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VÉGÉTAUX : DIVERSITÉ, HYBRIDATION

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VÉGÉTAUX : DIVERSITÉ, HYBRIDATION

En 1998, le Groupe sur la Phylogénie des Angiospermes (APG) publie une étude phylogénétique des plantes à fleurs en comparant des séquences de l'ADN chloroplastique. Ces taxonomistes moléculaires ne retiennent que les groupes strictement monophylétiques (c'est-à-dire descendant tous d'un ancêtre commun). Autant que possible, ils ont tenu à conserver les noms des ordres et des familles bien connus. Des études portant sur des gènes avec des fonctions différentes, la petite sous-unité de l'ARN ribosomique, le 18S, et les espaceurs internes transcrits, les ITS, ont abouti aux mêmes conclusions. Plus important encore, la classification moléculaire est basée sur des séquences consultables sur Internet (GenBank), accessibles à tous les chercheurs. L'ancêtre vivant des plantes à fleurs (‘the abominable mystery' de Darwin) est un arbuste de Nouvelle-Calédonie, Amborella. Les Welwitchia et Gnetum sont proches des Conifères et pas des Angiospermes. Les Monocots ont dérivé de plantes de type Magnolia. Les Dicots vraies comprennent les plantes dont les grains de pollen comportent trois pores. Les Dicots regroupent deux vastes ensembles naturels, les rosidées et des astéridées, et à leur base on trouve les Saxifragales et les Ranunculales. Quelquefois, les phénomènes de convergence et de simplification par retour vers un caractère primitif confèrent, à des espèces apparentées, une multiplicité d'apparences, totalement déroutante. Les études moléculaires ne sont pas une fin en soi, mais la première étape pour comprendre les processus de diversification des espèces végétales. Des phénomènes d'hybridation - on parle aussi d'introgression - peuvent survenir et avoir des implications évolutives très significatives. Les études de ces dix dernières années ont montré que l'hybridation et l'introgression, plus répandues dans le monde végétal que ce que l'on imaginait, peuvent conduire à la diversification rapide des espèces. La connaissance des relations phylogénétiques entre les espèces permettra de surveiller les risques de dissémination des transgènes.

Texte de la 436e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 15 juillet 2002
La diversité végétale

Par Jacques Mugnier

Parler de la diversité des plantes, c'est évoquer 250 000 espèces très diverses, depuis les plantes arborescentes, de taille parfois impressionnante, comme les grands séquoias, aux herbacées à fleurs minuscules, comme les fleurs de Lemna ou, au contraire, impressionnantes comme les fleurs de Rafflesia qui peuvent atteindre un kilo.
L'objectif de la taxonomie végétale est de rendre cette diversité intelligible par le moyen d'une classification. Celle- ci se fonde sur la phylogénie végétale, c'est-à-dire sur la reconstruction de l'histoire évolutive des plantes. Discipline récente (moins de 10 ans), la phylogénie moléculaire s'inscrit dans la continuité de la taxonomie des plantes - ou botanique -, qui représentent, quant à elles, l'aboutissement de plusieurs siècles de travaux.

L'exposé sera divisé en cinq parties.
La première partie, après un historique sur la botanique traditionnelle, présente quelques principes de la taxonomie.
La seconde partie aborde la taxonomie moléculaire et les apports de cette approche dans différents domaines : discussion sur les critères de classification, origine des plantes à fleur concernant les critères de classification classique, et l'origine des plantes à fleur par rapport aux travaux antérieurs.
La troisième partie a pour but d'expliquer certains mécanismes de l'évolution, essentiellement l'hybridation. La co-évolution plantes-insectes représente un autre mode de spéciation, qui sera également illustré.
Une quatrième partie montre les limites de la phylogénie moléculaire.
La dernière partie, à la lumière de ces connaissances nouvelles sur l'évolution des plantes, aborde le problème récent des risques des transgènes.
I. Histoire de la classification végétale
Pour comprendre les bases actuelles de la phylogénie moléculaire, une recherche historique sur la botanique est capitale. C'est le minimum exigible dans un exposé sur la diversité des plantes.
A. Historique de la taxonomie
La taxonomie des plantes - ou botanique- est apparue en Europe, entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Les concepts et théories qui la fondent n'ont jamais été figés mais, au contraire, ont toujours évolué.
De manière arbitraire, j'ai choisi de démarrer cette histoire de la botanique par Linné. Il a proposé un système de classification, toujours en vigueur, où les plantes sont regroupées de manière hiérarchisée en ordre, divisées en familles, puis en genres et enfin en espèces. Linné a donné l'idée d'une unité de la classification. Très influent sur ces contemporains, il refusait l'idée d'Évolution, dont il a, par son influence, retardé la propagation dans la communauté scientifique.
L'École française est particulièrement brillante à la fin du XVIIe siècle, tout d'abord avec le botaniste Pierre Magnol (1638-1715). Il est le premier, avant Linné, à regrouper les espèces en famille. Ensuite vient le botaniste Michel Adanson (1727-1806), qui, un an avant Linné, propose une classification animale binomiale. Il est le créateur de la phénétique : ce mode de classification se fonde, non pas sur la comparaison d'un caractère, mais sur la comparaison de l'ensemble des caractères de la plante. A la lumière de l'histoire, on peut dire que, sans ses démêlés avec ses contemporains et la Révolution de 1789, Adanson serait probablement considéré comme le père de la botanique. Véritable dynastie, les Jussieu poursuivent la voie ouverte par Adanson. Diffusant les idées de son oncle Bernard, Antoine Laurent de Jussieu formule le Principe de subordination des caractères, selon lequel les caractères observés n'ont qu'une importance relative, qui doit être hiérarchisée.
En Suisse, les Candolle père et fils se distinguent au sein du jardin botanique de Genève et suivent les principes de Jussieu. Augustin Pyrame (1778-1841) est l'inventeur du terme « taxonomie ». Il a combattu la vision fixiste de Linné, en estimant que les espèces évoluaient.

En Angleterre, la botanique est représentée par Dalton Hooker (1817-1911), dans la continuité des Jussieu et de Candolle. Il utilise sa propre description des plantes qui reste, de nos jours, un outil précieux pour les taxonomistes.
Après que les idées de Darwin se furent imposées dans la communauté scientifique, la classification cherche à mettre en évidence relations évolutives, de parenté, entre les organismes : c'est la phylogénie. L'Allemand Adolf Engler propose la première classification phylogénique conséquente, entre 1887 et 1915. Son contemporain, Charles Bessey (1845-1915) est le premier botaniste américain. C'est un fervent partisan de Darwin.
On entre dans l'ère de la botanique moderne avec, entre autres, deux auteurs qui publient, indépendamment, en 1968 : l'Américain Arthur Cronquist et le Russe Armen Takthajan. En fait, leur classification s'avère extrêmement proche. Un botaniste danois Rolf M.T. Dahlgren (1932-1987) réalise une classification originale en comparant des critères physico-chimiques. Toutes ces classifications se fondent sur la comparaison de données plus sophistiquées et variées que précédemment.
Actuellement, le chercheur James Reveal est en train de rendre la botanique accessible sur internet. La taxonomie est remise au goût du jour en raison des possibilités offertes par l'étude de l'ADN.
B. Critères de classification
Après ce survol de l'histoire de la classification végétale, il paraît important de pointer les éléments de la construction de ces classifications.
Le principe de la taxonomie, c'est de placer dans un groupe, qu'on appelle un taxon, les espèces monophylétiques, c'est-à-dire toutes celles qui ont hérité d'un ancêtre commun un ensemble de caractères. Ce travail présente deux difficultés :
- tout d'abord, le choix, primordial, du caractère, qui doit permettre de comparer différentes espèces. En classification, on définit un « caractère » comme un trait héritable que possède un organisme. L'étape du choix du caractère est arbitraire : c'est aux botanistes de choisir les caractères qu'ils supposent liés à l'évolution des plantes. Par exemple, Linné fonde sa classification sur les étamines, Magnol sur le calice. Les études à cette époque étaient poussées au niveau de la description des pièces florales et des organes reproducteurs : les botanistes anciens ont souvent basé leur classification sur les caractères de la fleur et en particulier, le nombre de pétales et d'étamines. Adanson est le premier à affirmer la nécessité de comparer le plus grand nombre de caractères possibles et non les seules pièces florales.
- l'hypothèse sur le caractère ancestral ou dérivé des réalisations du caractère. Pour grouper les espèces dans un taxon, il faut les comparer à un ancêtre commun. Quand les données sur l'état ancestral d'une espèce manquent, les auteurs formulent des hypothèses de travail. Par exemple, Engler a bâti sa classification sur l'hypothèse que les fleurs simples sont primitives par rapport aux fleurs complexes, et que les monocotylédones sont primitives par rapport aux dicotylédones. Bessey a rejeté les idées d'Engler sur cette nature des fleurs primitives. Il suppose en revanche que les Magnolias sont les ancêtres primitifs des autres fleurs. Différents caractères étaient ainsi jugés, de façon arbitraire, archaïques, ou, au contraire, évolués.
Ces hypothèses de travail arbitraire ont été à l'origine d'erreurs dans la vision de l'histoire évolutive des plantes. La classification moléculaire a permis de discuter de la pertinence de ces caractères comme critères de classification, mais rencontre également des problèmes équivalents.
II. La botanique moléculaire
La botanique moléculaire est une science très récente puisqu'il faut attendre les années 1980 pour que différentes inventions favorisent l'engouement pour cette nouvelle discipline.

A. Les origines
Les phylogénies moléculaires sont fondées sur la comparaison de séquences d'ADN. Les nucléotides sont les caractères de la botanique moléculaire. Cela implique que le matériel génétique puisse être facilement caractérisé et comparé, ce qui a été rendu possible par trois innovations techniques :
- tout d'abord, la PCR ( polymerase chain reaction), méthode qui permet d'étudier l'ADN - connue à l'origine comme outil permettant de relever les empreintes génétiques. On peut aujourd'hui étudier l'ADN de manière assez facile en laboratoire. Cette technique a valu à son inventeur, Kary Mullis, le prix Nobel de chimie en 1993.
- le deuxième outil est le développement d'internet. Toutes les séquences d'ADN obtenues par les chercheurs font l'objet de travaux publiés où les techniques d'investigation et l'objet d'étude doivent être décrits précisément. Si la publication étudie une séquence, la séquence doit être disponible pour la communauté scientifique. Les séquences sont déposées sur un site internet, le site « Genbank », qui regroupe l'ensemble des séquences décrites, ainsi que les génomes complets. En ce qui concerne les plantes, le seul génome complet est celui d' Arabidopsis, plante modèle en biologie moléculaire végétale.
- enfin, il faut pouvoir comparer toutes ces séquences. Un chercheur américain de l'Université de Washington, Joe Felsenstein, a développé des méthodes mathématiques pour comparer ces séquences.
B. Les gènes étudiés
A partir de là, plusieurs équipes vont travailler sur différents gènes, à caractère universel, ce qui permet de les comparer chez toutes les plantes à fleur (ou Angiospermes).
Une première équipe du jardin botanique de Kew en Angleterre compare un gène chloroplastique D'autres équipes, notamment l'équipe de Soltis (Douglas et Pamela, de l'Université de Washington) travaillent à partir de l'ARN ribosomique. En deux mots, le ribosome est divisé en deux sous-unités, une petite sous-unité et une grande sous-unité. Il est en partie composé d'ARN, nommés ARN 26S et ARN 18S. Les séquences d'ADN codant pour ces ARN sont séparées par des « espaces », appelés les ITS ( internal transcribed spacers).

En 1998, le groupe de Mark Chase publie la première classification moléculaire des plantes à fleur, la classification APG (pour angiosperm phylogeny group). Ils sont suivis l'année suivante par les époux Soltis, qui obtiennent la même phylogénie. D'autres groupes, dont le mien, travaillent à partir des ITS et obtiennent, à peu près, la même classification que les deux autres équipes.
C'est très important d'obtenir les mêmes résultats, à partir de séquences différentes, d'autant plus que ces nouvelles classifications révèlent quelques surprises par rapport aux conceptions anciennes.
C. Les résultats de la taxonomie moléculaire
Il n'est pas question d'évoquer ici les 250 000 espèces végétales contenues dans cette classification. Nous allons juste aborder quelques exemples, qui remettent en cause les classifications antérieures et les hypothèses sur lesquelles elles se fondaient.
1. La remise en cause des critères des classifications traditionnelles
A l'embranchement des Ranunculales (ex : le coquelicot), se trouvent des familles comme les Buxacées et les Trochodendracées. La classification moléculaire contredit entre autre Takthajan, qui avait classé les Trochodendracées comme plantes très archaïques en raison du caractère primaire des vaisseaux conducteurs de sève.

Les Hamamélidacées, sont mises dans le même groupe que les pivoines. Or, les Hamamélidacées ont des fleurs très simples, contrairement aux pivoines, aux très nombreux pétales, les étamines s'étant transformés en pétales. Précédemment, les Vitacées (la vigne) étaient classées dans les Rhamnacées parce que leurs étamines alternent aux pétales. La phylogénie moléculaire montre que la vigne n'appartient pas aux Rhamnacées : c'était une erreur due à un processus de convergence évolutive.
Ainsi, ces exemples montrent que les caractères morphologiques, en particulier les étamines et les fleurs, ont souvent trompé les botanistes. Ces caractères se révèlent très variables, même entre espèces proches évolutivement.
2. Correspondance entre critères moléculaires et caractéristiques morphologiques
La question qu'on peut se poser, c'est de savoir si les taxons de la phylogénie moléculaire sont liés à des propriétés morphologiques ou physico- chimiques.
En 1998, l'équipe de Chasse met côte à côte deux familles : les Brassicacées (la famille de la moutarde), et les Caricacées (la papaye), dans l'ordre des Brassicales. Lors de la présentation de cette classification, il y a eu beaucoup de scepticisme : c'était impensable d'associer des familles aussi différentes. En revanche, le chercheur danois, Dahlgren, que j'ai évoqué précédemment, avait bien placé les papayes à côté de la moutarde car elles produisent toutes deux le même composé volatil, de l'essence de moutarde. Actuellement, les plantes classées dans les Brassicales produisent toutes cette essence de moutarde, et toutes n'étaient auparavant pas classées dans ce taxon.
Dans le groupe des Rosidées (la rose), la caractéristique commune est de posséder des ovules entourés de plusieurs couches de cellules - ou ovules crassinucellés. Dans le groupe adjacent, les Astéridées, au contraire, les assises de cellules s'amincissent au point de n'avoir presque qu'une couche de cellules autour de l'ovule. Ainsi, la taxonomie moléculaire a classé dans les Astéridées toutes les familles qui avaient des ovules tenuinucellés, et dans les Rosidées, toutes les familles à ovules crassinucellés (soit 149 familles). Deux grands ensembles monophylétiques sont ainsi définis par une caractéristique très sûre. De la même façon, l'ensemble des plantes à fleur partage la caractéristique de réaliser une double fécondation, c'est-à-dire la fécondation de l'Suf et la fécondation de l'endosperme.
La nouvelle classification APG, APG 2, en cours de publication, comporte une petite révolution : elle supprime la division des Angiospermes en monocotylédones et dicotylédones. Cette classification propose de diviser les plantes à fleur selon la nature du grain de pollen, ce qui distingue deux grands groupes : les Eudicotylédones et les Magnoliides. Chez les Eudicotylédonnes, le grain de pollen présente trois pores (pollen tri-apperturé) ; les Magnoliides sont mono-aperturées (le grain de pollen n'a qu'un pore). Ainsi, dans le groupe des Magnoliides sont classées les monocotylédones et d'anciennes dicotylédones. Les monocotylédones sont à présent considérées comme le groupe le plus récent dans l'évolution des angiospermes mono-aperturées.
3. La convergence évolutive
En fondant la classification sur des caractéristiques morphologiques, on peut se heurter à des problèmes de convergence évolutive. Il s'agit d'homoplasie c'est-à-dire qu'on compare des caractères qui ne descendent pas d'un ancêtre commun et sont apparus indépendamment, par des voies différentes.
Je vous en présente un seul exemple, parmi beaucoup d'autres connus. Les Nymphéacées sont actuellement considérées comme une des familles les plus primitives, située à la base des plantes à fleur : ce sont les nénuphars. Les botanistes traditionnels, même Cronquist , associaient le lotus au Nymphéacées. Vous avez une convergence formidable de la fleur qui a longtemps fait penser que ces familles étaient très proches. En réalité, la phylogénie moléculaire a révélé que les familles du lotus et du nénuphar sont très éloignées dans l'histoire évolutive. Si on examine les grains de pollen, ceux des Nymphéacées ont un pore ; ceux du lotus, trois pores. Le classement selon les apertures de grains de pollen est pertinent.
La Nature par des mécanismes encore méconnus a produit des formes qui se ressemblent beaucoup, mais n'ont absolument pas la même origine phylogénétique.
4. Classification moléculaire et classification traditionnelle
Comment se situent les botanistes traditionnelles par rapport à la nouvelle classification des plantes à fleur ?
Bessey, le véritable initiateur des systèmes de classification évolutifs, avait déjà vu l'origine des monocotylédones très proches du groupe des Magnolia. Bessey avait une vision de l'origine des plantes particulièrement efficace. Au contraire, le système de Cronquist est très déstabilisé par la phylogénie moléculaire, notamment parce qu'il avait accordé une importance excessive à la formation des étamines.
Dahlgren, en donnant une classification se fondant sur des critères physico- chimiques, a obtenu une vision proche de la vision moléculaire, à quelques doutes près, en raison du caractère trompeur de étamines chez certaines familles (famille du thé, famille du Camélia).
D. Les apports évolutifs
1. L'origine des plantes à fleurs
A la base des Angiospermes, vous avez la famille des Amboréllacées. Cette famille n'a qu'un seul représentant, un petit arbuste de Nouvelle Calédonie. Actuellement, cinq études indépendantes ont confirmé ce résultat : pour l'heure, la plante la plus ancienne connue serait Amborella de Nouvelle Calédonie.
2. Datation : l'hypothèse de l'horloge moléculaire
La phylogénie moléculaire offre la possibilité d'évaluer la date d'apparition des espèces. Cette estimation se fonde sur l'hypothèse de l' horloge moléculaire, selon laquelle l'ADN évolue régulièrement dans le temps. Ainsi, le nombre de différences moléculaires constatées entre les séquences de deux espèces est lié au temps qui les séparent depuis leur premier ancêtre commun. Cela reste une hypothèse à tester, qui peut être source d'erreurs.
Selon cette méthode, on a estimé qu' Amborella, la plus vieille Angiosperme connue serait apparue il y a 132 millions d'années. Les Nymphéacées seraient apparues il y a 130 millions d'années. Or, événement remarquable, on a découvert au Portugal des fossiles particulièrement bien conservés datés à 125-120 millions d'années. En 2002, de manière assez inattendue aussi, dans le New Jersey, un fossile qui ressemblait à des feuilles de Triuris (famille des Triuridacées) a été mis à jour. Il s'agit d'une plante saprophyte qui pousse sans chlorophylle et représente la plus ancienne dicotylédone connue. A côté des Triuris, on trouve une plante connue exclusivement au Japon, Japonelirion, également saprophyte, qui est estimée à 110 millions d'années.
L'apparition des Platanacées et des Nelumbonacées (le lotus) est située à 108 par l'horloge moléculaire et à 100 millions d'années par les fossiles. L'horloge moléculaire a minimisé l'ancienneté des Magnolias et des Pipéracées, qui seraient apparues il y a 90 millions d'années. Les Ranunculacées, les légumineuses et les composées (Rosidés, Astéridés, Renonculacées) seraient apparues il y a 30 millions d'années, à la fois par estimation selon le principe de l'horloge moléculaire et par les fossiles connus de ces groupes.
Actuellement, un engouement énorme pousse les chercheurs à intégrer les données de la paléobotanique et celles de la phylogénie moléculaire, afin de comparer la fiabilité des données de part et d'autre.
III. Les mécanismes de l'évolution et de la spéciation chez les plantes
A. Polyploïdie et hybridation
La diversification des végétaux repose une propriété qui leur est particulière : la possibilité d'être polyploïde [voir ploïdie]. Chez les animaux, la polyploïdie est létale. Chez les plantes, cette propriété crée des possibilités supplémentaires de spéciations, par l' hybridation entre espèces.
Des familles entières seraient issues de la polyploïdie (rosacées, oléacées, salicacées, etc). On considère même que 70 à 80 % des Angiospermes seraient issues de la polyploïdie. La polyploïdie permet l'hybridation c'est-à-dire le croisement d'espèces différentes. Certaines espèces ont une capacité d'hybridation considérable. Ainsi, les Dactyloriza, des orchidées de nos régions, s'hybrident si rapidement qu'il est difficile d'en définir les espèces.
L'exemple le plus connu d'hybridation artificielle, cité comme cas d'école, est la tentative de croisement réalisée par un scientifique russe, Karpenchenko. Son idée était de croiser le radis et le chou, pour obtenir un hybride avec des racines de radis et des feuilles de choux - et doublement comestible. En première génération (notée F1) de ce croisement, il a obtenu des hybrides stériles, diploïdes, à 2n=18 chromosomes. Ensuite, il a doublé le nombre de chromosomes et obtient des individus allotétraploïdes à 4n chromosomes. Ces hybrides, s'ils sont croisés avec l'un ou l'autre des parents, donnent des individus triploïdes, 3n stériles (comme la plupart des triploïdes). Ce mécanisme est responsable de la spéciation car les hybrides ne peuvent pas se recroiser avec leur parents, mais seulement entre eux. Ainsi, Karpenchenko a obtenu une nouvelle espèce, Raphanobrassica. Hélas ! Pas de chances : elle a les racines du chou et les feuilles du radis !
La plante la plus utilisée au niveau des modèles végétaux est Arabidospis thaliana, dont le génome est complètement séquencé. Elle est utilisée pour mettre au point les méthodologies moléculaires permettant d'étudier l'hybridation ou l'origine des espèces. Jusqu'à présent, la seule façon d'apporter la preuve d'une hybridation était de croiser les parents supposés de l'hybride. On pouvait observer des morphologies « intermédiaires » chez les descendants obtenus en laboratoire et les comparer à l'hybride supposé. Cependant, c'était très long et aléatoire.
Des techniques moléculaires sont actuellement développées et mises en oeuvre dans cette perspective. Elles consistent :
1) Premièrement, à marquer par sonde des séquences d'ADN. Une sonde permet de déterminer si une séquence d'ADN est présente chez un individu. Les sondes des parents vont pouvoir être détectée - ou non - chez l'hybride, où les deux lots de chromosomes sont mélangés.
2) Les techniques RAPD permettent d'identifier les allèles hérités d'un parent ou de l'autre.
3) La visualisation de l'ADN chimériques, des séquences où les nucléotides proviennent d'un mélange des nucléotides des parents.
Ces techniques ont permis de déterminer quelles sont les espèces « parents » de plantes supposées hybrides. Une étude a porté sur les Tragopogons, une espèce de salsifis. Certaines espèces de salsifis ont été introduites aux Etats-Unis, autour de 1900, en provenance d'Europe. Deux espèces notamment, T. dubius et T. pratensis se sont répandues dans tous les Etats-Unis. Environ 50 ans après, des espèces hybrides, tétraploïdes, sont apparues. Leur ITS de ces espèces sont chimériques provenant en partie de T. dubius, une autre partie de T. pratensis : cela prouve qu'il s'agit d'hybrides. Ces hybrides présentent des propriétés physiologiques modifiées par rapport aux parents, qui leur confèrent la capacité de s'installer dans des zones rudérales. Elles ont ainsi prospéré. Il n'y a pas eu de spéciation géographique : ces hybrides coexistent dans la même zone que leur parents. Ce type de spéciation est dite « sympatrique ».
Les Encelia illustrent le phénomène inverse. Deux espèces existent : E. actoni et E. frutescens. Une nouvelle espèce à morphologie intermédiaire est apparue, supposée hybride, ce qui est prouvé par ses ITS, chimériques. Ces espèces vivent dans des zones géographiques différentes. E. actonis vit dans les zones montagneuses à l'est de la Californie, dans des aires tempérées, tandis que E. frutescens s'établit dans des zones désertiques du Nevada, où il fait très chaud. L'hybride aime les températures intermédiaires, ni trop chaud, ni trop froid : il s'établit dans l'Utah. Ainsi, il s'est développé dans une aire voisine de l'aire de répartitions de ses parents : il s'agit d'une spéciation « parapatrique ».
B. La co-évolution
L'hybridation et la polyploïdie n'ont pas été les seuls mécanismes, ou forces, de l'évolution. Un élément de l'évolution des plantes à fleur est l'interaction avec les insectes.
Je développerai l'exemple du figuier pour illustrer ce phénomène. Le figuier est un genre qui regroupe de très nombreuses espèces. Les figues ne peuvent être pollinisées que par un seul insecte, une petite guêpe : un blastophage. Une espèce de blastophage ne peut polliniser qu'une seule espèce de figue et réciproquement, une espèce de figue ne nourrit qu'une espèce de blastophage. On compte ainsi autant d'espèces de figuiers que d'espèces de blastophages.

La phylogénie basée sur des ITS et celle fondée sur les critères morphologiques ne coïncident absolument pas. Pourtant, chez les figuiers, il n'y a aucun phénomène d'hybridation connue, c'est une plante diploïde à 2n=20 chromosomes. On n'arrive pas à expliquer les différences entre les deux classifications par les artéfacts classiques en génétique.
En revanche, la classification moléculaire des insectes correspond parfaitement à la classification moléculaire de figuiers. En fait, les blastophages ont joué le rôle de taxonomistes : ils ont sélectionné des caractères. Il y a eu une co-évolution étroite entre insectes pollinisateurs et les figuiers.
Cet exemple pourrait être multiplié par des milliers. Je n'en mentionne qu'un, mais c'est un facteur extrêmement important dans l'évolution des plantes à fleur.
III. Les limites des phylogénies moléculaires
A. L'exemple du coton
Le coton offre un exemple intéressant de contradictions entre phylogénies. Cette plante a plusieurs origines : africaine, américaine, et australienne. Quand on établit la phylogénie des espèces sauvages, en considérant deux gènes différents (gène chloroplastique, ITS), les résultats sont complètement contradictoires.
A partir des ITS, toutes les espèces australiennes sont monophylétiques, c'est-à-dire se trouvent dans la même branche. De même, tous les cotons africains appartiennent à une même branche, ainsi que les cotons sauvages du nouveau monde. En revanche, avec l'étude des gènes chloroplastiques, on n'arrive pas à différencier les cotons sauvages américains des cotons sauvages africains. Pourtant, il est clair que depuis la formation de l'océan atlantique, antérieure à l'apparition du coton, la spéciation a différencié les cotons sauvages de chacun des continents.
Ainsi, les ITS donnent une bonne image de l'évolution de l'espèce. En revanche, les gènes chloroplastiques se sont dupliqués sans évoluer, indépendamment du reste du génome (on parle de gènes égoïstes). Ce qu'il faut retenir, c'est que des gènes ont évolué, ont suivi l'histoire de l'espèce - les ITS - tandis que d'autres gènes - les gènes du chloroplaste- n'ont quasi pas évolué, et ne font pas apparaître les divergences entre les espèces des différents continents.
On est confronté à la limite de la méthode. En utilisant des gènes différents, on peut obtenir des phylogénies très différentes. Cette étude a été le point de départ de nombreuses recherches pour comprendre ces contradictions entre les phylogénies fondées sur différents gènes.
B. Comment expliquer ce problème de contradiction entre phylogénies ?

L'évolution concertée
Les erreurs résultent de l'utilisation de familles multi-géniques pour construire les classifications. Par exemple, le gène de l'ARN ribosomique est constitué de deux sous unités. Pour chacune, le gène est répété 100-200 fois dans le génome. Ces unités répétées sont très homogènes : toutes les petites sous unités (18S) sont semblables ; toutes les grandes sous-unités (28S) sont identiques entre elles. Un phénomène d'évolution concertée agit comme système de régulation et permet cette homogénéité des séquences. Si une mutation apparaît au niveau des ITS, au cours de l'évolution, cette mutation est réparée, de telle sorte que les ITS deviennent homogènes au sein de l'espèce.
De la même façon, quand une espèce apparaît par hybridation, les séquences provenant des parents s'homogénéisent avec le temps au sein de la nouvelle espèce, de telle sorte que le polymorphisme dû aux deux origines de gènes disparaît. Pourtant, on a vu précédemment qu'il est possible de distinguer les ITS provenant de deux parents - les séquences restent « chimériques ». Cela n'est possible que lorsque l'hybridation est très récente : l'homogénéisation des ITS par évolution concertée n'a pas eu le temps de se produire et le polymorphisme « parental » est conservé à l'intérieur d'individus de même espèce.
En pratique, pour certaines espèces ayant divergé il y a très longtemps, ce polymorphisme se rencontre encore. Pourquoi ?
Les conditions de l'évolution concertée
En biologie végétale, un des modèles les plus utilisés est la pivoine. La reine des fleurs, « la reine des herbes » dans la Grèce Antique est devenue la reine des cytologistes. Elle offre l'avantage de posséder un petit nombre de chromosomes de grosse taille. Par la méthode de fluorescence in situ, la fameuse méthode FISH, on peut notamment localiser les gènes sur ces chromosomes.
Les pivoines seraient apparues dans le bassin méditerranéen, il y a près de 20 millions d'années. L'évolution concertée a Suvré - leurs ITS sont parfaitement homogènes. En l'étudiant, on s'est aperçu que les gènes utilisés pour construire les phylogénies se situent souvent près des centromères. C'est une zone particulière au niveau des chromosomes. Cette position des gènes favoriserait l'homogénéisation des séquences. Il semblerait que la proximité des centromères est responsable d'une bonne homogénéisation des ITS, qui, par conséquent, permettent une bonne différentiation entre espèces.
Cependant, quand on compare Arabidopsis à des Brassica, bien que leur divergence remonte à plus de 20 millions d'années, il existe encore un très fort polymorphisme. Apparemment, le temps n'est pas suffisant pour homogénéiser les familles multigéniques par évolution concertée dans ce cas. Pour résoudre cette contradiction, les auteurs ont regardé la position des gènes ribosomiques chez les Brassica. Ils se situent très loin des centromères, ce qui peut expliquer le polymorphisme des ITS.

Pour éviter les erreurs dues au choix du gène, la règle de base pour la construction d'une phylogénie moléculaire, les études d'hybridation ou d'évolution, est d'étudier plusieurs séquences d'ADN. Cette règle va sans doute devenir obligatoire pour que les résultats d'une étude soient acceptés.

IV. Les risques de transgénèse

Je vais terminer cet exposé en vous présentant des exemples de risques de transgénèse. L'utilisation d'outils moléculaires a révélé que la spéciation par hybridation est un phénomène courant et parfois extrêmement rapide.
Le maïs fournit la base alimentaire d'une grande partie de l'humanité. Il a été domestiqué à partir d'une plante, la téosinthe, qui n'est pas très appétissante et produit peu de graines. L'ensemble des espèces de maïs, sauvages, cultivées, téosinthes, est tenu en collection au Mexique, une collection fantastique, unique au Monde. Cette collection a été contaminée par le transgène Bt, cultivé illégalement au Mexique. Ce transgène confère au maïs Bt la résistance à la pyrale grâce à l'introduction des gènes de résistance de la bactérie Bacillus thurigiensis. La publication (dans la revue Nature) qui décrivait cette contamination a soulevé une polémique, avec contestation des résultats. Il reste possible que cette introgression du Bt dans les collections ne soit pas stable et disparaisse... mais cela reste à prouver.
Le blé cause encore davantage de problème. Son ancêtre est probablement un Aegilops primitif, qu'on peut qualifier de « mauvaise herbe ». Parmi les espèces proches du blé, se trouvent l' Aegilops cylindrica et Hordeum maritimum, deux mauvaises herbes européennes. Toutes deux peuvent se croiser avec le blé - cela a été démontré. Il est donc interdit de cultiver des blés transgéniques en Europe. En revanche, ces blés transgéniques sont déjà cultivés en Amérique du Nord. Il y aura probablement de problème d'introgression de gènes chez des mauvaises herbes, tels qu' Aegilops ou Hordeum. On ne peut nier ce risque, il existe bel et bien.
Il est inutile de parler du cas des crucifères ( Brassica) - colza, moutarde... - qui peuvent s'hybrider avec n'importe quelle autre crucifère, même de genre différent. Chez les colzas, les éléments transgéniques passeraient très rapidement dans les espèces sauvages.

Conclusion
Lors de cette conférence, j'ai abordé de manière rapide les connaissances issues de la nouvelle classification des plantes à fleur. Les opportunités de recherches sur les questions d'hybridation sont nombreuses. Les exemples présentés datent de 2002 : c'est réellement un domaine scientifique très jeune et porteur.
Les hypothèses sur l'horloge moléculaire demandent encore confirmation. Cependant, on commence à posséder de bonnes bases puisque les estimations par techniques moléculaires concordent avec les données paléontologiques.
Je vous ai également mis en garde sur ces techniques, très puissantes. Actuellement, dans mon laboratoire, on peut produire des centaines de séquences d'ITS par jour. La capacité de production de données en laboratoire est devenue impressionnante. Cette information surabondante, est accessible à tous les chercheurs. Cela signifie qu'en cas de conflit entre taxonomistes, ils peuvent utiliser des éléments expérimentaux communs, accessibles gratuitement sur internet.
Même si l'information se multiplie, la compréhension des génomes reste parcellaire. Les gènes ne forment pas un ensemble homogène. Au contraire, le génome est une mosaïque complexe de gènes ayant des vitesses d'évolution différentes, avec des phénomènes de convergence, des comportements « égoïstes » de gènes, etc. On peut générer des résultats artefactuels si on se limite à des études peu approfondies.
Enfin, j'ai mentionné très rapidement les risques des transgènes. Il faut manipuler ces éléments avec d'infinies précautions pour ne pas polluer, à travers les phénomènes d'hybridation, les espèces proches. Ces modifications peuvent se passer très rapidement et modifier profondément les propriétés des plantes sauvages, à une échelle de temps humaine.


Glossaire


Espèce : ensemble des individus capables par reproduction de donner des descendants non stériles.

Étamine : appareil reproducteur mâle, où se forment les grains de pollen

Evolution concertée : tendance de différents gènes d'une famille de gène à évoluer de conserve, c'est-à-dire que chaque locus de la famille a tendance à présenter le même variant, la même séquence génétique.
Famille de gènes : un ensemble de gènes liés qui occupent différents endroits (ou locus) dans l'ADN, la plupart sont issus de la duplication d'un gène ancêtre et présentant la même séquence. Les membres d'une famille de gène peuvent être très proches fonctionnellement, ou, au contraire, très différents.

Phylogénie : science qui décrit les relations évolutives entre organismes

Ploïdie :
Chaque espèce a un nombre n donné de chromosomes. La plupart des organismes sont diploïdes, ce qui est noté 2n: chaque chromosome est présent en deux exemplaires. Un lot de n chromosomes est apporté par le père, l'autre par la mère - les cellules reproductrices (ou gamètes) mâles et femelles sont haploïdes, contenant n chromosomes. On estime que le tiers des plantes à fleurs contiennent plus de deux lots de chromosomes : on dit qu'elles sont polyploïdes.
Une cellule diploïde peut connaître un doublement du nombre de ses chromosomes: il en résulte une cellule tétraploïde, à 4n chromosomes. Ce phénomène a peu de probabilité de se réaliser spontanément, mais par utilisation de produits chimiques, on peut ainsi obtenir de tétraploïdes à haute fréquence en laboratoire. Un autre processus de doublement est quant à lui fréquent : l'union de gamètes restés diploïdes 2n - des gamètes non réduits. Les tétraploïdes peuvent être :
- autotétraploïdes : les lots de chromosomes sont homologues, i.e. chaque lot de n chromosomes sont identiques. Cela se produit par doublement du nombre de chromosomes d'une cellule diploïde, ou par union de gamètes diploïdes de même espèce.
- allotétraploïdes : des lots de chromosomes non homologues sont mis en présence. Cela peut se produire par union de gamètes 2n provenant d'espèces diploïdes différentes. Ces allotétraploïdes se comportent comme une nouvelle espèce.

Taxonomie : science qui nomme et classe les organismes

Saprophytes : organisme hétérotrophe vivant sur de la matière organique non vivante

Gène : unité d'information héréditaire, composée d'une séquence d'ADN. Un gène comprend l'ensemble des séquences impliquées dans la production d'une protéine c'est-à-dire les séquences codantes (qui codent a proprement parlé pour la protéine) et les séquences régulatrices (qui permettent de moduler l'expression du gène).

 

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L'ADN : DÉCHIFFRER POUR MIEUX COMPRENDRE LE VIVANT

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L'ADN : DÉCHIFFRER POUR MIEUX COMPRENDRE LE VIVANT


Et demain ?


En s'appuyant sur les informations que contiennent nos gènes, la génomique ouvre la voie à de nouvelles pratiques : le Big data, la médecine personnalisée, la thérapie génique.

Publié le 25 janvier 2018
         
BIG DATA ET SMART DATA
Avec l’avènement de la génomique, la biologie est entrée dans l’ère du Big data, des données massives. En 2013, 15 pétaoctets de données de séquences ont été générées dans le monde. Depuis, le nombre de séquenceurs et la capacité de séquençage n’ont fait qu’augmenter ! Recourir à des outils informatiques pour générer, stocker et analyser ces données est devenu vital. À titre d’exemple, pour reconstituer un génome bactérien de seulement quelques mégabases, il faut environ 200 000 milliards de comparaisons de caractères. Mais le séquençage n’est pas le seul fournisseur de données. La transcriptomique, la protéomique et plus récemment l’épigénomique, toutes les technologies “omiques” dépendent de l’informatique. Au carrefour de ces disciplines est née la bio-informatique. Elle permet de modéliser la conformation d’une protéine, de prédire sa fonction ou de calculer un flux énergétique… Ces simulations font gagner un temps précieux à la recherche, en oncologie ou en diabétologie par exemple. L’utilisation de ces données requiert cependant l'acceptation de la société et une surveillance éthique.


De nouvelles méthodes d'analyse restent encore à inventer pour passer du Big data au Smart data, l'utilisation intelligente des données. Croiser, interroger et exploiter différentes bases et sources de données devient l'enjeu du XXIe siècle.


LA MÉDECINE PERSONNALISÉE
Aujourd’hui la médecine envisage de personnaliser son offre. Comment ? En scrutant notre ADN afin d'identifier les différences individuelles. C’est aujourd’hui possible grâce aux formidables progrès technologiques qui ont considérablement baissé les coûts et les temps d’analyses du séquençage et du génotypage. Ces techniques permettent d’identifier les gènes impliqués dans différentes maladies et de proposer des diagnostics et des pronostics plus sûrs. Sur 7 275 maladies monogéniques recensées en 2017, plus de la moitié ont vu leur gène impliqué identifié. La présence de mutations génétiques chez une personne ne signifie pas toujours qu'elle développera une maladie, mais indique un facteur de prédisposition génétique, pouvant conduire à un suivi ciblé. Les tests permettent donc d'affiner un diagnostic et la prise en charge de la maladie.
Proposer un traitement adapté à chacun est le deuxième enjeu de la médecine personnalisée. Les taux de réponse aux traitements traditionnels varient entre 20 et 80 %. La cause ? Nos sensibilités individuelles aux médicaments qui peuvent, selon notre génome, se révéler plus ou moins efficaces et, dans certains cas, dangereux. Pour le cancer, les différents traitements possibles pourront être testés sur les cellules tumorales du patient. Séquencer les tumeurs peut également permettre de trouver le traitement le plus efficace en fonction du type d’oncogène muté. En juin 2016, la France s'est lancée officiellement dans la bataille mondiale de la médecine personnalisée en lui dédiant 12 plateformes de séquençage haut-débit du génome.

INFO : Le génome de 560 tumeurs du sein a été séquencé. Résultat : moins de 100 gènes ont été identifiés comme porteurs des 1 600 mutations détectées ; ce qui confirme la faisabilité de futurs traitements personnalisés.

LA THÉRAPIE GÉNIQUE

Le principe de la thérapie génique est d’introduire un gène sain, un gène médicament, dans le noyau d’une cellule malade. Aujourd’hui, elle englobe bien d’autres procédés, comme l’administration de molécules modulant l’expression des gènes. Quelles sont les maladies concernées par cette approche ? Les maladies génétiques, bien sûr, mais aussi des maladies comme le cancer, le Sida ou les maladies cardiovasculaires.

La thérapie génique aura des effets différents si elle s’opère sur des cellules somatiques ou des cellules germinales du patient. Dans le premier cas, les effets s’appliquent au patient et non à sa descendance. La France est un des leaders mondiaux dans ce domaine. La thérapie génique somatique a remporté de nombreux succès. En 2012, douze essais ont été conduits avec succès par une équipe de l’hôpital Henry Mondor, à Créteil, sur des patients atteints d’une forme avancée de la maladie de Parkinson. Dans le cas de la thérapie génique germinale, les effets sont permanents et transmis à la descendance ; elle est interdite en France par la loi de Bioéthique.

Utilisation des vecteurs viraux
L’étape critique de la thérapie génique est d’introduire le gène médicament dans la cellule. Cela peut se faire directement par un vecteur, viral ou artificiel. Un vecteur est une sorte de véhicule qui guide l’ADN vers sa cible et lui permet de traverser les différentes membranes cellulaires. Depuis des millions d’années, les virus développent des stratégies pour infiltrer les cellules et les infecter. Une fois rendus inoffensifs, ils font d’excellents candidats. Ces vecteurs viraux, dits intégratifs, insèrent leur ADN avec le gènemédicament dans le génome de l’hôte qui, en cas de division, le transmet aux cellules filles. C’est le cas des rétrovirus. Inconvénient majeur : leur insertion est aléatoire dans le génome de l’hôte et peut entraîner d’autres maladies. Dorénavant, les chercheurs se tournent vers les lentivirus, des vecteurs non intégratifs considérés comme plus sûrs. Avec eux, l’ADN médicament reste dans la cellule de l’hôte sans s’insérer dans son génome, il s’exprime pendant la durée de vie de la cellule puis disparaît avec elle. Malgré l’efficacité des vecteurs viraux, la piste des vecteurs artificiels est aujourd’hui à l’étude car elle est considérée comme plus sûre.
Découverts en 2013, les CRISPR (Clustered regularely interspaced short pallindromic regions) pourraient être “ le couteau suisse ” de la génétique. Cette technique permet de supprimer, modifier, ajouter des gènes à la demande, facilement et à moindre coût. Ainsi, il est possible de cibler précisément le point d’insertion des gènes médicaments et de remplacer les gènes défectueux par des gènes sains. Les maladies génétiques du sang et du foie pourraient être les premières à en bénéficier, de même que les greffes.


ESSAI DE THÉRAPIE GÉNIQUE : La maladie de Huntington est une maladie neurodégé- nérative. Elle est causée par la mutation d’un gène situé sur le chromosome 4. En France, elle touche actuellement 10 000 patients, âgés de 40 à 50 ans. La thérapie génique pourrait prolonger la durée de vie de ces patients, en injectant dans la zone du cerveau atteinte, via un vecteur viral, une protéine qui protègerait leurs neurones de la mort.

QUESTION D’ÉTHIQUE
La réflexion éthique analyse les changements que la recherche scientifique introduit dans la société, la responsabilité des chercheurs et les réactions que suscitent les nouvelles techniques. La bioéthique est apparue dans les années 1970. Cette réflexion est née de la perception des dangers potentiels attachés aux utilisations de la biologie et de la génétique. Aboutissement de plusieurs années de travaux, la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme a été adoptée en 1997 par l’Unesco. Dès 1994, la France s'est dotée de ses premières lois de bioéthique.

Objectif : donner un encadrement législatif aux innovations médicales qui impliquent une manipulation du vivant - des expérimentations sur l'homme à la procréation assistée.

Ces textes ont été révisés une décennie plus tard. La loi adoptée en 2004 a interdit le clonage, reproductif ou thérapeutique, ainsi que la recherche sur les cellules souches embryonnaires, hormis les expérimentations permettant des progrès thérapeutiques. Puis des États généraux de la bioéthique se sont tenus en 2009 ; une année durant laquelle des réflexions et des échanges ont été menés par un groupe de travail réunissant des médecins, des juristes, des universitaires et des chercheurs. Les sujets abordés ont été : cellules souches et statut de l'embryon humain ; diagnostic prénatal et préimplantatoire ; assistance médicale à la procréation et droits de l'enfant ; tests génétiques et droits des personnes ; dons, prélèvements et conservation d'éléments du corps humain et encadrement éthique ; accompagnement de fin de vie et soins palliatifs ; relations avec les pays en développement dans les domaines de la recherche et du soin. La loi relative à la bioéthique en vigueur à ce jour date de juillet 2011.

 

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LES TECHNIQUES DES BIOTECHNOLOGIES

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LES TECHNIQUES DES BIOTECHNOLOGIES



*         RÉSUMÉ
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Texte de la 356e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 21 décembre 2000.
Les nouvelles technologies en recherche biologique
Par Christophe Thurieau

Introduction
Un médicament contient une ou plusieurs molécules actives qui, administré à l’homme, provoque des modifications d’un état précédemment pathologique ou normal. Le concept de la clef et de la serrure, selon lequel un médicament actif se lie spécifiquement à une cible biologique, est ancien, et lié à Emile Fisher en 1894. Il a fallut attendre les années 60 pour que ce modèle soit enfin appliqué de façon remarquable par le pharmacologue britannique Sir James Black (devenu depuis prix Nobel). En effet, à partir de ses observations, notamment, en partant du constat que l’adrénaline, hormone surrénalienne déjà identifiée avait sur le cœur 2 catégories d’effets parfaitement distinctes, dits ? et ?, il a émis l’hypothèse que ces effets résultaient très probablement de l’action sur des récepteurs spécifiques et différents. De ces recherches, sont nés le premier ?-bloquant (anti-hypertenseur) et plus tard le premier anti-H2, la cimétidine, apport majeur au traitement des ulcères gastro-duodénaux. Dès lors une approche réellement rationnelle de la mise au point du médicament s’est établie.
Avec les progrès de la biologie cellulaire, incluant notamment la culture de lignées cellulaire et l’application du concept clef serrure, des techniques d’évaluation du niveau d’association d’un ligand avec sa cible (un récepteur ou une enzyme) dites techniques de binding (ou tests de liaison) ont pu être réalisées et permettre ainsi d’identifier des composés chimiques lorsque ceux-ci empêchent la fixation du ligand naturel.

Cependant, le point de départ de la recherche pharmaceutique a toujours été la connaissance d’un ligand (clef), qu’elle soit issue d’un produit naturel, ou qu’elle soit le résultat d’une synthèse chimique, la cible étant soit inconnue, soit identifiée tardivement dans le développement, voire après celui-ci. Aujourd’hui, les méthodes biotechnologiques permettent l’inversion de ce processus, en identifiant souvent les cibles avant même que soit connu le ligand naturel qui y est attaché. Cette approche nécessite la mise en place de concepts et d’instruments entièrement nouveaux.
En effet, les avancées scientifiques et techniques considérables de ces dernières années en biologie moléculaire, biologie cellulaire et biochimie permettent de découvrir un grand nombre de composants biologiques nouveaux dont la fonction physiologique n’est pas connue. La découverte de ces nouvelles entités biologiques génère de nouvelles cibles ou pistes potentielles de recherche.

Ces technologies innovantes, devenues progressivement disponibles depuis le début des années 90, sont en train de révolutionner les processus de découverte en biologie et en conséquence les stratégies de recherche de nouveaux médicaments.
La nouvelle stratégie de découverte des médicaments.
L’accès à ces données, l’identification de la fonction de ces acteurs bio-moléculaires fait appel aujourd’hui à un panel de technologies nouvelles résultant du mariage de techniques propres à l’informatique, la chimie, la microélectronique et de la bio-robotique.
La génomique
La génomique peut être définie comme la discipline dédiée à l’identification de l’ensemble des gènes du patrimoine génétique (le génome) et à l’élucidation de leur fonction. On parle aujourd’hui de génomique structurale (connaissance de la séquence des gènes) et de génomique fonctionnelle (analyse de la fonction). Le challenge est énorme car il s’agit de pouvoir comprendre l’organisation et la fonction de plus de 100 000 gènes et plus encore de déterminer comment les produits de ces gènes que sont les protéines interagissent pour assurer le fonctionnement d’une cellule.

Pour traiter cette augmentation exponentielle et complexe de données, des technologies révolutionnaires, les puces ADN, sont développées (Figure 1). L’étude de la dynamique de la cellule et du génome impose en effet de pouvoir analyser simultanément un mélange complexe de plusieurs dizaines de milliers de gènes dont les niveaux d’expression varient de 1 à 10 000 transcrits (ARNm) par cellule. Les puces à ADN résultent de la combinaison des techniques de miniaturisation propres à la microélectronique, de la chimie, de la biologie moléculaire et de l’informatique.
Figure 1 Les puces à ADN- Analyse de l’expression d’un grand nombre de séquences.
La puce ADN est constituée d’un réseau dense et régulier de micro surfaces, les unités d’hybridation (UH) gravées sur un support plan. Chaque UH est greffée avec des molécules simple brin d’ADN. Le rôle de chaque UH est de reconnaître, dans un mélange appliqué sur la surface de la puce, une séquence particulière, par réaction d’hybridation entre séquences complémentaires (base de la biologie moléculaire). Les molécules greffées sur la puce constituent les sondes et les ADN en solution, marqués par exemple par fluorescence, sont les cibles. A l’issue de chaque réaction d’hybridation, les signaux émis sur chaque UH sont mesurés et analysés. Le traitement des données d’intensité permet l’évaluation de la concentration des cibles cellulaires. Les plus hautes densités réalisées à ce jour sont d’environ 105 à 106 UH/cm2 (UH de 30 à 10 ?m de côté) et sont adaptées à la quantification de l’expression d’un grand nombre des gènes d’un type cellulaire donné (10 000 à 50 000 gènes exprimés). Les applications actuelles (séquençage du génome, analyse des transcrits, criblage de mutations) sont déjà révélatrices des immenses potentialités des puces ADN et de l’avenir promis à ces technologies.
Des applications futures très prometteuses verront très probablement le jour avec principalement :
- Études sur la diversité génétique humaine et l’histoire des migrations des populations.
- Recherche accélérée dans les maladies d’origine génétique ; Etudes d’association et recherche de facteurs de risques
- Analyses du spectre d’action de nouveaux médicaments (potentiel thérapeutique, effets secondaires, définition des doses, diagnostic…).
La génomique a permis l’éclosion de nouvelles disciplines dont la pharmacogénétique, étude des variations héréditaires de la réponse aux médicaments en terme d’efficacité et de toxicité. De grands programmes de pharmacogénomique sont aujourd’hui engagés, ayant pour objectif de différencier des populations d’individus répondeurs ou non répondeurs à un médicament. Cette nouvelle discipline nécessite le recours à une carte physique ultra fine du génome humain. La recherche de populations « génétiquement homogènes » est un enjeu majeur qui donnera un avantage compétitif considérable dans l’établissement d’une telle carte.

La Protéomique
Le développement des techniques de purification et d’analyses biochimiques permettent aujourd’hui d’envisager l’étude des produits des gènes que sont les protéines (Figure 2).
Figure 2 : La Protéomique- Séparation et identification des protéines cellulaires.
Il s’agit de pouvoir développer des cartographies de ces acteurs moléculaires au sein de la cellule. Les protéines contenues dans un extrait cellulaire sont séparées selon leur poids moléculaire et leur charge nette globale par électrophorèse bidimensionnelle. L’identification de ces protéines est réalisée par élution de celles-ci des gels d’électrophorèses, digestion enzymatique et analyse en spectrométrie de masse des fragments obtenus. Une comparaison des spectres obtenus avec des banques de données spectrales permet de déterminer si ces protéines sont connues.
Une image de la « population » protéique en réponse à un état cellulaire déterminé, est ainsi obtenue. Il est possible de réaliser et de comparer un grand nombre de ces cartes dans le but de repérer, et de lier une production anormale de certaines protéines à une situation pathologique.

La chimie combinatoire
Avant l’ère de la chimie combinatoire, les capacités de synthèses chimiques étaient limitées à une ou quelques molécules par semaine pour un chimiste, alors que pour obtenir un médicament candidat, il fallait disposer de plusieurs dizaines voire centaines d’analogues de la molécule active de départ.
La chimie combinatoire consiste à synthétiser en parallèle, et par des moyens très automatisés, des familles de produits ou chimiothèques (libraries), construites par assemblage de blocs de construction (building blocks pour les Anglo-saxons) ou monomères qui portent des fonctionnalités chimiques qui vont interagir avec la cible. Ces techniques permettent de générer un grand nombre de molécules et d’augmenter considérablement leur diversité.

Cette approche peut être comparée à un immense jeu de cubes, de couleurs et de tailles différentes. Chacun de ces cubes est disponible en quantité infinie et le joueur effectue, une multitude de combinaisons entre ces cubes. Parmi l'ensemble des combinaisons possibles, il retiendra la construction conforme à un objectif déterminé. Le joueur éliminera toutes les autres constructions inutiles. En prenant par exemple comme cubes des acides aminés, naturels ou artificiels, avec 20 éléments de base, les possibilités de combinaisons sont égales à 20n, n étant le nombre d'acides aminés de la construction, autrement dit, de la molécule. Pour une molécule constituée de 2 acides aminés, le nombre de possibilités d'organiser ces 20 acides aminés est de 20 x 20. Si c'est une molécule de 3 acides aminés, ce nombre passe à 20 x 20 x 20 etc.… A la différence du jeu de cubes, en laboratoire, la synthèse automatisée et systématique d'un grand nombre de molécules est réalisée en parallèle et en simultané. Les molécules ainsi construites, ainsi « synthétisées », sont toutes conservées dans des bibliothèques chimiques, ou « chimiothèques ». Chaque molécule, chaque « construction », est ensuite testée vis à vis de cibles biologiques (enzymes, hormones, récepteurs membranaires…) à l’aide de systèmes robotiques de mesure ultrarapide, appelé « criblage à haut débit ».
Le champ d’application de la chimie combinatoire s’étend d’ores et déjà au-delà du domaine des sciences de la vie. En chimie minérale, des banques combinatoire d’oxydes mixtes ont été réalisées, et ont permis de découvrir des composés magnéto résistants et supraconducteurs entièrement nouveaux.
Le criblage pharmacologique à haut rendement
Le criblage systématique de molécules d’origines diverses (chimie de synthèse, produits naturels, micro-organismes…) sur des cibles biologiques a toujours constitué une approche de choix utilisée par l’industrie pharmaceutique dans la découverte de nouveaux médicaments. De nombreux médicaments comme l’anticancéreux « Taxol », l’immunosuppresseur « Cyclosporin » ou l’antihyperlipidémiant « Sinvastatin » illustrent les succès obtenus par cette approche.
Les développements récents de la chimie combinatoire générant un nombre important de molécules avec un haut degré de diversité structurale et les progrès en robotique et en informatique scientifique, ont placé les techniques de criblage à haut rendement (HTS pour High Throughput Screening) au centre du procédé de découverte de molécules actives sur ces nouvelles cibles.

Les tests biologiques, mis au point à partir de la cible identifiée, ont ainsi évolué dans des formats permettant la mesure rapide d’activité de quelques milliers de molécules par jour au milieu des années 1990 à plusieurs dizaines de milliers par jour aujourd’hui.
Cette augmentation importante des capacités de tests est liée à une progression très rapide de la miniaturisation des technologies de détection et de prélèvement de liquide qui permettent d’assurer la manipulation avec reproductibilité de volumes de l’ordre du millionième de litre.
Figure 3 : Plate forme robotique de test biologique à haut débit
Ce criblage à haut rendement n’est possible que par la mise en place d’un laboratoire faisant appel aux derniers développements de la robotique et de l’informatique (Figure 3). L’unité de base de travail du système est une plaque de microtitration qui suivant la configuration permet le test de 96 à 1034 produits de façon simultanée.

Le protocole correspondant au test à effectuer est programmé grâce à un logiciel spécialement développé. Chaque étape de ce protocole est apprise par le système et la localisation précise et l’accessibilité des différents appareils est définie pour le bras robotique. Ces systèmes effectuent les tâches répétitives d’un test biologique comme la distribution des réactifs et des composants biologiques, les incubations, la filtration le séchage, et la lecture des résultats et assure le débit de plusieurs milliers de mesures par jour sur une cible biologique sélectionnée. Grâce à un outil informatique puissant l’analyse du flux très important d’informations provenant de ces programmes de criblage permet d’établir des corrélations rapides entre structures chimiques et activité biologiques.

Les molécules actives ainsi identifiées lors de ces premiers tests sont utilisées comme modèle pour concevoir et synthétiser de nouvelles familles de molécules plus actives et plus sélectives pour la cible biologique considérée. Cette approche itérative est effectuée jusqu’à l’obtention de composés ayant le profil d’activité recherché. L’objectif est d’identifier rapidement un candidat médicament qui pourra être testé sur des espèces animales et éventuellement lors d’essais cliniques chez l’homme.

Les technologies de test à haut débit sont en pleine évolution et aujourd’hui elles s’étendent à des domaines de complexité croissante. En effet, l’objectif est de pouvoir réaliser des mesures d’activités d’une même molécule sur différents paramètres cellulaires avec la même rapidité et reproductibilité que sur des composants biologiques isolés comme les récepteurs et les enzymes. Ces techniques sont basées sur de l’application des marqueurs de fluorescences dans les tests biologiques et sur le développement d’algorithmes de traitement d’image. En réponse à des stimuli particuliers plusieurs mécanismes intracellulaires peuvent être analysés comme l’internalisation de récepteurs, le trafic intracellulaire, l’activation de certains gènes et bien sur la viabilité et la motilité cellulaire.

Conclusion
Les informations provenant des programmes de séquençage du génome humain nous permettent de prédire que celui ci est composé de 100 000 à 120 000 gènes. L’identification de la structure et de la fonction de ces gènes représente un challenge sans précédent. De l’étude de leur structure et de leur fonction pourront naître 5 000 à 10 000 nouvelles cibles biologiques potentielles pour le développement de futurs agents thérapeutiques. C’est pour pouvoir relever ce défi, que les laboratoires de recherche s’emploient à développer et à mettre en place un grand nombre de technologies innovantes.

 

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DE L'HOMME - ET DE LA FEMME - PRÉHISTORIQUES

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DE L'HOMME - ET DE LA FEMME - PRÉHISTORIQUES

Depuis leur fondation au milieu du XIXème siècle, les sciences de la préhistoire ont situé le devenir de la famille humaine dans les 5 ou 7 millions d'années de son existence. Ils ont déployé une rigueur et une inventivité extraordinaires pour faire parler les vestiges rares, disséminés et fragmentaires dont ils disposent.
La théorie de l'évolution conduit à penser l'origine de l'Homme, non comme création, moment ponctuel miraculeux où il serait triomphalement apparu sur la terre, mais comme filiation, qui enracine notre espèce dans l'ensemble du règne animal, dans les embranchements et les buissonnements multiples de l'histoire du vivant. Anthropologues et biologistes se sont attachés à reconstituer la généalogie de l'homme, et les mécanismes mêmes de son devenir : Ardipithecus ramidus, Australopithecus, Homo habilis, erectus, neandertalensis, sapiens... - dessinent, depuis le lointain de la préhistoire africaine, la constellation de nos ancêtres.
Les préhistoriens ont tenté de reconstituer les cultures, les modes de vie et de pensées des Préhistoriques : invention, usage et évolution de l'outillage, formes de l'expression et de la communication, gestes, croyances et rituels que pouvait exprimer l'art ou les sépultures. Les formes et les structures de la vie sociale des premières sociétés humaines - sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs - ont elles aussi été interrogées ; de nouvelles approches ont permis de repenser les relations entre hommes et femmes au Paléolithique, et de réévaluer le rôle de la femme dans la préhistoire.

Texte de la 11ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 11 janvier 2000 par Claudine Cohen
De l'homme (et de la femme) préhistorique
En 1883, l'anthropologue français Gabriel de Mortillet publie Le Préhistorique, une somme du savoir accumulé de son temps sur la préhistoire. Savoir tout neuf encore : seulement deux décennies plus tôt, Boucher de Perthes avait produit, aux yeux de ses contemporains d'abord sceptiques, puis émerveillés, les preuves de l'ancienneté de l'Homme, et démontré que des êtres humains avaient cohabité, en des temps dont aucune écriture n'a conservé la mémoire, avec des animaux aujourd'hui éteints - le Mammouth, l'Ours des Cavernes, le Rhinocéros laineux survivant par des froids glaciaires dans la profondeur des grottes, et armé de frustes "casse-têtes" de silex taillés.
Mortillet s'était employé à donner plus de rigueur à la science commençante, et avait classé selon un ordre typologique et évolutif les cultures humaines de cet homme, que déjà on n'appelait plus "antédiluvien". En 1865 John Lubbock avait forgé les termes de "Paléolithique" pour désigner les cultures de la pierre taillée, les plus anciennes, celles des chasseurs-cueilleurs, et "Néolithique" pour nommer les plus récentes, de la pierre polie et de la terre cuite propres aux premiers temps de la sédentarisation, de l'agriculture et de l'élevage.

L'étude de l'Homme préhistorique de Mortillet se nourrissait des recherches de Boucher de Perthes dans la basse vallée de la Somme, et des magnifiques découvertes de Lartet et Christy dans la vallée de la Vézère et de la Dordogne. S'inspirant de l'évolutionnisme darwinien (ou de ce qu'il croyait en savoir) il avait décrit le devenir linéaire et progressif de l'Homme et de ses cultures, depuis les primitifs bifaces de l'Acheuléen et du Chelléen, jusqu'aux industries de l'Homme de Néandertal (le Moustiérien) et aux cultures solutréennes et magdaléniennes, caractéristiques d'Homo sapiens. Cette progression de la lignée humaine culminait avec l'Homme de Cro-Magnon, un Homme semblable à nous, au front haut et à la stature robuste, découvert en 1868 dans la vallée de la Vézère. Aux racines de cette brillante lignée, Mortillet avait forgé la fiction d'un ancêtre mi-singe mi-homme, l'Anthropopithèque, auquel on attribua une petite industrie de silex éclatés trouvés à Thenay, dans le Loir et Cher, qui devaient bientôt se révéler être de vulgaires cailloux aux cassures naturelles.
Aujourd'hui, en l'an 2000, l'image de l'Homme préhistorique a beaucoup changé. Les idées sur l'évolution se sont modifiées, la Nouvelle Synthèse depuis les années 1930 a récusé l'image d'une évolution comprise comme progrès linéaire, mettant l'accent sur la variation, le buissonnement des formes, et la notion d'une histoire contingente, et imprévisible. D'innombrables découvertes ont enrichi notre vision du passé préhistorique de l'Homme, et ce n'est plus seulement dans le Loir-et-Cher, la vallée de la Somme et de la Vézère, que l'on va chercher ses origines, mais au Moyen Orient et en Europe centrale, aux confins de l'Afrique, de l'Indonésie, de la Chine...
Le regard sur la préhistoire est devenu plus directement ethnologique, et la volonté de mieux connaître dans leur réalité les premières sociétés humaines s'est marquée par de nouvelles exigences de rigueur dans les recherches de laboratoire et de terrain. Celles-ci font appel à un arsenal méthodologique nouveau - fouilles très fines, décapage horizontal des sites, remontages d'outils, méthodes quantitatives pour reconstituer la vie. La préhistoire expérimentale, par la taille et l'utilisation d'outils, en reproduisant les gestes du sculpteur ou du peintre, s'emploie à retrouver les pensées et les démarches opératoires des Hommes de ce lointain passé. Cette approche expérimentale et cognitive vise à livrer une vision plus vivante, plus vraie, plus humaine du passé lointain de notre espèce. Enfin, la vision de l'Homme préhistorique s'est diversifiée, complexifiée, et laisse aujourd'hui la place à une réflexion sur le rôle, les rôles possibles de la femme dans la préhistoire.

Généalogie d'Homo sapiens
"L'Homme descend du Singe", affirmait Darwin, et déjà Lamarck avant lui. La théorie de l'évolution, née au XIXème siècle, a conduit à penser l'origine de l'Homme, non comme création, mais comme filiation, qui enracine notre espèce dans l'ensemble du règne animal. Dès lors, reconstituer la généalogie de l'Homme, c'est réunir et tenter de donner un sens évolutif à tous ces vestiges osseux, baptisés Ardipithecus Ramidus, Australopithecus, Homo habilis, ergaster, rudolphensis, erectus, neandertalensis, sapiens... - qui dessinent, depuis le lointain de la préhistoire africaine, la constellation de nos ancêtres ; c'est interroger la configuration des événements complexes - biologiques, culturels, environnementaux - qui ont eu lieu depuis plus de 5 millions d'années.
La multiplicité des espèces d'Hominidés fossiles connues dès les époques les plus anciennes rend désormais impossible toute conception finaliste et linéaire de ce devenir. C'est un schéma arborescent, buissonnant même, qui rend le mieux compte de la profusion des espèces d'hominidés, parfois contemporaines entre elles, qui nous ont précédés. A lidée dune progression graduelle, on a pu opposer la possibilité de processus évolutifs plus soudains et contingents : ainsi Stephen Jay Gould a pu réaffirmer, après les embryologistes du début du siècle, l'importance pour l'évolution humaine de la néoténie : celle-ci consiste dans la rétention, à lâge adulte, de caractéristiques infantiles ou même fStales, qui peut faire apparaître dans une lignée des formes peu spécialisées qui seront à lorigine de groupes nouveaux. LHomme pourrait bien être un animal néoténique, et dériver dun ancêtre du Chimpanzé qui aurait conservé à lâge adulte les traits du jeune... Un des caractères particuliers de lHomme est en effet le retard de la maturation et la rétention des caractères juvéniles : ce retard se manifeste par certains traits anatomiques : régression de la pilosité, bras courts, tête volumineuse par rapport au reste du corps, gros cerveau, front redressé, régression de la face... - , mais aussi dans sa psychologie et son comportement : longue durée de léducation, goût du jeu, plasticité du système nerveux et capacité de lapprentissage jusque tard dans la vie.... L'acquisition chez l'homme de ces traits, et leur corrélation même, pourrait être explicable par un processus simple (et accidentel) du développement.
A la quête des origines de l'Homme s'est longtemps associée celle du "berceau" de l'humanité, dont Teilhard de Chardin se plaisait à dire qu'il était "à roulettes". On l'a recherché en Asie, en Europe, mais cest l'Afrique qui aujourd'hui s'impose comme le lieu d'enracinement le plus probable de la famille des Hominidés et du genre Homo. Les découvertes des hominidés les plus primitifs connus, les Australopithèques, faites d'abord en Afrique du Sud, puis en Afrique de l'Est conduisent à penser que le berceau de la famille des Hominidés se situe dans ces régions.

La Vallée du grand Rift africain doit elle être considérée comme le lieu d'origine le plus probable de la famille des Hominidés ? Cette thèse est débattue aujourd'hui. Il se peut en effet que les découvertes nombreuses et spectaculaires dans ces sites - ainsi, celle de "Lucy", une Australopithèque très primitive datée de 3 millions d'années, dont les restes presque complets ont été découverts dans le site de Hadar, en Éthiopie en 1974 - s'expliquent plutôt par d'extraordinaires conditions de préservation des fossiles, et des conditions géologiques particulièrement favorables à ce genre de trouvailles. Aujourd'hui, le schéma de "L'East Side Story" selon lequel les premiers Hominidés seraient d'abord apparus à l'est de la Rift Valley, après le creusement de cette faille il y a 7 millions d'années, semble devoir être révisé : une mandibule d'Australopithèque découverte par le paléontologue français Michel Brunet à quelque 2500 km à l'ouest la Rift Valley, au Tchad et contemporaine de Lucy, suggère que l'histoire humaine à cette époque très reculée met en jeu des facteurs environnementaux et comportementaux plus complexes que ceux supposés jusqu'alors. Cette découverte a fait rebondir la question du berceau de l'humanité : elle oblige à penser très tôt en termes de dispersions et de migrations, et à considérer que dès ces époques lointaines du Pliocène, il y a quelque 3 millions d'années, les Hominidés étaient déjà répandus dans une grande partie du continent africain.
Selon les constructions de la biologie moléculaire, c'est entre 5 et 7 millions d'années avant le présent qu'il faut situer l'enracinement commun des Hominidés et des Grands Singes. Les restes d'Ardipithecus ramidus, découverts en Éthiopie, ont été classés en 1994 dans un genre nouveau, que son ancienneté (4,4 millions d'années) semble situer tout près de l'origine commune des grands Singes africains et des premiers Hominidés.

Le tableau de lévolution de la famille humaine inclut de nombreuses espèces d' Australopithèques, ces Hominidés dallure primitive, au front bas, à la démarche bipède, qui ont coexisté en Afrique pendant de longues périodes et dont les vestiges sont datés entre 3,5 et 1 million d'années avant le présent.
Quant aux premiers représentants du genre Homo, ils sont reconnus à des périodes fort anciennes : à Olduvai (Tanzanie) Homo habilis, à partir de - 2,5 millions d'années, a été désigné comme le plus ancien représentant du genre auquel nous appartenons, mais il coexiste peut-être en Afrique avec une deuxième espèce du genre Homo, Homo ergaster.
A partir de -1,7 millions d'années Homo erectus apparaît en Afrique, puis va se répandre dans tout l'Ancien monde : Homo erectus est un Homme de taille plus élevée, au squelette plus lourd et dont le crâne, plus volumineux et plus robuste, a une capacité d'environ 800 cm3. Il va bientôt se répandre dans les zones tempérées du globe, dans le Sud-Est asiatique, en Asie orientale, dans le continent indien et en Europe. Culturellement, il s'achemine vers des sociétés de plus en plus complexes : il développe les techniques de la chasse, domestique le feu, et autour d'1,5 millions d'années invente le biface, qui pour la première fois dans l'histoire humaine manifeste le sens de la symétrie et de l'esthétique.

Les Néandertaliens (Homo neandertalensis) semblent apparaître il y a environ 400 000 ans en Europe occidentale, mais on les trouve aussi au Proche Orient, en Israël et en Irak, entre 100 000 et 40 000 avant le présent. Ces Hominidés au front bas, à la face fuyant en museau, à la carrure massive, mais au crâne dont la capacité cérébrale est proche de la nôtre, parfois même supérieure ont prospéré en Europe de l'Ouest, au Paléolithique moyen (jusqu'il y a 35 000 ans environ), avant d'être brusquement, et de façon encore mal comprise, remplacés par des hommes de type moderne au Paléolithique supérieur. Au Proche-Orient, les choses paraissent plus complexes. Au Paléolithique moyen, les Néandertaliens semblent bien avoir été les contemporains, dans les mêmes lieux, des sapiens archaïques. Pendant plusieurs dizaines de millénaires, ils ont partagé avec eux leurs cultures. Dans ces sites du Proche-Orient, la culture "moustérienne" est associée, non pas comme en Europe aux seuls Néandertaliens, mais à tous les représentants de la famille humaine. En particulier, la pratique de la sépulture est associée non à tel type biologique d'hominidé mais à ce qu'on peut appeler la culture moustérienne, qui leur est commune.

Histoire d'amour, de guerre ou... de simple cohabitation? Sapiens et Néandertaliens ont-ils pu coexister dans les mêmes lieux, avoir, à quelques variantes près, la même culture et les mêmes rituels funéraires, sans qu'il y ait eu d'échanges sexuels entre eux ? Pour certains, il pourrait s'agir de deux races d'une même espèce, donc fécondes entre elles, et les Néandertaliens auraient pu participer au patrimoine génétique de l'homme moderne. D'autres refusent cette hypothèse, sur la foi de l'étude récente d'un fragment d'ADN de Néandertalien, qui paraît confirmer - mais de manière encore fragile - la séparation des deux espèces, et donc l'impossibilité de leur interfécondité.

Les avancées de la génétique et de la biologie moléculaire ont conduit à poser en termes nouveaux la question de l'origine d'Homo sapiens et de la diversité humaine actuelle. Au milieu du XXème siècle, Franz Weidenreich, se fondant sur l'étude des Hominidés fossiles de Chine, les "Sinanthropes", considérait qu'"il doit y avoir eu non un seul, mais plusieurs centres où l'homme s'est développé ". Selon lui, la part trop importante faite aux fossiles européens avait masqué l'existence d'importantes particularités locales chez les Hominidés du Paléolithique inférieur (par exemple entre les Sinanthropes et les Pithécanthropes de Java). Au cours de l'évolution parallèle de ces groupes isolés les uns des autres par des barrières géographiques, les différences déjà présentes à ce stade ont pu se perpétuer jusqu'aux formes actuelles. Ces idées restent aujourd'hui à la source des approches "polycentristes" qui tentent de reconstituer le réseau complexe des origines des populations humaines actuelles, héritières selon eux de formes locales d'Homo erectus, remontant à 500 000 ans, voire 1 million d'années. Cette approche, qui privilégie l'étude des fossiles asiatiques, se donne pour une critique des mythes "édéniques" en même temps que de l'eurocentrisme qui a longtemps prévalu dans l'étude de la diversité au sein de l'humanité actuelle et fossile.
Face à ces positions "polycentristes", les tenants du "monocentrisme" défendent la thèse d'un remplacement rapide des formes d'hominidés primitifs par des Homo sapiens anatomiquement modernes : ils s'efforcent, à partir de l'étude des différences morphologiques, mais aussi des données de la biologie moléculaire, de reconstituer l'origine unique de toutes les populations humaines. Ces études ont abouti à un calcul des "distances génétiques" entre les populations actuelles, et avancé l'hypothèse d'une "Ève africaine" qui serait la "mère" commune de toute l'humanité

La thèse de l'origine unique et africaine de l'espèce Homo sapiens, il y a quelque 200 000 ans, irait dans le sens d'une séparation récente des populations humaines actuelles, et d'une différence très faible entre elles. Mais elle demande à être confirmée, non seulement par de nouvelles expériences et un échantillonnage rigoureux, mais aussi par les témoignages paléontologiques, rares à cette époque dans ce domaine géographique.
La mise en place de l'arbre généalogique de la famille humaine au cours de l'histoire de la paléoanthropologie et de la préhistoire reste aujourd'hui encore l'objet de discussions, qui concernent tant les schèmes évolutifs et les processus environnementaux que les critères biologiques et culturels qui y sont à l'Suvre. Lhistoire de la famille humaine apparaît fort complexe dès ses origines : aux racines de l'arbre généalogique, entre 4 millions et 1 million d'années, les Hominidés se diversifient en au moins deux genres (Australopithecus et Homo) et un véritable buissonnement d'espèces, dont certaines ont été contemporaines, parfois dans les mêmes sites. La multiplication des découvertes, l'introduction des méthodes de classification informatisées, et les bouleversements des paradigmes de savoir, ont abouti à rendre caduque la recherche d'un unique "chaînon manquant" entre l'Homme et le singe. L'espèce Homo sapiens a été resituée dans le cadre d'une famille qui a connu une grande diversification dans tout l'Ancien Monde. Que la plupart des espèces d'Hominidés se soient éteintes est un phénomène banal dans l'histoire du vivant, et ne signifie certainement pas que la nôtre fût la seule destinée à survivre. Plusieurs dizaines de milliers d'années durant, les Néandertaliens ont prospéré et parfois même cohabité avec notre espèce - et ils se sont éteints, comme d'ailleurs la plupart des espèces vivantes, il y a seulement un peu plus de 30 000 ans, pour des raisons qui restent inconnues. Mais ils auraient pu survivre, et la vision que nous avons de nous-mêmes en eût sans doute été fortement modifiée...

Le devenir des cultures humaines
"L'évolution [humaine] a commencé par les pieds"... aimait à dire par provocation André Leroi-Gourhan, insistant sur le fait que l'acquisition la bipédie précède dans l'histoire humaine le développement du cerveau.
De fait, des découvertes récentes ont montré que la bipédie a sans doute été acquise très tôt dans l'histoire de la famille humaine, il y a 3 ou 4 millions d'années. Les études menées sur la locomotion des Australopithèques ont conclu que ceux-ci marchaient déjà sur leurs deux pieds, même s'il leur arrivait parfois de se déplacer par brachiation - en se suspendant à l'aide de leurs bras. Les traces de pas découvertes en 1977 à Laetolil (Tanzanie ) et datées de 3,6 millions d'années sont bien celles de deux individus parfaitement bipèdes, marchant côte à côte... Elles ont confirmé le fait que la station redressée et la marche bipède étaient déjà acquises par ces Hominidés primitifs, - bien avant que la taille du cerveau n'atteigne son développement actuel.

Le développement du cerveau est certainement le trait le plus remarquable de la morphologie humaine. Des moulages naturels d'endocrânes fossiles - comme celui de lenfant de Taung, découvert en 1925 - ou des moulages artificiels obtenus à partir de limpression du cerveau sur la paroi interne du crâne dautres Hominidés fossiles ont permis de suivre les étapes de cette transformation du volume cérébral, de l'irrigation et de la complexification des circonvolutions cérébrales au cours de l'évolution des Hominidés. La question reste cependant posée du "Rubicon cérébral" - elle implique qu'il existerait une capacité endocrânienne au-delà de laquelle on pourrait légitimement considérer qu'on a affaire à des représentants du genre Homo, dignes d'entrer dans la galerie de nos ancêtres... La définition, longtemps discutée, d'Homo habilis comme premier représentant du genre humain, a fait reculer cette frontière à 600 cm3... et peut-être même encore moins : il faut donc bien admettre que le développement du cerveau n'a pas été l'unique "moteur" du développement humain : il s'associe à d'autres traits anatomiques propres à l'homme, station redressée, bipédie, morphologie de la main, fabrication et utilsation d'outils, usage d'un langage articulé...

La main humaine a conservé le schéma primitif, pentadactyle, de l'extrémité antérieure des Vertébrés quadrupèdes. La caractéristique humaine résiderait dans le fait que chez l'Homme le membre antérieur est totalement libéré des nécessités de la locomotion. Mise en rapport avec le développement du cerveau, la libération de la main ouvre à l'Homme les possibilités multiples de la technicité. L'avènement d'une "conscience" proprement humaine se situerait donc du côté de ses productions techniques.

L'outil est-il autant qu'on le pensait naguère porteur de la différence irréductible de l'homme ? Éthologistes, préhistoriens et anthropologues ont cherché à comparer, sur le terrain archéologique ou expérimental les "cultures" des Primates et celles des premiers Hominidés fossiles. Ils proposent des conclusions beaucoup plus nuancées que les dichotomies abruptes de jadis. Si l'outil définit l'Homme, l'apparition de l'Homme proprement dit ne coïncide plus avec celle de l'outil. Certains grands Singes savent utiliser et même fabriquer des outil. L'étude fine de la technicité des Panidés a également conduit à en observer des formes diversifiées dans différents groupes géographiquement délimités, et certains chercheurs n'hésitent pas à parler de "comportements culturels" chez ces Singes. D'autre part, les premières industries de pierre connues sont probablement l'Suvre des Australopithèques : ces hominidés au cerveau guère plus volumineux que celui d'un gorille sont-ils les auteurs des "pebble tools" ou des industries sur éclats vieilles d'environ 2,5 millions d'années - qui ont été trouvés associées à eux dans certains sites africains ? Beaucoup l'admettent aujourd'hui ... mais d'autres restent réticents à attribuer ce trait culturel à un Hominidé qui ne se situe pas dans notre ascendance ! Il a donc fallu repenser les "seuils" qui naguère semblaient infranchissables, non seulement entre grands Singes et premiers Hominidés, mais aussi entre les différents représentants de la famille humaine.
L'Homme seul serait capable de prévision, d'intention : Il sait fabriquer un outil pour assommer un animal ou découper ses chairs -et, plus encore, un outil pour faire un outil. Instrument du travail, l'outil est lui-même le produit d'un acte créateur. Si les vestiges osseux sont rares et se fossilisent mal, d'innombrables silex taillés, des primitifs "galets aménagés" aux élégantes "feuilles de laurier" solutréennes et aux pointes de flèches magdaléniennes permettent de suivre à la trace les chemins qu'ont empruntés les Hommes, d'évaluer leurs progrès dans la conquête et la maîtrise de la nature, de percevoir la complexité croissante de leurs échanges et de leurs communications.
Les "cultures" préhistoriques ont dans le passé été caractérisées, presque exclusivement, par l'outillage lithique qui les composent. Le Moustérien, le Solutréen, le Magdalénien, ce sont d'abord des types d'outils et de techniques lithiques décrits, inventoriés, étudiés dans leur distribution statistique. Cependant les approches contemporaines tendent à élargir cette notion de "cultures" en mettant en lumière d'autres traits culturels importants, inventions techniques essentielles comme celle du feu, de l'aiguille et du poinçon, de la corde, et du tissage, structures d'habitat, organisation du groupe social, division du travail...
Aux périodes les plus récents du Paléolithique supérieur, l'art, mobilier ou rupestre, traduit le fait que l'homme a désormais accès au symbolique, à la représentation. Innombrables sont les objets en ivoire, en os ou en bois de renne, sculptés ou gravés découverts sur les sites préhistoriques, et témoignant de la fécondité artistique des chasseurs cueilleurs de la préhistoire, et de ce que ces primitifs du Paléolithique avaient un talent et une sensibilité dartistes, très proches en somme de celles de lHomme daujourdhui.

Devant ces figurations animales et humaines ou ces signes abstraits, le problème se pose de leur signification : labbé Breuil nhésitait pas à prêter un sentiment religieux à ses auteurs, et à interpréter les figures et les symboles sculptés, gravés, dessinés ou peints du Paléolithique comme la manifestation de cultes animistes et de rituels chamaniques, que l'on retrouverait chez certains peuples actuels. La thèse du chamanisme a fait l'objet d'importantes critiques, elle a pourtant été récemment reprise par le préhistorien français Jean Clottes et l'anthropologue sud-africain David Lewis-Williams, qui proposent d'interpréter les symboles de l'art paléolithique en s'inspirant de ceux du chamanisme, lisibles selon eux dans l'art rupestre des Bushmen d'Afrique australe. Cette interprétation, étayée aussi par des arguments neuro-physiologiques, ne laisse pas d'être fragile, précisément par l'universalité qu'elle suppose, excluant les lectures de cet art qui viseraient à prendre en compte son contexte particulier et son symbolisme propre
La faculté symbolique dont témoigne l'art est sans aucun doute liée aux possibilités de l'échange et de la parole. On sait que certaines régions du cerveau humain sont dévolues à la parole et le développement de ces aires cérébrales a pu être observé, dès Homo habilis, voire même peut-être chez les Australopithèques. Certaines caractéristiques des organes de la phonation (larynx, apophyses de la mandibule pour linsertion de la langue, résonateurs nasaux) sont également invoquées, mais beaucoup dincertitudes subsistent : le grognement, le cri, le chant, ont-ils été les formes primitives de l'expression humaine ? Le langage "doublement articulé" - au niveau phonétique et sémantique - existe-t-il déjà aux stades anciens du genre Homo, voire dès Australopithecus, ou apparaît-il seulement avec l'Homme moderne ? Le langage humain résulte-t-il d'un "instinct" déterminé génétiquement qui dès les origines de la famille humaine nous distingue déjà des autres primates ? ou faut-il le considérer comme un produit de la société et de la culture, contemporain de la maîtrise des symboles de l'art ?

Nouveaux regards sur la femme préhistorique
Le XIXème siècle n'avait pas donné une image très glorieuse de la femme préhistorique. Le héros de la préhistoire, de Figuier à Rosny, cest l'Homme de Cro-Magnon, armé d'un gourdin, traînant sa conquête par les cheveux pour se livrer à d'inavouables orgies dans l'obscurité de la caverne& La sauvagerie des "âges farouches" est alors prétexte à des allusions à la brutalité sexuelle, au viol. Cet intérêt pour les mSurs sexuelles des origines est sans doute l'envers de la pruderie d'une époque. Il rejoint celui que l'on commence à porter aux ténèbres de l'âme, aux pulsions primitives, inconscientes, qui s'enracinent dans les époques primitives de l'humanité.
Notre regard aujourdhui semble se transformer. Notre héros de la préhistoire, c'est une héroïne, Lucy, une Australopithèque découverte en 1974 dans le site de Hadar en Ethiopie et qui vécut il y a quelque 3 millions d'années. Innombrables sont les récits qui nous retracent les bonheurs et les aléas de son existence. Signe des temps : la femme a désormais une place dans la préhistoire.

Les anthropologues ont renouvelé l'approche de la question des relations entre les sexes aux temps préhistoriques en mettant l'accent sur l'importance, dans le processus même de l'hominisation, de la perte de l'oestrus qui distingue la sexualité humaine de celle des autres mammifères. Tandis que l'activité sexuelle chez la plupart des animaux, y compris les grands Singes, est soumise à une horloge biologique et hormonale, celle qui détermine les périodes de rut - la sexualité humaine se situe sur le fond d'une disponibilité permanente. Cette disponibilité fut sans doute la condition de l'apparition des normes et des interdits qui dans toutes les sociétés limitent les usages et les pratiques de la sexualité. Peut-être a-t-on vu alors naître des sentiments de tendresse, s'ébaucher des formes de la vie familiale, de la division du travail - et s'établir les règles morales, l'interdit de l'inceste et les structures de la parenté dont les anthropologues nous ont appris quils se situent au fondement de toute culture.

Depuis environ trois décennies, des travaux conjugués d'ethnologie et de préhistoire ont remis en cause les a priori jusque là régnants sur linanité du rôle économique et culturel des femmes dans les sociétés paléolithiques. Les recherches des ethnologues sur les Bushmen dAfrique du Sud ont ouvert de nouvelles voies pour la compréhension des modes de vie et de subsistance, des structures familiales et de la division sexuelle du travail chez les peuples de chasseurs-cueilleurs. Dans ces groupes nomades, les femmes, loin d'être passives, vouées à des tâches subalternes, immobilisées par la nécessité délever les enfants, et dépendantes des hommes pour l'acquisition de leur subsistance, jouent au contraire un rôle actif à la recherche de nourriture, cueillant, chassant à loccasion, utilisant des outils, portant leurs enfants avec elles jusquà lâge de quatre ans, et pratiquant certaines techniques de contrôle des naissance (tel que l'allaitement prolongé). Ces études ont conduit les préhistoriens à repenser l'existence des Homo sapiens du Paléolithique supérieur, à récuser les modèles qui situaient la chasse (activité exclusivement masculine) à lorigine de formes de la vie sociale, et à élaborer des scénarios plus complexes et nuancés, mettant en scène la possibilité de collaborations variées entre hommes et femmes pour la survie du groupe.
La figure épique de Man the Hunter, le héros chasseur poursuivant indéfiniment le gros gibier a vécu. Il faut désormais lui adjoindre celle de Woman the gatherer, la femme collectrice (de plantes, de fruits, de coquillages). Larchéologue américain Lewis Binford est allé plus loin en insistant sur l'importance au Paléolithique des activités, non de chasse, mais de charognage, de dépeçage, de transport et de consommation de carcasses d'animaux morts, tués par d'autres prédateurs. Des preuves dactivités de ce type se trouveraient dans la nature et la distribution des outils de pierre sur certains sites de dépeçage, et dans la sélection des parties anatomiques des animaux consommés. Si tel est le cas, des femmes ont pu participer à ces activités, et être, tout autant que les hommes, pourvoyeuses de nourriture.
Il se peut aussi que, contrairement aux idées reçues, les femmes aient été très tôt techniciennes, fabricatrices d'outils quelles se soient livrées par exemple à la taille des fines industries sur éclats qui abondent à toutes les époques du Paléolithique -, qu'elles aient inventé il y a quelque 20 000 ans, la corde et l'art du tissage de fibres végétales, dont témoignent les parures et les vêtements qui ornent certaines statuettes paléolithiques : la résille qui coiffe la "dame à la capuche" de Brassempouy, le "pagne" de la Vénus de Lespugue, les ceintures des Vénus d'ivoire de Kostienki, en Russie&

Ces Vénus paléolithiques nous donnent-elles pour autant une image réaliste de la femme préhistorique ? Si tel était le cas, il faudrait croire, comme le disait avec humour Leroi-Gourhan, que la femme paléolithique était une nature simple, nue et les cheveux bouclés, qui vivait les mains jointes sur la poitrine, dominant sereinement de sa tête minuscule lépouvantable affaissement de sa poitrine et de ses hanches &Ces Vénus ont suscité une multitude d'interprétations - tour à tour anthropologiques, physiologiques, voire gynécologiques, religieuses, symboliques. Certains, s'appuyant sur l'abondance dans lart paléolithique des images sexuelles et des objets réalistes - vulves féminines ou phallus en érection, scènes d'accouplement, corps de femmes dont les seins, les fesses et le sexe sont extraordinairement soulignés, y ont vu l'expression sans détour de désirs et de pratiques sexuels, en somme l'équivalent paléolithique de notre pornographie&

Des études féministes ont mis en cause le fait, jusque là donné pour une évidence, qu'il puisse s'agir d'un art fait par des hommes et pour des hommes. Chez les Aborigènes australiens, l'art sacré est en certaines occasions réservé aux femmes. Si on admet que l'art paléolithique a pu avoir une fonction rituelle et religieuse, ses figurations et ses objets pourraient avoir été destinés, plutôt qu'à un usage exclusivement masculin, à l'usage des femmes ou à l'initiation sexuelle des adolescentes. L'ethnologue californienne Marija Gimbutas a reconnu dans ces Vénus paléolithiques des images de la "Grande Mère", figure cosmogonique, symbole universel de fécondité, qui se retrouve au Néolithique et jusqu'à l'Age du Bronze dans toute l'Europe : ces sociétés dont les religions auraient été fondées sur le culte de la "Grande Déesse" auraient connu, de manière continue jusqu'à une époque relativement récente, des formes de pouvoir matriarcales et des formes de transmission matrilinéaires, avant d'être remplacées par des structures sociales à dominance masculine et des religions patriarcales. Cette construction, qui reprend la thèse du matriarcat primitif à lappui de thèses féministes, reste pourtant fragile : lhistoire ultérieure ne nous montre-t-elle pas que le culte de la mère peut exister dans des religions à dominance masculine, et dans des sociétés comportant une bonne part de misogynie ?
Quoi quil en soit, limage de la femme du Paléolithique a changé. Sil reste souvent à peu près impossible de désigner précisément ce qui dans les rares vestiges de la préhistoire, ressortit à lactivité de lun ou lautre sexe, ces nouvelles hypothèses et ces nouveaux savoirs, qui ne sont pas sans liens avec les transformations de nos sociétés, nous livrent une image plus vivante, plus colorée, plus ressemblante peut-être, de la femme des origines.

Conclusion
Comme tous les savoirs de l'origine, la préhistoire est un lieu inépuisable de questionnements, de rêves et de fantasmes. Elle représente un monde à la limite de la rationalité et de l'imaginaire, où peut s'exprimer le lyrisme, la fantaisie, l'humour, l'érotisme, la poésie. Mais l'imagination, en ce domaine, ne saurait être réduite à une combinatoire de thèmes fixés, archétypes ou lieux communs. Elle invente, elle crée, elle se renouvelle en fonction des découvertes et des événements, mais aussi des représentations prégnantes en un moment et dans un contexte particulier.

La préhistoire est une science interdisciplinaire, qui mobilise la géologie, la biologie, l'archéologie, l'ethnologie, l'histoire de l'art& et qui s'enrichit des développement de tous ces savoirs. Mais elle est avant tout une discipline historique, dont les documents sont pourtant beaucoup plus pauvres que ceux de l'histoire : ce sont des traces, des vestiges fragmentaires et muets, auxquels il faut donner sens, et dont l'interprétation est un lieu privilégié de projection de nos propres cadres mentaux et culturels.
Cest pourquoi on peut prophétiser sans risque que l'humanité préhistorique du XXIème siècle ne ressemblera pas à celle du XIXème ou du XXème siècle. Non seulement parce que des découvertes, suscitées ou inattendues, surgiront du terrain ou du laboratoire. Mais aussi parce que nos sociétés elles-mêmes, et la conscience que nous en avons, changeront elles aussi. Car l'Homme préhistorique a une double histoire : la sienne propre, et celle de nos représentations.


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