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MÉMOIRE ET ÉMOTIONS ...

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Privée d'émotions, la mémoire flanche
Martine Meunier dans mensuel 344


Emotions et souvenirs se forment dans la même partie du cerveau. Mais l'impact de cette découverte a été négligé durant le XXe siècle. Leurs relations commencent seulement à être étudiées grâce à l'émergence des neurosciences affectives.
Nos émotions jouent un rôle essentiel dans notre mémoire autobiographique. Mais l'étude des mécanismes cérébraux qui les gouvernent a longtemps été négligée par les neurosciences. Toute émotion affecte simultanément notre corps, notre comportement, nos sentiments et notre mémoire. Autant d'aspects difficiles à mesurer objectivement et à évaluer simultanément. Face à une même situation, les réponses émotionnelles varient en fonction de l'individu, de son tempérament et de son environnement physique et social. Une versatilité qui complique encore leur évaluation.

A la fin du XIXe siècle, Sigmund Freud attribuait pourtant aux émotions une influence déterminante dans le développement des individus. Le psychologue William James soulignait déjà leur importance pour le bon fonctionnement de la mémoire . « Se souvenir de tout serait aussi fâcheux que ne se souvenir de rien », insistait-il. Le cerveau doit effectuer une sélection. Il le fait en fonction de la valeur affective qu'un événement revêt pour nous. Tout au long du XXe siècle, les émotions ont conservé une place centrale au sein de la psychologie. En revanche, la compréhension de leur organisation cérébrale ne s'est imposée comme un enjeu majeur pour les neurosciences qu'au cours de ces dernières années. Cette lente évolution est bien illustrée par l'histoire de nos connaissances de deux régions présentes dans chaque hémisphère du cerveau, les lobes frontal* et temporal*. Découverte vers le milieu du XIXe siècle, leur importance pour les émotions n'a longtemps suscité qu'un intérêt marginal. A l'opposé, leur implication dans la mémoire, identifiée plus tard, a immédiatement suscité un nombre considérable de travaux.

Dès 1848, John Harlow, médecin d'une petite ville de l'Est américain, décrivait le cas spectaculaire de Phineas Gage voir l'encadré : « Comment la barre de Phineas Gage révéla le rôle du lobe frontal » et remarquait le rôle des lobes frontaux dans le contrôle des émotions. Mais la localisation cérébrale des fonctions mentales, idée largement acceptée aujourd'hui, suscitait alors de vives controverses. Elle ne s'imposera lentement qu'après la démonstration, dans les années 1860-1870, du rôle de certaines aires de l'hémisphère gauche dans le langage. En 1848, le cas de Phineas Gage fut donc plutôt perçu comme un encouragement pour la neurochirurgie balbutiante du moment. Il s'avérait en effet possible d'ôter une grosse portion du cerveau en cas de tumeur par exemple sans provoquer la mort, ni altérer aucune des fonctions psychologiques « majeures », perception, motricité, langage, intelligence, ou mémoire. Dans les décennies qui suivirent, la neurochirurgie fit d'énormes progrès, aidée, paradoxalement, par la Première Guerre mondiale et ses nombreux blessés. Le cas de Phineas Gage ne fut plus guère évoqué dans la littérature médicale. Le lobe frontal fascinait les chercheurs de la première moitié du XXe siècle, mais en tant que siège des fonctions intellectuelles « supérieures » spécifiques aux primates. Cette région du cerveau est en effet si développée chez l'homme qu'elle occupe à elle seule un tiers du cortex.

Lobotomies frontales. Lors du 2e Congrès international de neurologie, à Londres, en 1935, le neuropsychologue Carlyle Jacobsen et le neurochirurgien John Fulton présentèrent leurs travaux sur les effets d'une ablation des lobes frontaux chez des chimpanzés. Placées face à deux coupelles identiques, les deux femelles opérées, Becky et Lucy, étaient incapables de retrouver laquelle dissimulait une friandise, bien que la récompense ait été cachée sous leurs yeux quelques secondes auparavant seulement. Cette étude pionnière ouvrit la voie vers la compréhension des relations entre lobe frontal et mémoire. Jacobsen et Fulton mentionnèrent également des changements surprenants de comportement chez les animaux opérés. Lucy, à l'origine calme et tempérée, devint plus coléreuse et violente. A l'inverse, Becky, irascible avant l'opération, semblait d'une indéfectible bonne humeur après. Bien qu'apportant une nouvelle preuve du lien entre lobe frontal et émotions, ces anecdotes eurent peu de répercussions sur la recherche fondamentale. Le cas de Becky eut, en revanche, une conséquence inattendue en psychiatrie. Le neurologue portugais Egas Moniz allait, dès son retour du congrès de Londres, pratiquer des lobotomies frontales chez des patients psychotiques. Ainsi naquit la psychochirurgie, thérapeutique audacieuse consistant à ôter une partie du cerveau pour traiter les maladies mentales.

En dépit de ses effets secondaires, ce traitement radical allait rapidement être appliqué à des milliers de patients dans le monde entier. Et même valoir un prix Nobel à Moniz en 1949, avant que son usage abusif ne lui fasse une sinistre réputation, et que l'arrivée des neuroleptiques dans les années 1950 ne le rende obsolète1. Le cortex préfrontal ou partie avant du lobe frontal, celle qui fut touchée chez Gage, cible des lobotomies, allait cependant rester la structure la moins bien connue du cerveau jusque dans les années 1970 ! Les nombreux travaux suscités par les déficits d'apprentissage rapportés par Jacobsen et Fulton établiront seulement après cette date le rôle de la partie latérale du cortex préfrontal dans la mémoire de travail, celle qui nous permet de garder en tête une information, un numéro de téléphone par exemple, juste le temps de l'utiliser.

Inadaptation émotionnelle. En ce qui concerne les lobes temporaux, les premiers indices de leur implication dans les émotions remontent à des observations faites en 1888. Mais ils tombèrent dans l'oubli jusqu'à la découverte du psychologue Heinrich Klüver et du neurologue Paul Bucy de l'université de Chicago en 1938. Etudiant des singes porteurs de lésions des lobes temporaux, ces auteurs furent surpris par les comportements émotionnels inadaptés de ces animaux. Ils approchaient, manipulaient ou portaient à la bouche, de façon compulsive, tout ce qu'on leur présentait. Ils paraissaient également ne plus ressentir aucune peur, même face à un serpent. Une attitude qui leur aurait été fatale dans leur milieu naturel. En 1956, on établit que ce syndrome, dit de Klüver et Bucy, est principalement dû à l'atteinte de la région antérieure de la partie médiane du lobe temporal, celle qui contient l'amygdale2, une petite structure en amande. On ne s'interrogera plus guère ensuite sur les fonctions exactes des lobes temporaux pour les émotions. Car commence alors la saga, toujours d'actualité, de leurs relations avec la mémoire.

En 1957 et 1958, la psychologue Brenda Milner de l'institut neurologique de Montréal décrit les cas dramatiques de patients devenus amnésiques à la suite d'une ablation chirurgicale de l'un ou des deux lobes temporaux. Elle a observé cet effet inattendu chez quatre patients, deux parmi les trente opérés par William Scoville aux Etats-Unis, et à nouveau deux parmi plus de quatre-vingt-dix patients opérés par Wilder Penfield au Canada. La postérité retiendra l'un d'entre eux, qui deviendra célèbre sous les initiales H.M. Une large partie de nos connaissances actuelles sur l'organisation cérébrale de la mémoire repose sur lui. En 1953, ce jeune homme de 27 ans subit une ablation des deux lobes temporaux pour ôter le foyer d'une épilepsie très invalidante et rebelle à tout traitement médicamenteux. L'opération soulagea l'épilepsie. Mais elle provoqua une amnésie profonde qui perdure aujourd'hui.

Hippocampe. Depuis près de cinquante ans maintenant, H.M. oublie au fur et à mesure tous les événements de sa vie quotidienne. Or sa lésion, contrairement à celle de la plupart des patients opérés en même temps que lui, s'étendait au point d'inclure non seulement l'amygdale, mais aussi une large portion de l'hippocampe. Ainsi découvrait-on que l'hippocampe, dont la fonction était jusqu'alors inconnue, était en fait nécessaire pour la formation des souvenirs nouveaux. Cette découverte allait motiver un nombre considérable de travaux expérimentaux. Un intense effort qui a abouti aujourd'hui à une remarquable connaissance des bases cérébrales de la mémoire épisodique et sémantique, celles, respectivement, des événements personnellement vécus et des connaissances générales sur le monde.

En revanche, H.M. n'a jamais été l'objet d'une évaluation approfondie sur le plan émotionnel. Seules quelques anecdotes ont été rapportées à son sujet qui suggèrent un appauvrissement émotionnel, différent mais néanmoins proche de celui des singes de Klüver et Bucy, après le même type de lésion. En dehors de quelques accès d'irritabilité, H.M. a en effet été décrit d'une humeur étonnamment placide, parlant sur un ton monotone, et témoignant d'une résistance inhabituelle à la douleur, la faim ou la fatigue.

Les émotions sont aujourd'hui l'objet d'un intérêt grandissant en neurosciences, comme en témoigne la croissance exponentielle des publications dans ce domaine depuis la fin des années 1990. Ce rebondissement s'explique par la convergence d'au moins trois facteurs. En premier lieu, l'essor des neurosciences cognitives, tout au long du XXe siècle, a considérablement accru notre savoir sur le cerveau, fournissant ainsi les bases indispensables pour aborder la complexité des phénomènes affectifs. En second lieu, des perspectives entièrement nouvelles ont émergé grâce à de récents progrès techniques. Notamment, l'imagerie fonctionnelle nous donne aujourd'hui la possibilité de voir le cerveau humain normal en action, alors qu'autrefois nous devions nous contenter des indices fournis par le cerveau lésé. Enfin, plusieurs chercheurs contemporains, ouvrant la voie des neurosciences affectives, ont su réactualiser l'idée ancienne selon laquelle les émotions sont en réalité la cheville ouvrière du bon fonctionnement de nombre de nos facultés, adaptation sociale, raisonnement, prise de décision, ou mémoire. Les neurosciences affectives offrent déjà un aperçu des mécanismes cérébraux qui gouvernent l'influence des émotions sur la mémoire.

Les travaux actuels concernent principalement les deux amygdales situées chacune à l'avant de la partie médiane du lobe temporal. Chez le rat, différentes équipes dont celles de Michael Davis à Yale et de Joseph LeDoux à New York, ont réussi à démonter la machinerie complexe qui contrôle les peurs conditionnées3. Il s'agit de ce phénomène, commun à nombre d'espèces, de l'escargot de mer à l'homme, par lequel un stimulus neutre associé à un événement désagréable acquiert ensuite le pouvoir de déclencher à lui seul une réaction de peur. Parmi les différents noyaux composant l'amygdale, le noyau latéral reçoit des informations des régions sensorielles comme le cortex visuel. Il les transmet au noyau central relié aux centres cérébraux qui déclenchent les réactions dites autonomes, comme l'accélération du rythme cardiaque. Ce circuit assure l'apprentissage des peurs conditionnées. Il influence des structures voisines comme l'hippocampe qui restituent les souvenirs liés à ces peurs.

Imagerie fonctionnelle. Les expériences chez le rongeur ont ouvert la voie à l'exploration du comportement plus riche des primates. Chez le singe, la destruction sélective des seules cellules des amygdales suffit à perturber l'utilisation de l'ensemble du savoir émotionnel et social des animaux4. Chez l'homme, leur importance pour la mémoire émotionnelle a été particulièrement bien démontrée par une étude utilisant l'imagerie fonctionnelle par TEP5 Tomographie par émission de positons, voir l'article de Francis Eustache. Le neuropsychologue Larry Cahill et ses collègues de l'université de Californie ont mesuré l'activité du cerveau de huit volontaires pendant qu'ils regardaient des documentaires relatant soit des événements neutres, soit des images très négatives de crimes violents, par exemple. Trois semaines plus tard, les sujets se souvenaient beaucoup mieux des films négatifs que des films neutres, reflétant l'amélioration de la mémoire par les émotions. Mais le résultat important était le suivant : plus l'amygdale située du côté droit du cerveau avait été active pendant la présentation des films, meilleurs étaient les souvenirs des films négatifs. A l'inverse, l'activité de cette amygdale ne prédisait en rien la qualité des souvenirs pour les films neutres. Cette étude fournit donc la preuve d'un lien entre l'activité de l'amygdale droite pendant l'encodage d'informations riches en émotions et leur rétention ultérieure.

En accord avec cette conclusion, les patients dont l'amygdale a été endommagée présentent une mémoire correcte mais insensible à l'effet accélérateur des émotions. A l'inverse, cet effet reste présent chez les amnésiques dont l'amygdale est intacte, ainsi que chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Ces patients oublient moins les événements à forte connotation émotionnelle que les autres. Une découverte qui pourrait se révéler utile pour améliorer le soutien quotidien apporté à ces malades.
1 E. S. Valenstein, Great and D esperate C ures: The R ise and D ecline of P sychosurgery and other R adical T reatments for M ental Illness , Basic Books Inc., New York, 1986.

2 On utilise en français le terme amygdale du grec, amande à la fois pour la structure cérébrale amygdala, en anglais située au coeur du lobe temporal du cerveau en avant de l'hippocampe, et pour les organes situés dans la gorge tonsils, en anglais dont l'ablation chirurgicale très fréquente chez l'enfant n'a bien sûr aucune conséquence néfaste sur les émotions.

3 J. LeDoux, The E motional Irain , Simon & Schuster, 1996.

4 M. Meunier et al., European Journal of Neurosciences, 11, 4403, 1999.

5 L Cahill & J.L. McGaugh, Trends in Neuroscience, 21, 294, 1998,.

 

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LA MÉMOIRE ÉPISODIQUE

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Endel Tulving : « J'ai révélé la mémoire épisodique »
Marie-Laure Théodule dans mensuel 432


Plus personne ou presque ne conteste l'existence de la mémoire épisodique, ce système neurocognitif qui permet de se souvenir de nos expériences passées. Mais Endel Tulving, premier à avancer le concept, a dû batailler ferme avant qu'il s'impose.
Pourquoi avez-vous décidé d'étudier la mémoire ?

ENDEL TULVING : Je n'ai rien décidé du tout, c'est arrivé par hasard. Lorsque je suis devenu maître de conférences au département de psychologie de l'université de Toronto en 1956, je venais de passer ma thèse sur la vision, à Harvard. Je souhaitais continuer à étudier ce sujet, mais nous n'avions ni argent ni équipement à consacrer à la recherche en psychologie expérimentale. Aussi ai-je décidé de choisir une discipline qui ne nécessite ni argent ni matériel et qui s'appelait alors « apprentissage verbal * ». Je n'avais jamais suivi un cours de cette matière. Plus tard, elle a changé de nom pour s'appeler « mémoire ». C'est ainsi qu'un jour j'ai pris conscience que j'étudiais la mémoire !

Que comprenait-on de la mémoire à cette époque ?

ENDEL TULVING : Ce qui caractérisait alors l'étude de la mémoire, c'était que l'on ne se posait aucune question scientifique vraiment intéressante. Ainsi, au lieu de se demander sur quoi portait l'apprentissage, quelle était sa nature profonde ou comment il pouvait différer de ce qu'en pense l'homme de la rue, les chercheurs faisaient comme s'ils savaient parfaitement de quoi il s'agissait. Apprendre, c'était acquérir et renforcer des associations entre des stimuli et des réponses. Et oublier correspondait à un affaiblissement de ces associations. Le travail scientifique était censé nous éclairer sur les détails de ces renforcements et de ces affaiblissements, et sur les paramètres qui les affectaient. La science a le droit de commencer par explorer des idées qui relèvent du simple bon sens, mais si elle réussit, elle finit par rejeter ce simple bon sens ou au moins par le dépasser. Or, à l'époque, il n'y avait pas grand-chose dans l'étude de la mémoire qui aille au-delà du simple bon sens.

Et je trouvais cette discipline fort ennuyeuse.

Qu'est-ce qui a fait bouger les choses ?

ENDEL TULVING : C'est la révolution des sciences cognitives. Elle a redonné une légitimité à l'étude scientifique de l'esprit. Légitimité qui avait été laminée précédemment par le béhaviorisme, parce qu'il se refusait à étudier les phénomènes mentaux. Les béhavioristes ignoraient volontairement l'usage de mots comme « se rappeler », « se souvenir ». De même, ils se refusaient à considérer que la mémoire puisse avoir un quelconque rapport avec la conscience. La révolution cognitive a apporté de nombreux changements. Impossible de les citer tous ici, donc je vais mentionner seulement l'un des plus importants : la mise en évidence que la mémoire peut être consciente ou non consciente.

Freud avait parlé en son temps de la mémoire inconsciente. S'agit-il du même concept ?

ENDEL TULVING : Pas vraiment. Freud a eu beaucoup d'idées intéressantes sur la psyché humaine mais il n'a eu aucune influence réelle sur l'étude de la mémoire. Le concept de mémoire non consciente, au sens cognitif du terme, signifie que des événements du passé peuvent avoir des conséquences sur ce que quelqu'un fait et sait aujourd'hui sans que la personne en ait elle-même conscience. Beaucoup de ces conséquences sont générées par la mémoire mais le sujet l'ignore.

Pourriez-vous illustrer cela par un exemple ?

ENDEL TULVING : Bien sûr, il en existe des milliers ! Laissez-moi prendre un exemple de la vie courante. Quand vous écoutez quelqu'un parler ou que vous lisez quelque chose, vous vous appuyez sur des connaissances que vous avez acquises dans le passé. En l'occurrence, il s'agit du langage - le sens des mots, les structures grammaticales, les règles concernant la manière de former ou de comprendre les phrases négatives ou interrogatives, etc. C'est donc votre mémoire qui vous permet de comprendre le langage. Mais en êtes-vous conscient ? Quand vous vous remémorez des mots tendres murmurés à votre oreille il y a des années, vous faites un effort de mémoire conscient mais quand vous avez entendu ces mots pour la première fois, vous n'étiez probablement pas conscient que pour les comprendre vous utilisiez aussi votre mémoire. C'est cette mémoire que l'on appelle non consciente ou encore implicite. Cette distinction entre mémoire consciente et non consciente a été très importante : elle a permis de découvrir qu'il existe plusieurs systèmes de mémoire.

Plusieurs systèmes de mémoire, que voulez-vous dire ?

ENDEL TULVING : En étudiant la mémoire lors d'une expérience en laboratoire dans les années 1960, je me suis rendu compte que, si on demandait aux sujets de se rappeler des mots liés à un événement du passé, leurs résultats étaient beaucoup moins bons que si on leur demandait juste de se rappeler des mots de manière automatique implicite par association d'idées. Cela m'a conduit à émettre, dans les années 1970, l'hypothèse qu'il existe deux systèmes de mémoire à long terme fonctionnellement distincts : la mémoire sémantique, celle des connaissances que nous avons sur le monde, et la mémoire des faits vécus personnellement que j'ai baptisée mémoire « épisodique » [1] . C'est le seul système de mémoire qui permette de revivre consciemment des expériences antérieures, donc de « voyager dans le temps ». Il n'existe, selon moi, que dans l'espèce humaine et s'accompagne d'un état de conscience particulier que j'ai qualifiée de « autonoétique » : c'est la conscience de l'époque passée à laquelle les événements se sont déroulés et du temps qui s'est écoulé depuis. Aujourd'hui, le concept de mémoire épisodique est admis, mais au départ, cette proposition a été accueillie avec beaucoup de scepticisme.

Que lui reprochait-on ?

ENDEL TULVING : Les psychologues ont assez vite accepté le terme « épisodique » mais dans un but purement descriptif pour caractériser le contenu de l'information. En revanche, l'idée qu'il puisse exister un système de mémoire à part, différent, ne plaisait pas. On la trouvait trop vague, pas assez ancrée dans la réalité, dépourvue de preuves. Surtout, elle allait à l'encontre de la vision qui prévalait à l'époque, celle d'une mémoire unitaire. Les expériences en laboratoire utilisaient un matériel réduit des listes de mots, des mesures de nombre d'éléments rappelés et se focalisaient sur la composante « quoi » ou contenu de l'information, sans jamais s'intéresser à d'autres composantes quand ? où ?, ni à l'expérience vécue. À la fin des années 1980, j'ai donc suggéré de recourir aux méthodes de la neuropsychologie et de l'imagerie cérébrale pour dépasser ces arguments mais le scepticisme perdurait. Et il a fallu encore beaucoup de temps pour que les esprits critiques admettent enfin l'existence de la mémoire épisodique.

Qu'est-ce qui a contribué à la reconnaissance de la mémoire épisodique ?

ENDEL TULVING : La découverte d'une nouvelle forme de mémoire ne peut pas se comparer à celle d'un élément chimique ou d'une orchidée, car les systèmes de mémoire n'existent pas à l'état brut dans la nature. Ils s'apparentent plus à un système circulatoire ou immunitaire qui ne peut se percevoir que par des preuves externes. Des observations sont mises bout à bout, et ensuite on échafaude des hypothèses. Ainsi, ce sont les tests cliniques très précis et les expériences réalisées avec des personnes atteintes d'amnésie qui ont contribué à faire progresser la reconnaissance de la mémoire épisodique.

De quelle manière ?

ENDEL TULVING : Dans les années 1980, j'ai observé des cas d'amnésie à l'unité des troubles de la mémoire que nous avions créée à l'université de Toronto avec mon étudiant en post-doctorat, Daniel Schacter. L'un d'eux, le patient K.C., était particulièrement intéressant. C'était un jeune homme qui avait eu une lésion cérébrale dans un accident de voiture. Il m'est apparu comme quelqu'un qui avait complètement perdu sa mémoire épisodique mais qui néanmoins possédait de bonnes connaissances générales apprises avec sa mémoire sémantique [2] . C'était un cas neurologique qui illustrait parfaitement mon hypothèse théorique forcément spéculative. Mais, en dépit de ce cas, il a fallu encore beaucoup de temps pour tester et développer l'idée qu'il existe deux systèmes de mémoire séparés et encore plus longtemps pour que tout le monde l'accepte. Aujourd'hui, K.C. est reconnu dans notre domaine comme un cas particulièrement pur montrant la dissociation entre la mémoire épisodique et sémantique : l'un de ces systèmes est absent chez lui ou plutôt inopérant et l'autre est pratiquement intact.

Pourquoi qualifiez-vous ces différentes mémoires de systèmes ?

ENDEL TULVING : Nous parlons de systèmes de mémoire pour insister sur leur grande complexité : ils résultent de l'assemblage organisé d'une multitude de mécanismes neuronaux et de processus mentaux. Tous les systèmes de mémoire sont des sous-systèmes de l'ensemble « cerveau-esprit », qui est lui-même le plus complexe de tous les systèmes que nous connaissons.

Ces systèmes sont-ils indépendants et localisés dans différentes parties du cerveau ?

ENDEL TULVING : Je ne dirais pas qu'ils sont indépendants. Ils partagent certaines caractéristiques et propriétés, tout en ayant aussi celles qui leur sont propres. Ils interagissent en servant leur « maître », l'individu dans le cerveau duquel ils résident. Quant à la localisation, personne ne croit plus aujourd'hui qu'une mémoire spécifique soit localisée ici ou là dans le cerveau, ni qu'un système de mémoire soit localisé dans une région spécifique. La plupart des spécialistes de la mémoire admettent désormais que beaucoup de régions du cerveau sont impliquées dans la mémorisation, mais pas toutes les régions du cerveau.

Pourtant, on entend souvent dire que l'hippocampe joue un rôle clé dans l'enregistrement de nouveaux souvenirs ?

ENDEL TULVING : C'est exact, et vous utilisez la bonne expression : « joue un rôle ». Il n'y a pas si longtemps, on pensait que l'hippocampe était le siège de la mémoire dans le cerveau. Le rôle de l'hippocampe a été révélé quand Brenda Milner et ses collègues de l'université de Montréal ont commencé à étudier un homme nommé H.M. dans les années 1950 lire p. 67. Maintenant, plus de cinquante ans plus tard, nous savons que l'hippocampe joue un rôle vital dans certaines formes de mémoire mais pas dans d'autres. Des travaux particulièrement intéressants ont été réalisés par Faraneh Vargha-Khadem et ses collègues à l'université de Londres [3] . Ils ont étudié des adolescents qui avaient subi des lésions à l'hippocampe peu après leur naissance. Si l'hippocampe avait réellement été le siège de la mémoire, ces enfants auraient été incapables d'apprendre ou de se rappeler la moindre chose. Or, s'ils ont effectivement des problèmes de mémoire épisodique, ils suivent cependant une scolarité quasi normale, apprennent à lire, à écrire, à compter, et tout ce qu'on apprend à l'école. Il semble donc que l'hippocampe ne soit pas nécessaire pour ce type de mémoire sémantique. Par ailleurs, nous savons que les cortex préfrontal et pariétal entre autres sont impliqués dans la mémoire sémantique et dans la mémoire épisodique mais chacun de manière différente.

Pouvez-vous préciser les rôles respectifs du cortex préfrontal et du cortex pariétal ?

ENDEL TULVING : Non, nous savons seulement que certaines parties de ces aires sont impliquées dans la mémoire épisodique, et aussi dans la mémoire sémantique. On a décrit quelques cas où l'amnésie est causée par une lésion dans le cortex préfrontal ou dans le cortex pariétal sans que l'hippocampe ne soit touché, mais on n'en sait pas plus. Les travaux réalisés avec le patient H.M. ont, pendant des années, tellement focalisé l'attention des chercheurs sur les lobes temporaux et sur l'hippocampe que l'implication de réseaux corticaux et sous-corticaux dans la mémoire n'a été étudiée et révélée que récemment. Évidemment, il n'existe pas un réseau de mémoire unique, pas plus qu'il n'existe une mémoire unique. Il existe plusieurs réseaux qui sont impliqués dans différentes mémoires épisodique, sémantique..., différentes tâches reconnaissance, rappel..., différents procédés encodage, recherche... et différentes sortes d'informations mots, visages.... Les régions pariétales et préfrontales sont des composants de tels réseaux. Cela semble complexe, mais la mémoire est très complexe, et nous sommes loin d'avoir tout compris.

Existe-t-il cependant un consensus sur la manière de classer les différents systèmes de mémoire ?

ENDEL TULVING : Certains scientifiques contestent encore l'existence d'une différence biologique entre mémoires sémantique et épisodique. Mais leur vision, que je qualifierai d'unitaire, tient aux faits qu'ils travaillent sur la mémoire animale et que les animaux n'ont pas de véritable mémoire épisodique. Leur vision est donc valable dans « leur monde ». En revanche, beaucoup de chercheurs acceptent désormais l'idée qu'il existe au moins cinq types de mémoire, ou de systèmes de mémoire chez l'homme : mémoires à court terme ou de travail, procédurale, perceptive, sémantique et épisodique. La mémoire à court terme garde des informations verbales « en ligne » durant une courte période. Les quatre autres formes sont des mémoires à long terme sur ce qui a été appris ou vécu. La mémoire procédurale porte sur la manière de faire les choses, la mémoire perceptive nous rappelle des images, des bruits, des sons, des odeurs, des touchers. Enfin, il y a la mémoire sémantique et la mémoire épisodique dont nous avons déjà parlé.

Sur quoi portent les travaux désormais ?

ENDEL TULVING : Les débats sont et seront encore nombreux, étant donné la complexité de la mémoire. Mais il me semble que la relation entre les différents systèmes de mémoire doit être au coeur des préoccupations. En effet, on peut penser que la mémoire épisodique est issue de la mémoire sémantique au cours de l'évolution. D'ailleurs, elle existe à l'état émergeant chez certains animaux comme les geais buissonniers, qui sont capables de dissimuler de la nourriture pour la retrouver ensuite [4] . Donc, je crois qu'il faut continuer à explorer la mémoire épisodique, car si elle a un long passé, elle n'a qu'une courte histoire. Or à mon sens, elle représente un tournant majeur dans l'évolution : c'est elle qui a donné à un seul être vivant, l'homme, la capacité se projeter dans le passé et aussi dans l'avenir, donc de transformer en boucle le cours linéaire du temps.
[1] E. Tulving, Organization of Memory, Academic Press, 1972.

[2] E. Tulving et al., Brain Cogn., 8, 3, 1988.

[3] F. Vargha-Khadem et al., Science, 277, 376, 1997.

[4] D. Alexis, S. Stevens, N. Clayton et N. Emery, La Recherche, décembre 2007, p. 53.
NOTES
Endel Tulving, neuropsychologue canadien, est né en Estonie en 1927. Il occupe la chaire Tanenbaum de neurosciences cognitives de l'institut de recherche Rotman à Baycrest. Il est également professeur émérite à l'université de Toronto. Et c'est le « père » de la mémoire épisodique.

* L' apprentissage verbal désignait le champ disciplinaire qui s'intéresse à la manière dont les gens apprennent, retiennent et oublient des « matériaux » verbaux, comme des listes de mots ou des paires de mots, lors d'expériences conduites en laboratoire.

 

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LA MÉMOIRE 2

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L'individuel sous influence du collectif

 


la mémoire et l'oubli - par Dan Sperber dans mensuel n°344 daté juillet 2001 à la page 32 (2901 mots)
Notre activité mentale s'appuie sur des mémoires externes qui ont évolué avec le développement de l'écriture, de l'imprimerie, et maintenant des nouvelles technologies de l'information. Une évolution dont doivent tenir compte aussi bien les sciences sociales que les sciences cognitives.

Peut-on parler de mémoire collective ou sociale ? Les sociologues1, les anthropologues et les historiens2 le font sans hésiter tant il est manifeste que les groupes humains se caractérisent par l'accumulation et l'exploitation d'un ensemble relativement stable de croyances, de savoir-faire et de valeurs partagés. Cet ensemble de représentations - qui correspond à la culture du groupe - est inscrit de façon durable, non seulement dans les esprits, mais aussi dans l'espace commun sous la forme de textes, d'outils, de monuments, et de ces pratiques mnémoniques par excellence que sont les rites. Même si l'on comprend sans mal à quoi font référence les expressions de mémoire collective ou sociale, même si l'on reconnaît la fécondité des recherches où ces notions sont déployées, l'extension au domaine sociologique d'une notion issue de la psychologie individuelle pose problème. Un groupe social n'est pas un organisme ; il n'a ni cerveau ni esprit et, sauf dans un sens vague ou métaphorique, il ne pense pas, il ne raisonne pas, il ne désire pas, il ne décide pas. Il ne se souvient pas non plus. Depuis toujours, les praticiens des sciences sociales adoptent en l'adaptant ce qui peut leur convenir dans le vocabulaire des psychologues, sans se soucier d'expliciter les rapports entre leurs disciplines et la psychologie. Depuis une vingtaine d'années, en revanche, sous l'influence de la « révolution cognitive », se développe un ensemble de recherches sur la façon dont s'articulent la cognition et la culture humaines3. Comprendre les rapports entre mémoire individuelle et collective appelle à l'évidence une telle articulation.

La mémoire joue un rôle crucial dans la cognition. Tout système cognitif, aussi rudimentaire soit-il, permet à l'organisme qui en est doté d'ajuster son comportement aux changements du monde qui l'entoure. Cependant, les organismes simples dotés d'un système cognitif sans mémoire sont incapables d'apprendre. Ils réagissent toujours de manière stéréotypée à des événements semblables. La mouche revient encore et encore se cogner à la vitre. Un système cognitif muni d'une mémoire permet à l'organisme de réagir de façon différente à des événements semblables, de choisir de ne pas réagir, d'ajuster ainsi ses réactions non seulement aux changements de l'environnement ou à ses propres états internes faim, fatigue, douleur, par exemple, mais aussi aux rapports que ces événements et ces états entretiennent avec des événements et des états passés.

Pour comprendre ce rôle de la mémoire, il faut en distinguer deux aspects, celui de réserve d'informations, et celui d'ensemble de processus alimentant et exploitant cette réserve. Le réservoir de la mémoire humaine est d'une capacité difficilement calculable. Chacun d'entre nous connaît des centaines, voire des milliers de personnes, des dizaines de milliers de mots et de choses, des millions de faits. Pour tirer parti de toute information nouvelle issue de la perception, pour en tirer des conclusions pratiques ou théoriques qui, éventuellement, guideront l'action ou iront enrichir la mémoire, il faut faire appel à certaines de ces informations anciennes. Or, de même qu'à tout moment donné nous ne pouvons focaliser notre attention que sur quelques aspects particuliers de l'environnement, de même nous ne pouvons mobiliser qu'une partie infime de cette immense mémoire. L'efficacité cognitive dépend alors de la capacité du système à ne traiter que des informations suffisamment pertinentes, c'est-à-dire des informations dont le traitement sera susceptible d'entraîner des effets cognitifs adéquats pour l'effort demandé. L'efficacité de la mémoire en particulier dépend de sa sélectivité dans les informations qu'elle réactive dans un contexte donné.

Environnement. J'ai parlé jusqu'ici au singulier. Or, la mémoire est multiple comme le montrent clairement les progrès récents de la psychologie cognitive. En particulier, il y a des mémoires à long terme, véritables dictionnaires et encyclopédies mentales, et une ou peut-être plusieurs mémoires de travail, de faible capacité, qui servent en quelque sorte de feuille d'écriture mentale aux processus de l'attention. Chacune comporte à la fois une réserve permanente ou transitoire d'informations et des processus d'alimentation et d'exploitation de cette réserve.

Aux mémoires internes, localisées dans nos cerveaux, s'ajoutent aussi des mémoires externes de différents types. Tout d'abord, l'environnement matériel joue ce rôle, en « re-présentant » à notre perception une information en grande partie invariante. D'un moment à un autre, la plupart des objets conservent leur place et leurs propriétés. Les plus essentielles de ces propriétés sont quasi immuables. Il y a donc un ensemble d'informations qu'il n'est pas nécessaire de représenter intégralement dans une mémoire interne car elles sont disponibles en permanence dans l'environnement. Si l'on peut dire que ce dernier, de par sa stabilité, offre à chacun d'entre nous une mémoire externe, c'est seulement en ce qu'il est une réserve d'informations, et non en ce qu'il offrirait des processus d'alimentation et d'exploitation de cette réserve. En particulier, l'environnement matériel ne distingue pas les informations pertinentes de celles qui ne le sont pas. Mais l'environnement social est capable de jouer ce rôle. Les êtres communicants que nous sommes trouvent chacun en autrui une extension de leur propre mémoire. Et il ne s'agit pas cette fois d'une réserve passive. L'information y est accumulée et activée par des mécanismes individuels et communicationnels qui sont guidés par des considérations de pertinence. Dans une conversation par exemple, les informations nouvelles, les rappels, et les arguments sont introduits par chaque interlocuteur d'une façon qui se veut pertinente pour les autres interlocuteurs. La communication humaine est ainsi une façon d'enrichir, de gérer et d'exploiter souvent de façon inégalitaire une mémoire externe qui est collective en ceci qu'elle est distribuée entre plusieurs personnes et gérée à travers leurs interactions.

Une population humaine est habitée par une population considérablement plus large de représentations mentales distribuées entre les individus4. Chaque fois que quelqu'un communique, il produit une perturbation dans l'environnement destinée tout d'abord à attirer et à retenir l'attention d'un destinataire, puis à donner à ce destinataire les moyens de construire une représentation mentale semblable à celle qu'il voulait transmettre. La perturbation externe qui permet ainsi d'associer deux représentations internes, celle de l'émetteur et celle du destinataire, est elle-même une représentation, publique cette fois.

Les représentations publiques - aussi bien les paroles que les gestes, les mimiques, les images et les écrits - mettent les mémoires individuelles en réseau. Communiquant les uns avec les autres, nous vivons au milieu de notre mémoire autant qu'elle vit en nous. Cela dit, la mémoire collective est elle aussi imparfaite. L'information s'y délite rapidement. Ou alors elle ne s'y maintient qu'au prix de distorsions dont l'effet cumulé est bien illustré par le cas des rumeurs qui la transforment jusqu'à la rendre méconnaissable.

Représentations publiques. Avant l'écriture, les représentations publiques consistaient en paroles et en gestes, c'est-à-dire en événements brefs ne laissant pas de traces reconnaissables dans l'environnement. Seuls les individus présents au moment même de la parole ou du geste pouvaient en recevoir le message. Hormis ces moments et en faisant abstraction des images et de quelques autres outils cognitifs qui ont existé avant l'écriture, l'environnement était alors vide de représentations publiques. La stabilisation d'une mémoire collective à long terme reste, dans ces conditions, une sorte d'exploit collectif dont il serait naïf de croire que toutes les sociétés de tradition orale l'accomplissent au même degré. L'anthropologue Philippe Descola écrit par exemple à propos d'un groupe Jivaro de la haute Amazonie : « Peu d'Achuar connaissent le nom de leurs arrière-grands-parents, et cette mémoire de la tribu qui se déploie tout au plus sur quatre générations s'engloutit périodiquement dans la confusion et l'oubli. Les inimitiés et les alliances que les hommes ont héritées de leurs pères oblitèrent les configurations plus anciennes que les pères de leurs pères avaient établies, car nul mémorialiste ne s'attache à célébrer les hauts faits accomplis il y a quelques décennies par ceux dont le nom n'évoque plus rien à personne. Hormis les rivières, espaces fugaces et en perpétuel renouveau, aucun lieu n'est ici nommé. Les sites d'habitat sont transitoires, rarement occupés plus d'une quinzaine d'années avant de disparaître derechef sous la forêt conquérante, et le souvenir même d'une clairière s'évanouit avec la mort de ceux qui l'avaient défrichée 5 . » Cependant, même chez ces Jivaros, certaines représentations, des mythes, des savoir-faire par exemple, restent relativement stables à travers des transmissions multiples et peuvent, avec quelques variations, être partagées par tout un groupe social pendant des siècles. Les représentations qui se transmettent de génération en génération ou qui se diffusent dans une population entière constituent cette partie relativement stable de la mémoire distribuée que nous appelons la culture. Nous sommes chacun les dépositaires passagers, les vecteurs et les bénéficiaires de fragments de cette mémoire collective, que nous infléchissons, volontairement ou involontairement, en la transmettant.

Avec l'invention de l'écriture, la mémoire socialement distribuée sort en partie des cerveaux et s'installe dans l'environnement, sous une forme solide, mobile, et reproductible. Les représentations publiques ne sont plus seulement des événements, mais aussi des traces d'événements, en particulier des textes indéfiniment consultables, même en l'absence de leurs auteurs. La mémoire externe échappe ainsi en partie aux aléas de la mémoire individuelle et de la communication. Une partie au moins de la culture du groupe se solidifie dans l'environnement. Cependant, à la différence des réseaux de la communication sociale qui à la fois conservent l'information et la traitent, les écrits sont inertes. Ils conservent l'information, mais seuls les scripteurs et les lecteurs la traitent. Les écrits ne constituent une mémoire qu'au sens restreint de réserve d'informations.

Au début de l'écriture, cette mémoire-réserve externe est contrôlée par les puissants et sert leurs intérêts. S'y enregistrent les titres de propriété et de noblesse, les traités et les alliances, les dépenses et les recettes. Surtout, elle sert à la collecte des impôts. Aussi importantes que soient ces fonctions sociales - ce rôle de mémoire externe à long terme de l'administration et du pouvoir -, on aurait tort de négliger les fonctions cognitives de l'écriture, et en particulier son rôle de mémoire de travail externe. La pensée attentive - la réflexion en particulier - est en effet entravée par les étroites limites de la mémoire de travail interne. Or, en même temps qu'un moyen de gouverner et de communiquer entre puissants, l'écriture a été d'emblée un instrument de la pensée.

Redéploiement de la pensée. L'anthropologue britannique Jack Goody a bien montré, dans une série d'ouvrages dont le premier portait en anglais le titre explicite La Domestication de la pensée sauvage 6 allusion bien sûr, à La Pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss, comment l'écriture, dès ses origines mésopotamiennes, a fourni de nouveaux instruments intellectuels tels que les listes, les tables, les recettes, les algorithmes de calcul, voire les formes abstraites du syllogisme. Le fait de pouvoir disposer, par le biais de l'écriture, d'une mémoire de travail externe durable et extensible a non seulement permis de soulager la mémoire de travail interne, mais surtout, a rendu possible un redéploiement radical de la pensée. La réflexion pouvait désormais s'exercer non plus seulement sur des objets mentaux littéralement insaisissables, mais sur un texte, un calcul, un schéma stable, modifiable, et reproductible. L'écriture a ainsi été un instrument indispensable pour mettre au point d'autres artefacts cognitifs élaborés, cartes, instruments de mesure et de calcul.

Les scribes, les comptables, les arpenteurs, les médecins, les astrologues, les chroniqueurs, les archivistes, les bibliothécaires qui maniaient l'écriture pour le compte du souverain ont été les inventeurs de nouvelles formes de pensée. L'exploitation de l'écriture dans les cités relativement démocratiques de la Grèce installe de façon permanente, consultable sinon par tous du moins par beaucoup, une mémoire de récits divergents et d'arguments contradictoires, donc non seulement des connaissances, mais aussi des processus même de la constitution collective des connaissances. La mémoire externe devient le moyen d'une pensée sur la pensée. L'extériorisation transforme même la pensée dont la mémoire n'est pourtant encore que l'instrument passif.

Depuis l'invention de l'imprimerie et la généralisation de l'écriture, la mémoire externe est devenue omniprésente, en renouvellement constant, et massivement accessible. L'activité mentale de chacun d'entre nous ne cesse de faire appel à cette mémoire externe. Une part importante de l'information mémorisée de façon interne porte précisément sur elle : comment y accéder, où trouver quoi, à quelles conditions. Bien l'utiliser est devenu un aspect essentiel de l'activité cognitive de chacun. Gérer, conserver, enrichir, réviser cette mémoire collective est devenu une dimension essentielle de la vie sociale.

Transformation radicale. Aujourd'hui, s'amorce sous nos yeux une transformation de la mémoire externe beaucoup plus brusque et sans doute encore plus radicale que sa progressive inscription permanente dans l'environnement due au développement de l'écriture, puis de l'imprimerie. Je l'ai dit, avant même l'écriture, chacun disposait d'une mémoire externe en autrui. Les autres humains sont à certains égards plus faciles, à d'autres égards plus difficiles à consulter que les écrits. Ils ne font rien, et en particulier ils ne nous aident pas, sans motivation. Ils choisissent l'information qu'ils veulent bien partager avec nous et l'adaptent autant à leurs propres fins qu'à nos besoins. La mémoire externe que constituent les autres pour chacun d'entre nous est vivante, active. Elle pré-traite l'information qu'elle nous fournit, et qui entame donc déjà, en dehors de nous, le processus cognitif auquel cette information doit servir. Contrairement à leurs auteurs, les écrits en eux-mêmes sont dépourvus de bienveillance ou de malveillance particulière à notre égard, de désir ou de moyen de nous aider à mieux les utiliser, et d'arrière-pensée. Que je consulte l'annuaire ou le dictionnaire, que je lise un livre de philosophie ou le journal, je n'ai pas besoin de lui inspirer sympathie ou crainte pour qu'il veuille bien me servir, et je ne peux rien lui demander de plus que ce qu'il est prêt à me donner d'emblée.

Avec le développement des ordinateurs et leur mise en réseau, arrive une nouvelle forme de mémoire externe, aussi dépourvue de passions que le papier, mais intensément active et destinée à le devenir toujours plus. Il ne s'agit plus de simples réserves d'information. Comme autrui, l'ordinateur et le réseau sont capables d'anticiper mes besoins et de prétraiter l'information qu'ils me donnent. Mes processus cognitifs se tissent désormais en partie à l'intérieur, en partie à l'extérieur de moi. Je n'ai plus seulement des réserves de mémoires externes, j'ai aussi des dispositifs externes de constitution et d'exploitation de ces réserves. A l'échelle sociale, cette mémoire distribuée et durable qu'est la culture n'est plus exclusivement gérée par les humains. Ce supplément de gestion, ce travail cognitif qui s'effectue en dehors de nous, encore entièrement à notre demande, mais plus tout à fait sous notre seul contrôle, constitue avant tout une extraordinaire ressource. Il n'est pas absurde cependant d'en éprouver quelque angoisse. Mais avant de se féliciter ou de s'inquiéter, notre tâche sera de tenter de prévoir et de comprendre les effets cognitifs et culturels de cette activation explosive de notre mémoire externe.

Mémoires internes et externes interagissent. Les mémoires externes sont adaptées aux dispositions et aux besoins cognitifs humains, et évoluent historiquement avec les changements institutionnels et technologiques. En revanche, on pourrait croire que les mémoires internes font partie, dans leurs structures sinon dans leurs contenus, de l'équipement mental commun à l'espèce depuis les débuts d' Homo Sapiens . Ce n'est vrai qu'en partie : l'équipement mental commun se développe et se complète selon l'environnement culturel. La mémoire ne fait pas exception. Il y a une pédagogie de la mémoire individuelle datant en Occident de la rhétorique antique, et décrite dans le livre fameux de Frances Yates, L'Art de la mémoir e7 qui contribue à mettre en place non seulement des contenus de mémoire, mais aussi des routines mnémoniques. L'existence de mémoires externes modifie les tâches de la mémoire interne et en affecte les mécanismes. Ainsi, le fonctionnement même de la mémoire musicale - un des premiers exemples de mémoire sociale étudié par le fondateur de la sociologie de la mémoire, Maurice Halbwachs - se transforme-t-il avec l'apparition de la transcription musicale. Ce n'est qu'avec l'écriture qu'émerge une mémoire des textes, à proprement parler. Les effets des moyens de stockage électroniques sur les mémoires individuelles sont eux trop récents pour avoir encore été proprement étudiés, mais on ne s'aventure guère en prédisant qu'ils seront importants.

Liaisons à la loupe. Si les praticiens des sciences sociales veulent non seulement parler de mémoire collective, mais aussi en parler de manière assez précise pour en comprendre les mécanismes et les effets, ils doivent regarder à la loupe des sciences cognitives les liaisons qui s'établissent entre les mémoires internes des individus, soit directement par le biais de la commu- nication, soit indirectement par le biais de mémoires externes. Ils constateront alors que, de même qu'il n'y a pas une, mais des mémoires individuelles, il n'y a pas une mais des mémoires collectives qui se distinguent en particulier par le mode de conservation de l'information et par les processus de son accumulation et de son exploitation. Si les praticiens des sciences cognitives veulent décrire les processus de mémoire tels qu'ils sont effectivement à l'oeuvre dans la vie des humains, alors ils doivent, comme l'ont fait par exemple le psychologue Ulric Neisser8 ou l'anthropologue cognitif Edwin Hutchins9, prendre pour objet d'étude non seulement l'individu mémorisant des stimuli de laboratoire, mais aussi les réseaux interindividuels et culturels, les situations quotidiennes où s'exerce la cognition, les artefacts cognitifs qui y sont mis en oeuvre, et les informations qui y sont réellement mémorisées.

Par Dan Sperber

 

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SÉMIOLOGIE

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SÉMIOLOGIE, subst. fém.


A. − MÉD. Partie de la médecine qui étudie les symptômes et les signes cliniques traduisant la lésion d'un organe ou le trouble d'une fonction. Synon. sémiotique (vx), symptomatologie.La neuro-physiologie illustre parfaitement ce que la méthode anatomo-clinique a pu réaliser avec l'appoint simultané de la sémiologie, de l'histologie et de l'expérimentation (Bariéty, Coury, Hist. méd., 1963, p. 657):
1. ... après quelques oscillations on observe une fixité remarquable, subsistant longtemps et témoignant de l'exagération de l'équilibre volitionnel statique alors que l'équilibre volitionnel cinétique est déficient comme le montre l'hypermétrie. Babinski a complété l'ensemble magistral de cette sémiologie cérébelleuse en étudiant parallèlement la déséquilibration vestibulaire par l'étude des mouvements réactionnels, par l'épreuve qu'il a proposée du vertige voltaïque. Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 262.
B. − COMMUN., LING.
1. [Notamment chez F. de Saussure] Étude générale, science des systèmes de signes (intentionnels ou non) et des systèmes de communication:
2. On peut (...) concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale; nous la nommerons sémiologie (...). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. (...) La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un domaine bien défini dans l'ensemble des faits humains. Sauss.1916, p. 33.
2. En partic.
a) Étude des systèmes de communication (incluant ou non les langues naturelles) posés et reconnus comme tels par l'institution sociale (code de la route, signaux maritimes, etc.). Une « sémiologie de la communication », c'est-à-dire (...) une discipline qui étudie les structures sémiotiques ayant la communication pour fonction, qu'elles soient ou non des langues (L.-J. Prieto, Pertinence et prat., essai de sémiologie, 1975, p. 11):
3. ... tous les post-saussuriens (...) ont constitué (...) les bases solides d'une sémiologie qui serait d'abord la description du fonctionnement de tous les systèmes de communication non linguistiques, depuis l'affiche jusqu'au code de la route, depuis les numéros d'autobus ou de chambres d'hôtel jusqu'au code maritime international des signaux par pavillons. G. Mounin, Introd. à la sémiologie, 1970, p. 11.
b) Étude des pratiques signifiantes, des significations attachées aux faits de la vie sociale et conçus comme systèmes de signes. Synon. plus fréq. sémiotique (v. ce mot II A 2 et sémiologique B ex. de E. Benveniste).La sémiologie (...) a pour objet tout système de signes, quelle qu'en soit la substance, quelles qu'en soient les limites: les images, les gestes, les sons mélodiques, les objets et les complexes de ces substances que l'on retrouve dans des rites, des protocoles ou des spectacles constituent, sinon des « langages », du moins des systèmes de signification (R. Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Élém. de sémiologie, 1968 [1964], p. 79).
♦ Sémiologie littéraire, théâtrale, de l'art, du cinéma, de la peinture, etc. Étude des faits littéraires, théâtraux, cinématographiques, artistiques, etc. envisagés comme systèmes de signes. Une chose au moins est sûre: aucune sémiologie du son, de la couleur, de l'image ne se formulera en sons, en couleurs, en images. Toute sémiologie d'un système non-linguistique doit emprunter le truchement de la langue, ne peut donc exister que par et dans la sémiologie de la langue (É. Benvéniste, Probl. de la ling. gén., II, Sémiologie de la lang., 1974 [1969], p. 60).Il faut rappeler la condition fondamentale de toute sémiologie picturale: l'indissociabilité du visible et du nommable comme source du sens (Encyclop. univ.t. 141972, p. 863).
c) CARTOGR. Sémiologie graphique. ,,Étude des signes graphiques, de leurs propriétés et de leurs rapports, avec les éléments d'information qu'ils expriment`` (George 1984).
3. [Chez Hjelmslev, p. oppos. à sémiotique] Système signifiant non scientifique. Hjelmslev, tout en gardant le terme de Saussure, le dote d'une définition précise: il entend par sémiologie la métasémiotique scientifique dont la sémiotique-objet n'est pas scientifique (Greimas-Courtés1979).
4. [Dans la ling. de G. Guillaume] Système des signifiants. V. sémiologique B.
Rem. Sémiologie se trouve concurrencé, dans certaines accept. par sémiotique (supra B 2). Cette concurrence relève essentiellement de deux filiations théoriques: celle de F. de Saussure qui avait formé le projet d'une sémiologie et celle de Ch. S. Peirce qui utilise le terme de « semiotics » trad. par sémiotique. Toutefois, si la limite entre sémiologie et sémiotique est mal fixée (sauf dans la théorie glossématique de Hjelmslev), il s'agit là de deux domaines en cours de constitution: pour certains (R. Barthes) la sémiotique s'applique à un système particulier, la sémiologie étant une science générale qui regroupe diverses sémiotiques; pour d'autres, au contraire, la sémiotique suppose un domaine d'étude plus large que celui de la sémiologie.
REM.
Séméiologie, subst. fém.,var. rare (sauf dans l'accept. méd.). a) Méd. Guyon a fixé les règles de l'examen physique des reins et a précisé la séméiologie de ces deux grands symptômes urinaires qui se montrent dans la plupart des affections chirurgicales des reins, l'hématurie et la pyurie (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946 [1943], p. 215).b) Commun. Ce qu'il y a de plus profond dans l'histoire spirituelle de l'humanité c'est la compréhension du signe, et toute grande philosophie est une séméiologie; découvrir le chiffre du monde et pouvoir ainsi en révéler le langage, tel est l'objet du désir fondamental de l'homme (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 47).
Prononc. et Orth.: [semjɔlɔ ʒi]. Ac. 1762: séméïologie; 1798-1878: -méio-; 1935: -méio-, -mio-. Étymol. et Hist. 1. 1752 séméïologie, sémiologie méd. « symptomatologie » (Trév.); 2. a) 1916 « science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale » (Sauss., loc. cit.); b) 1967 en partic. sémiologie graphique (J. Bertin, Sémiologie graphique. Les diagrammes. Les réseaux. Les cartes [titre]). Formé du gr. σ η μ ε ι ̃ ο ν « signe » et λ ο ́ γ ο ς « discours » (v. -logie).
DÉR.
Sémiologue, subst.,commun. Spécialiste de sémiologie. Le sémiologue (...) dira (...) à quel niveau du système sémantique de la Mode, l'économie et la sociologie rejoignent en pertinence sémiologique: au niveau de la formation du signe vestimentaire par exemple, ou à celui des contraintes associatives (tabous) ou à celui du discours de connotation (R. Barthes, Le Degré zéro de l'écriture, Élém. de sémiologie, 1968 [1964], p. 170).− [semjɔlɔg]. − 1reattest. 1964 id.; de sémiologie par substitution de l'élém. -logue* à l'élém. -logie*.
BBG. − Engler (R.). Sémiologies saussuriennes. 2. Le Canevas. Cah. F. Sauss. 1980, n o34, pp. 4-16. − Greimas (A. J.). Cah. Lexicol. 1965, n o6, p. 111. − Guiraud (P.). La Sémiologie. Paris, 1971, 128 p. − Martinet (J.). Clefs pour la sémiologie, Paris, 1973, 243 p. − Mounin (G.). Introd. à la sémiologie. Paris, 1970, 251 p. − Nattiez (J.-J.). De la sémiologie à la sémantique. Cah. LIng. Montréal. 1973, n o2, pp. 219-240; Le point de vue sémiologique. Cah. Ling. Montréal. 1975, n o5, pp. 50-73. − Sign, language, culture. Signe, language, culture. Ed. A. J. Greimas, R. Jakobson... The Hague, Paris, 1970, p. 13-27. − Wunderli (P.). Sémantique und Sémiologie. Vox rom. 1971, t. 30, n o1, pp. 14-31.

 

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