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MÉTÉOROLOGIE |
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météorologie
(grec meteôrologia)
Consulter aussi dans le dictionnaire : météorologie
Cet article fait partie du dossier consacré au climat.
Science qui étudie les phénomènes affectant la partie la plus basse de l'atmosphère terrestre (ou troposphère).
1. Définition et enjeux
Étymologiquement, la météorologie est l'étude des « météores », c'est-à-dire de tous les phénomènes physiques se produisant au-dessus de la surface du sol. Au xxe s., la météorologie désigne l'étude des phénomènes atmosphériques, et l'on parle couramment de « sciences de l'atmosphère ».
L'atmosphère constitue un volume immense que l'on serait bien en peine de connaître dans sa totalité à une échelle fine. Son état est éminemment changeant dans le cours de son évolution temporelle et cette connaissance de l'atmosphère, à chaque instant donné, requiert la mise en place de réseaux d'observation aux multiples facettes. Cette tâche d'« observation du temps », qui est dévolue aux différents services météorologiques nationaux, a été complètement transformée par les innovations technologiques de la fin du xxe s. dans les domaines des télécommunications, de l'automatisation de l'observation des grandeurs physiques, de l'informatisation et de l'observation de la Terre à partir des satellites dits « météorologiques ».
2. Historique
2.1. Naissance d’une discipline scientifique
Pendant vingt siècles, la référence en météorologie a été un traité écrit par Aristote, vers 350 avant J.-C., les Météorologiques.
C'est à travers la conception d'instruments de mesure des variables physiques caractérisant l'état thermodynamique de l'air que la connaissance de l'atmosphère se développe : le premier thermomètre est inventé en 1641, le premier baromètre en 1642, le premier anémomètre en 1664, le premier pluviomètre en 1677 et le premier hygromètre en 1780. En France, c'est à la Société royale de médecine qu'il revient de créer, en 1778, le premier réseau d'observation météorologique. En 1852 est fondée la Société météorologique de France, à l'initiative de J. Haeghens, A. Berigny et Ch. Martins.
À partir du milieu du xixe s., la météorologie devient une véritable science physique. L'événement majeur, qui suscite la création d'un réseau météorologique international, est la tempête du 14 novembre 1854, qui envoie par le fond, en mer Noire, une quarantaine de navires français participant au blocus du port de Sébastopol, pendant la guerre de Crimée : début 1855, l'astronome Urbain Le Verrier rend un rapport à Napoléon III établissant clairement que la collecte des observations météorologiques des jours précédant la tempête aurait permis de prévenir les marins du danger qu'ils encouraient et d'éviter cette catastrophe.
2.2. Création d’un réseau météorologique international
À partir de 1860, le télégraphe est utilisé pour la concentration rapide des informations provenant de vingt-quatre stations françaises ; dès 1864, cinquante stations en Europe sont reliées au réseau télégraphique. Le premier congrès météorologique international se réunit à Vienne, en septembre 1873 ; il permet d'harmoniser les observations dans le monde. En France, le Bureau central météorologique (B.C.M.) est créé en 1878, auquel succède, en août 1921, l'Office national météorologique (O.N.M.), puis la Météorologie nationale, ou Météo France, en 1945.
Entre-temps, l'essor de l'aviation, vers 1910, infléchit considérablement les activités des services météorologiques, de plus en plus sollicités pour fournir une assistance aux pilotes. Le concept des fronts, chaud et froid, est inventé en 1917 par le Norvégien Vilhelm Bjerknes. Cependant, il est encore nécessaire d'améliorer les connaissances sur les couches supérieures de l'atmosphère. Aussi, à partir de 1929, des radiosondages sont régulièrement lancés à partir de Trappes (Yvelines), donnant la pression et la température à différents niveaux d'altitude. Le grand public n'est pas oublié : des bulletins météorologiques sont diffusés par l'émetteur radio de la tour Eiffel à partir de 1922. La même année, le Britannique Richardson réalise la première prévision numérique ; le résultat des calculs manuels qu'il effectue est erroné mais le principe du calcul est posé. Le premier satellite météorologique (Tiros 1) est placé en orbite par les États-Unis en 1960. En France, la première prévision opérationnelle est effectuée en 1968.
3. Phénomènes météorologiques
3.1. L'atmosphère terrestre
L'atmosphère terrestre est l'enveloppe gazeuse qui entoure la Terre.
C'est dans la troposphère, la couche la plus basse de l'atmosphère, que se produisent les phénomènes météorologiques. Cette région, où la température décroît avec l'altitude, est limitée par la tropopause (zone où la température ne décroît presque plus), qui se situe vers 10 km d'altitude aux pôles et vers 16 km à l'équateur.
L'air atmosphérique
L'air atmosphérique est un mélange d'air sec, de vapeur d'eau et d'impuretés. L'air sec, mélange de gaz parfaits, se comporte comme un gaz parfait et sa composition ne varie quasiment pas jusqu'à 80 km d'altitude.
Principaux constituants de l'air sec
L'eau peut se trouver sous trois phases différentes dans l'atmosphère : la vapeur d'eau, l'eau liquide ou la glace. La vapeur d'eau est un gaz parfait invisible, sans odeur, sans saveur et incolore.
L'eau joue un rôle très important dans l'atmosphère : elle assure le stockage et le transfert d'énergie à travers l'atmosphère. Lorsque la vapeur d'eau se transforme en eau liquide ou en glace, il y a un dégagement de chaleur. Lors de l'évaporation de l'eau (transformation de l'eau liquide en vapeur d'eau) ou de sa fusion (transformation de la glace en eau liquide ou en vapeur d'eau), il y a absorption de chaleur.
En général, quand la température devient négative, l'eau liquide se transforme en glace. Toutefois, on peut observer des cas où l'eau reste liquide alors que la température est négative (jusqu'à −40 °C) : c'est l'état de surfusion. Cet état est instable : lorsqu'un objet est touché par de l'eau surfondue, l'eau se transforme alors instantanément en glace.
Les impuretés (grains de sable et de poussière, pollens, microdébris végétaux, particules de sel issues des embruns marins, etc.) jouent un rôle très important dans la formation des nuages : ce sont des noyaux de condensation. Les gouttes d'eau et les cristaux de glace des nuages se forment autours des impuretés. Sans elles, les nuages auraient peu de chance de se former.
Les principaux paramètres
L'air est un fluide en perpétuel mouvement. Il subit en permanence des évolutions mécaniques et thermiques. Les météorologistes considèrent que l'atmosphère est constituée d'un nombre infini de volumes élémentaires, appelés particules d'air, qui se caractérisent par un déplacement (le vent), une masse volumique, une température, une pression et une humidité.
Le vent, qui caractérise le mouvement de l'air, est mesuré par la girouette qui indique la direction d'où il vient et par l'anémomètre qui donne sa vitesse (ou force).
La pression correspond au poids de la colonne d'air qui se trouve au-dessus d'un point donné. On la mesure à l'aide d'un baromètre. Elle diminue avec l'altitude et l'on peut ainsi associer à chaque niveau de pression une altitude moyenne.
Principaux niveaux de pression dans l'atmosphère
Au niveau de la mer, la pression « normale » est 1 013,25 hPa. Pour les besoins de la prévision météorologique, les pressions ramenées au niveau de la mer sont tracées sur des cartes isobariques : les zones de hautes pressions (supérieures à 1 015 hPa) sont appelées anticyclones et les zones de basses pressions (inférieures à 1 015 hPa) dépressions.
Il existe une relation importante entre le vent et la pression (loi de Buys-Ballot) : dans l'hémisphère Nord, le vent souffle parallèlement aux isobares (lignes d'égale pression) et laisse les basses pressions sur sa gauche ; c'est l'inverse dans l'hémisphère Sud. Il existe une seconde loi reliant le vent à la pression : plus les isobares sont proches les unes des autres, plus le vent est fort.
La température est relevée à l'aide d'un thermomètre situé dans un abri météorologique pour ne pas subir l'influence directe du vent et du soleil. Elle fluctue en cours de journée en fonction de l'ensoleillement : les températures minimale et maximale de la journée s'observent en général juste après le lever du jour et une heure après la culmination du Soleil.
L'humidité, mesurée à l'aide d'un hygromètre, caractérise la quantité de vapeur d'eau contenue dans l'air atmosphérique. L'air est à saturation lorsqu'il contient son maximum de vapeur d'eau : si on ajoute de la vapeur d'eau, elle se transforme alors en eau liquide ou en glace. La quantité de vapeur d'eau que contient un air saturé est fonction de la température : plus l'air est chaud, plus il peut contenir de vapeur d'eau.
La circulation atmosphérique générale
Bien que l'atmosphère soit en évolution perpétuelle, il est possible d'y observer de grands mouvements.
En éclairant notre planète, le Soleil alimente l'atmosphère en énergie. Comme l'axe des pôles terrestres n'est pas perpendiculaire au plan de révolution de la Terre autour du Soleil, les régions polaires reçoivent moins d'énergie que les régions équatoriales. Ce déséquilibre énergétique engendre de grands mouvements au sein de l'atmosphère afin de la rééquilibrer et crée indirectement sur la Terre des régions anticycloniques et des régions dépressionnaires.
Dans les régions dépressionnaires (entre les latitudes 40° à 65°), les perturbations atmosphériques naissent lors de la mise en phase de tourbillons dans les basses couches et dans la partie supérieure de la troposphère. Une perturbation est constituée d'une dépression avec des fronts chaud et froid qui délimitent des masses d'air chaude et froide. Des nuages et des précipitations sont associés aux fronts.
3.2. Les météores
Selon l'Organisation météorologique mondiale (O.M.M.), un météore est un phénomène observé dans l'atmosphère ou à la surface du sol. Les météores sont classés en quatre catégories : les hydrométéores (dont les nuages), les lithométéores, les photométéores et les électrométéores.
Les hydrométéores
Les nuages
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Les nuages évoluent en permanence. Toutefois, il existe un nombre limité de nuages pour toute la planète. Dans la troposphère, on peut observer seulement 10 genres de nuages, répartis en trois étages dont l'altitude varie selon la latitude.
Altitudes extrêmes des trois étages de la couverture nuageuse
Les hydrométéores autres que les nuages
Les hydrométéores autres que les nuages sont constitués par des particules d'eau (liquide ou solide). Celles-ci peuvent rester en suspension dans l'air, tomber ou se déposer au sol ou sur des objets. Ce sont essentiellement la bruine, la pluie, la neige, la brume (visibilité horizontale inférieure à 5 km), le brouillard (visibilité horizontale inférieure à 1 km), la rosée (dépôt liquide au sol), le givre (dépôt de glace).
Les lithométéores
Les lithométéores sont constitués de particules solides (sable, poussières, cendres, etc.) qui sont en suspension dans l'air ou soulevées par le vent. En général, ils réduisent plus ou moins la visibilité. Les principaux lithométéores sont la fumée, la brume sèche, les tourbillons de poussière, la chasse-poussière ou la chasse-sable (poussière ou sable soulevés par le vent).
Les photométéores
On désigne sous le nom de photométéores des phénomènes optiques (non liés aux décharges électriques) engendrés par la réflexion, la diffraction, la réfraction ou l'interférence avec de la lumière solaire ou lunaire.
Ce sont principalement : l'arc-en-ciel (ensemble d'arcs concentriques violet, bleu, vert, jaune, orangé et rouge), le halo (ensemble d'anneaux lumineux autour du Soleil ou de la Lune), la gloire (ensemble d'anneaux colorés vus sur un nuage, autour de l'ombre de l'observateur), le rayon vert (brièvement observable sur le dessus du Soleil quand celui-ci disparaît à l'horizon).
Les électrométéores
Les éléctrométéores sont des manifestations visibles ou audibles de l'électricité atmosphérique. L'électrométéore le plus fréquent est l'orage, composé d'une ou plusieurs décharges d'électricité atmosphérique se manifestant par une lueur brève et intense (éclair) et par un bruit sec ou un roulement (le tonnerre). Les orages sont associés aux cumulonimbus.
Parmi les autres électrométéores figure le feu de Saint-Elme (petites flammes bleu-violet apparaissant à la pointe des mâts des navires ou des piolets des alpinistes).
4. L'observation météorologique
4.1. Typologie des observations météorologiques
On distingue quatre composantes dans l'observation météorologique :
– les mesures physiques effectuées au-dessus du sol (température de l'air, humidité) ;
– les observations visuelles codifiées, également effectuées à partir du sol (concernant essentiellement les nuages et les hydrométéores) ;
– les mesures en altitude (pression, température, humidité et vent), réalisées à partir des ballons-sondes ;
– les observations faites par télédétection (par satellite et par radar).
Les observations météorologiques quantitatives
Chaque station météorologique, installée en général à proximité d'un aérodrome, réalise, selon un horaire fixé internationalement – le temps universel coordonné (UTC), ou temps du méridien de Greenwich –, et toutes les trois heures (de 0 heure à 21 heures UTC), un ensemble d'observations quantitatives décrivant l'état thermique et dynamique de l'atmosphère immédiatement au-dessus du sol :
– pression atmosphérique (mesurée à l'intérieur de la station) ;
– vitesse et direction du vent (à 10 m au-dessus du sol) ;
– température de l'air et pression partielle de vapeur d'eau (ces deux dernières variables sont mesurées à 2 m au-dessus du sol, à l'intérieur de l'abri météorologique).
Les observations météorologiques visuelles
Ces observations quantitatives, réalisées en un endroit dégagé de tout obstacle (bâtiment, rideau d'arbres), sont complétées par des observations visuelles qui sont ensuite codées :
– la nébulosité (couverture nuageuse) ;
– les types de nuages à trois niveaux d'altitude différents (nuages bas, nuages moyens, nuages élevés), en se conformant à un atlas international des nuages (édité par l'Organisation météorologique mondiale [OMM]) pour la classification ;
– et ce qu'il est convenu d'appeler le temps sensible (présence éventuelle de brouillard, de rosée, de gel au sol, chute de neige, de grêle ou de grésil…).
D'autres observations, davantage destinées au suivi du climat, sont réalisées une ou deux fois par jour :
– nombre d'heures d'ensoleillement, ou durée d'insolation ;
– pluviométrie.
L'équipement en instruments de toutes ces stations météorologiques est standardisé au niveau national.
Les observations météorologiques en altitude
Un nombre beaucoup plus restreint de stations réalisent des observations en altitude par radiosondages. Une sonde standard automatisée mesurant la température, la pression et l'humidité relative, équipée d'un émetteur radio, est accrochée à un ballon ascensionnel gonflé à l'hydrogène ou à l'hélium et muni d'un réflecteur d'ondes radar. Le déplacement de la sonde est repéré tout au long de son ascension, ce qui permet d'en déduire la vitesse et la direction du vent aux altitudes successives du ballon. Les mesures s'interrompent lorsque le ballon éclate, en général à une altitude supérieure à 25 km, et un petit parachute se déploie alors pour ralentir la sonde dans sa chute. Ces observations par radiosondage sont effectuées en principe deux fois par jour (à 0 heure et à 12 heures UTC).
4.2. Les réseaux d'observations météorologiques
Le réseau d'observations synoptiques
La finalité principale de ce réseau est de décrire le plus précisément possible l'état de l'atmosphère, en un instant donné, à la fois en surface (observations réalisées immédiatement au-dessus du sol) et en altitude (radiosondages), d'où la dénomination d'observations synoptiques. En effet, il s'agit non seulement de décrire le temps à cet instant, mais également d'« initialiser » les modèles de prévision numérique qui visent à simuler, à partir d'un état initial connu, l'évolution dynamique de l'atmosphère. Aussi toutes les stations d'observations synoptiques sont-elles tenues de respecter un horaire commun pour les mesures de surface effectuées toutes les trois heures. Ce réseau doit également, pour remplir correctement les missions qui lui sont dévolues, couvrir l'ensemble de la surface terrestre.
Le réseau synoptique international de surface comprend environ 14 000 stations, soit 9 000 stations terrestres et 5 000 autres embarquées sur des navires de commerce sélectionnés. Le réseau synoptique français, couvrant la métropole et les DOM-TOM, comprend 240 stations terrestres et 40 navires. S'y ajoutent un certain nombre de bouées automatiques disséminées sur les zones océaniques, dont les observations sont transmises par voie satellitaire.
Toutes les informations collectées sont ensuite codées pour être immédiatement diffusées et échangées internationalement par l'intermédiaire du système mondial de télécommunications. Certaines zones du globe sont malheureusement mal couvertes, notamment les zones désertiques et océaniques.
Les réseaux de radars météorologiques
Dans les années 1990, Météo France a entrepris d'assurer une couverture radar de l'Hexagone pour les besoins de l'observation du temps. Ces radars météorologiques (qui appartiennent au réseau Aramis) émettent des ondes (de 5 ou 10 cm de longueur d'onde) que les gouttelettes d'eau ont la propriété de réfléchir.
Cette observation radar, utilisée essentiellement pour la prévision à très courte échéance (de 0 à 3 h), permet de repérer les zones pluvieuses et, en distinguant différents niveaux de réflectivité radar, d'identifier les zones où de fortes précipitations sont associées à des phénomènes météorologiques dangereux tels que les orages ou les chutes de grêle.
Chaque radar balaie une zone circulaire de 150 km de rayon autour de son site d'implantation, et les images radar locales numérisées forment une mosaïque couvrant l'ensemble du territoire métropolitain, à l'exception de quelques zones d'ombre, c'est-à-dire non encore couvertes.
Cette image radar composite, renouvelée tous les quarts d'heure, est diffusée en temps réel à tous les centres départementaux de météorologie et à un certain nombre d'utilisateurs extérieurs abonnés à Météotel, service d'information météorologique fonctionnant par relais satellitaire, qu'il est possible de recevoir grâce à une antenne de réception reliée à un ordinateur personnel.
Les satellites météorologiques
Moins de trois ans après le lancement du premier satellite artificiel de la Terre, en octobre 1957, par l'Union soviétique, la NASA (agence spatiale américaine) met en orbite le premier satellite météorologique expérimental, Tiros 1, et jette les bases, l'année suivante, d'un programme opérationnel d'observations météorologiques satellitaires qui fonctionne depuis 1966. Deux types de satellites sont aujourd'hui utilisés par la météorologie : les satellites météorologiques à défilement à orbite basse et les satellites géostationnaires.
Les satellites météorologiques à défilement à orbite basse (environ 800 km d'altitude) quasi polaire
Les satellites météorologiques à défilement à orbite basse font le tour de la Terre en 110 min, et à chaque passage le radiomètre embarqué et pointé vers la Terre scrute un ruban de surface terrestre de plus de 2 000 km de largeur. Le plan de leur orbite ne passe pas tout à fait par l'axe des pôles. De plus, l'inclinaison exacte de l'orbite, qui est fonction de l'altitude de vol, est choisie de telle façon que le mouvement de précession du plan de l'orbite autour de l'axe des pôles (lié au fait que le champ de gravité n'a pas de symétrie sphérique étant donné l'aplatissement du géoïde au niveau des pôles) compense exactement le décalage d'angle de visée du Soleil (de l'ordre de 1° par jour), dépendant de la rotation de la Terre autour du Soleil. La propriété de cette trajectoire est d'être héliosynchrone, c'est-à-dire qu'elle franchit toujours un cercle de latitude donnée à la même heure solaire locale, ce qui permet au satellite d'observer la Terre et son atmosphère jour après jour dans les mêmes conditions d'éclairement.
Les premiers satellites, lancés tant par les États-Unis (série Tiros) que par l'Union soviétique (série Meteor), dans les années 1960, étaient des satellites à défilement.
Les satellites géostationnaires
Placés à une altitude (36 000 km) telle que la force d'inertie d'entraînement équilibre exactement la force de gravité, les satellites géostationnaires sont, contrairement aux précédents, fixes par rapport à un repère tournant avec la Terre. Ils doivent, pour ce faire, obligatoirement être placés au-dessus de l'équateur. Le satellite reste donc en permanence à la verticale d'un même point de la surface du globe (de latitude 0°) et observe toujours la même portion de la surface terrestre, sans couvrir toutefois les régions polaires de haute latitude. Afin d'obtenir une couverture globale de l'atmosphère, un ensemble de cinq satellites géostationnaires espacés en longitude a été conçu, deux étant confiés aux États-Unis, un à l'Europe, un à l'Inde et un au Japon, et ce dans le cadre du GARP (Global Atmospheric Research Programme), qui s'est déroulé au cours des années 1970.
L'Europe, avec l'Agence spatiale européenne (ESA), a lancé son premier satellite météorologique stationnaire, Meteosat, en 1977, au-dessus du golfe de Guinée, au point de longitude 0° (c'est-à-dire sur le méridien de Greenwich). Ce satellite permet d'observer l'atmosphère au-dessus de l'Europe, de l'Afrique, du Moyen-Orient et d'une partie de l'Amérique du Sud. Ses images sont disponibles toutes les demi-heures.
Les observations satellitaires
Ces deux types de satellites permettent d'observer la couverture nuageuse. Ainsi, Meteosat analyse, selon trois bandes spectrales de longueurs d'onde différentes (canal visible, canal « vapeur d'eau » et canal infrarouge thermique), les nuages et l'atmosphère. Le dernier canal permet d'accéder à la température apparente de rayonnement, et donc de détecter les nuages élevés, ou « nuages froids ». La forte répétitivité temporelle de l'imagerie Meteosat (une image dans chaque canal toutes les demi-heures) permet de réaliser des animations et de suivre le déplacement des systèmes nuageux associés aux zones de mauvais temps, voire de détecter la formation d'un cyclone tropical.
Les satellites météorologiques permettent également de « sonder » verticalement l'atmosphère par la combinaison des signaux radiométriques dans des bandes spectrales différentes (distribution verticale de la température et de l'humidité), et de mesurer, moyennant certaines corrections, la température de surface des océans et des continents, et également, à l'aide de certains instruments embarqués, la quantité d'ozone présente dans l'atmosphère, ou l'extension de la banquise polaire.
Les réseaux climatologiques
En complément du réseau synoptique, les services météorologiques nationaux ont implanté, pour une utilisation en climatologie, des stations d'observation, tenues par du personnel bénévole, qui mesurent, en général, une ou deux variables météorologiques (pluviométrie et thermométrie). En France, le réseau pluviométrique comprend environ 3 500 postes effectuant un relevé une fois par jour, soit un point de mesure de la pluie tous les 15 km environ. La densité de ce réseau, auquel s'ajoutent 2 000 postes thermométriques, est sans égale et permet de réaliser des cartographies fines de la pluviométrie et de la thermométrie de la France.
Depuis le millieu des années 1980, des réseaux de stations de mesures automatisées ont été installés dans certaines régions françaises ; en 1990, plus de 400 stations automatiques pouvaient être interrogées en temps légèrement différé. Ces stations peuvent mesurer de 5 à 10 variables quantitatives différentes.
5. La prévision météorologique
Une prévision météorologique consiste à déterminer, à partir des données sur un état initial connu, l'évolution de l'état de l'atmosphère au bout d'un intervalle de temps déterminé (ce que l'on appelle l'« échéance de la prévision »), et ce – en théorie – en tout point de l'atmosphère.
La réalisation d'une prévision du temps est donc complexe : elle comprend plusieurs étapes successives et nécessite l'utilisation d'un certain nombre d'outils. On peut distinguer deux phases dans le processus de réalisation de la prévision :
– la première, entièrement automatisée, est appelée prévision numérique ; elle a pour support physique le supercalculateur ;
– la seconde nécessite l'intervention de l'homme, et son rôle est de transcrire en « temps sensible » les résultats de la prévision numérique et de présenter cette prévision sous une forme intelligible pour ceux qui vont l'utiliser.
5.1. La prévision numérique du temps
Les outils nécessaires à la mise en œuvre de la phase de prévision numérique sont les suivants :
– le Système mondial de télécommunications (S.M.T.), censé concentrer les observations météorologiques provenant du monde entier ;
– une méthode d'analyse numérique de ces données, pouvant fournir la meilleure évaluation possible de l'état initial de l'atmosphère, représentée par des « champs » de variables dont les valeurs sont connues en un certain nombre de points d'une grille tridimensionnelle ;
– un modèle numérique, qui doit « tourner » sur un supercalculateur suffisamment puissant pour fournir le résultat de la prévision numérique dans le temps imparti.
Le système mondial de télécommunications (S.M.T.)
La possibilité de réaliser une observation synoptique de l'atmosphère est la condition nécessaire à une bonne prévision du temps. Mais il ne suffit pas que l'ensemble des stations du réseau réalisent des observations simultanées toutes les trois heures. Encore faut-il que ces observations puissent être diffusées très rapidement sur toute la planète aux différents services météorologiques nationaux. C'est pourquoi un système mondial de télécommunications a été mis en place dans le cadre d'accords internationaux. Les services météorologiques des États membres de l'O.M.M. échangent ainsi leurs informations à travers le système mondial de télécommunications météorologiques.
Trois fonctions sont assignées au réseau de télécommunications, aux niveaux national ou international :
– concentrer en temps réel l'énorme quantité de données brutes d'observation et de mesure en provenance du territoire français et des pays étrangers ;
– traiter très rapidement cette masse d'informations ;
– diffuser les résultats des modèles de prévision.
Toutes les informations sont codées sous forme numérique suivant un système unique établi internationalement (codage par groupes de cinq chiffres). La diffusion de ces données codées sur le S.M.T. doit respecter des procédures très strictes.
L'artère principale de ce réseau mondial de télécommunications est une boucle autour de la Terre reliant des centres « régionaux » : Toulouse (France), Bracknell (Royaume-Uni), Offenbach (Allemagne), Washington (États-Unis), Tokyo (Japon), New Delhi (Inde), Moscou (Russie) et Prague (République tchèque). Chaque centre collecte les données provenant des pays situés dans sa zone de compétence et les insère dans le flux d'informations circulant sur la boucle principale. En sens inverse, ces centres régionaux relaient vers les pays qui leur sont rattachés les données circulant dans la boucle principale. Ainsi, Toulouse exerce la responsabilité de centre régional de télécommunications vis-à-vis de Lisbonne (Portugal), Madrid (Espagne), Dakar (Sénégal), Casablanca (Maroc), Alger (Algérie), Tunis (Tunisie), Rome (Italie) et Bruxelles (Belgique).
L'analyse des données
On part d'une situation où les observations en surface et en altitude sont réparties spatialement de façon irrégulière et ne coïncident pas, bien entendu, avec les points de grille du modèle. Il faut donc réaliser une interpolation spatiale des données de façon à estimer les valeurs, aux points de grille, des champs de variables météorologiques à un instant donné.
Ce processus d'analyse comprend également une phase de vérification de la qualité de l'information et de détection des données qui peuvent être erronées. On relève trois principales sources d'erreur : les défaillances de l'observation humaine et des instruments de mesure, un mauvais codage de l'information, et une localisation géographique des données inexacte. De plus, la qualité de l'information dépend de la précision de la mesure.
La mise en œuvre du modèle d'analyse des données est compliquée par le fait que certaines observations sont réalisées à des heures non synoptiques. C'est le cas notamment des données issues de l'observation satellitaire (profils verticaux, radiances). L'interpolation est faite en combinant deux types d'informations : d'une part les données véritablement observées à l'heure synoptique considérée, d'autre part les données issues d'une prévision à courte échéance réalisée antérieurement par le modèle numérique, ce que l'on appelle l'« ébauche ».
Cette analyse des données, réalisée automatiquement par la mise en œuvre d'un programme informatique spécifique, aboutit à spécifier les valeurs des champs de données d'entrée selon une grille tridimensionnelle. Ces champs subissent ensuite certaines transformations de façon qu'ils constituent un état initial compatible avec les contraintes de mise en œuvre des équations de la météorologie dynamique, et afin d'éviter, notamment, l'apparition d'instabilités numériques dans le modèle.
Les modèles numériques
Un modèle numérique de prévision du temps réalise une simulation mathématique de l'évolution de l'atmosphère, considérée comme un mélange d'air sec et de vapeur d'eau, à partir de son état initial à un instant donné. Il est fondé :
– d'une part, sur la résolution discrétisée d'un système d'équations aux dérivées partielles pour ce qui concerne les processus dynamiques (équations d'équilibre hydrostatique, de conservation de la quantité de mouvement, de continuité pour la conservation de la masse, de thermodynamique pour la conservation de l'énergie, de conservation de la vapeur d'eau, et équation d'état des gaz parfaits) ;
– d'autre part, sur la représentation mathématique des processus physiques « diabatiques », hautement interactifs, tels que les transferts radiatifs, les changements de phase de l'eau et les échanges énergétiques et hydriques entre la surface du sol et l'atmosphère, processus qui se caractérisent tous par des termes de génération ou de dissipation d'énergie.
Un modèle numérique se définit également par :
– son domaine spatial (les modèles sont aujourd'hui globaux, c'est-à-dire qu'ils prennent en compte l'ensemble de la surface terrestre ; ils étaient auparavant hémisphériques) ;
– son temps d'intégration, en général de l'ordre de 10 à 20 min ;
– sa grille horizontale, définie par un intervalle en latitude et un intervalle en longitude ;
– et ses niveaux verticaux (l'atmosphère étant divisée en couches d'inégale épaisseur, entre dix et vingt couches en général).
Le modèle numérique calcule le nouvel état de l'atmosphère (température, humidité, vent et pression) à diverses échéances, espacées de 6, 12 ou 24 h (notamment aux échéances de 24 h, 48 h, 72 h et 96 h). La réalisation de l'ensemble de ces opérations prend environ 6 h. Un second modèle, à domaine limité (Europe) mais à maille fine (35 km), réalise une prévision détaillée sur la France à 36 h d'échéance. L'adaptation locale (ville par ville) des prévisions de température est réalisée, en aval du modèle numérique de prévision proprement dit, à l'aide de méthodes d'adaptation statistique validées sur des séries antérieures d'observations.
5.2. La prévision du « temps sensible » : l'expertise humaine
La réalisation d'une prévision intelligible pour les utilisateurs, et notamment le grand public, ne peut être entièrement réalisée automatiquement. En outre, le temps sensible, c'est-à-dire le temps tel qu'il est perçu par tout un chacun, n'est pas directement prévu par le modèle numérique.
Le météorologiste prévisionniste
Le météorologiste prévisionniste doit positionner sur les cartes isobariques (les cartes sur lesquelles sont tracées les lignes d'égale pression) les fronts chauds et froids, et repérer ainsi les zones de contact entre masses d'air de caractéristiques différentes, celles où l'activité pluvieuse est souvent à son maximum.
Les cartes prévues par le modèle numérique ne constituent qu'une partie de la masse des informations (environ 200 par jour à consulter) à la disposition du prévisionniste, en particulier pour la réalisation de la prévision à très courte échéance (0 à 24 h) ; pour ce type de prévision, l'imagerie satellitaire (Meteosat essentiellement) et l'imagerie radar (mosaïque radar composite sur la France) permettent de positionner spatialement avec précision, à un instant donné, respectivement les zones de forte nébulosité et les zones d'activité pluvieuse, et de suivre leur déplacement de demi-heure en demi-heure.
Le prévisionniste dispose également des observations des stations du réseau synoptique les plus récentes (selon le dernier réseau trihoraire, donc vieilles de moins de trois heures) pointées automatiquement sur un fond de carte. La prévision locale, réalisée par les centres départementaux de la Météorologie, peut ainsi être affinée ; elle alimente les répondeurs météorologiques automatiques, sur lesquels sont enregistrés des messages pour le grand public, d'une durée utile limitée à 2 min 30 s et sont renouvelés trois fois par jour.
Ainsi, le prévisionniste doit faire très rapidement la synthèse d'une masse énorme d'informations, quitte dans certains cas à infléchir, et éventuellement à corriger, selon son expérience, les prévisions des modèles numériques.
La prévision immédiate
Un autre domaine est actuellement en plein développement : celui de la prévision immédiate (de 0 à 6 h d'échéance), où il n'est pas possible, pour l'instant, de mettre en œuvre les modèles numériques. Il s'agit là d'exploiter au mieux les imageries satellitaires et radar, de les manipuler sur console de visualisation, de croiser ces différentes informations avec d'autres, d'origine exogène (par exemple, la localisation des décharges atmosphériques, la foudre), et de suivre le déplacement des systèmes précipitants. Tous les phénomènes de courte durée (rafales, averses, orages, chutes de neige, brouillards matinaux…) entrent dans le domaine de la prévision immédiate.
La prévision des phénomènes dangereux (tempêtes en France métropolitaine, cyclones tropicaux dans les DOM-TOM, par exemple) constitue la responsabilité essentielle des prévisionnistes. Il s'agit alors de protection des personnes et des biens par une alerte la plus précoce possible qu'il faut transmettre aux autorités préfectorales avec des moyens rapides de diffusion.
La synergie entre modèles numériques et expertise humaine a ainsi joué à plein lors de la prévision, réussie, de la tempête des 15 et 16 octobre 1987, qui a dévasté une partie de la Bretagne et le sud de l'Angleterre.
5.3. Les notions d'échelles d'espace et de temps
Tout phénomène atmosphérique peut être repéré dans l'espace et dans le temps : front, orage, chute de grêle ou tornade ont chacun une certaine extension spatiale et des dimensions caractéristiques qui peuvent varier au cours du temps et de leur évolution propre. Ces phénomènes sont également le plus souvent mobiles, et vont donc intéresser l'espace rencontré au cours et le long de leur trajectoire; ils se caractérisent aussi par une certaine durée de vie.
La durée d'un phénomène météorologique
Ainsi, une perturbation météorologique d'ouest (direction d'où vient le vent), phénomène classique intéressant l'Europe occidentale, connaît au cours de sa « vie » une certaine séquence chronologique : elle se développe selon des phases successives au cours desquelles son activité, manifestée par différents phénomènes physiques (formation de nuages, renforcement du vent, précipitations, etc.), varie également en intensité.
À tout phénomène atmosphérique est associée une certaine organisation spatio-temporelle. Par exemple, un tourbillon de poussière observé en été au-dessus d'un chemin desséché aura une extension spatiale de l'ordre du mètre et une durée de vie de l'ordre d'une dizaine de secondes ; une tornade peut avoir un diamètre allant d'une dizaine à une centaine de mètres, et une durée de vie de cinq à trente minutes ; un orage, associé à un nuage de type cumulonimbus, pourra concerner un territoire inscrit dans un cercle dont le diamètre est de quelques kilomètres, et sa durée de vie est typiquement de l'ordre de l'heure.
Taille minimale du phénomène météorologique pouvant être numérisé
Une des premières constatations sur de tels phénomènes est – sans parler de leur prévisibilité – qu'ils pourront échapper totalement aux réseaux d'observation dont les mailles sont les plus serrées (la maille du réseau pluviométrique le plus dense est de 15 km). Au-dessous d'une taille minimale, il est donc exclu que le modèle numérique puisse reproduire des phénomènes tels qu'un orage, a fortiori une tornade, sans parler du tourbillon de poussière. Cette taille minimale va être déterminée par la maille de la grille horizontale utilisée tant par la méthode d'analyse numérique des données initiales que par le modèle numérique de prévision du temps.
Les modèles les plus fins utilisés actuellement de façon opérationnelle en France ont une maille de 35 km. Si l'on prend comme hypothèse qu'un phénomène doit concerner un minimum de 9 points de grille pour pouvoir être représenté par le modèle, on voit que le modèle numérique ne pourra pas représenter explicitement les phénomènes atmosphériques de taille inférieure à la centaine de kilomètres.
6. Institutions nationales et internationales de météorologie
6.1. Météo France
Météo France, établissement public, placé sous la tutelle du ministre chargé des Transports, représente la France au sein de l'O.M.M. Ses principales missions sont la surveillance de l'atmosphère et la prévision du temps, afin notamment de contribuer à la sécurité des personnes et des biens face aux aléas atmosphériques. Il met en œuvre un système d'observations météorologiques, de traitement des données, d'archivage climatologique et de diffusion de l'information météorologique. Il doit notamment satisfaire les besoins en assistance météorologique nécessaires à la sécurité aéronautique.
L'accomplissement de ces missions s'appuie sur une organisation territoriale, tant en métropole que dans les départements, territoires et collectivités d'outre-mer. Six services techniques centraux, sept services extérieurs territoriaux de métropole et six services météorologiques d'outre-mer sont placés sous l'autorité de la direction de Météo France. De plus, celle-ci peut demander des avis ou des recommandations, en matière de prospective ou d'appréciation des besoins à satisfaire, auprès de deux organismes directement rattachés au ministère de tutelle : le Conseil supérieur de la météorologie (CSM) et l'Inspection générale de l'aviation civile et de la météorologie (IGACEM).
Les six services techniques centraux (STC) sont le Service central d'exploitation de la météorologie (SCEM), le Centre national de recherches météorologiques (CNRM), l'École nationale de la météorologie (ENM), le Service d'étude des techniques instrumentales de la météorologie (SETIM), le Service administratif de la météorologie (SAM), et le Service central de la communication et de la commercialisation (S3 C).
6.2. La coopération européenne en météorologie
La coopération européenne entre services météorologiques nationaux de l'Europe de l'Ouest existe depuis longtemps. Certaines activités de coopération se font dans le cadre de structures intégrées, fondées sur des conventions signées au niveau intergouvernemental, d'autres dans le cadre de projets de recherche et de développement de la Communauté européenne.
Les structures intégrées existantes sont le CEPMMT (Centre européen de prévision météorologique à moyen terme) et Eumetsat, l'organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques.
Le Centre européen de prévision météorologique à moyen terme (C.E.P.M.M.T.)
Installé à Reading, au sud-ouest de Londres, en Angleterre (Royaume-Uni), le C.E.P.M.M.T. a été créé en 1975 par la volonté de 17 pays européens. Sa mission est de réaliser, pour le compte des États membres, des prévisions météorologiques à moyenne échéance (de trois jours à cinq jours), et son objectif est de parvenir à réaliser des prévisions météorologiques utilisables jusqu'à dix jours d'échéance.
Les grandes orientations du C.E.P.M.M.T. sont fixées par son conseil, composé de deux représentants de chaque État membre. Sa réussite s'explique notamment par le fait que, dès le départ, ses objectifs ont été très ciblés : développement de méthodes numériques, notamment dans le domaine de l'assimilation des données, production de prévisions météorologiques opérationnelles à moyenne échéance, recherche et développement visant à améliorer la qualité des prévisions.
Eumetsat
Dès sa création en 1986, Eumetsat a repris à sa charge le programme Meteosat de satellites géostationnaires, initialement lancé et géré par l'Agence spatiale européenne (ESA). Il a pour mission d'assurer la continuité des opérations prévues (en particulier la mise au point de la seconde génération des satellites Meteosat) et de mettre sur pied un programme européen d'observations satellitaires en orbite polaire analogue à celles de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Agency).
Les autres programmes européens
Des programmes et actions de recherche et de développement au niveau européen sont apparus en matière de systèmes d'observation (radars de précipitations, radars profileurs de vent), de météorologie routière, d'environnement et d'océanographie. Un réseau regroupe les principaux centres de recherche climatique européens : le C.N.R.M. (Centre national de recherches météorologiques) de Météo France, le Hadley Center anglais et le Max Planck Institute de Hambourg.
Une coopération s'est instaurée entre Météo France et divers services météorologiques des pays de l'Europe de l'Est en matière de prévision numérique sur domaine limité.
De plus, un groupement d'intérêt économique, baptisé Ecomet et situé à Bruxelles (Belgique), a pour objectif de coordonner les activités des services météorologiques européens en matière de production de services et de commercialisation des produits météorologiques.
6.3. L'Organisation météorologique mondiale (O.M.M.)
L'Organisation météorologique mondiale comptait 182 États membres répartis sur 6 régions en 2007. À la suite d'une convention entrée en vigueur en 1951, elle a succédé à l'Organisation météorologique internationale, créée en 1873. L'O.M.M., dont le siège est implanté à Genève (Suisse), est un organisme intergouvernemental rattaché à l'Organisation des Nations unies (O.N.U.).
Ses principales missions sont d'assurer la coopération internationale en météorologie, à travers la veille météorologique mondiale (V.M.M.), dont le fonctionnement repose sur le système mondial de télécommunications (S.M.T.), et la normalisation des méthodes et procédures d'acquisition et d'échange des données. L'O.M.M. doit également promouvoir la recherche – à travers le programme climatologique mondial, l'enseignement et la formation en météorologie, notamment –, la coopération technique et le transfert de technologie vers les pays en voie de développement.
L’O.M.M. est également amenée à coopérer avec d'autres organisations internationales telles que l'Organisation de l'aviation civile internationale (O.A.C.I.), le Programme des Nations unies pour l'environnement (P.N.U.E.), le Programme des Nations unies pour le développement (P.N.U.D.), l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la Commission océanographique internationale de l'Unesco et le Conseil international des unions scientifiques (C.I.U.S.).
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PALÉONTOLOGIE |
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paléontologie
Consulter aussi dans le dictionnaire : paléontologie
Cet article fait partie du dossier consacré à la géologie et du dossier consacré à l'histoire de la Terre.
Science qui étudie les êtres vivants (animaux, végétaux ou micro-organismes) ayant peuplé la Terre au cours des temps géologiques, en se fondant principalement sur l'interprétation des fossiles.
Bernard Palissy et Léonard de Vinci annoncent l'œuvre de Buffon. Celui-ci énonce le principe de l'évolution des êtres vivants, expliquant ainsi leurs différences et leur continuité au cours des âges géologiques. George Cuvier (1769-1832) ne croit pas à l'évolution des espèces ; il explique le renouvellement des faunes par des cataclysmes. Une autre école, « évolutionniste », débute avec Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1772-1844), mais elle ne connaîtra le triomphe qu'après la publication par Charles Darwin (1809-1882) de son ouvrage De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle (1859).
La paléontologie animale
Si la Terre existe depuis plusieurs milliards d'années, la vie ne s'y est manifestée pendant longtemps que sous la forme simple d'organismes précellulaires (coccoïdes, sphéroïdes collectifs) et de procaryotes (cyanobactéries, bactéries). La vie animale n'est apparue clairement qu'à la fin du précambrien (il y a environ 650 millions d'années), sous forme d'invertébrés aquatiques (méduses, éponges, vers). Au début du cambrien (540 millions d'années), la diversité animale augmente de manière considérable, avec l'apparition d'animaux à coquille ou carapace (mollusques, trilobites, crustacés). Les premiers vertébrés furent les poissons sans mâchoires du cambrien supérieur. Au silurien, quelques arthropodes quittent le domaine marin pour peupler les continents. Ils seront rejoints au dévonien par des poissons pulmonés, les dipneustes, et par les premiers amphibiens. Au carbonifère apparaissent les reptiles et les insectes, deux groupes entièrement affranchis du milieu aquatique.
L’ère secondaire (ou mésozoïque) est marquée par le développement des ammonites et des poissons osseux dans les mers. À terre, les reptiles se diversifient. Un groupe, celui des dinosaures, donne des formes géantes. Les premiers mammifères apparaissent au trias, et les premiers oiseaux au jurassique. À la fin du crétacé, une crise biologique majeure élimine 60 à 65 % de toutes les espèces du globe, et en particulier les ammonites et les dinosaures. Le tertiaire est l'ère du développement des mammifères, de l'évolution des faunes de type actuel. Enfin, l'homme apparaît à l'aube du quaternaire.
La paléontologie humaine
La question des origines de l'homme pourrait être résumée en trois mots : où, quand, comment ?
Après s'être longtemps heurtées aux dogmes religieux ou à la croyance, largement répandue, d'une origine très récente de l'homme, les idées sur son apparition et son évolution ont bénéficié du développement de disciplines qui ont permis la naissance de la paléontologie humaine. Celle-ci s'attache non seulement à l'étude de l'homme fossile mais aussi à celle des singes, et a beaucoup évolué à partir des années 1970.
Jusqu'au milieu du xviiie s., les savants ont en général essayé de concilier leurs observations (relevant de la stratigraphie et de l'étude des premiers fossiles) avec le livre de la Genèse, selon laquelle l'homme a été créé par le Dieu de la Bible « à son image », donc distinct des animaux. Mais l'homme appartient au règne animal ; sa vie et son évolution sont régies par les lois de ce dernier, et son histoire est profondément liée à celle des singes ; c'est pourquoi la paléontologie humaine – qui est, avec la paléobotanique et la paléontologie animale, une branche de l'étude des êtres anciens – est devenue une véritable paléontologie des primates, que l'on pourrait nommer « paléoprimatologie ».
La simple étude descriptive du fossile, toujours nécessaire et souvent suffisante, s'est muée en une véritable investigation technologique, suivant ainsi les progrès des techniques scientifiques. Mais d'autres sciences, comme la biologie moléculaire, l'écologie, l'éthologie ou la médecine, sont venues apporter leur contribution à la connaissance de l'évolution, non plus de l'homme (ou de la société humaine) au sens strict, mais de l'homme et de ses ancêtres considérés dans leur interaction avec le milieu.
Histoire des études sur l'origine de l'homme
La vision d’Aristote
Dans l'Antiquité, poètes ou philosophes ont parfois eu conscience que les formes de la vie peuvent être changeantes. Ainsi, Aristote, vers 350 avant J.-C., reconnaît, sur la base de ses nombreuses observations sur les animaux, une certaine hiérarchie des espèces animales jusqu'à l'homme. Il développe une interprétation très finaliste du monde naturel, où il voit une modification perpétuelle allant vers un ordre. Tout se modifie du désordre vers l'ordre, de l'infini vers le fini.
De Lucrèce à Jussieu
Au tout début de l’ère chrétienne, le poète latin Lucrèce, influencé par ses prédécesseurs grecs, affirmait, dans son ouvrage De natura rerum, que l'homme avait connu une transformation importante et mentionnait l'existence d'« une race d'hommes beaucoup plus rude [que nous]. Des os plus grands et plus forts [que les nôtres] constituaient leur corps, des muscles solides attachaient leur chair […] Ils ne savaient pas encore utiliser le feu pour traiter les objets, ni employer les peaux, se couvrir des dépouilles des bêtes sauvages […] ils comptaient sur la vigueur prodigieuse de leurs mains et de leurs jambes pour chasser les bêtes sauvages, avec des pierres à lancer ou d'énormes gourdins […] ».
Avec les médecins et philosophes arabes, entre le xe et le xiie s., les sciences connaissent un grand essor, et un lien est établi entre l'organisation des singes et celle des hommes.
Traiter de l'évolution de l'homme nécessite d'appréhender la notion d'homme fossile. Toutefois, jusqu'au xixe s., la présence de l'homme fossile ne sera perceptible que par les traces de ses activités, comme les pierres taillées ou polies.
Bien que les fameuses « pierres de foudre » trouvées en Europe auprès d'arbres déracinés par l'orage ou dans les champs aient été connues depuis longtemps, il faudra attendre le xvie s. pour qu'elles soient identifiées comme des objets travaillés, non naturels, par l'Italien Michele Mercati. C'est grâce aux travaux d'Antoine de Jussieu, au xviiie s., que les nombreuses ressemblances entre ces premières pierres taillées et les armes des « sauvages » américains seront confirmées.
Le Telliamed de Benoît de Maillet
Dès 1720 circulait le fameux Telliamed de Benoît de Maillet, consul de France en Égypte. Ce texte, qui ne sera publié qu'en 1749, après la mort de son auteur, introduisit une véritable révolution, car il développait la théorie selon laquelle à l'origine existait sur toute la surface du globe une mer peuplée d'êtres qui ne pouvaient être qu'aquatiques. Peu à peu, cette mer se retira et, au fur et à mesure de l'émersion des terres, les animaux marins se transformèrent en des formes terrestres. L'homme était censé être né d'une sorte de triton, un « homme marin » aux doigts palmés, couvert d'écailles et portant à l'occasion une queue de poisson. Le matérialisme de Maillet s'opposait fortement aux conceptions religieuses de l'époque.
De la place de l’homme dans le règne animal
Parallèlement à ces découvertes, un naturaliste français, Buffon, dans son Histoire naturelle de l'Homme, parue en 1749, inclut l'homme dans le règne animal mais le place au centre de la nature ; il est le premier à avancer l'hypothèse d'une origine ancienne de l'homme – bien qu'il ne fasse remonter celle-ci qu'à 7 000 ou 8 000 ans –, mais sans en fournir la preuve matérielle. En effet, aucun reste fossile d'homme n'était alors connu.
Le fameux Homo diluvii testis, découvert en 1709 par le naturaliste Johann Scheuchzer (1672-1733), se révéla n'être – en lieu et place des vestiges d’un homme mort lors du Déluge biblique – qu'une salamandre géante (Andrias scheuchzeri), comme le démontra en 1812 le paléontologue et anatomiste Georges Cuvier, dans son ouvrage intitulé Recherches sur les ossements fossiles. Cuvier affirmait que les hommes fossiles n'existaient pas, dans la mesure où aucun os d'homme n'avait été trouvé associé à des os d'animaux fossiles. Toutefois, il précisait que cette absence était reconnue « au moins dans nos contrées ».
C'est en 1736 que le naturaliste suédois Carl von Linné mit au point la première classification du monde naturel dans son Systema naturae. Dans l'édition de 1758, il incluait l'homme actuel dans le genre Homo et dans l'espèce sapiens (à laquelle nous appartenons tous). Cependant, Linné était un fixiste, et ses classifications se voulaient refléter l'ordre divin. Ainsi, même s'il classait Homo sapiens parmi les Primates, il ne considérait pas qu'il était issu de ce groupe.
Le recul de l’âge de l’humanité
La première trace d'une ancienneté importante de l'homme est fournie par François-Xavier Burtin de Maestricht, qui annonçait en 1784 la découverte, aux environs de Bruxelles, d'un outil de silex taillé ; celui-ci se trouvait dans un niveau surmonté de trois couches, elles-mêmes renfermant des fossiles. On pouvait dès lors affirmer que les productions de l'homme étaient très anciennes.
Mais c'est à l'Anglais John Frere que reviendra la chance de trouver, en 1797, à Hoxne (Suffolk), associés dans une même couche profonde de près de 4 m, des ossements d'animaux et des objets de pierre taillée. Malheureusement, cette découverte passera inaperçue.
Le début du xixe s. sera marqué par les travaux transformistes de Jean-Baptiste Lamarck qui, dans sa Philosophie zoologique de 1809, écrit : « […] Si une race quelconque de quadrumanes, surtout la plus perfectionnée d'entre elles, perdait, par la nécessité des circonstances, ou par quelque autre cause, l'habitude de grimper sur les arbres, et d'en empoigner les branches avec les pieds, comme avec les mains, pour s'y accrocher ; et si les individus de cette race, pendant une suite de générations, étaient forcés de ne se servir que de leurs pieds pour marcher, il n'est pas douteux […] que ces quadrumanes ne fussent à la fin transformés en bimanes, et que les pouces de leurs pieds ne cessassent d'être écartés des doigts, ces pieds ne leur servant qu'à marcher […]. En outre, si les individus dont je parle, mus par le besoin de dominer, et de voir à la fois au loin et au large, s'efforçaient de se tenir debout, et en prenaient constamment l'habitude de génération en génération, il n'est pas douteux encore que leurs pieds ne prissent insensiblement une conformation propre à les tenir dans une attitude redressée, que leurs jambes n'acquissent des mollets et que ces animaux ne pussent alors marcher que péniblement sur les pieds et les mains à la fois. »
Ces réflexions ont été bien évidemment critiquées par le fixiste Cuvier, lequel, en outre, reliait l'absence de singes fossiles à celle d'hommes fossiles. Il était selon lui normal qu'il n'y eût pas d'hommes fossiles, puisqu'on ne connaissait pas de singes fossiles. C'est alors que la découverte d'un singe fossile dans le gisement miocène de Sansan (Gers), par Édouard Lartet (1801-1871), en 1837, fut une sorte de bombe scientifique : on pouvait désormais s'attendre à trouver des restes d'hommes fossiles.
Au début des années 1830, plusieurs auteurs, tel le paléontologue belge Philippe-Charles Schmerling (1790-1836), signaleront soit l'association de restes humains avec le rhinocéros laineux, soit des traces d'une activité humaine sur des os animaux ; l'homme avait donc existé en des temps reculés. En 1833, le géologue britannique Charles Lyell allait faire faire aux fossiles une plongée spectaculaire dans le temps : en effet, ce savant, dans ses Principes de géologie publiés en 1833, estimait leur âge non plus en milliers mais en millions d'années. Une nouvelle dimension était ouverte pour parler de la vie passée.
La Naissance de la paléontologie humaine
Toutefois, c'est avec Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes que la véritable préhistoire voit le jour. L'auteur des Antiquités celtiques et antédiluviennes démontra, en 1836, de manière irréversible, que des silex taillés et associés à des animaux fossiles avaient été façonnés par des hommes « d'avant le Déluge ». Bien que très convaincants, ses arguments furent fort controversés, et il faudra attendre près de vingt ans pour que la notion d'homme très ancien soit acceptée, avec, notamment, les découvertes des Anglais Falconer près d'Abbeville, Prestwich et Evans à Saint-Acheul (ce village donnera son nom à une culture, l'acheuléen), et de l'éminent paléontologue français Albert Gaudry sur ce même site en 1859.
C'est en 1853 que les preuves abondantes et le bouleversement dans les pensées conduiront Marcel de Serres (1783-1862) à proposer le terme de « paléontologie humaine ».
L'année 1856 est marquée par deux événements exceptionnels, la découverte par Johann Karl Fuhlrott (1803-1870) de la fameuse calotte de l'homme de Neandertal en Allemagne, près de Düsseldorf, et le premier rapport d'études sur le non moins célèbre dryopithèque de Saint-Gaudens par Édouard Lartet.
Rôle de la théorie de l'évolution
En 1859, une autre bombe scientifique éclate lorsque le naturaliste britannique Charles Darwin fait paraître De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle : l'homme n'est plus le maître de la nature, mais fait partie intégrante de celle-ci ! Le scandale est considérable, car l'homme n'est plus considéré comme le produit d'une création divine. La théorie de l'évolution (déjà esquissée dans l’œuvre de Lamarck) ne peut plus être ignorée, et l'histoire de l'homme, comme celle des animaux, est régie par ses lois. La même année, un anatomiste anglais démontre que le crâne de Neandertal et celui de Gibraltar (découvert en 1848, mais qui était tombé dans l'oubli) appartiennent à un même type d'homme disparu, l'homme de Neandertal.
Les découvertes paléontologiques vont alors se succéder : les pièces de La Naulette en Belgique (une mandibule humaine, des ossements d'animaux et une industrie lithique) seront exhumées par Edouard Dupont en 1865, et en 1868 Lartet décrit les vestiges de l'abri-sous-roche des Eyzies-de-Tayac (l’homme de Cro-Magnon). En 1870, Paul Lamy publie son Précis de paléontologie humaine et, en 1871, Charles Darwin fait paraître The Descent of Man (la Filiation de l’homme – également traduit par la Descendance de l’homme), où il explique le passage du singe à l'homme, théorie fort décriée à l'époque. Pour lui, les modifications progressives du corps ont abouti à transformer un « ancien membre de la grande série des primates » en un homme actuel.
Rôle des travaux de l'embryologiste Ernst Haeckel
En parallèle à ces travaux, ceux de l'embryologiste Ernst Haeckel (1834-1919) vont apporter énormément à l'étude de l'évolution de l'homme. Haeckel retrouve dans les stades du développement embryonnaire les différents stades de l'évolution humaine, et ira même jusqu'à prédire la découverte en Asie d'un homme fossile mi-singe, mi-homme, le fameux pithécanthrope, effectivement mis au jour par le médecin hollandais Eugène Dubois (1858-1940), en 1891, dans les terrasses de la rivière Solo, à Trinil (Java). C'est à cette époque que le paléontologue Marcellin Boule (1861-1942) publie son Essai de paléontologie stratigraphique de l'homme (1888).
La reconnaissance des hommes fossiles
La fin du xixe s. et le début du xxe s. sont jalonnés par de très nombreuses trouvailles d'hommes fossiles, de témoignages de leur art, mais aussi par la reconnaissance de pièces anciennement découvertes, qui étaient restées dans l'ombre ou avaient été passées sous silence.
L'année 1925 est une nouvelle date importante dans l'histoire de la recherche des origines de l'homme : le crâne de l'enfant de Taung est reconnu alors par l'anatomiste australien Raymond Dart (1893-1988) comme étant celui du premier australopithèque ; cette publication bouleverse les conceptions de l'évolution humaine. En effet, le berceau de l'humanité, qu'on avait situé sur le continent asiatique, se déplace vers l'Afrique. Une ère nouvelle dans la recherche paléontologique s'ouvre alors. Depuis, ce sont une multitude de restes fossiles d’hominidés qui ont été mis au jour sur le continent africain.
Depuis le début du xxe s., la paléontologie humaine a connu un essor fantastique et des expéditions se sont succédé – elles se poursuivent encore aujourd'hui sur toute la surface du globe – pour rechercher les traces de nos ancêtres potentiels, animaux ou humains, pour retrouver un hypothétique chaînon manquant et pour essayer de répondre à la question obsédante : d'où vient l'homme ?
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ÉVOLUTION
Ensemble des changements subis au cours des temps géologiques par les lignées animales et végétales, ayant eu pour résultat l'apparition de formes nouvelles.
BIOLOGIE
1. L’histoire des théories de l'évolution
La nature des processus déterminant les transformations subies par les êtres vivants au cours des temps géologiques a fait l'objet de controverses dans la seconde moitié du xixe s., avant que les idées du Britannique Charles Darwin (1809-1882), confortées et enrichies, notamment suite au développement de la génétique, ne s'imposent à l'ensemble de la communauté scientifique, sous la forme d'une « théorie synthétique de l'évolution ».
1.1. Les dogmes du créationnisme et du fixisme
Jusqu'au xixe s., la seule conception admise par les naturalistes était le créationnisme, selon lequel les espèces vivantes ont été créées par Dieu, de manière indépendante les unes des autres et sous une forme immuable, conformément aux écrits bibliques de la Genèse. Le dogme du fixisme, selon lequel les plantes et les animaux n'ont subi aucune transformation depuis leur création, s'imposait alors aux savants.
Le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778), fondateur d'un système de classification des espèces encore en vigueur aujourd'hui, voyait dans la diversité du monde vivant le résultat merveilleux d'une création divine. Le Français Georges Cuvier (1769-1832) mit en évidence la succession des groupes d'animaux fossiles au cours de l'histoire de la Terre, mais refusa pourtant d'admettre que les formes vivantes puissent se modifier.
Par ailleurs, depuis Aristote (384-322 avant J.-C.), les naturalistes croyaient en la réalité de la « génération spontanée », selon laquelle des animaux ou des micro-organismes pouvaient se former spontanément à partir de matières minérales ou de substances en décomposition. Ce n'est que dans les années 1870, grâce aux travaux de Louis Pasteur (1822-1895), que fut définitivement écartée cette notion : il fut établi que toute forme de vie ne peut apparaître qu'à partir d'une forme de vie déjà existante.
Au xxe s., le créationnisme trouve encore des partisans dans certains pays. Au cours des années 1970, une forme nouvelle de créationnisme, utilisant le récit de la Genèse comme postulat de départ de démonstrations « scientifiques » a vu le jour aux États-Unis et en Australie : il s’agit, selon l’appellation que ses tenants ont choisie, du « créationnisme scientifique » (ou « science de la création »). Ce mouvement a donné le jour, au cours des années 1990, à l’Intelligent Design (« dessein intelligent »), qui se clame être non une croyance mais une théorie, que ses partisans cherchent à faire enseigner dans les écoles et les lycées (au même titre que – voire à la place de – l’évolutionnisme). Ainsi, en 1999, dans l'État du Kansas, le Conseil national d'éducation (National Board of Education) a-t-il fait retirer des programmes scolaires tout enseignement des théories de l'évolution ; en 2001, l’enseignement de l’évolutionnisme a été rétabli, avant que, en 2005, celui de l’Intelligent Design soit autorisé.
1.2. Les premières théories transformistes et évolutionnistes
Les prémices de la notion d'évolution des espèces (ou transformisme) ont été formulées dès le xviiie s. par Buffon (1707-1788). Pressentant les phénomènes de mutation (qui n'ont été explicités qu'au xxe s., par la génétique), son contemporain Pierre Louis de Maupertuis (1698-1759) imagina l'existence d'une variation progressive des espèces.
Le lamarckisme
Le premier véritable théoricien de l'évolution fut, au début du xixe s., Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829). De ses travaux, on n'a guère retenu que le concept d'hérédité des caractères acquis comme mécanisme de l'évolution, bien que la théorie de Lamarck soit plus large que cela et vise notamment à expliquer la complexification progressive des espèces. La morphologie des girafes offre une illustration classique (et simpliste) à la notion d'hérédité des caractères acquis. Leur cou se serait allongé à mesure que leurs ancêtres l'étiraient pour pouvoir se nourrir du feuillage d'arbres élevés (il s'agirait donc d'un caractère acquis, et, dans cet exemple, de façon volontaire) ; leurs descendants auraient hérité de ce changement anatomique.
Après Lamarck, le biologiste allemand August Weismann (1834-1914) distingua, au sein des cellules qui composent les êtres vivants, deux lignées indépendantes : une lignée « germinale » (celle des cellules sexuelles, dont la fusion engendre un nouvel individu) et une lignée « somatique » (celle de toutes les autres cellules de l'organisme). Étant donné que les caractères acquis ne concernent que les cellules somatiques, ils ne peuvent être transmis à la descendance, ce qui contredit les thèses de Lamarck.
Le darwinisme
Si les travaux de Lamarck, qui fut éclipsé par son brillant rival Cuvier, ont peu d'écho au xixe s., l'ouvrage de Charles Darwin, De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle, publié en 1859, a eu, en revanche, des conséquences majeures sur la pensée scientifique.
Au cours d'une croisière de cinq ans à bord du Beagle, du 27 décembre 1831 au 2 octobre 1836, Darwin effectua d'innombrables observations sur la variabilité d'espèces vivant sur des îles (notamment les célèbres « pinsons de Darwin » des Galapagos), qui lui paraissaient dériver d'un ancêtre commun. Pour expliquer comment des espèces apparentées acquièrent des caractéristiques différentes, Darwin fit une analogie avec les éleveurs qui, par la sélection continuelle des animaux reproducteurs, sont capables de produire de nouvelles variétés, parfois fort différentes les unes des autres.
Dans De l'Origine des espèces, il explique l'évolution par le jeu de la sélection naturelle, qui agit sur des modifications apparaissant par hasard chez les êtres vivants – la sélection naturelle représente l'effet des facteurs externes (climat, disponibilités alimentaires, compétition avec d'autres espèces, prédation et tout autre facteur susceptible d'agir sur les êtres vivants). Si les variations aléatoires qui s'expriment chez les individus sont favorables, ceux-ci ont plus de chances de survivre, de se reproduire et de transmettre leurs caractères à leur descendance (ces caractères sont sélectionnés) – c’est la « survie du plus apte ». Cette notion de « descendance modifiée » (selon les propos de Darwin, qui n'emploie pas le terme d'« évolution ») est en radicale opposition avec la vision créationniste dominante (en dépit des travaux de quelques savants comme Lamarck et le Britannique Alfred Russel Wallace [1823-1913], qui, indépendamment de Darwin et exactement à la même époque, élabora une théorie de l’évolution tout à fait similaire). Elle finit pourtant par s'imposer, et n'a cessé de s'enrichir au cours du xxe s.
1.3. L’apport de la génétique
Le point faible de la théorie originelle de Darwin provenait de l'absence d'explication quant à l'apparition et à la transmission héréditaire des variations spontanées observées dans les populations naturelles. Cependant, Darwin ignorait les travaux d'un de ses contemporains, le moine autrichien Gregor Mendel (1822-1884). À partir de croisements contrôlés de plantes présentant des caractères bien distincts, Mendel montra comment ces caractères se transmettent d'une génération à l'autre. Il énonça des lois de l'hérédité (lois de Mendel, 1865), ignorées de son vivant, mais qui constituent les bases de la génétique.
La théorie synthétique de l’évolution : le néodarwinisme
Après la redécouverte des lois de Mendel, en 1900, et l'identification des supports matériels de l'hérédité, les gènes (portés par les chromosomes des cellules), on a pu interpréter l'évolution en termes de changements de proportion entre les différentes versions (ou allèles) des gènes dans les populations naturelles que forment les espèces vivantes.
Le biologiste américain Thomas Hunt Morgan (1866-1945) a été l'un des premiers à rapprocher la génétique et les travaux de Darwin. Son compatriote Theodosius Dobzhansky (1900-1975) rapporta, en 1937, que les différentes populations d'une espèce observées dans la nature diffèrent les unes des autres par les proportions des versions d'un même gène. Ces différences peuvent s'expliquer par la sélection naturelle des variants génétiques favorables. Dobzhansky a estimé que cette microévolution, au sein d'une espèce, est responsable de la macroévolution, c'est-à-dire de la diversification des espèces, car une population devenant de plus en plus modifiée génétiquement peut donner naissance à une espèce nouvelle.
Au milieu du xxe s., le darwinisme réinterprété à la lumière de la génétique, appelé néodarwinisme ou théorie synthétique de l'évolution, était déjà, de loin, la théorie dominante. Pour Darwin, comme pour la plupart de ses continuateurs, les variations aléatoires (c'est-à-dire les mutations génétiques) sont de faible ampleur et seule leur accumulation graduelle serait responsable de l'évolution. Cette vision « gradualiste » de l'évolution, ainsi que le rôle déterminant attribué à la sélection naturelle font cependant l'objet de critiques, sur lesquelles se fondent de nouveaux modèles de l'évolution.
Le modèle neutraliste et la théorie des équilibres ponctués : le néomutationnisme
Au début du xxe s., le Néerlandais Hugo De Vries (1848-1935) a proposé une théorie de l'évolution dite « mutationniste », selon laquelle les variations aléatoires consisteraient en mutations importantes, dont la sélection provoquerait une évolution par « sauts » brusques, plutôt que par de petites modifications graduelles.
Issu des travaux de De Vries, le terme de néomutationnisme recouvre deux apports théoriques : le modèle neutraliste et celui des équilibres ponctués.
En 1968, le mathématicien et généticien japonais Motoo Kimura a proposé le modèle dit « neutraliste », selon lequel nombre de mutations génétiques s'avèrent neutres en regard de la sélection naturelle. Elles n'ont pas d'effet (favorable ou défavorable) sur la survie des individus qui les portent. Ignorées par la sélection naturelle, ces modifications se maintiennent au cours des générations et constituent ainsi un facteur d'évolution.
Dans les années 1970, les paléontologues américains Stephen Jay Gould (1941-2002) et Niles Eldredge ont observé, notamment chez les trilobites (arthropodes fossiles ressemblant à des crustacés), des espèces nouvelles, sans qu'il y ait trace de transformation graduelle d'espèces antérieures. Il y aurait donc des « équilibres ponctués », caractérisés par de longues périodes de stabilité des espèces, interrompues par des phases de remplacement brutal, sous l'effet de transformations génétiques importantes. Ces mutations, si elles se révèlent favorables et qu'elles se produisent au sein de petites populations isolées, peuvent conduire au remplacement rapide, à l'échelle des temps géologiques, de la population d'origine.
Sans être en rupture totale avec le modèle darwinien, le néomutationnisme tend à réduire l'importance de la sélection naturelle : la variation génétique, du fait de sa neutralité ou de son ampleur, serait le facteur majeur de l'évolution. Toutefois, l'étude paléontologique de la succession des espèces et des lignées au cours des âges de la Terre souligne le rôle déterminant de l'environnement comme facteur de diversification des espèces ou, au contraire, comme facteur d'extinction, notamment lors de crises biologiques majeures, telles que celle qui entraîna la disparition des dinosaures et de 60 à 65 % des espèces vivantes il y a 65 millions d'années. (→ ère géologique.)
2. L'évolution de la vie sur la Terre
Depuis plus d'un milliard d'années, comme en témoignent les nombreux fossiles mis au jour par les paléontologues – et probablement depuis l'origine de la vie, il y a près de quatre milliards d'années (en dépit de la faiblesse des indices fossiles parvenus de cette période jusqu'à la nôtre) – des espèces nouvelles ne cessent d'apparaître, par la transformation d'espèces existantes, tandis que d'autres disparaissent. Par la mise en évidence de ces phénomènes de transformation, d'apparition et de disparition d'espèces, les sciences de l'évolution permettent d'expliquer la grande diversité actuelle des êtres vivants. (→ biodiversité.)
2.1. L'origine de la vie
Si les mécanismes de l'évolution des espèces paraissent largement élucidés, ceux qui ont conduit à l'apparition des premiers êtres vivants demeurent hypothétiques. On cherche à comprendre comment les conditions chimiques régnant dans l'environnement de la Terre primitive auraient favorisé l'émergence de molécules organiques suffisamment complexes pour s'édifier spontanément (on parle d'« auto-organisation ») et pour se reproduire, ces deux aptitudes étant caractéristiques de la vie.
L'évolution chimique
La Terre s'est formée il y a environ 4,6 milliards d'années. Il y a 4 milliards d'années, l'atmosphère terrestre comprenait probablement de l'ammoniac, du méthane, de la vapeur d'eau – comme l'a proposé dès 1924 le chimiste et biologiste soviétique Aleksandr Oparine (1894-1980) – ainsi que du gaz carbonique. Selon Oparine, sous l'effet de l'énergie solaire et d'autres formes d'énergie (telles que les décharges électriques dues aux orages), les molécules de ces gaz simples auraient « évolué » pour donner naissance à des formes chimiques plus complexes, qui auraient poursuivi leur évolution dans les océans primitifs, pour aboutir à des molécules biologiques.
Les hypothèses d'Oparine ont été testées en laboratoire à partir des années 1950 (expérience de l'Américain Stanley Miller, 1953) : en mélangeant ces gaz et en soumettant le mélange à des décharges électriques, on a effectivement obtenu des molécules organiques, telles que l'urée et l'acide acétique. En outre, les expériences ont conduit à la formation de la plupart des acides aminés (molécules dont l'assemblage constitue les protéines, éléments structuraux et fonctionnels fondamentaux des cellules vivantes), ainsi que des éléments constitutifs de l'ADN et de l'ARN (molécules essentielles à l'auto-organisation et à la reproduction des êtres vivants).
Il est toutefois très improbable que l'ADN ait pu faire partie des premières molécules de la vie, car sa reproduction exige l'intervention de protéines spécialisées, des enzymes. En revanche, des molécules d'ARN primitif, dotées de propriétés enzymatiques (telles que celles de fragments d'ARN découverts dans certaines bactéries actuelles et appelés « ribozymes »), pourraient avoir représenté les précurseurs des molécules biologiques complexes que sont les protéines et l'ADN
Quoi qu'il en soit, dès la formation de molécules – ou de groupements de molécules – capables de se reproduire, la sélection naturelle a pu s'appliquer, favorisant les assemblages les plus stables et les plus rapides à se reproduire. Ainsi, l'acquisition d'une membrane biologique, permettant une protection efficace, a-t-elle pu être favorisée : les premières étapes vers la formation de cellules, structures élémentaires de tous les êtres vivants, auraient alors été franchies.
Les premières cellules vivantes
Les plus anciennes manifestations de la vie remontent à 3,8 milliards d'années. Il s'agit de témoignages indirects de l'activité de micro-organismes formés d'une cellule unique de structure simple, comparable à celle des bactéries, c'est-à-dire sans membranes internes délimitant un noyau (groupe des procaryotes). Les plus anciennes cellules fossiles sont datées de 3,5 milliards d'années (site de Warrauwoona, en Australie) : ces organismes microscopiques apparaissent groupés en chapelets, à la manière des cyanobactéries actuelles. Les microfossiles de Gunflint, au Canada (2 milliards d'années), ont été, quant à eux, clairement identifiés en tant que cyanobactéries (et autres bactéries).
Les premières traces fossiles de cellules pourvues d'un noyau (eucaryotes) remontent à 1,7 milliard d'années. Toutefois, des découvertes faites en 1999 en Australie semblent indiquer que des cellules de ce type, dont sont issues toutes les formes de vie animale et végétale, existaient déjà il y a 2,7 milliards d'années.
Même si la vie s'est probablement diversifiée précocement, on a identifié peu de fossiles avant le cambrien, première période de l'ère primaire, ou paléozoïque (− 540 à − 245 millions d'années). Il est difficile de déterminer si la vie est demeurée microscopique et peu différenciée avant cette période ou si l'absence de traces fossiles (hormis sur quelques sites, comme celui d'Ediacara, en Australie, daté de 680 millions d'années) est simplement liée à la nature des premiers organismes (dépourvus d'éléments pouvant facilement se fossiliser, tels qu'une coquille ou une carapace) ou encore à des phénomènes géologiques.
2.2. La diversification de la vie
Dès le début du cambrien, il y a 540 millions d'années, la vie animale apparaît si diversifiée qu'on parle volontiers d'explosion de la vie, voire de « big bang de l'évolution ». Tous les grands groupes (ou embranchements) sont représentés, mais aussi des formes de vie sans rapport avec les embranchements actuels.
C'est notamment le cas parmi les fossiles de Burgess, un site de Colombie-Britannique (Canada), qui remontent à 525 millions d'années environ. On y a identifié plus d'une centaine d'espèces animales, dont un bon nombre, qui ne peuvent être apparentées à des espèces actuelles, se caractérisent par des plans d'organisation anatomique tout à fait originaux. Cela fait dire à Stephen Jay Gould et à d'autres chercheurs que l'évolution initiale de la vie s'est caractérisée par une décimation (disparition de nombreuses formes de vie originales) plutôt que par une diversification. Celle-ci s'opérera ensuite au sein des formes de vie ayant survécu à la période cambrienne.
2.3. La vie à l'ère primaire, ou paléozoïque (− 540 à − 245 millions d'années)
Durant le cambrien et les deux périodes de l'ère primaire qui lui succèdent (ordovicien et silurien), l'évolution de la vie se limite au milieu aquatique. Les algues et le plancton sont abondants. La diversification des animaux invertébrés (brachiopodes, mollusques, arthropodes, échinodermes, etc.) précède l'apparition des premiers vertébrés, des poissons sans mâchoires (ou agnathes) en partie recouverts d'une carapace (il y a environ 450 millions d'années).
Lors de la période suivante, le dévonien (− 410 à − 350 millions d'années), le réchauffement climatique et l'enrichissement de l'atmosphère en oxygène (grâce à l'activité des végétaux aquatiques) favorisent l'apparition des plantes terrestres (les premières datent de la fin du silurien). Les poissons et les céphalopodes se sont diversifiés et une riche faune d'invertébrés peuple les fonds marins. La fin du dévonien correspond à la sortie des eaux des vertébrés (premiers amphibiens, tel Ichthyostega).
Après le dévonien, le carbonifère se caractérise par le développement de vastes forêts : les plantes, qui atteignent 30 m de haut, appartiennent au groupe des fougères (ptéridophytes). Les arthropodes terrestres (araignées, insectes, myriapodes) débutent leur formidable expansion et les premiers reptiles apparaissent. La dernière période du primaire, le permien, s'achève par une crise majeure, qui se traduit par la disparition de 80 à 90 % des espèces : les groupes survivants connaîtront ensuite une forte expansion.
2.4. La vie à l’ère secondaire, ou mésozoïque (de − 245 à – 65 millions d'années)
L'ère secondaire, appelée aussi mésozoïque, s'étend sur 180 millions d'années. C'est l'ère des reptiles, notamment des dinosaures, mais aussi des gymnospermes, un groupe de plantes terrestres qui se limite aujourd'hui pratiquement aux conifères. Dans les mers, les poissons poursuivent leur diversification et certains groupes de mollusques aujourd'hui disparus (bélemnites et ammonites) sont très bien représentés. Le secondaire voit aussi l'apparition des oiseaux (issus d'un groupe de dinosaures) et des mammifères (à partir des reptiles mammaliens, antérieurs aux dinosaures).
2.5. La vie à l’ère cénozoïque (– 65 millions d’années à aujourd’hui)
L'ère cénozoïque comprend deux subdivisions, autrefois considérées comme des ères distinctes, le tertiaire, qui débute il y a 65 millions d'années pour s'achever il y a 1,64 million d'années, puis le quaternaire, qui s'étend jusqu'à la période actuelle.
Le tertiaire, d'une durée d'environ 63 millions d'années, est marqué par l'expansion des mammifères, des plantes à fleurs (angiospermes) et des insectes. On le divise en deux périodes, le paléogène (comprenant trois époques : paléocène, éocène et oligocène) et le néogène (miocène et pliocène). Le miocène voit l'apparition, parmi les mammifères, des ruminants et des singes (primates). Cette période se caractérise également par le fort développement des plantes de la famille des graminées, avec l'apparition de vastes zones de prairies. Dernière période de l'ère tertiaire, le pliocène est marqué par un refroidissement progressif du climat. Les ancêtres de l'homme, apparus en Afrique à la fin du miocène, se diversifient (apparition des australopithèques, puis du genre Homo, auquel appartient notre espèce).
Débutant il y a 1,64 million d'années, le quaternaire se caractérise par des successions de grandes glaciations (dont la dernière s'est achevée il y a environ 10 000 ans), et par l'apparition de l'homme moderne, dernier survivant (avec l'homme de Neandertal, qui s'éteint il y a près de 30 000 ans) d'une lignée qui connut son apogée, en terme de diversité d'espèces, au cours du tertiaire.
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François Rabelais
Écrivain français (La Devinière, près de Chinon, vers 1494-Paris 1553).
Témoignant d'un don prodigieux pour l'invention verbale dans ses romans parodiques Gargantua et Pantagruel, François Rabelais a donné à la langue française ses lettres de noblesse. « Guerre picrocholine », « moutons de Panurge », « abbaye de Thélème », « Dive Bouteille » et « substantifique moelle » sont autant de traces que les aventures de ses géants ont laissées dans la langue.
Contemporain de François Ier, premier monarque de la Renaissance française, et des premières tensions avec la religion réformée naissante, Rabelais est un écrivain humaniste à la curiosité pétillante. Son rire paillard d'érudit bon vivant résonne encore.
Famille
Antoine Rabelais, son père, était avocat au siège royal de Chinon et apparenté aux plus grandes familles de sa province. La Devinière est la maison des champs que possédait son père.
Moine et humaniste, médecin et écrivain
François Rabelais entre dans les ordres, chez les cordeliers, puis chez les bénédictins (1524). Il s'inscrit à l'école de médecine de Montpellier (1530) et obtient le grade de docteur en médecine en 1537.
Médecin errant de France et d'Italie protégé par la famille Du Bellay, il encourt la censure de la Sorbonne pour son Pantagruel et son Gargantua.
Père de Gargantua et de Pantagruel
Gargantua (le père)
▪ Vie inestimable du grand Gargantua (1534).
Pantagruel (le fils)
▪ Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel [orthographe moderne] (1532, Second Livre)
▪ Tiers Livre (1546)
▪ Quart Livre (1552).
L'ensemble du Cinquième Livre, publié de façon posthume en 1564, n'est pas attribué à Rabelais avec certitude.
Les aventures sont écrites dans ce que l'on appelle aujourd'hui le moyen français, soit le français tel qu'on le parlait entre les xive et xvie siècles.
Pseudonyme connu
Alcofribas Nasier, anagramme de François Rabelais
Citations
« Mieux est de ris que de larmes écrire
Pour ce que rire est le propre de l'homme. »
(Avertissement en vers du Gargantua).
« science sans conscience n'est que ruine de l'âme »
(Pantagruel, chap. VIII, lettre de Gargantua à Pantagruel).
1. La vie de Rabelais
1.1. Les années de formation
Moine pétri d'humanisme
La vie de Rabelais est mal connue ; documents et témoignages laissent de vastes zones d'ombre (sa date de naissance elle-même reste incertaine). Il est sans doute novice au couvent des cordeliers (franciscains) de la Baumette, près d'Angers. Plus tard (1520), il prend l'habit au couvent de Fontenay-le-Comte, en Poitou. Passionné par le grec, il entame une correspondance (en latin et en grec) avec Guillaume Budé. Il fréquente les érudits de la région, notamment André Tiraqueau. Premiers démêlés avec la Sorbonne : ses livres grecs sont temporairement confisqués en 1523.
Tout au long de sa carrière, il saura néanmoins conserver des protecteurs puissants. Grâce à Geoffroy d'Estissac, le prieur qui l'attache à sa personne en qualité de secrétaire, il passe, en 1524, chez les bénédictins de Maillezais (en Vendée), où il peut poursuivre plus librement ses études. Il se lie alors avec le rhétoriqueur Jean Bouchet (1476-1559), de Poitiers, et Antoine Ardillon, abbé de Fontenay-le-Comte. Dans ce monde provincial et rural, Rabelais découvre les cercles de lettrés, juristes et philologues, religieux ou laïcs.
En 1527, il renonce à la vie monacale et parcourt la France, s'arrêtant, comme l'attestent quelques épisodes de son œuvre, dans plusieurs villes universitaires de renom (Orléans, Paris, Toulouse…).
Entrée en médecine et en littérature
En 1530, on le retrouve à Montpellier, où il s'inscrit à l'école de médecine et donne des cours sur Hippocrate et Galien, qu'en bon humaniste il commente en s'appuyant sur le texte grec, l'original, et non sur une mauvaise traduction latine. Il est très vite admis au grade de bachelier et entame une licence. À Montpellier s'achève sa formation intellectuelle : il y noue une solide amitié avec un autre étudiant en médecine et joyeux compagnon, Guillaume Rondelet ; il prend conscience que tout le savoir humain n'est pas dans les livres.
Nommé ensuite médecin de l'hôtel-Dieu, il s'installe à Lyon, et c'est dans cette cité alors débordante d'activité littéraire qu'il connaît la période la plus féconde de son existence. Non seulement son cercle de relations s'élargit (Étienne Dolet, Mellin de Saint-Gelais, Macrin [Jean Salmon, 1490-1557]), mais il correspond aussi avec Érasme, qu'il vénère comme son père spirituel. Il a 38 ans lorsqu'il publie la première histoire de Pantagruel, sous le pseudonyme d'Alcofribas Nasier.
1.2. Médecin voyageur et écrivain récidiviste
Viennent les voyages en Italie : il y accompagne d'abord son nouveau protecteur, l'évêque de Paris Jean Du Bellay (cousin du poète), chargé d'une délicate mission auprès du pape Clément VII. C'est en rentrant en France (1534) que Rabelais, encouragé par le succès de Pantagruel, publie la Vie inestimable du grand Gargantua, ajoutant ainsi les prouesses du père à celles du fils. Le volume précédent lui fournit le cadre : les enfances, les années d'études, les exploits guerriers, mais ce n'est plus la description « gigantesque » qui occupe le premier plan. Rabelais s'impose maintenant comme créateur de personnages, son art de conteur s'affirme : on le voit dans le prologue, plus fermement élaboré, et dans l'énigme qui termine le livre ; il accorde aussi une plus grande place à l'invective et à l'inspiration satirique. Rabelais a désormais pris conscience de son pouvoir, ses convictions s'affirment, ses déclarations sont assurées.
Après l'affaire des Placards (1534), Jean Du Bellay, nommé cardinal, l'emmène de nouveau en Italie. Rabelais voit alors à Ferrare la cour d'Hercule II d'Este et de Renée de France (où il rencontre Clément Marot), à Rome la cour du nouveau pape Paul III (il obtient d'être dûment relevé de ses vœux monastiques). Il parcourt Florence, où règne le duc Alexandre de Médicis. Par ses lettres à Geoffroy d'Estissac, nous possédons une chronique variée de la vie romaine.
En 1536, pourvu d'une prébende (des revenus) de chanoine grâce au cardinal, il se consacre à l'exercice de la médecine au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. De retour à Montpellier pour achever ses études, il est licencié le 3 avril 1537 et docteur en médecine le 22 mai. Il pratique son art à Lyon et il fait, à Montpellier, des leçons sur les traités d'Hippocrate.
En 1540, il se rend en Italie aux côtés de Guillaume Du Bellay (autre cousin du poète), seigneur de Langey, mais il a la douleur de le perdre en 1543. Il voit également disparaître cette même année son premier protecteur, Geoffroy d'Estissac. Après la mort de Langey, qui fit sur lui une impression profonde, on perd sa trace pendant deux ans.
En 1546, le Tiers Livre, pourtant moins irrévérencieux que ses devanciers, est lui aussi condamné par la Sorbonne [faculté de théologie]. Cela justifie-t-il la retraite de l'auteur à Metz, hors de portée de la justice du roi de France (→ Trois-Évêchés), en un temps où l'on risque encore le bûcher pour hérésie? À l'occasion de son troisième voyage à Rome, où Jean Du Bellay l'appelle, Rabelais écrit une « Relation des fêtes données à l'occasion de la naissance de Louis, duc d'Orléans », qu'il fera imprimer à son retour sous le titre de Sciomachie. Il fait imprimer à Lyon quelques chapitres du Quart Livre (1548), qui sera publié dans son intégralité en 1552 et immédiatement censuré par les théologiens.
Grâce à son protecteur, il obtient les cures de Saint-Martin de Meudon et de Saint-Christophe-du-Jambet, dans la Sarthe ; par la recommandation du cardinal de Châtillon, Odet de Coligny (1517-1571), il reçoit un privilège pour faire imprimer librement tous ses ouvrages. Que devient-il ensuite ? En janvier 1553, il renonce à ses cures. Il s'éteint à Paris en 1553.
1.3. Un bouffon de la démesure ?
Le conteur difforme
La légende d'un Rabelais ivrogne et bouffon s'est formée du vivant même de l'écrivain. Il apparaît ainsi dans l'épitaphe que Ronsard compose pour lui en 1554 ; l'historien Jacques de Thou, son contemporain, assure qu'« il se livra tout entier à une vie dissolue et à la goinfrerie ». L'imagination des lecteurs n'a jamais cessé de broder sur ces thèmes.
La Bruyère écrira que le livre de Rabelais est incompréhensible, que c'est « une énigme, quoi qu'on veuille dire, inexplicable ». Pour d'autres, qui s'efforceront de percer son secret, il est une sorte de philosophe et de mage : Voltaire voit en lui « un philosophe ivre » ; Chateaubriand le range parmi les « génies-mères » de l'humanité, et Victor Hugo le qualifie de « gouffre de l'esprit » pour son « rire énorme ». Silène contrefait dissimulant une fine drogue ? Sa figure et son œuvre présentent l'ambiguïté du prologue de Gargantua.
L'humaniste
Rabelais fut essentiellement un homme de la Renaissance. S'il nous invite à rechercher la « substantifique moelle » de la connaissance, il apporte aussi la guérison par le rire. Il goûta tous les plaisirs de la vie ; il apprécia la grandeur de Rome, le charme des jardins de Saint-Maur, les châteaux de la Loire et les tavernes de Chinon et de Paris, sans parler du « bon vin de Languedoc qui croît à Mirevaulx, Canteperdrix et Frontignan ».
Médecin reconnu, il a publié de savants travaux, qui sont d'un humaniste pur et qui donnent une idée des curiosités encyclopédiques de l'époque. Outre ses lettres à Budé, à Érasme, à Geoffroy d'Estissac et au cardinal Du Bellay, il donne chez Sébastien Gryphe, à Lyon, une édition des Aphorismes d'Hippocrate, et, dans son désir de vulgariser les textes importants, il publie les lettres du médecin italien Giovanni Manardi (1462-1536) et un texte juridique, le Testament de Cuspidius. En 1534, sa publication de la Topographia antiquae Romae de Bartolomeo Marliani révèle son goût pour la Rome antique et pour l'archéologie. Enfin, sa facétieuse Pantagruéline Prognostication prolonge la vogue des almanachs.
« [A]mateur de pérégrinité » comme son Pantagruel, il rechercha toujours un savoir nouveau. Il aima par-dessus tout l'indépendance, la liberté, et il fit une entière confiance en la bonté de la nature. Mais il demeure pour nous l'immortel conteur des aventures de Pantagruel. Délassement d'érudit ou « repos de plus grand travail » que savent s'accorder les humanistes de la Renaissance ?
2. Père de Gargantua et de Pantagruel
2.1. Quels prédécesseurs ?
Rabelais est le continuateur de la littérature profane du Moyen Âge : il connaît fort bien la farce et en particulier la sotie. Il leur emprunte non seulement certaines formes du comique de situation, mais encore le naturel du langage parlé, le sens du dialogue de théâtre, le rire qui défie la mort, qui libère de l'angoisse dans une atmosphère populaire de fête, de banquet, de jeu et de carnaval.
Le cycle pantagruélique commence par Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel (Lyon, 1532), qui contient l'histoire du fils avant celle du père, et qui deviendra plus tard le Second Livre. Rabelais reconnaît s'inspirer des Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua, ouvrage anonyme à succès, publié à Lyon en 1532, déclarant qu'il se propose d'écrire « un autre livre de même billon ». Ce livret populaire narrait les exploits de Gargantua et il en fut vendu, nous dit-il, plus d'exemplaires en deux mois « qu'il ne sera acheté de Bibles en neuf ans ».
Adoptant le plan traditionnel des romans de chevalerie : naissance, « enfances », prouesses, Rabelais ajoute à ces aventures fabuleuses quelques éléments facétieux qui reflètent les mœurs et les usages de l'époque. Mais ce roman comique porte, dans sa parodie même, une pensée : on y remarque notamment la critique des vieilles disciplines, des lectures scolastiques de l'abbaye de Saint-Victor, des excès pédants de l'écolier limousin, des pratiques de procédure judiciaire (argumentation par signes, débat des deux gros seigneurs).
La conception rabelaisienne s'inscrit d'autre part à la suite des Maccheronee (1517) de Teofilo Folengo et du Morgante maggiore (1483) de Luigi Pulci, qui présentent la force, l'appétit et la bonhomie d'un géant entouré de compagnons aux noms symboliques. Pantagruel doit le sien au petit démon qui, dans la littérature des Mystères, avait le don de faire naître la soif ; il sera roi des Dipsodes, des assoiffés.
2.2. Le Tiers Livre (1546)
La geste fabuleuse des géants avait permis à Rabelais de dénoncer les abus du monde dans une épopée satirique et dans la parodie caricaturale. Après le Gargantua, il reste douze ans sans rien publier. Ce long silence est significatif de la prudence dans laquelle, par crainte des foudres de la Sorbonne, doivent se retrancher les humanistes épris d'idées nouvelles. En 1546, il fait imprimer le Tiers Livre des faits et dits héroïques du noble Pantagruel, qui, après un prologue vibrant des préparatifs de défense contre les entreprises de Charles Quint, se développe comme une enquête sur le mariage et une satire de la justice.
Pourtant, le roman connaît une inflexion nouvelle : il n'est plus question de prouesses guerrières ; l'intérêt se concentre sur les discussions suscitées par les consultations de Panurge, qui se demande s'il doit ou non se marier. Réduit à s'endetter, il lance une prestigieuse apologie de la dilapidation et des dettes. Après avoir interrogé les « sorts virgiliens » et les songes, il prend conseil auprès de la sibylle de Panzoust, du muet Nazdecabre, du vieux poète Raminagrobis, de l'occultiste Her Trippa, du théologien Hippothadée, du médecin Rondibilis, du philosophe Trouillogan et du juge Bridoie. Peu satisfait de leurs réponses, il se tourne vers le bouffon Triboulet. Le sage Pantagruel l'engage à s'embarquer pour consulter l'oracle de la Dive Bouteille.
Faut-il voir dans le Tiers Livre un simple réquisitoire contre les femmes, dans la tradition satirique, ou même un reflet de la fameuse « querelle des femmes » qui passionna les esprits de 1542 à 1550 et qui opposa l'Amie de court, de Bertrand de La Borderie, à la Parfaite Amie, du platonicien Antoine Héroët ? Le dessein misogyne de Rabelais n'explique pas toute la portée du livre. Apportant des constatations de bon sens sur la vanité des conseils, le Tiers Livre nous montre que Panurge est amené à se décider seul. L'aspect philosophique de l'œuvre est clair : l'apologie des dettes laisse espérer un monde de solidarité dans l'harmonie d'un perpétuel échange ; la plante merveilleuse du « pantagruélion », dont la nature et les vertus sont longuement détaillées, symbolise l'énergie et les progrès possibles de l'humanité ; l'enquête sur le mariage de Panurge attestant l'inutilité des paroles, le voyage permettra de « toujours voir et toujours apprendre » et d'atteindre la vérité.
2.3. Le Quart Livre (1548-1552)… et la suite
Le récit de la navigation, annoncé à la fin du Tiers Livre, est mis en œuvre dans le Quart Livre des faits et dits héroïques du noble Pantagruel. Nous sommes témoins de l'odyssée de Pantagruel et de ses amis en quête de la Dive Bouteille : son oracle devrait mettre un terme aux incertitudes de Panurge. C'est donc le récit d'un voyage avec escales, descriptions de pays étrangers, tempête, au cours de laquelle le géant retrouve sa force prodigieuse.
L'originalité de Rabelais tient surtout à la création de personnages et de lieux allégoriques d'un étonnant relief, tels l'île des Chicanous, pour les gens de justice, ou celle de Messer Gaster (l'estomac), entouré de ses Gastrolâtres qui, comme leur nom l'indique, ont pour dieu leur ventre. Autant de condamnations de la contrainte et des aberrations humaines ! Chaque personnage incarne une attitude : Panurge, la peur devant le danger ; frère Jean, l'excès de témérité ; Pantagruel, un juste équilibre d'espoir et de prudence.
Aux souvenirs traditionnels des récits de navigation dans les épopées et les romans d'aventures, le Quart Livre ajoute probablement quelques traits empruntés aux voyages de Jacques Cartier au Canada, de 1534 à 1540 ; on y remarque, d'autre part, de vives attaques contre la papauté, au moment où le concile de Trente suscite une certaine défiance. Mais, encore une fois, le réel sert de support au mythe de la recherche de la Vérité.
En 1562 paraissent sous le titre de L'Isle sonante les premiers chapitres du Cinquième Livre (dont l'édition définitive paraît en 1564) des aventures de Pantagruel. Cette suite tardive de la « navigation faite par Pantagruel, Panurge et autres ses officiers » n'est peut-être pas entièrement de la main de Rabelais. La navigation narrée dans le Cinquième Livre aboutit au temple de la Dive Bouteille, dont l'oracle : « Trink ! » (« Bois ! »), semble inviter les pantagruélistes à boire aux sources du savoir. Est-ce la révélation des « mystères horrifiques » que promettait le prologue de Gargantua ?
2.4. Une comédie si humaine
Rire aux dépens de tous
Rabelais nous présente dans une foisonnante galerie de personnages, la plupart des classes et des institutions sociales. Il parle avec complaisance du peuple et des humbles : fouacier [marchand de galettes], berger, laboureur, bûcheron, marchand de moutons, sorcière de village. De la bourgeoisie et des élites il retient le professeur d'université, et surtout les nobles et les princes, « monde palatin », largement représenté. Il s'en prend avec une raillerie parfois féroce, aux juges, avocats, procureurs, plaideurs, dont il tourne en dérision la sottise, les « ineptes opinions » ou le pédantisme.
S'il se plaît à des tableaux colorés de la vie universitaire de son temps, il exècre les théologiens de Sorbonne (« sorbonagres » et « sorbonicoles »). Il condamne les moines pour leur saleté, leur oisiveté, leur inutilité sociale, et, pensant à l'activité de frère Jean, il s'emporte en âpres invectives. Il sait, à l'occasion, critiquer les vices des citadins, et ses portraits de femmes rusées, curieuses ou lascives ne manquent pas de relief. Mais il est surtout attentif aux problèmes relatifs à l'éducation, à la politique et à la religion.
L'art de brocarder
Rabelais dénonce l'obscurantisme pédant qui passe par une langue hermétique, un jargon pour le profane.
La langue de Rabelais est d'une confondante invention verbale, d'exubérance et de verve. Il lance son vocabulaire, d'une surprenante richesse, dans de foisonnantes assonances et litanies fantaisistes. La truculence rabelaisienne ne s'interdit ni les détails scatologiques, ni les obscénités. L'écrivain multiplie avec virtuosité les jeux de mots, les galimatias, les jurons, l'allégorie et le symbole. Panurge demande à manger en une douzaine de langues ; Rabelais forge les mots, les déforme, les combine : la langue française, sous sa plume, explose en liberté.
Boire… aux sources du savoir
Rabelais critique l'instruction selon les méthodes scolastiques. À l'exercice fastidieux de la mémoire et au formalisme stérile, qui ne forme qu'une « tête bien pleine » et un pédant intolérant, il préfère la curiosité d'un esprit toujours en éveil et une instruction par l'expérience, par le voyage, par les incertitudes de l'existence. Il prône le développement harmonieux du corps et de l'esprit, dans l'abandon d'une discipline de contrainte imposée de l'extérieur.
Touchant la politique, l'œuvre est une méditation sur le pouvoir royal ; elle exalte l'idéal du prince chrétien. Les bons rois, Grandgousier, Gargantua, Pantagruel, excellent par leur piété, leur sagesse et leur désir de paix.
Catholique moquant les prétentions des clercs qui se jugent meilleurs chrétiens que les laïques, critique envers les institutions, fondées par des hommes faillibles et intransigeants, railleur envers des croyances comme la vénération des reliques, le culte des saints ou les pèlerinages, Rabelais cherche à concilier un retour aux sources du christianisme, nourri d'une lecture moins indirecte des Écritures (dans le texte en hébreu et en grec), et sa foi humaniste en la noblesse de la nature humaine.
Croire en la nature et en l'homme
L'irrévérence à l'égard du sacré est un thème familier à la littérature médiévale. Dès le xvie siècle, l'image de la religion véhiculée par Rabelais suscita maints débats et commentaires. Pour les conservateurs catholiques, en particulier les théologiens de la faculté de Paris (les « sorbonagres »), les railleries de Rabelais trahissaient le calviniste masqué, donc l'hérétique. Mais, depuis Genève, Calvin le qualifiait de « pourceau » dans son Traité des scandales (1550) – à quoi Rabelais rétorquait en injuriant les « démoniacles Calvins, imposteurs de Genève ».
Pourtant, ses attaques contre les superstitions populaires sont assorties de l'affirmation d'une foi profonde. Comme les évangéliques de son temps, Rabelais désire ardemment voir l'Église se réformer elle-même. À Thélème, les hypocrites, bigots, cagots (faux dévots) sont exclus d'une abbaye qui s'ouvre largement pour donner « refuge et bastille » à ceux qui annoncent « le saint Évangile en sens agile », aux bons prêcheurs évangéliques. Loin de mettre l'accent sur l'infirmité de la nature humaine, Rabelais lui fait une entière confiance.
Cet optimisme éclate dans le mythe de Thélème, société idéale soumise aux règles de l'honneur, sans doute ! Mais la leçon symbolique est là : par l'éducation, par la raison, l'homme est capable d'assurer son salut, de maintenir sa dignité, de vivre en harmonie avec ses semblables dans un heureux épanouissement. Utopie pédagogique, voire utopie politique, Thélème porte le témoignage le plus évident de la sagesse rabelaisienne.
2.5 Postérité
L'influence de Rabelais est attestée à toutes les époques. De son temps, sa célébrité est bien reconnue, et même les pamphlétaires protestants (d'Aubigné voit en lui un « auteur excellent ») lui demandent quelques armes pour confondre leurs adversaires. Les « libertins » du siècle suivant ne manquent pas de l'apprécier, et il devient le modèle de plusieurs poètes burlesques (Saint-Amant, Sarasin ou Scarron). Molière et La Fontaine lui doivent beaucoup, et Voltaire le relit sans cesse.
La Révolution et le romantisme vont faire de lui un prophète et un mage, et Victor Hugo le premier. Les Contes drolatiques de Balzac témoignent du même intérêt. Michelet dira du livre de Rabelais : « Le sphinx ou la chimère, un monstre à cent têtes, à cent langues, un chaos harmonique, une farce de portée infinie, une ivresse lucide à merveille, une folie profondément sage. » D'autres, comme Flaubert, aiment sa « phrase nerveuse substantielle, claire, au muscle saillant, à la peau bistrée ».
Pourtant, si le nom de Rabelais demeure impérissable, c'est à titre d'auteur comique, d'un comique qui comporte autre chose que la farce et le ridicule, à titre de narrateur sans égal qui sait filer le récit, choisir le détail concret et expressif. Malgré les orages de l'époque, il incarne une saine gaieté, et son génie domine la Renaissance avec celui de Montaigne.
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