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DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION DU SYSTÈME NERVEUX

 

 

 

 

 

 

 

DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION DU SYSTÈME NERVEUX


Conférence du 24 janvier 2000 par Alain Prochiantz. On découvrit dans les années 1970, chez une mouche, la Drosophile, des mutations conduisant au remplacement de tout ou partie d'un organe par un autre organe. On observa, par exemple, des transformations de type antenne-patte, aile-balancier, ou aile-oeil. Ces mutations ont été dites homéotiques, l'organe d'un segment étant remplacé par l'organe homologue d'un autre segment. Les gènes homéotiques codent pour des facteurs de transcription qui, en se fixant sur des séquences promotrices, régulent l'expression d'autres gènes. Ces observations ont conduit à découvrir, dans tous les embranchements du règne animal, la présence de gènes présentant de fortes homologies de structure avec les gènes homéotiques de la Drosophile et de conclure que ces gènes régulent le développement morphologique des vertébrés. Par ailleurs, ces homologies entre gènes de vertébrés et d'arthropodes doublées de similitudes dans leur organisation chromosomique "démontrent" l'existence d'un ancêtre commun aux vertébrés et aux arthropodes qui aurait vécu il y a environ 600 millions d'années. Tout en traçant notre lien de parenté avec les arthropodes, cette conférence montre aussi à quel point nous sommes différents de ces cousins dont nous nous sommes séparés il y a environ 600 millions d'années. On voit donc apparaître ici deux stratégies d'adaptation. Chez les invertébrés, la forme adulte de l'organisme et ses comportements sont presque présents dans la structure génétique. Chez les vertébrés, les stratégies de développement, tout en définissant un plan contraignant, laissent une grande liberté aux détails de la construction cérébrale dont des aspects importants de la structure se modifient tout au long de l'existence. De ce fait, chez les vertébrés et au plus haut point chez l'homme, c'est l'histoire même des individus qui s'inscrit dans la structure cérébrale par un processus ininterrompu d'individuation.

 

Le développement et l'évolution du système nerveux.

Notre propos traitera d'embryologie, pas d'embryologie humaine bien que certains aspects du développement des autres espèces soient aussi valables pour celui de l'Homme. Nous avons, en effet, beaucoup à partager avec les autres animaux, voire avec les champignons et les plantes.

S'il fallait donner une définition de l'embryologie elle serait relativement simple. L'embryologie est l'ensemble des processus qui mènent de l'oeuf, à partir du moment où le spermatozoïde et l'ovule l'ont formé, à l'organisme adulte ou imago. Ainsi sous le terme d'embryologie, deux processus se confondent ou se superposent :

- fabriquer l'imago c'est-à-dire faire un individu dont la forme est représentative de l'espèce ;

- fabriquer un individu particulier qui diffère des autres membres de son espèce.

Ces deux processus sont inscrits l'un dans l'autre et, selon l'espèces ou l'embranchement – la place occupée dans l'histoire de l'évolution - ils n'ont pas forcément la même importance. Fondamentalement l'embryologie est question de formes et question de temps. À partir d'un oeuf se construit un individu dont la forme, l'imago, est spécifique de l'espèce. Un oeuf c'est une cellule alors qu'un individu c'est plusieurs milliards de cellules. Il y a donc une immense prolifération du nombre de cellules à partir de l'oeuf. Par ailleurs, un individu est constitué de plusieurs types de tissus, musculaire, nerveux, hépatique. Ces tissus se forment à partir de trois feuillets embryonnaires : le mésoderme donnera les muscles et les os, l'ectoderme le système nerveux et la peau, l'endoderme le tube digestif, les poumons et les glandes annexes du tube digestif comme le foie, le pancréas, la thyroïde.

Les résultats sur la première étape de formation du tissu nerveux - l'induction neurale - ont été initialement obtenus chez le crapaud Xénope mais ils sont également vrais pour le poulet, et dans les grandes lignes pour la souris et l'Homme. Au départ, à partir de la cellule initiale, une phase de prolifération mène au stade de la morula, puis de la blastula qui précède la gastrulation et l'induction neurale. La blastula est une sorte de boule creuse avec des cellules à la surface. Le système nerveux va se développer à partir de la surface extérieure dorsale de cette boule. Au cours de la gastrulation cet ectoderme dorsal est induit à devenir de l'ectoderme neural c'est-à-dire à former du système nerveux.

L'induction neurale a été découverte dans les années 1930-40 par Mangold et Spemann à la suite d'expériences dans lesquelles ils greffaient des morceaux d'embryon de Triton blanc dans un embryon de Triton noir, histoire de distinguer tissu receveur et tissu donneur. En prenant une région particulière du Triton blanc et en la greffant dans la région ventrale d'un oeuf de Triton noir, ils se sont rendus compte qu'ils dorsalisaient la région ventrale de ce dernier. Au lieu d'avoir un Triton normalement constitué ils ont obtenu un Triton à deux dos dans lequel il n'y avait pas de partie ventrale. Ils avaient induit la formation d'un deuxième système nerveux central.

À la suite de ces expériences, de nombreux chercheurs ont cherché à identifier la nature moléculaire de ces inducteurs neuraux présents dans cette petite région inductrice et mésodermique qui mise au contact de la région ventrale modifie destin embryonnaire. Cette recherche des inducteurs neuraux qui dure depuis plus de 60 ans n'est - à ce jour - toujours pas totalement aboutie. Dans la suite du développement, le triton s'allonge et à la surface dorsale se constitue une plaque neurale. Cette plaque neurale ne va donner naissance au tube neural qu'après avoir été internalisée par l'embryon.

Dans le développement du système nerveux, comme dans le développement en général, l'information positionnelle joue un rôle très important. On peut voir le système nerveux comme une plaque, une feuille sur laquelle on peut tracer un quadrillage. Une fois qu'elle s'est refermée en tube, la plaque reste quadrillée. Il y a une orientation dorso-ventrale et une orientation antéro-postérieure. Si chacun de ces carrés était défini par l'expression d'une catégorie de gènes, d'un algorithme génétique, on serait capable de définir la position de n'importe quelle cellule à partir de la connaissance des gènes qu'elle exprime. Considérer le système nerveux comme un plan et considérer ce problème de l'information positionnelle comme le problème d'un quadrillage du plan peut aider à comprendre énormément de questions qui sont posées sur la construction du système nerveux.

L'information positionnelle signifie qu'une cellule dans une région donnée, quand le tube neural s'est fermé et différencié, donnera naissance à un type de cellules bien déterminé par exemple spécifique du cortex frontal ou du bas de la moelle épinière. Pourtant, au départ, au moment où la plaque neurale se forme, les cellules sont extrêmement semblables. Beaucoup plus tard, les réseaux neuronaux seront construits. Les neurones sont amenés à envoyer un axone, un prolongement, vers une autre région pour former une synapse, un contact neuronal. La navigation du cône de croissance, la tête chercheuse du neurone, doit être précise. Le cône de croissance doit être capable, dans l'espace tridimensionnel du système nerveux, de retrouver une cible parfois très éloignée. Le quadrillage de l'information positionnelle est fondamental pour que le cône de croissance connaisse sa position et sache où il doit se diriger et quand il doit s'arrêter, c'est-à-dire pour construire un système nerveux fonctionnel.

Nous allons maintenant faire une parenthèse sur le concept d'information positionnelle et ce qu'on appelle les gènes de développement. Les gènes sont d'importance variable. Ainsi les gènes qui contrôlent la forme et la couleur des poils, la couleur des yeux, sont importants d'un point de vue esthétique mais ne sont pas fondamentaux pour ce qui est du développement de l'embryon. Par contre, il existe des classes de gènes dits de développement, qui - eux – sont essentiels pour ce qui est de la forme de l'embryon et de son développement.

La découverte de gènes dont les mutations modifiaient la forme a constitué une avancée considérable dans la compréhension de comment se construit un organisme. La grande percée a eu lieu chez la mouche du vinaigre, Drosophile, chez laquelle des généticiens du début du siècle, surtout l'école de Morgan, ont démontré que certaines mutations pouvaient transformer un organe en un autre, par exemple l'oeil en aile (mutation ophtalmoptera). Ces mutations monstrueuses suggérèrent que les gènes mutés étaient responsables du développement morphogénétique de ces petits amas de cellules embryonnaires qu'on appelle des disques imaginaux à l'origine des différents organes de la mouche. Ces gènes ont été clonés chez la mouche. Ils ont été appelés homéogènes parce que leur

mutation entraîne la transformation de l'organe d'un segment de la mouche en l'organe homologue d'un autre segment (l'aile en oeil ou l'antenne en patte, par exemple). L'existence de ces gènes lie le développement à l'évolution. En effet la compréhension de la transformation d'un organe en un autre permet de comprendre comment se sont formés des monstres au cour de l'évolution. Il est probable que beaucoup de processus de création de nouvelles espèces (les monstres qui ont réussi) sont liés à des modifications du nombre, du lieu d'expression et surtout du temps d'expression de ces gènes qui influent sur le développement morphologique des animaux et des plantes. Ces gènes homéotiques codent pour des facteurs de transcription c'est-à-dire des protéines qui restent dans le noyau des cellules et qui régulent l'expression d'autres gènes. Ce sont des gènes architectes qui contiennent le plan de la mouche et décident de la position des différents organes. Ils régulent d'autres gènes qui, eux, fabriquent réellement les organes. Ces gènes de développement sont au centre de réseaux génétiques. Une des grandes difficultés de la biologie du développement aujourd'hui est de comprendre quels sont les gènes dont l'activité est régulée par les gènes de développement, lesquels sont maintenant pratiquement tous identifiés dans le règne animal.

Chez la mouche, ces gènes de développement sont disposés le long d'un chromosome. Une chose tout à fait étonnante est que les gènes "en avant" du chromosome, en 3', sont exprimés dans les régions les plus antérieures de l'animal et que les gènes en 5', "en arrière" du chromosome, sont exprimés dans les régions les plus postérieures. D'une certaine façon la mouche est représentée sur le chromosome par la disposition des gènes de ce complexe homéotique. Quand le génome passe de la génération x à la génération x+ 1, le plan de l'animal, de l'imago, qu'il va falloir construire est transmis.

Ces facteurs de transcription, produits de ces gènes de développement - gènes du complexe HOM - se fixent à l'ADN car ils doivent réguler l'expression d'autres gènes. Ils se fixent par une petite séquence d'environ 60 acides aminés, appelée l'homéodomaine et codée par l'homéoboîte. Tous ces gènes chez la mouche ont pratiquement la même homéoboîte. Ils constituent donc une famille. Grâce à cette signature de l'homéoboîte cette même famille a été retrouvée chez la souris et chez l'Homme. Chez les vertébrés, ces gènes sont disposés non pas sur un mais sur quatre chromosomes et les gènes de ces quatre complexes HOM/Hox ont à peu près les mêmes propriétés que ceux de la mouche. Ils sont exprimés à l'avant de l'embryon quand ils sont en 3' du chromosome et à l'arrière des axes embryonnaires quand ils sont en 5' du chromosome. En analysant les gènes de mouche et de souris il a été observé que le remplacement d'un gène de mouche par un gène placé à la même position sur un des quatre chromosomes de la souris, permet de réparer la mouche. Cette complémentation marque une homologie à travers l'évolution ou encore une orthologie. À partir de la constatation de ces orthologies, on peut tirer la conclusion qu'il existe un ancêtre commun aux arthropodes et aux vertébrés. Cet ancêtre aurait vécu il y a 600 millions d'années, soit avant l'explosion du précambrien. L'évolution a alors suivi deux voies différentes l'une vers l'embranchement des arthropodes, l'autre vers celui des vertébrés. Deux duplications chromosomiques ont probablement permis la formation des quatre complexes qui sont la signature des vertébrés.

Les gènes que nous venons de décrire n'influent pas directement sur le système nerveux antérieur. Les chercheurs qui s'intéressent au cerveau ont donc utilisé une stratégie très proche en cherchant des gènes s'exprimant dans les ganglions céphaliques de la mouche. Ils ont trouvé à nouveau des gènes de la même famille, codant pour des facteurs de transcription, par exemple orthodenticle ou otd. Ayant découvert ces gènes ils ont regardé si des gènes homologues existaient dans le cerveau de la souris et en ont trouvé. Par exemple otx 1 et otx 2 qui sont assez proches de otd, s'expriment aussi dans les régions antérieures du cortex de la souris et de l'Homme et sont capables de complémenter otd. La suppression, chez la mouche, du gène otd entraîne la perte des structures céphaliques antérieures et, pour certains allèles de otd, des ocelles (trois "yeux" dorsaux). Son remplacement par otx 1 ou otx 2 de souris ou d'Homme restitue à la mouche sa morphologie normale. A l'homologie de structure et de site d'expression dans les régions antérieures du système nerveux, s'ajoute donc la

complémentation fonctionnelle. Ceci suggère très fortement que les régions antérieures existaient chez l'ancêtre commun et peut être même avant. Ainsi l'idée très développée que la céphalisation est un processus tardif de l'évolution est une idée fausse. La génétique du développement nous démontre qu'en fait la tête était là depuis le départ, au moins depuis le moment où nous nous sommes séparés de nos lointains cousins les arthropodes. Pourquoi avons-nous deux gènes otx 1 et otx 2 ? La génétique de la souris est suffisamment évoluée pour qu'on puisse retirer ou ajouter un gène à n'importe quel moment du développement. On parle de perte ou gain de fonction. La délétion de otx 2 donne une souris sans tête, c'est-à-dire sans système nerveux antérieur. C'est létal. Celle de otx 1 laisse un cerveau presque normal mais aminci du côté temporal et la souris fait des crises d'épilepsie. Surtout, elle perd le canal latéral semi-circulaire de l'oreille interne, structure qui au cours de l'évolution apparaît avec la transition des poissons sans machoires (agnathes) aux gnathostomes. Si on remplace otx 2 par otx 1 la souris commence à faire son système nerveux

mais elle ne le maintient pas. Si on remplace otx 1 par otx 2 on restitue presque toutes les fonctions de otx 1 sauf le développement du canal latéral semi-circulaire de l'oreille interne. Cela suggère qu'au départ il y avait uniquement otx 2 (orthologue de otd). Une duplication de otx 2 a rendu possible la formation de son paralogue otx 1 dont l'évolution a apporté des gains de fonction associés au passage des agnathes aux gnathostomes. L'étude des gènes de développement permet donc non seulement de comprendre le développement des organismes mais aussi l'évolution des espèces. Une nouvelle discipline est née "l'évodévo" ou développement/évolution. Il existe une très grande quantité de gènes exprimés dans les régions antéro-postérieures et dorso-ventrales du système nerveux de telle sorte que si on prend un système nerveux aplati sur lequel on trace un quadrillage, chaque région peut être définie par une combinatoire d'expression de gènes de développement. C'est en fonction de cette information positionnelle que les cellules vont donner naissance aux différents organes.

L'étape suivante dans la formation du système nerveux après la formation du tube neural à partir de la plaque neurale qui s'est refermée, c'est de le faire grossir. À partir d'une ou deux rangées de cellules il faut construire, par exemple, un cortex de 2 m2 chez Homo sapiens. Les différentes zones de cette surface ne sont pas homogènes, elles ne sont pas dévolues aux mêmes fonctions : il existe des aires olfactives, des aires associatives, des aires auditives, des aires visuelles, etc. Au cours de l'évolution la surface du cortex a augmenté et s'est régionalisée. Plis et circonvolutions permettent de tout empaqueter dans la boîte crânienne. L'augmentation générale de surface et celle ds surfaces dévolues aux fonctions spécifiques ont probablement varié à la suite de mutations de gènes de développement régulant prolifération et survie cellulaire dans des régions particulières. Par exemple, les surfaces allouées aux fonctions dites cognitives, associatives, ou permettant la maîtrise du langage, ont augmenté chez Homo sapiens plus que chez nos cousins les primates. Après la régionalisation du système nerveux, la deuxième période de ce développement permet donc la multiplication des cellules, l'organisation du cortex en six couches, la formation de toutes les structures cérébrales, la navigation axonale, la formation des synapses. Les mécanismes d'orientation d'une cellule migrante ou du cône de croissance d'un axone d'une cellule nerveuse ne sont pas encore connus même si nous savons qu'ils ont partie liée avec la lecture de l'information positionnelle, donc l'expression des gènes de développement.

Nous allons maintenant passer à des aspects un peu plus généraux. Nous avons vu tout à l'heure que nous avions au niveau chromosomique quatre représentations du corps, ce qu'on appelle des homonculus génétiques ou représentations génomiques du plan du corps. Ce plan du corps est marqué par la localisation de ces gènes de développement le long des chromosomes et par leur domaine d'expression spatio-temporel. Le cerveau est lui-même l'objet d'une construction génétique soumise à une régulation épigénétique. Par exemple, il existe dans le cortex sensoriel - sous la forme de réseaux neuronaux - une représentation du corps (donc à caractère génétique car reproduisant l'imago), mais cette représentation est déformée épigénétiquement car les régions les plus innervées sur le plan sensoriel mobilisent le plus grand nombre de neurones. La stimulation sensorielle "anime et déforme" un ensemble de neurones qui sont, pas exemple, "la main dans le cerveau".

Les réseaux neuronaux sont construits en fonction, à la fois d'une contrainte génétique, il s'agit d'un homonculus spécifique de l'espèce, et d'un environnement sensoriel. Si on coupe les afférences sensorielles, on perd le développement correct des représentations du corps au niveau du cortex. Si, chez la souris, à la naissance, on ôte les vibrisses (récepteurs sensoriels sur le museau), ils ne seront pas représentés dans le cortex, le membre sera absent. L'usage et l'influence de l'environnement sur tous les systèmes sensoriels modifient donc pour chaque individu la construction de ses représentations au niveau du système nerveux central. C'est ce qu'on appelle l'épigenèse, processus par lequel bien qu'appartenant à une même espèce, tous les individus sont différents. Le cerveau est capable d'engrammer une histoire individuelle, affective, sensorielle, une histoire de nos stimulations par le milieu. Plus nous sommes stimulés, plus nous développons des constructions épigénétiques variées. C'est vrai chez l'enfant, chez l'adolescent mais aussi chez l'adulte. En effet, une des grandes innovations des vertébrés est d'avoir gardé un système nerveux embryonnaire chez l'adulte. Ainsi, l'épigenèse se construit-elle à partir des nouveaux neurones, des arborisations neuritiques qui se

déforment, des synapses qui se font et se défont. Elle est un processus d'adaptation qui se

poursuit toute la vie. Le fait d'être du côté des arthropodes ou de celui des vertébrés a des conséquences fondamentales sur les stratégies d'adaptation. Nous partageons beaucoup avec les mouches, avec les vers et toute les études sur ces organismes sont extraordinairement importantes pour comprendre comment fonctionne et comment se construit le système nerveux des vertébrés.

Mais les logiques de nos stratégies adaptatives sont très différentes. Dans l'embranchement des arthropodes, notre grand concurrent au niveau de l'évolution, l'adaptation se fait de façon presque purement génétique. Il y a très peu d'individuation. La construction de l'individu n'est jamais très éloignée de celle de son génome. Chez les vertébrés, et encore plus chez nous parce que nous avons des systèmes de communication qui sont très riches de sens, le langage en particulier, l'adaptation ne se fait pas au niveau de la sélection de clones, elle se fait au niveau de la variabilité de l'individu, de son évolution.

L'adaptation se fait par individuation

Le système nerveux d'un individu au temps t et au temps t+δt n'est pas le même, il a évolué. L'intensité des synapses, leur nombre, le nombre de cellules, l'organisation des réseaux auront varié. Cette variation de structure biologique correspond à une évolution de l'objet, une adaptation à son milieu, une réponse à son histoire. Il y a donc de la plasticité chez l'adulte, dans certaines limites bien entendu, et cette plasticité est très certainement liée à l'expression continuée de ces même gènes de développement qui sont responsables non seulement de l'évolution, non seulement de la mise en place des grandes structures cérébrales (cortex, cervelet, moelle épinière), mais aussi de la plasticité permanente du système morphologique y compris à l'âge adulte.

La plasticité implique que de nombreuses cellules naissent, se différencient et meurent. Il existe des cellules souches dans la peau, le foie, le système hématopoïétique/immunitaire mais aussi dans le système nerveux central. Les premières ont été trouvées dans le bulbe olfactif : les interneurones du bulbe olfactif se reproduisent environ une fois par mois à partir de la zone sous-ventriculaire qui est une structure corticale située à l'avant du cerveau dont les cellules migrent pour aller envahir le bulbe. Ces cellules souches prolifèrent, migrent, se différencient comme des neurones normaux au cour du développement embryonnaire. Puis des cellules souches ont été repérées dans l'hippocampe, une structure à l'arrière du cortex qui est d'une grande importance pour la mémoire spatiale. Dans nombre de maladies neurodégénératives il y a perte de cellules au niveau de l'hippocampe. Très récemment des cellules souches ont été trouvées dans le cortex associatif du macaque. C'est une des régions la plus importante pour la mémorisation, la construction de souvenirs, pour la pensée d'une certaine façon. Le développement embryonnaire se poursuit donc sous une forme silencieuse chez l'adulte par la génération de nouvelles cellules souches qui vont migrer, se différencier et s'insérer dans des nouveaux réseaux neuronaux de la naissance à la mort. C'est une des bases de notre capacité à apprendre, de notre force d'adaptation, au niveau individuel, face aux défis qui nous sont apportés par les modifications de l'environnement physique et affectif. La question du vieillissement est donc à reposer. Pour certains, le vieillissement est une perte de fonctions à partir d'un âge idéal, une sorte de gain d'entropie catastrophique. Il peut être vu, aussi,

comme l'accumulation d'accidents du développement chez l'adulte. La biologie du développement pourrait donc nous donner des clés pour comprendre ce qu'est le vieillissement chez l'animal adulte et ce que sont de nombreuses maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer.



En conclusion, revenons sur ce que ces résultats rapportés de façon extrêmement schématiques nous disent sur ce qu'on appelle "pensée". Il existe beaucoup de confusions sur le terme de "pensée". La pensée n'est pas une substance, elle n'est pas un mécanisme. Pour un biologiste, la pensée est le rapport adaptatif que tout corps vivant entretient avec son milieu. Les arthropodes, les invertébrés, ont une pensée qui est très génétique : leur rapport au milieu est fixé, très proche de leur génome. C'est une contrainte mais c'est peut-être aussi un succès parce qu'ils se développent de façon clonale. Des mutations favorables peuvent être reproduites très vite. La connaissance que nous avons des arthropodes, dans un certain sens soutiennent les thèses sociobiologiques. Si on veut bien admettre que la pensée est le rapport adaptatif à son milieu, alors, tous les êtres, animaux et plantes, pensent. Chez les vertébrés et au plus haut point chez Homo sapiens, le milieu modifie la structure. Nos gènes font que nous sommes Homo sapiens mais ils nous donnent une très grande liberté par rapport au milieu. L'évolution a sélectionné une stratégie de développement qui fait que

chaque individu peut se modifier au cours de sa vie, qu'il bénéficie d'une très grande liberté épigénétique. C'est une des bases du succès et de l'adaptation de l'espèce humaine, encore que, sans vouloir être pessimiste, après 200 000 ans d'existence à peine, nous ne savons pas vers quoi mènera ce perfectionnement extraordinaire des mécanismes épigénétiques. Enfin, nous pouvons nous adapter par individuation mais aussi par l'invention d'artefacts comme la culture qui est, avec la mémoire génétique et la mémoire individuelle, la troisième et dernière forme de mémoire à laquelle nous pouvons nous référer pour penser le vivant.

 

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LA NOTION D'ÉVOLUTION

 

 

 

 

 

 

 

LA NOTION D'ÉVOLUTION

« Rien n'a de sens en biologie si ce n'est à la lumière de l'évolution ». Cet adage célèbre de Th Dobzhansky prend encore plus de valeur quand on se rend compte à quel point la notion d'évolution a été difficile à faire émerger. En effet, au 18ème siècle, de nombreuses idées fausses, comme le créationnisme, l'échelle des êtres, les métamorphoses, la génération spontanée, empêchaient la constitution d'une biologie cohérente. Pas à pas, principalement par la réfutation de ces dernières, un environnement propice à l'apparition du transformisme s'est constitué. Avec Charles Darwin, au milieu du 19ème siècle, un cadre théorique cohérent se met en place à partir des deux concepts-clés que sont la descendance avec modification et la sélection naturelle. Mais il faudra attendre presque un demi-siècle pour que la génétique puisse asseoir une théorie que l'on baptisera du terme de « théorie synthétique » à l'aube de la Seconde Guerre Mondiale. Ce cadre conceptuel va connaître diverses révolutions qui vont susciter de vastes discussions, parfois houleuses. Avec la cladistique, la classification se trouve bouleversée ; le gradualisme est remis en cause par le concept d'équilibre ponctué et le renouveau du catastrophisme en paléontologie ; l'accès au génome permet de mieux comprendre ce qu'est la nouveauté génétique, en particulier au niveau des gènes de développement ; on se rend compte que la sélection ne joue pas sur tous les caractères… C'est donc une notion de l'évolution, complexe mais cohérente, qui émerge à la fin du 20ème siècle. Les implications philosophiques sont importantes. Mais peut-être que l'une des idées les plus fortes consiste à comprendre que l'originalité géologique de la planète Terre est continuellement sous la dépendance du vivant. Hervé Le Guyader, Professeur à l'Université P. & M. Curie

Texte de la 429e conférence de l'Université de tous les savoirs, donnée le 7 juillet 2002

Hervé Le Guyader, "La notion d'évolution"

Pour présenter la notion d'évolution, j'ai choisi d'adopter une démarche historique, en singularisant différents points autour de périodes clés.
Premièrement, je présenterai quelques éléments importants des XVIIe et XVIIIe siècles qui permettent d'arriver à la conception d'un individu clé, Lamarck, date clé : 1829, publication de sa Philosophie zoologique. Le deuxième individu important est Darwin, date clé : 1859, publication de l' Origine des espèces. La troisième date clé se situe aux alentours de 1940, quand la Théorie synthétique de l'évolution est développée. Enfin, j'exposerai quelques éléments de l'après guerre, qui, à mon sens, montrent comment tout ce qui gravite autour des théories de l'évolution se met en place.
En introduction, j'attire votre attention sur cette citation d'Ernst Mayr qui compare les biologistes et les physiciens : « Au lieu de créer et de donner des lois comme le font les physiciens, les biologistes interprètent leurs données dans un cadre conceptuel »
Ce cadre conceptuel, c'est la notion d'évolution, qui se construit pas à pas, à force de discussions, controverses, voire même d'altercations, de progrès conceptuels ou expérimentaux.
Actuellement, ce cadre conceptuel devient extrêmement compliqué. Néanmoins, il s'en dégage quelques idées directrices.
I. L'apparition du transformisme
Je vous présente tout d'abord comment l'idée, non pas d'évolution, mais de transformisme, est apparue.
En premier lieu, je tiens à insister sur un point. En histoire, on montre souvent l'apparition de concepts « nouveaux » - sous entendu : avant, il n'existait rien. De plus, on attache souvent l'apparition d'un concept à un individu clé, considéré comme un génie. En réalité, ce génie, cet individu clé, ne représente la plupart du temps que le courant de l'époque, et ne fait « que » cristalliser une idée, qui existe néanmoins chez ses contemporains.
Pour que l'idée du transformisme apparaisse, deux mouvements se sont produits en même temps. La première avancée concerne la réfutation d'idées erronées. Ces idées, tant qu'elles n'étaient pas réfutées, empêchaient l'émergence de la notion de transformisme. Concomitamment, de nouveaux concepts apparaissent.
A. Les obstacles au transformisme
1. La métamorphose
Parmi les concepts erronés, celui de métamorphose est l'un des plus importants. Une planche extraite d'un livre d'Ulisse Aldrovandi (1522 - 1605) (fig.1), édité en 1606, illustre cette idée. Elle représente des crustacés, qui appartiennent à la classe des cirripèdes : des anatifes, crustacés fixés par un pédoncule, et dont le corps est contenu dans une sorte de coquille formée de plaques calcaires.
Cette planche montre comment on concevait le devenir de ces coquillages : selon Aldrovandi, les anatifes peuvent se transformer en canards ! Les cirres devenaient les plumes, le pédoncule, le cou, et la tête du canard correspond à l'endroit de fixation. J'aurais pu vous citer bien d'autres exemples de la sorte... D'ailleurs, ceux qui ont fait du latin reconnaîtront peut-être dans le terme actuel pour désigner une de ces espèces, Lepas anatifera, le terme anatifera qui signifie « qui porte des canards ».
Ainsi, dans les esprits d'alors, les animaux pouvaient se transformer les uns en les autres, un crustacé en canard, parmi une foultitude d'exemples. On concevait également des passages du monde végétal au monde animal... Tout était imaginable !
Dans ces conditions, il était impossible que l'idée d'un processus historique puisse apparaître. Ces exemples de métamorphose sont rencontrés jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Puis chacun des exemples de métamorphose est tour à tour réfuté. La notion-même devient progressivement la notion biologique actuelle - la métamorphose par mues des insectes et le passage têtard-adulte des batraciens.
2. La génération spontanée
La deuxième idée, la notion de génération spontanée, n'est pas caractéristique des XVIIe et XVIIIe siècles. Il faudra attendre Louis Pasteur (1822 - 1895) pour qu'elle soit complètement anéantie. En termes actuels, la notion de génération spontanée consiste en ce que de la « matière inanimée » puisse s'animer et produire des êtres vivants. L'abbé Lazzaro Spallanzani (1729-1799) est un homme clé parmi ceux qui ont démontré que la génération spontanée n'existe pas, du moins au niveau des organismes de grandes tailles : souris, insectes... etc. Cependant, il faudra attendre la controverse de 1862 entre Pasteur et Pouchet pour que cette notion disparaisse également au niveau des microorganismes. Retenons qu'au XVIIIe siècle cette notion ne persistera qu'à l'égard des « animalcules », les petits organismes.
3. L'Echelle des Êtres
La notion d'Echelle des Êtres existe déjà chez Aristote. Cette notion traverse tout le Moyen- Age, puis est remise en valeur par Gottfried Leibniz (1646-1716) et reprise par le biologiste Charles Bonnet (1720-1793).
La planche (fig 2) figure cette conception du monde : au bas de l'échelle, se situent les quatre éléments : feu, air, terre, eau. Des terres, on monte vers les cristaux et les métaux. Ensuite, on progresse vers le corail, les polypes, les champignons, jusqu'aux végétaux, insectes et coquillages. Certaines hiérarchies peuvent paraître étranges : les serpents d'abord, les poissons ensuite. Plus haut encore, les poissons, dominés par les poissons volants, qui conduisent aux oiseaux (!) ; puis des oiseaux, on parvient aux quadrupèdes et, qui se situe au sommet de l'échelle ? Bien naturellement : l'homme.
Ce concept était très ancré avant la Révolution. Un extrait d'un poème d'Ecouchard le Brun (1760) illustre comment les lettrés concevaient les relations entre êtres vivants :
« Tous les corps sont liés dans la chaîne de l'Être.
La nature partout se précède et se suit.
[...]
Dans un ordre constant ses pas développés
Ne s'emportant jamais à des bonds escarpés.
De l'homme aux animaux rapprochant la distance,
Voyez l'homme du Bois lier leur existence.
Du corail incertain, ni plante, ni minéral,
Revenez au Polype, insecte végétal. »

Tout était mêlé, avec une notion de progrès. Cette échelle des Êtres vivants est un concept qu'il a fallu discuter longuement, avant qu'il ne soit réfuté.
Cette notion d'Echelle des Êtres, il faut le souligner, est une notion quasi intuitive que tout individu développe. Il ne faut pas se focaliser sur son aspect historique ou archaïque. Chacun, de façon « naturelle », s'imagine être au sommet d'une Echelle des Êtres et conçoit une hiérarchie qui le lie à des subordonnés.
4. L'échelle de temps
Dernière conception à réfuter, la notion de temps. Avant la Révolution, l'échelle des temps reste une échelle biblique. Différents théologiens anglicans ont longuement calculé le temps qui les séparait de la création du monde, à partir des généalogies bibliques. Ils n'étaient pas tous d'accord, à une centaine d'années près, mais s'accordaient autour de 6 000 ans. Comment une idée d'évolution aurait-elle pu germer dans les esprits avec une marge de temps aussi courte ?
L'un de ceux qui réfutent cette idée, c'est Georges Buffon (1707-1788). Il propose une dizaine de milliers d'années, puis une centaine de milliers d'années. Enfin, dans sa correspondance, il émet l'idée que, peut être, la vie serait apparue il y a plusieurs millions d'années. C'est donc à cette époque que naît l'idée d'un temps long, en lien avec le développement de la géologie de l'époque.
B. Les nouvelles idées
A présent, quelles sont les nouvelles propositions ? Trois notions sont essentielles pour que les concepts de transformisme et d'évolution puissent apparaître.
1. L'unicité de la classification naturelle
Depuis Aristote au moins, les hommes ont voulu classer les organismes. Initialement, cette classification a principalement occupé les botanistes.
Aux XVe et XVIe siècles, on se retrouve avec une multitude de systèmes et de méthodes de classification. La bibliothèque du Muséum d'Histoire Naturelle en conserve une centaine dans ses vieux livres. S'il en reste tant actuellement, il en existait au minimum 500 à 600 en Europe, à cette époque.
Carl von Linné (1707-1778), comme les savants de cette époque, est un grand lecteur : il connaît toutes les tentatives réalisées par ses contemporains. Brusquement, il lui apparaît quelque chose d'assez extraordinaire. En effet, lorsque le travail de classification est mené correctement, en bonne logique, d'après de bons caractères, à chaque fois les grandes familles de la botanique ressortent : liliacées, orchidacées, rosacées... etc. Linné remarque que ces multiples tentatives conduisent à une même classification, un même ordonnancement. Tout se passe comme s'il existait une unité qui représente un ordre de la Nature. L'objectif est désormais de décrire cet ordre par une classification naturelle. Cette classification est nécessairement unique, car il n'y a qu'un ordre dans la Nature. Dans le contexte judéo-chrétien de l'époque, Linné imaginait que cette classification naturelle représentait l'ordre de la création.

Cette unicité de la classification est une idée extrêmement forte, comme on le verra avec Darwin. Elle change le sens de la classification - non plus seulement ranger les organismes, mais trouver une unité au monde du vivant.
2. Le concept d'homologie
Le concept d'homologie est mis au point par Etienne Geoffroy St Hilaire (1772-1844). Il utilise des travaux de botanique et bâtit un concept repris par Cuvier quasi en même temps : le concept de plan d'organisation. Cette idée de plan d'organisation, bien antérieure à Geoffroy St Hilaire, est fondamentale. Elle met en évidence que certains êtres vivants sont organisés de la même façon. Cuvier présente quatre plans d'organisation différents pour l'ensemble du règne animal - par exemple, le plan d'organisation des vertébrés.
A partir de ces plans d'organisation, Geoffroy St Hilaire construit un outil très performant pour l'anatomie comparée. Il crée, bien que ce ne soit pas le terme qu'il emploie, le concept d'homologie. Il affirme la nécessité, si on souhaite comparer les organismes, de savoir quels sont les "bons" organes que l'on compare : comment savoir si on compare les « mêmes » organes chez deux organismes différents ? Geoffroy Saint-Hilaire essaie, tout simplement, de trouver des organes qui occupent la même situation dans un plan d'organisation. Par exemple, en observant les membres antérieurs de vertébrés quadrupèdes (fig 3), on remarque qu'à chaque fois, le cubitus, entre autres, se trouve au même endroit dans le membre, même si la forme, la fonction de ce membre changent entre ces animaux.
Ce concept d'homologie permet de comparer de façon pertinente les organismes, ce qui est la condition pour proposer une bonne systématique.
3. La mort des espèces
En plus du concept d'homologie, George Cuvier (1769-1832) apporte une autre notion, qui a un impact considérable. Il démontre, par la paléontologie, que les espèces meurent. Grâce à des fossiles de vertébrés, en particulier ceux du gypse de Montmartre, il prouve qu'il existait des animaux qui n'existent plus actuellement dans le monde, c'est-à-dire que les espèces disparaissent.
Ce concept de mort des espèces a été une révolution extrêmement importante à l'époque, au tout début du XVIIIesiècle. Cet extrait de La peau de chagrin, de Balzac, illustre la portée de ce concept dans le monde des lettres :
« Cuvier n'est-il pas le plus grand poète de notre siècle. Notre immortel naturaliste a reconstruit des mondes avec des os blanchis. Il fouille une parcelle de gypse, y perçoit une empreinte et vous crie : « Voyez ! ». Soudain, les marbres s'animalisent, la mort se vivifie, le monde se déroule »
Brusquement, l'idée apparaît que des mondes, qui n'existent plus, existaient; le monde « se déroule » ; on verra qu'il « évolue ».
C. Lamarck et le transformisme
1. Logique et transformisme
Pour résumer, si vous réfutez les métamorphoses, si vous abandonnez le concept de génération spontanée, si vous allongez l'échelle de temps, si vous relativisez l'Echelle des Êtres, si vous imaginez une unité de classification, si vous concevez les concepts d'homologie et de plan d'organisation et si vous acceptez l'idée de mort des espèces, vous ne pouvez que suivre Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), puis proposer de conserver avec lui la notion de transformisme.
Pourquoi ? Très brièvement, si on suit un raisonnement logique, il ne reste que deux possibilités pour réunir ces idées. Soit on reste créationniste : il faut alors nécessairement imaginer des créations multiples. Or, cela ne figure pas dans la Bible, qui ne mentionne qu'une seule création. Soit, on opte pour une seconde possibilité : les espèces se transforment les unes en les autres. Une troisième possibilité a été retenue par quelques théologiens : le stock des espèces allait en s'amenuisant - ce qui, d'après eux, n'était pas important, puisque seul l'homme a une valeur. Cette dernière théorie a eu très peu d'impact.
2. La théorie de Lamarck
Lamarck présente une classification. Il a l'idée remarquable, même si elle a été réfutée plus tard, de séparer vertébrés et invertébrés. Au niveau des animaux, il construit ce qui reste une échelle des Êtres. Il classe les animaux en trois catégories : les animaux apathiques, les animaux sensibles, les animaux intelligents. Cette vision demeure hiérarchisée.
Il imagine une transformation des organismes les uns en les autres (fig 4). Un premier point est fondamental, novateur : Lamarck présente des bifurcations, c'est-à-dire qu'il construit un arbre, une arborescence. A ma connaissance, c'est la première représentation qui rompt ainsi la linéarité de l'échelle des Êtres. Deuxième innovation, les espèces sont reliées par des points (actuellement ce serait symbolisé par des flèches), qui désignent les transformations possibles : les vers en insectes, les poissons en reptiles ou en amphibiens. La limite de la vision de Lamarck se situe à la base de ce réseau de transformations : la génération spontanée alimente le stock des organismes les plus simples - les vers -. Pour expliquer ce schéma, on a utilisé l'image de l'escalier roulant, qui, avec ses arrêts, ses paliers, paraît particulièrement pertinente : elle montre que Lamarck n'a pas une vision historique. Par exemple, au niveau des oiseaux, certains viennent de prendre l'escalier roulant - ils viennent de se transformer -, tandis que d'autres sont là depuis longtemps. Cela signifie que les animaux semblables ne résultent pas d'une même transformation, qui serait survenue à une même date dans le cours de l'histoire.
Il faut retenir, dans la pensée de Lamarck, cette notion de transformation, d'arbre, nourri continuellement par la génération spontanée.
II. Darwin
Sans entrer dans les détails de la vie de Charles Darwin (1809-1882), un élément important pour le développement de sa vision scientifique et pour l'élaboration de l' Origine des espèces (1859) réside dans un tour du monde de presque cinq ans, effectué entre 1831 et 1836. Non seulement Darwin est un très bon naturaliste et un très bon géologue, mais il possède également des notions d'anatomie et d'embryologie comparées.
A. La théorie de L'Origine des Espèces
Pour illustrer la difficulté de recevabilité que rencontra le livre de Darwin à sa publication, voilà le sous- titre donné dans la traduction française. Le titre original anglais est "Origin of species - by means of natural selection" , qui se traduit par : « L'origine des espèces - par les moyens de la sélection naturelle ». Or, dans l'édition française de 1862, ce titre est « traduit » de manière erronée en : « De l'origine des espèces ou des lois du progrès chez les êtres organisés ». Ce sous-titre montre combien la notion de progrès - et d"échelle des espèces" implicite - était profondément ancrée.
La meilleure solution pour exprimer l'idée clé de L'Origine des espèces, c'est d'examiner un extrait qui traduit de manière essentielle le sens que donne Darwin à la notion de classification :
«Le système naturel, c'est-à-dire la classification naturelle, est fondé sur le concept de descendance avec modification... »
Ce concept de «descendance avec modification » est essentiel pour comprendre la pensée de Darwin. Pourtant, si on interroge quelqu'un sur ce qu'a apporté Darwin, il répondra sans doute « la sélection naturelle "». En réalité, il a proposé ces deux idées, liées : sélection naturelle et descendance avec modification. A mon sens, c'est cette dernière idée qui est la plus importante.
« ... sur le concept de descendance avec modification, c'est-à-dire que les caractères que les naturalistes décrivent comme montrant de réelles affinités entre deux ou plusieurs espèces sont ceux qui ont été hérités d'un parent commun. »
Ces caractères auxquels Darwin fait référence, ce sont les caractères homologues de Geoffroy St Hilaire. Ce que propose Darwin, c'est une réponse à la question : pourquoi ces caractères sont-ils homologues ? Parce qu'ils ont été hérités d'un parent commun. Darwin interprète la notion de ressemblance, très prégnante depuis Geoffroy St Hilaire, comme une notion d'héritage de caractères. Il ne remet pas en cause le travail de ces prédécesseurs : il lui donne « seulement » un autre sens.
« Et par conséquent, toute vraie classification est généalogique... »
Enfin, Darwin plonge ce travail dans un continuum temporel. Cette notion de généalogie bouleverse le sens des classifications : désormais, on recherche des relations de parenté :
« ... c'est-à-dire que la communauté de descendance est le lien caché que les naturalistes ont cherché inconsciemment et non quelque plan inconnu de création. »
A l'époque, cette dernière phrase a représenté une provocation extraordinaire !

Pour éclairer le propos de Darwin, voilà la seule illustration présente dans L'Origine des Espèces (fig 5). Premièrement, cette planche dévoile une vision historique : les lignes horizontales représentent des horizons temporels. Cette figure comprend trois concepts importants :
1) des espèces disparaissent - l'idée de Cuvier ;
2) au cours du temps, les espèces peuvent se transformer - l'idée de Lamarck ;
3) des espèces peuvent donner naissance à plusieurs autres espèces.
Si on considère deux espèces après un embranchement, Darwin considère qu'il faut les rapprocher parce qu'elles partagent un ancêtre commun. Or les espèces partagent toujours un ancêtre commun. La différence réside dans la plus ou moins grande proximité de ces ancêtres. Pour Darwin, les organismes se ressemblent beaucoup car ils partagent un ancêtre commun récent. Les organismes très différents partagent un ancêtre commun lointain, à partir duquel il y a eu énormément de temps pour diverger.
B. La première « généalogie » des organismes
Ces concepts proposés par Darwin sont immédiatement repris par un biologiste allemand, Ernst Haeckel (1834 - 1919). Haeckel poursuit ces idées, en les exagérant même un peu.
Il utilise un arbre pour représenter sa classification. Il propose trois règnes : aux deux règnes animal et végétal classiques, il ajoute les protistes (organismes unicellulaires). Son apport fondamental se situe à la base de l'arbre. Pour chacun des règnes, il situe un ancêtre commun hypothétique, et surtout, il met en place un tronc avec une seule racine commune à l'ensemble des êtres vivants-un ancêtre commun à l'ensemble des organismes.
Cette proposition, en 1866, est le premier arbre dit « phylogénétique »- terme créé par Haeckel. Bien que discutée à ses débuts, l'idée essentielle d'origine commune est conservée - elle contient également l'idée d'origine de la vie sur terre -. Le mouvement est lancé : depuis Haeckel, les chercheurs vont « se contenter » de corriger cet arbre. Seules les logiques pour inférer les relations de parenté sont modifiées et améliorées.
C. Les difficultés de Darwin
Il manque des éléments à Darwin pour expliquer les mécanismes soutenant ce double concept de descendance avec modification. Elle contient premièrement l'idée de descendance entre espèces. Darwin n'utilise pas d'échelle des temps. Entre les lignes horizontales de son schéma, il ne s'agit pas d'années, ni de millions d'années : il s'agit de nombres de générations. Selon Darwin, ce qui rythme la vie des organismes, c'est la reproduction sexuée, à l'origine du concept de descendance. Deuxièmement, Darwin suppose que les caractères héréditaires, transmis via la reproduction sexuée, se « transforment »- mais il ignore comment.
Les deux disciplines qui lui manquent sont d'une part la génétique, et d'autre part, l'embryologie.
III. La Théorie synthétique de l'évolution
A. Les bases de la théorie
Un événement scientifique se produit au début du XXe siècle : la redécouverte des lois de Gregor Mendel (1822 - 1884), indépendamment par trois chercheurs : le hollandais Hugo De Vries (1848 - 1935), l'allemand Carl Correns (1864 - 1933), et l'autrichien Erich von Tschermak (1871 - 1962). Redécouverte, certes, mais enrichie d'un nouveau concept essentiel, celui de mutation. Cette idée de mutation permet de concevoir comment les caractères sont à la fois héréditaires et changeants.

A partir de 1905 jusqu'à 1930, se produit un difficile rapprochement entre deux disciplines : la génétique dite « des populations » (l'étude du devenir des fréquences de gènes dans les populations au cours du temps), se rapproche du darwinisme, par l'intermédiaire de la sélection naturelle. Ce rapprochement conduit à la Théorie synthétique de l'évolution. Signalons que cette traduction mot à mot de l'anglais introduit une connotation étrange en français - c'est plutôt une théorie qui fait une synthèse -.
Cinq biologistes de renom participent à cette nouvelle vision de l'évolution. Le premier individu clé est Theodosius Dobzhansky (1900 - 1975), d'origine russe, immigré aux États-Unis. Comme quasi tous les autres protagonistes de cette théorie, il appartient à l'Université de Columbia, à New York. Dobzhansky publie en 1937 un ouvrage intitulé : Genetics and Origin of Species. Cette référence explicite à Darwin traduit bien sa volonté de démontrer, par la génétique, que Darwin avait raison.
Les autres chercheurs impliqués dans cette vision nouvelle sont :
- Julian S. Huxley (1887-1975), généticien ;
- Ernst Mayr, zoologiste, ornithologue, théoricien de la spéciation ;
- George G. Simpson (1902-1984), géologue et paléontologue ;
- Ledyard G. Stebbins, qui travaille sur la spéciation en biologie végétale.

J'ai repris à partir d'un article récent d'Ernst Mayr les principes de base de cette théorie :
Premier principe : l'hérédité est particulaire et d'origine exclusivement génétique. Cela signifie que l'hérédité est portée par des particules-les gènes-qui ne se mélangent pas. En insistant sur l'origine exclusivement génétique, ce principe nie l'idée d'hérédité des caractères acquis, une forme de lamarckisme en vogue à l'époque.
Second principe : il existe une énorme variabilité dans les populations naturelles. Les organismes présentent une grande variabilité des différents gènes, des différents caractères. Cette variabilité intraspécifique permet l'apparition de nouvelles espèces à partir d'une espèce donnée.
Troisième principe : l'évolution se déroule dans des populations distribuées géographiquement. Un des moteurs les plus importants de la spéciation est l'isolement reproducteur. Les populations peuvent se retrouver séparées par des barrières géographiques, de comportement... etc. A partir du moment où une barrière de reproduction apparaît, des populations isolées peuvent donner naissance à des espèces distinctes.
Quatrième principe : l'évolution procède par modification graduelle des populations. L'évolution se fait pas à pas suivant un gradualisme quasi linéaire en fonction du temps. Autrement dit, le taux d'évolution est toujours considéré comme à peu près constant par unité de temps.
Cinquième principe : les changements dans les populations sont le résultat de la sélection naturelle. Les changements de fréquence des gènes et de caractères dans les populations sont provoqués par la sélection naturelle. Cette idée sera remise en question plus tard : la sélection naturelle existe, certes, mais d'autres moteurs de changement seront avancés.

Dernier principe : la macro-évolution n'est que le prolongement dans le temps de ces processus. La macro-évolution désigne les changements importants, les grands bouleversements, en particulier au niveau des animaux - changements de plans d'organisation, etc. Cette macro-évolution n'est considérée ici que comme le prolongement de la micro-évolution - les changements graduels. La macro-évolution n'est que le résultat de petits changements accumulés pendant des dizaines ou des centaines de millions d'années.

La théorie synthétique de l'évolution contredit la notion fondamentale de finalité : elle affirme que l'évolution ne poursuit aucun but. Tout se passe pas à pas, dans un affrontement continuel, au présent, des organismes avec leur environnement, et les uns par rapport aux autres, et non en fonction d'un but précis.
B. La rupture de la cladistique
Cette théorie synthétique de l'évolution a été un nouveau point de départ. Dans les années 1950, plusieurs aspects sont discutés pour parvenir à la vision actuelle.

Premier point clé : cette nouvelle vision modifie la manière de traiter les fossiles en particulier, et l'histoire de la vie sur Terre, en général. Deux éléments illustrent cette notion. Le premier est révélé par un schéma de Simpson, qui, représente par une arborescence les différentes classes de vertébrés, les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons. Malgré Darwin, cet arbre traduit, non pas une recherche de parenté, mais de descendance, de généalogie. Par exemple, l' Ichthyostega est placé de telle sorte qu'on puisse penser qu'il est l'ancêtre de l'ensemble des organismes qui le suivent.
Cette représentation illustre un problème clé : comment retracer les relations de parenté ? Comment se servir des fossiles ? A ces questions, le zoologiste allemand Willy Hennig (1913-1976) propose une nouvelle méthode : la cladistique.
Hennig pense qu'il faut rechercher, non pas des relations de descendance, mais de parenté-les relations de cousinage, en quelque sorte-, et positionner des ancêtres hypothétiques. Pour mettre à jour ces relations de parenté, il faut, parmi les caractères homologues (hérités d'un ancêtre commun), considérer ceux qui correspondent à des innovations. Ces caractères novateurs permettent de rassembler les organismes.
En considérant ces organismes (fig 6), des oiseaux et des reptiles (tortues, lézards et crocodiles), une des innovations héritées d'un ancêtre commun hypothétique est la plume, partagée par l'ensemble des oiseaux. La plume résulte de la transformation de l'écaille épidermique existant chez les organismes reptiliens, à la suite d'un processus évolutif particulier.

Cette démarche, fondée non pas sur un mais plusieurs caractères, permet de construire des arbres phylogénétiques. La méthode consiste à définir des groupes monophylétiques, pas à pas, à partir d'ancêtres hypothétiques communs. Un groupe monophylétique est un groupe qui rassemble un ancêtre et l'ensemble de ses descendants. A l'opposé, un groupe paraphylétique correspond à un ancêtre et une partie de ses descendants.
Pour éclairer ces concepts, considérons cet arbre, relativement juste - relativement car encore sujet de controverse. Cet arbre met évidence un groupe monophylétique, les sauropsides, groupant les oiseaux, les crocodiles, les lézards, les serpents et les tortues. Or, dans la classification "traditionnelle", les reptiles (serpents, lézards, tortues) figurent d'un côté, les oiseaux de l'autre. Cela revient à présenter un groupe monophylétique (les oiseaux) et un groupe paraphylétique (les serpents, les oiseaux et les tortues). Cette dichotomie se fonde sur un ensemble de particularités des oiseaux qui les mettaient, intuitivement, "à part" : la capacité de voler, le plumage... Dans ce cas-là, on occulte la relation de parenté extrêmement importante entre les crocodiles et les oiseaux. Dans le cas contraire, on explicite un groupe monophylétique clé : les archosauriens (crocodiles et oiseaux), ce qui modifie la conception évolutive intuitive.
On aurait "naturellement" tendance à penser que les crocodiles ressemblent plus aux varans ou aux lézards qu'aux oiseaux. Cette méthode met en pièce le concept de ressemblance - en trouvant des caractères (moléculaires ou morpho-anatomiques) qui permettent de positionner des ancêtres hypothétiques communs qui ont apporté des innovations. Dans ce cas particulier, l'innovation est la présence d'un gésier. Ce gésier, connu chez les oiseaux, moins chez les crocodiles, n'est pas présent chez les autres reptiles.

Examinons à présent cet arbre (fig 7), qui représente les archosaures. Deux groupes d'animaux vivent actuellement : les oiseaux et les crocodiliens (ici l'alligator), aux deux extrémités du graphe. D'autres branches sont importantes :
- la branche des ptérosauriens - les « dinosaures » volants ;
- le groupe des dinosaures, divisés en deux branches : ornitischiens et saurischiens ;
- les théropodes.
Contrairement à la figure précédente (fig 6), les fossiles ne figurent pas en tant qu'ancêtres. Ils sont représentés comme apparentés aux autres organismes. Des ancêtres hypothétiques communs sont positionnés. A leur niveau, on fait apparaître les innovations. De cette manière, l'histoire de ces innovations est retracée : à partir d'organismes de "type" dinosaure, on voit l'évolution des différents caractères (tels que la plume, l'évolution des membres, mâchoires...etc.), jusqu'aux oiseaux actuels.
Parmi ces archosaures, seuls existent encore les crocodiles et les oiseaux. Entre ces deux groupes se trouvent tous les dinosaures. Les oiseaux partagent des ancêtres hypothétiques avec quantité de ces dinosaures. On croit que les dinosaures ont disparu. Et bien non ! Quand vous croiserez une volée de pigeons dans les rues de Paris, vous pourrez dire : "nous sommes envahis par les dinosaures !" Tous les oiseaux sont des dinosaures : cette méthode change considérablement la vision intuitive des choses, n'est ce pas ?

Je conclus cet exposé en présentant ce à quoi vous avez échappé :
- Tout d'abord, à la phylogénie moléculaire. Actuellement, tous les organismes de la diversité du vivant peuvent apparaître sur un même arbre : bactérie, animaux, plantes... Cet arbre commence à représenter une bonne vision synthétique du monde vivant.
- Ensuite, à l'évolution du génome. On commence à comprendre comment les innovations, les mutations surviennent au niveau du génome. Elles se produisent principalement par duplication des gènes : des motifs de l'ADN se dupliquent et ces gènes dupliqués peuvent acquérir de nouvelles fonctions. La mise en évidence de ces phénomènes permet de mieux comprendre comment la descendance avec modification se produit. Ce ne sont pas de petites modifications ponctuelles comme on le pensait auparavant.

- Troisième point : la sélection n'agit pas exclusivement au niveau des organismes. Elle opère à tous les niveaux d'organisation. Un exemple très simple est la présence, dans les génomes, de petites unités appelées transposons. Ces transposons se répliquent, indépendamment, envahissent le génome, peuvent passer d'un chromosome à l'autre. Ces transposons participent certainement à la fluidité du génome. Le pourcentage de ces transposons dans le génome est considérable : 40 % du génome humain est composé de ces séquences - des unités « parasites "» puisqu'elles ne participent ni à la construction, ni au fonctionnement de notre organisme. Au niveau végétal, ce chiffre est encore plus important : jusqu'à 75 % du génome de certaines plantes serait envahi de transposons.

- Avant dernier point : l'évolution n'est pas si graduelle, elle se fait souvent par crises. La vitesse d'évolution change. Des crises se sont produites, extrêmement importantes dans l'histoire géologique de la Terre. L'une des plus belles crises est celle du Permien, au cours de laquelle 80 % des espèces auraient disparu. Ces crises d'extinctions ont été suivies de radiations, où des innovations très importantes se produisent.
- Enfin, dernier point qui m'est cher. La notion de progrès devient complètement relative. Les innovations se font sur toutes les branches : il n'existe pas d'organisme plus évolué qu'un autre. Tous les organismes ont parcouru le même temps d'évolution. Seulement, ils n'ont pas évolué dans les mêmes directions, en raison de contraintes différentes, de milieu et de choix de stratégies différentes.
Si on prétend dans un style « d'Echelle des Êtres », qu'il existe de « meilleurs » organismes, c'est qu'on met en exergue un ou plusieurs caractères. Ce n'est pas de la biologie. La biologie considère tous les caractères au même niveau et que la biodiversité est structurée par cette évolution. Dans ces conditions, chaque organisme vaut par lui-même.

 

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Déchiffrer le code de l’ubiquitine au cours de la mitose 

 


 

 

 

 

 

 

Déchiffrer le code de l’ubiquitine au cours de la mitose


L’ubiquitine est une petite protéine qui peut être attachée à des protéines cibles afin de réguler leur devenir comme par exemple lors de la mitose qui permet la création de deux cellules filles identiques à partir d’une cellule mère. De nombreuses combinaisons de molécules d’ubiquitine sont possibles et définissent le « code de l’ubiquitine ». L’équipe d’Izabela Sumara au sein de l’institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire a identifié un mécanisme permettant de déchiffrer ce code dans les cellules humaines au cours de la mitose. Ces travaux sont publiés dans la revue Developmental Cell.

'Au cours de la mitose, les chromosomes, qui contiennent l’information génétique, sont tout d’abord copiés puis partagés de manière égale dans les deux cellules filles. Une mauvaise régulation de ce processus peut contribuer au développement de cancers. L’un des mécanismes importants contrôlant la progression mitotique est l’attachement de la petite protéine ubiquitine à des protéines cibles. L’addition d’ubiquitine (ubiquitination) est une modification transitoire qui peut conduire soit à la dégradation de la protéine cible soit à la régulation de sa fonction. De nombreux arrangements et combinaisons de molécules d’ubiquitine isolées ou sous forme de chaines connectées sont possibles et définissent le « code de l’ubiquitine ». Cependant, les mécanismes cellulaires permettant son décodage dans les cellules humaines au cours de la mitose restent largement inexplorés.
L’équipe d’Izabela Sumara avait identifié au cours d’une étude précédente des évènements d’ubiquitination contrôlant des protéines kinases essentielles pour la progression mitotique. Les chercheurs avaient démontré que l’addition d’une molécule d’ubiquitine régule la fonction de ces enzymes cruciales et les relocalise dans des structures subcellulaires spécifiques. Toutefois, la manière exacte dont l’ajout d’ubiquitine régule la mitose ainsi que les mécanismes par lesquels ces signaux peuvent être décodés, demeurait inconnue.

En collaboration avec la plateforme de criblage haut-débit de l’institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire, les chercheurs ont réalisé un criblage non biaisé, par ARN interférents, de tous les récepteurs protéiques connus et prédits de l’ubiquitine. Il existe environ 200 récepteurs de l’ubiquitine dans les cellules humaines qui peuvent spécifiquement reconnaitre des substrats ubiquitinés et moduler leur fonction. Cette analyse a permis l’identification de la protéine de liaison à l’ubiquitine appelée UBASH3B.
UBASH3B avait été précédemment montrée comme dérégulée dans des cancers humains mais n’avait jamais été reliée à la progression mitotique. Les chercheurs ont pu déterminer qu’UBASH3B est essentielle pour la ségrégation correcte des chromosomes pendant la mitose. De plus, UBASH3B interagit directement avec la forme ubiquitinée d’AURORA B, une des kinases les plus importantes régulant la ségrégation chromosomique lors de la mitose. Par cette interaction, UBASH3B contrôle la localisation subcellulaire d’AURORA B, sans modifier son niveau d’expression. UBASH3B est un facteur essentiel, à la fois requis mais également suffisant, pour induire le recrutement d’AURORA B sur les microtubules des fuseaux mitotiques qui régule la vitesse et la précision de la ségrégation chromosomique.
Cette étude identifie la première protéine réceptrice de l’ubiquitine mitotique dans les cellules humaines et montre de quelle manière le « code de l’ubiquitine » peut être déchiffré au cours de la division mitotique. Ces résultats peuvent aussi expliquer comment la dérégulation d’UBASH3B contribue au développement de nombreux cancers.


Figure 2: Modèle expliquant le rôle de la protéine de liaison à l’ubiquitine UBASH3B. UBASH3B (en jaune) interagit avec la forme modifiée par l’ubiquitine de la kinase AURORA B (en rouge) et contrôle la localisation d’AURORA B sur les microtubules (traits noirs) pendant l’étape de métaphase. Ce mécanisme est crucial pour la ségrégation correcte des chromosomes (en bleu) au cours de l’étape d’anaphase de la division mitotique.
© Izabela Sumara
 
 
 

En savoir plus
* Ubiquitin Receptor Protein UBASH3B Drives Aurora B Recruitment to Mitotic Microtubules.
Krupina K, Kleiss C, Metzger T, Fournane S, Schmucker S, Hofmann K, Fischer B, Paul N, Porter IM, Raffelsberger W, Poch O, Swedlow JR, Brino L, Sumara I.
Dev Cell. 2016 Jan 11;36(1):63-78. doi: 10.1016/j.devcel.2015.12.017.
  
 



 Contact chercheur
* Izabela Sumara 
Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire
CNRS UMR 7104, Inserm U 964, Université de Strasbourg
1 Rue Laurent Fries
BP 10142
67404 ILLKIRCH CEDEX
Tel: 03 88 65 35 21

 

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Premier film moléculaire en ‘slow motion’ et 3D d’une protéine membranaire, la bactériorhodopsine

 


 

 

 

 

 

Premier film moléculaire en ‘slow motion’ et 3D d’une protéine membranaire, la bactériorhodopsine
 
Une prouesse technique a permis à un consortium international incluant un chercheur de l’Institut de biologie structurale, de montrer comment la protéine bactériorhodopsine utilise la lumière pour transporter des protons à travers la membrane cellulaire pour créer un différentiel de charge qui peut ensuite être utilisé pour générer l’énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule. Cette étude a été publiée le 23 décembre dans la revue Science.

La bactériorhodopsine est une protéine qui absorbe la lumière et transporte des protons à travers les membranes cellulaires, une fonction essentielle des systèmes biologiques. Les chercheurs se sont longtemps interrogés sur le mécanisme que la protéine utilise pour expulser des protons de façon unidirectionnelle, de l’intérieur vers l’extérieur de la cellule. Pour le découvrir, un consortium international de chercheurs a utilisé le laser à électrons libres SACLA localisé au Japon, qui produit un faisceau de rayons X un million de fois plus intense que ceux des sources synchrotron, pourtant déjà très intenses. Les rayons X de SACLA présentent la particularité d’êtres générés pendant un temps extrêmement court, un centième de milliardième de seconde (une dizaine de femtosecondes). Les rayons X sont utilisés pour déterminer la structure de protéines qui traversent le faisceau sous la forme de microcristaux au sein d’un jet de graisse.
Pour cette étude, les chercheurs ont utilisé une technique appelée cristallographie sérielle femtoseconde en temps résolu, avec laquelle ils ont enregistré des dizaines de milliers d’images de la bactériorhodopsine après un intervalle de temps variant entre la nanoseconde et la milliseconde suivant l’excitation de lumière verte. En analysant les données, ils ont pu décrypter le mécanisme qui fait que le protéine expulse des protons hors de la cellule, dans un milieu chargé donc plus positivement. A l’instar d’une pile, c’est ce différentiel de charges qui permet d’alimenter les réactions chimiques qui font vivre la cellule.
Antoine Royant, à l’Institut de Biologie Structurale à Grenoble, a contribué à l’analyse structurale des 13 structures d’états intermédiaires obtenues sur 5 ordres de grandeur d’échelle de temps, et à l’identification du mécanisme d’action de la protéine.
« Cette expérience nous a permis de confirmer les hypothèses proposées au début des années 2000 sur les premières étapes du mécanisme, mais surtout de visualiser en temps réel les différents mouvements d’atome au sein de la bactériorhodopsine et comprendre ainsi comment ils s’enchaînent » explique A. Royant. L’excitation lumineuse entraîne un changement de configuration du rétinal (une forme de la vitamine A), la molécule colorée située au cœur de la protéine. Ce changement force une molécule d’eau structurale à s’en aller, puis un ensemble de réarrangements structuraux de la protéine entraîne l’expulsion d’un proton du côté extracellulaire de la protéine.
« Nous avons enfin compris comment les changements au voisinage du rétinal empêchent le proton de retraverser la protéine. Ce résultat permet d’envisager de comprendre à un très grand niveau de détail le mécanisme de protéines, et donc d’être capables de les utiliser à notre profit » conclut A. Royant.
 

Video : Enchaînement des changements structuraux se produisant du côté extracellulaire du chromophore de la bactériorhodopsine entre 16 ns et 1,725 ms : on observe d'abord l'évolution des variations de densité électronique au sein de la protéine au cours du temps (variation négative en jaune, positive en bleu) puis celle des structures des états intermédiaires (en rouge), superposées successivement sur celle de l'état initial (en violet, partiellement transparent).
© Eriko Nango, Cecilia Wickstrand, Richard Neutze, Antoine Royant
 

Figure : Microcristaux de bactériorhodopsine obtenus en phase cubique de lipides. Les cristaux sont injectés dans le faisceau du laser à électron libre SACLA, et illuminés par un laser vert déclenchant le photocycle de la protéine. Des clichés de diffraction sont enregistrés entre quelques nanosecondes et quelques millisecondes et permettent d’identifier les changements structuraux au sein de la protéine (formée de sept hélices transmembranaires) qui se déroulent au cours de la photoréaction, permettant à des protons d’être expulsés hors de la cellule de façon unidirectionnelle.
© Eriko Nango, Cecilia Wickstrand, Richard Neutze, Antoine Royant
 
 

En savoir plus
* A three-dimensional movie of structural changes in bacteriorhodopsin. 
Nango E, Royant A, Kubo M, Nakane T, Wickstrand C, Kimura T, Tanaka T, Tono K, Song C, Tanaka R, Arima T, Yamashita A, Kobayashi J, Hosaka T, Mizohata E, Nogly P, Sugahara M, Nam D, Nomura T, Shimamura T, Im D, Fujiwara T, Yamanaka Y, Jeon B, Nishizawa T, Oda K, Fukuda M, Andersson R, Båth P, Dods R, Davidsson J, Matsuoka S, Kawatake S, Murata M, Nureki O, Owada S, Kameshima T, Hatsui T, Joti Y, Schertler G, Yabashi M, Bondar AN, Standfuss J, Neutze R, Iwata S. Science. 2016 Dec 23;354(6319):1552-1557. doi: 10.1126/science.aah3497



 Contact chercheur
* Antoine Royant
Institut de Biologie Structurale
CNRS UMR 5075 – CEA – Université Grenoble Alpes
71 avenue des Martyrs
CS 10090
38044 Grenoble Cedex 9
04 76 88 17 46

 

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