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L'ANXIÉTÉ CHEZ UN INVERTÉBRÉ

 

Paris, 13 Juin 2014


L'observation de l'anxiété, pour la première fois chez un invertébré, ouvre une nouvelle voie d'étude
Pour la première fois, des chercheurs du CNRS et de l'université de Bordeaux viennent de produire et d'observer un comportement d'anxiété chez l'écrevisse, qui disparaît lorsqu'on lui injecte une dose d'anxiolytiques. Ces travaux, publiés dans Science le 13 juin 2014, montrent que les mécanismes neuronaux liés à l'anxiété se sont conservés tout au long de l'évolution. L'analyse de ce comportement ancestral chez un modèle animal simple révèle, en outre, une nouvelle voie pour l'étude des bases neuronales de cette émotion.
L'anxiété peut être définie comme une réponse comportementale au stress consistant en une appréhension durable des événements à venir. Elle prépare les individus à détecter les menaces et à les anticiper de façon adaptée. Elle favorise donc leur survie. Cependant, lorsque le stress est chronique, l'anxiété devient pathologique et peut conduire à un état dépressif.

Jusqu'à présent l'anxiété non pathologique n'avait été décrite que chez l'homme et quelques vertébrés. Pour la première fois, elle est observée chez un invertébré. Pour y parvenir, les chercheurs de l'Institut de neurosciences cognitives et intégratives d'Aquitaine (CNRS/université de Bordeaux) et de l'Institut des maladies neurodégénératives (CNRS/ université de Bordeaux) ont d'abord exposé les écrevisses à un champ électrique de façon répétée durant trente minutes. Ensuite, ils ont placé les écrevisses dans un labyrinthe aquatique en forme de croix. Deux des bras étaient éclairés, ce qui naturellement rebute les écrevisses, et deux étaient dans l'obscurité, ce qui, au contraire, les rassure.

Les chercheurs ont alors analysé le comportement exploratoire des écrevisses. Les écrevisses rendues anxieuses ont eu tendance à rester dans les parties sombres du labyrinthe, contrairement aux écrevisses témoin, qui ont exploré l'ensemble du labyrinthe. Ce comportement est une réponse adaptative au stress subi : l'animal cherche à minimiser les risques de rencontrer un agresseur. Cet état émotionnel s'est estompé au bout d'une heure environ.

L'anxiété des écrevisses est corrélée à un accroissement de la concentration de sérotonine dans leur cerveau. Ce neurotransmetteur est impliqué dans de nombreuses régulations physiologiques tant chez les invertébrés que chez l'homme. Elle est libérée dans des contextes de stress et régule plusieurs réponses liées à l'anxiété, comme l'augmentation des taux de glucose dans le sang. Les chercheurs ont aussi montré qu'en injectant un anxiolytique d'usage courant chez l'humain (benzodiazépine), le comportement d'évitement de l'écrevisse est aboli. Ceci montre à quel point les mécanismes neuronaux permettant d'établir ou d'inhiber le comportement anxieux sont apparus tôt dans l'évolution et se sont bien conservés au cours du temps.

Ces travaux offrent aux chercheurs qui étudient le stress  et  l'anxiété, un modèle animal unique. Dotée d'un système nerveux simple dont les neurones sont faciles à enregistrer, l'écrevisse pourrait permettre de mieux comprendre les mécanismes neuronaux en œuvre dans un contexte stressant, ainsi que le rôle de neurotransmetteurs tels que la sérotonine ou le GABA. A présent, l'équipe veut étudier l'anxiété chez l'écrevisse soumise à un stress social et analyser les changements neuronaux qui s'opèrent lorsque l'anxiété se prolonge sur plusieurs jours.

 

DOCUMENT                CNRS               LIEN

 
 
 
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LA SYSTÉMATIQUE GÉNÉTIQUE

 

Texte de la 431e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 10 juillet 2002

Sylvie Mazan, « Evolution et Développement : la rencontre de deux logiques pour le vivant »
Dans le domaine des sciences humaines, la compréhension d'une société et de son fonctionnement implique des approches multiples, visant par exemple à la replacer dans un contexte géographique, économique ou culturel et les contraintes qu'il implique. Mais ces analyses ne sauraient exclure une approche historique, retraçant à la fois son origine et les changements qui l'ont modelée au cours du temps. Il en est de même dans le cas du monde vivant. Ainsi, chez les animaux, la morphologie qui caractérise une espèce peut être comprise sous des aspects multiples (adaptation à un contexte écologique ou environnemental, résultat des processus génétiques et cellulaires complexes qui ont lieu au cours de l'embryogenèse). Mais elle est également le résultat d'une évolution, difficilement prévisible, dont il est particulièrement intéressant de retracer les étapes. Une telle approche s'inscrit donc dans une démarche de type historique. Au cours des vingt dernières années, la biologie moléculaire et la génétique du développement ont fourni, de façon inattendue, des outils nouveaux pour comprendre l'évolution des espèces. Elles ont conduit à l'émergence d'une nouvelle discipline, située à l'interface entre la génétique du développement et les sciences de l'évolution, et souvent appelée "Evo-Devo" par les spécialistes. Le but principal des recherches conduites dans ce domaine est de comprendre l'évolution des formes au sein du monde vivant, en retraçant l'histoire évolutive des gènes qui contrôlent la morphogenèse au cours du développement embryonnaire. Comme on le verra plus loin, ce type d'approche pourrait également permettre de relever d'autres enjeux, tout aussi importants.

Evolution et développement : un lien ancien longtemps oublié
L'idée de rapprocher les sciences de l'évolution et l'étude du développement embryonnaire n'est pas neuve. Elle trouve ses origines dès le début du XIXe siècle, alors que la théorie de l'évolution n'est pas encore publiée. Ainsi, le grand embryologiste Karl Ernst Von Baer, découvreur de l'Suf des mammifères mais également de la notochorde, structure embryonnaire qui caractérise un grand groupe de métazoaires incluant les vertébrés, propose à travers quatre grands principes, "Les Lois de Von Baer", une classification des espèces sur la base de leurs caractéristiques embryonnaires. Pour lui, les caractères généraux caractérisant un taxon donné apparaissent à des stades précoces du développement, alors que les caractères spécialisés d'un sous-groupe, voire d'une espèce, se mettent en place à des étapes tardives de l'embryogenèse. Ce scénario se traduit donc par des ressemblances entre embryons précoces, et cela même chez des espèces phylogénétiquement très éloignées comme l'ensemble des métazoaires, les différences s'accumulant ensuite au cours du développement pour aboutir à des morphologies potentiellement très divergentes. Dans cette vue, l'embryon d'une espèce donnée ne passe jamais par les stades adultes d'une espèce considérée comme "inférieure" (cette notion de hiérarchie entre espèces étant bien sûr aujourd'hui totalement abandonnée), mais en diverge de plus en plus au cours de son développement. La conception de Von Baer est assez proche de notre vision moderne en ce qu'elle n'implique pas de hiérarchie entre taxa au sein du monde vivant, mais plutôt une divergence à partir d'un "type" commun qui fonde l'unité du groupe. Sa faiblesse réside cependant en l'absence de mécanisme expliquant cette unité, dont nous savons aujourd'hui qu'elle est liée à une ascendance commune au cours de l'évolution. Par ailleurs, l'idée d'une conservation préférentielle des mécanismes mis en jeu précocement au cours du développement reste difficile à évaluer. Une conception radicalement différente est défendue dans la deuxième moitié du XIXe siècle par un courant de pensée dont le chef de file est Ernst Haeckel. Souvent résumée par la formule célèbre "l'ontogénie récapitule la phylogénie", cette conception intègre la notion d'évolution mais soutient l'idée selon laquelle ces organismes évoluent par l'addition de nouveaux stades de développement aux formes adultes d'espèces "inférieures". Elle aboutit ainsi à une vision hautement hiérarchisée du monde vivant qui rejoint finalement l'échelle aristotélicienne des êtres et une conception gradiste de l'évolution, qui modèlerait les espèces "supérieures" par complexification d'espèces inférieures. Ces vues sont aujourd'hui totalement abandonnées. En dépit de ces difficultés et des contradictions présentes dans ces visions du monde qui s'affrontent, l'idée d'un lien fort entre l'évolution et le développement embryonnaire est donc présente dès la fin du XIXe siècle. Charles Darwin l'exprime particulièrement clairement à travers les deux citations suivantes, extraites de L'origine des espèces "Embryology is to me by a the strongest class of facts in favor of change of forms" ou "Community of embryonic structures reveals community of descent"m.

Fondements techniques et conceptuels
Jusqu'aux années 1980, l'intérêt pour les relations entre évolution et développement va connaître une longue éclipse. C'est pourtant au cours de cette période que se mettent en place des outils techniques et conceptuels essentiels pour l'émergence de la discipline "Evolution -Développement". Ces avancées concernent trois domaines, bien séparés pendant la majeure
partie du XXe siècle, la génétique formelle, l'embryologie expérimentale et la cladistique. De façon indiscutable, l'essor récent de la génétique du développement a joué un rôle considérable dans l'intérêt renouvelé que suscitent aujourd'hui les relations entre évolution et développement. La caractérisation dans les années 1980 des gènes qui contrôlent la morphogenèse fournit en effet une base nouvelle pour des comparaisons à très grande échelle évolutive, entre taxa, mais aussi entre des espèces relativement proches, voire entre sous-populations d'une même espèce. Par ailleurs, à cette époque les outils conceptuels nécessaires à des comparaisons rigoureuses ont été mis en place, notamment sous l'impulsion de Willi Hennig. Les principes posés par ce dernier -base strictement généalogique pour les regroupements ; principe de parcimonie - restent aujourd'hui valides, même si les outils méthodologiques, mathématiques ou probabilistes, ont été considérablement améliorés. La rencontre entre évolution et développement n'aurait pu avoir lieu sans ces outils, indispensables aux analyses et aux comparaisons de séquences. Enfin, les progrès récents de la biologie moléculaire ont également constitué un facteur important dans l'essor de la discipline "Evolution-Développement". En particulier, l'utilisation de l'amplification génique ("Polymerase Chain Reaction") et la mise au point de techniques permettant de visualiser rapidement un domaine d'expression génique chez l'embryon ouvrent la possibilité d'étudier les "gènes de développement" chez un spectre très large d'espèces, choisies pour leur intérêt en termes évolutifs, et non chez les seuls organismes modèles, drosophile ou nématode chez les protostomiens, oursins, ascidies et vertébrés chez les deutérostomiens.

Des gènes conservés à très grande échelle évolutive : à la recherche des origines
Une des plus grandes surprises de la génétique du développement a émergé de la comparaison entre deux organismes dont les morphologies sont a priori fort distantes, la mouche et la souris. Très vite, il est en effet apparu que les acteurs moléculaires impliqués dans le contrôle du développement embryonnaire - facteurs de transcription, voies de signalisation, protéines de structure - sont conservés entre insectes et vertébrés. Bien plus, les gènes codant pour un grand nombre de facteurs de transcription interviennent dans des processus très similaires : morphogenèse de l'Sil dans le cas des gènes à homéodomaine Pax6 ; spécification de l'identité de segments dans le cas des gènes du complexe Hox ; régionalisation du cerveau dans le cas des gènes Otx ou Emx ; formation du cSur dans le cas du gène tinman. En accord avec la conservation en séquence primaire de ces protéines, les régions codantes sont même souvent très largement interchangeables entre des espèces très éloignées, comme la mouche, la drosophile et la souris. Ainsi, chez la drosophile, une des façons de mettre en évidence le rôle du gène Pax6 dans la morphogenèse de l'Sil est d'induire artificiellement son expression dans des populations cellulaires dans lesquelles il n'est normalement pas transcrit : on obtient alors l'apparition de structures visuelles -ou simplement - photoréceptrices - à des localisations surprenantes comme la patte ou l'extrémité des antennes. Or, il s'avère que le même effet est obtenu avec des séquences codantes de poulpe ou de souris ! Que signifient ces expériences ? Elles démontrent d'abord et avant tout que les protéines d'insectes et de mammifères possèdent des propriétés biochimiques très similaires, et que les interactions moléculaires nécessaires à la formation d'un organe visuel sont largement conservées à très grande échelle évolutive. Mais elles poussent aussi parfois à des interprétations plus poussées - et plus hypothétiques -, comme des homologies d'organes entre phylums éloignés. Ainsi, dans le cas du gène Pax6 précédemment évoqué, les résultats obtenus ont conduit une partie de la communauté scientifique à soutenir l'idée que des organes visuels élaborés, dont dériveraient les yeux des insectes et des mammifères actuels, étaient déjà présents chez le lointain ancêtre commun des protostomiens et des deutérostomiens. Le même type d'arguments, étendu à d'autres mécanismes génétiques impliqués dans la formation du cerveau, du cSur ou la segmentation, a également conduit à émettre l'idée que ce lointain ancêtre commun présentait déjà un grand nombre des caractéristiques retrouvées chez les métazoaires actuels. Cette vue reste cependant un sujet de controverses et il n'est pas exclu que les homologies dont témoignent les similitudes des systèmes génétiques caractérisés chez les métazoaires concernent des mécanismes de différenciation cellulaire plutôt que des organes proprement dits.

Quels rapports entre diversification morphologique et diversification génétique ?
Si les systèmes génétiques et les processus développementaux qu'ils contrôlent présentent de telles similitudes chez les métazoaires, comment expliquer la diversité fascinante de formes, qui est observée au sein d'un taxon ? Les données actuelles suggèrent de multiples mécanismes, dont les contributions relatives restent à évaluer. Il est tout d'abord très clair que les territoires, ou les chronologies, d'expression des facteurs de transcription qui contrôlent l'ontogenèse peuvent varier de façon substantielle même entre espèces proches, ce qui pourrait contribuer de façon importante à la diversité morphologique. Un tel scénario a été remarquablement mis en évidence par l'étude d'un petit poisson présent près des côtes du Mexique, Astyanax mexicanus. Cette espèce compte plusieurs sous-populations vivant dans des habitats différents. L'une d'entre elles, qui réside dans des grottes sous-marines, donc un environnement dépourvu de lumière, est caractérisée par une atrophie complète des organes visuels. Dans ce cas, cette évolution morphologique apparaît clairement liée à la perte du territoire d'expression embryonnaire d'un gène qui code pour une protéine de signalisation, sonic hedgehog et il est intéressant de noter que ce changement est lié non seulement à une perte de fonction (vision) mais également à une augmentation en taille des mâchoires, susceptible de conduire à un avantage sélectif. Cet exemple de micro-évolution est particulièrement intéressant en ce qu'il permet de retracer un scénario évolutif proprement dit. S'il est souvent difficile de retracer les événements de modification/sélection vraisemblablement complexes qui ont eu lieu au cours de l'évolution, on peut cependant noter que de telles variations dans les profils d'expression des gènes qui contrôlent le développement embryonnaire ne sont pas rares. Dans certains cas, elles peuvent être corrélées à des changements morphologiques. Les gènes du complexe Hox qui, chez les mammifères comme chez les arthropodes, sont impliqués dans le contrôle génétique de l'identité des segments du corps, ont fourni un modèle particulièrement riche à cet égard. Ainsi, chez les amniotes, la colonne vertébrale est une structure osseuse clairement segmentée et les gènes Hox jouent un rôle essentiel dans le contrôle génétique de l'identité des vertèbres, cervicales, thoraciques, lombaires ou sacrées, qui la composent. Il se trouve que chez le python, dont le squelette axial est formé de centaines de vertèbres, ces dernières portent pour la plupart des côtes, et présentent donc en cela une identité thoracique. Ce changement est corrélé à des variations très claires des territoires d'expression de plusieurs gènes Hox impliqués dans la spécification thoracique, suggérant ainsi un lien possible entre une évolution morphologique et une évolution génétique. D'autres exemples de tels liens impliquant ce système génétique ont été proposés chez les arthropodes, dont les segments, porteurs ou non d'organes aux fonctions variées, comme des ailes, des pattes articulées, des balanciers, ou des pinces, présentent des caractéristiques morphologiques bien différentes selon le sous-groupe considéré.
Les changements au niveau des régions codantes, et donc des protéines codées par les "gènes de développement " fournissent un autre mécanisme moléculaire majeur, susceptible de modifier les programmes génétiques de l'ontogenèse au cours de l'évolution, et de contribuer ainsi à la diversité morphologique. Là encore, des différences claires des propriétés biochimiques de certaines protéines Hox, liées à l'acquisition de domaines structuraux bien identifiés, ont été décrites entre certains taxons comme les arthropodes et les onychophores qui sont des petits vers au corps segmenté, quelquefois appelés péri-pattes. Ces différences semblent pouvoir déterminer le nombre de segments porteurs de pattes chez certaines espèces, trois strictement chez les insectes, mais plusieurs dizaines chez les onychophores.
Les cascades d'événements moléculaires responsables de ces changements, mutations ponctuelles ou réarrangements chromosomiques, sont généralement mal connus. On pense cependant que certains remaniements génomiques, comme les duplications géniques, pourraient favoriser l'acquisition de nouvelles fonctions par les gènes qui contrôlent le développement embryonnaire, et donc l'apparition d'innovations morphologiques ou physiologiques. De fait, plusieurs grandes transitions au sein du règne animal (transition des diploblastes aux triploblastes, caractérisés par l'apparition du troisième feuillet embryonnaire, le mésoderme ; émergence des vertébrés) pourraient être associées à des duplications géniques massives. Toutefois, l'évolution des familles multigéniques fait l'objet de modèles très différents dans leurs conséquences et reste actuellement mal connue.

Analyse comparative et génétique : deux outils complémentaires pour comprendre les génomes ?
Comme on l'a vu précédemment, l'étude des relations entre évolution et développement repose essentiellement sur les comparaisons des mécanismes génétiques qui contrôlent le développement embryonnaire. La comparaison d'organismes très éloignés, comme la drosophile et la souris, permettra sans doute de préciser encore les réseaux génétiques anciens, déjà présents chez le dernier ancêtre des bilatériens (espèces à symétrie bilatérale). Mais l'interprétation de ces résultats pourrait bien rester délicate et laisser totalement insatisfaite notre curiosité quant à la forme ou les fonctions physiologiques de ce parent éloigné. L'étude des variations génétiques qui se greffent sur ce réseau ancestral, et la recherche de leurs corrélations avec d'éventuels changements morphologiques, connaît actuellement un essor justifié. Là encore toutefois, les interprétations de ces travaux, qui en aucun cas ne permettent de reconstituer des scénarios évolutifs réels, restent limitées. Sans doute l'intégration plus systématique d'approches de micro-évolution et de la biologie des populations sera-t-elle un élément important pour comprendre l'évolution du monde vivant dans sa diversité dasn une synthèse encore plus large ?
Mais les approches et les outils développés par la communauté Evo-Devo pourraient aussi dépasser largement le cadre évidemment très fondamental de cette discipline toute récente. Les comparaisons entre espèces plus ou moins éloignées fournissent en effet un outil privilégié pour identifier les contraintes qui s'exercent sur les séquences des gènes impliqués dans le contrôle de notre développement embryonnaire, de nos processus physiologiques ou de nos comportements. A ce titre, elles pourraient éclairer de façon significative les masses de données, encore bien peu défrichées, que constituent les génomes et en tout premier lieu le génome humain. Il s'agirait dans ce cas d'un bel exemple des retombées que peut avoir la recherche fondamentale sur un domaine plus appliqué, dont les enjeux sociaux économiques et médicaux sont aujourd'hui évidents.

 

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DE LA BIOLOGIE MOLÉCULAIRE AUX SCIENCES COGNITIVES

 

Texte de la 3ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 3 janvier 2000 par Jean-Pierre Changeux

Le cerveau : de la biologie moléculaire aux sciences cognitives


François Jacob, a montré que les êtres vivants peuvent se décrire comme des états privilégiés d'organisation de la matière et qu'on peut rendre compte de leurs propriétés sans faire appel à d'autres forces que celles de la physique et de la chimie. Il a souligné que les progrès de la biologie moléculaire, la compréhension des êtres vivants au niveau des molécules et des atomes, a signé, en quelque sorte, la mort du vitalisme, l'appel à des forces vitales immatérielles. Qu'en est-il de notre cerveau et de ses fonctions ? Qu'en est-il de l'esprit humain ?
Mon propos ne va pas être de répondre d'une manière définitive à cette question difficile, mais de tenter d'étendre ce raisonnement, amorcé par François Jacob, à cet état d'organisation de la matière, beaucoup plus complexe que celui de la cellule bactérienne ou de l'embryon : le cerveau de l'homme.
Je tenterai à mes risques et périls d'illustrer la notion suivante : notre cerveau, l'organe de la connaissance, est une machine chimique, un système matériel, en constante évolution, à la fois refermé sur lui-même en un système conscient et ouvert sur le monde physique, social et culturel. Mais sa complexité, son adaptabilité, sa créativité sont telles que pour progresser dans le déchiffrage de son organisation fonctionnelle, il est indispensable de faire appel, simultanément, aux concepts et aux méthodes de disciplines jusque là souvent séparées, qui vont de la biologie moléculaire jusqu'à la psychologie ou la sociologie et, pourquoi pas, la philosophie. Ma conclusion sera qu'il n'est pas nécessaire de faire appel à des forces nouvelles, à de quelconques influences mystérieuses et immatérielles pour rendre compte de l'origine des productions les plus nobles de notre espèce et que l'on qualifie le plus souvent de "spirituelles".
Nous ignorons beaucoup de choses : ignoramus, mais je refuse de dire ignorabimus, nous ignorerons. Certes, notre savoir sur le cerveau est extrêmement limité. Il le restera sans doute encore longtemps. Mais, aucun scientifique ne peut accepter l'idée qu'il existe une frontière où la connaissance s'arrête même si ses connaissances seront toujours limitées par les modèles théoriques et les techniques qu'il emploie. Une des caractéristiques unique de la démarche scientifique, par rapport à tout autre activité humaine est qu'elle se trouve en perpétuel progrès. Nous sommes là pour participer à ce progrès de la connaissance. Le moment est venu de mettre à l'épreuve, un siècle après, cette proposition de Freud : « On doit se rappeler que toutes nos connaissances psychologiques sont provisoires et doivent un jour être établies sur le sol des substrats organiques. » Quel sont ces substrats organiques ? Des molécules, des processus physiques et chimiques ?
Après une brève présentation de quelques exemples de ces processus chimiques, je poursuivrai une démarche qui ne sera pas celle de la réduction mais celle de la reconstruction. Je choisirai parmi les molécules qui composent notre cerveau celles qui interviennent dans la signalisation entre les cellules qui composent ce cerveau. Je m'efforcerai de montrer comment on peut progressivement les réassembler, les recomposer pour obtenir, au moins d'une manière très schématique et encore provisoire, un système qui possède quelques propriétés caractéristiques du cerveau de l'homme.
Le cerveau humain est extrêmement complexe. Son anatomie chacun la reconnaît avec ses deux hémisphères, et leurs multiples sillons et circonvolutions, la substance grise, la substance blanche. Il se compose d'un nombre extrêmement élevé de cellules nerveuses, environ cent milliards, auxquelles s'ajoutent un nombre équivalent de cellules de soutien, ou cellules gliales. Les connexions qui s'établissent entre ces cellules nerveuses sont, elles aussi, d'une extraordinaire richesse, environ un million de milliards.
Plusieurs traits de l'organisation de notre cerveau signent notre appartenance à l'espèce humaine. Le cerveau de l'homme diffère sur plusieurs points du cerveau du singe même s'il s'en rapproche. Certes de nombreux terrritoires se retrouvent les deux espèces, comme ceux présents dans la commande motrice, dans la perception visuelle. Toutefois, d'autres modules chez le singe "explosent", en quelque sorte chez l'homme. C'est le cas en particulier des aires temporales et pariétales engagées dans la compréhension et la production du langage et, tout particulièrement, le cortex frontal, qualifié d'organe de la civilisation par le neurologue russe Alexandre Luria.
Notre cerveau est issu de l'évolution biologique, de l'évolution génétique qui fait descendre l'homme et le singe d'ancêtres communs. Mais il est aussi le siège d'autres types d'évolutions, de nature épi-génétique : d'abord l'évolution de l'individu, puisque, au cours du développement, les cellules nerveuses se multiplient et s'interconnectent les unes avec les autres, mais aussi l'évolution de l'environnement social et culturel au milieu duquel le jeune enfant va se développer, et qui va laisser son empreinte dans son cerveau en développement ; enfin on peut dire qu'une évolution de nos états mentaux se produit dans les temps psychologiques. Toutes ces évolutions que chaque individu possède en propre, tant sur le plan anatomique que sur le plan fonctionnel se nouent, dans notre cerveau, en une synthèse complexe et singulière d'organisation et de fonctions.
Le neurone
À la fin du XIXème siècle une révolution sans précédant inaugure les développements fulgurants des sciences du cerveau qui suivront. Les progrès de la microscopie optique et des techniques de coloration des cellules nerveuses conduiront l'anatomiste espagnol Santiago Ramon y Cajal à proposer une conception de la cellule nerveuse qui allait, à l'époque, contre l'opinion générale. Le débat portait sur la manière dont les cellules nerveuses possèdent de longs prolongements ramifiés : les dendrites et l'axone avec ses branches collatérales et son arborescence terminale. Mais deux théories s'affrontaient au sujet de leurs ultimes contacts : la théorie dite réticulariste et la théorie dite neuroniste.
La théorie réticulariste voulait que toutes ces cellules nerveuses formaient les unes avec les autres un réseau continu, qu'il y avait, en quelque sorte, des minuscules canaux, des fibres particulières qui réunissaient ces cellules les unes aux autres d'une manière continue. La thèse opposée, qui était défendue par Ramon y Cajal, était que ces cellules nerveuses formaient des entités uniques et indépendantes ou neurones qui étaient simplement juxtaposées les unes aux autres. Ces deux théories avaient aussi un substrat idéologique. Si ce réseau était continu, bien entendu, l'esprit allait s'engouffrer dans le réseau et passer plus facilement d'une cellule à l'autre ; si ces cellules étaient juxtaposées les unes aux autres, il y avait discontinuité, il fallait franchir cette barrière et cela posait un problème pour ceux qui voulaient qu'un esprit volatil circule à travers tout cela.
L'expérience a donné raison à Ramon y Cajal : les cellules nerveuses sont effectivement en contiguïté et non pas en continuité les unes avec les autres. La cellule nerveuse est une unité anatomique et fonctionnelle. Les terminaisons nerveuses se juxtaposent les unes avec les autres au niveau de structures spécialisées, qui furent appelées synapses par Sherington.
La communication chimique entre neurones
Notre cerveau n'est pas une machine inerte. Divers types de signaux circulent à l'intérieur de la machine neurale. Les principaux signaux sont des impulsions électriques qui circulent à une vitesse qui est inférieure à la vitesse du son et se retrouvent de la méduse au cortex cérébral de l'homme. Celles-ci se propagent le long de l'axone d'une manière discrète, de "tout ou rien", du corps cellulaire jusqu'à la terminaison nerveuse. Cette onde électrique élémentaire peut être mesurée par des équipements d'électrophysiologie, et son amplitude est de l'ordre de 100 millivolts, c'est-à-dire 1/10e de volt. La somme des activités électriques qui ont lieu dans l'écorce cérébrale peut être enregistrée sous forme d'électroencéphalogramme. Celui-ci sert couramment pour détecter des troubles de fonctionnement cérébral comme ceux qui donnent lieu aux crises d'épilepsie. Chaque onde électrique individuelle peut elle-même être expliquée intégralement par des transports de particules chargées, des ions, à travers la membrane. L'activité électrique élémentaire du cerveau se réduit sans difficulté à des processus strictement physico-chimiques, conclusion importante sur le plan philosophique et idoélogique, j'en prends le risque.
Ces ondes électriques élémentaires peuvent être évoquées par l'interaction avec le monde extérieur mais elles peuvent également apparaître spontanément. La pensée se manifeste comme un fonctionnement particulièrement complexe et élaboré de notre cerveau. Elle se produit de manière spontané sans être nécessairement soumise à une interaction avec le monde extérieur. Cela est rendu possible par la propriété singulière que possède la cellule nerveuse et donc le cerveau de produire une activité spontanée, des impulsions électriques intrinsèques qui peuvent néanmoins s'organiser dans le temps en oscillations, régulières ou en successions discrètes. Dans tous les cas, il s'agit de processus physico-chimiques. Mais cela soulève un nouveau problème.
Si la théorie du neurone est exacte, que va-t-il se passer au niveau du contact entre cellules nerveuses ? Comment l'onde électrique va-t-elle se propager d'une cellule nerveuse à l'autre par le truchement de la synapse ?
Au microscope électronique, la synapse se reconnaît par la juxtaposition de deux structures distinctes. D'abord la terminaison nerveuse identifiable par de petites vésicules dont nous comprendrons le rôle dans un instant a une taille qui est de l'ordre de grandeur d'une bactérie soit environ un micromètre. Elle se trouve juxtaposée avec la cellule suivante au niveau d'une structure membranaire dense aux électrons. Il y a donc un espace à franchir entre les deux faces de la synapse. La distance est suffisamment grande, de l'ordre de 0.15 à .25 micromètre, pour que le courant ne puisse pas passer directement d'une cellule à l'autre à travers la synapse.
C'est là que la chimie va intervenir de manière quasiment obligée comme relais à l'électricité, dans la plupart des synapses de notre système nerveux et tout particulièrement dans notre cerveau. Celui-ci contient des substances chimiques qui ont été identifiées au début de ce siècle et servent dans la transmission des signaux entre cellules nerveuses. On les a appelé de ce fait : neurotransmetteurs.
L'un d'entre eux s'appelle l'acétylcholine. Celui-ci est synthétisée dans la terminaison nerveuse et est stockée au niveau de la terminaison nerveuse dans ces vésicules que je viens de mentionner. L'influx nerveux, lorsqu'il envahit la terminaison nerveuse, entraîne, par un mécanisme d'électrosécrétion, la libération de ce neurotransmetteur dans l'espace synaptique, sous forme d'une sorte d'impulsion chimique, un saut de concentration qui va monter brutalement de l'ordre de 10-9 molaires à environ 10-3 molaires. Ce saut de concentration transitoire, bref, d'environ une milliseconde correspond à la transmission du message chimique entre la terminaison nerveuse et la cellule suivante. Cette impulsion chimique traverse l'espace synaptique par diffusion puis atteint la membrane post-synaptique. À ce niveau il va y avoir une conversion du signal chimique en signal électrique : une transduction chimio-électrique se produit. Ces synapses chimiques composent l'essentiel des synapses de notre cerveau. Ce mécanisme de relais chimique relativement simple dure de l'ordre de la milliseconde ou plus pour l'ensemble du processus. Cela crée une sorte de barrière temporelle, un temps critique dans le fonctionnement du cerveau. On peut s'étonner que le cerveau ne fonctionne pas avec des échelles de temps de l'ordre de la nanoseconde au lieu de la milliseconde ou même plus vite encore ? Parce que nos synapses, elles, ont des temps critiques de fonctionnement qui sont de l'ordre de la milliseconde et que la vitesse de propagation des signaux dans notre système nerveux impose des contraintes au fonctionnement de l'ensemble de notre cerveau. On ne réalise pas que ce qu'il est convenu d'appeler le temps psychologique est déterminé par des propriétés moléculaires aussi élémentaires.
Voilà quelques neurotransmetteurs : l'acétylcholine, la dopamine, la noradrénaline, l'acide gamma-aminobutyrique ou la glycine. Certains neurotransmetteurs, comme l'acétylcholine ou le glutamate sont des neurotransmetteurs excitateurs, c'est-à-dire qui vont provoquer la genèse d'un influx nerveux dans la membrane post-synaptique ; d'autres, comme l'acide gamma-aminobutyrique, sont des neurotransmetteurs inhibiteurs : ils vont bloquer le déclenchement d'un influx nerveux. Un même neurone peut synthétiser jusqu'à cinq ou six de ces neurotransmetteurs. Il dispose d'une palette chimique qui lui permet de communiquer avec un nombre relativement important de ses partenaires et de multiplier les possibilités d'interaction avec ces neurones.
Cette découverte suscite une question lourde de conséquences : dans quelle mesure ces substances chimiques interviennent-elles dans la régulation des grandes fonctions de notre cerveau ? dans notre psychisme ? On sait qu'un grand nombre de produits, auxquels on se réfère sous le terme de drogues sont actives sur notre système nerveux, comme la morphine ou le tétrahydrocannabinol. Quel est leur mode d'action ? L'ensemble des résultats récents obtenus sur ce thème démontre que la morphine est un analogue de structure de la leu-enképhaline, le tétrahydrocannabinol de l'anandamide : l'un comme l'autre sont des neurotransmetteurs de notre système nerveux central.
L'homme est allé chercher dans le monde naturel des plantes, diverses substances qui agissent sur son système nerveux central au niveau de ces grandes fonctions comme la motivation, la douleur ou le plaisir. Ces drogues sont, en quelque sorte, des représentations sociales des substances chimiques que nous avons dans notre cerveau.
La chimie de ces communications entre cellules nerveuses a été étudiée très en détail au cours des dernières années, d'abord au niveau de la libération de neurotransmetteurs. Divers types de molécules contribuent non seulement à la synthèse, à l'accumulation des neurotransmetteurs mais aussi à leur libération lors de l'arrivée de l'influx nerveux dans la terminaison nerveuse. S'est posée aussi la question de comprendre qu'est-ce qui se passe de l'autre côté de la fente synaptique, lorsque le neurotransmetteur entre en contact avec cette membrane pour créer un signal électrique, qui peut être un signal d'excitation - pour l'acétylcholine ou pour la dopamine - ou un signal d'inhibition, pour l'acide gamma-aminobutyrique ou la glycine.
Les récepteurs de neurotransmetteurs : de la chimie à l'électricité
La cible du neurotransmetteur, son récepteur, qui intervient dans la transduction chimio-électrique est aussi la cible de certaines substances pharmacologiquement actives, de drogues ou de poisons. C'est grâce à ces agents chimiques qu'elle a pu être identifiée dans la membrane post-synaptique.
Pour ce faire, il fallait trouver un tissu qui soit très riche en terminaisons nerveuses et homogène. Quel tissu utiliser pour isoler un de ces récepteurs de neurotrnasmetteurs ? Le travail initial a été réalisé avec le récepteur de l'acétylcholine qui est aussi celui d'une drogue fort utilisée, la nicotine. Notre cerveau, est extrêmement hétérogène ; il contient plusieurs dizaines de neurotransmetteurs, il inclut des centaines de types de neurones. Un poisson électrique, connu depuis la plus haute antiquité, la torpille, nous a offert ce tissu très homogène. L'organe électrique qui produit des décharges électriques de 20 à 50 Volt et plusieurs dizaines d'Ampère, se compose d'une immense collection de synapses toutes identiques entr'elles et dont le nombre est du même ordre de grandeur que celui des neurones de notre cerveau. Nous sommes partis de cet organe électrique, mais nous avions besoin, en plus, d'une étiquette chimique qui nous permette de suivre le récepteur à la trace et de l'identifier. Un serpent venimeux très dangereux, le bungare, nous l'a offert.
La raison de la toxicité du venin du bungare ou du cobra est qu'il contient des toxines qui agissent de manière extrêmement sélective sur certaines cibles privilégiées dont les synapses. La toxine de venin de type alpha agit au niveau de la jonction neuromusculaire un peu comme le curare et la bloque d'une manière extrêmement spécifique et quasiment irréversible. Rendue radioactive elle nous a permis d'aller à la pêche au récepteur de l'acétylcholine qui intervient dans la transduction du signal chimio-électrique dans l'organe électrique.
En microscopie électronique, ce récepteur se présente comme une rosette de 10 milliardièmes de mètre de diamètre, cinq pétales et un cSur hydrophile. Il s'agit d'une molécule de masse moléculaire 300.000, qui porte les sites de liaison du neurotransmetteur et qui contient également le canal ionique. C'est du couplage entre la liaison du neurotransmetteur et l'ouverture du canal ionique que résulte la transduction chimie-électrique.
Très récemment, le site actif d'un de ces récepteurs de neuromédiateurs, celui du glutamate, a pu être étudié par cristallographie et sa structure atomique résolue. La découverte importante faite par ces auteurs a été de se rendre compte qu'il existe une incroyable analogie de structure avec une protéine bactérienne qui fixe aussi des acides aminés comme le glutamate. Nous avons dans notre cerveau des molécules qui ont plus d'un milliard d'années puisqu'elles dérivent de protéines bactériennes qui ont conservé leur structure tout en changeant de fonction. Ceci illustre la proposition qu'avait faite François Jacob, dans son exposé introductif "qu'il y a une extraordinaire unité dans l'organisation moléculaire des êtres vivants".
L'analyse de la structure du canal ionique qui est associé à ce site récepteur permet de comprendre ce qui fait qu'un canal peut reconnaître un cation, donc être excitateur comme celui du récepteur de l'acétylcholine, ou reconnaître un anion, donc être inhibiteur comme celui du récepteur de l'acide gamma-aminobutyrique. Ces deux types de canaux interviennent directement dans le contrôle de nos fonctions cérébrales. Une excellente preuve, qui convaincra un nombre malheureusement élevé d'usagers, est offerte par le mode d'action de tranquillisants comme le Valium ou le Librium. Ces agents pharmacologiques, des benzodiazépines, interviennent, non pas directement au niveau de canal mais sur l'ouverture du canal associé au récepteur de l'acide gamma-aminobutyrique. C'est par la potentialisation de l'effet inhibiteur de ce récepteur que ces tranquillisants agissent sur notre système nerveux central.
Cette observation qui nous étonne par sa simplicité soulève la question décisive du mécanisme par lequel le neurotransmetteur, lorsqu'il se fixe sur son site, va ouvrir le canal ionique ? L'hypothèse que j'ai formulée, il y a bien des années, est que l'ouverture du canal ionique fait intervenir une sorte de déclic moléculaire, une commutation qui se déclenche quand le neurotransmetteur se fixe sur son site. Ce mécanisme de commutation moléculaire ressemble, sur bien des points, à celui observé avec des enzymes régulateurs bactériens et avec l'hémoglobine qui transporte l'oxygène dans nos globules rouges. Voilà donc le schéma qui est très largement validé, d'ouverture du canal ionique, de transduction du signal par le neurotransmetteur : un changement discret de conformation ouvre le canal quand le neurotransmetteur est présent, quand le neurotransmetteur disparaît, par diffusion, le canal se referme et le système retombe dans l'état de repos. C'est une sorte de serrure moléculaire qui s'ouvre et se ferme lorsque la clé neurotransmettrice y entre ou en ressort.
Il existe aussi d'autres états conformationnels des récepteurs qui sont importants pour des processus de plus longue durée, donc de mémoire. Ces états conformationnels n'apparaissent que quelques secondes à une minute après le début de l'application du neurotransmetteur. Les récepteurs de neurotransmetteurs interviennent donc non seulement dans des mécanismes de transduction qui servent à la transmission de signaux entre cellules nerveuses, mais dans des mécanismes de mémorisation, de conservation de traces de l'activité de notre système nerveux central au niveau de ces molécules présentes dans les synapses.
Ces récepteurs sont présents en très grand nombre dans notre cerveau mais également dans nos systèmes sensoriels, visuel, auditif, olfactif et aussi gustatif. Une extraordinaire palette de molécules sont susceptibles non seulement d'intervenir dans la réception de signaux physiques et chimiques du monde extérieur, des signaux lumineux, de signaux mécaniques comme de signaux auditifs mais aussi de contribuer aux activités internes de notre système nerveux central et, par voie de conséquence, aux fonctions supérieures de notre cerveau.
En conclusion, de toutes ces recherches qui ont été réalisées sur le récepteur de l'acétylcholine, sur le récepteur du glutamate et sur d'autres récepteurs même s'ils ne suivent pas exactement le même patron moléculaire, il apparait que nos activités cérébrales sont le fait non seulement d'activités électriques qui se propagent dans nos nerfs, mais également de transduction chimioélectriques par des systèmes moléculaires de neurotransmetteurs et de leurs récepteurs.
Nous sommes descendus de la cellule nerveuse à la molécule et de la molécule à l'atome, et jusque-là, nous avons fait appel à d'autres mécanismes, à aucune autre force qui ne puisse s'expliquer en termes matériels et physico-chimiques.
À partir de la connaissance du niveau moléculaire et de l'organisation des cellules nerveuses et de leur relation les unes avec les autres, je vais essayer, avec vous, et très rapidement, de remonter jusqu'aux grandes fonctions du système nerveux central
Molécules et cognition
Ces processus cognitifs engagent des architectures neuronales qui se situent à un niveau d'organisation beaucoup plus élevé que le niveau moléculaire et cellulaire. On ne peut progresser dans la jungle des synapses cérébrales qu'en construisant des modèles simples, et nécessairement fragmentaires, des circuits mis en Suvre par un comportement ou une fonction psychologique définie. Le modèle sera minimal, il ne sera certainement pas exhaustif. Stanislas Dehaene et moi-même avons concentré nos efforts sur le cortex frontal, un territoire du cortex cérébral dont la surface s'accroît de manière fulgurante du singe à l'homme.
Les neurologues ont imaginer des tests pour déceler chez les patients des lésions du cortex frontal. Si un patient a une lésion du cortex visuel, il ne voit plus ; s'il a une lésion du cortex auditif, il n'entend plus. La situation est simple. Trouver un test qui mette à l'épreuve le bon fonctionnement de ce cortex frontal est difficile. Il a été mis au point par des chercheurs américains de l'Université du Wisconsin - il a été appelé, de ce fait, le « test de tri de cartes du Wisconsin ».
Les cartes utilisées dans le test comportent des figures qui sont de couleurs, de formes et de nombres différents. Un ensemble de cartes de référence et une pile de cartes de réponse sont disposés devant le sujet. L'examinateur lui demande de classer les cartes de réponse suivant une règle. Le sujet prend une carte de réponse et essayer, par exemple, de la classer en fonction de la couleur. Si les croix sont de couleur rouge, il va donc classer cette carte avec la carte de référence qui a une couleur rouge. L'examinateur dit : « Oui, c'est bon. » Alors, il prend une deuxième carte dans la pile, qui est de couleur rouge. Il va la mettre en regard des cartes de couleur rouge, etc. jusqu'au moment où l'examinateur lui dit : « Non, ça ne va pas. ». L'examinateur, en fait, change de règle sans prévenir le sujet. Le patient doit découvrir que l'examinateur a changé de règle et qu'il applique une règle nouvelle qui va être, par exemple, le classement en fonction du nombre ou de la forme. Et ainsi de suite. Une sorte de jeu par essai et erreur se réalise ainsi entre le sujet et l'examinateur pour découvrir la règle de classement cachée. Le sujet, au bout de quelque jeux de cartes, va découvrir la règle que l'examinateur applique de manière tacite. Un patient avec une lésion du cortex frontal a des difficultés pour découvrir la nouvelle règle. Il se trompe, souvent il persévère de manière erronée dans la règle précédente. Il ne va pas se rendre compte qu'il y a eu un changement de règle. Une opération cognitive de compréhension est perturbée chez ce patient avec une lésion frontale.
Nous avons essayé de construire un modèle neuronal des processus cérébraux qui interviennent dans ce test du tri de cartes. Pour que le sujet puisse reconnaître une règle, il faut déjà que cette règle soit présente dans son cerveau, par exemepl sous la forme d'états d'activité d'ensemble de cellules nerveuses. La règle qui code pour la forme, la règle qui code pour la couleur et la règle qui code pour le nombre de ces figures sont "représentées" par ces états d'activités neuronaux. L'architecture du réseau a été conçue de manière telle que, à un moment donné, un seul groupe de neurones qui code pour la règle en cour est actif, les autres sont inhibés. Lorsque l'ensemble de cellules nerveuses codant pour la règle « couleur »va être actif, l'organisme donne une réponse telle que le choix de la carte va correspondre à la couleur, quelle que soit cette couleur. Si c'est la bonne carte, l'examinateur donne une réponse positive. Un autre système de cellules nerveuses intervient : les neurones de récompense qui vont transmettre au cerveau du sujet une réponse positive, en d'autres termes une récompense. Ces neurones dits de récompense libèrent un neurotransmetteur particulier, un neurotransmetteur qui stabilisent le groupe de cellules nerveuses qui a codé pour la règle « couleur ». Comment cette stabilisation se produit-elle ? En changeant ses efficacités synaptiques au niveau moléculaire, les récepteurs de neurotransmetteur seront figés dans des états conformationnels qui maintiennent, par exemple, l'auto-excitation du groupe de neurones codant pour la règle « couleur ». Le modèle propose que le cerveau du sujet contient un dispositif qui permet à l'organisme de mettre à l'épreuve une règle sur le monde extérieur, et si la réponse est positive, de consolider cette hypothèse
Voilà un schéma extrêmement simple d'un organisme artificiel qui réussit à passer le test de Wisconsin.
Les mécanismes de récompense que nous avons dans notre cerveau ont été explorés par Olds, il y a bien des années, à la suite d'une découverte faite quelque peu par hasard. Ce chercheur avait planté des électrodes de stimulation dans le cerveau d'un rat. Ayant noté une curieuse réaction de "plaisir" lorsqu'il envoyait une décharge électrique par l'électrode de stimulation, il construisit un dispositif par lequel le rat, en appuyant sur une pédale pouvait, lui-même, s'envoyer une décharge. Sa surprise fut grande lorsqu'il s'aperçut que le rat spontanément s'autostimulait. Si l'électrode est placée dans une zone correspondant à un certain nombre de neurones utilisant comme neurotransmetteur la dopamine, non seulement le rat prend plaisir à s'autostimuler, mais il ne s'arrête pas. Même s'il est privé de nourriture, même si un partenaire sexuel attractif lui est présenté, il continue de s'autostimuler. Il ne s'arrête que pour dormir et recommence pendant le restant de sa journée. Le même phénomène se produit si au lieu de se stimuler électriquement le rat s'injecte dans les veines une solution de cocaïne ou même... de nicotine.
Nous nous sommes intéressés évidemment à l'identification de la cible de la nicotine dans une expérience d'autostimulation. Nous avons utilisé pour cela une souris mutante qui a perdu un gène codant pour une sous-unité du récepteur de la nicotine. Cette souris est-elle modifiée ou pas dans ses capacités d'apprentissage et, en particulier, dans sa capacité de s'autoadministrer de la nicotine ? La souris est soumise à un test d'apprentissage dit d'évitement passif. Elle est placée dans un compartiment lumineux contigu à un compartiment obscur. Spontanément comme vous le savez les souris sortent la nuit. La souris entre dans le compartiment sombre. Et là, elle reçoit un choc électrique. Est-ce que la souris va se rappeler de son choc électrique le lendemain ? Si oui, elle va rester plus longtemps dans le compartiment éclairé et ne rentrera que plus tardivement dans le compartiment obscur. Si de la nicotine est injectée juste après que la souris ait reçu le choc électrique et que l'on mesure le temps qu'elle met pour entrer dans le compartiment sombre le lendemain, on constate que ce temps est plus long que chez les contrôles qui n'ont pas reçu de nicotine. La nicotine favorise la mise en mémoire du choc électrique déplaisant. La nicotine facilite un apprentissage aversif.
Chez le mutant, l'effet de la nicotine est perdu. Plus surprenant, la souris mutante, en l'absence de nicotine, reste un peu plu longtemps dans le compartiment éclairé que la souris sauvage, comme si elle possédait une meilleure capacité d'apprentissage. Cette même souris mutante a été soumise au protocole d'autostimulation chimique. La souris normale s'autoinjecte facilement de la cocaïne de manière spontanée. Mais il faut l'entraîner sur la cocaïne pour qu'elle s'auto-administre de la nicotine. Chez la souris mutante, il y a perte de l'auto-administration de la nicotine sans perte d'autoinjection de cocaïne. La souris n'est plus sensible à l'effet hédonique de la nicotine. Il existe donc une relation entre la capacité de la souris à effectuer ces tâches d'apprentissage et celle de s'auto-administrer de la nicotine.
D'abord, ce résultat est en accord avec l'idée que les systèmes de récompense interviennent dans l'apprentissage, comme le propose le modèle. Ensuite il montre qu'une lésion moléculaire, ici la perte du récepteur de la nicotine, modifie la tâche d'apprentissage. C'est une première et très simple mise en correspondance entre le niveau moléculaire et le niveau cognitif. Nous sommes évidemment très loin de la compréhension de tous les liens qui peuvent exister entre niveau moléculaire et niveau cognitif. Mais c'est un début.
Conclusion : l'âme au corps
Qu'en est-il de fonctions encore plus élaborées du cerveaucomme la conscience ? Nous sommes capables d'intervenir à ce niveau pour proposer des modèles, des schémas rudimentaires, mais nous sommes encore très loin davoir une parfaite compréhension des processus conscients. On peut dire qu'ils sont abordables sur le plan scientifique et c'est déjà beaucoup.
Ne nous laissons pas éblouir ni terroriser par ces recherches sur le cerveau. Pensons d'abord que le cerveau est extrêmement vulnérable et que cette connaissance de la chimie du cerveau nous permet d'évaluer cette vulnérabilité. De nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques affectent notre cerveau. Maurice Tubiana, ce grand médecin, a écrit récemment que "les problèmes psychologiques et les maladies psychiatriques occuperont au XXIe siècle le devant de la scène médicale et heureusement les progrès des neurosciences donneront aux médecins des armes pour faire face à ces problèmes". La chimie du cerveau se dérègle par exemple au cours du vieillissement, entraînant morts cellulaires et dégénérescence des voies nerveuses. Il faut espérer que nous arriverons à trouver des médicaments qui la ralentissent ou, au moins, en minimisent les effets.
Pourquoi être effrayé de ces connaissances sur le cerveau ? Une meilleure connaissance de notre propre nature devrait, au contraire, nous aider à mieux nous comprendre.

 

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SALIVE ET OBÉSITÉ ...

 

Paris, 30 mars 2014


La piste de la salive dans la génétique de l'obésité


AMY1, gène codant pour l'amylase salivaire est présent de manière répétée chez l'espèce humaine et peut varier de une à vingt copies en fonction des individus. Une diminution du nombre de copies de ce gène codant pour l'amylase salivaire (servant à digérer l'amidon, sucre complexe) favorise l'obésité. C'est ce que vient de découvrir une équipe internationale coordonnée par le professeur Philippe Froguel du laboratoire Génomique et maladies métaboliques (CNRS /Université Lille 2/Institut Pasteur de Lille) (1). En effet, les chercheurs montrent que les personnes qui ont le plus petit nombre de copies du gène AMY1 (et ainsi peu d'enzyme amylase dans leur sang) ont un risque multiplié par 10 de devenir obèses. Chaque copie de ce gène en moins augmente de 20% le risque d'obésité. Ces travaux, publiés le 30 mars 2014 dans Nature Genetics, démontrent pour la première fois le lien génétique entre la digestion des glucides complexes et l'obésité.
Un milliard de personnes sont actuellement en surpoids. Si au niveau d'une population entière c'est l'environnement délétère qui favorise l'obésité, au niveau individuel les facteurs génétiques expliquent 70% du risque génétique des personnes prédisposées à l'obésité. Environ 5% des personnes très obèses portent une mutation d'un des gènes contrôlant l'appétit qui est suffisante pour les rendre obèses. Les études récentes pan-génomique (2) par puces à ADN ont identifié 70 gènes de l'obésité commune, mais leur impact est faible et n'explique qu'une petite partie du risque génétique (4%).

Pour aller plus loin, les chercheurs français et britanniques ont étudié des fratries suédoises discordantes pour l'obésité, analysant leur génome et les gènes du tissu adipeux différemment exprimés entre obèses et sujets de poids normal. Ils ont mis en évidence une région du chromosome 1, unique en son genre car elle contient un gène AMY1 codant pour l'amylase salivaire qui est présent dans une forme unique à l'espèce humaine. Au lieu d'avoir seulement deux copies de ce gène (un du père, un de la mère) le nombre de copies d'AMY1 varie de une à vingt copies. Depuis 10  000 ans, date du début de l'agriculture, le nombre de copies d'AMY1 a augmenté dans l'espèce humaine, témoignant de la sélection naturelle et de l'évolution humaine : l'amylase servant à digérer les sucres complexes (amidons), les hauts sécréteurs d'amylase salivaire sont dotés d'un avantage nutritionnel sélectif.  Les chercheurs ont remarqué que les personnes ayant le plus petit nombre de copies d'AMY1 (et ainsi peu d'enzyme amylase dans leur sang) ont un risque d'obésité multiplié par 10. Chaque copie d'AMY1 en moins augmente de 20% le risque d'obésité. A elle seule cette région du génome explique près de 10% du risque génétique.

Il existe 2 formes d'amylase, l'une produite par le pancréas et l'autre par les glandes salivaires et seule la forme salivaire semble associée à l'obésité. On ne connait pas encore pourquoi la déficience en amylase salivaire favorise l'obésité : deux hypothèses sont envisagées. D'une part la mastication des aliments et leur digestion partielle dans la bouche pourrait avoir un effet hormonal entraînant la satiété qui serait diminuée en cas de déficience en AMY1. D'autre part, la mauvaise digestion des amidons pourrait modifier la flore intestinale et ainsi contribuer indirectement à l'obésité voire au diabète comme le suggèrent les premières études du métabolome (3) réalisées chez des personnes à haute ou basse amylase salivaire. Ainsi les personnes à basse amylase salivaire ont une glycémie anormalement élevée quand on leur fait manger de l'amidon.

Ces résultats ouvrent une piste tout à fait nouvelle de la prédisposition génétique à l'obésité passant par la digestion des glucides complexes et leur action sur la flore bactérienne de l'intestin. Ils ouvrent des perspectives importantes de prévention et de traitement plus efficaces de l'obésité prenant en compte la digestion des aliments et leur devenir intestinal.

 

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