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Asie centrale
Cet article fait partie du dossier consacré à l'Asie.
Syr-Daria
Partie centrale de l'Asie, qui s'étend de la mer Caspienne à la Chine, correspondant essentiellement au sud du Kazakhstan, à l'Ouzbékistan, au Turkménistan, au Kirghizistan et au Tadjikistan, et englobant également la partie occidentale de la province chinoise du Xinjiang.
HISTOIRE
1. LA PÉRIODE PRÉCOLONIALE
1.1. UNE TERRE DE PASSAGE
L'Asie centrale est une terre de passage dont l'histoire millénaire est caractérisée par une succession de conquêtes et vagues migratoires venues d'abord d'Asie puis d'Europe. À l'origine, des tribus sédentaires est-iraniennes occupent trois oasis : les Chorasmiens dans le delta de l'Oxus (actuel Amou-Daria), les Bactriens dans la moyenne vallée de l'Oxus et les Sogdiens dans le haut Iaxarte (actuel Syr-Daria). Le premier contact entre ces autochtones et les nomades Turcs a lieu au ve siècle de notre ère, avec l'installation des tribus Türük, arrivées de l'Altaï.
Lieux de rencontre des influences venues de l'Inde, de la Chine, de l'Iran et du monde méditerranéen grâce aux routes de la soie qu'empruntent pèlerins bouddhistes et marchands, ces régions sont atteintes au viie-viiie siècle par l'islam.
1.2. PREMIER ÂGE D'OR
Au xe siècle la dynastie des Samanides parvient à réunir les trois oasis de civilisation dans un unique émirat, qui marque le premier âge d'or de l'Asie centrale, autour de sa capitale Boukhara. Les Turcs karakhanides lui succèdent en 999 et initient le rapprochement des cultures turque et persane, notamment en favorisant la propagation de l'islam auprès des communautés nomades.
1.3. SECOND ÂGE D'OR
Au début du xiiie siècle, la conquête mongole de Gengis Khan est terriblement destructrice pour la civilisation sédentaire mais elle inclut l'Asie centrale dans le vaste empire des Mongols s'étendant de la Chine à l'Europe. Au sein de l'Asie centrale s'opère alors une symbiose entre les populations turques sédentarisées ou encore nomades et les conquérants mongols. Ce métissage est symbolisé par la figure de Tamerlan, qui établit à la fin du xive siècle son grand émirat avec Samarkand pour capitale et qui est le siège du second âge d'or de l'Asie centrale.
1.4. LE DÉMEMBREMENT DE L'EMPIRE CHAYBANIDE
En 1500, les tribus Özbegs marquent la dernière migration humaine précoloniale de la région, dont ils prennent les rênes avec la dynastie des Chaybanides (xve-xvie siècle). Mais dans l'intervalle, la découverte de nouvelles voies maritimes de circulation sonne le glas des routes de la soie et par la même la position stratégique de l'Asie centrale. À partir de 1599, la région se divise en trois entités politiques souveraines : le khanat de Khiva à l'ouest, l'émirat de Boukhara au sud, puis le khanat de Kokand (1710) au nord-est.
Au cours des xviiie et xixe siècles, l'Asie centrale subit la pression de forces étrangères : à l'est les Mandchous se rendent maîtres de la Chine, au nord les Russes occupent la Sibérie, au sud les Afghans constituent un État indépendant, et les Anglais organisent la colonisation des Indes.
2. LA COLONISATION RUSSE
La progression des troupes russes vers l'Asie centrale trouve son aboutissement avec la chute de Tachkent (1865), qui devient le centre du gouvernement général du Turkestan, division administrative de l'empire. Les Russes établissent leur protectorat sur Boukhara (1868) et Khiva (1873) avant d'annexer le khanat de Kokand (1876). La période coloniale est marquée par la mise en œuvre d'une politique de discrimination entre les colons russes et tatars, qui jouissent du statut de citoyens, et les populations autochtones considérées comme étrangères à l'empire et relevant du statut d'« allogènes ».
3. LA PÉRIODE SOVIÉTIQUE
3.1. L'INSTAURATION DU RÉGIME SOVIÉTIQUE : RÉORGANISATION SUR DES BASES ETHNIQUES
Dans ce contexte ségrégationniste, la révolution russe de 1917 trouve un écho favorable auprès des populations d'Asie centrale. En avril 1918, le soviet de Tachkent décide son union libre à la Russie et devient la République socialiste soviétique autonome (RSSA) du Turkestan. Khiva et Boukhara deviennent des républiques populaires sous protectorat russe. L'instauration du régime soviétique provoque des bouleversements dans la société centrasiatique. D'abord, Moscou décide d'appliquer le concept d'ethnie pour diviser la population et mettre un terme aux velléités panturquistes et panislamiques qui menaçaient le projet soviétique : cinq groupes ethniques, ou « nationalités » dans le jargon soviétique, sont créées à partir d'identités tribales (Ouzbeks, Kazakhs, Kirghiz, Turkmènes) ou linguistique (Tadjiks).
Ensuite, un territoire national est attribué à chaque groupe pour lui permettre son plein développement dans le cadre fédéral de l'URSS. Ainsi, l'Asie centrale se trouve divisée pour la première fois de son histoire en cinq républiques socialistes soviétiques (RSS ethno-nationales : les RSS d'Ouzbékistan et du Turkménistan (1924), du Tadjikistan (1929), du Kirghizistan et du Kazakhstan (1936).
3.2. COLLECTIVISATION, MIGRATION FORCÉE, DÉPORTATION
Enfin, le projet économique communiste oblige à sédentariser les éleveurs transhumants et à collectiviser leurs troupeaux au sein de kolkhozes. Ce processus brutal entraîne la mort ou l'exil hors des frontières de l'URSS de près de la moitié des Kazakhs, des Kirghiz et des Turkmènes d'Asie centrale. La main d'œuvre nécessaire au développement de la région est alors fournie par la migration volontaire ou forcée de millions de Slaves (Russes, Ukrainiens, Biélorusses) et Tatars d'Oural, mais également par la déportation collective de Coréens, d'Allemands et de nombreux peuples du Caucase pendant la Seconde Guerre mondiale.
4. LA DISSOLUTION DE L'URSS ET LES INDÉPENDANCES
À la faveur de la perestroïka, des mouvements nationalistes s'affirment au Kazakhstan (1986), en Ouzbékistan (1989), au Tadjikistan et au Kirghizistan (1990). Mais l'indépendance auxquelles les RSS d'Asie centrale accèdent en décembre 1991 n'est pas le fait de luttes avec le pouvoir central. Elles sont le résultat de la dissolution de l'URSS et de l'exercice du droit à l'autodétermination que la Constitution soviétique reconnaissait alors à ses quinze sujets, dont les cinq républiques centrasiatiques. Les nouveaux États entrent dans le concert des nations en adhérant à l'Organisation des Nations Unies en 1992 et à la Communauté des États indépendants (CEI)., héritière de l'espace territorial couvert par l'URSS.
Abritant une importante minorité russe et largement russophone – bien que les Kazakhs forment désormais près des deux tiers de la population – le Kazakhstan reste l’allié le plus sûr de la Russie dans la région. De même que le Tadjikistan et le Kirghizistan, également proches de Moscou, il est membre signataire de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, 2003), ces trois républiques adhérant également à la Communauté économique eurasiatique (Eurasec, 2001) dont le noyau est l’Union douanière formée à l’origine par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan en 2010, le Kirghizistan s’apprêtant à la rejoindre en 2014.
De leur côté, l’Ouzbékistan et le Turkménistan adoptent une position plus réservée et autonome. Le premier suspend à deux reprises son adhésion à l’alliance militaire (en 1999 au traité de sécurité collective de la CEI et en 2012 à l’OTSC après l’avoir rejointe en 2006) et fait de même concernant l’Eurasec en 2008 avant de ratifier sous certaines conditions l’accord de libre échange de la CEI en 2013. Quant au Turkménistan, il n’est plus que membre observateur de la CEI depuis 2005 et reste à l’écart des organisations régionales prônées par Moscou dans le cadre de son projet d’Union eurasiatique.
Fortes de leurs richesses minières, les républiques d’Asie centrale – au premier rang desquelles le Kazakhstan et le Turkménistan – ont développé d’étroites relations économiques avec les grandes entreprises de ces secteurs, occidentales ou asiatiques, en particulier chinoises.
Par leur proximité avec l’Afghanistan et/ou la porosité des frontières avec ce dernier, les quatre républiques les plus méridionales d’Asie centrale tiennent une place géopolitique stratégique aussi bien pendant l’intervention occidentale contre les talibans (base aérienne de Manas au Kirghizistan notamment) que dans la perspective du futur retrait des forces américaines et de l’OTAN d’ici fin 2014.
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DROITS DE L'HOMME |
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droits de l'homme
Consulter aussi dans le dictionnaire : droit
Cet article fait partie du dossier consacré aux droits de l'homme et du dossier consacré à la Révolution française.
LE CONCEPT DE « DROITS NATURELS »
Les droits de l'homme, et les libertés dont ils s'accompagnent, sont ceux dont tout individu doit jouir du fait même de sa nature humaine. C'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui marque l'avènement théorique d'un État de droit dotant l'individu du pouvoir de résistance à l'arbitraire et lui reconnaissant des droits naturels, dits fondamentaux. La notion de « déclaration des droits » découle de deux idées : celle de l'existence de droits individuels et celle de la nécessaire affirmation de ces droits par une autorité légitime, en l'occurrence le pouvoir constituant en 1789, c'est-à-dire l'État. Matrice de la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par les Nations unies en 1948, le texte de 1789 est l'aboutissement d'une réflexion qui a commencé avec la Grande Charte d'Angleterre de 1215 et qui passe par l'institution de l'habeas corpus en 1679.
→ charte.
Il appartient à l'État de droit de respecter les libertés fondamentales de l'individu, que le concept de « libertés publiques » traduit en termes constitutionnels. La persistance de nombreux cas de violations des droits de l'homme dans l'histoire contemporaine impose de garantir leur protection à l'échelon international. Non seulement celle-ci suppose l'existence de mécanismes juridiques autorisant des organes internationaux à exercer un contrôle sur l'application des normes relatives aux droits de l'homme, mais encore l'action d'organisations indépendantes des États, qui se révèlent aussi de la première importance.
TROIS SIÈCLES D'HISTOIRE DES DROITS DE L'HOMME
Ce sont les philosophes du xviiieme siécle
, parmi lesquels Jean-Jacques Rousseau, qui élaborent le concept de « droits naturels », droits propres aux êtres humains et inaliénables, quels que soient leur pays, leur race, leur religion ou leur moralité. La révolution américaine de 1776, puis la révolution française de 1789 marquent la reconnaissance et la formulation explicite de ces droits.
Dès 1689, en Angleterre, a été proclamé le Bill of Rights. Les colons établis en Amérique en retournent les principes contre leur roi. La Déclaration d'indépendance américaine, le 4 juillet 1776, affirme la primauté des droits et libertés. Au cours de la décennie suivante, par l'entremise du marquis de La Fayette et de Thomas Jefferson, elle éclaire les révolutionnaires français, notamment sur la notion de souveraineté du peuple.
Les dix-sept articles de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont discutés et votés entre le 20 et le 26 août 1789, alors que l'Assemblée constituante est en conflit avec le roi. Destinée à préparer la rédaction de la première Constitution écrite française, en la fondant sur l'énonciation des principes philosophiques qui doivent former la base de la société, elle proclame les droits « naturels et imprescriptibles » de l'homme, c'est-à-dire ceux que chacun doit exercer par le fait qu'il est homme et sans distinction de naissance, de nation ou de couleur. Après une définition générale de la notion de liberté, la Déclaration précise un certain nombre de libertés particulières : liberté de conscience et d'opinion, liberté de pensée et d'expression, droit à la propriété. L'égalité est la deuxième grande notion de la Déclaration : égalité des droits, égalité devant la loi et la justice, égalité devant l'impôt, égale admissibilité aux emplois publics. L'État nouveau, édifié sur le principe de la séparation des pouvoirs et sur la notion de souveraineté du peuple, devient le garant des droits.
Au xixe s., la Déclaration de 1789 inspire le mouvement politique et social en Europe et en Amérique latine. Avec l'industrialisation grandissante, l'essor du pouvoir capitaliste et financier, la revendication des droits s'enrichit en effet de la notion de droits sociaux, et particulièrement de droit au travail, sous l'influence du socialisme à la française, puis du socialisme marxiste. Mais les génocides, l'esclavage, qui ne sera aboli que lentement et inégalement, le colonialisme, le travail des enfants, la sujétion des femmes, dont l'émancipation – quand elle aura lieu – sera tardive, sont autant d'obstacles historiques sur la voie d'une reconnaissance pleine et entière des droits de l'homme. La France et les États-Unis eux-mêmes rechigneront souvent à montrer l'exemple, malgré la création d'associations philanthropiques et la lutte pour la prise en compte des droits sociaux (droit de grève, amélioration des conditions de travail, réduction du temps de travail).
Selon l'article 55 de la Charte des Nations unies de 1945, l'O.N.U. doit favoriser le respect universel et effectif des droits de l'homme avec le concours des États membres. Mais la politique des blocs, l'un sous influence américaine, l'autre sous influence soviétique, perturbe pendant plusieurs décennies les débats. Tandis que les Américains insistent sur la notion de droits politiques, les démocraties libérales d'Europe défendent celle de droits sociaux. Compte tenu des deux options, les Nations unies tentent de réaliser leur mission à travers l'action de la Commission des droits de l'homme, créée en 1946. Ceux-ci deviennent une valeur internationalisée en 1948. Il est reconnu que l'homme détient un ensemble de droits opposables aux autres individus, aux groupes sociaux et aux États souverains. Les droits de l’homme sont par la suite étendus à l’enfant : le 20 novembre 1989, les Nations unies adoptent la Convention des droits de l'enfant, afin de protéger l'enfance de la famine, de la maladie, du travail, de la prostitution et de la guerre.
→ droits de l'enfant.
LES DROITS DE L'HOMME FACE AU PRINCIPE DE SOUVERAINETÉ
Le principe des droits humains, tout comme la notion de paix, fait partie de ces thèmes a priori consensuels et irréfutables sous peine de placer le réfractaire en marge de la communauté internationale. L'humanité entière est révulsée par la barbarie, et un régime criminel ne peut, moralement, asseoir sa légitimité sur la seule souveraineté de l'État.
Les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg (1945) et de Tokyo (1946) ont manifesté la valeur de ce raisonnement. Dès 1950, l'Assemblée générale des Nations unies a créé un comité chargé de rédiger le projet de statut d'une juridiction pénale internationale permanente. Mais la guerre froide a eu raison de ces vœux pieux. Le fait que ce projet n'ait pris forme qu'en 1998 témoigne – de même que ses limites – de la résistance opiniâtre des États : aucun d'eux ne cherche spontanément à promouvoir une justice supranationale à laquelle il serait soumis et devant laquelle des citoyens, nationaux ou étrangers, pourraient le traduire. C'est la même attitude qui a freiné les progrès de l'arbitrage international depuis les conférences de la Paix de 1899 et 1907, et limité, malgré deux guerres mondiales, les prérogatives de la Société des Nations puis de l'O.N.U. En réalité, l'opinion publique, alertée par les médias et les organisations non gouvernementales, est un acteur extrêmement important de ces évolutions. C'est à elle qu'il revient de dénoncer les abus de pouvoir, en l'occurrence les crimes commis par les dictateurs, l'altération du principe d'égalité, la négation des droits sociaux, ou encore la corruption des élites dirigeantes. Mais la seule sanction morale ne suffit pas à faire reculer les États coupables. La Déclaration universelle des droits de l'homme exige, par conséquent, pour ne pas être qu'un leurre, que la communauté internationale soit dotée de juridictions qui permettent de se saisir des cas de violation de ces droits.
Voir les articles justice internationale : TPIR, TPIY.
LES INSTITUTIONS AU SERVICE DES DROITS DE L'HOMME
LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DE L'O.N.U.
Créée en 1946, la Commission se réunit pour la première fois en 1947 pour élaborer la Déclaration universelle des droits de l'homme. Rédigée en un an, celle-ci est adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. Depuis lors, la date du 10 décembre est célébrée tous les ans en qualité de « Journée des droits de l'homme ».
Jusqu'en 1966, les efforts de la Commission sont essentiellement de nature normative, attendu que, dans une déclaration de 1947, elle estime « n'être habilitée à prendre aucune mesure au sujet de réclamations relatives aux droits de l'homme ». Ses travaux aboutissent, en 1966, à l'adoption par l'Assemblée générale des Nations unies du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ; ces deux pactes forment, avec la Déclaration universelle, la Charte internationale des droits de l'homme.
En 1967, le Conseil économique et social autorise la Commission à traiter des violations des droits de l'homme. Aussi met-elle au point des mécanismes et procédures afin de vérifier le respect par les États du droit international relatif aux droits de l'homme et de constater les violations présumées de ces droits par l'envoi de missions d'enquête. En outre, la Commission met de plus en plus l'accent sur la promotion des droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit au développement et le droit à un niveau de vie convenable. Elle s'intéresse de près, comme le démontre la Déclaration de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme tenue à Vienne en 1993, à la protection des droits des groupes sociaux vulnérables, des minorités et des peuples autochtones, ainsi qu'à la promotion des droits de l'enfant et des femmes. La démocratie et le développement sont considérés comme deux facteurs nécessaires à l'épanouissement des droits de l'homme.
Décrédibilisée par la présence en son sein de pays critiqués pour leurs propres atteintes aux droits de l’homme, elle est dissoute en 2006, et remplacée par le Conseil des droits de l’homme. Cet organe subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations unies est notamment chargé d’effectuer un examen périodique de tous les pays au regard des droits de l'homme, et de formuler aux États concernés des recommandations.
LA CONVENTION EUROPÉENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTÉS FONDAMENTALES
Établie par le Conseil de l'Europe en 1950 et entrée en vigueur en 1953, la Convention européenne se situe dans la continuité de la Déclaration universelle de 1948. Chaque État qui adhère au Conseil de l'Europe est tenu de la signer et de la ratifier dans un délai d'un an. Les États signataires s'engagent alors à reconnaître à toute personne relevant de leur juridiction certains droits civils et politiques et certaines libertés définis dans la Convention. Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, un individu qui s'estime lésé dans ses droits peut entamer des procédures à l'encontre de l'État contractant qu'il tient pour responsable. Un État contractant peut également intenter une procédure contre un autre État contractant : c'est ce que l'on appelle une requête interétatique.
Le fait que des États souverains acceptent qu'une juridiction supranationale remette en cause les décisions de juridictions internes et qu'ils s'engagent à exécuter ses jugements a représenté une étape historique dans le développement du droit international. La théorie selon laquelle les droits de l'homme ont un caractère fondamental les plaçant au-dessus des législations et des pratiques nationales a été appliquée. Cela revient à reconnaître qu'il ne faut pas laisser un État décider lui-même de l'application des droits de l'homme et des libertés fondamentales en fonction de considérations politiques nationales.
La Convention a instauré une Cour européenne des droits de l'homme, chargée d'examiner les requêtes individuelles et interétatiques. Les juges de la Cour, totalement indépendants, sont élus par le Parlement européen. Le Conseil des ministres surveille l'exécution des arrêts de la Cour. Le droit de recours individuel est automatique, ainsi que la saisine de la Cour dans le cadre des requêtes individuelles et interétatiques.
LES GRANDES ÉTAPES INSTITUTIONNELLES DE LA DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME
1215 : la Grande Charte d'Angleterre (Magna Carta) énumère, après les excès de Jean sans Terre, un certain nombre de dispositions tendant à protéger l'individu contre l'arbitraire royal en matière de taxes ou de spoliation de biens, et assure à chaque sujet un procès équitable dans le cadre de l'égalité de traitement devant la loi.
1679 : l'habeas corpus, en Angleterre, garantit le respect de la personne humaine et la protège d'arrestations et de sanctions arbitraires. Le roi est ainsi privé du pouvoir de faire emprisonner qui il veut selon son bon plaisir.
1689 : la Déclaration des droits (Bill of Rights), adoptée par la Chambre des lords et la Chambre des communes, réduit le pouvoir royal en Angleterre, en proclamant notamment la liberté de parole au sein du Parlement et le droit pour les sujets d'adresser des pétitions au monarque.
4 juillet 1776 : la Déclaration d'indépendance américaine, rédigée par Thomas Jefferson, Benjamin Franklin et John Adams, et inspirée de la philosophie des Lumières, est signée à Philadelphie par les délégués des treize colonies et promulgue un contrat social fondé sur l'indépendance, l'égalité, la liberté et la recherche du bonheur (« We hold these truths to be self-evident; that all men are created equal, that they are endowed by their creator with certain unalienable rights, that among these are life, liberty and the pursuit of happiness »).
26 août 1789 : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, destinée à devenir l'archétype des déclarations ultérieures, est adoptée par l'Assemblée constituante.
3 septembre 1791 : la première Constitution écrite française garantit pour chacun « des droits naturels et civils ».
26 juin 1945 : la Charte des Nations unies, signée à San Francisco, internationalise le concept de droits de l'homme.
10 décembre 1948 : la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'O.N.U. est la première référence aux libertés fondamentales communes à tous les peuples de la Terre. Aux obligations morales liées à l'universalité du message s'ajoutent, pour les pays signataires, de réelles obligations juridiques qui sont censées instituer autant de garanties pour les peuples concernés.
4 novembre 1950 : la Convention européenne des droits de l'homme est signée à Rome sous l'égide du Conseil de l'Europe ; elle entre en vigueur en 1953.
1er août 1975 : l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (C.S.C.E.), signé à Helsinki, fait figurer le « respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales » parmi les principes de base qui régissent les relations mutuelles des 35 États participants.
LES ORGANISMES DE DÉFENSE DES DROITS DE L'HOMME
LA LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
La Ligue est le plus ancien organisme de défense des droits et des libertés. Elle est fondée, en février 1898, par l'ancien ministre de la Justice Ludovic Trarieux et quelques amis, à l'occasion du procès intenté à Émile Zola qui venait de faire paraître dans le journal l'Aurore son célèbre réquisitoire « J'accuse ». Après l'affaire Dreyfus, la Ligue poursuit son engagement en prenant position sur les grands débats contemporains. Ainsi, en 1905, elle se déclare en faveur de la séparation des Églises et de l'État ; en 1909, son président réclame le droit de vote pour les femmes et leur éligibilité à la Chambre et au Sénat. La Ligue suit de près l'évolution de la vie politique et, en 1935, c'est à son siège qu'est signé le programme du Front populaire par les socialistes, les radicaux et les communistes.
En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies, reprend largement le projet du représentant français René Cassin, membre de la Ligue des droits de l'homme. Par la suite, celle-ci joue un rôle dans les protestations contre l'utilisation de la torture lors de la guerre d'Algérie, dans les revendications étudiantes de mai 1968, dans les actions qui amènent, en 1973, la modification de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, ou encore en faveur de l.’abolition de la peine de mort. Plus récemment, elle s’est engagée dans les années 1990 contre la montée du racisme, et pour l’extension des droits des étrangers, ainsi que pour la régularisation des sans-papiers.
LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES LIGUES DES DROITS DE L'HOMME (F.I.D.H.)
Fondée en 1922, la Fédération est la plus ancienne organisation de défense des droits de l'homme au plan international. Elle a son siège en France. Organisation non gouvernementale reconnue d'utilité publique, elle se déclare également apolitique, non confessionnelle et non lucrative. Elle se voue à la promotion de la Déclaration universelle des droits de l'homme en informant l'opinion publique et les organisations internationales par le biais de lettres, de communiqués et de conférences de presse. Comme Amnesty International, la F.I.D.H. bénéficie du statut d'observateur auprès des instances internationales (Nations unies, Unesco, Conseil de l'Europe, Commission africaine des droits de l'homme).
AMNESTY INTERNATIONAL
C'est en 1961, à l'initiative de Peter Benenson (1921-2005), avocat britannique, qu'un groupe d'avocats, de journalistes, d'écrivains, choqués par la condamnation de deux étudiants portugais à vingt ans de prison pour avoir porté un toast à la liberté dans un bar, lance un appel pour l'amnistie (Appeal for Amnesty). L'acte de naissance officiel du mouvement Amnesty International peut être daté du 28 mai 1961, lorsque le supplément dominical du London Observer relate l'histoire de six personnes incarcérées pour « raisons de conscience » – parce qu'elles ont exprimé leurs croyances religieuses ou politiques – et exhorte les gouvernements à relâcher de tels prisonniers. Amnesty International, organisation indépendante à caractère non gouvernemental, mène depuis lors une action vigoureuse de défense des droits de l'homme, à l'adresse des gouvernements qu'elle fustige dans son rapport annuel et de l'opinion publique internationale. Au cours des années 1970, Amnesty International s'est vu confier le statut d'observateur pour le compte des Nations unies. En 1977, son action a été récompensée par le prix Nobel de la paix, titre qui n'impressionne pas forcément tous les gouvernements.
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FASCISME |
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fascisme
(italien fascismo, de fascio, faisceau)
Consulter aussi dans le dictionnaire : fascisme
Cet article fait partie du dossier consacré au totalitarisme.
Régime établi en Italie de 1922 à 1945, instauré par Mussolini et fondé sur la dictature du parti unique, l'exaltation nationaliste et le corporatisme. Doctrine ou tendance visant à installer un régime autoritaire rappelant le fascisme italien.
1. LES ORIGINES DU FASCISME ITALIEN
On ne saurait comprendre l'émergence du fascisme sans un rappel des déséquilibres et dysfonctionnements de l'Italie issue du Risorgimento.
1.1. L'UNITÉ INACHEVÉE DE L'ITALIE
L'État national italien s'est établi tardivement. Il faut attendre la décennie 1860-1870 pour que se constitue en 1861 autour du Piémont-Sardaigne le royaume d'Italie (→ histoire de l'Italie). L'annexion de Rome – source d'un contentieux avec la papauté – est accomplie seulement à l'automne 1870. Réalisée par le haut, la Renaissance nationale (→ Risorgimento) n'a pas permis d'intégrer les masses populaires.
Qui plus est, jusqu'à l'introduction du suffrage universel masculin en 1912, le système politique (régi par la Constitution de 1848 [lo Statuto]), est dominé par les élites traditionnelles grâce à l'instauration d'un régime censitaire. À la veille de la Première Guerre mondiale, l'Italie souffre d'un décalage croissant entre le pays légal et le pays réel.
Le refus des catholiques de participer aux élections, l'absence de véritables partis politiques, le recours permanent à la combinazione pour dégager des majorités, les méfaits du clientélisme concourent à ruiner la légitimité de l'édifice politique.
Ces difficultés se renforcent de l’inégalité du développement économique entre le Nord industrialisé (Gênes, Milan, Turin) et un Sud (Mezzogiorno) à vocation agricole.
L'habileté de Benito Mussolini, l'agitateur socialiste qui va devenir le principal promoteur du fascisme, est précisément de tirer parti de ces difficultés au moment où se dessinent les contours d'une crise d'identité nationale.
Le terme de faisceaux, qui renvoie à l'Antiquité romaine, apparaît d'ailleurs pour la première fois en Italie à propos du soulèvement des paysans de Sicile qui, en 1893-1894, forment des « faisceaux » de grévistes révoltés contre les conditions de travail inhumaines dans une province laissée pratiquement à l'abandon par le gouvernement de Rome. Ce mouvement rencontre de nombreuses sympathies dans toutes les classes sociales et contribue au développement de l'idéologie socialiste, qui ne cesse de progresser, spécialement dans la vallée du Pô, durant les vingt années séparant cet épisode révolutionnaire de la Première Guerre mondiale.
1.2. LA POUSSÉE ULTRA-NATIONALISTE
En 1914, il existe dans le pays une minorité composite formée de nationalistes bourgeois et de jeunes prolétaires anarcho-syndicalistes qui espèrent trouver dans la guerre le moyen de secouer l'immobilisme d'un régime aux mains du monde conservateur.
Bien que suscitée par des mobiles contradictoires, leur propagande retient vite par sa violence l'attention de Mussolini, qui y discerne pour lui-même l'occasion de s'élever politiquement sans que, toutefois, le but ultime de cette ascension – la conquête du pouvoir – lui apparaisse encore.
Peu à peu se dégage ainsi un courant idéologique influencé tout à la fois par le syndicalisme antiparlementaire notamment représenté par Hubert Lagardelle, le thème de la régénération par la violence de Georges Sorel, le nationalisme de Charles Maurras et celui de Gabriele D'Annunzio.
1.3. MUSSOLINI, L'ENTRÉE EN JEU D'UN OBSCUR MILITANT
Au printemps de 1914, l'ex-instituteur Benito Mussolini acquiert une première célébrité durant la « semaine rouge » qui bouleverse la vie des provinces limitrophes de l'Adriatique. Il dirige alors le principal quotidien socialiste, Avanti !, qui paraît à Milan ; lorsque la guerre éclate, il y exprime le refus radical des socialistes italiens de participer à la guerre dans laquelle s'engagent les grandes puissances.
Soudain, en octobre 1914, après avoir noué des contacts dans les milieux qui sympathisaient avec la cause alliée, Mussolini abandonne la direction d'Avanti ! ainsi que le parti socialiste pour fonder en novembre un quotidien rival, Il Popolo d'Italia, qui va soutenir une politique diamétralement opposée à celle de ses anciens amis. Il prône la nécessité, pour la grandeur de l'Italie et le triomphe d'une révolution constructive, de rompre l'alliance avec les Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) et de participer à la guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne, ce qui va finalement se produire en mars 1915 (→ Première Guerre mondiale).
1.4. LA « VICTOIRE MUTILÉE » ISSUE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE
En 1918, l'Italie sort victorieuse mais déçue dans ses espoirs d'expansion et profondément troublée à l'intérieur.
Le succès de la révolution russe de 1917 y a fortifié les positions du parti socialiste, demeuré foncièrement hostile à la participation de l'Italie à un règlement de comptes international, qui, en somme, ne la concernait pas directement. La classe ouvrière le fait durement sentir aux officiers, insultés, et parfois brutalisés dans les rues, tandis que les syndicats, les maisons du peuple et les coopératives socialistes prennent un essor considérable.
Ces violences et ces succès de l'idéologie révolutionnaire ne tardent pas à susciter l'inquiétude des milieux bourgeois, surtout des propriétaires fonciers de la vallée du Pô, auxquels les grèves endémiques des travailleurs agricoles causent des pertes croissantes.
1.5. LES FAISCEAUX DE COMBAT
Dès le 23 mars 1919, à l'appel de Mussolini, une organisation groupant, sous le nom de Faisceaux de combat (dont l’uniforme est la Chemise noire), les éléments qui ont favorisé l'intervention italienne dans la guerre, auxquels se sont joints nombre d'officiers et de soldats démobilisés, se constitue place San Sepolcro, à Milan, et esquisse un programme d'action politique et sociale.
Ce programme dit de San Sepolcro, sans grande portée, mêle des revendications traditionnelles – telles que la journée de huit heures, le salaire minimum garanti ou la représentation proportionnelle aux élections – à des résurgences anticléricales et antimilitaristes d'un autre âge.
2. LA MONTÉE DU FASCISME EN ITALIE
2.1. DES DÉBUTS MODESTES (1919-1920)
Le mouvement fasciste est né, mais il n'a pas encore trouvé sa voie. Mussolini s'en rend compte lorsque, en novembre, ayant rompu avec une coalition électorale disparate et tenté sa chance seul à Milan, il n'obtient que 5 000 voix sur 270 000 votants, alors qu'il en escomptait 80 000. Ses amis socialistes d'autrefois remportent au contraire un éclatant succès (170 000 voix), mais l'heure de la revanche ne tardera pas.
Quand, en septembre 1920, les grèves s'étendent des services publics aux industries métallurgiques et à l'occupation des usines de Milan et de Turin – avec mort d'hommes – s'amorce en effet un choc en retour ; il ne cessera plus de s'amplifier et donnera au fascisme sa physionomie définitive de mouvement d'extrême droite.
Dans la typologie des fascismes établie par l'historien Pierre Milza (les Fascismes, 1985), cette agitation plébéienne et contestataire correspond au « premier fascisme ».
2.2. L'ESSOR DU FASCISME (1920-1922)
LA VIOLENCE COMME MOYEN D'AFFIRMATION
Les fils de propriétaires terriens, de membres des professions libérales, voire de commerçants et d'artisans s'organisent en escouades (squadre) de Chemises noires pour exercer des « expéditions punitives » ; l'argent leur est prodigué par les possédants, et l'armée leur accorde un soutien moral et souvent même des moyens de transport. Ils tombent à l'improviste dans un village, un bourg, une petite ville, mettent à sac ou incendient les lieux de réunion et les coopératives socialistes, en chassent et parfois tuent les occupants, puis regagnent les grands centres sans être poursuivis.
La terreur est telle dans la basse vallée du Pô que les paysans, épouvantés, désertent en grand nombre les ligues socialistes et s'inscrivent dans des orgnisations rivales que les fascistes font surgir pour regrouper, selon de nouvelles directives de type « paternaliste », ceux qui veulent bien les accepter.
L'ENTRÉE DES FASCISTES AU PARLEMENT (MAI-JUIN 1921)
Mal soutenu par l'opinion publique, le gouvernement réagit mollement. Le vieux libéral Giovanni Giolitti, redevenu chef du gouvernement en juin 1920, espère neutraliser les jeunes forces fascistes dans les combinaisons parlementaires traditionnelles ; pour cela, il favorise leur insertion dans la majorité qu'il escompte obtenir, après dissolution de la Chambre « ingouvernable » de 1919, à la faveur de nouvelles élections en mai 1921. Mais, cette fois, ses calculs s'avèrent illusoires.
Vingt-cinq profascistes et deux fascistes inscrits au « bloc national » sont élus grâce aux complaisances des autorités, et au premier rang, triomphalement, Mussolini à Bologne et à Milan avec 125 000 voix plus conservatrices qu'ouvrières. Dans le même temps de juillet 1920 à novembre 1921, le nombre des Faisceaux constitués à travers le pays passe de 108 à 2 300.
Si le chef du mouvement siège à l'extrême droite, son premier discours, le 21 juin 1921, attendu avec impatience, surprend par sa modération. En politique extérieure, Mussolini demeure attaché aux thèses nationalistes, et par conséquent hostile au traité de Rapallo conclu avec la Yougoslavie le 12 novembre 1920 par lequel l'Italie a renoncé à la Dalmatie pourtant revendiquée par les irrédentistes.
En revanche, il tend la main à la Confédération générale du travail, dans laquelle il feint de discerner un réformisme constructif opposé aux maximalistes du groupe parlementaire socialiste et au jeune parti communiste constitué en janvier à Livourne.
Surtout, Mussolini se montre plein de déférence envers l'Église catholique. Au Vatican, nombre d'esprits s'ouvrent à l'espoir de mettre fin, avec un « homme sans préjugés » comme Mussolini, à l'insoluble « question romaine » d'une papauté tournant le dos à l'État italien.
LA PREMIÈRE CRISE DU FASCISME (JUIN-NOVEMBRE 1921)
Mussolini s'efforce alors de convaincre ses amis de l'utilité d'un apaisement à l'intérieur et formule des offres de collaboration entre « les trois forces agissantes à l'heure présente dans la vie du pays » (socialistes modérés, démocrates-chrétiens du parti populaire italien et fascistes).
Mais ses partisans voient bien que leur leader songe avant tout à son triomphe personnel. Or, que serait-il sans eux ? pensent beaucoup de jeunes bourgeois activistes. Ils se refusent, dès lors, à jouer le rôle d'« utilisés » dans le mouvement et le font durement comprendre à Mussolini, principalement Dino Grandi, avocat de Bologne, dans son journal L'Assalto et lors d'un congrès de dirigeants provinciaux tenu dans cette ville le 17 août. Mussolini y est mis en minorité et doit s'incliner, renonçant à l'idée du pacte de pacification avec socialistes et démocrates-chrétiens.
NAISSANCE DU PARTI NATIONAL FASCISTE (NOVEMBRE 1921)
L'année 1921 se termine par un congrès national du fascisme en novembre à Rome, qui voit la transformation des Faisceaux de combat en un parti national fasciste et consolide son alliance avec le grand capital – alliance soudée par la renonciation totale aux nationalisations envisagées dans le programme initial de 1919.
Cet accord avec les milieux d'affaires correspond au « deuxième fascisme » dans la typologie de Pierre Milza.
Enfin, Mussolini est triomphalement réélu à la tête de la commission exécutive des Faisceaux.
2.3. LA CONQUÊTE DU POUVOIR
L'IMPUISSANCE DU RÉGIME PARLEMENTAIRE
Dès lors, le ministère Bonomi, qui a succédé à Giolitti le 1er juillet, s'efforce de résister au désordre, mais il se heurte à une recrudescence de la violence fasciste, qui brave ouvertement les autorités préfectorales ou municipales. Un projet de dissolution des escouades de combat est abandonné par le gouvernement, qui n'aurait pu le réaliser qu'au prix d'une guerre civile, le concours de l'armée régulière ne lui étant même pas assuré. Bonomi est finalement renversé par une coalition des socialistes, indignés de sa faiblesse, des fascistes, qui se jugent persécutés, et d'une partie des partisans de Giolitti, désireux de ramener leur chef au pouvoir.
Il s'ensuit une crise de deux mois (février-mars 1922), qui aboutit au pire résultat : un cabinet dirigé par un médiocre lieutenant de Giolitti, Luigi Facta, le recours au vieux leader ayant été écarté par le secrétaire général du parti populaire, don Luigi Sturzo, qui espérait placer l'un des siens à la présidence du Conseil.
Désormais, rien ne peut plus s'opposer à la vague fasciste, qui s'oppose à l'agitation sociale, de gauche, brisant par la force grèves et occupations d'usines.
MUSSOLINI PRÉSIDENT DU CONSEIL (OCTOBRE 1922)
Comme rien ne semble plus pouvoir fonctionner dans le pays sans l'aval du parti fasciste, pourquoi celui-ci reculerait-il devant la prise du pouvoir ?
Lorsque Luigi Facta se décide, trop tard, à une mesure de défense contre la prédominance fasciste en instituant à Rome l'état de siège, le roi refuse de signer le décret, et le ministère est contraint à la démission (28 octobre 1922). Ce sont les conseillers nationalistes du souverain eux-mêmes (Diaz, Federzoni) qui lui suggèrent de faire appel à Mussolini, dont les prétentions ont augmenté dans l'intervalle et qui refuse désormais de partager le pouvoir avec les vieux parlementaires.
Le 29 octobre, le roi invite Mussolini à venir le trouver de Milan pour y former le gouvernement.
LA MARCHE SUR ROME
Lancée de tous les coins d'Italie, la « marche sur Rome », que ses amis ont voulu organiser comme une démonstration de puissance, n'a plus vraiment de raison d'être. Elle se bornera dans l'après-midi du 29 octobre à une parade de quelques milliers de Chemises noires à travers les rues de la ville, en écho à celle, tout aussi spectaculaire qui avait eu lieu à Naples le 24 octobre, comme pour rendre tangible l'omniprésence du fascisme au nord et au sud de la péninsule. Le parti mussolinien compte alors plus de 400 000 membres (mais moins de 30 000 Chemises noires).
3. LA MARCHE À LA DICTATURE (1922-1926)
3.1. LES PREMIÈRES BASES DE LA DICTATURE (1922-1924)
LA FAUSSE NORMALISATION
La composition du gouvernement formé par Mussolini est le fruit d'un dosage destiné à lui rallier le maximum de suffrages. Sur treize ministres, le cabinet ne compte, en effet, que trois fascistes. À leurs côtés, on trouve quatre libéraux de diverses tendances, deux démocrates-chrétiens, un nationaliste, deux anciens chefs d'état-major de l'armée et de la marine, enfin un philosophe célèbre, Giovanni Gentile, lui-même théoricien du fascisme, au ministère de l'Instruction publique.
Mussolini est vu par les conservateurs comme l'homme du retour à l'ordre dans le pays. Au cours de cette première période, caractérisée par une reprise économique orchestrée dans un cadre libéral par le ministre des Finances De Stefani, les conservateurs obtiennent même, avec l'appui bienveillant de l'armée et de la monarchie, la mise au pas du mouvement fasciste.
Mussolini procède à la dissolution des squadre, connus pour leur violence envers les opposants, et à leur intégration dans la Milice volontaire de la sécurité nationale (MVSN) en janvier 1923. Le mouvement fasciste perd ainsi une grande partie de son autonomie.
L'INCOMPLÈTE MISE AU PAS DES OPPOSITIONS
En prenant contact avec la Chambre, celui qui n'est pas encore le Duce (le chef, le Guide) y tient pourtant un langage de dictateur, propre à effrayer plutôt qu'à convaincre, mais habilement dosé, cependant, de manière à inspirer la confiance qui, d'ailleurs, lui sera très largement accordée.
Dès 1923, l'aile droite des démocrates-chrétiens se sépare de don Sturzo, intransigeant dans son opposition à Mussolini comme à Giolitti ; elle servira de caution lors de la signature des accords du Latran avec le Vatican en 1929. Les socialistes subissent le discrédit qui accompagne toute défaite.
Les libéraux acceptent une réforme électorale, la loi Acerbo (novembre 1923), qui décapite d'avance toute opposition en accordant les deux tiers des sièges d'une circonsription à la liste électorale y disposant d'au moins 25 % des voix. Les élections du 6 avril 1924 donnent lieu à sa première application. Mais si elles assurent, comme prévu, une large majorité aux fascistes et à leurs alliés, 3 millions de suffrages vont encore aux listes minoritaires contre 4,5 millions à la liste nationale. Tous les partis d'opposition conservent leurs représentants les plus en vue, et les communistes gagnent même 5 sièges, passant de 13 à 18 élus.
3.2. L'AFFAIRE MATTEOTI (MAI 1924-JANVIER 1925)
Dès la rentrée du Parlement, le 24 mai, le secrétaire du groupe socialiste, Giacomo Matteotti, démontre, dans un discours d'une extraordinaire vigueur, pourquoi cette victoire est en réalité une défaite pour le fascisme dont il souligne l'impopularité foncière dans le pays. Ce discours exaspère les fascistes, et, le 10 juin, Matteotti est enlevé en pleine rue par cinq miliciens, assassiné et enterré dans un coin désert de la campagne romaine, où son cadavre ne sera découvert que le 16 août. Ce meurtre, incontestablement fomenté par des hauts cadres du fascisme, remue profondément l'opinion publique et déconcerte Mussolini, qui niera toujours l'avoir ordonné et fera démissionner d'office les deux membres de son entourage qu'il juge les plus compromis dans l'affaire.
Le ministère de l'Intérieur passe au nationaliste Luigi Federzoni. Mais la campagne d'opinion se poursuit dans la presse d'opposition. Elle est animée notamment par le quotidien démocrate-chrétien Il Popolo, dirigé par Giuseppe Donati, par le plus important organe de portée internationale, Il Corriere della Sera, dont le propriétaire, Luigi Albertini, mène au Sénat, avec le comte Sforza, la lutte contre le gouvernement, et enfin par le journal démocrate Il Mondo, de l'ancien ministre Giovanni Amendola.
À la fin de 1924, la situation de Mussolini paraît intenable, et on attend du roi qu'il réclame sa démission. Des personnalités monarchistes ont communiqué au souverain l'accablant mémoire de Cesare Rossi, l'un des deux hommes choisis comme boucs émissaires au début de l'affaire : la crainte de désordres plus grands encore retient Victor-Emmanuel III d'intervenir. Mussolini joue alors sa dernière carte et l'emporte.
3.3. LA MISE EN PLACE DE LA DICTATURE DE MUSSOLINI (1925-1926)
Cette carte est le discours qu'il prononce le 3 janvier 1925 devant la Chambre et au cours duquel il revendique cyniquement la responsabilité morale de l'assassinat de Matteotti et annonce le début du régime dictatorial sans limitation d'aucune sorte. Jusqu'alors, la liberté de la presse était quasi totale ; l'opposition de gauche avait pu se « retirer sur l'Aventin » – et déserter la salle des séances pour bien marquer qu'elle ne voulait même pas cautionner le fascisme par sa présence. Tout bascule le 3 janvier.
Les partis autres que le fasciste et le libéral collaborationniste sont dissous. La presse est muselée et les feuilles d'opposition ouverte disparaissent. Luigi Sturzo, Sforza, Nitti, Ignazio Silone, Giovanni Amendola, Donati et tous les leaders socialistes sont contraints à l'exil ; le « Lénine italien », Antonio Gramsci, est emprisonné à vie ; même la timide réaction des cercles d'action catholique est brisée. Les ministres, interchangeables à la guise du président du Conseil, sont tous désormais des fascistes de stricte obédience. Aux fonctionnaires et aux journalistes est imposé un serment de fidélité, faute duquel ils doivent quitter leur emploi.
Dans la typologie établie par Pierre Milza, cette instauration de l'ordre correspond au « troisième fascisme ».
4. L'ÉTAT FASCISTE (1926-1945)
4.1. LES SUCCÈS INTÉRIEURS DU RÉGIME
LE CULTE DU CHEF
La période qui s’étend de 1929 à 1936 est celle du consentement apporté au régime par la population. Mussolini élargit sa légitimité et parvient à dégager son autonomie aux dépens de l'ancienne classe dirigeante (notamment avec la bataille pour la réévaluation de la lire en 1926-1927) comme du mouvement fasciste.
Cette légitimité nouvelle est due au renforcement du charisme du Duce, qui entend mobiliser les masses au moyen de cultes et de mythes afin de promouvoir une nouvelle religion laïque d'essence nationale. Dans cette symbolique politique, le Duce est la pièce maîtresse ; son culte se développe à la fin des années 1920, en étroite liaison avec le mythe d'une Italie nouvelle en construction.
Dans ce domaine, les batailles engagées par le régime, comme la bonification de l'Agro Pontino (les marais Pontins), ou les campagnes contre la Grande Dépression de 1929 avec la fondation de l'Institut de la reconstruction industrielle (IRI) en 1933, signalent la volonté de mobiliser et d'intégrer les masses.
FORGER L'HOMME NOUVEAU
Mais le fascisme ne ne recherche pas le soutien populaire à tout prix. Son ambition est en fait de transformer l'homme et, par conséquent, de créer des générations fascistes. La crise de 1931 avec le Saint-Siège à propos de l'Action catholique, la prise de contrôle de l'école, de la vie intellectuelle et des syndicats, la transformation du parti national fasciste (PNF) en une machine totalitaire répondent à ce vaste plan.
Le scoutisme a été interdit et toute la jeunesse italienne est embrigadée, dès l'âge de 6 ans, dans des formations de type paramilitaire. On l'y élève dans le culte du Duce et de l'Italie, en exaltant les valeurs de l'héroïsme guerrier, de l'obéissance, de l'abnégation, de la camaraderie. La devise des jeunes fascistes est : « Croire, obéir, combattre. » De 6 à 8 ans, les jeunes garçons sont enrôlés dans les Enfants de la louve, de 8 à 14 ans dans les Balilla, de 14 à 18 ans dans les Avanguardisti, de 18 à 21 ans dans les Jeunesses italiennes, où ils sont formés à devenir de véritables soldats. Les Jeunesses italiennes sont l'espoir du régime fasciste, qui compte ainsi renouveler ses cadres et se maintenir éternellement au pouvoir. Dans les écoles, les élèves sont éduqués dans le sens voulu par le parti, lequel contrôle, en outre, les loisirs de toute la population à travers ses organisations de dopolavoro (« après le travail »). En raison de l'intensité de la mobilisation, le régime jouit d'une popularité indéniable, en particulier auprès des paysans et des ouvriers.
L'ILLUSION DES DÉMOCRATIES OCCIDENTALES
Indifférents à cette soudaine mutation, en saisissant mal la portée, les hommes d'État occidentaux, qui s'étaient effrayés, dans les années 1920-1922, du glissement apparent de l'Italie vers le désordre, se réjouissent en général de ce qu'ils considèrent comme la consolidation d'une conception saine de l'intérêt national.
Par les grands travaux publics entrepris et menés à bien, par des initiatives répondant aux principaux besoins des travailleurs, et surtout par l'instauration des Corporations de métiers, soumettant au contrôle de l'État aussi bien les patrons que les ouvriers et employés, l'Italie paraît à beaucoup, en Europe et en Amérique, avoir trouvé la formule du développement adéquat pour une nation moderne et avoir dominé les séquelles d'une unité tardive.
En fait, le fascisme est un régime essentiellement opportuniste, fondé sur l'obéissance absolue à un homme, le Duce, appuyé sur un parti unique, lequel est officiellement dirigé par le Grand Conseil fasciste. Sur le plan économique, cet opportunisme se traduit par l'autarcie (dangereuse dans un pays pauvre), qui permet quelques bonifications locales, mais ne profite aucunement aux travailleurs, l'inflation étant endémique.
LE DURCISSEMENT DU RÉGIME (1938-1939)
Sous l'effet du rapprochement avec l'Allemagne nazie, Mussolini décide, à la fin des années 1930, de renforcer l'assise totalitaire du régime. Les effectifs de la milice fasciste adulte des Chemises noires atteignent 800 000 hommes en 1938.
L'édifice constitutionnel est remodelé avec la création, en 1939, de la Chambre des faisceaux et des corporations, peuplée d'éléments sûrs et fidèles, qui remplace l'ancienne Chambre des députés.
Une véritable bataille idéologique est en outre engagée par l'appareil fasciste pour promouvoir l'« homme nouveau » et lutter contre les valeurs « décadentes » de la bourgeoisie. C'est l'objet de la fameuse « révolution culturelle » de 1938 – avec la substitution au lei (vouvoiement féminisé), du voi (vouvoiement pluriel), l'introduction du pas romain dans les défilés, la défense de la langue et de la « race » italiennes sanctionnée par une législation antisémite –, qui marque le durcissement du régime et sa volonté de forger un « homme nouveau ».
4.2. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE AVENTURISTE
LE TOURNANT DE LA GUERRE D'ÉTHIOPIE
Cependant, le développement d'un nationalisme exacerbé chez les principaux dirigeants fascistes et la presse aux ordres, la jalousie qu'éprouve Mussolini envers les succès extérieurs obtenus par Hitler dans le cadre d'un régime analogue au sien poussent le Duce à la conquête de l'Abyssinie (actuelle Éthiopie) : il s'agit d'offrir à l'Italie un domaine colonial comparable à ceux de la France et de l'Angleterre.
En 1935, Mussolinil croit avoir obtenu du président du Conseil français Pierre Laval un blanc-seing en Afrique orientale en échange de concessions minimes dans l'arrière-pays tunisien. Aussi déclenche-t-il la guerre d'Éthiopie que cinquante-deux États dénoncent pourtant à la Société des Nations (SDN) comme une agression caractérisée. Mais ces pays reculent devant la seule mesure de rétorsion qui aurait pu paralyser l'Italie : l'embargo sur le pétrole nécessaire à ses armées d'Afrique.
Sous le commandement du maréchal Badoglio, l'Italie triomphe donc en 1936 des forces du négus (empereur éthiopien) Hailé Sélassié, succès exploité hors de toute mesure par le régime italien et son chef (→ campagnes d'Éthiopie).
LE RAPPROCHEMENT AVEC L'ALLEMAGNE NAZIE (1936-1939)
Les fascistes préparent dès lors un renversement des alliances traditionnelles de l'Italie avec les États démocratiques en s'associant, dans la guerre civile d'Espagne, aux contingents hitlériens qui apportent une aide au général Franco (→ Axe Rome-Berlin).
En 1938, Mussolini joue à la conférence de Munich un rôle de « brillant second » auprès du Führer, auquel est sacrifiée une partie de la Tchécoslovaquie. Et, tandis que les puissances occidentales se préparent à une seconde guerre mondiale, qui apparaît inévitable devant le déchaînement des ambitions allemandes, le gouvernement fasciste lie son sort à celui du national-socialisme par le pacte d'acier (22 mai 1939).
Quelques semaines auparavant (7 avril), l'Italie a envahi et occupé l'Albanie pour répondre, par un coup d'audace similaire, à l'annexion intégrale de la Tchécoslovaquie accomplie par Hitler le mois précédent.
L'ENTRÉE DE L'ITALIE DANS LA SECONDE GUERRE MONDIALE (1939-1940)
Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, le Duce veut se joindre à l'Allemagne. Hitler et son ministre des Affaires étrangères Ribbentrop y comptent, tout en ayant laissé leur allié dans l'ignorance complète de leur projet d'offensive éclair contre la Pologne.
Le comte Galeazzo Ciano, gendre de Mussolini et ministre des Affaires étrangères, réussit, toutefois, à retenir son beau-père pendant près d'un an, après lui avoir démontré que l'Italie, dont les arsenaux ont été vidés par les deux expéditons d'Abyssinie et d'Espagne, est hors d'état de prendre part à un nouveau conflit, ce que confirment les chefs d'état-major.
Le Duce supporte d'abord cette « non-belligérance » forcée avec une impatience croissante, mais, après les premiers succès allemands sur le front occidental en mai 1940, il ne peut plus rester passif. Malgré les avis pessimistes de ses généraux, il déclare la guerre à la France, sans d'ailleurs pouvoir faire pénétrer ses troupes sur son territoire au-delà de Menton, ni en aucun point sur les Alpes. En outre, il se lance bientôt, en octobre 1940, encore une fois contre l'avis de la plupart des chefs de l'armée, dans une opération de prestige contre la Grèce, alliée de la Grande-Bretagne, qui tourne rapidement au désastre et oblige Hitler à intervenir directement dans les Balkans.
4.3. LA FIN DU RÉGIME FASCISTE ITALIEN
L'EFFONDREMENT MILITAIRE (1940-1943)
Dès ce moment, les plus lucides des dirigeants fascistes, et surtout Dino Grandi, revenu de son ambassade de Londres et devenu président de la Chambre des Faisceaux et Corporations, pressentent l'éventualité de la défaite, d'autant plus qu'en Libye, colonie italienne, aucun avantage décisif n'est obtenu face aux Anglais et que Mussolini perd la majeure partie des bâtiments qu'il y envoie pour ravitailler ses effectifs et ceux du Reich (→ campagne de Libye).
L'intervention américaine et les échecs allemands dans la campagne de Russie achèvent de déprimer l'opinion publique de la péninsule. L'hypothèse d'une paix séparée avec les Alliés progresse très rapidement après le débarquement allié en Afrique du Nord (8 novembre 1942) et surtout en Sicile (→ débarquement de Sicile, juillet 1943), île que les troupes allemandes défendent pratiquement seules.
En mars 1943, le Duce lui-même aurait envisagé de rompre avec l'Allemagne, mais celle-ci a en Italie des forces plus nombreuses et plus sûres que celles de son alliée, et l'idée se révèle irréalisable.
LA CHUTE DE MUSSOLINI (JUILLET 1943)
Une entente se noue alors entre la plupart des membres du Grand Conseil fasciste – organisme suprême du régime que Mussolini n'a plus réuni depuis le début des hostilités – pour que ce dernier se démette, entre les mains du roi, des pouvoirs militaires considérables qu'il a accaparés en violation flagrante de la Constitution italienne.
La nuit du 24 juillet 1943, presque tous les dignitaires fascistes se prononcent à la fois contre la conduite des opérations et contre la prolongation de la dictature. Mussolini croit encore pouvoir l'emporter le lendemain, lorsqu'il va rendre compte au roi de la réunion. Mais Victor-Emmanuel a tout prévu de son côté pour le remplacer par un gouvernement militaire présidé par le maréchal Badoglio ; il demande à Mussolini sa démission et le fait arrêter par ordre du nouveau Premier ministre.
Privé de son chef, le fascisme authentique s'écroule dans des manifestations de joie populaire, contenue cependant par la présence des troupes allemandes qui a contraint le roi à chercher lui-même un asile sûr, dans la nuit du 25 au 26, avec son nouveau gouvernement, dans la région des Pouilles, déjà occupée par les Alliés.
LA RÉPUBLIQUE SOCIALE DE SALO
Le 12 septembre 1943, Hitler réussit à faire libérer Mussolini par un groupe de parachutistes allemands, puis à le faire ramener auprès de lui en Allemagne. Il le renvoit presque aussitôt dans la partie de l'Italie septentrionale encore occupée par l'armée allemande, afin d'y reconstituer un succédané du régime fasciste et un cabinet fantoche.
Ce sera la « République sociale » de Salo, avec laquelle le Duce essaiera vainement de redonner, sous le contrôle allemand, un lustre d'emprunt à un régime discrédité, servi encore par quelques hommes intègres, mais surtout par des profiteurs serviles et sanguinaires, – en 1945, il tomberont presque tous, comme Mussolini lui-même, sous les salves de la Résistance intérieure.
5. LES RÉGIMES FASCISTES
Le terme de fascisme désigne à l'origine spécifiquement la dictature établie en 1922 par Mussolini en Italie, mais, l'exemple italien ayant donné lieu à de nombreuses imitations, il qualifie aujourd'hui un certain type de régime politique.
5.1. LES FONDEMENTS : UNE DOCTRINE IRRATIONNELLE
L'idéologie fasciste exalte la réconciliation des hommes par le travail et concentre dans les mains d'un chef la toute-puissance de l'État. Étendu à d'autres régimes qu'à celui de Mussolini, le terme « fasciste » s'applique à un système politique qui se caractérise par un refus simultané et catégorique du socialisme et de l'égalitarisme démocratique.
Les sources historiques du fascisme renvoient à une critique des fondements démocratiques. La Révolution française est considérée par lui comme la rupture d'un ordre social naturel et le début de la décadence spirituelle d'une société morcelée. Les Droits de l'Homme symbolisent les tendances centrifuges qui affaiblissent la civilisation occidentale. Le rationalisme, qui prétend fonder l'égalité des hommes sur l'universalité d'un principe supérieur, est rejeté pêle-mêle avec l'humanisme, le christianisme et les mythologies du progrès.
Le fascisme est d'abord une organisation de l'État qui vise à la réalisation pratique d'une idée essentielle. Il est en quelque sorte l'aboutissement monstrueux d'un idéalisme forcené : niant l'évidence des conflits ou des contradictions entre les intérêts des diverses classes et des groupes sociaux, il cherche à les réconcilier dans l'accomplissement du destin d'une communauté qui n'existe que dans l'esprit de ses dirigeants.
C'est ainsi que Mussolini, ne pouvant suffisamment invoquer l'histoire de la nation italienne, de création récente, trouve ses symboles et son imagerie dans la Rome antique, tandis que Hitler va puiser encore plus loin son idée-force : le pseudo-concept nazi de « race » est si confus et l'histoire des Aryens si mal connue que l'on peut affirmer n'importe quoi à leur sujet, y compris la suprématie de ceux-ci et leur incarnation germanique.
D'autres « valeurs » orientant l'action peuvent aussi être proposées, qui, toutes, donnent au pays concerné une image idéale de lui-même et aux citoyens des âmes de héros. On peut noter, du reste, que l'appareil religieux, parfois à son corps défendant, est souvent utilisé par le fascisme. L'historien Emilioi Gentile a pu ainsi parler de la « sacralisation de la politique » opérée par le fascisme (Qu'est-ce que le fascisme ?, 2004)
5.2. L'ENJEU : UN SYSTÈME TOTALITAIRE
Les traits principaux de l'organisation fasciste sont la politisation totale de la cité, le monolithisme et l'autoritarisme du pouvoir, la structure pyramidale de la société, l'élitisme mystique.
La politisation totale implique que tous les gestes des citoyens aient un sens que seuls les gouvernants sont aptes à saisir.
La distinction entre vie privée et vie publique est abolie, tandis que les idées dominantes doivent être imposées à tous, le cas échéant par la violence.
Tous les aspects de la vie politique, économique et sociale sont rigoureusement réglementés sous l'autorité d'un État centralisé et hiérarchiquement organisé, qui possède le monopole des moyens d'expression et qui organise régulièrement des cérémonies de masse pour exalter le sentiment national (revues, parades). Aussi la liberté de l'individu est-elle étroitement contrôlée au nom de la collectivité, notamment par l'encadrement des travailleurs avec la suppression des syndicats, par l'exaltation d'un modèle familial patriarcal autoritaire et par l'intervention d'un contrôle policier à tous les niveaux de la vie professionnelle et privée.
Les membres du parti, puis, éventuellement, tous les citoyens sont rangés par ordre hiérarchique ; le supérieur détenant toujours la bonne interprétation par rapport à l'inférieur, il s'ensuit que la clé est détenue par le chef suprême.
Enfin, le fanatisme mystique fait des chefs non seulement les représentants et les exécutants du pouvoir, mais aussi les détenteurs de la vérité absolue. Le culte de l'ordre apparaît ainsi comme ayant des résonances plus religieuses que politiques : nombre de gouvernements, autoritaires ou non, accordent un grand prix à l'ordre public, mais le fascisme en a une obsession quasi mystique.
La sacralisation totalitaire de l'État a revêtu des significations différentes dans l'Allemagne nazie de Hitler, où le racisme pro-aryen et l'antisémitisme prennent une place considérable et première, et dans l'Italie de Mussolini, si bien que les historiens tendent à distinguer le national-socialisme du fascisme.
5.3. LA MÉTHODE : UNE MANIPULATION DES ASPIRATIONS SOCIALES
Les causes essentielles du succès momentané de ces régimes totalitaires font encore débat entre spécialistes. Il est certain que la crise économique et le désordre politique sont « nécessaires » pour qu'un mouvement fasciste réussisse à s'emparer du pouvoir, mais cela ne résout pas le problème du soutien populaire qui lui permet de s'y installer et d'y rester.
En effet, à la différence de nombreuses dictatures qui s'établissent à la faveur d'un coup d'État – ou à l'issue d'une guerre civile comme Franco en Espagne –, le fascisme s'appuie sur un parti de masse qu'il utilse pour parvenir au pouvoir ; sa tactique est de provoquer le désordre pour invoquer l'ordre et susciter ainsi l'adhésion de la petite classe moyenne, la plus menacée de prolétarisation en cas de crise.
De plus, ses slogans anticapitalistes et socialistes touchent facilement certains groupes plus défavorisés, tandis que les patrons de l'industrie ne voient pas toujours d'un mauvais œil l'instauration d'un certain ordre dans leurs usines.
Ces soutiens très diversifiés permettent au parti fasciste de s'emparer des leviers de commande à la faveur d'une élection générale. C'est seulement après que le parti modifie la Constitution pour se maintenir au pouvoir. Ce processus ne fut pleinement réalisé qu'en Italie et en Allemagne. Dans ce dernier pays, le puissant parti communiste crut même longtemps que le nazisme était un feu de paille aveuglant provisoirement les masses ; il négligea le fait que, au début, des mesures réellement socialistes furent prises et que des sociaux-démocrates et des communistes sincères s'y laissèrent abuser.
Il reste que le régime fasciste, qui s'appuie toujours sur les classes moyennes et la petite-bourgeoisie, se veut d'abord « révolutionnaire », favorable même à d'autres couches sociales victimes de l'exploitation, puis se renforce par l'appareil politico-militaire (armée, parti unique) et subsiste enfin grâce à l'appui des classes possédantes. On remarque ainsi que les fascismes ne touchent jamais profondément aux structures économiques ni aux structures familiales, et diffèrent essentiellement en cela d'autres régimes totalitaires, comme le régime soviétique (→ stalinisme).
Pour en savoir plus, voir l'article totalitarisme.
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LA PEINTURE |
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peinture
(latin populaire pinctura, du latin classique pictura)
Consulter aussi dans le dictionnaire : peinture
Cet article fait partie du dossier consacré à l'art.
Art de l'artiste peintre ; ensemble des œuvres d'un peintre, d'un pays, d'une époque.
BEAUX-ARTS
La peinture est l'art d'utiliser des pigments pour tracer sur une surface des images constituant un ensemble cohérent porteur de sens. Du paléolithique à nos jours, elle a été et demeure un mode d'expression primordial de l'homme. Elle se définit techniquement par un support (en général revêtu d'un enduit, d'une préparation), des pigments de couleur, un liant et/ou un diluant. Sur le plan iconographique, son histoire offre un répertoire inépuisable de symboles et d'idées autant que de formes.
1. ÉVOLUTION HISTORIQUE
1.1. DE LA PRÉHISTOIRE AU MOYEN ÂGE
Le champ de la peinture connaît une extension géographique et chronologique qui suit pour ainsi dire celle de l'humanité. Dès la préhistoire apparaissent les premiers décors pariétaux, comme à Lascaux. La peinture, alors essentiellement murale, utilise des procédés à l'eau. De l'Antiquité, marquée notamment par les différents styles décoratifs développés à Pompéi, au Moyen Âge et jusqu'à la Renaissance, où s’épanouissent nombre de peintures murales et de fresques au cœur des églises et des palais, les recettes se multiplient, qu'il s'agisse de détrempe, de tempera ou de fresque ; les matériaux les plus divers (colle, œuf, cire, etc.) interviennent dans les préparations.
Une majorité des peintures murales romanes de France sont, comme à Saint-Savin, exécutées à l'aide d'une sorte de détrempe à la colle. Les procédés à l'eau sont également adaptés aux œuvres indépendantes du mur (détrempe ou tempera sur panneau de bois) et au décor des manuscrits (variantes de gouache ou d'aquarelle des enluminures médiévales).
1.2. DE LA RENAISSANCE AU XVIIIe S.
Dans l'art occidental, la Renaissance ouvre une ère nouvelle marquée par de profondes transformations des techniques et des conceptions. Les xve et xvie s. voient ainsi le développement du procédé de la peinture à l'huile et l'usage de la toile comme support. Celle-ci en effet vient peu à peu supplanter les panneaux de bois et son emploi va de paire avec l’épanouissement de la peinture dite de chevalet. L’époque connaît également l’élaboration de la perspective linéaire mais aussi la mutation du rapport de l'homme à l'univers au fil des conquêtes scientifiques.
À la pratique des « recettes » s'ajoutent à présent l'observation de la nature, l'étude (anatomie, géométrie…) ainsi que la spéculation intellectuelle. Le peintre tend à être considéré comme un artiste et non plus comme un simple artisan.
LES POSSIBILITÉS NOUVELLES DE LA PEINTURE À L'HUILE
La peinture à l'huile (de lin), dont l'invention fut attribuée à Van Eyck, est le résultat de nombreuses recherches pour obtenir une pâte colorée plus délicate et plus transparente ; elle permet des échanges lumineux plus riches. Le travail de la matière et la qualité sensuelle de la peinture se développent alors, d'abord dans la technique par fines couches successives, qui fait la manière précieuse des Flamands (panneaux de Van Eyck, Van der Weyden, Van der Goes), et qu'on retrouve chez Bellini ou Léonard de Vinci ; ensuite, la progression de l'usage de la toile comme support, dès le début du xvie s., favorise la technique des glacis et des empâtements, qui donne la facture souple et grasse des Vénitiens. On aboutit ainsi à la touche de Titien, puis à la modulation de Rubens et à la matière de Rembrandt. À travers ces évolutions, le travail de la couleur, comme celui de la préparation des fonds, est profondément renouvelé.
LES LOIS DE LA PERSPECTIVE
De son côté, la construction de l'espace, en pleine mutation depuis le début du xive s. (Giotto), se transforme au siècle suivant : la découverte et l'application de lois de la perspective (Brunelleschi) répondent au besoin d'une représentation « vraie », « rationnelle » de la réalité, c'est-à-dire fondée sur des rapports géométriques et mathématiques qui permettent une conception unitaire des objets et de la lumière.
Les expérimentations de la Renaissance (d'Uccello et Piero della Francesca à Léonard) se fixent en un ensemble cohérent à partir de la seconde moitié du xve s., puis se codifient en doctrine que transmettent, à partir du xvie s., académies et traités de peinture. La fonction de la peinture, création mais aussi instrument de prestige et d'apologie, appelle, dans les États forts qui apparaissent au xviie s., des lois strictes ; en France, l'Académie royale codifie et hiérarchise les genres : peinture d'histoire, portrait, paysage, peinture de genre, nature morte…
1.3. LES ÉVOLUTIONS MODERNES
Il faut attendre le xixe s. pour voir se développer, face à l'académisme, de nouvelles exigences (Delacroix), de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux. La préparation des couleurs, notamment, se transforme (broyage industriel et non plus fait à l'atelier, conservation en tubes d'étain, création de couleurs de synthèse) : elle offre des teintes plus nombreuses et facilite le travail pictural, notamment en plein air. Ces nouvelles conditions sont déterminantes pour l'éclosion de l'impressionnisme, du fauvisme, de l'expressionnisme. Le rôle primordial accordé à la lumière et à la couleur dans la construction spatiale ouvre la voie aux spéculations cézanniennes, qui closent la tradition issue de la Renaissance et débouchent sur les conceptions nouvelles du cubisme ou de Matisse.
Dès lors, aussi diverses soient-elles, les recherches picturales mettent l'homme et ses rapports au monde (extérieur et intérieur) au centre d'une expression libre de toute soumission aux apparences. L'œuvre, avec l'abstraction, acquiert une autonomie totale et joue sur la spontanéité ou, au contraire, sur la construction pure, ou encore sur la diversité des matériaux (peintures nouvelles, comme les émulsions acryliques, incorporation de substances ou d'objets divers). Et, lorsqu'il est fait référence au monde visible (surréalisme ; nouvelle figuration), les lois de celui-ci ne sont plus que règles, parmi d'autres, d'un jeu avec l'image de la réalité.
2. LA MAIN DU PEINTRE
2.1. LE TRAVAIL PRÉLIMINAIRE
Selon une pratique qui prévaut durant de nombreux siècles, avant de tracer sur le fond préparé les grandes lignes de sa composition au charbon de saule ou au fusain et de raffermir le dessin à l'encre et au pinceau, le peintre a en général longuement travaillé son sujet. Les dessins préparatoires de détail, puis d'ensemble, sont considérés comme des étapes essentielles. La mise au carreau sur un carton à grandeur est le procédé le plus usité pour le transfert du dessin sur la toile. Mais les règles graduées, les compas, les fils à plomb, et des procédés plus complexes comme le cadre de bois tendu de fils croisés ou la chambre obscure, seront utilisés par tous les peintres, même les plus grands, tels Léonard de Vinci ou Dürer. Quelques artistes, comme Poussin ou Gainsborough, n'hésiteront pas à modeler des figurines pour mieux saisir les jeux d'ombre et de lumière. Enfin, dès son invention, la photographie sera perçue et utilisée par certains comme un précieux auxiliaire de travail.
Au xviie s., l'économie d'une étape – le passage direct du dessin préparatoire à la toile – entraîne la multiplication des « repentirs ». Le peintre, changeant d'idée, ne gratte pas ce qui ne lui plaît plus mais se contente de superposer les empâtements. Souvent, en vieillissant, la couche picturale s'usant ou la transparence s'accroissant, la première manière redevient visible. Elle peut également être mise en évidence en éclairant le tableau en lumière rasante, laquelle accuse les reliefs de la couche picturale.
2.2. LA COUCHE COLORÉE
C'est sur le bois ou la toile préparés qu'est posée la couche colorée, qui se compose des pigments – lesquels peuvent être soit minéraux, soit organiques – et des liants. Depuis les primitifs jusqu'à la fin du xviie s., la palette des pigments reste réduite. À côté du blanc (de plomb, de zinc) et du noir (de charbon, de fumée), on ne rencontre que le bleu, le vert, le jaune et le rouge. Ce n'est qu'aux xviiie et xixe s. que les découvertes chimiques lui permettront de s'enrichir. Broyés à l'atelier par les apprentis, les pigments sont mélangés à des liants. Ceux-ci sont de quatre sortes : la cire, le liant aqueux, l'œuf et l'huile.
2.3. LE VERNIS
La couche picturale est protégée par un vernis. Jusqu'au xve s., une simple couche de blanc d'œuf est passée à la surface. Puis c'est un mélange d'huile et de résine qui sera utilisé pour protéger le tableau et intensifier la réflexion de la lumière.
Mais, en 1883, Huysmans loue les artistes du Salon des indépendants d'avoir abandonné l'emploi du vernis pour adopter le « système anglais », qui consiste à laisser la peinture mate et à la recouvrir d'un verre.
2.4. LES INSTRUMENTS
Le pinceau, en poils d'écureuil, de mangouste ou de martre, ou en soie, est l'instrument le plus important. Certains peintres, comme Léonard de Vinci, les fabriquaient eux-mêmes.
La brosse se distingue du pinceau en ce que ses poils, plus raides et plus gros, sont d'égale longueur, au lieu d'être effilés en pointe; en outre, la brosse est de forme plate et élargie. Le couteau à palette, ou spatule, est utilisé pour mélanger les couleurs sur la palette avant de les étendre sur la toile à l'aide du pinceau ou de la brosse, mais il est parfois employé pour peindre en pleine pâte.
2.5. LES TECHNIQUES CONTEMPORAINES
Si la toile, préparée ou non, reste d'un usage très répandu, tout matériau est aujourd'hui utilisé au fil des recherches comme support de la peinture : le bois, le papier, le métal, la tôle, le voile de Nylon, le béton. La rupture de la couche picturale avec la représentation du réel, ou du moins sa relation complexe et d'un type nouveau avec le réel, donne de nos jours à la peinture un nouveau statut au sein des arts. Désormais désinvestie d'un discours – politique, religieux, social ou esthétique –, elle n'existe que dans son rapport au peintre; image d'elle-même, trace du geste créateur, elle ne parle plus d'autre chose que de sa matérialité. Les soins minutieux portés pendant des siècles aux subtils mélanges et dosages des pigments et des liants sont oubliés. Mais le lien fondamental qui unissait la maîtrise technique et le pouvoir créatif demeure. La peinture acrylique connaît une faveur particulière pour ses multiples qualités : outre son faible coût, elle sèche rapidement, et permet ainsi l'application de couches successives en un temps réduit; elle se conserve bien et peut être appliquée sur de nombreux supports – la toile, le papier, le carton, le bois, l'enduit, le contreplaqué. Aussi remplace-t-elle avantageusement la gouache, l'huile ou la détrempe. Depuis son apparition, elle a été utilisée par de nombreux artistes tels les représentants de l'op art, les minimalistes ou les tenants du hard-edge.
3. L'ESPACE PICTURAL
3.1. ÉVOLUTION DU CONCEPT
L'espace pictural est étroitement lié à la fonction dévolue à la peinture. Lorsque celle-ci est purement décorative, elle forme avec l'espace dans lequel elle s'inscrit un ensemble homogène qui ne renvoie qu'à lui-même. La peinture narrative et symbolique des églises et des synagogues des premiers siècles de notre ère prend place sur leurs sols, leurs murs et leurs voûtes dans une sorte de topographie signifiante, mais l'organisation interne de son espace se fonde sur une juxtaposition et une superposition des scènes et des motifs étrangères à une véritable construction de l'espace pictural. Si la peinture murale – notamment à Pompéi – connaît un espace pictural engendré par le sujet et la composition faisant de chaque « tableau » une œuvre en soi, c'est véritablement avec la peinture de chevalet que naît cet espace pictural contraignant qui, tout en donnant l'illusion d'une fenêtre ouverte sur le monde, circonscrit le sujet et le coupe de son environnement. Le cadre devient dès lors l'élément indispensable d'une lecture correcte du tableau: de Poussin à Van Gogh, l'espace pictural se définit par sa bordure. Et Baudelaire pourra dire dans « Le cadre », un poème de Spleen et Idéal :
« Comme un beau cadre ajoute à la peinture,
Bien qu'elle soit d'un pinceau très vanté,
Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté
En l'isolant de l'immense nature. »
3.2. REDÉFINITION DE L’ESPACE PICTURAL
L'effacement du cadre dit la complexité de l'espace pictural et annonce sa transgression. En effet, tant que la peinture est une mimêsis – une imitation – du monde, c'est le cadre qui garantit et fournit les repères séparant réalité et représentation. Le trompe-l'œil, qui fait sortir le motif et déborder le cadre pour donner l'illusion que le sujet appartient à l'espace du spectateur, ne transgresse la limite généralement imposée que pour mieux affirmer l'espace pictural. Cet espace strictement limité contient lui-même une mise en scène de l'espace qui est renforcée par l'unité locale et temporelle du sujet due à la composition tracée depuis un point de vue unique : la perspective linéaire.
LES AVANCÉES DU XIXe S.
C'est sans doute Degas qui, par des plans tronqués, des vues plongeantes, des personnages brutalement coupés par le cadre, redéfinit l'espace pictural. L'attention qu'il porte aux bordures, loin d'être une simple préoccupation d'esthète, révèle une conception nouvelle de la relation sujet-réalité.
Claude Monet va plus loin avec ses Nymphéas en représentant dans le format habituel des tableaux une étendue illimitée. La perception qu'en a Félix Fénéon fait du maître de Giverny un précurseur des recherches contemporaines : « Un paysage de M. Monet ne développe jamais intégralement un thème de nature et semble l'un quelconque des vingt rectangles que l'on taillerait dans une toile panoramique de cent mètres carrés. »
DIVERSITÉ DES EXPÉRIMENTATIONS
Si Bonnard se dégage de la perspective pour retourner au plan (Nu dans le bain, 1937), ce sont les expériences cubistes – dont l'unique souci est l'espace – qui mènent à la rupture entre le réel et le tableau. Lorsque, en 1912, Picasso introduit un morceau de toile cirée pour figurer le cannage d'une chaise dans une toile, il inaugure une conception de l'espace pictural en rupture totale avec la représentation figurative et naturaliste de la Renaissance, fondée sur la perspective. Le collage, dont l'avatar ultime sera l'assemblage, fait éclater la notion de tableau comme surface plane. Dès lors, l'espace pictural peut être redéfini. « La toile n'est plus prise comme écran de projection, mais comme matériau », écrit Simon Hantaï en 1969 à propos des drippings de Jackson Pollock. L'espace pictural a éclaté, il est ouvert, affirmant du même coup le fait pictural comme ayant une existence en soi et non plus en référence à la réalité. Avec les murs peints et le land art, l'espace, ouvert et mis en scène, renoue avec la réalité, mais il n'est plus représenté, il est.
4. LA PEINTURE ET L'ÉCRIT
4.1. UNE TRADITION ANCIENNE
Depuis l'Antiquité, la peinture a suscité deux types de littérature : des considérations esthétiques et philosophiques, dont le cœur est le problème de la mimêsis, c'est-à-dire la reproduction, l'imitation du réel ; et des recueils techniques, mêlant recettes et conseils. Jusqu'à la Renaissance italienne, la peinture est ainsi ravalée au rang des savoir-faire. On l'oppose volontiers à la poésie, pure création de l'esprit.
4.2. ÉCRITS DE LA RENAISSANCE
Si l'ouvrage de Cennino Cennini, Il libro dell'arte, paru en 1398, est essentiellement un guide de la technique picturale, le De pictura d'Alberti (1435) donne ses premières lettres de noblesse à la peinture. Toute cette période est fertile en ouvrages techniques : Valentin Boltz, Albrecht Dürer, Leonardo Fioravanti figurent parmi les auteurs les plus illustres. Mais, au xvie s., c'est certainement le Florentin Giorgio Vasari, peintre, architecte et collectionneur, qui, avec ses Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, écrit de 1542 à 1550, puis remanié en 1568, donne aux générations futures la plus importante source d'informations sur l'humanisme et l'art de son époque.
4.3. DÉVELOPPEMENT DE LA CRITIQUE
Jusqu'au xviie s., ce sont les peintres qui parlent publiquement de leur art, ou qui écrivent et publient dessus. Ainsi, Le Brun et Poussin alimentent par leurs jugements et leurs prises de position les querelles académiques. L'organisation des Salons et le développement d'un réseau culturel européen contribuent à l'apparition d'une critique artistique dans les milieux d'amateurs. Entre-temps, Diderot invente véritablement un nouveau genre littéraire, la critique de peinture, à travers ses Salons.
Créée en 1768, l'Académie anglaise devient le lieu d'un nouveau discours sur la peinture, jusque-là diffus. Analyse de la beauté, publié en 1753 par William Hogarth, est représentatif du climat intellectuel qui règne alors en Angleterre. Reynolds, dans les discours qu'il prononce devant les élèves de l'Académie dès 1769, y rend hommage à son rival, Gainsborough. Son influence, encore mal mesurée, sera très large : ses discours, traduits et publiés en italien, en français et en allemand, ont probablement contribué, avec l'œuvre des Allemands Anton Raphael Mengs et de Johann Joachim Winckelmann, à l'élaboration d'une certaine conception du « goût classique ».
La critique, initiée par Diderot, se développe largement au xixe s., au cours duquel le genre littéraire du « Salon » connaît chez Baudelaire son accomplissement. Parallèlement, la critique artistique journalistique n'est pas de reste : revues spécialisées puis rubriques artistiques accueillent des contributions plus ou moins éclairées d'écrivains ou d'hommes politiques, qui sentent que la peinture est devenue un enjeu moral et politique. Les peintres eux-mêmes se font plus discrets, s'exprimant à travers leur journal intime (Delacroix) ou leur correspondance (lettres de Van Gogh à son frère Théo). L'heure des manifestes n'a pas encore sonné.
4.4. LE TEMPS DES MANIFESTES
Vers la fin du xixe s., puis au xxe s., l'innovation picturale s'accompagne d'un programme théorique et esthétique : manifestes du symbolisme, du réalisme, du Blaue Reiter, du Bauhaus, du De Stijl, du mouvement Cobra ou du nouveau réalisme.
Dans un renversement radical, alors que le sujet disparaît de la peinture – la toile devenant elle-même le sujet – s'est développé parallèlement le discours sur la peinture – à tel point que certaines œuvres contemporaines semblent ne pouvoir exister ou prendre sens sans un accompagnement discursif : le discours sur la peinture est devenu constitutif de la peinture elle-même.
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