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György Ligeti et la logique des textures |
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Auteur : sylvain Date : 18/07/2017 |
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Analyse musicale n°38, 2001, 75-85.
György Ligeti et la logique des textures
Marc Chemillier
À la fin des années soixante, le compositeur György Ligeti a introduit dans ses compositions une
technique d'écriture inspirée de phénomènes propres à la biologie ou la physique moléculaire, et des lois
mathématiques décrivant la croissance des formes. Cette technique consiste à créer des effets de textures
sonores en répétant des petits groupes de hauteurs de façon systématique et en changeant progressivement
les hauteurs qui les composent. Au premier abord, ces textures paraissent évoluer sans règle précise, mais
un examen plus approfondi révèle l'existence de principes de transformation rigoureux formant ce que nous
appellerons une « logique des textures ». Le propos de cet article est de montrer dans quelle mesure cette
logique s'inspire des règles de croissance minérale ou organique, ou plus exactement des modèles
mathématiques qui s'efforcent de les simuler.
Cet article a pour point de départ un travail réalisé il y a une dizaine d'années dans la classe d'analyse de
Jacques Casterède au CNSM. Je remercie Alain Poirier qui m'avait donné alors d'utiles conseils, Jean-
Pierre Cholleton a qui je dois mon intérêt pour les textures de Ligeti, Gérard Assayag avec qui j'ai passé de
longues séances de travail nocturne à l'Ircam pour reconstituer ces textures informatiquement, et Yves
Chaudouët qui m'a initié aux mystères des lichens. Cette analyse doit beaucoup à l'influence des travaux de
formalisation d'André Riotte, et en particulier à son mythique « polycopié de l'université Paris 8 ». Les
programmes de tracé des figures présentées dans cet article sont disponibles sur le Web
(www.info.unicaen/~marc/publi/ligeti).
1. Textures végétales et automates cellulaires
La nature offre de merveilleux exemples de textures dans les végétaux inférieurs tels que les mousses et les
lichens. L'artiste Yves Chaudouët a réalisé une série de photographies sur ce thème, qui révèlent selon
différents angles le potentiel plastique des surfaces recouvertes par ces espèces végétales. Les clichés
reproduits Figure 1 mettent en évidence quelques traits généraux propres à la notion de texture, que l'on
retrouvera par la suite en musique.
FIGURE 1
Yves Chaudouët, ilfochromes (50 x 50 cm) :
(a) Montagne, 1996 (b) Mousse, 1995 (c) Crête, 1996.
L'une des caractéristiques des textures est de ne pas avoir de forme par elles-mêmes, mais de se couler à
l'intérieur d'un contour qui délimite leur étendue. À la différence d'un arbre, par exemple, qui a une forme
propre avec un tronc, des branches et des feuilles, les lichens épousent la forme de la roche sur laquelle ils
s'agrippent. Au bas de l'échelle des végétaux, ils sont caractérisés par le fait qu'ils n'ont pas d'organes
différenciés (ils n'ont pas de fleurs, par exemple), et se développent selon une structure en filaments
simple et indifférenciée appelée thalle. La Figure 1 a montre un lichen accroché sur une sorte de petit
monticule. Dans la projection en plan réalisée par la prise de vue, la forme de ce monticule devient une
ligne simple et arrondie délimitant une zone à l'intérieur de laquelle se déploie la texture du lichen.
La croissance des thalles procède par voisinage. Plus développées que les lichen (notamment par leurs
tiges et leurs feuilles différenciées), les mousses possèdent elles aussi une structure en thalle filamenteux
(elles n'ont pas de racines). De la même façon que les lichens, elles se développent en occupant de proche
en proche un espace conquis par voisinage, comme on le voit sur la Figure 1 b qui montre une mousse
dessinant une forme triangulaire aux réminiscences érotiques qui se détache de la roche.
Les textures des mousses et des lichens sont souvent très homogènes, comme on le voit sur les Figures 1
a-b, mais elles ne sont pas régulières dans leur structure comme les cristaux. Elles sont pleines de petites
aspérités, de petits accidents, qui se détachent d'un contexte indifférencié. Ces accidents sont mis en valeur
dans la Figure 1 c, où le lichen est réduit à quelques petites plaques qui paraissent survivre difficilement
sur les parois de la roche. C'est l'une des caractéristiques des lichens de résister dans des espaces où la vie
est raréfiée, tels que les zones polaires de l'Arctique et de l'Antarctique, ou les glaciers de haute altitude.
Les mathématiciens étudient un modèle abstrait de croissance appelé automate cellulaire, dont la Figure 2
montre trois exemples. Ce modèle est constitué d'un ensemble de petites cellules disposées en quadrillage,
dont l'état (noir ou blanc) évolue dans le temps en fonction des cellules voisines. L'automate est à deux
dimensions si le quadrillage se déploie à la fois verticalement et horizontalement. Il est à une dimension si
les cellules sont disposées sur une seule ligne, comme c'est le cas de l'automate de la Figure 2 a, dont la
dimension verticale n'est pas une dimension de l'automate, mais représente l'écoulement du temps, c'est-àdire
que chaque ligne correspond à une étape du processus, celle du haut constituant l'état initial. Les trois
exemples montrent que selon les règles choisies pour l'évolution des cellules, le tableau prend des aspects
très différents au fil de ses transformations successives.
FIGURE 2
Automates cellulaires :
(a) formes fractales en dimension 1, (b) cristaux de neige, (c) jeu de la vie.
Les cellules voisines déterminant l'évolution du système sont représentées Figure 3 pour les trois
automates cellulaires. L'état de la cellule grisée (noir ou blanc) à l'étape ultérieure dépend de l'état des
cellules représentées sur le diagramme à l'étape courante : trois cellules en ligne pour le premier (Fig. 3
a), cinq ou neuf cellules en plan pour les deux autres (Fig. 3 b-c).
(a) (b) (c)
FIGURE 3
Voisinages considérés dans les règles d'évolution,
pour les automates des Figures 2 a-c.
L'évolution du premier automate (Fig. 2 a) crée une sorte de texture assez dense, dans laquelle apparaissent
des formes fractales. Dans la ligne du haut (c'est-à-dire l'état initial), les cellules noires et blanches sont
choisies aléatoirement. La régle d'évolution, qui s'énonce en quelques mots, montre qu'une règle simple
peut engendrer un phénomène complexe :
Règle a : Si les trois cellules du voisinage (Fig. 3 a) sont égales (noir ou blanc), la cellule
grisée devient blanche à l'étape suivante, sinon elle devient noire.
L'automate cellulaire de la Figure 2 b simule un phénomène réel, la croissance des cristaux de neige, qui
est un phénomène simple de refroidissement, moins complexe que les mécanismes de croissance végétale
faisant intervenir de nombreux échanges chimiques. La règle est la suivante :
Règle b : Si l'un des quatre voisins de la cellule grisée (Fig. 3 b) est noir et si la cellule ellemême
est blanche, elle devient noire à l'étape suivante, sinon elle reste dans l'état où elle est (noir ou
blanc).
Le troisième automate cellulaire est un modèle célèbre, inventé par Conway, qui est connu sous le nom de
« jeu de la vie ». Il doit cette appellation à l'aspect particulier que prend son évolution (dont on ne voit
ici qu'une étape), au cours de laquelle apparaissent des petites formes qui croissent, puis explosent, d'autres
qui se déplacent (on les appelle des « glisseurs »), d'autres encore qui se regroupent avec d'autres formes.
Certaine formes sont stables c'est-à-dire qu'elles restent immobiles d'une étape à l'autre, comme le petit
carré de quatre cellules noires dont on trouve plusieurs exemplaires dans la partie gauche du tableau. Au
cours de son évolution, l'automate a tendance à se raréfier de plus en plus, les cellules en noir étant
nettement plus minoritaires qu'à l'état initial où la répartition était à peu près équilibrée entre cellules
noires et blanches. La règle s'énonce ainsi :
Règle c : Si la cellule grisée est noire, elle ne peut rester noire que si parmi ses huit voisins
(Fig. 3 c) deux ou trois sont noirs, et si elle est blanche, elle ne peut rester blanche que si elle n'a pas
trois voisins noirs.
Il existe certaines analogies entre les phénomènes de croissance organique et le modèle des automates
cellulaires. Les petites formes solitaires du jeu de la vie, par exemple, font penser aux fragments
clairsemés du lichen de la Figure 1 c. Ces analogies ont donné naissance à un champ de recherche appelé
« vie artificielle » au croisement de la biologie et de l'informatique, dont le but est de simuler sur
ordinateur le comportement d'organismes vivants. Mais s'il est possible de modéliser des phénomènes
minéraux réguliers comme la croissance des cristaux de neige (Fig. 2 b), il n'existe pas encore, à notre
connaissance, de modèle mathématique complet de la croissance de végétaux inférieurs comme les lichens.
La structure complexe des lichens, qui n'a été découverte qu'en 1869, est une combinaison remarquable
d'une algue et d'un champignon vivant en « symbiose » (le champignon enveloppe l'algue, pénétrant à
l'intérieur de ses cellules par des sortes de suçoirs), et cette structure enferme encore trop de mystères pour
qu'on puisse décrire complètement le mécanisme de sa croissance. Aussi notre confrontation des végétaux
inférieurs et des automates cellulaires reste-t-elle au niveau de l'analogie.
Dans la musique de Ligeti, les techniques d'écriture utilisées rappellent certains traits généraux des textures
végétales. Le remplissage d'une zone définie par un contour simple, le développement par voisinage,
l'apparition de petites aspérités se détachant d'un contexte homogène, la survie dans un espace raréfié,
toutes ces idées sont présentes dans la musique de Ligeti et correspondent à des techniques d'écriture
précises, que l'on mettra en évidence plus loin. Les automates cellulaires, également, ont un écho dans sa
musique. Mais dans un entretien au Monde en 19971, Ligeti indiquait lui-même les limites de tels
rapprochements : « On ne peut pas considérer que je prends un modèle quel qu'il soit, biologique ou
autre. Il en va ainsi, par exemple, d'une branche des mathématiques qui définit des automates cellulaires
dont les configurations se développent à la manière d'un organisme. Cette théorie m'intéresse mais pas
pour une application directe. » Si analogie il y a, ce n'est pas dans le détail de telle règle d'automate
cellulaire ou de telle forme végétale. Elle réside plutôt dans le principe même d'une règle formalisable
contrôlant l'évolution d'une texture au moyen de conditions portant sur le voisinage des hauteurs qui la
composent. C'est en effet une caractéristique de ces textures musicales d'évoluer de façon lente et continue,
par des petites transformations progressives qui font penser à la croissance des thalles ou à l'évolution des
automates cellulaires. Ces transformations obéissent à une logique que nous allons mettre en évidence, et
qui peut s'énoncer par des lois précises analogues aux règles des automates ci-dessus.
2. Analyse d'une texture de Melodien
Melodien est une pièce pour petit orchestre composée par Ligeti en 1971, dont nous allons analyser en
détails l'une des textures. Le diagramme d'ambitus de la pièce (Fig. 4) donne une représentation
synthétique de celle-ci indiquant verticalement l'espace des hauteurs (do1 jusqu'à do82), et horizontalement
1 Le Monde, 27 septembre 1997.
2 Les octaves sont numérotées en référence à la3 = 440 Hz. Dans la partition, les quatre instruments de la texture
sont notés à l'octave inférieur des notes jouées.
le déroulement du temps. La figure délimite la portion de l'espace des hauteurs remplie par l'orchestre au
fur et à mesure du déroulement de la pièce. Après une brève introduction qui va jusqu'à la mesure 14,
l'orchestre est confiné dans l'extrême aigu d'où il progresse ensuite vers le grave, tout en maintenant une
pédale de la aiguë qui marque la limite supérieure de l'ambitus. On atteint au milieu de la pièce l'ambitus
le plus large de l'oeuvre qui couvre huit octaves (mesure 72). À cet endroit, l'espace harmonique est
« raréfié », le seule note jouée par tout l'orchestre étant un do doublé sur huit octaves. Cette technique de
doublure est utilisée fréquemment par Ligeti (dans le Kammerkonzert par exemple), et rappelle l'idée de
raréfaction dont on a parlé à propos des lichens. Dans la deuxième partie de la pièce, l'ambitus est plus
stable, puis la pièce se termine par un creusement entre l'extrême aigu et l'extrême grave, dans une coda
qui oppose les deux registres les plus éloignés (mesure 142).
FIGURE 4
Diagramme d'ambitus de Melodien.
Les principales textures sont représentées à l'intérieur de ce diagramme par des zones hachurées. On appelle
ici textures des sections de la pièce dans lesquelles certains instruments de l'orchestre jouent des petits
motifs répétés qui se transforment progressivement. Cette forme d'écriture apparaît fréquemment dans
l'oeuvre de Ligeti (elle est utilisée de manière systématique dans la pièce pour clavecin Continuum par
exemple). Sur le diagramme d'ambitus (Fig. 4), les zones en noir correspondent à des textures remplissant
chromatiquement l'espace des hauteurs. Celles en gris hachuré comportent une notion d'harmonie formée
par des creux et des pleins dans l'espace des hauteurs.
FIGURE 5
Partition de Melodien, mesures 13 à 15.
La texture étudiée dans cet article est celle qui va de la mesure 14 à la mesure 30, au début de la pièce,
après l'introduction. Elle est formée de quatre parties superposées : piccolo, célesta, xylophone, et violon
B. Chaque instrument joue successivement des petits motifs séparés par des silences, comme on le voit
dans l'extrait de partition (Fig. 5). La flûte piccolo commence mesure 14 en répétant plusieurs fois la
tierce fa-la, rejointe mesure 15 par le célesta, puis le motif se transforme avec l'apparition du mib. Les
différents instruments de la texture utilisent tous approximativement les mêmes notes, les motifs des
différentes parties étant des variantes les uns des autres. Les parties sont cadencées à des vitesses différentes
superposées (quintolets au piccolo, septolets au célesta, sextolets au xylophone, double-croches au violon
B). À la fin du processus, la trame disparaît progressivement dans un accelerando et un diminuendo.
Parallèlement aux quatre parties constituant la texture, les cordes jouent des tenues dans l'extrême aigu, en
sons harmoniques, qui servent d'arrière-plan et de liant à la texture. À l'avant-plan se détachent des petites
bribes mélodiques, qui donnent à la pièce son titre (Melodien), et sur lesquelles on reviendra par la suite.
La section correspondant au déploiement de la texture se déroule en deux phases. Dans la première phase
(mesures 14 à 22), l'harmonie est enrichie progressivement par les notes qui s'ajoutent aux motifs jusqu'à
atteindre le nombre maximal de dix notes. Dans la deuxième phase (mesures 22 à 30), les notes jouées par
les différents instruments sont approximativement les mêmes, mais la logique du processus est beaucoup
moins apparente que précédemment. On peut la découvrir en plaçant les uns en-dessous des autres les
motifs successifs joués par un même instrument (Fig. 6). On observe alors que ces motifs ont toujours
approximativement le même profil mélodique. Ce constat intuitif donne la clef permettant de comprendre
la logique du processus.
FIGURE 6
Melodien (mesures 21-24), motifs de la partie de célesta.
La logique de cette deuxième phase de la texture repose sur l'action combinée de trois opérateurs appliqués
aux motifs :
1) opérateur d'affaissement,
2) opérateur d'effacement,
3) opérateur de permutation.
L'opérateur d'affaissement consiste à abaisser d'un ton ou d'un demi-ton certaines notes du motif. C'est lui
qui est activé Figure 6 pour passer de la première à la deuxième ligne : affaissement d'un demi-ton entre
les notes si-sib, do-si, et d'un ton entre les notes ré-do, mi-ré. On constate dans les lignes suivantes que
les affaissements sont également d'un ton (T) ou d'un demi-ton (D), sauf celui d'une tierce mineure (3) qui
apparaît à la dernière ligne. On reviendra plus loin sur cette anomalie.
L'opérateur d'effacement consiste à effacer temporairement certaines notes du motif. Cet opérateur permet
d'expliquer pourquoi le motif a parfois moins de dix notes (troisième et quatrième lignes de la Fig. 6). Le
fait remarquable de cette construction est que les notes effacées sont toujours virtuellement présentes dans
le motif. C'est ce que l'on constate à la troisième ligne, où le si temporairement absent (à l'endroit marqué
par des parenthèses vides) réapparaît à la ligne suivante sous la forme d'un sib. En effet, seul le si peut
expliquer la présence de ce sib, car c'est la seule note dont ce dernier puisse dériver par un affaissement d'un
ton ou d'un demi-ton. Les notes « effacées » ne laissent aucun espace vacant dans la partition, car les
parenthèses de notre schématisation (Fig. 6) ne correspondent pas à des silences, mais servent uniquement
à faire apparaître la logique du processus.
Le troisième opérateur, celui de permutation, intervient plus loin dans la partie de célesta (Fig. 7). Les
deux motifs n'ont plus alors tout à fait le même profil mélodique, car la pédale la aiguë est passée de la
deuxième à la première position (cette pédale était en troisième position Fig. 6). L'opérateur de
permutation déplace progressivement les notes des motifs de célesta jusqu'à ce qu'il soient en ordre
décroissant à la fin du processus.
FIGURE 7
Melodien (mesures 27-28), permutation dans les motifs de célesta.
Une analyse détaillée de la partition montre que ces trois opérateurs sont également utilisés dans les parties
de piccolo, xylophone, et violon B, ce qui permet d'expliquer l'évolution de toute la deuxième phase de la
texture (exceptées quelques anomalies, comme la tierce mineure, sur lesquelles on reviendra plus loin). En
conclusion, cette évolution procède par (i) des affaissements de ton et demi-ton, (ii) des disparitions
temporaires de notes, dont il ne reste pas de trace dans la partition, mais qui peuvent réapparaître
ultérieurement, et (iii) des permutations tendant à placer les notes des motifs en ordre soit décroissant
(célesta, violon B), soit croissant (piccolo, xylophone).3 Cette analyse éclaire en retour la première phase
de l'évolution de la texture durant laquelle les notes sont introduites progressivement. Celle-ci peut être
vue comme un effacement « à l'envers », c'est-à-dire que le motif de départ peut être considéré comme
presque complètement effacé, ses notes étant progressivement « déseffacées » jusqu'à ce que l'on atteigne
le nombre maximal de dix notes.
L'analyse qui vient d'être présentée a été modélisée informatiquement en collaboration avec Gérard Assayag
à l'Ircam, pour simuler le processus dans l'environnement informatique OpenMusic, en construisant un
patch qui met en évidence ses différentes étapes et visualise en quelque sorte la morphogénèse de la texture
(Fig. 8). Le modèle utilisé dans ce patch diffère légèrement de celui qui est décrit ci-dessus, car les quatre
lignes instrumentales de la texture ne sont pas traitées de façon indépendante. On peut en effet imaginer
que le compositeur a écrit cette section de la pièce en réalisant d'abord une sorte de squelette harmonique,
qui permet d'assurer la cohérence verticale de l'ensemble, avant d'en extraire les parties instrumentales.4 Le
modèle informatique ci-après procède de la même façon.
Dans le patch représentant le modèle d'évolution (Fig. 8), l'« embryon » de départ correspond à la boîte
grisée située en haut, qui contient le motif représenté dans une fenêtre en notation musicale. Ce motif est
d'abord traité par l'opérateur d'affaissement itere-affaisse, qui fabrique une succession de motifs
dérivés formant un squelette harmonique. Le résultat est confié à l'opérateur d'effacement map-efface,
qui « retaille » les motifs en supprimant certaines notes. À ce stade, les quatre instruments de la texture
ne sont pas encore différenciés. L'opérateur de permutation map-permute se charge ensuite d'effectuer
cette différenciation, en distribuant les motifs aux quatre instruments (selon une alternance qui n'est pas
régulière), tout en affectant à chacun d'eux une permutation particulière des notes du motif. D'où
l'apparition sur le patch de quatre colonnes distinctes. Les notes sont enfin associées à des durées par
l'opérateur make-dur-seq, qui introduit des vitesses de déroulement différentes (définies par les chiffres
5, 7, 6 et 4). Les quatre lignes instrumentales ainsi obtenues (piccolo, célesta, xylophone, violon B) sont
finalement synchronisées dans la boîte grisées située en bas.
Le but de ce patch est de reproduire la partition, selon le principe des modélisations de partition d'André
Riotte et Marcel Mesnage consistant à traduire sous forme de programme informatique les principes
3 Si ce modèle est valide, il y a une coquille dans la partie de célesta mesure 27 : le fa#5 inexplicable pourrait
être un fa#4 venant du sol#4 de l'étape précédente (affaissement d'un ton), après permutation avec le la5.
4 C'est d'ailleurs ce que Ligeti nous a confirmé lui-même à l'Ircam, un jour où nous lui montrions une première
version de ce modèle (différente de la version présentée ici, voir l'article de Gérard Assayag dans Les cahiers de
l'Ircam, 3, 1993). Il nous a expliqué qu'il avait écrit le squelette harmonique de la section sur une longue feuille de
papier à musique.
FIGURE 8
Simulation dans OpenMusic du processus de Melodien (mesures 14-30).
d'analyse d'une partition, pour valider ensuite cette analyse en recalculant intégralement la partition5. Ici,
la partition n'est pas complète, car le patch ci-dessus (Fig. 8) ne traite que la partie algorithmique. Il
manque deux éléments essentiels : d'une part les tenues de cordes qui apparaissent dès le début de la
texture, et d'autre part, des petites mélodies qui ont un rôle central dans Melodien, car le principe même de
la pièce est de faire émerger des bribes mélodiques se détachant d'une texture relativement indifférenciée.
Ces petits fragments mélodiques reposent souvent sur des mouvements descendants diatoniques ou
chromatiques. Par exemple, la trompette joue un bref élément mélodique de deux notes mi4 ré#4 dans la
mesure 22, où la partie de xylophone contient deux états du motif de la texture, le premier avec mi4, le
second avec ré#4, le mi4 étant affaissé d'un demi-ton. On voit ici que l'élément mélodique joué par la
trompette n'est autre qu'une matérialisation de l'opérateur d'affaissement. Dans la pièce Melodien, les petits
éléments mélodiques isolés, qui se détachent de la texture, et prolifèrent vers la fin du processus (mesure
30), évoquent les micro-organismes du jeu de la vie, ou les fragments de lichens accrochés à une roche,
que l'on a étudiés dans la première partie.
3. Reconstruction de l'harmonie sous-jacente
L'analyse que nous avons proposée dans la partie précédente peut-elle être effectuée automatiquement ? En
d'autres termes, le travail (fastidieux, comme on peut l'imaginer...) consistant à vérifier, pour chaque motif
de chacune des parties de piccolo, xylophone, célesta et violon B, s'il dérive bien du précédent par l'action
des trois opérateurs définis ci-dessus, peut-il être confié à un ordinateur ? Dans la première version de
notre analyse, la réponse est non. On ne peut pas automatiser ce travail, et la raison de cette impossibilité
est la présence d'anomalies rencontrées dans l'action de l'opérateur d'affaissement (tierce mineure). Le fait
de tolérer ces anomalies ruine toute possibilité d'automatisation, car l'ordinateur est incapable de décider
5 Par exemple, la modélisation de la 1ère pièce pour quatuor à cordes de STRAVINSKY publiée dans Analyse
Musicale, 10, 1988.
seul à quel endroit il faut tolérer des anomalies. Sans anomalies, il ne trouve pas de solution, et dans le
cas contraire, il en trouve une telle quantité que l'analyse n'a plus aucun intérêt.6
Dans la version légèrement modifiée de notre modèle (Fig. 8), il devient possible de supprimer
complètement les anomalies, par un traitement simultanément des quatre parties de la texture, qui
reconstitue l'harmonie sous-jacente à l'ensemble du tissu polyphonique. Concrètement, cela signifie que
tous les motifs se succèdant dans les quatre lignes instrumentales sont regroupés pour ne former qu'une
succession unique, dans laquelle ils sont classés en fonction de la date de leur première note. En
rassemblant ainsi les quatre parties de la texture, on peut dégager une règle précise d'évolution, et
reconstituer le processus sous-jacent avec le minimum d'ambiguïté. La Figure 9 illustre cette règle
d'évolution, en représentant graphiquement une note par un carré noir, et en indiquant par des carrés blancs
la position relative des successeurs possibles de cette note.
FIGURE 9
Successeurs possibles d'une note.
Si un motif de la texture contient la note schématisée par le carré noire (Fig. 9), le motif suivant doit
contenir l'une des quatre notes correspondant aux carrés blancs (réellement, ou virtuellement sous forme de
note « effacée »). Cette règle peut s'énoncer ainsi :
Règle de succession :Les successeurs possibles d'une note sont au demi-ton supérieur, à
l'unisson, au demi-ton inférieur, ou au ton inférieur de cette note.
Par rapport au modèle proposé dans la partie précédente, l'intervalle de demi-ton ascendant a été ajouté,
mais il n'est plus nécessaire de tolérer la présence d'anomalies comme la tierce mineure précédemment. Le
modèle obtenu peut être complètement automatisé.
FIGURE 10
Melodien (mesures 14 à 30), texture et « fil conducteur » reconstituant l'harmonie sous-jacente.
En appliquant cette règle, on reconstitue l'intégralité du processus avec un programme informatique qui
trace une représentation graphique de la texture, puis affiche le résultat de l'analyse sous forme de lignes
indiquant la succession des notes des motifs (Fig. 10).7 Chaque motif de la texture est représenté
verticalement, en matérialisant ses notes par des petits carrés noirs. L'axe vertical indique les codes midi
6 La question de l'unicité de l'analyse a été posée par Eytan Agmon lors d'une présentation de ce travail à un
colloque organisé par Anatol Vieru à Bucharest en 1994. Cette troisième partie peut être vue comme une réponse
à cette question.
7 L'algorithme de ce calcul est décrit dans Chemillier 1999.
des notes8, l'axe horizontal indique par des lettres p, x, c, v les instruments qui jouent ces motifs
(piccolo, xylophone, célesta, violon B). On voit au début la tierce fa-la (codes midi 89 93), puis l'arrivée
du mib (code midi 87). Les deux phases de la texture apparaissent clairement dans ce schéma, la première
pendant laquelle les notes sont ajoutées progressivement, puis la deuxième pendant laquelle l'ensemble de
la texture évolue en descendant vers le grave, dans un processus qui paraît au premier abord inextricable.
Le tracé des dix lignes calculées par le programme informatique, donne une sorte de « fil conducteur » qui
éclaire ce dédale polyphonique, et montre que la texture est construite rigoureusement en utilisant
exclusivement des intervalles de ton et de demi-ton.
Ainsi toute la deuxième partie, qui semble chaotique au premier abord, relève en fait d'une règle de
transformation rigoureuse, analogue à celles des automates cellulaires, consistant à faire évoluer les notes
de proche en proche vers les notes qui sont voisines. Le modèle diffère toutefois de celui des automates
cellulaires, principalement parce que contrairement à ces derniers, il n'est pas déterministe : la règle
circonscrit le choix d'un successeur possible, mais elle ne le détermine pas complètement. Ce nondéterminisme
produit quelques ambiguïtés locales dans l'analyse, car le calcul des lignes de la Figure 10 ne
donne pas un tracé unique, mais plusieurs tracés possibles. Ceux-ci ne différent toutefois les uns des autres
que localement, ce qui veut dire qu'ils sont presque complètement identiques exceptées quelques
divergences ponctuelles.
FIGURE 11
(a) Continuum pour clavecin, 1968 (divisions 1 à 57, main droite),
(b) Huitième des Dix Pièces pour quintette à vent, 1969 (mesures 1 à 15, partie de flûte).
Le programme informatique qui a réalisé le tracé (Fig. 10) peut servir à analyser d'autres pièces de Ligeti,
en particulier celles qui sont définies par Jane P. Clendinning comme étant du type « patternmeccanico
».9 Les pièces de ce type sont « construites sur des petits groupes de hauteurs répétées
rapidement d'une manière mécanique avec une modification progressive des hauteurs ». Cette définition
rejoint celle de la texture de Melodien que nous avons analysée. La différence réside dans le caractère
mécanique que Jane P. Clendinning attribue à ces processus, et qu'elle met en relation avec l'intérêt porté
par Ligeti aux mécanismes qui se dérèglent, et illustré par lui dans le Poème symphonique pour cent
métronomes (1962). Ce caractère mécanique correspond dans notre modèle à la mise en évidence d'une
règle de succession qui contrôle « mécaniquement » l'évolution du processus, mais incorpore en même
temps son propre dérèglement en laissant la place à une part d'indéterminisme.
Les deux principales pièces du type « pattern-meccanico » analysées par Jane P. Clendinning sont
Continuum pour clavecin (1968) et les Dix Pièces pour quintette à vent (1969). Les principes de son
analyse rejoignent exactement ceux que nous avons présentés dans la partie précédente : opérateurs
d'affaissement (ou plutôt de « glissement », car il procède par demi-tons à la fois ascendants et
descendants), et d'effacement (il n'y a pas d'opérateur de permutation). Aussi était-il facile d'appliquer notre
programme d'analyse aux exemples présentés dans son article (Fig. 11). Le premier est constitué des 57
premières divisions de Continuum (une « division » correspond à peu près à une mesure). Le lecteur
familier de cette pièce reconnaîtra la tierce sol3-sib3 (codes midi 67 70) qui marque le début de l'oeuvre. Le
deuxième exemple correspond aux 15 premières mesures de la huitième pièce pour quintette à vent. Dans
les deux cas, le programme restitue sans difficulté le tracé des lignes matérialisant l'analyse.
8 Rappelons que le code midi est une numérotation des degrés de l'échelle chromatique prenant comme référence
do3=60.
9 Perspectives of New Music, 31, 1993.
Ces deux exemples sont plus simples que la texture de Melodien que nous avons analysée. On peut
imaginer qu'ils correspondent à un stade moins évolué de cette technique d'écriture que Ligeti a développée
progressivement à partir de la fin des années soixante.
Conclusion
Dans les pièces composées par Ligeti durant la période 1967-72, les textures sonores sont le résultat de la
mise en oeuvre d'une technique d'écriture bien particulière fondée sur la répétition et la transformation
progressive de petits groupes de notes. Ces textures ont plusieurs traits communs avec les textures
végétales des mousses et des lichens.
Tout d'abord, les unes comme les autres n'ont pas de forme propre, car de la même façon qu'un lichen se
développe en formant une tache sur une paroi rocheuse, les textures sonores de Ligeti se déploient à
l'intérieur d'un contour défini par leur ambitus.
Une autre caractéristique commune aux textures musicales et végétales est l'homogénéité. Parfois, de
petites aspérités se détachent du milieu homogène et relativement indifférencié de la texture. Cette
situation, dont les lichens offrent de nombreux exemples, est à l'origine même de la pièce Melodien. Son
titre indique en effet que la technique d'écriture en texture mise au point par Ligeti quelques années
auparavant (dans la pièce Continuum par exemple) prend un visage nouveau avec l'introduction de petits
fragments mélodiques qui se détachent à la surface et forment des aspérités.
Un troisième aspect rapproche les textures végétales des textures musicales composées par Ligeti. Il s'agit
de leur mode de croissance qui, dans les deux cas, procède de façon lente, progressive, et contigüe, ce qui
signifie que la texture se développe de proche en proche. Cette idée de contiguïté est à la base du modèle
étudié par les mathématiciens sous le nom d'automate cellulaire, dans lequel de petites cellules évoluent
dans le temps en fonction de l'états des cellules voisines. Bien que ces modèles ne s'appliquent pas
directement à la croissance des végétaux, ils en ont certains aspects, comme le principe d'évolution par
voisinage qui est une caractéristique des végétaux tallophytes.
L'évolution des textures de Ligeti, dont l'apparence semble parfois chaotique, est pourtant régie par des
règles précises, comme celle des automates cellulaires, constituant ce qu'on peut appeler une « logique des
textures ». C'est ce que montre l'analyse détaillée que nous avons effectuée d'une texture de la pièce
Melodien. Les transformations progressives des groupes de notes formant la texture peuvent se ramener à
l'action de trois opérateurs (que nous avons appelés affaissement, effacement, permutation), qui ont pour
effet de remplacer chaque motif par un autre dont les notes sont « voisines », c'est-à-dire situées à moins
d'une seconde majeure de distance.
Ces principes d'évolution s'appliquent également à d'autres oeuvres de Ligeti comportant des textures
similaires, en particulier Continuum et les Dix pièces pour quintette à vent, qui sont antérieurs à
Melodien, et dont le traitement des textures est moins complexe. Ces pièces ont été qualifiées de
« pattern-meccanico » pour souligner le caractère systématique de l'évolution de leurs textures, rappelant
ainsi une autre source d'inspiration importante dans l'oeuvre de Ligeti, celle des mécaniques déréglées, qui a
donné naissance au Poème symphonique pour cent métronomes. Croissance végétale, évolution
d'automates cellulaires, dérèglements mécaniques, toutes ces idées se croisent chez Ligeti et déterminent
certains aspects de sa musique, sans donner lieu à une application stricte d'un modèle hétérogène à la
musique, mais plutôt en opérant une sorte de transmutation musicale qui confère à ces idées une
mystérieuse puissance créatrice.
Bibliographie
ASSAYAG, Gérard, "CAO : vers la partition potentielle", Les cahiers de l'Ircam, Recherche et Musique,
3, 1993, 13-41.
BAYER, Francis, "Atmosphères de György Ligeti : éléments pour une analyse", Analyse Musicale, 15,
1989, 18-24.
CHEMILLIER, Marc, "Analysis and Computer Reconstruction of a Musical Fragment of György Ligeti's
Melodien", Muzica, 6, Bucharest, 1995, 34-48.
CHEMILLIER, Marc, "Générateurs musicaux et singularités", 6èmes journées d'informatique musicale
JIM 99, CEMAMu, Issy-les-Moulineaux, 1999, 167-177.
CLENDINNING, Jane P., "The Pattern-Meccanico Compositions of György Ligeti", Perspectives of New
Music, 31, 1993, 192-234.
LIGETI, György, entretien au journal Le Monde, 27 septembre 1997.
MESNAGE, Marcel, "Sur la modélisation des partitions musicales", Analyse Musicale, 22, 1991, 31-44.
MICHEL, Pierre, György Ligeti, compositeur d'aujourd'hui, Minerve, 1985.
OSTOLAZA, J.F., BERGARECHE, A.M., La vie artificielle, Seuil, 1997.
OZENDA, Paul, Les organismes végétaux. Les végétaux inférieurs, Masson, 1990.
RIOTTE, André, Formalisation des structures musicales, polycopié de l'université Paris 8, 1979.
RIOTTE, André, MESNAGE, Marcel, "Analyse musicale et systèmes formels : un modèle informatique
de la 1ère pièce pour quatuor à cordes de STRAVINSKY", Analyse Musicale, 10, 1988, 51-67.
VAN HALUWYN, Chantal, LEROND, Michel, Guide des lichens, Lechevalier, 1993.
WEISBUCH, G., Dynamique des systèmes complexes, InterEdition, 1989.
Résumé :
Les textures de Ligeti sont formées de petits groupes de hauteurs qui sont répétés de façon systématique,
en changeant progressivement les hauteurs qui les composent. Ces textures sont construites sur des
principes de transformation rigoureux formant une « logique des textures », qui s'exprime à travers
l'action de trois opérateurs appliqués aux groupes de hauteurs (affaissement, effacement, permutation).
Cette logique est une réappropriation originale, dans le domaine musical, de phénomènes qui s'apparentent
à la croissance des végétaux tallophytes (lichens, mousses), et à un modèle mathématique appelé automate
cellulaire qui est une métaphore des phénomènes de croissance.
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Mémoire musicale : certains déficits commencent dans le cortex auditif |
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Auteur : sylvain Date : 30/06/2017 |
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Paris, 25 AVRIL 2013
Mémoire musicale : certains déficits commencent dans le cortex auditif
L'amusie congénitale est un trouble caractérisé par des compétences musicales diminuées, pouvant aller jusqu'à l'incapacité à reconnaître des mélodies très familières. Les bases neuronales de ce déficit commencent enfin à être connues. En effet, selon une étude menée par les chercheurs du CNRS et de l'Inserm au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS / Inserm / Université Claude Bernard Lyon 1), les personnes amusiques présentent un traitement altéré de l'information musicale dans deux régions cérébrales : le cortex auditif et le cortex frontal, surtout dans l'hémisphère cérébral droit. Ces altérations semblent liées à des anomalies anatomiques dans ces mêmes cortex. Ces travaux apportent des informations précieuses sur la compréhension de l'amusie et, plus généralement, sur le « cerveau musical », c'est-à-dire sur les réseaux cérébraux impliqués dans le traitement de la musique. Ils sont publiés dans l'édition papier du mois de mai 2013 de la revue Brain.
L'amusie congénitale, qui touche entre 2 et 4% de la population, peut se manifester de diverses façons : par une difficulté à entendre une « fausse note », par le fait de « chanter faux », voire parfois par une aversion à la musique. Certaines de ces personnes affirment ressentir la musique comme une langue étrangère ou comme un simple bruit. L'amusie n'est due à aucun problème auditif ou psychologique, et ne semble pas liée à d'autres troubles neurologiques. Les recherches sur les bases neuronales de ce déficit n'ont commencé qu'il y a une dizaine d'années avec les travaux de la neuropsychologue canadienne Isabelle Peretz.
Deux équipes du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS / Inserm / Université Claude Bernard Lyon 1) se sont notamment intéressées à l'encodage de l'information musicale et à la mémorisation à court terme des notes. Selon des travaux antérieurs, les personnes amusiques présentent une difficulté toute particulière à percevoir la hauteur des notes (le caractère grave ou aigu). De plus, bien qu'elles retiennent tout à fait normalement des suites de mots, elles peinent à mémoriser des suites de notes.
Pour tenter de déterminer les régions cérébrales concernées par ces difficultés de mémorisation, les chercheurs ont effectué, sur un groupe de personnes amusiques en train de réaliser une tâche musicale, un enregistrement de Magnéto-encéphalographie (technique qui permet de mesurer, à la surface de la tête, de très faibles champs magnétiques résultant du fonctionnement des neurones). La tâche consistait à écouter deux mélodies espacées par un silence de deux secondes. Les volontaires devaient déterminer si les mélodies étaient identiques ou différentes entre elles.
Les scientifiques ont observé que, lors de la perception et la mémorisation des notes, les personnes amusiques présentaient un traitement altéré du son dans deux régions cérébrales : le cortex auditif et le cortex frontal, essentiellement dans l'hémisphère droit. Par rapport aux personnes non-amusiques, leur activité cérébrale est retardée et diminuée dans ces aires spécifiques au moment de l'encodage des notes musicales. Ces anomalies surviennent dès 100 millisecondes après le début d'une note.
Ces résultats rejoignent une observation anatomique que les chercheurs ont confirmée grâce à des images IRM : chez les personnes amusiques, au niveau du cortex frontal inférieur, on trouve un excès de matière grise accompagnée d'un déficit en matière blanche dont l'un des constituants essentiels est la myéline. Celle-ci entoure et protège les axones des neurones, permettant au signal nerveux de se propager rapidement. Les chercheurs ont aussi observé des anomalies anatomiques dans le cortex auditif. Ces données renforcent l'hypothèse selon laquelle l'amusie serait due à un dysfonctionnement de la communication entre le cortex auditif et le cortex frontal.
L'amusie est ainsi liée à un traitement neuronal déficitaire dès les toutes premières étapes du traitement d'un son dans le système nerveux auditif. Ces travaux permettent ainsi d'envisager un programme de réhabilitation de ces difficultés musicales, en ciblant les étapes précoces du traitement des sons par le cerveau et de leur mémorisation.
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Apprentissage de la lecture : les bricolages du cerveau |
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Auteur : sylvain Date : 30/06/2017 |
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Paris, 27 août 2014
Apprentissage de la lecture : les bricolages du cerveau
Lors de la lecture, enfants comme adultes doivent éviter de confondre les lettres en miroir (b/d ou p/q). D'où nous vient cette difficulté à différencier ces lettres ? Lorsque l'on commence à lire, notre cerveau doit apprendre à inhiber la généralisation en miroir : un mécanisme qui permet de reconnaître rapidement des objets identiques quelle que soit leur orientation et qui empêche le cerveau de différencier les lettres en miroir qui, bien que symétriques, sont différentes. L'étude, menée par les chercheurs du Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant (CNRS/Université Paris Descartes/Université de Caen Basse-Normandie), est disponible en ligne sur le site du Psychonomic Bulletin & Review (Online First Articles).
Ces dernières années, de nombreuses études se sont basées sur la théorie du recyclage neuronal à propos de l'apprentissage de la lecture : des mécanismes anciens de notre cerveau sont réutilisés dans un rôle adaptatif nouveau, par une sorte de "bricolage biologique". Ainsi, des neurones initialement dédiés à l'identification rapide d'objets de notre environnement, grâce à la généralisation en miroir, seraient réutilisés au cours de l'enfance pour se spécialiser dans la reconnaissance visuelle des lettres et des mots.
Les chercheurs ont donc montré à 80 jeunes adultes des paires d'images, d'abord deux lettres et ensuite deux animaux. Sont-elles à chaque fois identiques ? Les résultats ont indiqué que les lecteurs mettaient systématiquement plus de temps à déterminer que deux images d'animaux étaient bien identiques quand elles étaient précédées par des lettres en miroir. Cette augmentation du temps de réponse s'appelle "l'amorçage négatif" : les lecteurs ont dû bloquer la stratégie de généralisation en miroir pour réussir à discriminer des lettres de type b/d ou p/q. Ils mettent ensuite un peu plus de temps à déclencher cette stratégie quand elle est à nouveau utile pour reconnaître rapidement des animaux.
Ces résultats montrent que, même à l'âge adulte, l'inhibition de la généralisation en miroir est toujours nécessaire pour éviter les erreurs de lecture. Les enfants doivent donc s'entraîner à inhiber cette stratégie dès le début de l'apprentissage de la lecture. Un défaut d'inhibition cognitive lors du recyclage des neurones visuels du cerveau pourrait alors être un facteur explicatif de la dyslexie. Une piste à explorer, suite à cette découverte.
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INVASION DES INSECTES ... |
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Auteur : sylvain Date : 19/04/2017 |
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Paris, 4 octobre 2016
Invasion des insectes : l'économie mondiale affectée
69 milliards d'euros, c'est le coût minimal annuel des dégâts provoqués par les insectes envahissants dans le monde, estime une équipe internationale de chercheurs menée par Franck Courchamp, directeur de recherche CNRS au laboratoire Ecologie, systématique et évolution (Université Paris-Sud/CNRS/AgroParisTech) et impliquant notamment les entomologistes de l'IRD à Montpellier et un économiste CNRS. Depuis les dégâts sur les biens et services jusqu'aux coûts en santé, en passant par les pertes en agriculture, cette étude, réalisée avec le soutien de l'ANR et de la Fondation BNP Paribas, rassemble la plus importante base de données jamais élaborée des dégâts économiques imputables aux insectes envahissants dans le monde : 737 articles, livres et rapports ont été considérés. Ces travaux sont publiés dans Nature Communications le 4 octobre 2016.
Pourquoi étudier les insectes ? Depuis des milliers d'années, les insectes ont été responsables de la propagation de maladies chez l'Homme et le bétail, et de dégâts considérables, depuis l'anéantissement des cultures et réserves, en passant par la destruction des infrastructures, jusqu'à la dévastation des forêts, altérant ainsi les écosystèmes et les rendant plus fragiles. Dans le règne vivant, la seule classe des insectes (environ 2,5 millions d'espèces) est probablement le groupe le plus coûteux. De plus, ils font partie des espèces envahissantes les plus virulentes : 87 % des 2 500 invertébrés terrestres ayant colonisé de nouveaux territoires sont des insectes.
Des dégâts sous-évalués
Les scientifiques ont estimé à 69 milliards d'euros par an le coût minimal des dégâts causés par les insectes envahissants dans le monde. Parmi les d'insectes étudiés, le termite de Formose1 (Coptotermes formosanus) serait l'un des plus destructeurs : plus de 26,7 milliards d'euros par an dans le monde. Mais cette estimation provient d'une étude trop peu documentée, selon l'équipe de recherche. Des études plus renseignées (estimées reproductibles par les scientifiques) placent également « en haut du classement » la teigne des choux2 (Plutella xylostella), avec un coût de 4,1 milliards d'euros par an et le longicorne brun de l'épinette3 (Tetropium fuscum), avec un coût de 4 milliards d'euros par an rien qu'au Canada.
Par ailleurs, d'après cette étude, l'Amérique du Nord présente les plus importantes pertes financières avec 24,5 milliards d'euros par an, tandis que l'Europe n'est pour l'instant qu'à 3,2 milliards d'euros par an. Mais cette différence s'explique par un manque de sources d'évaluation et non par une réelle différence d'exposition au danger. Ainsi, selon les chercheurs, le coût annuel total estimé de 69 milliards d'euros est largement sous-évalué. De nombreuses régions du monde n'offrent pas assez de données économiques pour produire une estimation précise, qui a donc été minimisée. De plus, l'équipe de chercheurs s'est concentrée sur l'étude des dix espèces invasives les plus coûteuses, sans comptabiliser celles, très nombreuses, qui provoquent moins de dégâts. Enfin, si l'on considère les valeurs estimées pour les services écosystémiques à l'échelle globale (plusieurs centaines de milliards de dollars pour la seule pollinisation des cultures), les perturbations causées par les insectes envahissants pourraient atteindre un niveau bien au-delà de l'estimation actuelle.
La santé et l'agriculture sont les plus touchées
Les insectes dans leur ensemble pèsent particulièrement sur l'agriculture en consommant 40 % des biens de consommation (l'équivalent de ce qui pourrait nourrir un milliard d'êtres humains).
Sur la santé, le coût global attribuable aux insectes envahissants dépasse 6,1 milliards d'euros par an (sans prendre en compte le paludisme, le virus Zika, ou encore l'impact économique provoqué sur certains facteurs comme le tourisme, la productivité, etc). D'un point de vue géographique, les régions du monde où les dépenses médicales liées aux dégâts causés par les insectes envahissants s'avèrent les plus importantes, sont respectivement l'Asie (2,55 milliards d'euros par an), l'Amérique du Nord (1,85 milliards d'euros par an) et l'ensemble de l'Amérique centrale et du Sud (1,66 milliards d'euros par an). Et, parmi les maladies les plus lourdes financièrement, on trouve au premier plan la dengue, dont les dépenses représentent 84 % des 6,1 milliards d'euros.
Une plus grande vigilance et la mise en place de procédures de réponse à une invasion biologique permettraient de faire économiser à la société des dizaines de milliards d'euros, selon les auteurs. Ces mesures de prévention pourraient diviser au moins par dix les coûts des maladies provoquées par les moustiques.
Laboratoires français impliqués :
laboratoire Ecologie, systématique et évolution (Université Paris-Sud/CNRS/AgroParisTech)
Laboratoire montpelliérain d'économie théorique et appliquée (CNRS/ Université de Montpellier/Inra)
laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (CNRS/IRD/Université de Montpellier)
laboratoire Biologie des organismes et écosystèmes aquatiques (CNRS/MNHN/IRD/UPMC/Université Caen Normandie)
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