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MÉDICAMENTS ET CHIMIE

 

Transcription [1] de la 617e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 24 juin 2006 revue par l'auteur.

Bernard Meunier : « Médicaments et chimie : un brillant passé et un vrai futur »

Très tôt l'homme a utilisé les produits de la Nature pour traiter les différentes maladies auxquelles il était confronté. Les premiers traités de chimie thérapeutique moderne, décrivant la relation entre un composé chimique et une activité thérapeutique, datent maintenant de plusieurs siècles. Nous allons présenter l'histoire commune de la chimie et du médicament sur plusieurs millénaires avant de décrire les enjeux des thérapies du futur.
Un médicament est une substance possédant des propriétés curatives ou préventives destinées à guérir, soulager ou prévenir des maladies. Il contient à la fois la notion de guérison et de prévention. « Médicament » et son synonyme « remède » viennent du mot latin « mederi » qui signifie « soigner ».
Le mot « médicament » se traduit en anglais par « medication » et plus souvent par « drug », notamment en américain. Le terme « drug » ou « drogue » provient du latin « drogia ». Il est ambigu puisqu'il désigne aussi bien un médicament qu'une substance illicite. En français, il ne désigne plus une préparation magistrale d'un pharmacien d'officine, ou d'un droguiste traditionnel, depuis une cinquantaine d'années.

Les premières sources de médicament sont les plantes. Les chimistes vont très rapidement s'y intéresser. L'homme de Neandertal était déjà un spécialiste de l'utilisation des plantes, y compris pour un usage médicinal. Ainsi des roses trémières ont été retrouvées dans la bouche de néandertaliens qui avaient été ensevelis dans les tombes de la grotte d'Amuci (Israël) [2]. La rose trémière était un analgésique utilisé dans le traitement des infections buccales.
La médecine traditionnelle chinoise est la plus ancienne. Les premières traces écrites de la médecine traditionnelle chinoise remontent à près de 3 000 ans avant J.-C. Le légendaire empereur Shan-Nung avait un herbier de plantes médicinales (2 900 avant J.-C.) ; mais on retiendra surtout l'herbier de Li Shih-Chen de 1578 dont une version anglaise est disponible depuis 2002 sous le titre « Chinese medicinal herbs ».
Les Égyptiens utilisaient également les plantes comme médicaments. Un archéologue allemand, Georg Ebers, de l'université de Leipzig a découvert au XIXème siècle à Louxor un document extraordinaire qu'on appelle « le papyrus d'Ebers ». Ce papyrus qui fait 20 mètres de long est conservé à la bibliothèque de l'université de Leipzig. Cette sorte de codex datant du siècle d'Aménophis Ier (1525-1504 avant J.-C.) est une liste de près de 870 plantes à usage médical.
Hippocrate (né en Grèce sur l'île de Cos en 460 avant J.-C.) recense plus de 400 plantes pour traiter les maladies. Le terme grec « pharmakon » qui a donné « pharmacie » en français a un double sens. Il désigne à la fois la substance qui guérit ou remède, et le poison. En effet, les produits d'origine naturelle ne sont pas inoffensifs. Les grecs savaient parfaitement qu'en fonction de la dose un même produit pouvait avoir une activité curative qui allait soulager le malade ou bien une activité toxique et l'empoisonner. La toxicité est toujours dépendante de la dose.
Claude Galien, autre grand médecin grec (131-201 après J.-C.), est le premier à s'intéresser à la préparation même des médicaments à base de plantes. Son travail est à l'origine de la pharmacie galénique. La pharmacie galénique consiste à préparer à partir d'une substance, un médicament pour le rendre plus agréable, plus facilement assimilable. La pharmacie galénique a été considérée ces derniers temps comme un aspect traditionnel de la pharmacie mais elle retrouve actuellement une nouvelle jeunesse avec l'apport de nouveaux matériaux. Il s'agit d'améliorer l'efficacité des médicaments en améliorant leur biodisponibilité, leur distribution à travers les tissus, pour cibler les organes touchés. Galien a écrit, d'après ses contemporains, plus de cinq cents ouvrages. Malheureusement nous avons très peu de traces de ces ouvrages car leur quasi-totalité a été détruite lors d'un incendie dans le temple de la paix à Rome où il enseignait en 192 après J.-C.
Avicenne (Ibn Sina, né en Perse en 980, mort en 1037) est connu dans l'histoire du médicament comme le médecin arabe qui a permis de retrouver et transmettre les acquis de la médecine grecque et de la médecine égyptienne aux IX-Xèmes siècles. Le « Canon de la médecine » est son ouvrage le plus connu. Le volume 5 décrit 760 médicaments alors qu'Hippocrate en décrivait 400 et « le papyrus d'Ebers » 870. Traduit en latin entre 1150 et 1187 par Gérard de Crémone, cet ouvrage sera la référence médicale jusqu'au XVIIème siècle.
En Europe, après la perte des savoirs qui fait suite à l'effondrement de l'Empire romain, les connaissances sont retrouvées à travers la médecine arabe.
Les alchimistes transmettaient le savoir de ce qui était déjà les balbutiements de la chimie et de l'utilisation des plantes et des produits chimiques pour guérir. Paracelse, médecin alchimiste suisse (1493-1541) est le premier à introduire les produits chimiques de synthèse dans les traitements médicaux. Il signale les propriétés anesthésiques de « l'eau blanche » (éther éthylique ou diéthyléther) obtenue par action de l'acide sulfurique sur l'éthanol : « L'eau blanche fait tomber les poulets dans un sommeil profond dont ils se réveillent sans en subir aucun dommage. » Après l'utilisation des plantes et la reconnaissance de principes actifs dans les plantes, nous arrivons ainsi peu à peu à la création de nouvelles molécules.

L'histoire des médicaments en France du XVème au XVIIIème siècle voit la mise en place des préparations reproductibles, ce qu'on appellerait maintenant les bonnes pratiques de laboratoire. Dans l'industrie chimique et l'industrie pharmaceutique, tout ce qui touche les médicaments est largement codifié. Les cahiers de laboratoire sont écrits selon certains critères et les archives sont conservées pour l'essentiel du travail entre 15 et 20 ans. Ces bonnes pratiques ne sont pas récentes puisqu'elles remontent à Jean Le Bon. En 1326, il édite « l'Antidotaire de Nicolas » recommandant aux apothicaires de Paris de suivre de bonnes pratiques de laboratoire.
À partir du XVème siècle, les premiers livres de pharmacopée sont publiés en Europe, notamment :
Ricettario Fiorentino (Italie, XVème siècle)
Codex Medicamentarius (fin XVIème siècle)
Pharmacopea Parsisiensis (1638)
Pharmacopée universelle de Nicolas Lémery (1697)
Éléments de Pharmacie et de Chimie d'Antoine Baumé (1762)
La rédaction du Codex Medicamentarius, ordonnée en 1568, a demandé plus de quarante années de rédaction collective et a donné lieu à des versions régionales. Il fait partie des grands ouvrages de la vie intellectuelle de cette époque. Il expliquait comment avoir une préparation de médicaments parfaitement reproductible.
Les codex régionaux étaient largement inspirés des codex parisiens, mais il y avait tout de même des divergences et au moment de la rationalisation de la Révolution Française, les pharmacopées régionales ont été abandonnées au profit d'une référence nationale. La loi du 21 germinal de l'an XI, en 1803, impose un texte unique pour les recettes de pharmacopée classique.
La « Pharmacopée universelle » de Nicolas Lémery (1645-1715) est le premier ouvrage décrivant les interactions entre la chimie raisonnée et le monde du médicament. Nicolas Lémery avait une double formation. Après avoir travaillé comme aide apothicaire, il a fait des études de médecine à l'université de Montpellier, dont on n'oublie pas qu'elle a formé Rabelais. Nicolas Lémery y a occupé la Chaire de chimie avant de revenir à Paris et de donner rue Galande des cours de chimie raisonnée en faisant des expériences publiques. Il fait ainsi sortir la chimie de l'alchimie qui était totalement embourbée dans l'obscurantisme. Suivant la pensée raisonnée de Pascal et de Descartes, la révolution vers le siècle des Lumières est en cours. Pour Nicolas Lémery, la chimie va devenir une science raisonnée comme les mathématiques ou la physique. Pour lui, l'essentiel est la reproductibilité des expériences. « Le Cours de Chymie » publié en 1675 par Nicolas Lémery alors âgé de trente ans, a été l'ouvrage de référence en chimie réédité dix-neuf fois pendant un siècle avant d'être remplacé par les premiers livres de chimie moderne.
La chimie moderne, raisonnée, s'est développée grâce aux travaux de Lavoisier, Berthollet, Fourcroy et Guyton de Morveau. Ce quatuor a véritablement révolutionné la chimie à la fin du XVIIIème siècle. Ils introduisent la nomenclature chimique, c'est-à-dire la possibilité de nommer un composé chimique de manière rationnelle de façon à ce que tout le monde puisse parler du même produit dans tous les pays en se comprenant. Les chimistes disposent alors d'un langage universel et rationnel, totalement débarrassé de la poésie et de l'obscurantisme de l'alchimie. Avant 1789, le CO2 ou dioxyde de carbone avait plus de quarante noms différents dont « l'air fixe » ! " « La Méthode de Nomenclature chimique » (1787) par Guyton de Morveau, Lavoisier, Berthollet et Fourcroy, et « le Traité élémentaire de chimie » (1789) de Lavoisier marquent l'entrée de la chimie dans les sciences exactes. Parlons un peu de la découverte de l'eau de Javel.

À cette époque, le lin devait être blanchi avant la teinture. Cette opération était réalisée en posant les draps dans un pré. Le rayonnement solaire sur la chlorophylle dégageait de l'oxygène singulet qui provoquait le blanchiment du lin. Les lavandières et les paysans se disputaient l'usage des pâturages. Claude Berthollet en cherchant un agent de blanchiment a synthétisé en 1789 : l'hypochlorite. Cette découverte a été publiée dans les « Les Annales de chimie » créées par Fourcroy, Guyton de Morveau et Lavoisier quelques années auparavant. L'hypochlorite NaOCl est obtenu par oxydation de chlorures qui conduit à la formation de chlore, et la solution aqueuse obtenue devient stable en milieu alcalin, initialement de la cendre, source de potasse. La première usine de fabrication de l'hypochlorite se situait à Javelle, petit village de lavandières de l'Ouest parisien, d'où le nom de l'eau de Javel.
L'eau de Javel est un blanchissant mais aussi un agent de désinfection extraordinaire. Elle lutte efficacement contre les bactéries, les agents pathogènes et les virus, qui ne seront identifiés qu'au milieu du siècle suivant avec l'essor de la microbiologie. Elle a permis de nettoyer les hôpitaux, en particulier les sols des zones infectées, et de sauver des millions de vies. Le Dakin, solution d'hypochlorite coloré avec du permanganate, est toujours utilisé comme désinfectant et les dentistes nettoient les racines des dents infectées avec de l'hypochlorite, notamment pour tuer le virus du SIDA. L'agent désinfectant de l'eau de Javel c'est l'acide hypochloreux, celui là même qui est libéré par les enzymes des macrophages humains pour éliminer les pathogènes.

Le début du XIXème siècle, 1800-1850, voit la naissance de la chimie des produits naturels. Le développement de la chimie rationnelle et l'adoption de méthodes expérimentales rigoureuses permettent de caractériser les produits actifs des plantes médicinales.
La morphine est isolée par un jeune pharmacien allemand, Friederich Sertürner, en 1803.

L'acide salicylique ou salicyline est extrait en 1829 de l'écorce de saule (salix en latin) par Pierre-Joseph Leroux. L'utilisation de feuilles de saule était connue pour aider à guérir les fièvres, limiter les maux de tête. Elle était mentionnée dans le papyrus égyptien découvert par Ebers. L'identification du principe actif, sa caractérisation et sa production rationnelle permettent d'avoir une préparation efficace d'un médicament dont l'activité ne dépend pas de la personne qui récolte les feuilles ni de la saison.

En 1853, Charles Gerhardt, brillant chimiste strasbourgeois (1816-1856), réussit la synthèse de l'acide acétylsalicylique et dépose un brevet. En vingt ans, il va aussi introduire en chimie la notion de fonction chimique utilisée pour classer les produits chimiques. Son décès prématuré plonge son travail dans l'oubli pendant de nombreuses années.
En 1897, Félix Hoffmann de la société Bayer reprend les travaux de Gerhardt et réalise la synthèse industrielle. La commercialisation de l'aspirine par Bayer débute en 1899. L'exportation de l'aspirine avant la première guerre mondiale a été le début florissant de cette société allemande. À l'occasion du traité de Versailles le gouvernement français a exigé que le brevet de l'aspirine passe dans le domaine public. Elle a ainsi été fabriquée à Lyon dans les usines du Rhône qui donneront naissance avec les usines Poulenc de Vitry à Rhône-Poulenc, société qui a largement contribué au développement de l'industrie pharmaceutique française au XXème siècle.

Au début du XIXème siècle, les chimistes sont capables d'identifier et de synthétiser des produits à partir de produits naturels. Au milieu du siècle, 1850-1860, l'association de la chimie des colorants à la chimie des produits naturels va conduire à la naissance de l'industrie pharmaceutique moderne.

Les trente dernières années du XIXème siècle vont voir l'épanouissement de la microbiologie qui fera le lien entre les bactéries pathogènes et les infections. Le microscope avec l'observation directe des micro-organismes permet de battre en brèche la théorie de la génération spontanée des microbes. Le développement conjoint de la microbiologie et de la chimie va permettre la création de merveilleux médicaments. La notion d'agent pathogène existait au début du XIXème siècle puisque Larrey, célèbre chirurgien des armées napoléoniennes, évitait les infections lors des amputations sur les champs de bataille en utilisant de l'alcool, du vinaigre, et un peu le fer rouge.

Louis Pasteur (1822-1895) et Robert Koch (1843-1910) sont les deux figures marquantes de la microbiologie en France et en Allemagne. En une trentaine d'année, ils vont permettre l'identification des agents pathogènes, virus ou bactéries, responsables des maladies suivantes : rage, peste, choléra, typhoïde, méningite, diphtérie, tuberculose, syphilis, tétanos, botulisme, lèpre, ...
La connaissance de l'agent pathogène va conduire à la mise en place de règles d'hygiène rationnelles et la mise au point de vaccins, d'antibactériens et d'antiviraux. Le respect des règles d'hygiène pasteurienne dans les salles d'accouchement a permis de diviser par trois à quatre la mortalité infantile.

Les premiers médicaments obtenus par synthèse chimique apparaissent avec l'essor de la chimie industrielle à la fin du XIXème siècle. Paul Erlich comprend qu'il est possible d'associer des petites molécules chimiques pour lutter contre un certain nombre d'agents pathogènes. Il s'intéresse aux dérivés de l'arsenic. Il crée le Salvarsan, le premier médicament qui lutte contre la maladie du sommeil.

Le premier antibactérien date de 1933. Gerhardt Domagk va tester des milliers de molécules de l'IG Farben entre 1927 et 1930 sur des streptocoques. Ce travail le conduit aux sulfamides, dont le dérivé azoïque le Prontosil, et aux acridines. Le premier sulfamide de l'histoire du médicament est une étape essentielle puisqu'il marque la découverte de la notion de métabolite actif et de la mise en évidence de son mécanisme d'action. Il comprend la notion de métabolite actif, le fait, qu'entre le produit qui est absorbé et le produit qui va agir sur sa cible pharmacologique, il y a une transformation par l'organisme. En 1935-1938, les époux Tréfouël de l'Institut Pasteur montrent que l'activité antibactérienne est permise par la coupure de la molécule au niveau d'une double liaison azote-azote qui donne une amine aromatique qui est le produit actif.

Plusieurs questions restaient encore en suspens : pourquoi une molécule a-t-elle une activité pharmacologique ? Quelle est sa cible ? Comment cette molécule interagit-elle avec la cible ? En 1940, Woods de l'université d'Oxford montre que le métabolite du Prontosil est un inhibiteur de la synthèse d'une enzyme, le tétrahydrofolate, qui est impliqué dans les transferts d'enchaînement en C1 dans des étapes de biosynthèse de la bactérie. Cette inhibition chez l'homme est compensée par l'apport d'acide folique par l'alimentation.

Pour développer des médicaments, il faut absolument comprendre comment la molécule ingérée va être transformée et quel est son mécanisme d'action.
La mise sur le marché américain du Prontosil conduit à un drame. La première formulation du médicament aux Etats-Unis va se faire avec de l'éthylène glycol ou antigel comme excipient, conduisant au décès de 76 personnes. Les autorités fédérales américaines réagissent immédiatement en créant la Food and Drug Administration (FDA) qui va édicter des règles strictes sur l'évaluation pré-clinique et clinique des futurs médicaments. Après un certain empirisme des bonnes pratiques sont mises en place et les procédures de fabrication bien plus encadrées au point de vue scientifique.

En 1930, Flemming identifie à partir d'un champignon un produit capable de tuer les bactéries, c'est la pénicilline. Il faudra attendre la deuxième guerre mondiale et l'effort de guerre des américains pour avoir une production industrielle de la pénicilline. Cette production en masse en 1942-1943 a nécessité la mobilisation de plus de mille scientifiques de très haut niveau pour résoudre les problèmes posés par la fermentation, l'extraction et la purification par des méthodes chimiques industrielles à très grande échelle. L'un des précurseurs chimiques de la pénicilline, le précurseur des céphalosporines est produit actuellement à raison de 45 000 tonnes par an dans d'immenses cuves de fermentation d'une dizaine de mètres cubes.

Pendant une centaine d'années, de la fin du XIXème jusqu'aux années 1980, les seuls outils thérapeutiques ont été les vaccins et des petites molécules. Pasteur a préparé son vaccin contre la rage à partir de la moelle épinière de lapins infectés. À sa suite, de grands succès sont obtenus par les vaccins dans la lutte contre la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la variole, les hépatites A et B, la grippe, ... Les petites molécules utilisées dans les centaines de nouveaux médicaments développés à cette période sont alors des produits naturels, le plus souvent extraits de végétaux, ou bien des produits de synthèse chimique. Les découvertes étaient quasi-routinières au cours du XXème siècle et l'espérance de vie a augmenté.

À partir de 1970, la biologie devient véritablement moléculaire. Des outils créés par les physiciens dans les années 1930-1940, comme la diffraction des rayons X sur nano-cristaux, la résonance magnétique nucléaire, la spectrométrie de masse, sont utilisés par les chimistes pour étudier les petites molécules. Le perfectionnement de l'instrumentation va permettre d'utiliser ces techniques sur les macromolécules. Aux cours des années 1990-95, la facilité de résolution des structures d'enzymes est alors équivalente à celle d'une petite molécule chimique en 1970. Des milliers de structures de protéines ou d'acides nucléiques sont maintenant disponibles. La compréhension du vivant et la compréhension des produits chimiques deviennent équivalentes.

Il y a quarante ans, la découverte de la structure de l'hémoglobine a valu un prix Nobel à Max Perutz, de l'université de Cambridge. La structure de la pénicilline et de la vitamine B12 vaut un autre prix Nobel à Dorothy Hodgkin à Oxford, à peu près à la même époque. Maintenant, la publication de la structure d'une protéine se fait dans des journaux classiques et elle est directement archivée sur des banques de données. Les trente dernières années du XXème siècle ont vu une accélération extraordinaire de la connaissance moléculaire du domaine du vivant.

Les années 1965-1980 ont été celles de la découverte des outils pour étudier les gènes, notamment les enzymes de restrictions qui coupent les gènes et les ligases qui recollent les morceaux. De la compréhension du fonctionnement des gènes aux manipulations génétiques, il n'y a eu qu'un pas rapidement franchi. C'est le monde de la biotechnologie moderne où les choses ne sont plus laissées au hasard et où l'expérimentateur peut intervenir. Le séquençage des génomes, de l'homme comme des agents pathogènes, se systématise. La connaissance du génome des agents pathogènes, virus et bactéries, permet l'amélioration des outils de diagnostic et l'identification de nouvelles cibles thérapeutiques. La compréhension des maladies d'origine génétique ouvre la voie aux corrections des erreurs génétiques par la thérapie génique.
La connaissance du génome ouvre la voie à de nouvelles techniques. La génomique est l'accessibilité de la totalité de l'information génétique d'une espèce vivante. La protéomique est la possibilité d'exprimer toute protéine à partir du génome. La pharmacogénomique est la possibilité d'adapter un traitement thérapeutique selon le profil métabolique de chaque individu. Les connaissances sur la capacité des individus à métaboliser ou à ne pas métaboliser, sur leurs réactions vis-à-vis d'un médicament, permettent d'imaginer dans le futur de pouvoir adapter les posologies en fonction du patrimoine génétique de chacun. Quant à la robotique, elle permet à des mini-robots de paillasse de réaliser des milliers de molécules et d'essais biologiques in vitro. Ils atteignent rapidement leurs limites car ils produisent toujours les mêmes produits en utilisant les mêmes réactions avec une diversité structurale par trop limitée. De plus, les tests in vitro ne prennent pas en compte les problèmes de biodisponibilité, de pénétration et de passage de membrane.

Le rôle du chimiste dans l'innovation thérapeutique en ce début de XXIème siècle va être essentiel car il est formé et entraîné pour comprendre les choses au niveau moléculaire. Il pourra travailler avec des biochimistes, avec des spécialistes de biologie moléculaire, de biologie cellulaire, de toxicologie, de pharmacologie, de médecine clinique. Les raisonnements en termes moléculaires font tomber les barrières de spécialités ( au singulier dans le sens de barrières liées à la spécialité / au pluriel mais alors écrire barrière des spécialités) mais le champ des connaissances nécessaires pour aller d'un domaine à l'autre dépasse souvent les capacités individuelles. Le chimiste moderne doit maîtriser la chimie de base et plusieurs domaines de la biologie. La biochimie est devenue une partie intégrante de la chimie, de même que l'enzymologie moléculaire. Les biologistes et les médecins doivent également avoir des bases élémentaires solides en chimie thérapeutique et en pharmacologie. Il faut des médecins qui restent au pied du malade en ayant cette capacité à discuter avec d'autres médecins qui sont impliqués dans la recherche clinique, à la recherche de médicaments. Les numerus clausus doivent être révisés régulièrement de manière intelligente pour éviter de créer des pénuries de médecins praticiens, s'il s'agit des cliniciens sinon chercher un synonyme à pratiquant qui renvoie à religion voire le supprimer.

Les chimistes créatifs vont continuer à être des acteurs clés dans l'industrie pharmaceutique du futur. Le « rational drug design » est le développement de la création rationnelle de nouveaux pharmacophores. La compréhension au niveau moléculaire du monde du vivant conduit à la création d'objets chimiques parfaitement adaptés à une utilisation en tant qu'outils thérapeutiques.

La chimie des produits naturels va continuer à se développer car la nature est une source d'inspiration de nouvelles structures de haute diversité.
La chimie théorique, avec des ordinateurs de plus en plus puissants et mieux utilisés, va permettre de faire des prédictions de l'interaction de molécules avec des systèmes biologiques et des sites pharmacologiques.

Selon les étapes de la création et de développement d'un médicament, différents métiers interviennent successivement : les chimistes et les biologistes sont les plus impliqués dans les phases de découverte pré-clinique alors que les médecins prennent le relais en phase clinique. Dès les premiers essais cliniques, les statisticiens ont un rôle primordial de prédiction du rapport bénéfice/risque afin d'éviter, par exemple, d'attendre le traitement de dizaines de milliers de personnes pour identifier d'éventuels effets secondaires néfastes.
La diversification des outils dans l'arsenal thérapeutique du XXIème siècle est une combinaison de réalité, d'espoirs et de rêves. Les macromolécules biologiques, traitées comme des objets chimiques, font maintenant partie, et prendront une part de plus en plus importante dans l'arsenal thérapeutique du futur. L'hormone de croissance, l'érythropoïétine capable de stimuler la production de globules rouges, sont produites par génie génétique.

Les thérapies génique et cellulaire sont encore du domaine de l'espoir. La thérapie génique est l'utilisation de gènes ou de molécules capables de modifier l'expression génétique pour traiter des maladies d'origine génétique. La thérapie cellulaire est l'utilisation de cellules souches pour réparer des dégâts au sein de tissus et d'organes.

Pour favoriser l'innovation thérapeutique, il faut favoriser la créativité dans tous les domaines. Il faut, à la fois, des chercheurs de très grande qualité en recherche fondamentale et des chercheurs de très grande qualité en recherche appliquée. La recherche fondamentale est indispensable pour le développement des recherches appliquées, mais, il arrive parfois que des résultats soient appliqués avant la compréhension complète des processus scientifiques sous-jacents. Chaque génération a sa proportion de talent et je souhaite que beaucoup s'intéressent à la fois à la chimie et à la thérapie et contribuent dans le futur à la création de médicaments de plus en plus efficaces et de plus en plus sûrs.

[1] Transcription réalisée par Juliette Roussel
[2] M. Madella et al, J. Archaeolog. Sci. 29, 703-719 (2002)

 

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Le microbiote intestinal à la rescousse des chimiothérapies

 

Le microbiote intestinal à la rescousse des chimiothérapies
Deux espèces bactériennes présentes dans l'intestin boostent l'efficacité des chimiothérapies à base de cyclophosphamide en optimisant l’immunité anti-tumorale induite par ce médicament. C'est ce qu'affirment des chercheurs de l’Inserm, de Gustave Roussy, du CNRS, de l’Institut Pasteur de Lille, et des universités Paris Sud et de Lille dans un article publié le 4 octobre dans la revue Immunity.
Des études récentes ont montré que certains microbes intestinaux favorisent la croissance de tumeurs, tandis que d'autres contribuent à rendre plus efficaces des traitements anti-cancéreux. Il restait à identifier la nature et le mode d’action des espèces bactériennes capables d’optimiser la réponse anti-tumorale induite par la chimiothérapie.
Dans cette nouvelle étude, Mathias Chamaillard1, Laurence Zitvogel2 et leurs collaborateurs, ont montré que deux bactéries intestinales, E. hirae et B. intestinihominis, potentialisent ensemble les effets thérapeutiques anticancéreux du cyclophosphamide, une chimiothérapie utilisée dans le traitement de nombreux cancers.
Comment ? La chimiothérapie entraine des effets secondaires parmi lesquels une plus forte porosité de la barrière intestinale et, par voie de conséquence, le passage des bactéries constitutives du microbiote dans la circulation sanguine. Pour lutter contre ce passage anormal des bactéries dans la circulation, une réponse immunitaire se déclenche. Contre toute attente, cette réponse est bénéfique pour les patients car elle peut entraîner aussi la destruction des cellules tumorales. La tumeur est donc attaquée directement par le traitement de cyclophosphamide et indirectement par cet effet "boostant" des bactéries.
Plusieurs modèles précliniques ont permis aux chercheurs de démontrer que la réponse immunitaire anti-tumorale induite par le cyclophosphamide est optimisée après l’administration par voie orale de E. hirae. Un traitement par voie orale par B. intestinihominis a permis d'obtenir un effet similaire.
Ensuite, les chercheurs ont analysé le profil immunitaire des lymphocytes sanguins de
1 Unité 1019 "Centre d'infection et d'immunité de Lille" (Inserm/CNRS/Université de Lille/Institut Pasteur de Lille)
2 Unité 1015 "Immunologie des tumeurs et immunothérapie" (Inserm/Institut Gustave Roussy/Université Paris-Sud)
38 patients atteints d'un cancer du poumon ou de l'ovaire à un stade avancé et traités par chimio-immunothérapie. Ils ont découvert que la présence de lymphocytes T mémoires spécifiques de E. hirae et B. intestinihominis permet de prédire la période pendant laquelle un patient vit avec un cancer sans qu'il ne s'aggrave, pendant et après un traitement.
« L'efficacité d'un médicament anticancéreux repose sur une interaction complexe entre le microbiome du patient et sa capacité à élaborer une mémoire immunitaire efficace contre certaines bactéries du microbiote intestinal », explique l'un des principaux auteurs de l'étude, Mathias Chamaillard, Directeur de recherche Inserm. « Ces résultats nous permettent d’envisager une meilleure efficacité de ces traitements en optimisant l'utilisation des antibiotiques, mais également par la mise en place d'une supplémentation de certaines bactéries qualifiées d’onco-microbiotiques (ou de leurs principes actifs) capables de renforcer l'efficacité des anticancéreux ».
Les chercheurs ont prévu d'identifier, dans le cadre d'études ultérieures, les parties spécifiques des bactéries responsables du renforcement des effets du cyclophosphamide. « Si nous arrivons à répondre à cette question, nous pourrons peut-être trouver une manière d'améliorer la survie des patients traités par cette chimiothérapie en leur administrant des médicaments dérivés de ces bactéries.», conclut Mathias Chamaillard.
Sources
Enterococcus hirae and Barnesiella intestinihominis Facilitate Cyclophosphamide-Induced Therapeutic Immunomodulatory Effects
Romain Daillère1,2,3, Marie Vétizou1,2,3, Nadine Waldschmitt4, Takahiro Yamazaki1,2, Christophe Isnard5,6, Vichnou Poirier-Colame1,2,3, Connie P. M. Duong1,2,7, Caroline Flament1,2,7, Patricia Lepage8, Maria Paula Roberti1,2,7, Bertrand Routy1,2,3, Nicolas Jacquelot1,2,3, Lionel Apetoh9,10,11, Sonia Becharef1,2,7, Sylvie Rusakiewicz1,2,7, Philippe Langella8, Harry Sokol8,12,13, Guido Kroemer14,15,16,17,18,19, David Enot1,15, Antoine Roux1,2,3,18, Alexander Eggermont1,3, Eric Tartour20,21, Ludger Johannes22,23,24, Paul-Louis Woerther25, Elisabeth Chachaty25, Jean-Charles Soria1,3, Benjamin Besse1,3, Encouse Golden26, Silvia Formenti26, Magdalena Plebanski27, Mutsa Madondo27, Philip Rosenstiel28, Didier Raoult29, Vincent Cattoir*5,6,30, Ivo Gomperts Boneca*31, Mathias Chamaillard*4 and Laurence Zitvogel1,2,3.
1 Institut de Cancérologie Gustave Roussy Cancer Campus (GRCC), 114 rue Edouard Vaillant, Villejuif, 94805, France ;
2 Institut National de la Santé Et de la Recherche Medicale (INSERM), U1015 and CICBT1428, GRCC, Villejuif, 94805, France
3 University of Paris-Saclay, Kremlin Bicêtre, 94270, France ;
4 University of Lille, CNRS, Inserm, CHRU Lille, Institut Pasteur de Lille, U1019-UMR 8204-CIIL, Centre d’Infection et d’Immunite´ de Lille, 59000 Lille, France;
5 Université de Caen Basse-Normandie, EA4655 U2RM (Équipe Antibio-Résistance), Caen, 14033, France ;
6 CHU de Caen, Service de Microbiologie, Caen, 14033, France ;
7 Center of Clinical Investigations in Biotherapies of Cancer (CICBT) 1428, Villejuif, 94805, France ;
8 Micalis Institute, INRA, AgroParisTech, Université Paris-Saclay, 78350 Jouy-en-Josas, France ;
9 Lipids, Nutrition, Cancer, INSERM, U866, Dijon, 21078, France ;
10 Department of Medicine, Université de Bourgogne Franche-Comté, Dijon, 21078, France ;
11 Department of Oncology, Centre Georges François Leclerc, Dijon, 21000, France ;
12 AVENIR Team Gut Microbiota and Immunity, ERL, INSERM U 1157/UMR 7203, Faculté de Médecine, Saint-Antoine, Université Pierre et Marie Curie (UPMC), Paris, 75012, France ;
13 Service de Gastroentérologie, Hôpital Saint-Antoine, Assistance Publique—Hôpitaux de Paris (APHP), Paris, 75012, France ;
14 INSERM U848, 94805 Villejuif, France ;
15 Metabolomics Platform, Institut Gustave Roussy, Villejuif, 94805, France ;
16 Equipe 11 labellisée Ligue contre le Cancer, Centre de Recherche des Cordeliers, INSERM U 1138, Paris, 75006, France ;
17 Pôle de Biologie, Hôpital Européen Georges Pompidou, AP-HP, Paris, 75015, France ;
18 Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, 75006, France ;
19 Karolinska Institute, Department of Women's and Children's Health, Karolinska University Hospital, Stockholm, 17176, Sweden ;
20 INSERM U970, Paris Cardiovascular Research Center, Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, 75015, France ;
21 Service d’immunologie biologique, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris, 75015 France ;
22 INSERM U1143, 75005 Paris, France ;
23 Institut Curie, PSL Research University, Endocytic Trafficking and Therapeutic Delivery group, Paris, 75248, France ;
24 CNRS UMR 3666, Paris, 75005, France ;
25 Service de microbiologie, GRCC, Villejuif, 94805, France ;
26 Department of Radiation Oncology, Weill Cornell Medicine, New York, NY, USA ;
27 Department of Immunology and Pathology, Monash University, Alfred Hospital Precinct, Melbourne, Prahran, Victoria 3181, Australia ;
28 Institute of Clinical Molecular Biology, Christian-Albrechts-University and University Hospital Schleswig-Holstein, Campus Kiel, 24105 Kiel, Germany ;
29 AIX MARSEILLE UNIVERSITE, URMITE (Unité de Recherche sur les Maladies Infectieuses et Tropicales Emergentes), UMR 7278, INSERM 1095, IRD 198, Faculté de Médecine, Marseille 13005, France ;
30 CNR de la Résistance aux Antibiotiques, Laboratoire Associé Entérocoques, Caen, 14033, France ;
31 Institut Pasteur, Unit Biology and Genetics of the bacterial Cell Wall, Paris, 75015, France ;
*All three authors equally contributed to this work.
Immunity http://dx.doi.org/10.1016/j.immuni.2016.09.009
Contact chercheur
Mathias Chamaillard
Directeur de recherche Inserm
Unité 1019 "Centre d'infection et immunité de Lille" (Inserm/CNRS/Université de Lille/Institut Pasteur de Lille)
+33 (0)3 59 31 74 27
mathias.chamaillard@inserm.fr
Laurence Zitvogel
Directrice de l'Unité 1015 "Immunologie des tumeurs et immunothérapie" (Inserm/Institut Gustave Roussy/Université Paris-Sud)
+33 (0)1 42 11 50 41
laurence.zitvogel@igr.fr
Contact presse
Juliette Hardy
presse@inserm.fr
Accéder à la salle de presse de l'Inserm

 


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POISSON

 

Arrêtez de manger du poisson (sérieusement)
15 septembre 2016 / 1494
Aujourd’hui, j’arrive avec de bien mauvaises nouvelles.
Si votre moral n’est pas au plus haut, mettez cette lettre de côté et lisez-la un peu plus tard (mais ne tardez pas trop quand même, c’est votre santé qui est en jeu !).
J’aurais aimé pouvoir vous rassurer sur le poisson… et vous encourager à profiter sans limite de ses excellentes protéines, vitamines, minéraux, et oméga-3.
Mais la réalité est que le poisson est devenu un des aliments les plus pollués qui existe.
Je sais d’avance que mon enquête ne plaira pas à tout le monde. Ceux qui me liront trop vite me trouveront « excessif », « catastrophiste ». « Avec vous, Xavier, on ne peut plus rien manger », me diront certains (à tort ! lisez bien, je vous dirai précisément quels poissons vous pouvez encore manger, et à quelle fréquence).
Mais il est plus que temps de mettre les points sur les i avec le poisson :
– Nous devons la vérité aux enfants et adolescents, qui pourraient se retrouver avec un diabète à 40 ans, simplement parce qu’ils ont mangé trop de poisson, croyant cet aliment sain et irréprochable ;
– Nous devons la vérité aux femmes enceintes, dont les enfants pourraient être irrémédiablement diminués, voire handicapés par les toxines contenues dans la plupart des poissons ;
– Nous devons la vérité à ceux qui ont une santé fragile : pour eux, même à faible dose, les métaux lourds et polluants des poissons pourrait les faire basculer du mauvais côté (dérèglement hormonal, maladie auto-immune, voire cancer) ;
– Et nous devons la vérité à tous ceux qui ont l’intention de vivre vieux, sans Alzheimer ni maladie chronique – et pour cela, il vaut mieux se protéger des toxines qui s’accumulent dans notre corps au fil des années, lentement mais sûrement…
Cette vérité sur le poisson n’est pas « cachée ». Ma lettre s’appuie sur des études scientifiques publiées dans des journaux de référence, et dont les médias se sont souvent fait l’écho.
Le problème est que les informations sur ce sujet sont comme les pièces d’un puzzle en désordre : elles sont dispersées, confuses, et peuvent sembler contradictoires.
Moi-même, j’ai mis du temps à réaliser l’ampleur du désastre (d’autant que j’adore le poisson !). Mais lorsque vous assemblez tous les éléments, le tableau qui apparaît est clairement inquiétant.
Découvrons-le ensemble, pas à pas.
L’étrange danse suicidaire des chats de Minamata
Tout commence en 1950 à Minamata, une petite ville côtière du Sud du Japon.
Les habitants assistent alors à un spectacle étonnant. Ce sont d’abord des poissons morts, qui s’échouent sur la plage. Puis des mouettes et des corbeaux, incapables de s’envoler.
Bientôt, les chats sont pris de spasmes. Beaucoup sont emportés dans une danse macabre qui les conduit directement dans la mer, à se suicider.
En mai 1956, quatre habitants de Minamata sont hospitalisés pour des troubles déconcertants : perte de parole, convulsion, hallucinations, incapacité à marcher, coma. Tous meurent. Et sont bientôt suivi par des centaines d’autres habitants, de Minimata et des villages de pêche aux alentours.
Les Japonais ont fini par découvrir qu’une grande usine locale rejetait dans la mer des quantités énormes de mercure. Ce mercure était ingéré par les poissons, qui a fini par contaminer les animaux puis les hommes.
Officiellement, 900 personnes en sont mortes. 2 265 ont formellement été reconnues victimes d’empoisonnement au mercure, avec de terribles séquelles.
Certaines femmes n’ont jamais présenté le moindre symptôme… mais ont mis au monde des enfants lourdement handicapés.
C’est une des plus graves catastrophes écologiques et sanitaires de l’histoire. Et je crains que nous ne soyons en train de la rééditer, à plus petite échelle.
Presque tous les poissons sont contaminés au mercure
Evidemment, vous ne trouverez jamais dans le commerce des poissons aussi contaminés que ceux de Minamata, loin de là – et fort heureusement ! Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont inoffensifs.
Tous les poissons, sans exception, contiennent du mercure. En partie pour des raisons naturelles : il y a toujours eu un peu de mercure au fond des mers et des océans.
Mais surtout parce que l’homme a pollué les océans, les mers, les lacs et les rivières depuis plus d’un siècle. D’après les scientifiques du programme GEOTRACES, la concentration de mercure dans les océans a triplé depuis la révolution industrielle.
La faute en particulier aux usines de charbon et à l’incinération des déchets : le mercure émis dans l’air finit par retomber sur terre… et au fond des mers.
Il est alors absorbé par le plancton et les petites plantes des fonds marins. Qui sont mangés par les petits poissons, lesquels accumulent ce mercure dans leur graisse… et qui sont eux-mêmes mangés par les gros poissons carnivores, qui concentrent la plus forte dose de mercure.
Le classement « mercure » : attention aux prédateurs !
Le niveau d’empoisonnement au mercure est donc très variable selon les poissons.
Il y a aussi de grandes différences selon les lieux de pêche. Mais pour vous donner une idée générale, j’ai élaboré pour vous une synthèse des classements des agences de santé française, européenne, canadienne et américaine :
Poissons ultra contaminés : requin et espadon ;
Poissons hautement contaminés : thon rouge, thon albacore, marlin, et, dans une moindre mesure, thon blanc (germon), mérou et merlu ;
Poissons très contaminés : thon pâle en conserve (listao, thon mignon), bar, lotte, brochet, anguille, daurade, raie ;
Poissons moyennement contaminés : truite, hareng, la plupart des saumons, merlan, sole, cabillaud (morue), crabe ;
Poissons peu contaminés : sardines, anchois, maquereau, saumon sauvage d’Alaska, huîtres ;
Produits de la mer quasiment pas contaminés : coquilles Saint-Jacques, coquillages et crevettes.
Attention : je préfère vous prévenir tout de suite que certains de ces poissons contiennent d’autres polluants dangereux (le PCB en particulier, dont je vous parle plus loin).
Mais sur la seule base de leur contamination au mercure, il me paraît évident :
– Qu’il ne faut jamais manger du requin, de l’espadon, du thon rouge, du thon albacore ou du marlin : ils devraient tout simplement être retirés du marché, d’autant qu’ils regroupent des espèces en danger, à protéger ;
– Qu’il n’y a aucune bonne raison de prendre le risque de consommer du thon, du mérou, du merlu, du bar, de la lotte, de la daurade, de la raie (sauf festivité ou occasion particulière), et encore moins de l’anguille et du brochet ;
– Et qu’il faut limiter sa consommation de truite, crabe, hareng, saumon (sauf d’Alaska), merlan, sole et cabillaud.
Car personne ne sait à partir de quelle dose exacte le mercure commence à être toxique… Dans le doute, donc mieux vaut l’éviter autant que possible !
Vous ne pouvez jamais savoir la quantité de mercure dans votre assiette
Surtout que, pour une même espèce de poisson, la quantité de mercure qu’il contient peut varier du tout au tout selon l’endroit où il est pêché !
La truite, par exemple, a plutôt bonne réputation. Mais celle des lacs canadiens fait partie des poissons les plus contaminés en mercure au monde ! [1]
Même les petits poissons, qui contiennent le moins de mercure, ne sont pas épargnés par ces variations : on trouve 4 fois plus de mercure dans les sardines et anchois pêchés en Méditerranée que dans l’Atlantique [2] … et 10 fois plus de mercure dans les harengs de la mer du Nord que dans ceux de St Pierre et Miquelon !
Et notez bien que le « bio » ne vous protège en rien du mercure… C’est parfois même le contraire ! D’après une analyse réalisée par 60 millions de consommateurs, le saumon norvégien bio « Agir » contient sept fois plus de mercure que le saumon « Pescanova », pêché dans l’Atlantique et élevé au Chili. [3]
La palme du danger revient tout de même au thon en conserve : plusieurs boîtes de thon de nos supermarchés dépassent la moitié de la limite réglementaire de mercure, ce qui est considérable. [4]
Ne vous faites pas avoir par le discours sur le « bénéfice-risque »
Mais alors, pourquoi la plupart des autorités de santé recommandent-elles tout de même de manger deux portions de poisson par semaine ?
Tout simplement parce que les poissons gras (saumon, sardines…) contiennent de grandes quantités d’oméga-3, qui sont des acides gras indispensables pour la santé de votre cœur et de votre cerveau.
Et comme vous avez beaucoup plus de chances de mourir d’une maladie cardiaque que d’une maladie liée au mercure, les autorités préfèrent ne pas vous déconseiller ces poissons, car leur « bénéfice / risque » est plutôt positif.
C’est particulièrement vrai pour ceux qui se nourrissent toute la journée de pizza, de pâtes, de chips et de biscuits. Pour eux, consommer un peu de poisson est quoi qu’il arrive un progrès considérable.
Mais vous, mes chers et fidèles lecteurs, qui faites attention à votre alimentation, vous devez savoir qu’il existe une troisième voie.
N’aimeriez-vous pas avoir les bienfaits des oméga-3 sans les risques du mercure ?
Eh bien c’est tout à fait possible si vous mangez régulièrement des œufs « omega-3 », qui sont des œufs de volaille nourries au lin. En revanche, ne comptez pas uniquement sur les huiles de cuisine riches en oméga-3 (colza, lin, noix) : elles sont précieuses mais ne peuvent pas vous apporter les oméga-3 d’origine animale dont vous avez besoin.
Et dans tous les cas, vous pouvez aussi avoir recours à des gélules d’oméga-3 en complément alimentaire. [5]
Au total, il est clair que vous gagnerez toujours à manger des poissons gras si vous ne consommez aucun autre oméga-3. Mais si vous pouvez trouver ailleurs ces précieux acides gras, pourquoi prendre le risque du mercure ?
La triste leçon des enfants Inuits
Les femmes enceintes sont particulièrement concernées par ce dilemme.
Le cerveau du fœtus a absolument besoin d’oméga-3 pour se développer. Mais il doit aussi impérativement être protégé de la toxicité du mercure.
Jusqu’à récemment, on s’imaginait que les bienfaits des oméga-3 étaient supérieurs aux dégâts du mercure. [6] Mais ces « espoirs » ont été balayés par l’étude approfondie des tribus Inuit de Nunavik, qui consomment beaucoup de poissons riches en oméga-3 et en mercure.
D’abord, les chercheurs ont montré que les enfants Inuit qui avaient dans leur sang un taux élevé de mercure et de plomb à leur naissance étaient trois fois plus nombreux à souffrir du syndrome d’hyperactivité et de déficit de l’attention. [7]
Puis, ils ont découvert que, parmi ces mêmes enfants, ceux qui avaient un taux de mercure élevé à la naissance avaient en moyenne un QI inférieur de 5 points par rapport aux autres – ce qui prouve à quel point le mercure nuit au développement du cerveau du fœtus ! [8]
Et n’imaginez pas que ces enfants avaient des taux de mercure beaucoup plus élevés que chez nous. Les taux étaient globalement similaires à celui des populations occidentales qui mangent beaucoup de poisson. [9]
Voilà pourquoi je suis convaincu que les femmes enceintes devraient prendre des oméga-3 en gélule (comme la vitamine B9 qu’on leur prescrit systématiquement) et s’abstenir totalement de prendre des produits de la mer.
Et ce même conseil pourrait valoir pour tous ceux d’entre nous qui ont une santé fragile.
Manger du poisson… et attraper le diabète !
Il faut bien comprendre que, selon notre histoire personnelle et notre mode de vie, on est plus ou moins vulnérable au mercure.
Il est évident qu’un homme de 25 ans en parfaite santé, qui fait du sport 3 fois par semaine, s’expose au soleil régulièrement, mange quantité de légumes anti-oxydants et ne souffre d’aucun stress dans sa vie n’aura absolument aucun problème à se « détoxifier » de la faible dose de mercure contenue dans les sardines, s’il en mange 2 ou 3 fois par semaine.
Mais nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne.
Peut-être avez-vous l’intestin poreux, ou un foie en mauvaise santé. Ou peut-être avez-vous, sans le savoir, une vulnérabilité génétique qui vous empêche d’éliminer facilement les métaux lourds.
Prenez cette étude récente, dans laquelle des chercheurs ont sélectionné des jeunes adultes et les ont suivis pendant près de 20 ans… Ils ont découvert que ceux qui avaient le plus avalé de mercure avaient aussi 65 % de risque en plus de souffrir d’un diabète de type 2 ! [10]
Ces résultats font froid dans le dos, car ce sont ceux… qui avaient le mode de vie le plus sain ! Ils mangeaient « bien », faisaient du sport, ne connaissaient pas le surpoids. Mais ils mangeaient trop de poisson.
Et ce n’est pas tout : une autre étude publiée en 2015 a montré qu’une plus grande exposition au mercure est aussi associée à un risque plus élevé de maladie auto-immune. [11]
Bon, je vous avais dit que j’allais vous déprimer… Et ce n’est pas fini, hélas ! Car d’autres polluants plus méconnus viennent encore assombrir le tableau.
A commencer par les redoutables PCB…
Les PCB, grands polluants méconnus des poissons
Le grand paradoxe avec les biphényles polychlorés (PCB), c’est qu’ils continuent encore et toujours à nous intoxiquer alors qu’ils sont interdits depuis plusieurs dizaines d’années.
Jusqu’à la fin des années 1970, l’industrie a utilisé en masse ces composés chimiques complexes. Ils ont alors été rejetés dans les cours d’eau, contaminant les rivières et les côtes. Ils ont aussi été diffusé dans l’air… et sont retombés au fond des mers.
Le gros problème des PCB est qu’ils sont très peu biodégradables : une fois dispersés, ils s’accumulent dans l’environnement… et viennent servir de nourriture aux poissons. On en trouve un peu également dans les viandes et le lait, mais en moins grande quantité.
En France, ces poisons ont été interdits en 1987… mais comme ils étaient partout – dans les peintures, l’asphalte, les résines, les textiles, les adhésifs –, ils continuent de se disperser à petit feu… et à s’accumuler dans notre environnement !
Voilà pourquoi l’administration française comptabilisait en 2013 pas moins de 550 sites terrestres pollués aux PCB, contre « seulement » 437 en 2011. Une hausse de 25 % en deux ans, alors que cela faisait plus de 30 ans qu’ils étaient interdits !
La situation de nos rivières et de nos estuaires est dramatique. Dès 2010, un arrêté de la préfecture de la région Haute-Normandie interdisait la pêche à la sardine en baie de Seine, entre Dieppe et Barfleur, pour cause de PCB.
Le 1er novembre 2015, la France et la Suisse ont décidé d’interdire à la vente les grosses truites du lac Léman… là encore du fait de leur teneur trop élevée en PCB !
Car ces PCB ne s’accumulent pas seulement dans la nature : ils s’accumulent aussi dans votre organisme et mettent des années, voire des dizaines d’années à en être éliminés.
Voilà pourquoi l’Organisation Mondiale de la Santé classe les dioxines de type PCB comme des perturbateurs endocriniens avérés, des saboteurs du système immunitaire… et même des facteurs de cancer. [12]
Le classement « PCB » : malheur aux petits poissons gras !
Sans surprise, ce sont les poissons des rivières et des côtes qui sont le plus touchés par les PCB et autres dioxines. Les brochets, silures/poissons chats et les anguilles sont radicalement pollués, et sont donc définitivement impropres à la consommation. Aucun regret à avoir pour ces espèces déjà riches en mercure.
Le drame est que les poissons les plus sains – car épargnés en mercure et riches en oméga-3 – sont aussi les plus touchés par la pollution aux PCB.
C’est le cas en particulier des sardines : d’après une enquête de l’Agence Française de Sécurité Alimentaire (ANSES), les sardines sont le plus gros contributeur de PCB (et autres « polluants organiques persistants ») dans notre alimentation.
C’est malheureusement tout à fait logique : les oméga-3 sont des graisses… et c’est aussi dans la graisse que les polluants s’insèrent et s’accumulent le mieux.
Cela vaut pour les poissons (plus le poisson est gras, plus il accumule les PCB de son environnement), pour les mammifères (les toxines se concentrent dans la graisse de la viande et du lait)… et pour les humains (les polluants s’accumulent dans votre graisse, d’où l’intérêt de rester mince !).
Je tiens à vous citer le rapport de l’ANSES, car c’est un fait trop souvent passé sous silence :
« Il convient de préciser que ces espèces, en particulier le saumon, la sardine et le maquereau, sont des poissons gras et si elles sont de bons vecteurs d’oméga 3, elles présentent également de fortes teneurs en polluants organiques persistants (POP) et sont les principaux contributeurs à ces expositions. » [13]
Le rapport ne mentionne pas les autres petits poissons riches en oméga-3, harengs et anchois. Mais les harengs sont un choix risqué : un rapport de l’INRA de 2002 pointait une lourde pollution des harengs en dioxines et PCB. [14]
Restent les anchois, qui sont le choix le plus sûr, sans doute parce qu’ils ont un cycle de vie très court : ils meurent avant d’avoir eu le temps d’accumuler trop de toxines.
J’en ai presque fini avec les mauvaises nouvelles… mais pas tout à fait :
Plomb, Cadmium, pesticides, retardeurs de flamme : la cerise sur le gâteau
D’après l’ANSES, les sardines contiennent aussi des doses élevées de plomb [15], une raison supplémentaire pour les femmes enceintes de les éviter totalement. On a aussi trouvé des doses excessives de plomb dans la sole [16] et de cadmium dans la morue. [17]
Mais les produits de la mer qui contiennent le plus de ces deux métaux lourds (plomb et cadmium) ne sont pas des poissons : ce sont les moules, les coquillages et les calamars. [18]
Et oui, je n’avais cité les fruits de mer… et peut-être espériez encore pouvoir continuer à les manger régulièrement en toute tranquillité ? Mais non, surtout pas, d’autant que les moules sont par ailleurs considérablement polluées en PCB.
Autres polluants fréquemment retrouvés dans les poissons : les pesticides. Aux Etats-Unis, une analyse d’échantillons de supermarché à Dallas a retrouvé 24 pesticides (de type DDT) sur 32 dans le saumon et 17 sur 32 dans les boîtes de conserve de sardines – en plus des doses élevées de PCB qu’ils ont retrouvé dans ces échantillons. [19]
Enfin, on trouve aussi des « retardateurs de flamme » dans les poissons, parfois à haute dose. Ces substances toxiques sont particulièrement présentes dans les moules, les sardines, le saumon d’élevage et le poisson chat. [20]

Mes recommandations pour ne pas vous intoxiquer
Alors que faire ?
Cela dépend beaucoup de votre âge, de votre situation (femme en âge de procréer, etc.) et de votre état de santé.
Mais de façon générale, voici des recommandations qui me paraissent prudentes et de bon sens :
– JAMAIS de thon, espadon, anguille, brochet : ce sont des poissons à exclure de votre alimentation, notamment du fait de leur taux élevé de mercure ;
– EXCEPTIONNELLEMENT, pour des repas de fête (si vous les aimez !) : mérou, merlu, bar, lotte, rougets, daurade, raie, sole, calamars, cabillaud, saumon d’élevage (même bio), moules, coquillages, tourteaux ;
– UNE PORTION PAR MOIS, si vous y tenez, en vérifiant leur provenance : truite, crabe, hareng, merlan, maquereaux, sardines, huîtres ;
– UNE A DEUX PORTIONS PAR SEMAINE : anchois (d’Atlantique), crevettes (en évitant celles qui viennent d’Asie !), noix de coquilles Saint-Jacques, saumon sauvage d’Alaska.
Ah, et un dernier conseil : si vous êtes chez le poissonnier et que vous hésitez entre un petit et un gros poisson de la même espèce, choisissez le petit : moins âgé, il aura moins eu le temps d’accumuler des toxines dans sa graisse.
Au total, je suis bien conscient que je suis très restrictif, mais vous gagnerez à éviter d’accumuler dans votre organisme des métaux lourds et polluants chimiques pendant des dizaines d’années.
Et je répète qu’il est crucial de faire le plein d’oméga-3. Si vous ne mangez pas chaque semaine du saumon d’Alaska (très cher !) ou de bonnes quantités d’anchois (qui ne sont pas au goût de tout le monde !), mangez des œufs « oméga-3 » ou prenez des gélules en complément alimentaire.
Attention aussi à ne pas manquer de sélénium ou d’iode, des minéraux indispensables contenus dans les poissons (heureusement, les Saint-Jacques et les crevettes en sont de bonnes sources).
Et n’oubliez pas de garder le moral, c’est crucial pour conserver une…
Bonne santé !
Xavier Bazin  

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DIABETE SUCRÉ

 

 

 

 

 

 

diabète sucré

Affection chronique caractérisée par une glycosurie (présence de sucre dans les urines) provenant d'une hyperglycémie (excès de sucre dans le sang).

Une augmentation de la glycémie (taux de glucose dans le sang) est normalement régulée par l'insuline, une hormone sécrétée par le pancréas, contrôlant la capture du glucose sanguin par les cellules. Les diabètes sucrés sont dus à une insuffisance de la sécrétion d'insuline ou à une diminution de ses effets sur les tissus. Un diabète sucré est défini par une glycémie matinale, à jeun, supérieure à 1,26 gramme par litre (7 millimoles par litre), ou par une glycémie supérieure à 2 grammes par litre (11,1 millimoles par litre) au cours de la journée.
Le diabète sucré est une maladie très fréquente, qui atteint actuellement 5 % de la population des pays industrialisés, et dont l'incidence est croissante.

Il existe deux types principaux de diabète sucré : le diabète de type 1, dit insulinodépendant, représentant 15 % des diabètes sucrés, et le diabète de type 2, dit non insulinodépendant, diabète gras ou de la maturité, qui représente 85 % des cas. D'autres formes de diabète sucré se rencontrent : le diabète dit gestationnel, apparaissant au cours de la grossesse, et les diabètes dits secondaires, se manifestant au cours de différentes affections (pancréatite chronique, hémochromatose, acromégalie, syndrome de Cushing, phéochromocytome) ou de traitements médicamenteux (corticostéroïdes) ou liés à un certain type de malnutrition (diabète tropical).
Quel que soit le type de diabète, la mesure de l'hémoglobine glyquée (HbAIC) tous les trois mois rend compte de l’équilibre glycémique global. Un taux maintenu inférieur à 7 % témoigne d’un traitement adéquat.


1. LE DIABÈTE DE TYPE 1
Il est dû à un déficit majeur de la sécrétion d'insuline, conséquence d'une destruction sélective des cellules du pancréas la produisant.
Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune, les cellules pancréatiques étant détruites par le système immunitaire de l'organisme même auquel elles appartiennent. L'apparition de cette auto-immunité est déterminée par des facteurs environnementaux (nutrition, infections virales, intoxications, etc.) ainsi que génétiques (la maladie ne se déclare que chez des individus ayant hérité de plusieurs des allèles prédisposants).
Le diabète de type 1 touche entre 0,2 % et 1 % de la population, soit, en France, environ 200 000 personnes. Il se déclare le plus souvent entre 10 et 40 ans, mais il peut être diagnostiqué à tout âge.
1.1. Symptômes et signes du diabète de type 1
Le diabète insulinodépendant se traduit à la fois par une soif très intense, une émission abondante d'urines, un amaigrissement brutal et une fatigue importante. Il peut aussi se déclarer par l'apparition d'une complication aiguë telle que l'acidocétose (accumulation excessive de corps cétoniques dans l'organisme), signe que la carence en insuline oblige l'organisme à puiser dans ses réserves de graisses pour produire l'énergie nécessaire. Mais il peut aussi survenir insidieusement.
S'il n'est pas traité, il évolue inexorablement vers le coma diabétique.
Pour en savoir plus, voir l'article métabolisme.


1.2. Diagnostic du diabète de type 1
Il repose sur la mesure de la glycémie, dont la valeur à jeun est supérieure à 1,26 gramme par litre (ainsi que dans tout diabète sucré), mais qui dans le diabète de type 1 atteint par ailleurs, en condition normale, des valeurs presque toujours supérieures à 2,5 grammes par litre. Le diabète de type 1 se caractérise en outre par la présence dans les urines de sucre (glycosurie) et d'acétone (cétonurie), facilement détectés à l'aide de bandelettes urinaires.


1.3. Traitement du diabète de type 1

Il repose sur l'injection d'insuline. Cette administration, quotidienne, est obligatoire et vitale. Elle se fait par voie sous-cutanée, à raison de 2 à 4 injections par jour, à l'aide d'une seringue ou de stylos injecteurs préremplis. Plus rarement, une administration continue d'insuline est réalisée à l'aide d'une petite pompe reliée à une aiguille implantée sous la peau (→ pompe à insuline). Des essais sont en cours concernant une administration d'insuline par voie orale, la voie nasale n’étant pas satisfaisante.
Le diabète de type 1 nécessite une surveillance par le diabétique lui-même, qui peut mesurer sa glycémie plusieurs fois par jour, à partir de gouttes de sang prélevées au doigt, grâce à un appareil appelé lecteur de glycémie. Il en existe aujourd'hui de nombreux modèles, permettant une mesure très fiable de la glycémie. Cette autosurveillance permet d'adapter le traitement de façon à obtenir des variations de la glycémie, au cours de la journée, les plus proches possible de la normale. Les doses d'insuline doivent en outre être adaptées, au jour le jour, à l'activité physique et aux apports alimentaires.
Le seul effet indésirable que peut éventuellement entraîner ce traitement consiste en une hypoglycémie (taux sanguin de glucose inférieur à 0,60 gramme par litre), due à une injection inadaptée d'insuline, et nécessitant une prise rapide de sucre (« resucrage »).
Le patient doit en outre se soumettre à un régime alimentaire équilibré, adapté aux doses d'insuline administrées, consistant en trois repas apportant une ration suffisante de sucres « lents » (principalement féculents), et de une à trois collations glucidiques quotidiennes – les sucres « rapides » sont par ailleurs limités (→ alimentation). Une activité physique régulière, si elle est possible, est recommandée.
La transplantation pancréatique (→ greffe pancréatique), constituant en théorie le traitement idéal, représente en pratique une intervention chirurgicale très lourde, nécessitant un traitement immunosuppresseur afin d'éviter le rejet de la greffe. Elle est réservée aux diabétiques nécessitant par ailleurs une greffe de reins. La recherche étudie la possibilité d'implanter des cellules pancréatiques bêta, sécrétrices d'insuline (→ îlots de Langerhans).


2. LE DIABÈTE DE TYPE 2
Il s'agit d'une forme de diabète sucré due à une diminution des effets de l'insuline sur les cellules (insulinorésistance), le plus souvent consécutive à un surpoids.
Cette insulinorésistance entraîne dans un premier temps une sécrétion importante d'insuline par le pancréas. Celui-ci s'épuisant progressivement, il s'ensuit dans un second temps une diminution de la production d'insuline, ce déficit aggravant la tendance à l'hyperglycémie.

Le diabète de type 2 se révèle à l'âge adulte à partir de 45 ans. Outre l'obésité, les facteurs de risque en sont une répartition abdominale du tissu adipeux, une activité physique insuffisante et l'existence d'antécédents familiaux de la maladie. C'est en effet une maladie familiale, dans laquelle de multiples gènes sont probablement impliqués, mais dont le dépistage génétique est actuellement impossible. Dans certaines familles, seulement, des mutations génétiques précises ont été identifiées.
Le diabète de type 2 favorise de manière importante les maladies cardiovasculaires, et est par surcroît souvent associé à une hypertension artérielle et/ou à une hypertriglycéridémie, autres facteurs de risque cardiovasculaire.


2.1. Symptômes et signes du diabète de type 2
Le diabète de type 2 ne se traduit souvent par aucun symptôme et est découvert de façon fortuite lors d'un examen ou d'une complication découlant d'un diabète déjà installé, le plus souvent neuropathie (lésion des nerfs périphériques) et infection cutanéomuqueuse ; la maladie est alors suspectée lorsque des antécédents familiaux de diabète de type 2 existent. Il peut également être suspecté chez la mère à l'occasion de la naissance d'un enfant de plus de 4 kilogrammes (une quantité excessive de glucose transmise au fœtus entraîne un développement plus rapide que la normale) ou se traduire par des symptômes d'hyperglycémie importante : polydipsie (soif intense), polyurie (augmentation du volume des urines), amaigrissement.


2.2. Diagnostic et traitement du diabète de type 2
Le diagnostic repose sur des mesures de la glycémie, à jeun (supérieure à 1,26 gramme par litre) ou après un repas (supérieure à 2 grammes par litre). Une glycosurie est fréquente, traduisant une hyperglycémie marquée ; mais le diabète de type 2, contrairement à celui de type 1, ne s'accompagne le plus souvent pas de cétonurie.
Le traitement fait appel a un régime alimentaire équilibré et à une activité physique régulière. Une perte de poids permet souvent de normaliser la glycémie.

Production d'insuline par génie génétique, médicament recombinant
Si ces mesures sont insuffisantes, des médicaments hypoglycémiants y sont associés. Des injections d'insuline sont parfois prescrites, transitoirement, en début de maladie, pour réduire une hyperglycémie importante, ou à l'occasion d'une pathologie associée favorisant les déséquilibres glycémiques, ou encore durant une grossesse. Un traitement régulier par l'insuline doit fréquemment être mis en place après 10 ou 20 ans d'évolution de la maladie, pour pallier l'épuisement du pancréas.
Les autres facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, excès de triglycérides dans le sang, tabac, etc.) doivent être pris en charge.
3. LE DIABÈTE GESTATIONNEL
Découvert pendant la grossesse chez 3 à 6 % des femmes, il est confirmé par un test d’hyperglycémie provoquée (test de O’Sullivan ou HGPO). Les critères d’équilibre glycémique sont différents dans ce cas : la glycémie à jeun doit être inférieure à 0,95 g/l et la glycémie postprandiale à 1,30 g/l.
Les risques d’un diabète mal contrôlé sont de provoquer une macrosomie fœtale (gros poids à la naissance) ainsi qu’une hypoglycémie du bébé à la naissance.
Le traitement est basé sur le régime, l’insulinothérapie, surveillés par plusieurs glycémies capillaires par jour. Le diabète disparaît à l’accouchement le plus souvent.
Pour en savoir plus, voir l'article diabète gestationnel.
4. LE DIABÈTE MODY
Découvert avant 30 ans, ce diabète est dû à plusieurs types d’anomalies génétiques possibles. Au moins un parent direct est aussi affecté, l’obésité est rarement associée et on ne retrouve pas d’anticorps dirigés contre le pancréas. Selon les cas, il peut être traité par antidiabétiques ou par l'insuline.


5. LES COMPLICATIONS DU DIABÈTE
Elles concernent tous les deux types de diabète (sauf le gestationnel) avec la même sévérité, et leur survenue dépend étroitement de l'efficacité du contrôle de la glycémie moyenne. Lorsque l’hémoglobine glyquée (HbAIC) reste inférieure à 7 %, les complications ne surviennent pas, ou de façon très retardée.


5.1. Les complications chroniques du diabète
Elles sont essentiellement dues à l'altération des vaisseaux sanguins, soit des petits vaisseaux (microangiopathie), soit des gros vaisseaux (macroangiopathie).

La macroangiopathie est responsable d'artérite des membres inférieurs et d'insuffisance coronarienne, aggravées en présence d'autres facteurs de risque d'athérome (l'hypertension artérielle et l'hyperlipidémie, très souvent associées au diabète de type 2, ou le tabagisme).
La néphropathie diabétique touche 40 % des diabétiques et se traduit par l'apparition d'une protéinurie (passage trop important de protéines dans les urines) évoluant à long terme vers l'insuffisance rénale. Cette évolution est accélérée par la survenue d'une hypertension artérielle. Le diabète sucré constitue l'une des causes principales de l'insuffisance rénale terminale.
Pour en savoir plus, voir l'article néphropathie diabétique.
La neuropathie diabétique est consécutive à une atteinte des nerfs. Elle touche principalement les membres inférieurs, et entraîne une perte de sensibilité des pieds, des ulcérations indolores de la plante (mal perforant plantaire), qui peuvent s'infecter. L'atteinte de plus gros nerfs, notamment inflammatoire (mononévrite), s'observe moins fréquemment ; elle entraîne un déficit sensitif ou moteur dans la zone corporelle desservie par le nerf.
Pour en savoir plus, voir l'article neuropathie.
La rétinopathie diabétique (lésion de la rétine) est pratiquement constante après quinze années d'évolution du diabète. Cette affection doit être systématiquement recherchée chez tout diabétique par examen régulier du fond d'œil, complété au besoin par une angiographie rétinienne (radiographie des vaisseaux de la rétine après injection d'un colorant, la fluorescéine). Malgré le traitement au laser, la rétinopathie diabétique reste la première cause de cécité des pays occidentaux.
Pour en savoir plus, voir l'article rétinopathie.
Les infections chroniques ont une origine microbienne ou mycosique. Elles consistent principalement en des infections urinaires, gynécologiques et en des infections cutanées localisées (pied, aine, région génitale) ; leur prévention demande une hygiène rigoureuse.
Pour en savoir plus, voir l'article infection.
Des manifestations cutanées non infectieuses peuvent en outre survenir, telles que l'apparition de bulles sur les membres, ou un épaississement général de la peau.
Le « pied diabétique » est une conséquence de la neuropathie et de l'angiopathie. Le pied, insensible à la douleur et mal vascularisé, présente un haut risque infectieux, et toute blessure même minime doit être immédiatement traitée, car elle peut donner lieu à des complications gravissimes, qui nécessitent encore trop souvent son amputation.
5.2. Les complications aiguës du diabète
L'acidocétose, accumulation excessive de corps cétoniques dans l'organisme, constitue l'aboutissement du diabète insulinodépendant non traité, avec accumulation de corps cétoniques dans le sang entraînant une acidose : le malade maigrit rapidement, souffre de vertiges, de troubles digestifs, d'une grande lassitude. Un seul de ces signes doit alerter : en l'absence de traitement par insuline, l'évolution se fait vers le coma.
Pour en savoir plus, voir l'article acidocétose.
Le coma hyperosmolaire, hyperglycémie très importante avec déshydratation, est une complication rare du diabète non insulinodépendant chez le sujet âgé. Acidocétose et coma hyperosmolaire imposent une hospitalisation d'urgence en centre spécialisé et sont traités par injection massive d'insuline.


Pour en savoir plus, voir l'article coma.
L'hypoglycémie (glycémie très basse par manque de sucre) est une conséquence du traitement lui-même ou de son excès par rapport au régime alimentaire ou à l'exercice physique. Elle se traduit par une fatigue soudaine, une sensation de faim, des vertiges et des sueurs et est traitée par administration de sucres « rapides » par voie orale si le malade est conscient ou par injection sous-cutanée de glucagon.
Pour en savoir plus, voir l'article hypoglycémie.

 

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