d'une discipline de contrainte imposée de l'extérieur.
Touchant la politique, l'œuvre est une méditation sur le pouvoir royal ; elle exalte l'idéal du prince chrétien. Les bons rois, Grandgousier, Gargantua, Pantagruel, excellent par leur piété, leur sagesse et leur désir de paix.
Catholique moquant les prétentions des clercs qui se jugent meilleurs chrétiens que les laïques, critique envers les institutions, fondées par des hommes faillibles et intransigeants, railleur envers des croyances comme la vénération des reliques, le culte des saints ou les pèlerinages, Rabelais cherche à concilier un retour aux sources du christianisme, nourri d'une lecture moins indirecte des Écritures (dans le texte en hébreu et en grec), et sa foi humaniste en la noblesse de la nature humaine.
Croire en la nature et en l'homme
L'irrévérence à l'égard du sacré est un thème familier à la littérature médiévale. Dès le xvie siècle, l'image de la religion véhiculée par Rabelais suscita maints débats et commentaires. Pour les conservateurs catholiques, en particulier les théologiens de la faculté de Paris (les « sorbonagres »), les railleries de Rabelais trahissaient le calviniste masqué, donc l'hérétique. Mais, depuis Genève, Calvin le qualifiait de « pourceau » dans son Traité des scandales (1550) – à quoi Rabelais rétorquait en injuriant les « démoniacles Calvins, imposteurs de Genève ».
Pourtant, ses attaques contre les superstitions populaires sont assorties de l'affirmation d'une foi profonde. Comme les évangéliques de son temps, Rabelais désire ardemment voir l'Église se réformer elle-même. À Thélème, les hypocrites, bigots, cagots (faux dévots) sont exclus d'une abbaye qui s'ouvre largement pour donner « refuge et bastille » à ceux qui annoncent « le saint Évangile en sens agile », aux bons prêcheurs évangéliques. Loin de mettre l'accent sur l'infirmité de la nature humaine, Rabelais lui fait une entière confiance.
Cet optimisme éclate dans le mythe de Thélème, société idéale soumise aux règles de l'honneur, sans doute ! Mais la leçon symbolique est là : par l'éducation, par la raison, l'homme est capable d'assurer son salut, de maintenir sa dignité, de vivre en harmonie avec ses semblables dans un heureux épanouissement. Utopie pédagogique, voire utopie politique, Thélème porte le témoignage le plus évident de la sagesse rabelaisienne.
2.5 Postérité
L'influence de Rabelais est attestée à toutes les époques. De son temps, sa célébrité est bien reconnue, et même les pamphlétaires protestants (d'Aubigné voit en lui un « auteur excellent ») lui demandent quelques armes pour confondre leurs adversaires. Les « libertins » du siècle suivant ne manquent pas de l'apprécier, et il devient le modèle de plusieurs poètes burlesques (Saint-Amant, Sarasin ou Scarron). Molière et La Fontaine lui doivent beaucoup, et Voltaire le relit sans cesse.
La Révolution et le romantisme vont faire de lui un prophète et un mage, et Victor Hugo le premier. Les Contes drolatiques de Balzac témoignent du même intérêt. Michelet dira du livre de Rabelais : « Le sphinx ou la chimère, un monstre à cent têtes, à cent langues, un chaos harmonique, une farce de portée infinie, une ivresse lucide à merveille, une folie profondément sage. » D'autres, comme Flaubert, aiment sa « phrase nerveuse substantielle, claire, au muscle saillant, à la peau bistrée ».
Pourtant, si le nom de Rabelais demeure impérissable, c'est à titre d'auteur comique, d'un comique qui comporte autre chose que la farce et le ridicule, à titre de narrateur sans égal qui sait filer le récit, choisir le détail concret et expressif. Malgré les orages de l'époque, il incarne une saine gaieté, et son génie domine la Renaissance avec celui de Montaigne.
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MEXIQUE |
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Mexique : histoire
1. Le Mexique précolombien
Les plus anciens occupants du Mexique sont des chasseurs-collecteurs nomades, représentés par l'homme de Tepexpan, qui remonte à 10000 avant J.-C.
La culture du maïs, qui va bouleverser les conditions de vie, apparaît progressivement. La plus ancienne utilisation connue du maïs est située à Tehuacán dans la phase Coxcatlán (5200-3400 avant J.-C.). Dès lors, la subsistance se fait moins difficile et les chasseurs s'établissent dans de petits villages. En plus du maïs, ils cultivent le piment, le haricot et la courge. Cette forme de vie de petits agriculteurs sédentaires correspond à la première partie de la période préclassique (2000-1000 avant J.-C.). Au préclassique moyen (1500-300 avant J.-C.) apparaît la première civilisation mésoaméricaine, celle des Olmèques, sur la côte du golfe du Mexique. On attribue aux Olmèques l'invention du calendrier, de l'écriture hiéroglyphique, du jeu de balle, des marchés et la construction des premiers temples en dur.
C'est au classique (250-950 après J.-C.) que s'épanouissent les civilisations les plus spectaculaires. Au Mexique central apparaît celle de Teotihuacán. Véritable métropole qui atteint 11 km2 de superficie, la ville de Teotihuacán réussit l'unification de toute la vallée de Mexico, et son influence s'exerce jusqu'au Guatemala.
Sur la côte du golfe du Mexique, dans l'État actuel de Veracruz, se trouve le centre cérémoniel d'El Tajin, dont la construction la plus notable est la pyramide des niches.
Dans le territoire de l'État actuel d'Oaxaca, les Zapotèques avaient pour capitale Monte Albán. Au cours du classique, les Zapotèques ont construit plus de 200 centres urbains. À Monte Albán, la civilisation zapotèque a été marquée, durant le préclassique moyen, par des influences olmèques et, ultérieurement, par celles des Mayas et de Teotihuacán. Vers 900 de notre ère, Monte Albán est abandonnée, et les Zapotèques construisent un nouveau centre, Mitla, au sud-ouest d'Oaxaca.
Les débuts de la civilisation maya remontent au préclassique. Au classique, les Mayas vont élaborer une remarquable civilisation. À la différence d'autres peuples mésoaméricains, ils ne construisent pas de grands empires, mais bâtissent des cités-États. Dans le Mexique central, ils fondent Palenque et Toniná. Dans la zone nord (Yucatán), une architecture locale se développe avec les styles de Rio Bec, Chenes et Puuc. Pourtant, on y trouve aussi des cités, comme Cobá, stylistiquement reliées à l'architecture de la région de Péten, au Guatemala.
Au postclassique (950-1500 après J.-C.) commence une époque d'instabilité provoquée surtout par les invasions des tribus nomades chichimèques, venues du Nord.
Dans la vallée de Mexico, l'hégémonie de Teotihuacán, détruite vers 600 après J.-C., passe, pendant la première partie du postclassique, à Tula, capitale des Toltèques. L'Empire toltèque s'étend sur le Mexique central jusqu'au xiie s., quand de nouveaux groupes chichimèques envahissent la région et détruisent, en 1168, la ville de Tula. L'art des Toltèques, comme celui de la plupart des cultures du postclassique mésoaméricain, reflète le caractère guerrier de la société qui l'a sécrété. Au xiiie s., les Mixtèques pénètrent dans le territoire zapotèque. Ils utilisent Monte Albán comme lieu de sépulture de leurs chefs. Le style mixtèque aura une grande diffusion durant le postclassique. On retrouve à Cholula un style mixteca-puebla et à Mitla des peintures polychromes et des mosaïques en pierre de pur style mixtèque.
Sur la côte du Golfe, le plus important centre du postclassique, Cempoala, est construit par les Totonaques. La région des Huaxtèques atteint son plein épanouissement au postclassique. La sculpture en pierre représentant des personnages-rois, des prêtres ou des dieux ainsi que la céramique, en particulier celle qui provient du site de Pánuco, caractérisent cette période. Selon les chroniqueurs mayas, ce sont les Toltèques, dirigés par Topiltzin Quetzalcóatl, qui seraient à l'origine de la renaissance de la civilisation maya au Yucatán, dont témoigne la ville de Chichén Itzá, qui prend l'hégémonie politique et artistique de la région jusqu'à son abandon en 1224 environ. Mayapán devient la capitale du Yucatán pour être à son tour abandonnée vers 1450, alors que la péninsule est le théâtre de luttes intestines entre cités qui rivalisent pour la prise du pouvoir. Tulum, sur la côte est, date de cette époque. La dernière vague de chichimèques est celle des Aztèques. Petite tribu venue d'Aztlán, les Mexicas finissent par dominer tout le plateau du Mexique central et étendent leur influence sur la plupart du territoire mexicain. Excellents administrateurs et habiles guerriers, les Aztèques créent une civilisation originale issue de l'amalgame d'éléments de cultures mésoaméricaines contemporaines ou même antérieures et dont ils se disent les héritiers. Mais la conquête espagnole commence.
2. La conquête
Après l'échec de Francisco Fernández de Córdoba sur la côte maya (1517), Cortés débarque au Tabasco (1519), puis à Veracruz. Il tire parti des haines que les Aztèques ont provoquées par leur récente conquête et il obtient l'alliance des peuples soumis et de la République indépendante de Tlaxcala. Il entre à Mexico sans résistance, car une peur religieuse atteint l'empereur aztèque Moctezuma II (présage sur la fin d'un cycle du monde, retour du dieu Quetzalcóatl). La révolte des Aztèques éloigne un temps les Espagnols de Mexico (juin 1520). Ils y reviennent avec leurs alliés tlaxcaltèques et, après un siège très dur, tandis que des épidémies ravagent la population, Tenochtitlán est prise (août 1521). La résistance du successeur de Moctezuma, Cuauhtémoc, est sans espoir. Cortés, nommé gouverneur et capitaine général par Charles Quint dès 1522, puis ses successeurs conquièrent le reste du Mexique au xvie s., réalisant l'unité territoriale qu'avaient commencée les Aztèques. Les explorateurs atteignent même le Mississippi et l'Arkansas. Mais les Mayas, protégés par la forêt tropicale, ne se soumettent qu'après une longue lutte (1527-1546), et leurs derniers descendants ne seront éliminés qu'en 1697 ; dans le Nord, bien des tribus resteront indépendantes jusqu'au xxe s., car la Nouvelle-Espagne correspond, pour l'essentiel, au xvie s., au Mexique peuplé par les populations sédentaires qui formaient déjà le noyau de l'Empire aztèque.
Cortés ordonne que l'on détruise et brûle les idoles
En 1524, appelés par Cortés, ont débarqué douze franciscains conduits par frère Martin de Valencia, suivis en 1526 par les dominicains et en 1533 par les augustins. Malgré les limites de leur entreprise (refus d'ordonner les Indiens, par exemple), ces missionnaires vont faire du Mexique un pays de foi intense (culte de Notre-Dame de Guadalupe).
Mais le choc entre les peuples amérindiens et l'Europe a provoqué une catastrophe démographique. Les épidémies, les guerres, le travail forcé et l'effondrement des hiérarchies sociales entraînent la presque disparition de la population indienne.
3. La période coloniale
Cortés tombé en disgrâce, la Nouvelle-Espagne est gouvernée dès 1528 par des audiencias (Mexico, 1528 ; Guadalajara, 1548) et, à partir de 1535, par un vice-roi chargé de faire appliquer les décisions du Conseil des Indes de Madrid : le premier est Antonio de Mendoza. Les grands administrateurs venus de la métropole se heurtent à l'esprit d'indépendance des colons, dont le pouvoir diminue dès la fin du xvie s. ; l'administration municipale (ayuntamientos ou cabildos) perd rapidement son autonomie (vente et hérédité des charges). Faute d'or, les premiers conquérants se font attribuer des encomiendas (droit aux services gratuits d'un nombre variable d'Indiens ou de villages indigènes) ; Charles Quint condamne, à la demande de Bartolomé de Las Casas, ce système (promulgation des Leyes Nuevas, 1542), qui durera cependant jusqu'au xviie s. La découverte des mines d'argent du Nord (Guanajuato, Zacatecas en 1546) lance les Espagnols hors des frontières du Mexique des agriculteurs sédentaires et fait de la Nouvelle-Espagne le premier producteur d'argent du monde jusqu'aux années 1570. Puis, au début du xviie s., par usurpation sur les ejidos (terres collectives des villages) ou par occupation sans titre de terres rendues vacantes par la chute démographique se constituent les haciendas, cultivées par les péons, liés par leurs dettes, et consacrées aux cultures tropicales : canne à sucre, indigo, cochenille, cacao, maïs. Dans le Nord, exposé aux attaques des nomades, des Espagnols créent, dès le xvie s. ou le xviie s., d'immenses propriétés, les estancias, où les péons cultivent le blé et surtout surveillent d'importants troupeaux de bovins ; au centre de l'estancia s'élève une véritable forteresse, la résidence du maître, qui possède sa garnison personnelle et parfois même sa propre justice.
Le xviie et la première moitié du xviiie s. apparaissent comme une époque de repliement sur soi et de consolidation. Les mines déclinent, les échanges avec l'Espagne diminuent et la corruption administrative donne aux créoles une relative autonomie de fait. La société mexicaine acquiert certains de ses traits permanents. Au nord domine une société blanche ou métisse, dont le cœur est l'économie minière. C'est le pays du prospecteur et des exploitants des mines, dont certains, fortune faite, s'incorporent à l'aristocratie créole, celui des grands propriétaires d'haciendas d'élevage, avec leurs osts privés, celui des Indiens nomades non soumis et des missionnaires qui évangélisent les tribus sédentaires (le père Kino au Sonora et dans l'Arizona, à la fin du xviie s., et Junipero Serra, plus tard, en Haute-Californie [1769]). Au sud, des communautés indiennes coexistent avec des haciendas et avec des villes, Mexico surtout, où habitent la majorité des Espagnols et des métis (les fonctionnaires royaux, les grands propriétaires fonciers créoles, les mineurs enrichis, les grands marchands des consulats de Mexico et de Veracruz, qui contrôlent le commerce avec l'Espagne, les artisans des corporations et une plèbe urbaine bigarrée et souvent agitée). C'est l'époque aussi où s'affirme l'art mexicain avec ses églises et ses palais – où l'exubérance baroque incorpore des motifs ornementaux indiens –, et où éclôt la perfection classique des écrits de sœur Juana Inès de la Cruz (1651-1695).
La seconde moitié du xviiie s. voit le Mexique devenir de nouveau le premier producteur d'argent du monde, et, par la suite, se développent l'agriculture et le commerce. La population double en 50 ans (6 millions d'habitants en 1800, dont 780 000 Espagnols). Mexico est la plus grande ville de l'Amérique, et ses institutions éducatives (l'Université, fondée en 1551, l'École des mines, fondée en 1782, etc.) sont renommées. À la veille de l'indépendance, la Nouvelle-Espagne vaut à elle seule le reste de l'Empire espagnol.
4. L'indépendance
Les tensions sociales provoquées par la croissance économique et démographique du Mexique central, et surtout de sa frange minière, deviennent insupportables lors de la crise minière du début du xixe s. Le mécontentement des classes moyennes s'est accru depuis les réformes administratives de 1786 (création de 12 intendances), qui ont diminué, avec l'accroissement du rôle de l'administration royale renouvelée par des fonctionnaires péninsulaires, l'autonomie de fait des élites créoles. L'invasion de l'Espagne par Napoléon en 1808 et la destitution de Ferdinand VII provoquent en Espagne et dans tout l'Empire espagnol une réaction de loyalisme, l'éclosion de juntes qui tentent de remplir le vide du pouvoir et un affrontement entre les différents groupes dirigeants de la société coloniale. Au Mexique, la lutte entre les Créoles, qui dominent le cabildo, et les péninsulaires, qui déposent le vice-roi Iturrigaray (septembre 1808) et se réclament de la Junte centrale d'Espagne, est bientôt dépassée par le soulèvement du curé de Dolores, Miguel Hidalgo y Costilla (le 16 septembre 1810). Le cri des insurgés « Vive la Vierge de Guadalupe ! Mort aux Espagnols ! » déclenche une insurrection métisse et indienne qui menace d'emporter tout l'ordre établi (massacre d'Espagnols et de Créoles à Guanajuato et à Valladolid). L'union des élites créoles et péninsulaires se fait contre la révolte. L'armée loyaliste, formée et commandée en sa majorité par des Créoles, écrase les révoltés et fait exécuter Hidalgo (juillet 1811). Mais le soulèvement continue avec Morelos, un curé métis, qui proclame l'indépendance (1813) et n'est pris qu'en 1815. La révolte semble succomber, victime des querelles des chefs encore en lutte, mais l'aristocratie créole et les officiers préfèrent l'indépendance à la révolution libérale qui triomphe en Espagne à partir de 1820. Leur agent, Agustín de Iturbide, placé à la tête de l'armée par le vice-roi, s'entend avec les derniers chefs rebelles, dont Guerrero (plan d'Iguala, ou des Trois Garanties, février 1821) : le catholicisme restera religion d'État ; indépendance ; les Mexicains seront égaux sans distinction de races. Le dernier vice-roi, O'Donojú, qui sera désavoué, reconnaît l'indépendance du Mexique (traité de Córdoba, août 1821).
5. Le Mexique indépendant
5.1. L'instabilité politique
L'indépendance n'ouvre cependant pas une ère de paix et de prospérité. L'industrie minière a été ruinée par la guerre civile, et l'expulsion des Espagnols, en 1829, prive l'Administration et l'économie d'une grande partie de ses cadres. L'égalité civile reste un mythe, et le système foncier ne se modifie pas. Les difficultés financières forcent les gouvernements à recourir à des emprunts auprès des Anglais et des Français. Pendant les trente premières années de son indépendance, le pays connaît l'instabilité politique et le déchaînement des factions. Ainsi Iturbide, sacré empereur en 1822, doit abdiquer une année plus tard devant le soulèvement d'un officier, Antonio López de Santa Anna, qui proclame la république. Ce dernier, qui domine la vie politique jusqu'au milieu du siècle, se maintient au pouvoir par une série de coups d'État. Il joue de la lutte entre conservateurs centralistes et libéraux fédéralistes, qui, majoritaires en 1823, votent la Constitution fédéraliste en 1824. Mais il ne réussit toutefois pas à empêcher la sécession du Texas (1836) ni la désastreuse guerre contre les États-Unis (1846-1848). Au terme de celle-ci, par le traité de Guadalupe Hidalgo (1848), le territoire mexicain se trouve amputé non seulement du Texas mais de la Californie, de l'Arizona et du Nouveau-Mexique.
Ce n'est pourtant qu'en 1855 que les libéraux, sous la direction de Benito Juárez, chassent définitivement Antonio López de Santa Anna et entreprennent la Réforme. La propriété collective est supprimée en 1856, tandis que la Constitution libérale de 1857 et d'autres textes juridiques abolissent les privilèges de l'Église et de l'Armée. Les conservateurs se soulèvent, et le pays connaît une nouvelle guerre civile, la « guerre de trois ans » (1858-1861), dont les libéraux, avec l'aide financière et militaire des États-Unis, sortent victorieux. Mais, lorsque Benito Juárez décide de suspendre pour deux ans le paiement des intérêts de la dette extérieure, l'Angleterre, l'Espagne et la France interviennent militairement.
Napoléon III, qui souhaite établir en Amérique latine un empire latin et catholique pour barrer l'expansion des États-Unis anglo-saxons et protestants, entreprend la conquête du Mexique (guerre du Mexique) et offre à l'archiduc Maximilien d'Autriche le titre d'empereur (1864). N'étant reconnu que par les conservateurs, Maximilien applique pourtant une politique libérale, s'appuyant pour l'essentiel sur la présence des troupes françaises. Il bénéficie également de la non-intervention des États-Unis, accaparés par la guerre de Sécession. Mais, dès la fin de celle-ci, les pressions de Washington entraînent le retrait des troupes françaises, tandis que celles de Juárez, jusqu'alors repliées en territoire américain, reconquièrent rapidement le pays et restaurent la république. Maximilien est fusillé en 1867 à Querétaro.
Le régime républicain est bientôt menacé par l'agitation des généraux vainqueurs et par les dissensions internes qui opposent les libéraux. À la mort de Benito Juárez, en 1872, le Mexique est de nouveau au bord de la guerre civile. Son successeur, Lerdo de Tejada, relance une politique anticléricale, qui provoque le soulèvement des paysans. Il est renversé en 1876 par le général Porfirio Díaz.
5.2. Le porfiriat
Tout en respectant les formes constitutionnelles, Porfirio Díaz instaure un pouvoir personnel et gouverne le pays pratiquement sans interruption jusqu'à la révolution de 1910. Il rétablit l'ordre et, à partir des années 1890, place dans les ministères un groupe de technocrates positivistes, les científicos, mené par le ministre des Finances, José Yves Limantour. L'économie reprend une progression interrompue depuis soixante ans, une administration publique efficace se met en place et les finances sont assainies. Durant cette période, dite « du porfiriat », la population passe de 9 à 15 millions d'habitants, l'instruction publique se développe, les investissements étrangers affluent. On construit 19 000 km de voies ferrées, ce qui rend possible la création d'un marché interne. L'exploitation minière connaît un essor sans précédent et les industries se développent. Les modernisations économiques et administratives ne modifient cependant pas les structures politiques et sociales. Si le général Díaz brise le pouvoir des grands chefs régionaux, les remplaçant par ses fidèles, il laisse en place celui des chefs locaux. Ces caciques continuent à régner sur la population, la production et le commerce d'un pays encore essentiellement rural et n'obéissent au pouvoir central que contre des avantages négociés. Par ailleurs, pour permettre l'expansion de l'agriculture commerciale, on applique des lois libérales, qui, abolissant la propriété communautaire, déstructurent le système agraire indigène. En 1910, 80 % des paysans, dépossédés de leur terre, constituent la main-d'œuvre bon marché des grandes propriétés foncières.
5.3. La révolution mexicaine : une longue guerre civile
Le général Díaz, qui prépare, pour la septième fois, sa propre réélection, rencontre l'opposition du mouvement démocratique dirigé par Francisco Madero. Ce riche propriétaire du Nord, qui a réussi à rassembler une petite classe moyenne, née du développement urbain et industriel et désireuse de participer au jeu politique, lance, en novembre 1910, un appel à l'insurrection armée. Au nord, se soulèvent Doroteo Arango, dit Pancho Villa, et Pascual Orozco, tandis qu'au sud, le métis Emiliano Zapata prend la tête de la révolte des communautés indiennes dépossédées. L'insurrection est victorieuse en mars 1911, pratiquement sans combats, et P. Díaz doit s'exiler. Devenu président, F. Madero essaie de changer la structure politique sans pour autant résoudre le principal problème, celui de la terre. E. Zapata, qui rejette l'autorité de F. Madero, continue la lutte et fixe les objectifs agraires de son mouvement, tandis que P. Orozco reprend le combat dans le Nord en 1912. Débordé par ces rébellions paysannes, le gouvernement suscite par ailleurs l'inquiétude des grands propriétaires fonciers. En février 1913, F. Madero est assassiné lors d'un coup d'État, tandis que le général Victoriano de la Huerta s'empare de la présidence.
Toutefois, un gouverneur porfiriste, l'ancien sénateur Venustiano Carranza, refuse de reconnaître le nouveau pouvoir. Se désignant comme gardien de la légalité, il prend la tête de la faction « constitutionnaliste » (à laquelle se joignent E. Zapata et P Villa), qui bénéficie du soutien militaire des États-Unis. En 1914, V. de la Huerta, face à la défaite de ses troupes, s'exile.
Dès le lendemain de leur victoire, les constitutionnalistes sont la proie de divisions internes : P. Villa et E. Zapata, ayant rompu avec V. Carranza, occupent la capitale en 1914. La faction carranziste, qui connaît des moments difficiles, sort néanmoins victorieuse du conflit : les troupes villistes sont battues par celles d'Álvaro Obregón en 1915, tandis que P. Orozco est abattu. Bien que Zapata poursuive la lutte armée, V. Carranza commence à gouverner le pays. Pour calmer les esprits, il rend à quelques communautés indiennes leurs ejidos accaparés par la Réforme. Il s'assure le soutien des ouvriers par la Constitution de 1917, qui comporte une législation sociale avancée. Mais cette Constitution à tendance socialisante (propriété éminente de la nation sur le sous-sol, laïcité de l'État, inaliénabilité des ejidos) n'est pas appliquée. En 1919, E. Zapata est attiré dans un guet-apens et assassiné, et la réforme agraire est paralysée. Les militaires issus de la révolution, qui détiennent véritablement le pouvoir, entament la « pacification » des campagnes. V. Carranza est renversé et assassiné en 1920.
5.4. Vers la stabilisation du régime
Á. Obregón réussit à rallier toutes les factions révolutionnaires en lutte et, avec l'appui de la Confédération régionale des ouvriers mexicains (CROM), des agraristes et de l'armée, accède à la présidence (1920-1924). Sous son gouvernement, la paix est rétablie, des terres sont distribuées aux paysans et l'instruction rurale est développée, mais la vie politique se limite à une lutte de factions. À la fin de son mandat, l'élection de Plutarco Elías Calles provoque la rébellion de la moitié de l'armée et ouvre une période de nouveaux troubles. Devant la politique anticléricale de P. E. Calles, la hiérarchie catholique répond, en 1926, par la suspension des cultes publiques, et le peuple des campagnes, par l'insurrection. La guerre des cristeros, ainsi nommée à cause du cri de guerre de ceux-ci « Vive le Christ-Roi et la Vierge de Guadalupe », dure trois ans et divise les révolutionnaires. Réélu à la présidence, Á. Obregón est assassiné peu après et ses partisans, frustrés de leur victoire, se soulèvent dans un dernier coup d'État militaire. Après les avoir écrasés, P. Calles crée les bases d'une stabilité politique durable. En fondant en 1929 le parti national révolutionnaire (rebaptisé parti de la Révolution mexicaine en 1938), il pérennise au pouvoir la faction dominante et fournit une machine électorale qui assure son monopole politique. Ainsi, P. Calles détient la réalité du pouvoir (les présidents successifs ne sont que des hommes de paille) jusqu'à l'élection de Lázaro Cárdenas (1934-1940). Ce dernier, qui est pourtant le candidat de P. Calles, le force à l'exil en 1936. Sous le gouvernement de L. Cárdenas, la querelle avec l'Église s'apaise, les compagnies pétrolières étrangères sont expropriées contre indemnisation (1938) et les terres sont distribuées entre les paysans regroupés en coopératives.
6. La révolution institutionnalisée
6.1. L'hégémonie politique du PRI
À l'arrivée d'Avilá Camacho (1940-1946), les bases du régime sont définitivement établies : le parti de la Révolution mexicaine, qui deviendra en 1946 le parti révolutionnaire institutionnel (PRI), désigne les candidats remportant les élections à la présidence, aux gouvernements des États et aux mairies. Il contrôle également la Chambre des députés et le Sénat. La Constitution de 1917 avait institué un système présidentiel puissant : le pouvoir absolu du président, dont la durée du mandat est passée à six ans, n'est compensé que par sa non-rééligibilité. Pratiquant une politique populiste, le gouvernement assure son pouvoir en prêtant assistance à une large partie de la population et en respectant les caciques locaux. Il s'appuie sur un clientélisme au sein duquel la corruption recrée sans cesse des réseaux de dépendance.
Dès lors, les changements politiques ne sont que des adaptations du système au contexte international et aux rapports de force au sein du parti. Ainsi le seul débat qui compte est celui qui a lieu au sein de la « famille révolutionnaire ». L'influence des milieux d'affaires l'emporte sous les présidents Miguel Alemán (1946-1952) et Gustavo Díaz Ordaz (1964-1970). Celle des classes moyennes domine sous les présidents Adolfo López Mateos (1958-1964) et Luis Echeverría Álvarez (1970-1976). Mais la stabilité politique s'explique également par la croissance économique soutenue entre 1940 et 1982. Certes, à la fin des années 1960, l'impact de la révolution cubaine et des mouvements de gauche latino-américains sur les intellectuels et les étudiants mexicains donne lieu à d'importantes manifestations auxquelles se joignent les classes moyennes et les ouvriers. Celles-ci seront durement réprimées : en 1968, l'intervention de l'armée fait des centaines de morts. Mais ce n'est qu'au début des années 1980 que le monopole du PRI commence à être sérieusement contesté.
6.2. Crise économique et crise politique
Durant la présidence de José López Portillo (1976-1982), le Mexique connaît une période de prospérité sans précédent, due à la découverte d'immenses réserves pétrolières. Ce boom pétrolier s'accompagne d'une croissance économique accélérée, fondée sur des emprunts massifs à l'étranger, et de l'amorce d'une ouverture politique. La réforme constitutionnelle de 1977 permet la légalisation, après les élections de juillet 1979, de trois partis (le parti communiste, le parti socialiste des Travailleurs et le parti démocrate mexicain). À fin du mandat de J.L. Portillo, le retournement du marché pétrolier, l'endettement croissant, l'inflation et la fuite des capitaux conduisent le Mexique au bord de la banqueroute. En août 1982, le pays se déclare en cessation de paiement, et un plan de sauvegarde est mis sur pied par les banques créancières et les grands pays industrialisés avec la renégociation de la dette extérieure, estimée à 85 milliards de dollars. Le nouveau président, Miguel de la Madrid (1982-1988) redresse partiellement la situation, mais au prix d'une politique économique rigoureuse qui accroît les tensions sociales et les dissensions à l'intérieur du P.R.I. En 1985, un tremblement de terre fait 30 000 morts à Mexico et laisse environ un demi-million de personnes sans logement.
En 1986, Cuauhtémoc Cárdenas Solórzano (fils de l'ancien président L. Cárdenas) et Porfirio Muñoz Ledo créent au sein du P.R.I. un courant dissident, le courant démocratique, qui réclame un mode de choix plus ouvert des candidats, en particulier des candidats à l'élection présidentielle, qui tendent à être choisis par le président sortant. Quand M. de la Madrid impose son ministre des Finances et du Budget, Carlos Salinas de Gortari, comme candidat aux élections de 1988, le courant démocratique quitte le PRI. Les élections générales du 6 juillet 1988 constituent un tournant dans l'histoire politique mexicaine. Le PRI enregistre un net recul, même s'il conserve la majorité, tandis que l'alliance du Front démocratique national (FDN) de C. Cárdenas, qui rassemble une partie de la gauche, arrive en deuxième position et obtient quatre sièges au Sénat : pour la première fois, les membres de l'opposition y sont officiellement représentés et les commentateurs s'interrogent sur la fin de l'hégémonie du PRI.
6.3. L'évolution vers une démocratie effective
C. Salinas, qui entre en fonctions en décembre 1988, annonce sa volonté de pluralisme et de transparence. Sur le plan économique, il poursuit la politique de privatisation et obtient, en 1990, la réduction d'une partie de la dette extérieure (plan Brady). Cette orientation néolibérale conduit le Mexique à infléchir sa politique extérieure, traditionnellement favorable au régime castriste de Cuba, aux sandinistes du Nicaragua (au pouvoir jusqu'en 1990) ainsi qu'au Front démocratique révolutionnaire du Salvador, et à se rapprocher, en particulier, des États-Unis.
Le 1er janvier 1994, jour de l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA, ou NAFTA) signé en 1992 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, une révolte indienne éclate dans l'État méridional du Chiapas. Les paysans insurgés entendent, par cette coïncidence, souligner avec force les contrastes existant entre un Mexique urbain et développé, se modernisant rapidement et s'intégrant au grand marché nord-américain, et un Mexique rural et sous-développé, peuplé de communautés indiennes. Les rebelles, rassemblés sous le slogan « Démocratie, terre, nourriture, toit et justice », déclarent appartenir à l'Armée zapatiste de libération nationale (Ejército Zapatista de Liberación Nacional, ou EZLN) et occupent une partie du Chiapas. Après une première vague de répression, le gouvernement opte pour la négociation. Il procède au rachat, puis à la distribution de plus de 200 000 hectares de terres et à certaines réformes électorales : le contrôle de l'Institut fédéral électoral revient à des citoyens indépendants, l'opposition dispose d'un plus grand accès aux médias et des observateurs, nationaux ou étrangers, sont admis lors des élections.
La campagne électorale est néanmoins marquée par la violence : le candidat officiel du PRI, Luis Donaldo Colosio est assassiné. Ernesto Zedillo Ponce de León, le nouveau candidat du gouvernement, remporte les élections générales d'août 1994, face à l'opposition de droite représentée par le parti Action nationale (PAN). Créé en 1939 et cultivant une idéologie populiste libérale, celui-ci devient la deuxième force politique du pays, devant le parti de la Révolution démocratique (PRD), parti de gauche fondé en 1989 et représenté par Cuauhtémoc Cárdenas. Les zapatistes du Chiapas, qui, acceptant le jeu politique, avaient fait campagne pour le PRD, appellent, au lendemain de ce scrutin, à la reprise de l'insurrection civile.
Le président E. Zedillo entend continuer le processus de changement politique. Il affiche sa volonté de séparation entre les pouvoirs judiciaire et législatif, nomme un représentant du PAN comme procureur général et renouvelle la Cour suprême de justice. Les progrès politiques, néanmoins, se font avec lenteur. Ce n'est qu'en 1996 que de nouvelles règles politiques voient le jour : limitation des dépenses des campagnes électorales, augmentation du financement public aux partis politiques, mise en place d'un tribunal pour résoudre les querelles électorales. Ces nouvelles règles sont appliquées lors des élections législatives partielles de 1997. Pour la première fois depuis sa création en 1929 sous le nom de parti national révolutionnaire, le PRI perd la majorité absolue au Congrès, bien qu'il détienne un nombre important de sièges (239 sur 500). Le PRD en est le principal vainqueur, et C. Cárdenas est élu gouverneur du district fédéral de Mexico (réélu en 2000).
Au Chiapas, la situation est au point mort depuis août 1996, après la décision de l'EZLN de suspendre les négociations. Pourtant, les accords dits de San Andrés Larrainzar, qui reconnaissent un début d'autonomie en faveur des populations indiennes, ont suscité des espoirs légitimes (février 1996). Mais les divergences entre la guérilla zapatiste et les autorités mexicaines quant à la suite à donner à ces accords font capoter le processus en cours.
7. Le temps de l'alternance ou la fin de l'« État-parti »
Dans la perspective des élections générales de 2000, le PAN et le PRD tentent de s'entendre sur une candidature unique en 1999, mais sans succès. Malgré le maintien du candidat du PRD, le conservateur Vicente Fox Quesada (PAN), ex-directeur de la firme américaine Coca Cola au Mexique, remporte la présidentielle de juillet 2000 avec 42,5 % des voix, devançant Francisco Labastida (36,6 %), le candidat du PRI, et C. Cárdenas (PRD). Au lendemain de sa victoire, V. Fox lance un appel à ses adversaires pour la formation d'une coalition gouvernementale ; le PRD fait aussitôt savoir qu'il n'y participera pas. Si l’Alliance pour le changement formée par le PAN et le parti écologiste – 221 sièges sur 500 à la Chambre des députés – se rompt rapidement, le président peut compter sur la bienveillance du PRI – qui conserve sa première place avec 211 députés et 58 sénateurs sur 128 – favorable à une alternance en douceur.
7.1. La présidence de Vicente Fox
V. Fox prend ses fonctions le 1er décembre 2000 et forme un gouvernement de « professionnels », expérimentés dans leur domaine de compétence, et d'intellectuels. La place réservée à son propre parti, le PAN, est réduite au maximum. Hormis la lutte contre la corruption et le trafic de drogue, le nouveau président se fixe deux priorités : la réduction de la pauvreté et la reprise des négociations avec l'EZLN au Chiapas. Dans le domaine économique, V. Fox s'est engagé, au cours de la campagne électorale, sur des objectifs très ambitieux (hausse importante du revenu annuel par habitant, croissance portée à 7 %, création d'un million d'emplois, etc.), qu'il doit s'efforcer d'atteindre s'il ne veut pas décevoir les attentes considérables du peuple mexicain. Dès le mois d'octobre, avant son investiture, il entreprend une tournée dans les principales capitales européennes pour convaincre les investisseurs du changement en cours au Mexique.
Aussitôt en fonctions, le nouveau président multiplie les signes d'apaisement en direction de la guérilla zapatiste : dépôt au Parlement d'une loi qui prévoit d'accorder une relative autonomie aux communautés indiennes du Chiapas, tandis que l'ordre est donné à l'armée de se retirer des zones d'influence de la guérilla ; libération de prisonniers zapatistes ; fermeture de camps militaires dans le Chiapas. En réponse à ces gestes de bonne volonté, le sous-commandant Marcos et ses hommes entament en février 2001 une longue marche à travers le pays jusqu'à la Chambre des députés à Mexico, afin d'y défendre la loi d'autonomie. Celle-ci, issue des accords de 1996, dits de San Andrés Larraínzar, nécessite une modification de la Constitution et doit notamment être ratifiée à la majorité des deux tiers par le Congrès. Lors de leur intervention en mars devant les députés, les chefs zapatistes proposent au gouvernement de reprendre les négociations de paix. Mais, à peine relancé, le dialogue est déjà suspendu par le sous-commandant Marcos, qui dénonce les modifications substantielles apportées à la loi d'autonomie avant son adoption par le Parlement (avril 2001). L'EZLN décide alors de se maintenir en résistance et de poursuivre son œuvre de construction de l'autonomie, non sans devoir faire face à des escalades de violence qui frappent régulièrement ses partisans, ses contingents et ses responsables. La zone demeure le théâtre d'incidents violents.
Le gouvernement Fox consolide néanmoins le processus de transition démocratique : le Parlement voit de fait ses pouvoirs accrus tandis que les élections acquièrent en crédibilité. Tout en entretenant le lien avec les États-Unis, le président se prononce en faveur de l'intégration avec les États voisins d'Amérique centrale. Mais ne disposant pas de majorité stable, il peine à mener à bien ses projets économiques, fiscaux et sociaux.
De fait, lors des élections législatives de juillet 2003, les Mexicains, déçus par les promesses non tenues et par la dégradation de la situation économique, désavouent le président V. Fox et son parti Action nationale (PAN). Celui-ci stagne en deuxième position derrière le PRI, qui consolide sa prééminence à la Chambre des députés avec plus de 220 élus sur un total de 500 sièges. Le PRD, second vainqueur du scrutin, connaît une progression spectaculaire grâce à l'aura du maire de Mexico, Andrés Manuel López Obrador, surnommé le « Lula mexicain ». Le taux élevé d'abstention (près de 60 %) est un avertissement tant à l'adresse du président que des grands partis. La fin du mandat de V. Fox est ternie par les événements qui agitent la région d'Oaxaca, dans le sud du pays. Un différend entre le gouvernement local et les enseignants se mue, à partir de mai 2006, en une protestation populaire qui dégénère au cours de l'été, sans que les autorités de Mexico éprouvent le besoin d'intervenir. Malgré un retour au calme en octobre, la tension sur place reste prégnante. Par ailleurs, la proximité cultivée avec les États-Unis, en dépit d'un désaccord à propos de l'immigration, entraîne des tensions ponctuelles avec Cuba (2004) et plus constantes avec le Venezuela d'Hugo Chávez (à partir de la fin 2005).
7.2. La présidence de Felipe Calderón (2006-2012)
Bien qu'une procédure soit engagée contre lui pour le décrédibiliser, A. Obrador, du PRD, apparaît longtemps comme le probable successeur de V. Fox à la tête de l'État, face à Felipe Calderón, candidat du PAN, son principal challenger. Mais le 2 juillet 2006, à l'issue d'une rude bataille, ce dernier arrive en tête des élections présidentielles, avec 35,88 % des suffrages, contre 35,31 % à son adversaire de gauche. Tandis que le PAN vient en tête des élections législatives avec 206 sièges à la Chambre des députés et 52 au Sénat, le PRI, relégué à la troisième position derrière le PRD (allié au parti du Travail et au parti Convergence) confirme son déclin : Roberto Madrazo, qui le représente, n'obtient que 22,26 % des voix.
En outre se dessine un clivage régional profond, entre les États du Nord, industrialisés, favorables au PAN, et les États du Sud, auxquels il faut ajouter l'important district fédéral de Mexico, qui plébiscitent le PRD. La très faible marge qui sépare les deux principaux candidats est source de contestation. Un mouvement de « résistance civile pacifiste », qui rassemble des centaines de milliers de personnes à Mexico, s'organise pour soutenir A. Obrador. Mais, malgré le contentieux pour fraudes et irrégularités soulevé par le PRD, le tribunal électoral du pouvoir judiciaire de la fédération proclame F. Calderón vainqueur en septembre, de sorte que, en dépit de la poursuite de la contestation, celui-ci entre en fonction en décembre 2006.
Ne disposant que d'une majorité relative à la Chambre et au Sénat, et malgré la ligne économique libérale orthodoxe défendue, le nouveau président cherche à étendre son assise politique en reprenant à son compte certaines des propositions électorales de son rival. Il réduit immédiatement les salaires des plus hauts fonctionnaires de l'État – dont le sien – et impose un plafond de prix à l'élément de base de l'alimentation des Mexicains les plus pauvres, la tortilla, victime de la flambée des cours du maïs. En mai, il lance un programme destiné à lutter contre le réchauffement climatique.
Recevant successivement en 2007 les présidents du Chili, du Nicaragua, d'Argentine et du Brésil, il relance la coopération avec les pays d'Amérique centrale et latine, pour faire pièce à l'axe anti-Washington organisé par H. Chávez mais s'emploie également à normaliser les relations très tendues avec ce dernier ainsi qu'avec Cuba (mars 2008) à la suite de l'investiture de Raúl Castro et n'en proteste pas moins contre la politique d'immigration adoptée par les États-Unis (construction d'un mur et rejet d'un projet de loi de régularisation des clandestins au Congrès).
Au cours de l'été 2007, trois attentats dirigés contre la compagnie pétrolière nationale replacent sur le devant de la scène nationale la menace terroriste de l'EPR, l'Armée populaire révolutionnaire, et par contrecoup l'EZLN, qui affiche sa solidarité avec le groupe d'extrême gauche.
Les effets de la crise économique internationale et l'insécurité permanente pourraient expliquer la défiance croissante des Mexicains convoqués aux urnes en juillet 2009.
7.3. La renaissance du PRI
Marquées par une campagne médiatisée en faveur du vote blanc, les élections législatives ne mobilisent qu'environ 45 % des électeurs (contre près de 59 % en 2006) et se soldent par la défaite du PAN qui, ne rassemblant que 27,9 % des voix et 143 sièges, perd la majorité relative qu'il détenait à la Chambre. Toujours bien implanté dans le pays, le PRI, présidé depuis 2007 par Beatriz Paredes Rangel, obtient 36,6 % des suffrages et 237 sièges. Retrouvant son rang de première force politique du pays, il peut ainsi former une nouvelle majorité en s'alliant avec le parti Vert écologiste du Mexique (PVEM, 21 sièges). Car ce scrutin est aussi une défaite pour le PRD (12,2 % des suffrages et 71 députés contre 126 dans la précédente assemblée) et ses alliés, également en recul, le parti du Travail (PT, 3,6 %, 13 députés) et le parti Convergence (2,4 %, 6 députés), « Nouvelle alliance » conservant ses 9 sièges. Alors que le PRI prône une « opposition constructive » et offre son appui négocié (tout comme les Verts) au gouvernement de F. Calderón, le Congrès inaugure la nouvelle législature le 1er septembre.
Malgré la démission en décembre 2011 de son nouveau chef, choisi en mars, Humberto Moreira, mis en cause pour sa gestion lors de son mandat comme gouverneur de Coahuila, le PRI est donné favori pour succéder à F. Calderón et son parti. Après avoir obtenu largement l’avantage en voix à l’issue de l’ensemble des élections organisées en 2010, et en dépit de la perte des États d’Oaxaca, de Puebla et de Sinaloa, il conserve le contrôle de 20 États sur 32 après les scrutins régionaux de 2011 dont celui de Mexico, le plus peuplé du pays, avec 62 % des voix.
7.4. Le développement de la violence
Alors que le crime organisé fait plus de 3 000 victimes par an, le président Calderón poursuit activement la lutte engagée par son prédécesseur contre les narcotrafiquants en mobilisant l'armée et en faisant adopter un Accord national pour la sécurité, la justice et la légalité (août 2008). Mais les forces armées peinent à contrôler une situation toujours plus dégradée, notamment dans la région de Ciudad Juarez, dans le nord du pays, à quelques kilomètres de la frontière avec les États-Unis.
En mars 2010, la secrétaire d'État Hillary Clinton, accompagnée des secrétaires à la Défense et à la Sécurité intérieure, rencontre son homologue mexicaine ainsi que le président Calderón afin de resserrer la coopération entre les deux pays dans le cadre du plan Mérida, en vigueur depuis juin 2008 pour lutter contre les cartels de la drogue et l'afflux illégal d'armes en provenance des États-Unis qui sont aussi le principal débouché pour le trafic de stupéfiants. Cette politique reste cependant impuissante face à des cartels (dont celui des Zetas, le plus violent) disposant désormais de véritables forces paramilitaires.
L’intensification de la violence va de pair avec une extension de la corruption dans les milieux politiques et au sein de la police ainsi qu’avec une immixtion du crime organisé dans les élections comme lors du scrutin de novembre 2011, remporté par le PRI, dans l’État de Michoacán, une évolution « à la colombienne », à quelques mois de l’élection présidentielle.
7.5. Le retour au pouvoir du PRI et la présidence d’Enrique Peña Nieto (2012-)
Conformément aux pronostics, le PRI confirme son retour en force amorcé trois ans plus tôt. En juillet 2012, son candidat, Enrique Peña Nieto, gouverneur de l’État de Mexico en 2005-2011, vient en tête du scrutin présidentiel avec 38,2 % des voix devant A. M. Lopez-Obrador qui, à la tête de la coalition de gauche menée par le PRD, obtient 31,6 % des suffrages.
Desservie par l’usure du pouvoir subie par son parti, la candidate du PAN, Josefina Vazquez Mota, est reléguée à la troisième place avec 25,4 % des voix. Dénonçant un achat massif de voix, le PRD et ses alliés (parti du Travail et Mouvement citoyen) contestent le résultat et demandent l’annulation du scrutin, un recours rejeté par le Tribunal fédéral électoral le 31 août. Acceptant finalement le fait accompli, il évite cependant d’entrer comme en 2006 dans un rapport de force qui risquerait de l’affaiblir.
Allié aux Verts (environ 6 % des voix au niveau national), le PRI vient également en tête aux élections législatives avec près de 32 % des suffrages au total. Il devance ainsi ses concurrents dans de nombreux États (Mexico, Jalisco, Veracruz, Durango, Chihuahua, Basse-Californie du Nord, Guerrero, Hidalgo… ainsi que le Chiapas) mais le PAN résiste globalement assez bien, même si le parti obtient au total moins de voix que la coalition de gauche, qui réalise son meilleur score (plus de 50 % des suffrages) dans le District fédéral. Le nouveau président entre en fonctions le 1er décembre et le lendemain, un programme général de réformes, intitulé « pacte pour le Mexique », est signé par les dirigeants des trois grands partis.
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LE ROYAUME DE FRANCE SOUS LOUIS XIV |
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PLAN
* LE ROYAUME DE FRANCE SOUS LOUIS XIV
*
* 1. La population
* 2. L'économie
* 2.1. Une économie de subsistance
* 2.2. Le monde de la paysannerie
* 2.3. Prospérité des grands propriétaires terriens
* 2.4. Artisanat rural
* 3. L'administration du royaume
* 3.1. Le gouvernement et l'administration centrale
* 3.2. L'administration des provinces
* L'enjeu
* Les intendants
* La mise au pas des cours souveraines et du parlement
* Paris
* 3.3. La bourgeoisie au détriment de la noblesse
* 4. La situation religieuse
* 4.1. L'Église de France
* 4.2. Les questions conflictuelles
* Le roi contre le pape
* L'affaire de la régale (1678-1682)
* Au bord de la rupture
* Vers la fin de la crise (1689-1692)
* 4.3. La révocation de l'édit de Nantes
* Le protestantisme après la paix d'Alès (1629)
* L'ère des « dragonnades » (1681-1685)
* Conséquences politiques et économiques
le royaume de France sous Louis XIV
Cet article fait partie du dossier consacré à Louis XIV.
Le désir de grandeur de l'État, Louis XIV essaiera de l'accomplir par une politique de prestige et une suite de guerres de conquête. Le roi avait-il les moyens de mener à bien cette politique ? Pour répondre à cette question, il faut se demander quel était alors l'état de la France et quels étaient les instruments de gouvernement à la disposition du pouvoir.
Malgré les ravages occasionnés par la Fronde, la France en 1661 est un pays riche. L’historien Pierre Goubert écrit : « Le fait le plus caractéristique est l'augmentation des impôts dus aux guerres de Louis XIII et de Mazarin. Le montant des tailles des seuls pays d'élection passe de 20 millions en 1624 à 45 en 1635 et les impopulaires gabelles de 7 à 14 millions dans le même temps. Ce qui frappe le plus c'est l'extraordinaire richesse du royaume qui fut capable de supporter cela. Un tel effort n'affecta sérieusement ni l'équilibre financier, ni la balance des comptes, ni la solidité de la monnaie, la preuve en est qu'il ne fallut pas trois ans à Colbert pour mettre clarté et ordre dans les finances. »
1. La population
À une époque où le travail musculaire est l'énergie essentielle, la grande force du pays, c'est le nombre de ses travailleurs. Démographiquement, la France est le premier pays d'Europe avec 18 millions d'habitants environ, plus que tout l'Empire germanique, trois fois plus que l'Angleterre. Démographie stagnante, d'ailleurs, où les familles nombreuses, contrairement à la légende, sont rares. Les familles ont quatre ou cinq enfants en moyenne. Sur 100 enfants qui naissent, 50 n'atteignent pas l'âge adulte, 25 disparaissent entre vingt-cinq et quarante ans, 10 seulement deviennent sexagénaires.
Ainsi, à cause de la mortalité précoce, l'espérance de vie moyenne est seulement de vingt-cinq ans environ. Ce taux de remplacement voisin de l'unité est donc très fragile et à la merci d'une crise. Or, les crises démographiques sont alors fréquentes. Elles sont provoquées essentiellement par des famines dues à la cherté des blés, à la suite de mauvaises récoltes consécutives à des conditions climatériques défavorables.
Les épidémies diverses, appelées uniformément « pestes », ne sont que les conséquences des pénuries alimentaires. Au cours de ces crises (les plus importantes se situant en 1661-1664, 1693-1694 et 1709-1710), qui touchent principalement les catégories les plus pauvres, on voit le prix du pain tripler, les taux de décès quadrupler et les conceptions baisser d'autant. Puis, après l'élimination des faibles (vieillards, enfants malades), la récupération est aussi rapide que la récession, et les vides sont rapidement comblés, jusqu'à la prochaine crise qui rétablira de nouveau l'équilibre entre la population et les subsistances.
2. L'économie
2.1. Une économie de subsistance
L'immense majorité des sujets du Grand Roi travaille à la terre ou en vit (85 % de paysans et 8 % de rentiers du sol). L'économie fondée sur les produits agricoles est une économie de subsistance caractérisée par la prédominance absolue de l'agriculture vivrière et des céréales, à cause des faiblesses de la production et des rendements. C'est le manque d'engrais qui en est responsable (inexistence des engrais chimiques et insuffisance du bétail).
Cette économie est paralysée par la médiocrité des échanges, causée par le mauvais état des routes, la forme de la monnaie et les douanes intérieures.
2.2. Le monde de la paysannerie
La société tout entière repose donc sur la paysannerie. Celle-ci, d'ailleurs, est loin de constituer un groupe homogène ; depuis les gros « fermiers de seigneurie » jusqu'aux simples « manouvriers », on trouve toute la gamme des situations allant de l'aisance à la plus grande indigence.
Cependant, sous Louis XIV, le sort de toutes ces catégories va plutôt en s'aggravant. Impôts et prélèvements de toutes sortes s'abattent sur tous les paysans : tailles et gabelles royales, droits seigneuriaux, dîmes ecclésiastiques, rentes à payer aux bourgeois propriétaires.
2.3. Prospérité des grands propriétaires terriens
En revanche, ceux qu'on peut appeler les rentiers du sol, eux, semblent prospérer. Au cours du règne, la rente foncière, surtout jusque vers 1680, ne cesse de monter. Les grosses propriétés terriennes sont en effet entre les mains de la noblesse, de l'Église, de la bourgeoisie des villes, qui, tous, depuis le xvie siècle, rassemblent les terres et constituent de grands domaines au détriment des paysans, de plus en plus endettés à cause des charges qui pèsent sur eux. Par exemple, dans la Brie, la noblesse possède deux cinquièmes des terres, le clergé un cinquième, la bourgeoisie urbaine un cinquième. Le cinquième restant est la propriété des paysans, divisée généralement en nombreuses parcelles, trop minces pour assurer la subsistance d'une famille.
2.4. Artisanat rural
La place de l'industrie et du commerce doivent – sans être minimisées – être comprises dans cette perspective et ces proportions, de même que l'action du ministre Colbert. L'artisanat urbain ne groupe en effet que quelques dizaines de milliers d'ouvriers. La masse la plus importante est rurale et constituée par de petits artisans-paysans qui y trouvent un salaire complémentaire indispensable. Ainsi, dans l'Amiénois, l'industrie rurale de tissage n'a cessé d'augmenter sous Louis XIV et, à la fin du règne, elle égale en importance l'industrie urbaine.
Cet essor de l'industrie rurale est particulièrement important à partir de 1680, époque précisément où la rentabilité de la terre diminue. Il démontre cependant que si l'industrie et le commerce sont quantitativement inférieurs à l'activité agricole, à laquelle ils sont d'ailleurs liés, leur rôle au point de vue de l'expansion économique est considérable. À côté d'une agriculture qui stagne, la croissance industrielle et commerciale du xviie siècle continue celle du xvie siècle et annonce le « décollage » du siècle suivant.
3. L'administration du royaume
C'est entre 1661 et 1672 que Louis XIV, aidé essentiellement de Michel Le Tellier et de Colbert, va rétablir l'ordre dans l'administration en s'efforçant de l'unifier et de la centraliser.
La monarchie absolue prend alors la forme qu'elle conservera jusqu'en 1789. Au moment de sa prise de pouvoir personnel, Louis XIV peut écrire : « Le désordre régnait partout. » Jugement sévère pour ses prédécesseurs, Richelieu et Mazarin. Le premier, il est vrai, a été handicapé par sa lutte contre la maison d'Autriche. La conduite de la guerre a désorganisé ses finances et ne lui a pas laissé le temps de mener à bien la remise en ordre de l'administration intérieure. À cause de la Fronde, il en a été de même pour Mazarin, qui a dû lui aussi se contenter d'expédients.
En 1661, il y a donc beaucoup à faire. Jusqu'en 1672, à part la « promenade » militaire que sera la guerre de Dévolution (1667-1668), le royaume bénéficiera de onze années de paix. C'est dans ce court laps de temps que les différents rouages de la machine gouvernementale seront réformés et perfectionnés.
3.1. Le gouvernement et l'administration centrale
L'organe essentiel en est le Conseil d'État (ou Conseil d'en haut), composé du roi et des ministres d'État.
La nouveauté essentielle, c'est la réforme des finances. Celles-ci sont dirigées par un Conseil royal des finances composé du roi, du chancelier, du contrôleur général (ce sera Colbert jusqu'à sa mort en 1683) et de deux ou trois conseillers d'État.
La justice a pour chef le chancelier, qui est aussi garde des Sceaux. Cette dernière fonction lui permet d'être le lien entre le gouvernement et l'administration puisque tous les actes du roi doivent être scellés, publiés et expédiés par lui.
Les autres services publics sont répartis entre les différents secrétaires d'État : Guerre, Affaires étrangères, Maison du roi et le Conseil de la religion prétendue réformée, qui s'occupe de la question protestante jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes.
Il faut noter que l'Agriculture, l'Industrie, le Commerce, les Colonies, les « Affaires culturelles » sont rattachés au contrôleur général des finances, ce qui donne une idée de l'importance de Colbert.
3.2. L'administration des provinces
Les intendants sont choisis parmi les maîtres des requêtes du Conseil d'État. Ils reçoivent leurs ordres par le moyen du Conseil des dépêches, qui transmet arrêts et décisions.
Ce Conseil est composé du roi, du chancelier, des ministres et des secrétaires d'État. L'importance grandissante des intendants permet de comprendre l'aspect véritablement révolutionnaire du gouvernement de Louis XIV.
L'enjeu
Il s'agit en effet de savoir qui va administrer le royaume : des fonctionnaires royaux nommés et révoqués à volonté, agissant dans l'intérêt du roi, qui se confond avec les intérêts généraux du royaume, ou des corps d'officiers propriétaires de leur charge, irrévocables et héréditaires depuis le début du siècle (édit de la Paulette de 1604) et donc peu maniables, devenus des puissances provinciales ou locales très particularistes et représentant davantage les provinces et les intérêts particuliers en face du roi que le roi devant les intérêts particuliers et les provinces.
Les intendants
À cause de la vénalité et de l'hérédité des offices, le roi a perdu toute prise sur l'administration locale. C'est pourquoi, incapable de supprimer la vénalité en remboursant les officiers (titulaires d'un office), Richelieu avait tâché d'y substituer une administration nouvelle, celle des commissaires ou intendants (règlement d'août 1642).
À partir de 1666, l'intendant réside longtemps dans la même province et en administre une seule à la fois. Ses pouvoirs en matière de finances, de justice et de police sont très étendus et prépondérants : par exemple, il s'empare de l'administration financière (tout ce qui concerne la répartition de la taille) aux dépens des intérêts et des profits du puissant corps d'officiers qu'étaient les trésoriers de France, dont le rôle et l'importance diminuent considérablement. Les intendants iront même jusqu'à régenter et surveiller l'administration des villes.
La mise au pas des cours souveraines et du parlement
Grâce aux intendants, le roi essaie de faire exécuter sa volonté jusqu'au fond des provinces. L'institution des intendants est un instrument très souple qui, en temps de guerre ou de crise, s'empare de tous les pouvoirs appartenant encore aux officiers.
Des cours souveraines ou du parlement, Louis XIV – qui n'oubliera jamais leur attitude durant la Fronde – ne tolère aucune incartade ; elles doivent enregistrer les édits, tels quels et immédiatement, le droit de remontrances n'est toléré qu'ensuite. C’est par lettres patentes du 24 février 1673 que Louis XIV a enlevé au parlement de Paris le droit de remontrances préalables à l'enregistrement, qui permettait jusque-là aux parlementaires d'exprimer leurs doutes sur la légalité ou l'opportunité d'une ordonnance royale. En fait, cours souveraines et parlement sont exclus de la politique générale.
Paris
Le roi, pour la même raison, surveille particulièrement Paris ; il crée la charge de lieutenant général de police, qu'il confie en 1667 à Nicolas de La Reynie.
Paris, avec 400 000 habitants environ, est une ville turbulente qui compte 40 000 mendiants et autant de domestiques. L'Hôpital général est créé en 1657, et on y enferme pêle-mêle indigents, vagabonds ou malfaiteurs. Les rues de la capitale sont éclairées et, pour la première fois, on peut y circuler de nuit sans craindre de s'y faire détrousser.
3.3. La bourgeoisie au détriment de la noblesse
Il faut remarquer que ministres, secrétaires d'État, fonctionnaires royaux sont presque toujours choisis dans la bourgeoisie, et dans ce qu'on appelle la noblesse de robe ou d'offices (acquise par l'achat de certaines charges), au détriment de la noblesse d'épée, dont ils encourent la haine ; il n'est que de lire Saint-Simon pour s'en convaincre : « Ce fut un règne de vile bourgeoisie », écrit-il du règne de Louis XIV.
Le roi donne lui-même la raison de cette politique dans ses Mémoires : « Il était important que le public connût, par le rang de ceux dont je me servais, que je n'étais pas en dessein de partager avec eux mon autorité. »
À la noblesse, frustrée de ses ambitions politiques, l'absolutisme aura l'habileté d'accorder des privilèges fiscaux et de laisser une grande prépondérance dans les décisions prises à l'échelon local, sans parler des pensions de toutes sortes ou des bénéfices ecclésiastiques donnés aux mieux en cour de ses membres.
4. La situation religieuse
Les affaires religieuses occupent une place importante durant le règne de Louis XIV et constituent sans doute l'aspect le plus négatif de sa politique ; en effet, le combat contre le jansémisme et le protestantisme – au nom de l'unité de la foi – est un facteur d'affaiblissement de la cohésion du royaume.
4.1. L'Église de France
Avec l'Église de France, il n'y aura guère de problèmes. L'épiscopat – rangé derrière son « maître à penser », Bossuet – est tout entier soumis à son roi. Louis XIV a le souci, sauf exception, de ne nommer aux sièges épiscopaux que des prélats dignes et conscients de leurs devoirs. Il tient particulièrement à ce que ses évêques résident dans leur diocèse plutôt qu'à la Cour ; de tout le règne, aucun homme d'Église n'entrera dans son gouvernement.
Louis XIV donne en revanche aux évêques une grande autorité sur leurs prêtres. Par ses édits de 1695 et de 1698, il livre en fait ceux-ci à l'arbitraire épiscopal, situation qui accentuera au xviiie siècle le clivage entre les deux clergés.
4.2. Les questions conflictuelles
Envers les deux grands problèmes religieux du règne – le gallicanisme et les conflits avec Rome, ainsi que les rapports avec les protestants –, la politique suivie par Louis XIV aboutit à un échec total.
Il faut y ajouter l'inefficacité de sa politique antijanséniste, entamée dès 1661. Loin de réussir, la lutte de Louis XIV contre le jansénisme va faire de la secte persécutée le lieu de rencontre, à la fin du règne, de toutes les oppositions, jusqu'à ce que la bulle Unigenitus (1713) – qui aura de nombreux adversaires – scelle son union avec le gallicanisme parlementaire et antiabsolutiste pour toute la durée du xviiie siècle.
Le roi contre le pape
La crise du gallicanisme sous Louis XIV est le choc de deux absolutismes aussi intransigeants l'un que l'autre. Cette doctrine solidement implantée en France depuis la pragmatique sanction de Bourges de 1438, confirmée par le concordat de Bologne en 1516, était très favorable à l'autorité des rois de France. En gros, l'Église de France se considérait, pour l'administration de ses affaires intérieures, assez indépendante du pape.
Au xviie siècle, le renforcement de l'autorité de l'État va provoquer le conflit. Durant les trente premières années du règne personnel de Louis XIV, il y aura une tension constante entre Rome et Paris.
Dès 1662, l'affaire de la « garde corse » pontificale, qui attaque la suite de l'ambassadeur de France, met le feu aux poudres. Louis XIV s'empare un moment du comtat Venaissin et impose au pape Alexandre VII d'humiliantes réparations.
L'affaire de la régale (1678-1682)
La régale était un droit royal de percevoir les revenus de certains sièges épiscopaux vacants. En 1673, le roi déclare tous les évêchés assujettis à celle-ci. Sur cent trente évêques, deux seulement protestent, deux jansénistes – Nicolas Pavillon, d'Alet et Étienne François de Caulet, de Pamiers –, et font appel au pape. Innocent XI les soutient et, en 1680, parle d'excommunier le roi.
Au bord de la rupture
En 1681-1682, celui-ci convoque une assemblée générale du clergé, qui, sous l'impulsion de Bossuet, édicte quatre articles proclamant l'indépendance absolue des rois envers le pape pour les affaires temporelles et la suprématie du concile sur le pape. En représailles, Innocent XI déclare nulles ces décisions et refuse d'accorder l'investiture canonique pour pourvoir aux évêchés vacants.
Vers la fin de la crise (1689-1692)
En 1687, une nouvelle querelle à propos des privilèges de l'ambassade de France à Rome envenime la situation, et Louis XIV se dispose, un temps, à envahir les États du pape, avant de renoncer à imposer ses vues à Rome. La disparition d'Innocent XI, en 1689, facilite les choses, et Louis XIV, aux prises avec les difficultés de la ligue d'Augsbourg (→ guerre de la ligue d'Augsbourg), répudie complètement en 1692 l'édit de 1682 ; Rome triomphe.
Si le schisme n'a pas eu lieu, c'est que le concordat de 1516 donnait déjà au roi tous les avantages qu'il aurait retirés d'une Église nationale. De plus, il n'y a jamais eu simultanément à Rome et à Paris des adversaires résolus à aller jusqu'à l'irrémédiable ; enfin, la coalition européenne contre Louis XIV a dissuadé le roi de s'engager dans d'autres conflits.
4.3. La révocation de l'édit de Nantes
Envers les protestants, la politique suivie au xviie siècle ira de l’attitude pacificatrice et compréhensive d'Henri IV à l'intolérance de Louis XIV ; c'est la démarche inverse de celle de la papauté, qui ira, elle, de l'intolérance à la compréhension, autre cause de friction entre Paris et Rome. Quelles que soient les pressions exercées sur le roi, la révocation de l'édit de Nantes, signée à Fontainebleau en 1685, est une grande erreur politique. La responsabilité du clergé catholique, qui ne cesse de demander la fin du scandale causé par l'édit de Nantes, est prépondérante. Il faut y ajouter le poids d'une opinion publique travaillée par ses prêtres et portée à l'intolérance.
Le protestantisme après la paix d'Alès (1629)
Après la paix d'Alès en 1629, qui dépouille de tout pouvoir politique et militaire le protestantisme français, celui-ci a connu une période d'accalmie qui lui a permis de former un solide corps de pasteurs qui ont donné au peuple une conscience très vive de sa foi. Durant la Fronde (1648-1653), les protestants restent loyalistes, et certains, tel Samuel Bochart (1599-1667), se font même les champions de l'absolutisme royal.
L'ère des « dragonnades » (1681-1685)
Pourtant, il ne leur en sera pas tenu compte : à partir de 1661, les persécutions commencent, sournoises d'abord, puis violentes. De la campagne de propagande aux tentatives de séduction (il y a une caisse spéciale récompensant les conversions) et aux pressions sur l'élite sociale, c'est-à-dire sur la noblesse protestante, on en arrive dès 1681 aux « missions bottées » qui vont entraîner des abjurations massives. L'ère des « dragonnades » (persécutions exercées par les dragons envers les protestants) pourra commencer et, l'édit de Nantes révoqué, on pourra considérer officiellement, dès la fin de 1685, que les trois quarts des réformés ont abjuré.
Conséquences politiques et économiques
Mais cette politique se solde par un échec certain, et les conséquences politiques et économiques en sont désastreuses pour le royaume.
Tout d'abord, la plupart des conversions forcées ne sont pas sincères ; le pape lui-même désapprouve « le motif et le moyen de ces conversions par milliers dont aucune n'était volontaire ». Les protestants des Cévennes se révoltent en 1702 (révolte des camisards), et il ne faut rien moins, en pleine guerre de la Succession d'Espagne, qu'une armée commandée par Villars pour les réduire.
Surtout, l'émigration fait perdre à la France entre 200 000 et 300 000 sujets actifs. Si peu de paysans émigrent, l'élite bourgeoise part, et la France se voit privée de chefs d'industrie (surtout dans le textile), de banquiers, d'armateurs, d'artisans, qui vont renforcer la richesse de l'Angleterre, du Brandebourg, de la Hollande et des royaumes scandinaves. De plus, les armées des futures coalitions compteront dans leurs rangs nombre de valeureux officiers français (et surtout ces derniers soutiendront efficacement Guillaume d'Orange contre les tentatives de restauration des Stuarts).
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PIERRE ET MARIE CURIE |
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Pierre et Marie Curie
1. Introduction
Le père de Pierre, Eugène Curie, médecin et fils de médecin, est d'une famille protestante originaire d'Alsace ; il est libre penseur et profondément républicain. Sa mère, Claire Depoully, est la fille d'un industriel de Puteaux. Dans son enfance, Pierre Curie ne fréquente ni école ni lycée ; c'est de ses parents, puis de son frère aîné, Jacques (1855-1941), qu'il reçoit son instruction première. Un professeur ami de la famille poursuit son éducation et lui donne le goût des sciences de la nature. Pierre Curie peut alors suivre des cours à la Sorbonne et passer sa licence à l'âge de dix-huit ans. Remarqué par ses professeurs, il est nommé en 1878 préparateur de Paul Desains (1817-1885) à la Faculté des sciences de Paris.
2. La piézo-électricité
Son premier travail est une étude, en collaboration avec Desains, sur les radiations infrarouges, dont il mesure les longueurs d'onde. Puis il effectue des recherches sur les cristaux avec son frère Jacques, alors préparateur au laboratoire de minéralogie de la Sorbonne. Ce travail conduit les deux jeunes physiciens à une découverte très importante, celle de la piézo-électricité (1880). Ils mettent au point la réalisation du « quartz piézo-électrique », dont les applications seront nombreuses dans les domaines de la radioélectricité et des ultrasons.
Mais ils doivent alors cesser leur collaboration : Jacques devient maître de conférences à Montpellier et Pierre est nommé en 1882 chef de travaux à l'École de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris, qui vient d'être fondée. C'est dans les vieux bâtiments de cette école que Pierre va effectuer, pendant vingt-deux ans, la presque totalité de ses travaux.
3. Le principe de symétrie
En 1884, il publie un mémoire sur la symétrie et les répétitions dans les milieux cristallins. Cette étude l'amène à réfléchir sur la symétrie générale dans les phénomènes physiques. Il en déduit un principe très général, dont il ne donnera l'énoncé définitif qu'en 1894 : « Lorsque certaines causes produisent certains effets, les éléments de symétrie des causes doivent se retrouver dans les effets produits. Lorsque certains effets révèlent une certaine dissymétrie, cette dissymétrie doit se retrouver dans les causes qui leur ont donné naissance. » Ce principe, applicable à tous les domaines de la physique, permet de prévoir la possibilité ou l'impossibilité de divers phénomènes.
4. La loi et le point de Curie
Cependant, le laboratoire de l'École de physique et de chimie reçoit enfin quelque matériel, et Pierre Curie peut reprendre ses recherches expérimentales. Il crée en 1889 une balance apériodique à lecture directe munie d'amortisseurs à air et réalise un électromètre condensateur à anneau de garde qui suscite l'intérêt de lord Kelvin. Puis il entreprend un très gros travail sur le magnétisme, qu'il présente en 1895 comme sujet de thèse sous le titre Propriétés magnétiques des corps à diverses températures. Il a découvert que le diamagnétisme est indépendant de la température, que la susceptibilité paramagnétique est inversement proportionnelle à la température absolue (loi de Curie), qu'au-dessus d'une certaine température (point de Curie) le ferromagnétisme se transforme en paramagnétisme. Il obtient alors une chaire de physique à l'École de physique et de chimie.
5. Mariage de Pierre et de Marie Curie
La même année, il épouse Marie Skłodowska, qui sera, dès lors, associée à ses recherches. Celle-ci, fille d'un professeur de mathématiques et d'une institutrice de Varsovie, est venue à Paris en 1892 pour y poursuivre ses études scientifiques. Elle passe sa licence et est reçue en 1896 à l'agrégation des sciences physiques. Les deux époux mènent une vie très simple, de laquelle est exclue toute préoccupation mondaine et qu'ils consacrent entièrement au travail. Leur seule détente consiste en longues randonnées à bicyclette à la campagne.
6. Le radium
Marie Curie choisit comme sujet de thèse l'Étude des rayons uraniques, que vient de découvrir Henri Becquerel. Elle observe la radioactivité du thorium et remarque l'intensité anormalement élevée du rayonnement émis par certaines impuretés de la pechblende, minerai d'uranium. C'est alors que Pierre Curie abandonne son travail sur les cristaux pour assister sa femme dans l'étude de ce phénomène. Cette étude aboutit, après un travail acharné, à la découverte successive, en 1898, de deux radioéléments nouveaux, le polonium et le radium.
Mais ceux-ci n'existent dans le minerai qu'à l'état de traces infimes ; on sait, aujourd'hui, qu'une tonne de pechblende n'en renferme qu'un milligramme. Pour cette recherche, Marie Curie avait eu la chance de recevoir du gouvernement austro-hongrois, par l'entremise d'un ancien collaborateur viennois, une tonne de minerai provenant des gisements de Joachimsthal, qui étaient alors les seules mines d'uranium exploitées dans le monde. En Bohême, on extrayait les sels d'uranium de la pechblende et l'on rejetait la majeure partie des roches préalablement broyées ; ce sont ces matériaux de rejet qui furent expédiés gratuitement. Pendant trois ans, nos chercheurs se livrent à un travail de séparation pénible et délicat ; ils l'effectuent dans un hangar abandonné, dépourvu de tout aménagement. Ils découvrent la radioactivité induite, provoquée par le radium, ou plutôt par son émanation, sur les corps qui l'environnent. En 1902, enfin, Marie Curie réussit à préparer un décigramme de chlorure de radium pur et à déterminer la masse atomique de cet élément. Elle présente ce résultat dans sa thèse de doctorat, soutenue en 1903. Plus tard, en 1910, avec l'aide de André Louis Debierne (voir plus bas), elle isolera le radium à l'état métallique.
7. La mort de Pierre Curie
Ces découvertes, qui ouvrent à la physique un domaine entièrement nouveau, valent aux deux époux, en commun avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique en 1903. Pierre Curie obtient en 1904 une chaire de physique à la Sorbonne et est admis en 1905 à l'Académie des sciences ; sa femme est nommée chef de travaux. Alors qu'il pouvait espérer des conditions de travail enfin améliorées, il meurt brusquement en 1906, écrasé par un camion sortant du Pont-Neuf. Il laisse à sa femme deux filles, Irène, qui épousera Frédéric Joliot et s'illustrera plus tard dans le même domaine (→ Irène et Frédéric Joliot-Curie), et Ève.
8. Marie Curie poursuit l'œuvre commune
Marie Curie remplace Pierre dans sa chaire à la Sorbonne ; c'est la première fois qu'une femme occupe un tel poste. Elle poursuit l'œuvre commune et se voit attribuer, cette fois seule, le prix Nobel de chimie en 1911. Pendant la Première Guerre mondiale, elle organise les services radiologiques aux armées. Et, en 1921, c'est la création de la Fondation Curie, département des applications thérapeutiques et médicales de l'Institut du radium, lui-même fondé dès 1909.
Mais l'émanation du radium, dans l'ambiance de laquelle elle vivait depuis tant d'années, a finalement raison de la santé de Marie Curie, qui, frappée d'anémie pernicieuse, s'éteint dans un sanatorium de Sancellemoz.
C'est en mémoire de ces deux illustres savants que le nom de curie a été adopté pour désigner l'unité de radioactivité et que l'élément chimique numéro 96 a été baptisé curium.
LE COLLABORATEUR DE PIERRE ET MARIE CURIE
André Louis Debierne, chimiste français (Paris 1874-Paris 1949). Ancien élève de l'École de physique et de chimie de Paris, il en deviendra directeur, puis succédera à Marie Curie à la direction de l'Institut du radium. En collaboration avec Marie Curie, il réussit à isoler le radium métallique grâce à l'électrolyse de son chlorure avec emploi d'une cathode de mercure (1910). Auparavant, en 1899, il avait découvert un élément radioactif, l'actinium. Il étudia par la suite les émanations gazeuses des divers radioéléments.
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